C. RENFORCER LES CAPACITÉS D'INTERVENTION DE L'ÉTAT ET DES PHARMACIES CENTRALES

1. Restaurer la capacité de façonnage de l'Agence générale des équipements et produits de santé de l'AP-HP

Lointaine héritière de l'« Apothicairerie Générale des Hospices de Paris » créée en 1795, la Pharmacie centrale des hôpitaux a été à l'origine d'inventions telles que le chloroforme, la méthadone (sous forme sirop) ou le premier gant de chirurgie jetable. Elle constitue un des deux pôles de l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), l'autre étant la direction acheteuse de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour le compte de ses 37 établissements. L'établissement pharmaceutique (EP) de l'AP-HP est aujourd'hui, avec la Pharmacie centrale des armées, le seul établissement pharmaceutique public rattaché à un hôpital - sans être un producteur chimique. À ce titre, l'Ageps n'a jamais fabriqué de principes actifs.

Jusqu'au milieu des années 1990, la Pharmacie Centrale des Hôpitaux produisait des solutions injectables pour des volumes importants que l'industrie ne pouvait fournir pour satisfaire aux besoins de l'AP-HP. Cette unité de fabrication industrielle fabriquait également des médicaments génériques ainsi que diverses préparations, à tel point que jusqu'en 1995, « le stérilisateur fonctionnait en continu ». C'est ainsi que s'exprimaient, 20 ans plus tard, les auteurs du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) diligenté par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, dans un contexte beaucoup moins favorable : alors que la loi du 8 décembre 1992 relative à la pharmacie et au médicament371(*) avait ouvert la possibilité aux établissements de santé fabriquant industriellement des médicaments à la date du 31 décembre 1991, de créer, en leur sein, un établissement pharmaceutique (EP), quinze ans plus tard il était apparu à la ministre que « certains des objectifs fixés à l'EP de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) n'ont pas été atteints ».

a) Un désengagement de la fabrication...

Le cadre juridique de l'activité de l'établissement pharmaceutique de l'AP-HP (article R5124-69 du code de la santé publique)

Les activités des établissements pharmaceutiques gérés par les établissements publics de santé ne peuvent concerner que des médicaments répondant à des besoins de santé publique qui ne sont pas déjà satisfaits par les médicaments disponibles en France et bénéficiant de l'autorisation de mise sur le marché, prévue à l'article L. 5121-8 ou de l'autorisation d'accès précoce ou de l'autorisation d'accès compassionnel mentionnées à l'article L. 5121-12 et au II de l'article L. 5121-12-1.

Le contenu du rapport annuel mentionné au 4° de l'article L. 5126-6 est fixé par décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Ces établissements peuvent être autorisés dans les conditions prévues à l'article L. 5124-3 à réaliser des préparations hospitalières et des reconstitutions de spécialités pharmaceutiques pour le compte des établissements publics de santé où ils sont implantés. La même autorisation peut, dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 5126-2 et au vu d'un cahier des charges garantissant la qualité et la sécurité sanitaire de la prestation, leur permettre de confier, sous leur responsabilité, la réalisation des préparations hospitalières susmentionnées à un autre établissement pharmaceutique.

Les établissements pharmaceutiques des établissements publics de santé peuvent être autorisés, dans les conditions définies au 2° de l'article L. 5126-5, au 3° de l'article L. 5126-34, à délivrer ces préparations et reconstitutions à d'autres établissements mentionnés à l'article R. 5126-1 et à des professionnels de santé participant à des dispositifs spécifiques régionaux.

· La ministre enjoignait aux deux inspecteurs de l'Igas de s'interroger sur :

- la pertinence d'une production centralisée par l'EP de l'AP-HP sous des référentiels de qualité supérieurs, à l'instar des bonnes pratiques de fabrication (BPF), aux productions ponctuelles des PUI, correspondant à des marchés de niches ou des besoins non encore stabilisés, en tenant compte de la concurrence actuelle et des possibilités d'importation, avec un accent sur la pertinence coût-bénéfice de la production de petits lots et sur la taille « critique » des lots par rapport aux besoins thérapeutiques ;

- la confirmation de l'intérêt de santé publique à ce que l'EP de l'AP-HP puisse contribuer à la « reprise d'activité » pour des médicaments abandonnés par l'industrie pharmaceutique ou pour la production de médicaments orphelins, aux formes galéniques et de dosages adaptées à la pédiatrie ou la gériatrie, ainsi que sa contribution aux essais cliniques ;

- l'assurance d'une production de qualité avec maîtrise de l'organisation et de la chaîne de production ;

- le financement de la structure ;

- la pertinence d'une stratégie de partenariat public-privé ou la coopération avec des partenariats tiers ;

- le cadre d'accès au marché pour des produits indispensables qui ne peuvent pas atteindre l'AMM.

· Remis en décembre 2015, ce rapport se montre très critique à l'égard de l'EP de l'Ageps. Dans un contexte de diminution de la demande, ses auteurs relèvent « la déception de nombreux clients, à travers leur PUI, quant à leurs attentes vis-à-vis de l'EP-HP... liée... [notamment] aux ruptures d'approvisionnement répétées des productions... ». Le rapport souligne néanmoins que « les investigations à l'international montrent que tous les pays sont confrontés à la difficulté de répondre à des besoins non couverts par l'industrie pharmaceutique, avec des réponses globalement similaires, passant par la réalisation de préparations, même si stricto sensu, le statut de préparation hospitalière est franco-français ».

À un moment où les pénuries de médicaments passaient encore largement inaperçues, le rapport proposait, avec une certaine prescience, des pistes d'évolution telle que la reprise de production de molécules anciennes abandonnées par l'industrie, la collaboration avec des laboratoires pour gérer des ruptures d'approvisionnement ainsi que la couverture de besoins en pédiatrie ou encore la mise à disposition de nouvelles formes galéniques permettant d'améliorer l'observance et facilitant l'administration, notamment aux personnes âgées ou aux enfants. Il recommandait « une concentration de la production et une rentabilisation des chaines en abandonnant la production de tous petits lots ».

· C'est en s'appuyant sur les conclusions de ce rapport que le directeur général de l'AP-HP, en 2018, a décidé de faire prendre un virage stratégique à l'Ageps lui faisant perdre une partie de ses compétences et de ses missions. Les réponses que l'agence a apportées au questionnaire de la commission d'enquête sont sans ambiguïté sur ce point. Si « la décision de transférer l'ensemble des productions et contrôle qualité n'obéit pas à des motifs économiques », elle présente plusieurs justifications clairement identifiées par l'Igas en 2015 :

- étiolement du référentiel de produits ;

- exigences croissantes dans l'application et l'interprétation des BPF, « en inadéquation avec la nature de nos produits et de leur volume de production » ;

- évolution constante des présentations galéniques, qui suppose de pouvoir disposer de toutes les modalités de production (présentation, dosage et volumétrie).

En outre, l'AP-HP a fait le choix de vendre les locaux parisiens de l'Ageps où étaient implantés les laboratoires, « ce qui aurait conduit à déménager ces derniers, avec les contraintes de coûts, de continuité d'activité et de qualification ».

Bruno Bonnemain, président de l'Académie nationale de pharmacie, lors de son audition par la commission, résumait ainsi la situation : « Il est clair que l'Ageps a été fermée. Ses équipements sont obsolètes. Elle n'a plus les moyens de produire des médicaments. »

À défaut de pouvoir s'adapter au corpus règlementaire inadapté aux petits volumes fabriqués dans le respect des BPF, produire de nombreuses formes galéniques et dégager les moyens pour transformer l'outil de production , l'AP-HP a donc préféré procéder par étapes à sa liquidation : « le choix a été fait d'arrêter la production et le contrôle qualité réalisés en régie, dans nos ateliers et dans nos laboratoires de contrôle », comme l'a indiqué à la commission Renaud Cateland, directeur de l'Ageps lors de son audition372(*). Il a également justifié ce choix par les contraintes juridiques imposant à l'EP de ne produire que ce qui n'est pas disponible auprès des industriels pharmaceutiques. « Or, sur la période récente, nous avons vu apparaître de plus en plus de petites sociétés intéressées par nos produits. Elles se sont proposées de reprendre ces productions, de contribuer à les mener à l'AMM et de les diffuser hors de France - l'établissement pharmaceutique de l'AP-HP n'ayant pas vocation à faire des autorisations de mise sur le marché pour l'Europe. »

· Ce virage stratégique comporte deux volets : externalisation généralisée des productions de médicaments et renforcement de la R&D afin de faire émerger de nouveaux médicaments.

Sur le plan social, la fermeture progressive des ateliers depuis le début de la mise en oeuvre de ce plan en septembre 2018 conduit à « supprimer les postes correspondant à l'activité de production (ouvriers de production et techniciens de laboratoire qui effectuent le contrôle qualité) ». À l'inverse, elle se traduit par de nouveaux moyens de recherche : « le redéploiement des équipes a concerné un cinquième à un quart des effectifs ». Quoi qu'il en soit, alors que la moitié des productions a déjà été externalisée, le nombre de salariés de l'établissement pharmaceutique, qui ne constitue qu'une partie des effectifs de l'Ageps, de 120, va progressivement être réduit à 80 environ. « Au final, la cible fixée se situe entre 40 et 50 ETP, organisée en quadrinôme d'expertises : pharmaceutique, ingénierie, logistique et contrôle qualité, avec des spécialisations par portefeuilles de produits et de sous-traitants. »

Dans le même temps, l'externalisation des productions s'est traduite par la montée en charge du recours aux sous-traitants, réseau de plus de 10 façonniers, auxquels l'EP a transféré son savoir-faire et certains de ces produits historiques, tout en les accompagnant jusqu'au dépôt d'AMM.

b) ... à inverser d'urgence

· Aujourd'hui, ce sont près de 80 millions d'euros par an qui sont générés par l'industrie pharmaceutique française sur la base de produits de l'AP-HP, sur lesquels elle perçoit des redevances, à hauteur de 15 millions d'euros. C'est dire si l'Ageps, loin de constituer un « poids mort » comme certains l'ont présentée, contribue favorablement à l'activité économique.

· En outre, comme il a été évoqué supra373(*), la pandémie et la désorganisation générale des circuits habituels de production des médicaments ont remis sur le devant de la scène le rôle crucial de l'Ageps en tant qu'établissement pharmaceutique : en lien avec certaines pharmacies à usage intérieur (PUI) de centres hospitalo-universitaires (CHU), sous pilotage par la DGS et l'ANSM, elle a été capable en quelques semaines de porter au niveau industriel la production de cisatracurium 50 mg-5 ml ampoule, pour un total de 400 000 unités produites.

L'introduction dans le code de la santé publique, par la LFSS pour 2022, de la catégorie des préparations hospitalières spéciales constitue une manifestation supplémentaire de ce regain d'intérêt pour la production de l'Ageps et des PUI.

Lors de son audition par la commission d'enquête, le ministre est d'ailleurs allé au-delà du champ d'action jusque-là dévolu à l'Ageps, en estimant « essentiel de maintenir le savoir-faire de l'Ageps, comme nous l'avons vu pour le cisatracurium, mais aussi pour des principes actifs comme l'amoxicilline, dont nous avons demandé la remise en place à l'Ageps ».

Plus largement, interrogé au sujet de la production publique, il a expliqué que « l'Ageps a certes un rôle de production, mais l'agence doit aussi avancer vers un rôle de coordonnateur pour l'ensemble des productions possibles, au niveau des pharmacies d'officine, des PUI, voire de certains sous-traitants, afin d'adapter notre marché de production. Je souhaite que la réflexion sur les productions publiques soit orientée vers des molécules très matures, abandonnées par certains laboratoires pharmaceutiques pour des raisons de rentabilité. C'est surtout pour ces molécules, il me semble, que la puissance publique a un rôle à jouer ».

· Le temps est donc venu d'arrêter le déclin de l'établissement pharmaceutique de l'Ageps et de s'appuyer sur son ressort national, fort de 700 clients hospitaliers, publics et privés. Par deux fois, l'AP-HP a formulé une offre de service pour que l'Ageps prenne toute sa place au sein du dispositif national de lutte contre les pénuries. Elle est donc prête à inverser la tendance à la transformation en simple donneur d'ordre à façonniers.

Un tel renversement répondrait également aux demandes de nombreux acteurs du monde pharmaceutique auditionnés par la commission, tel que Philippe Meunier, président du Syndicat national des pharmaciens, praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, selon qui « l'Ageps a fonctionné en période de crise, en travaillant avec des sous-traitants, sans être toutefois réellement un producteur. Faut-il revenir au système de la pharmacie centrale des hôpitaux qui existait autrefois ? Cela fait partie, de manière sous-jacente, de nos propositions. »

Certes, selon le ministre de la santé et de la prévention, « les coûts de production dans les PUI et les pharmacies d'officine restent supérieurs, en général, à ceux de l'industrie. Il s'agit plutôt de solutions supplémentaires, possibles dans le cadre du plan blanc. » Mais ces « solutions supplémentaires » constituent un levier d'action essentiel dans la lutte contre les pénuries de médicaments. Elles sont le premier élément d'un pôle public de production, dont la crise a montré l'urgente nécessité.

Ce changement fondamental d'orientation impose d'interrompre les réductions de moyens, en gelant dès à présent les réductions d'emplois affectés à la production programmées.

Au demeurant, d'autres pays ont organisé une production publique de médicaments. Ainsi, au Brésil, une telle production est orientée par l'État vers les spécialités, matures ou innovantes, les plus indispensables au système universel de santé (SUS) national.

La production publique de médicaments au Brésil

1. Les laboratoires officiels et la liste nationale des médicaments essentiels

Le réseau brésilien pour la production publique de médicaments repose sur 21 laboratoires pharmaceutiques officiels (Laboratórios Farmacêuticos Oficiais), répartis sur le territoire national et employant près de 8 500 personnes.

Ces derniers sont chargés de produire, pour le compte du SUS brésilien, les médicaments, vaccins et autres produits de santé inscrits sur la liste nationale des médicaments essentiels (Relação Nacional de Medicamentos Essenciais), établie et régulièrement mise à jour depuis 1975.

L'activité des laboratoires officiels est particulièrement importante en matière de vaccins : en 2012, 96 % des vaccins du programme national d'immunisation étaient produits au Brésil374(*).

2. La fondation Oswaldo Cruz

La fondation Oswaldo Cruz, fondée en 1900 sous le nom d'Institut sérologique fédéral et employant aujourd'hui 13 000 salariés, occupe dans cet ensemble une place à part. Au-delà d'activités importantes en matière de recherche et de développement technologique, la fondation dispose d'importantes capacités de production de médicaments pour le compte du ministère de la santé brésilien, de l'ordre de 2,5 milliards d'unités par année. Elle contribue notamment à la fabrication :

de médicaments stratégiques, en collaboration avec le laboratoire Farmanguinhos ;

de vaccins et de médicaments biologiques, grâce à l'un des plus grands laboratoires publics du Brésil, Biomanguinhos.

La fondation a notamment participé, grâce à un partenariat avec AstraZeneca impliquant le transfert de la technologie de l'ARN messager, à la production du vaccin contre la covid-19. Lors de son audition par la commission d'enquête, le conseiller de la fondation pour la coopération avec les institutions scientifiques et technologiques françaises a ainsi indiqué que, durant la crise sanitaire, elle avait produit les deux-tiers des vaccins contre la covid-19 utilisés au Brésil375(*).

La fondation contribue également, de manière importante, à la production de médicaments génériques, qui représenteraient 40 % de son activité : « S'agissant des médicaments sous brevet, dès lors que le ministère en a décidé, nous nouons des partenariats pour le transfert technologique - c'est ce qui s'est passé pour le vaccin contre le SARS-CoV-2. Le Brésil compte 220 millions d'habitants et la Fiocruz est l'un des cinq premiers laboratoires pharmaceutiques du pays, nous avons de quoi produire de gros volumes. »376(*)

Enfin, son activité s'étend aux médicaments innovants : la fondation vise, par exemple, à produire de nouvelles thérapies géniques377(*) et cellulaires nécessaires du SUS brésilien, et notamment des cellules CAR-T pour le traitement de certains cancers378(*).

Bénéficiant d'une production publique ancienne et importante, le Brésil demeure toutefois fortement dépendant de matières premières et principes actifs produits à l'étranger. D'après l'association brésilienne de l'industrie des intrants pharmaceutiques (Abiquifi), le pays importe ainsi 90 %379(*) à 95 %380(*) des matières premières nécessaires à son activité de production.

Source : Commission d'enquête

· Par ailleurs, cette valorisation d'un outil de production publique ne constituerait pas une exception parmi les pays de l'OCDE.

Trois pays s'interrogent depuis quelques années sur les contours d'une fabrication publique de médicaments.

Aux Pays-Bas, la production publique de vaccins fait l'objet d'un vif débat depuis plusieurs années.

La production publique en débat : l'exemple d'Intravacc aux Pays-Bas

Implanté à Utrecht Bilthoven, l'Institut des vaccins des Pays-Bas (NVI), au sein de l'Institut national de la santé publique et de l'environnement (RIVM) des Pays-Bas, était l'un des spécialistes majeurs du développement et de la fabrication de vaccins depuis près de cent ans. Il était en particulier actif dans la lutte contre les maladies infectieuses (rougeole, diphtérie-tétanos-poliomyélite, grippe...) et pour les traitements infantiles, près de 30 % des vaccins infantiles dans le monde étant basés sur des technologies issues de Bilthoven. Il travaillait en partenariat avec de nombreuses organisations non-gouvernementales et acteurs étatiques pour rendre accessibles ces vaccins via des transferts de technologies vers des pays en voie de développement.

Toutefois, en 2012, l'Institut a été transformé en une société privée
- Intravacc -, à laquelle a été transféré l'ensemble des technologies, des sites, du portefeuille de produits, de la propriété intellectuelle et des 200 salariés. L'État a toutefois conservé la propriété de 100 % du capital de l'entreprise. Dès la même année, la production de vaccins par Intravacc avait été interrompue et délocalisée, la branche correspondante étant vendue à une entreprise pharmaceutique indienne.

Estimant que les activités de recherche et développement toujours menées aux Pays-Bas par l'Institut ne présentaient pas assez de valeur ajoutée, préférant une action coordonnée au niveau européen et indiquant que ce n'est pas le rôle du Gouvernement que de produire des vaccins, le ministre néerlandais de la Santé a, en 2015, annoncé la vente des participations de l'État au sein d'Intravacc.

Nonobstant, en 2021, Intravacc a annoncé son intention de construire une nouvelle usine à même de produire jusqu'à 200 millions de doses de différents vaccins chaque année. L'entreprise a reçu près de cinq millions d'euros de financement de la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI)381(*) pour développer un vaccin intranasal contre le SARS-CoV-2.

En dépit de protestations du Parlement néerlandais et de la société civile382(*), et après que la pandémie de covid-19 a retardé la mise en oeuvre de ce projet, le Gouvernement a confirmé, en 2023, son intention de vendre ses participations au capital d'Intravacc. Selon la presse, un rapport interne du ministère de la santé, préalable à la vente, avait pourtant pointé du doigt les nombreux désavantages du projet en termes de souveraineté sanitaire.

Source : Commission d'enquête

Au Canada, le Centre de fabrication de produits biothérapeutiques de l'Hôpital d'Ottawa produit des cellules CAR-T et les chercheurs de cet hôpital et de l'Université d'Ottawa ont récemment reçu une subvention fédérale de 5,2 millions de dollars pour renforcer la capacité du Canada à fabriquer de nouvelles immunothérapies cellulaires. En outre, l'hôpital fabrique trois vaccins contre la covid-19 en lien avec un façonnier, à des fins d'essais cliniques.

De même, dans le cadre des « mesures d'amélioration à examiner », en 2022, l'Office fédéral de la santé publique suisse a formulé vingt propositions, dont la fabrication étatique de médicaments vitaux, afin de garantir la production de produits de niche et de médicaments retirés du marché, et la fabrication sur mandat de la Confédération de tels médicaments, dans le cadre d'une garantie coordonnée au niveau national de la production de ces médicaments et de la production en quantités limitées de principes actifs.

Recommandation n° 16 : Restaurer la capacité de façonnage de l'Ageps, en particulier en renonçant aux suppressions d'emplois programmées.

2. Renforcer l'implication de Santé publique France dans l'anticipation et la gestion des situations de rupture les plus graves

· Les réserves stratégiques de l'État, acquises et gérées par Santé publique France (SPF), sont aujourd'hui limitées à l'anticipation de situations sanitaires exceptionnelles.

Pourtant, si le code de la santé publique indique que SPF procède à l'acquisition, la fabrication, l'importation, le stockage, le transport, la distribution et l'exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves, il ne limite pas ces missions aux situations exceptionnelles et permet, au contraire, d'y avoir recours en situation de pénurie.

Extrait de l'article L. 1413-4 du code de la sécurité sociale

À la demande du ministre chargé de la santé, l'agence procède à l'acquisition, la fabrication, l'importation, le stockage, le transport, la distribution et l'exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves. Elle assure, dans les mêmes conditions, leur renouvellement et leur éventuelle destruction.

L'agence peut également mener, à la demande du ministre chargé de la santé, les mêmes actions pour des médicaments, des dispositifs médicaux ou leurs accessoires ou des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ou leurs accessoires répondant à des besoins de santé publique, thérapeutiques ou diagnostiques, non couverts par ailleurs, qui font l'objet notamment d'une rupture ou d'une cessation de commercialisation, d'une production en quantité insuffisante ou lorsque toutes les formes nécessaires ne sont pas disponibles. Elle peut être titulaire d'une licence d'office mentionnée à l'article L. 613-16 du code de la propriété intellectuelle. [...]

Source : Commission d'enquête

Interrogé par la commission d'enquête, l'établissement public a indiqué réserver aujourd'hui son intervention aux « menaces sanitaires graves » et a justifié cette situation par deux séries d'arguments. D'une part, « Santé publique France [n'aurait] évidemment pas vocation à se substituer aux industriels », qui doivent disposer « d'un stock de sécurité minimal de deux mois » pour les MITM qu'ils exploitent. D'autre part, « la logistique pharmaceutique étatique ne doit être activée qu'à titre exceptionnel. Elle ne peut assumer durablement des missions qui incombent à des réseaux éprouvés et vastes, conçus pour une distribution de masse, allant jusqu'au niveau officinal. »383(*)

· La commission d'enquête relève toutefois que l'intervention de Santé publique France a largement contribué, en 2021, à rétablir la disponibilité des curares, indispensables à l'activité des services d'anesthésie-réanimation dans le contexte de la troisième vague de covid-19.

Le rôle de Santé publique France dans la crise des curares

Lors de son audition par la commission d'enquête, la directrice générale de Santé publique France a décrit le rôle tenu par Santé publique France lors de la crise des curares en 2021 : « En revanche, lorsque la rupture est avérée pour des produits spécifiques, il peut être envisagé que l'État se substitue au marché. Cela s'est produit dans des circonstances exceptionnelles que vous connaissez : la crise de la covid. Pour les curares et hypnotiques, l'État s'est substitué au marché au second semestre 2020. Santé publique France a alors reçu le monopole d'acquisition de ces produits. Il en est devenu l'acquéreur exclusif pour le compte de l'État auprès de nombreux laboratoires pharmaceutiques, afin d'assurer une répartition équitable de ces médicaments entre les établissements sur l'ensemble du territoire. »384(*)

Les réponses de l'établissement public aux questions transmises par la commission d'enquête confirment que cette intervention s'est fondée sur les dispositions précitées du code de la santé publique.

L'action de Santé publique France a été largement saluée lors des auditions de la commission d'enquête. Le pharmacien responsable de l'EP de l'AP-HP soulignait ainsi que « la distribution a été confiée à Santé publique France car elle est en relation avec les ARS et connaît donc la remontée des besoins »385(*).

Santé publique France a, par ailleurs, précisé à la commission d'enquête conserver à ce jour « un stock de médicaments curares et hypnotiques »386(*).

· L'expérience de l'implication de Santé publique France dans l'acquisition, le stockage et la distribution des curares est donc probante. Il est essentiel de pouvoir répliquer ce schéma à d'autres pénuries ciblées, sur des médicaments particulièrement indispensables à la prise en charge des patientes et des patients.

En outre, le Gouvernement devrait évaluer l'opportunité de constituer des réserves stratégiques de certains médicaments civils essentiels, pour lesquels des tensions d'approvisionnement apparaîtraient particulièrement probables ou graves.

Recommandation n° 17 : Pour les médicaments essentiels, évaluer l'opportunité de constituer des réserves stratégiques dépassant le seul champ des risques NRBC ou des risques sanitaires majeurs.

En situation de crise grave, recourir à Santé publique France pour assurer l'acquisition et contrôler la distribution des médicaments essentiels en pénurie.


* 371 Loi n° 92-1279 du 8 décembre 1992 modifiant le livre V du code de la santé publique et relative à la pharmacie et au médicament.

* 372 Audition de M. Renaud Cateland, directeur de l'Agence générale des équipements et produits de santé, le 4 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230403/ce_penurie.html#toc2

* 373 Encadré « Comment la France a fait face à la pénurie de curares » de la première partie du présent rapport.

* 374  https://www.portaldeperiodicos.idp.edu.br/redap/article/view/6178/2478.

* 375 Audition de M. Wilson Savino, conseiller pour la coopération avec les institutions scientifiques et technologiques françaises de la fondation Oswaldo Cruz, le 30 mai 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230529/ce_penurie.html. Le conseiller a précisé : « Nous sommes les seuls au monde à avoir pu transférer l'ensemble des technologies, ce qui nous met en mesure de produire le vaccin en toute autonomie, depuis le principe actif jusqu'au liquide d'injection lui-même. Nous avons distribué 250 millions de doses au Brésil, ce qui a sauvé des milliers de vie. Nous avons incorporé la technologie ARN messager parce que nous avions déjà une unité de production de vaccins ; tout cela a été rendu possible parce que nous avions déjà les outils sur place. »

* 376 Ibid.

* 377 Ibid. : « Nous recherchons l'autonomie. Par exemple, pour développer des thérapies géniques, il est nécessaire de produire des virus adéno-associés (AAV), ce que nous ne faisons pas au Brésil : nous en avons fait un objectif prioritaire, car c'est une condition de l'autonomie. Nous disposons de la chaîne complète, c'est ce qui fait notre force de frappe, dans le giron de l'État. »

* 378 Ibid. : « ... nous nous engageons dans des négociations avec une entreprise américaine sur les cellules CAR-T, nous visons une production autonome dans ce secteur. »

* 379  https://www.cnnbrasil.com.br/saude/brasil-importa-90-da-materia-prima-para-a-producao-de-medicamentos/.

* 380  http://www.inclublicita.com.br/industria-importa-95-da-materia-prima-de-medicamentos-e-mapeia-substancias-essenciais-para-saude-publica/.

* 381 Le CEPI est un partenariat innovant entre des organisations publiques, privées, philanthropiques et civiles, lancé à Davos en 2017, pour développer des vaccins contre les futures épidémies.

* 382 https://www.tweedekamer.nl/downloads/document?id=2023D10367

* 383 Audition de Mme Caroline Semaille, directrice générale de Santé publique France, le 13 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230410/ce_penurie.html.

* 384 Ibid.

* 385 Audition de M. Claude Bernard, pharmacien responsable de l'EP de l'AP-HP, le 4 avril 2023 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230403/ce_penurie.html.

* 386 Réponses écrites de Santé publique France au questionnaire de la commission d'enquête.

Les thèmes associés à ce dossier