CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

Contribution du Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Le groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) tient d'abord à souligner la qualité du travail réalisé par le rapporteur ; un travail de longue haleine, fondé depuis février dernier, sur plus d'une cinquantaine d'auditions de divers acteurs et experts sur cette question fondamentale de l'apport potentiel des carburants durables.

Pour décarboner nos transports, des solutions de substitution aux énergies fossiles doivent être trouvées ; nous n'avons pas le choix !

Les biocarburants, les carburants synthétiques durables et l'hydrogène vert disposent de nombreuses vertus, car ils ont l'avantage de réduire la pollution et les émissions de gaz à effet de serre tout en se substituant au pétrole que nous importons. Ils constituent donc l'un des éléments clés de la transition énergétique, notamment dans les secteurs où les solutions électriques ne seraient pas possibles ou inefficaces.

Le mérite de cette mission d'information est précisément de lancer des pistes de réflexion et des propositions pour anticiper l'accroissement de la demande de ces nouveaux vecteurs énergétiques durables, et ce afin d'éviter une nouvelle dépendance à des importations qui creuseraient notre déficit commercial.

Produire ces nouveaux carburants durables, à des prix compétitifs et sous condition d'un bilan énergétique et carbone vertueux, constitue l'un des ressorts essentiels pour amener le secteur des transports sur la voie de la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Pour autant, il est improbable que nous parvenions à compenser par des énergies renouvelables l'ensemble des énergies fossiles que nous utilisons aujourd'hui. Et ce notamment dans le secteur des transports où les émissions de gaz à effet de serre n'ont cessé d'augmenter depuis les années 1990, atteignant en 2021, 31 % des émissions annuelles françaises.

Sous cet angle, on peut regretter que le rapport ne se situe pas dans une perspective plus globale qui aurait permis de repenser la juste place de la filière de ces nouveaux carburants durables dans les efforts que nous devons consentir pour répondre à l'urgence écologique et à l'impact social du réchauffement climatique.

Pour le dire autrement, la voie des carburants durables ne saurait être viable si elle ne s'accompagne pas d'un bouleversement de nos modes de production trop productivistes et de nos modes de consommation trop consuméristes permettant d'aller vers plus de sobriété et donc vers une rationalisation des usages, pratiques et habitudes, notamment en matière de transport (moins de transport routier, plus de rail, de transports collectifs et collaboratifs...).

Continuer comme avant, aboutirait inévitablement à une hausse importante de nos importations et réduirait l'espoir de réussir la décarbonation de nos transports. Ce serait « tomber de Caribe en Scylla »...

En avril 2022, dans son rapport, le GIEC définissait la sobriété comme « l'ensemble des politiques, des mesures, des pratiques quotidiennes qui permettent d'éviter des demandes d'énergie, de matériaux, de biens, de terres, tout en assurant le bien-être de tous les humains dans les limites planétaires ».

Cela suppose non seulement d'accroître l'efficacité énergétique, mais aussi de réduire le volume d'énergie que nous consommons.

Comment faire et pour qui ?

C'est là que réside aujourd'hui tout l'enjeu d'une transition écologique capable à la fois de lutter contre le réchauffement climatique et de réduire les inégalités sociales et économiques.

Car « faut-il que tout change pour que rien ne change » ?

Alors que la croissance du PIB s'accompagne depuis quelques décennies d'une hausse criante des inégalités, avec une participation proportionnellement plus réduite des plus riches (les 1 % et 0,1 % les plus riches) aux efforts de sobriété comme en témoignent plusieurs études, il est temps de penser le monde d'après la croissance productiviste et fondée sur l'indicateur numérique du PIB pour laisser place à un modèle de développement fondé sur une sobriété pragmatique et inclusive, capable d'améliorer le bien-être des populations tout en répondant à l'urgence climatique.

Contribution du Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

La sortie des fossiles n'est pas une option, mais une impérieuse obligation. Dans ce contexte, les biocarburants sont un des éléments de notre futur mix énergétique, ils peuvent contribuer, sous certaines conditions, à sa décarbonation et à notre souveraineté. Néanmoins, il convient de ne pas leur donner un blanc-seing, car ces alternatives aux énergies fossiles posent de nombreuses questions et ne permettent pas toujours de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre, et dans certains cas même, ils les augmentent.

90 % des biocarburants proviennent des cultures du colza, du blé, du maïs et de la betterave. Le volume de biocarburants a été multiplié par 9 en moins de 15 ans ce qui est considérable. La France, malgré une importante production nationale, dépend largement d'importations puisque le colza d'origine française ne représente que 38 % des volumes incorporés dans les biocarburants en 2020 tout en consommant les trois quarts de la production nationale (rapport de la Cour des comptes de juillet 2021).

La capacité d'un biocarburant à réduire les émissions de GES par rapport aux carburants fossiles doit être l'exigence première. Rappelons que la directive RED II prévoit la mise en place pour les biocarburants d'une traçabilité dédiée pour démontrer que les critères de durabilité de la biomasse, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'efficacité énergétique, sont respectés. La seconde exigence est de contribuer à la préservation de la fertilité des sols et à la biodiversité.

Pour être en cohérence avec les objectifs assignés, les biocarburants doivent répondre à de nombreuses exigences.

Un élément déterminant n'est malheureusement pas approfondi dans ce rapport. Le changement d'affectation des sols indirects (CASI) n'est pas totalement pris en compte dans le calcul des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, lorsque la mise en culture pour la production de biocarburants intervient sur des terres agricoles déjà utilisées pour un usage alimentaire, on assiste à un glissement de la production alimentaire initiale vers d'autres terres agricoles ou non, comme les forêts, les prairies, les zones humides. S'ils peuvent être difficiles à mesurer, les CASI doivent être pris en compte pour établir un bilan global d'émission des biocarburants. Ces émissions peuvent être liées aux évolutions du stock de carbone organique contenu dans le sol, aux émissions liées à la destruction de la végétation naturelle, lors du changement d'usage du sol.

Sans tenir pleinement compte des effets des CASI, les règles de calcul actuellement basées sur l'analyse cycle de vie sont trompeuses et permettent d'atteindre les seuils de réduction d'émissions fixées par la directive RED II du fait de cette carence.

Un autre point de vigilance qui doit être souligné est celui des cultures dédiées à la production de ces biocarburants. Colza, maïs, blé, betterave sont les principales matières premières utilisées pour la production. Ces cultures, pratiquées de manière intensive, ont des impacts environnementaux importants sur les sols, l'air, l'eau et la biodiversité du fait de l'usage d'intrants, à titre d'exemple l'usage des néonicotinoïdes pour la culture de betteraves (rapport IPBES de 2019). Cette problématique fondamentale est absente du rapport.

Alors que nos terres sont déjà largement surexploitées, que la productivité stagne ou même décroît, la France n'est pas autonome pour la nutrition animale. Il convient donc dans un premier temps d'interroger le régime alimentaire des Français. La production de cultures dédiées aux biocarburants doit s'étudier dans ce contexte de dépendance. Baisser notre volume de consommation de viande semble un préalable pour permettre de dégager des surfaces dans le cadre d'une planification, pour des cultures autres que celles dédiées à l'alimentation animale. Il est ici question de réelle souveraineté.

De plus, tout ce qui consiste à importer de la biomasse de l'étranger pour produire des biocarburants ou des productions agricoles destinées à la nutrition animale induit des changements d'affectation des sols (CASI) ne contribue pas à notre souveraineté et participe à la diminution des puits de carbone à l'étranger.

Si la biomasse peut jouer un rôle important en matière de production d'énergie, il est essentiel de ne pas bouleverser les équilibres entre ses différents usages. Toutes les productions actuelles ont déjà un usage et le risque est bien de déstabiliser des filières agricoles. En effet, la biomasse est essentielle pour la production alimentaire humaine et animale, mais aussi pour la production de fibres, de fumure ainsi que pour la faune et la flore. La production énergétique doit rester limitée, au risque de voir les sols agricoles privés de matières organiques, et justifiant en conséquence le recours à de plus en plus d'intrants chimiques. On peut dans certains cas intensifier la production, valoriser des co-produits, mais cela a également des répercussions qu'il est nécessaire de prendre en compte.

Les Cultures Intermédiaires à Vocation Énergétique (CIVE) risquent de devenir une ressource hautement convoitée. Les gisements nécessaires à la production de biogaz ou de biocarburants ne sont pas infinis, un développement massif de ces différentes filières ferait peser un risque important sur les filières agricoles en général en développant une compétition sur la biomasse. Il conviendrait également de tenir compte des aléas auxquels nous serons soumis dans les années à venir : quid de la quantité de biomasse sur une planète à + 4 °C ? Quelle production de biomasse avec la raréfaction de la ressource en eau ?

Le rapport cible la décarbonation du secteur des transports, notamment le secteur de l'aérien. L'objectif d'incorporation de biocarburants à hauteur de 6 % en 2030 et de 20 % en 2035 semble illusoire. Les quantités de biocarburants nécessaires pour se substituer au fossile dans les secteurs de l'aérien et du transport maritime sont sans commune mesure avec nos capacités de production. En effet, les gisements de biomasse disponibles de manière durable ne permettront pas un développement massif des biocarburants. Les seuls moyens pour réduire l'empreinte de ces deux secteurs sur le court et moyen terme sont d'une part de s'engager dans une politique de sobriété, de réorienter notre économie vers une production durable, soutenable et territorialisée qui permettra de faire décroître le transport maritime, et d'autre part de ramener le transport aérien à son niveau de 1990, l'objectif de 70 % de carburants aéronautiques durables en 2050 n'est pas crédible dans un scénario de croissance de ce secteur.

Ceci nous conduit à penser que les biocarburants n'ont la capacité de remplacer qu'une petite partie des carburants fossiles et cela dans des usages bien particuliers comme le transport poids lourds et le transport ferroviaire non électrifié et ceci sur le court et moyen terme dans l'attente de solutions plus performantes.

Par ailleurs, si le groupe Écologiste Solidarité & Territoires salue le travail effectué par la mission d'information, il regrette qu'il vise un champ bien trop vaste : biocarburants, carburants synthétiques, hydrogène. Chacun d'entre eux aurait pu faire l'objet d'un rapport à part entière. À ce titre, les recommandations relatives à l'hydrogène telles que la reconnaissance « à sa juste valeur, dans tous les textes européens, de la contribution de l'électricité et de l'hydrogène d'origine nucléaire à la décarbonation de l'économie » ou encore la nécessité d'une « relance effective et rapide de l'énergie nucléaire » nous font entrer dans un autre champ. Nous nous opposons à cette relance de l'énergie nucléaire pour de nombreuses raisons que nous ne développerons pas ici.

De plus, la volonté d'ajuster la politique foncière aux enjeux de décarbonation de l'économie en desserrant les contraintes du zéro artificialisation nette (ZAN) n'est pas souhaitable, ces projets n'ont pas à être exonérés de la trajectoire du ZAN, car ils participent bien au recul des terres agricoles et des espaces naturels.

Le rapport n'analyse pas le coût complet que représente le développement des biocarburants pour l'État. En plus des dépenses de soutien public à la recherche, le subventionnement des biocarburants impliquerait une baisse -certes salutaire- des ventes d'énergies fossiles, mais une diminution mécanique des recettes liées à la taxation des énergies fossiles. Augmentation des dépenses et perte de recettes se cumulent et doivent être pleinement identifiées.

Concernant les biocarburants de deuxième génération, et les recherches qui sont effectuées aujourd'hui pour produire des carburants issus de « déchets » ménagers, agricoles, forestiers ou industriels : il a été constaté au cours des auditions que ces gisements sont eux aussi limités et convoités par plusieurs filières comme le biogaz (pyrogazéification pour les déchets ligneux) ou le bois énergie, mais aussi l'alimentation animale. Il convient donc, avant d'engager des politiques publiques onéreuses pour développer cette voie de deuxième génération, d'avoir une évaluation précise des gisements nationaux et des priorisations. Il en est de même pour la production d'hydrogène par thermolyse, pyrogazéification ou vaporeformage.

Une analyse fine des gisements, les interactions avec les différentes filières agricoles, les concurrences entre les différents usages énergétiques de la biomasse sont des angles morts de ce rapport qui en font un exercice intéressant, l'aboutissement d'un travail considérable en termes d'auditions et de synthèse, mais un outil insuffisant en termes d'analyse politique.

Pour conclure, ce rapport apporte une analyse intéressante au niveau technologique des différentes filières et c'est notable, il lui manque toutefois une vision écosystémique. Ce rapport nous conforte également dans la conviction que la décarbonation de nos sociétés, la préservation de l'habitabilité de la planète ne pourront se faire sans une réelle sobriété des usages ni une réelle modification de nos pratiques en termes de transports, d'alimentation et de consommation d'une manière générale. L'intérêt porté à la filière des biocarburants ne doit pas masquer le chemin de l'efficacité et de la sobriété.

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