N° 829

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) par la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

Tome II - Comptes rendus

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

COMPTE RENDU DE LA RÉUNION CONSTITUTIVE

(Mercredi 3 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - La presse s'est fait largement l'écho, ces dernières semaines, d'interrogations sur la manière dont les crédits du fonds Marianne, créé après l'assassinat de Samuel Paty afin de promouvoir les valeurs républicaines et de combattre les discours séparatistes, ont été utilisés, mettant en valeur un possible détournement de leur objet.

Conformément aux dispositions de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), j'ai donc demandé au Gouvernement communication d'un certain nombre de documents permettant de comprendre les conditions dans lesquelles les subventions de ce fonds ont pu être octroyées et leur utilisation. Les services de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, ont répondu à mes demandes dans les délais fixés, mais les documents qui m'ont été transmis ne me permettent pas à ce jour de faire toute la lumière sur ce sujet, loin de là - certains sont indigents. En particulier, aucun élément concret ne porte sur les critères de sélection des principaux bénéficiaires du fonds ni sur le contrôle effectif de leurs actions.

Afin d'aller plus loin, il me semble nécessaire de formaliser notre contrôle sous la forme d'une mission d'information, dont l'ensemble des membres de la commission des finances seraient membres. Des auditions devraient permettre de compléter notre information et d'éclairer le processus politico-administratif ayant conduit à l'octroi des subventions. À ce titre, Mme Marlène Schiappa, ancienne ministre déléguée chargée de la citoyenneté, m'a fait savoir qu'elle se tenait à la disposition de la commission.

Par ailleurs, compte tenu de l'importance des auditions nécessaires, il me semble utile de demander, pour une durée limitée de trois mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. En effet, les commissions d'enquête disposent d'un droit de citation au titre duquel toute personne dont une commission juge l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée. Elle est également tenue de prêter serment et de déposer, ces obligations étant assorties de sanctions pénales. Compte tenu du caractère limité du sujet, nous devrions pouvoir terminer sans difficulté nos travaux dans le délai des trois mois.

La création de la mission d'information et la demande d'octroi des prérogatives de commission d'enquête porteraient sur « la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds ». Cette demande serait formulée en application de l'article 22 ter du règlement du Sénat et de l'article 5 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Elle serait transmise au Président du Sénat et, sur proposition de la Conférence des Présidents, inscrite à l'ordre du jour du Sénat le mercredi 10 mai prochain, ce qui permettra de démarrer nos travaux.

La commission des lois sera appelée à émettre son avis sur la conformité de cette demande avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée. Cet article dispose notamment que les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. Il ne peut être créé de commission d'enquête sur un objet sur lequel une commission d'enquête aurait déjà achevé ses travaux depuis moins de douze mois ou sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie, monsieur le président, pour cette démarche. Vous avez relevé le caractère lacunaire des éléments qui vous ont été communiqués et vous proposez que notre commission se transforme en mission d'information tout en étant dotée provisoirement des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

Ces prérogatives sont importantes selon moi. Les personnes sollicitées ont, en effet, l'obligation de répondre à la convocation et doivent, par ailleurs, prêter serment. Je me souviens que, en 2015, alors que je présidais la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, l'une des personnes qui avaient témoigné s'était rendue coupable d'un parjure et que nous étions allés au bout de la démarche judiciaire. C'est dire la force de ces témoignages.

Je souhaite que la mission s'en tienne aux faits quant à l'allocation et à l'exécution d'une enveloppe budgétaire. Il ne faudrait pas qu'il y ait une carence dans le fonctionnement du fonds et dans l'allocation de moyens qui ont été accordés, à la suite d'un acte odieux, à une cause importante, les valeurs de la République. On ne peut pas transiger sur nos valeurs. Vérifions rigoureusement les faits et l'utilisation des fonds par ces associations.

M. Albéric de Montgolfier. - Monsieur le président, vous avez demandé des documents. De deux choses l'une : soit vous considérez que les réponses qu'ils apportent sont satisfaisantes et, dans ce cas, il faut s'arrêter là ; soit vous considérez qu'elles ne le sont pas, et je suis alors favorable à ce que nous allions plus loin en demandant à ce que nous soient octroyées les compétences d'une commission d'enquête.

M. Claude Raynal, président. - L'objectif est, en effet, de disposer d'une information suffisante et objective pour bien comprendre les faits et mettre au jour d'éventuels dysfonctionnements. Les documents transmis ne suffisent pas à répondre. Il s'agit également de couper court aux rumeurs de toutes sortes.

M. Roger Karoutchi. - Je suis sur la même ligne qu'Albéric de Montgolfier. Si vous estimez que la convocation de Mme Schiappa devant la commission des finances est insuffisante pour permettre d'obtenir les éclaircissements attendus et que la transformation de la commission des finances en commission d'enquête - tout de même plus lourde symboliquement et politiquement - est nécessaire, alors nous vous suivrons.

En particulier, si vous considérez qu'il peut être utile d'auditionner également les responsables des associations, par exemple, autant aller vers la commission d'enquête.

M. Jean-Michel Arnaud. - Je m'interroge également sur l'opportunité d'agir en deux temps, en conviant dans un premier temps Mme Schiappa pour entendre ses explications, afin de décider, dans un second temps, et en fonction de ces explications, de l'utilité de créer une commission d'enquête. Compte tenu de la nature des faits qui ont présidé à la création du fonds Marianne, à savoir l'assassinat d'un professeur de l'éducation nationale, il me paraît judicieux de procéder ainsi.

M. Arnaud Bazin. - Le président Raynal a souligné l'indigence du contenu des documents qui nous ont été communiqués. Or une commission d'enquête a la prérogative d'obtenir la communication de tous les documents qu'elle demande.

Du reste, j'ai pu apprécier la méthode employée dans ce genre de situation par le Gouvernement : les documents sont généralement communiqués tardivement à la veille de l'audition, si bien que, pour pouvoir poser les questions pertinentes, les sénateurs et les fonctionnaires concernés doivent travailler toute la nuit.

Au regard de cette méthode et de la nécessité d'accéder à l'ensemble des documents, je suis favorable à la création d'une commission d'enquête.

M. Jérôme Bascher. - J'ajoute que, sans la création d'une commission d'enquête, nous ne pourrons pas, me semble-t-il, interroger Mme Schiappa sur ses fonctions passées.

M. Claude Raynal, président. - À ce stade, convier Mme Schiappa à une audition reviendrait à pointer d'emblée sa responsabilité propre dans cette affaire. Dans la conférence de presse que j'ai donnée, je n'ai cité Mme Schiappa que pour indiquer qu'elle n'était, à ce stade, en responsabilité qu'en tant que ministre déléguée au moment des faits.

J'estime qu'il ne faut pas inverser les sujets. Il convient tout d'abord de comprendre ce qui s'est passé. Il nous faudra donc auditionner en premier lieu le secrétaire général du comité interministériel chargé de ce dossier.

Je rappelle que la question posée est la suivante : pourquoi le comité de sélection a-t-il attribué les sommes les plus importantes à deux associations, l'une dont l'objet social n'a rien à voir avec le sujet, et la seconde créée spécialement pour l'occasion ? Il nous faut d'abord entendre les personnes qui ont pris ces décisions, c'est-à-dire le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation et les conseillers ministériels qui étaient membres du comité de sélection - comité qui ne comprenait a priori aucun spécialiste de la communication sur internet.

La commission d'enquête permettra de déterminer les faits. Pourquoi les associations concernées n'ont-elles pas été poursuivies dans des délais courts ? Pourquoi certaines prestations non effectuées ont-elles été payées ?

Dans un deuxième temps, nous interrogerons les ministres - je dis bien les ministres - sur les éléments que nous aurons réunis.

Tel est, mes chers collègues, le déroulé des travaux que je vous propose pour comprendre la manière dont des fonds ont été attribués parmi les dix-sept projets retenus, qui n'ont, semble-t-il, fait l'objet d'aucune notation. Nous pourrons ainsi faire la lumière, non pas sur les agissements de tel ou tel, mais sur la manière dont on est parvenu à un résultat qui remet en cause l'esprit même de la création du fonds.

La commission décide, à l'unanimité, de créer une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds, et de demander au Sénat l'octroi pour celle-ci, pour une durée de trois mois, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

La commission désigne M. Jean-François Husson rapporteur.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Audition de M. Christian Gravel, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)

(Mardi 16 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous commençons cet après-midi les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs fixés. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Monsieur Gravel, vous êtes préfet et secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). À ce titre, vous avez été en charge de l'organisation de l'appel à projets organisé dans le cadre du fonds Marianne et du suivi de sa mise en oeuvre. Votre audition est donc particulièrement attendue pour bien comprendre le fonctionnement de ce fonds.

Avant de vous donner la parole pour un bref propos liminaire dans lequel je vous propose d'évoquer les conditions de votre arrivée au secrétariat général, ainsi que la chronologie initiale ayant conduit à l'annonce de l'appel à projets relatif au fonds Marianne, je tiens à rappeler quelques éléments.

Tout d'abord, notre mission d'information, dotée des prérogatives des commissions d'enquête, comprend tous les membres de la commission des finances, qui pourront donc seuls intervenir lors de cette audition pour vous interroger. Cette audition est par ailleurs diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Ensuite, par respect pour la famille de l'enseignant assassiné le 16 octobre 2020 et sa mémoire, je vous propose, mes chers collègues, que nous nous gardions d'évoquer son nom à l'appui de nos questionnements, qui se concentreront sur l'objet de notre enquête, à savoir le fonctionnement du fonds Marianne.

Je tiens par ailleurs à vous indiquer que M. le garde des sceaux a confirmé à M. le président du Sénat l''existence d'une information judiciaire en lien avec le fonds Marianne, sans préciser toutefois ni la nature ni le périmètre des poursuites engagées. Si cela nous permet de travailler, nous devrons néanmoins rester prudents pour ne pas interférer avec cette procédure : il ne nous reviendra en particulier à aucun moment de qualifier les faits qui nous sont soumis en référence à des infractions pénales, ce qui relèverait de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire.

Je rappelle enfin qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, monsieur le secrétaire général, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christian Gravel prête serment.

M. Christian Gravel, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. - Je souhaite d'abord vous faire part de mon soulagement. Depuis bientôt deux mois, beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le fonds Marianne : des hypothèses, des allégations, des mensonges assez souvent, des calomnies trop souvent. Il appartient désormais à votre commission, mais aussi à l''inspection générale de l'administration et à la justice d'établir la vérité.

Cette vérité est d'autant plus nécessaire que tous les ennemis de la République font leur miel de contre-vérités pour tenter de mettre à bas une politique publique majeure et tous ceux qui la mettent en oeuvre.

Au cours des dernières semaines, le CIPDR a dû suivre l'émergence, le développement et les rebondissements de ce dossier en restant à distance. Aujourd'hui, la situation est différente. Votre exigence d'une prestation de serment engage autant qu'elle libère. Cette audition m'offre enfin l'opportunité de m'exprimer pleinement et clairement sur les faits incriminés.

Avant de répondre à toutes vos questions le plus précisément possible, permettez-moi d'ouvrir notre échange par de brèves considérations générales.

Le CIPDR a été créé en 2006 sous l'autorité du ministère de l'intérieur - à l'époque des faits, il dépendait de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

À sa création, le périmètre du CIPDR était limité à la prévention de la délinquance. Ses compétences n'ont ensuite cessé de s'élargir, puisque trois missions essentielles à la sécurité de nos concitoyens se sont ajoutées à la prévention de la radicalisation : la lutte contre les séparatismes en 2014, la lutte contre les dérives sectaires en 2019 et la création d'une unité de contre-discours républicain en 2020.

Pour accompagner cette extension, les effectifs du CIPDR ont doublé entre 2020 et 2021, pour s'établir aujourd'hui autour d'une soixantaine d'équivalents temps plein (ETP).

Lorsque le CIPDR apprend le lancement d'un fonds Marianne, ses agents sont mobilisés sur cinq chantiers majeurs. Ils doivent en effet développer l'unité de contre-discours chargée d'analyser et de riposter en ligne, déployer la stratégie nationale de lutte contre les séparatismes en accompagnant l'ensemble des préfectures et décliner avec chacune d'entre d'elles la nouvelle stratégie nationale de prévention de la délinquance. Ils doivent également redoubler d'efforts en matière de lutte contre les dérives sectaires et enfin préparer, avec le parquet national antiterroriste et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le suivi des mineurs de retour de zones de Syrie.

Aussi nombreuses qu'essentielles, ces missions ont été portées par une équipe extrêmement investie sur tous les fronts. Je salue l'engagement, mais aussi le courage de ces agents, car nous avons à plusieurs reprises fait l'objet de menaces, dont l'une a été considérée par les services compétents comme « particulièrement sérieuse ». Malgré la surcharge de travail, nos agents ont pris en charge cette nouvelle mission.

Il me paraît essentiel d'expliquer l'opportunité des actions engagées dans le cadre du fonds Marianne. À la suite des attentats qui ont frappé la France fin 2020, les autorités publiques ont jugé nécessaire de renforcer les moyens mobilisés pour prévenir les processus de radicalisation sur la toile.

Complexes et multiformes, ces phénomènes ont pour base commune le rejet des principes qui fondent notre société et pour horizon possible le basculement dans le terrorisme. Défendre les valeurs de la République sur le web, c'est donc agir aux avant-postes. Le djihadisme n'est pas seulement le terrorisme ; c'est aussi la transmission d'idées, la volonté d'imposer une vision du monde, un modèle de société en opposition frontale avec la République et la démocratie.

L'État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. Conséquence d'une crise durable de l'autorité, ce discrédit est aujourd'hui aggravé par le déploiement exponentiel des thèses complotistes sur internet.

Surmonter la défiance de nos concitoyens les plus sceptiques exige donc de mobiliser des acteurs de proximité dont le capital de confiance est encore intact. Si la mobilisation du secteur associatif constitue un levier essentiel pour déployer sur internet un discours républicain crédible, rares sont les associations qui sont à la fois en mesure d'agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication digitale.

Malgré la promotion faite lors du lancement de l'appel à projets, le CIPDR n'a reçu que 73 candidatures - je rappelle qu'en France, le tissu associatif est constitué d'un million d'entités. Pour bien comprendre les choix faits et les problèmes rencontrés dans l'utilisation de ces crédits, il est capital d'avoir en tête que le réseau associatif est très faiblement développé sur ce créneau. Dans un écosystème aux dimensions aussi réduites, les acteurs se connaissent souvent. Les différents spécialistes et protagonistes de la prévention de la radicalisation ont pour beaucoup appris à se connaître.

La faible densité du secteur associatif a d'ailleurs eu un impact sur l'enveloppe allouée au fonds Marianne, puisque celle-ci a été réduite de 2,5 millions d'euros à 2 017 600 euros du fait du trop faible nombre de candidatures reçues.

Si l'on veut évaluer les actions du CIPDR, il faut également garder à l'esprit que le fonds Marianne repose sur le régime juridique, non pas de la commande publique, mais des subventions, ce qui emporte des conséquences déterminantes dans les modalités d'attribution et de contrôle de l'argent public.

Pour conclure, je souhaite souligner que les initiatives prises par les pouvoirs publics en matière de contre-discours, dans notre pays comme dans bien d'autres pays d'Europe, relèvent encore de l'expérimentation, car il s'agit d'un champ nouveau. Et comme pour toute expérimentation, certaines tentatives restent incertaines. Quelles que soient les précautions prises, la marge d'erreur ne peut jamais être réduite à zéro, même si le CIPDR et le cabinet de la ministre ont veillé à ce que les candidats retenus soient les meilleurs et que l'argent soit bien employé.

Dans le cadre de l'appel à projets organisé pour le fonds Marianne, 17 associations sur 73 ont finalement été sélectionnées pour bénéficier de ces subventions. Cela n'a jamais été dit, mais le bilan global est positif. Le soutien financier de l'État a permis de diffuser auprès de plusieurs centaines de milliers d'internautes, dont 358 000 abonnés, plus de 2 000 publications en tout genre - posts, threads, tweets, vidéos, podcasts, outils pédagogiques -, générant au total plus de 6 millions d'impressions sur les réseaux sociaux pour défendre notre modèle républicain.

Les interrogations et certains constats concernant deux associations entachent la démarche - nous nous y attarderons.

Bien avant la mobilisation médiatique, le CIPDR avait pris plusieurs mesures pour répondre aux dysfonctionnements, en tirer les enseignements, renforcer les moyens de contrôle et finalement, saisir le procureur. Il appartiendra à votre commission d'apprécier si l'action du CIPDR a été à la hauteur des missions confiées.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pouvez-vous nous rappeler qui a été à l'initiative de la création du fonds Marianne ? La création de ce fonds a-t-elle été débattue au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance ? Le cas échéant, sur quels aspects - montant du fonds, objectifs poursuivis, organisation - le débat a-t-il porté ?

M. Christian Gravel. - Ce projet est le fruit de la volonté politique de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté de l'époque, dont le cabinet a fait savoir au CIPDR que ce projet ambitieux devait être engagé. Il n'y a donc pas eu d'échange avec l'administration pour en déterminer les contours.

L'appellation « fonds Marianne » est au fond un label de communication, car les 2 017 600 euros débloqués à ce titre ont en fait été ponctionnés sur le programme « R » (radicalisation) du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, il s'agit d'une commande politique. Il n'y a pas eu de préparation en amont.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comment le cahier des charges de l'appel à projets et son calendrier ont-ils été définis ? Vous avez évoqué le faible nombre de candidatures. Le délai de trois semaines qui a été accordé aux associations pour présenter un projet était très court. Vous paraissait-il suffisant pour leur permettre de présenter des projets structurés ?

M. Christian Gravel. - Le cabinet nous a informés de ce projet à l'occasion de l'une des réunions bilatérales qui réunissaient de manière hebdomadaire le cabinet et le CIPDR. Nous avons également évoqué le sujet le 13 avril 2021, à l'occasion d'un comité de programmation, instance qui réunit le cabinet et le CPIDR au cours de laquelle nous avons décidé de la nature des associations pouvant bénéficier des subventions et fixons le montant de celles-ci, avec toujours la validation politique du cabinet. Lors de cette réunion, nous apprenons qu'un certain nombre d'associations qui avaient postulé pour bénéficier de subventions pourraient « glisser » vers le fonds Marianne et nous avons confirmation qu'un appel à projets va être lancé dans les jours ou les semaines qui viennent.

Dans la foulée, une chargée de mission spécialisée sur ces questions de contre-discours sociétal élabore un document sous la houlette de sa responsable de service et après ma validation, nous le proposons au cabinet, qui le valide. Dès le lendemain, le 20 avril, la ministre déléguée annonce la création du fonds à l'occasion d'une interview, et nous diffusons ce document invitant l'ensemble du tissu associatif potentiellement intéressé à s'inscrire dans cette démarche.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez indiqué que lors de la réunion du 13 avril, certaines associations avaient été identifiées comme pouvant répondre à l'appel à projets. Certaines associations ont-elles été informées avant le 20 avril, et si oui, pour quelles raisons et de quelle manière ?

M. Christian Gravel. - Le cabinet souhaitait que l'ensemble de la sphère associative puisse être mobilisé au travers de ce projet. À l'occasion du comité de programmation, trois associations, qui avaient postulé pour bénéficier de subventions publiques avant l'appel à projets, - comme cela arrive très régulièrement, sachant que nous recevons des dizaines de demandes de subventions par an - avaient été identifiées comme étant susceptibles de postuler pour le fonds Marianne, en raison la nature de projets qu'elles avaient déposés.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pouvez-vous nous indiquer quelles sont ces associations ?

M. Christian Gravel. - L'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), France Fraternités et Fraternité Générale.

Ensuite, un calendrier avait été élaboré. Les candidatures devaient être déposées entre le 20 avril et le 10 mai.

Avec mon équipe, nous avions proposé un autre calendrier, car nous considérions qu'il fallait prévoir trois mois, du 1er mai jusqu'à fin juillet, pour effectuer ce travail dans des conditions optimales.

Le cabinet a demandé que ce calendrier soit accéléré et que la procédure complète s'étale sur cinq semaines, dont trois semaines pour le dépôt des candidatures - du 20 avril au 10 mai -, et deux semaines pour l'analyse des dossiers, le comité de sélection devant se réunir le 20 mai.

On peut comprendre la demande politique d'aller vite dans le contexte de l'époque. Nous étions en effet à quelques mois d'une vague d'attentats aussi insupportable que choquante. J'estime qu'il faut saluer le souci de se saisir de ce dossier et de travailler à la base du processus de radicalisation au travers d'internet, qui est devenu aujourd'hui l'un des canaux majeurs de diffusion d'un certain nombre d'idées antirépublicaines, et parfois, d'incitation à la violence.

Quoi qu'il en soit, nous avons demandé que cette opération se déroule selon un calendrier un peu plus long.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez été saisis de la question lors de la réunion du 13 avril, et un cahier des charges a été diffusé dès le 20 avril. C'est plus que rapide - c'est même incroyable ! Comment avez-vous pu élaborer un cahier des charges solide dans un temps si réduit ?

Par ailleurs, si je vous rejoins sur la nécessité de se replacer dans le contexte de l'époque, cela me paraît quelque peu contradictoire avec l'idée selon laquelle le fonds Marianne serait un « label de communication ». Pourriez-vous revenir sur l'articulation entre ces deux points ?

M. Christian Gravel. - Je vous confirme qu'un délai d'une semaine est très court. Dès lors que ce projet a été porté à notre connaissance, la chargée de mission, qui maîtrise ces sujets et y travaille depuis des années, s'est consacrée à temps plein à la rédaction de ce cahier des charges, avec l'appui de sa hiérarchie et l'aide d'autres agents, notamment du pôle administratif et financier.

Je précise par ailleurs, pour lever tout malentendu, que quand j'ai évoqué un « label de communication », je ne renvoyais pas simplement le terme « communication » à son sens le plus caricatural. Je voulais aussi souligner ce qui fait au contraire à mes yeux la richesse de cette opération, à savoir la possibilité, au travers d'un appel à projets et d'un régime de subventions, lesquels permettent une certaine souplesse, de faire émerger des acteurs qui n'étaient pas connus de la sphère étatique, qui avaient des idées, et de leur donner la possibilité de faire des propositions.

L'écosystème associatif susceptible d'intervenir dans le champ de la prévention de la radicalisation est très restreint. Il ne paraissait donc pas absurde de faire savoir que l'État proposait des subventions pour accompagner le travail de fond de prévention et de lutte contre le séparatisme et la radicalisation sur le web, qui est aujourd'hui devenu le lieu où se construit l'opinion et de socialisation par excellence.

Comme je l'ai indiqué, il y avait déjà le FIPD et le fonds Marianne n'est pas un fonds nouveau qui aurait été créé avec de l'argent qui viendrait de je ne sais où- j'ai lu un certain nombre d'absurdités à ce sujet -. Tout cela s'inscrivait dans le FIPD et le fonds Marianne n'est pas un fonds au sens juridique du terme. Il s'agissait donc d'un « label de communication » dans la mesure où le lancement du fonds Marianne a permis de faire connaître l'opération, ce qui était à mes yeux légitime.

M. Claude Raynal, président. - Ces précisions sont utiles, car lors du lancement du fonds Marianne le 20 avril, le FIPD n'est pas cité. Tout cela est alors flou, le fonds Marianne est présenté comme un fonds « traditionnel » permettant de financer une action particulière en lui donnant un éclairage particulier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quels sont vos contacts avec le cabinet du ministre ? Qui vous donne les instructions ?

M. Christian Gravel. - Nous avions quatre interlocuteurs au cabinet pour le fonds Marianne comme pour tout autre sujet concernant le CPIDR : le directeur de cabinet, le conseiller spécial et deux chargés de mission. Nous rencontrions ces interlocuteurs formellement dans le cadre des réunions bilatérales hebdomadaires que j'évoquais précédemment et nous échangions très régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement, par message électronique ou par téléphone.

M. Claude Raynal, président. - Plusieurs associations étaient déjà subventionnées par le FIPD. La subvention accordée au titre du fonds Marianne s'est-elle dans leur cas substituée à la subvention qui leur était versée antérieurement chaque année afin d'assurer un soutien financier dans la continuité, et si oui, la création du fonds Marianne a-t-elle changé quelque chose pour elles ? Des subventions nouvelles ont-elles réellement été versées pour financer des actions nouvelles ?

M. Christian Gravel. - Les deux cas existent. Des associations travaillaient déjà sur ces sujets. La moitié des 17 associations retenues étaient déjà connues du CIPDR, ce qui est un gage de confiance, puisque nous connaissions la solidité et la rigueur de ces acteurs. Nous avons donc pu prolonger notre partenariat avec ces acteurs et lui donner une nouvelle ampleur à cette occasion. Mais l'objectif était aussi de faire émerger des acteurs avec lesquels nous n'avions jamais eu l'occasion de travailler et qui, sans cet appel à projets, n'auraient peut-être pas fait la démarche de demander une subvention.

Le budget était significatif, même s'il était au départ de 2,5 millions d'euros et qu'il s'est finalement établi à un peu plus de 2 millions d'euros. Il fallait engager ce travail, et il faut absolument préserver ce volet de nos politiques publiques, car l'enjeu est beaucoup trop lourd.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes en 2023, comment les choses se poursuivent-elles ? L'objectif était de mettre en place des structures pérennes, et non pas de faire du « one-shot ». Cet objectif est-il atteint ?

M. Christian Gravel. - L'objectif était effectivement de faire émerger des projets pérennes.

L'association Alma est par exemple un partenaire historique du CIPDR et un acteur majeur dans notre champ. Depuis 2018, elle bénéficie de subventions substantielles pour mener des actions qui sont tout à fait à la hauteur de ces budgets et qui s'inscrivent dans le long terme. C'est la seule association susceptible d'intervenir dans des actions de contrôle du discours sociétal sur des sujets de défense de la République qui n'ait pas été formellement intégrée au fonds Marianne, car la subvention qui lui a été allouée pour 2021 avait déjà été actée dans le cadre du comité de programmation du 13 avril que j'évoquais.

Quoi qu'il en soit, les associations les plus importantes qui ont participé au fonds Marianne ont toutes demandé à s'inscrire dans une démarche pluriannuelle, avec des actions subventionnées chaque année.

M. Claude Raynal, président. - Je souhaite revenir sur le comité de sélection des projets, que vous avez abordé préventivement en indiquant que le régime juridique était celui applicable aux subventions. Vous deviez travailler dans un calendrier resserré, et avec un jury que j'ai qualifié d'un peu « endogène » puisqu'il était constitué uniquement de membres du CIPDR et du cabinet. Au regard des résultats obtenus, n'estimez-vous pas dommage de n'avoir pas fait appel à des personnes extérieures, par exemple à un spécialiste des réseaux sociaux ? Faire passer des messages à des ados sur des vidéos de 12 ou 13 minutes, c'est délicat...

M. Christian Gravel. - Je tiens à préciser qu'en dépit des contraintes de calendrier et de la surcharge de travail qui en a découlé, il n'y a eu aucune négligence. Tout a été fait comme il se devait.

Le comité de sélection était composé de trois membres du cabinet et de trois membres du CIPDR. Autant que je m'en souvienne, ce format permettait de rester, s'agissant d'une matière très sensible, entre, d'une part, ceux dont la vocation était de connaître le sujet et, d'autre part, l'autorité politique. Cette dernière, par définition, contribuait aux échanges puis décidait formellement des lauréats.

Avec humilité, je tiens à préciser que le CIPDR était compétent en matière de communication digitale. D'abord, la chargée de mission assurant pendant plusieurs mois le rôle de cheffe de projet connaissait très bien les questions liées aux contre-discours sociétaux en ligne, ayant travaillé quelques années sur de tels projets. Ensuite, la responsable du pôle métiers était issue du privé : elle avait été cadre d'une société reconnue sur la toile et connaissait ainsi les codes du Net. Enfin, votre serviteur a été directeur du service d'information du Gouvernement (SIG) pendant trois ans. Le digital y tenait une place importante, car nous l'avions considérablement développé à l'époque. De plus, j'ai été enseignant à Sciences Po sur les questions de communication, associant des experts à mes réflexions. Le CIPDR n'était donc pas déconnecté par rapport à ces enjeux.

Par définition, il est toujours possible de faire mieux, ce qui est notre objectif. Des experts d'autres services auraient peut-être été nécessaires. Néanmoins, je tiens à mettre en avant les compétences et les qualités des membres du comité ; elles ont permis de parler de communication numérique en connaissance de cause.

M. Claude Raynal, président. - J'entends, mais, quand on voit les résultats obtenus, on peut s'interroger. Ne regrettez-vous pas que le comité de sélection ait été centré sur une équipe resserrée et n'ait pas bénéficié d'un regard extérieur permettant de confronter les points de vue ? Nous avons l'impression que ces six personnes qui travaillaient ensemble et connaissaient le sujet se mettaient d'accord assez facilement. Si vous aviez à réaliser une expérience similaire, n'ouvririez-vous pas le comité ?

Christian Gravel. - Si je devais m'impliquer dans une nouvelle opération de ce type, la première leçon que je tirerais de l'expérience précédente serait de respecter une temporalité permettant de travailler dans des conditions optimales. Incontestablement, dans le cadre du comité de sélection ou - nous en parlerons - du suivi, bénéficier d'un peu plus de temps nous aurait permis d'associer d'autres directions et aurait garanti une plus grande transversalité. Par définition, cette dernière aurait accru la qualité du travail réalisé même si nous avons accompli ce qui devait l'être avec les moyens qui étaient les nôtres, malgré la surcharge de travail, en étant extrêmement rigoureux sur tous les process, en amont et en aval. Concrètement, le fait de pouvoir se poser un minimum et de prendre le temps d'associer d'autres personnes aurait été le moyen d'optimiser le projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Diriez-vous que le manque d'ouverture du comité de sélection était lié à des délais courts et contraints ? Voyez-vous d'autres raisons ?

Christian Gravel. - De fait, si tout le monde avait eu plus de temps en matière de méthodologie et de process, nous aurions pu mener cela de manière plus « raisonnable » en associant d'autres acteurs au sein du ministère, en soutien. Les choses se sont faites rapidement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - De manière trop rapide, je note. Vous parliez du budget annuel important, depuis 2018, de l'association Alma : pouvez-vous nous donner son montant ? Il ne dépend pas du fonds Marianne : avez-vous connaissance des raisons pour lesquelles l'association n'aurait pas répondu à cet appel à projets ?

Christian Gravel. - Cette association a touché une subvention de plus de 500 000 euros en 2018 et de plus de 350 000 euros en 2019. Je vous transmettrai les autres chiffres, que je n'ai plus en tête. Les montants sont donc très significatifs.

L'association n'apparaît pas formellement dans la liste des lauréats du fonds Marianne, car la subvention avait été actée par le cabinet à l'occasion du comité de programmation précédant le comité de sélection du fonds Marianne. La demande avait été instruite parce que nous connaissions bien Alma. Nous allions déjà verser une subvention équivalant à 500 000 euros. Cela avait été acté, il n'y avait donc pas de sens à faire participer l'association au fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sauf à prévoir de leur part des actions nouvelles, absentes du programme que vous aviez validé.

Christian Gravel. - Les actions de qualité proposées s'inscrivaient dans le prolongement de ce qui avait été prévu initialement. Alma apparaît dans certaines notes que vous avez dû recevoir ; je l'interprète comme une volonté de rendre cohérents le bilan et le suivi de l'ensemble des acteurs associatifs travaillant dans le cadre du contre-discours sociétal. Si quelqu'un avait voulu qu'Alma apparaisse formellement dans la liste des bénéficiaires du fonds, il n'y aurait eu aucun problème à la compléter, car les montants étaient passés de 2,5 millions d'euros à 2,017 millions d'euros.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour revenir au processus de sélection des projets subventionnés, il n'existait pas de grille de notation : quels sont les critères objectifs sur lesquels se sont appuyés vos analyses et vos choix ? Pour certains des projets transmis par des associations qui se résumaient à quelques éléments généraux, avez-vous demandé des éléments complémentaires avant de vous prononcer sur l'attribution de subventions ?

Pour des associations qui n'ont jamais eu à travailler avec le ministère, avez-vous organisé des échanges ou auditions afin de comprendre leur fonctionnement ? Si oui, sous quelle forme ? Avez-vous pu examiner tous les projets ? L'avez-vous fait de manière détaillée ? En avez-vous écarté et, le cas échant, pour quelles raisons ?

Christian Gravel. - Le processus de sélection a suivi trois étapes. Après la formalisation de l'appel à projets, nous avons reçu soixante-treize propositions provenant d'associations. Sur ces soixante-treize, une part importante ne répondait pas exactement aux principaux critères exigés, à savoir - je vous rappelle les deux axes - riposter aux acteurs extrémistes, séparatistes ou complotistes, et défendre et promouvoir les valeurs républicaines.

M. Claude Raynal, président. - Il n'existe pas de premier filtre administratif avant celui-ci, qui consiste à une analyse des projets sur le fond ?

Christian Gravel. - Je parlais bien du niveau administratif : ce travail est celui du CIPDR. Nous avons reçu les soixante-treize dossiers et le premier filtrage s'est fait aisément lorsque les principaux éléments déterminants apparaissant dans le cahier des charges de l'appel à projets n'étaient pas respectés, soit que la candidature était hors sujet, ne faisant référence à aucun des deux axes, soit que les associations souhaitaient s'engager dans des projets à caractère territorial alors qu'était exigé un rayonnement à l'échelle nationale. Cela explique le passage, en interne, à quarante-quatre projets.

Toujours au sein du CIPDR, les projets sont ensuite passés de quarante-quatre à vingt-trois. Nous sommes alors entrés dans des questions de fond. Nous avons déterminé la qualité des candidatures, l'intelligence des propositions, leur structuration. Nous avons essayé de nous renseigner sur le passé des associations ; il va de soi que de nombreuses associations travaillaient déjà avec le CIPDR, et réciproquement.

Par définition, quand il existe un historique en matière de partenariats de confiance et quand l'association est associée à des experts réputés tout en étant reconnue d'utilité publique, le préjugé est positif. Les dossiers sont étudiés, mais, malgré tout, le processus est accéléré.

La chargée de mission consacrée au fonds et le collège du pôle métiers ont échangé avant que l'équipe ne me présente une proposition. La liste est ainsi passée à vingt-trois associations, que nous avons proposées, avec le cabinet, au comité de sélection, qui en a sélectionné dix-sept pour devenir lauréats du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous adressé des courriers aux associations non retenues pour les informer de cette décision et de vos motifs, ou les associations se sont-elles elles-mêmes adressées à vous pour avoir des explications ? Quelles ont été les réactions éventuelles ?

Christian Gravel. - Dans le cadre du régime juridique des subventions, rien ne nous oblige à rendre des comptes aux associations qui ne perçoivent pas de fonds. Elles ont reçu néanmoins l'information qu'elles n'étaient pas retenues. Quelques-unes ont demandé des précisions sur les raisons pourquoi leur projet n'avait pas été choisi dans la liste du fonds Marianne ; la chargée de mission les leur fournissait au travers d'échanges, souvent par téléphone. Je n'ai pas en tête la liste des associations. Elles étaient peut-être deux ou trois à s'être manifestées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les échanges étaient donc oraux, ne laissant pas de traces.

Christian Gravel. - Informels, oui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous indiquez que le projet de l'association devait être développé. Pourtant, certains qui ont été retenus étaient succincts : la motivation tenait en une page.

La procédure ne vous astreint pas à mettre en place des tableaux d'évaluation ou des critères de notation, mais il est étonnant que vous n'ayez aucun compte rendu assurant la synthèse de ce processus de sélection. Votre administration n'est pourtant pas comparable à une association qui manquerait de moyens. Puisque vous engagez des moyens publics, un certain formalisme s'impose. Qu'est-ce qui explique que vous n'ayez pas d'éléments tangibles sur ce point ?

Christian Gravel. - Des notes précises rédigées par la cheffe de projet, dont vous avez eu connaissance, ont permis de faire un point à échéance régulière sur l'évolution du processus de sélection, jusqu'à l'étape du comité de sélection lui-même, comme l'atteste une note faisant office de compte rendu des avis. Le suivi par la collaboratrice concernée de l'ensemble du processus a donc été régulier, rendant compte de la sélection à la désignation des lauréats, de nos questionnements et, parfois, de la réévaluation des montants à la baisse lors du comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mais dans ces comptes rendus n'apparaît pas la motivation des choix du comité.

Christian Gravel. - Il convient d'en tirer des leçons : il faudrait à l'avenir bénéficier d'un compte rendu exhaustif de ces réunions pour mieux saisir la logique des décisions pour chacune des associations, contrairement à ce qui a pu être le cas. Nous n'avons pas l'habitude d'envisager un tel document dans le cadre de réunions. Étant donné l'enjeu au moment du comité de sélection, je concède pleinement que nous aurions dû envisager collectivement un compte rendu accompagné de verbatim afin de saisir la logique derrière le choix des associations.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage vos propos et déplore ce constat. Nous suivons et évaluons la dépense publique. Quel que soit son montant, nos concitoyens attendent une même rigueur intellectuelle, juridique et administrative.

Christian Gravel. - Nous nous inscrivons dans la même philosophie, partageant le même sens des responsabilités. Même en l'absence d'un compte rendu exhaustif relatif au comité de sélection, nous avons agi avec rigueur. Les choix, au cours de nos échanges, ont été pesés.

J'ai compris il y a quelques jours que vous n'aviez pas reçu certaines pièces, notamment les fiches d'instruction exhaustives de quelques projets.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons reçu ce que vous nous avez envoyé.

Christian Gravel. - C'est une erreur de notre part. Nous aurions notamment dû vous envoyer la fiche d'instruction relative à l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM). Cette association ne s'est pas contentée d'une simple page : sa fiche d'instruction était en bonne et due forme. Elle avait plusieurs pages, elle était détaillée et étayée, ce qui nous a convaincus d'accorder la première subvention.

M. Claude Raynal, président. - Il est dommage de le découvrir en commission.

Christian Gravel. - Je ne peux que le regretter et m'en excuser.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il est heureux que nous vous ayons invité, sinon nous aurions accusé La Poste...

Christian Gravel. - Loin de nous l'idée d'esquiver nos responsabilités : la faute est la nôtre. J'endosse totalement la responsabilité. Même sans cet échange, vous auriez reçu ces pièces.

M. Claude Raynal, président. - Certains documents importants qui auraient pu prouver que les demandes n'étaient pas formulées de manière très générale ne nous sont donc pas parvenus. Le seul compte-rendu que vous nous ayez envoyé fait mention de l'association Coexister avec l'unique commentaire suivant : il s'agit d'une association dont le « positionnement est explicitement en opposition avec la ligne gouvernementale ». C'est la seule association pour laquelle apparaît la raison derrière sa récusation. Or l'argument peut avoir plusieurs lectures... Quelle est la vôtre ?

Christian Gravel. - La rédaction peut prêter à confusion. Il va de soi que la posture de cette association n'est pas conforme à la ligne gouvernementale concernant l'enjeu majeur de la laïcité : la divergence est totale. Cette structure a tout à fait le droit de faire ce qu'elle veut ou presque à condition qu'elle respecte l'ordre public, mais son projet ne correspond en aucun cas à la ligne de l'exécutif sur la laïcité. Son approche est en lien avec des acteurs que nous ne considérons pas comme des défenseurs de la République et qui cherchent même, parfois, à l'affaiblir. Cette approche ne s'inscrit pas dans l'attachement qui est le nôtre au pacte républicain, à notre histoire et à nos lois. Coexister a été écartée du processus de sélection pour cette raison.

Il n'y a pas d'ambiguïté possible derrière l'expression d'« opposition avec la ligne gouvernementale », car, à ma connaissance, cette association ne défend pas un propos à caractère politique. Cela prouve que nous parlons seulement de la conception qu'on se fait de la laïcité. Notre idée était de ne pas s'engager dans une démarche qui viserait à promouvoir le contraire de la coexistence entre les uns et les autres. Nous veillons à ce que l'action des associations s'intègre dans le cadre républicain et rende prégnantes les notions de liberté, d'égalité et de fraternité, en évitant les logiques proches du décolonialisme ou des « Indigènes de la République » qui ne sont que trop claires quant à leur positionnement à l'égard de la ligne politique défendue par l'État, au sens neutre du terme.

M. Claude Raynal, président. - Dès lors, pourquoi ne pas avoir mis dans le cahier des charges la conception de la laïcité que vous entendiez défendre et avec laquelle les porteurs de projet auraient dû s'aligner ? Nous savons tous que les débats sur la notion de laïcité ont été longs et rudes ces dernières années, tantôt perçue comme trop ouverte, tantôt comme trop raide. Ne pensez-vous pas que cette discussion intellectuelle a sa place dans le débat ? Quand on veut tenir un contre-discours républicain et préparer les esprits à se construire leur propre opinion, ne faut-il pas laisser exister un débat sur la laïcité plutôt que fixer une ligne gouvernementale à laquelle se tenir, au risque d'être contre-productif ?

La laïcité est, dans certaines limites, une question ouverte chez ceux qui défendent la notion ; je ne parle pas du discours indigéniste. Il existe autant de laïcs et de citoyens que de visions de la laïcité.

Christian Gravel. - Je ne pense pas être le seul à défendre cette approche. Nous sommes évidemment partisans du pluralisme, fondement et joyau de la démocratie française. Les acteurs associatifs sont totalement libres de s'exprimer comme ils le souhaitent, mais l'idée est de ne pas accompagner financièrement au travers de fonds publics des actions et prises de parole que nous considérons comme ambiguës à l'égard de certains acteurs qui ne sont pas les principaux défenseurs de la République. Je n'en dirai pas plus, mais je suis ouvert à la discussion, et il faut être cohérent et soutenir une vision conforme à la laïcité, à l'esprit de la loi et à ce que nous défendons depuis plusieurs décennies.

M. Claude Raynal, président. - Ce débat nous entraînerait loin. L'enjeu était celui des critères d'attribution.

Christian Gravel. - Pour clore le sujet, nous n'avions pas défini la laïcité parce que nous sommes partisans du pluralisme. C'est l'esprit de l'appel à projets : faire émerger de nouveaux acteurs en favorisant de nouvelles méthodes. Contrairement à une commande publique, qui, elle, indique un cadre précis, l'appel à projets permet d'ouvrir le champ de tous les possibles. La seule limite que nous avions collectivement fixée était l'inscription dans notre conception de la République et de sa défense. Toutes les associations lauréates du fonds Marianne présentaient un large prisme en matière de vision et de définition de la laïcité, preuve que le pluralisme a été respecté.

M. Claude Raynal, président. - Les décisions d'attribution ont-elles été rendues à l'unanimité ? Un débat a-t-il eu lieu ?

Christian Gravel. - Des discussions se sont tenues, car nous sommes passés de vingt-trois à dix-sept projets. De plus, nous avons supprimé 20 % du budget prévu à l'origine. C'est la preuve que, contrairement à ce que j'ai pu entendre, nous ne voulions pas distribuer les fonds à nos amis : si nous avions voulu en abuser, il restait de la marge. Mon ton est ironique, car l'accusation est absurde : étant donné le nombre de dossiers reçus, nous aurions pu en retenir davantage. Lors de nos discussions, les approches ont été différentes, mais sans divergences frontales.

M. Claude Raynal, président. - À l'exception de celles que je mentionnerai à la fin de l'audition du fait des interrogations qu'elles suscitent, les deux associations les plus importantes, Civic Fab et Fraternité Générale, étaient déjà financées par le CIPDR avant l'appel à projets. La subvention « Marianne » a-t-elle été l'occasion de leur demander des actions supplémentaires ?

Christian Gravel. - Civic Fab est un acteur majeur qui a toujours travaillé consciencieusement, avec professionnalisme, répondant à toutes nos attentes. L'idée était d'accroître nos exigences dans le prolongement des actions menées pour leur donner plus d'ampleur, par exemple en proposant de nouveaux formats comme des vidéos spécifiquement consacrées à la prévention de la radicalisation. En effet, parler du djihadisme, de l'islamisme et de l'Islam radical n'avait pas encore été fait.

Je salue le courage de ces associations. S'attaquer à cette question peut avoir de lourdes conséquences : quelques experts que nous connaissons se sont retrouvés sous protection policière du simple fait d'avoir osé aborder ces sujets avec lucidité et objectivité, en France, en 2023, ce qui n'est pas le cas ailleurs.

Nous voulions démultiplier et faire monter en puissance les formats existants. Cela prouve l'intérêt de monter de tels projets.

M. Claude Raynal, président. - Sur l'exécution du fonds Marianne, vos procédures ont-elles été identiques pour toutes les subventions accordées par le CIPDR ? Des contrôles ont-ils eu lieu ? L'enjeu est de comprendre comment passer de quelques lignes de présentation à un projet réel de 300 000 euros. Le contrôle du fonds a-t-il été calqué sur ceux menés par le CIPDR ?

Christian Gravel. - Pour l'appel à projets, le régime juridique appliqué à nos procédures a été conforme à celui des subventions et de leur suivi.

Dans le cadre du fonds Marianne, une procédure spécifique a été élaborée en lien entre le pôle métiers et le pôle administratif et financier, sous la houlette de mon adjoint : nous avons mis en place des référents, des process et un circuit informatique permettant de trouver facilement, quel que soit le pôle, les éléments du dossier. L'objectif était que le suivi soit convenable et que nous puissions le cas échéant envisager des contrôles.

Cette procédure s'inscrivant dans le cadre du FIPD, nous avons demandé, comme nous le faisons régulièrement dans le cadre de subventions publiques, un compte rendu financier dans les six mois suivant la fin de l'exercice, une fois les comptes annuels ou états financiers approuvés et le rapport d'un commissaire aux comptes, si la structure reçoit un montant supérieur à 153 000 euros, fourni. Quand des problèmes se sont posés, nous avons pris les décisions à prendre, tant pour le fonds Marianne que pour les autres subventions attribuées par le CIPDR.

Mme Isabelle Briquet. - Les crédits attribués au titre du fonds Marianne visaient en partie des associations déjà financées par le programme radicalisation du FIPDR : ont-ils résulté de redéploiements internes au FIPD ou ont-ils correspondu à des crédits nouveaux ? À quel montant estimez-vous la reprise par le fonds Marianne de subventions déjà existantes de la part du FIPD ?

Christian Gravel. - Il ne s'agissait pas de fonds complémentaires, mais d'en rester aux fonds dédiés au programme R au sein du FIPD. C'est un simple fléchage et non un abondement du FIPD. Quant aux chiffres que vous demandez, je les calculerai avec mon équipe puis vous les transmettrez à la suite de l'audition.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez expliqué avoir manqué de rigueur dans la sélection. Je ne sais toujours pas quels ont été vos critères pour choisir quand attribuer ou ne pas attribuer des sommes de plusieurs centaines de milliers d'euros à certaines associations.

Christian Gravel. - Dans le cadre du régime juridique des subventions et des appels à projets, l'idée est de faire émerger des acteurs dont les ambitions peuvent être totalement différentes. Il n'est donc pas possible d'établir une grille d'analyse comme pour les marchés publics. Il s'agit de prendre en considération des projets divers, du fait de notre volonté de faire émerger des acteurs innovants.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Des acteurs « innovants » peuvent ne pas être des acteurs « nouveaux ». Peut-être les connaissiez-vous bien, comme Alma.

Christian Gravel. - Un acteur que nous connaissons déjà peut faire preuve d'innovation. La nature même de l'opération ne contribue pas à la simplicité et donc à une grille d'analyse commune.

Les montants attribués correspondent à la nature des projets proposés. Certains ont reçu des budgets importants, car nous les considérions comme suffisamment solides au regard des informations qui nous remontaient, de la connaissance des sujets et de la stratégie déployée. D'autres demandaient des subventions d'un montant considérablement plus faible. Nous n'allions pas nous-mêmes proposer une enveloppe supplémentaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En somme, c'est le propre du régime des subventions : l'appréciation est réservée au comité, le pouvoir étant discrétionnaire.

Christian Gravel. - Vous savez mieux que moi que ce pouvoir discrétionnaire est lié au régime juridique des subventions.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Néanmoins, l'appel à projets a été lancé avec un certain éclat à la suite à un événement particulièrement odieux.

À partir de fin décembre 2021, des membres du cabinet commencent à s'évaporer. L'activité reprend à la fin de l'été 2022, à la suite des élections présidentielles. Une nouvelle secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, Mme Backès, est nommée en juillet 2022. Comment s'est effectuée la transmission d'informations relatives au dispositif ? Une ou plusieurs réunions au sujet du fonds Marianne ont-elles été organisées ? Des questions au sujet du fonds Marianne ont-elles été posées ou a-t-il été laissé en sommeil ?

Christian Gravel. - Le dossier a deux ans. Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler au moment de l'installation de la ministre. Lorsque les médias ont commencé à s'intéresser au sujet, son cabinet m'a demandé un point précis, ce que j'ai fait en relatant l'historique et les actions menées.

Des démarches ont alors été engagées par le CIPDR. Par exemple, l'USEPPM, qui est l'une des deux associations problématiques avec Reconstruire le commun, s'est vu refuser le versement d'une deuxième tranche de la subvention. Un contrôle de deuxième niveau a été lancé à son encontre. Il est en cours, des centaines de pièces étant étudiées par le contrôleur interne financier, poste que nous n'avions pas pendant plusieurs mois lors de la première phase du fonds Marianne. Une procédure article 40 a été engagée dans une adresse au procureur de la République.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne manque pas de m'interroger sur vos propos. Ce dossier est un étendard au regard d'un événement dramatique, pourtant, malgré la nouvelle ministre, c'est poste restante : il ne se passe rien jusqu'à ce que les médias fassent surgir un questionnement. Cela laisse perplexe.

Nous sommes là pour contrôler la bonne utilisation du fonds. J'ai reconstitué sa chronologie : à partir du 31 décembre 2021 jusqu'en septembre 2022, il ne se passe plus rien, comme si le temps était suspendu pendant une élection.

M. Christian Gravel. - Le sujet a été brièvement abordé dans le cadre des actions menées sous le quinquennat précédent, mais, au moment de l'arrivée de la nouvelle ministre et de son équipe, nous n'avions connaissance d'aucun problème en particulier, de sorte que rien ne justifiait de le mentionner.

M. Claude Raynal, président. - Techniquement, nous comprenons bien ce que vous dites et je ne suis pas certain que la question s'adresse à vous. Vous connaissez bien le milieu et vous savez que le CIPDR communique peu sur les actions mises en place, dont certaines sont pourtant très utiles, par exemple sur la formation des préfets ou sur la formation dans le monde enseignant.

Toutefois, nous parlons du fonds Marianne comme d'une entité particulière par rapport à un événement aux répercussions politiques gravissimes. Par conséquent, le rapporteur s'étonne que, à l'arrivée de la nouvelle ministre, le dossier ait été traité comme un sujet parmi d'autres sans faire l'objet d'une attention particulière.

Pourtant, à l'époque où le fonds a été lancé, le nombre d'interventions de la ministre déléguée dans les médias a été considérable, donnant à penser que le Gouvernement se saisissait plus qu'auparavant de la question. Il apparaît donc clairement que le dossier faisait l'objet d'une sensibilité politique particulière.

Nous comprenons de ce que vous nous dites que, jusqu'au moment où la presse s'est saisie du dossier, le sujet n'existait pas au sein du cabinet de Mme Backès.

M. Christian Gravel. - Pour éviter tout malentendu, je répète que le sujet a bien évidemment été abordé à l'occasion de l'installation de la nouvelle équipe ministérielle, mais sans réunion ni note spécifique.

J'ai tout comme vous conscience de la gravité de la responsabilité qui nous incombe sur ce sujet et je peux vous garantir qu'il n'a donné lieu à aucune légèreté. À l'arrivée de la nouvelle équipe ministérielle, aucun problème n'est remonté à la surface. Nos équipes étaient en train d'engager en interne un processus de contrôle dans le cadre du délai de six mois qui était prévu. Jusqu'à la remontée des problèmes, que ce soit ou non par le biais des médias, nous n'avions pas de raison de revenir en détail sur ce dossier. J'ai présenté à la nouvelle équipe le travail qui avait été engagé, mais le dispositif n'avait pas vocation à être reproduit deux ou trois ans plus tard. Ce n'est que dans les trois derniers mois que l'USEPPM puis les médias ont évoqué des difficultés récurrentes et c'est alors que l'on a commencé à parler du dossier. Voilà ce qui s'est passé dans les faits, du point de vue de l'administration.

M. Claude Raynal, président. - Comment expliquez-vous le choix d'accorder à l'USEPPM la principale subvention du fonds Marianne - je parle du montant mentionné dans la convention, car celui-ci n'a pas été entièrement versé, nous y reviendrons - au titre du volet « Lutte contre la radicalisation », alors que les statuts de l'association, datant de 1920, ne font pas référence au sujet ? D'où cela vient-il ? Le projet est-il arrivé par votre intermédiaire ou bien par celle du cabinet de la ministre ? Comment une association apparemment sans lien avec le sujet et qui ne démontrait pas d'expérience particulière dans le domaine visé par ce fonds a-t-elle pu prétendre à une subvention du fonds Marianne ?

M. Christian Gravel. - Aucune association n'évoque explicitement dans ses statuts la lutte contre le séparatisme. Il s'agit plutôt de mentionner un travail sur l'esprit critique ou bien la promotion des valeurs.

M. Claude Raynal, président. - Mais si nous allons au-delà des statuts, cette association n'a jamais mené d'action en lien avec ce sujet.

M. Christian Gravel. - Certes, mais de manière générale les associations n'abordent pas le sujet aussi explicitement.

J'ai appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du fonds Marianne lors d'un appel téléphonique de M. Sifaoui : il me dit sortir d'un rendez-vous avec la ministre, celle-ci lui avait parlé du fonds Marianne, en lui faisant comprendre que par son statut, son implication et son investissement il avait toute sa place pour y prétendre.

L'association est impliquée dans une forme de citoyenneté et d'engagement lié à la jeunesse de sorte qu'il ne m'a pas paru incongru qu'elle bénéficie du fonds. En outre, elle est reconnue d'utilité publique, statut qui atteste de son sérieux, de finances saines et d'un rayonnement d'action à l'échelle nationale. En 2016, par l'intermédiaire de ses chargés de mission « prévention », elle a travaillé sur la radicalisation. Raphaël Saint-Vincent, qui a oeuvré comme référent « prévention de la radicalisation » au sein de l'association m'a sollicité, alors que j'étais encore directeur du Service d'information du gouvernement (SIG) pour me présenter son livre Vivre sous la menace terroriste, dans lequel il développait l'idée d'une culture de sécurité à caractère préventif, après le choc terroriste subi en 2015. Il ne se présente pas comme un responsable de l'USEPPM - je ne retiens pas d'ailleurs que c'est cette association-là à l'époque -, mais je comprends a posteriori que l'association nourrissait une certaine sensibilité sur le sujet. Preuve est que l'ouvrage de Raphaël Saint-Vincent était d'ailleurs le fruit d'une collaboration avec l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT) ; de mémoire, l'ensemble des sommes rassemblées par la vente de ce livre était censé être fléché vers l'AFVT.

En outre, au moment où le projet a été présenté en 2021, la présence de M. Sifaoui représentait une caution scientifique évidente, car il s'agit d'un expert reconnu. Son engagement, la qualité de ses connaissances et son courage ne pouvaient pas être remis en cause. Je tiens d'ailleurs à dire toute l'estime que j'ai pour cet homme, qui est sous protection policière depuis vingt ans, car il a risqué sa vie en infiltrant une cellule d'Al-Qaïda. Il a continué à porter son combat malgré les menaces de mort et le fait que sa vie en soit bouleversée. Le voir défendre ce projet constituait à mes yeux une caution scientifique majeure. Tous ces éléments ont justifié que l'association puisse bénéficier du soutien de l'État pour porter son action.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez donc eu un premier contact avec M. Sifaoui, lors de la présentation de ce livre ?

M. Christian Gravel. - Non, c'est M. Saint-Vincent qui m'a sollicité en 2016 pour me présenter son livre, car je travaillais sur le sujet au sein du SIG, et il n'a pas mentionné alors l'USEPPM. C'est a posteriori que j'ai compris qu'il existait un lien inscrit dans la durée entre l'association et la lutte contre la radicalisation.

M. Claude Raynal, président. - Le document de réponse à l'appel à projet ne fait qu'une seule page, du moins selon les informations dont nous disposons pour l'instant. Avez-vous eu des éléments complémentaires ou bien la décision a-t-elle été prise à partir de ce document ? Vous n'avez eu qu'une semaine pour décider. Ce dossier faisait-il partie de ceux qui auraient pu bénéficier d'un autre type de subvention que le fonds Marianne ? En effet, il semble que le document ait été envoyé avant la date de lancement de l'appel à projets.

M. Christian Gravel. - Je regrette ce problème de transmission de document. Cela n'arrive pas tous les jours au sein de l'administration. Nous avons des missions lourdes et il se trouve que nous avons eu au même moment des demandes de documents de la part de la Cour des comptes, de l'Inspection générale de l'administration (IGA), de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je regrette très sincèrement que ce document de six pages ne vous soit pas parvenu.

M. Claude Raynal, président. - Nous reviendrons plus tard sur cette question.

À quel moment avez-vous eu des éléments d'information complémentaires sur l'association avant la prise de décision ? Les avez-vous eus dans la semaine où tout a été décidé ?

M. Christian Gravel. - Le dossier complet, comprenant le document que vous auriez dû recevoir, a été envoyé quelques jours avant la tenue du comité de programmation, le 13 avril 2021. À la demande du cabinet de la ministre, il a été étudié dans le cadre du fonds Marianne. Le dossier de l'association Alma a bénéficié d'autres formes de subventions, mais celui porté par l'USEPPM, dont je précise à nouveau qu'il était complet, a glissé vers le fonds Marianne, un mois plus tard.

M. Claude Raynal, président. - Lors du processus de sélection de l'USEPPM, aviez-vous connaissance de l'identité des personnes qui allaient être rémunérées par la subvention ? Leurs CV vous avaient-ils été communiqués ? M. Sifaoui était connu de tous, mais qu'en est-il des autres ?

M. Christian Gravel. - Hormis M. Sifaoui, qui exerçait comme directeur de projet et qui touchait donc une partie de la subvention sous la forme d'un salaire - ce qui n'a rien de scandaleux étant donné le rôle qui est le sien pendant cette période -, je n'ai pas eu connaissance de l'identité de ceux qui avaient vocation à former l'équipe. On envisageait six postes. Je ne savais pas non plus que le président de l'association aurait le rôle de directeur administratif et financier. Je précise qu'il n'entre pas dans les fonctions de mon service que d'aller contrôler les individus qui ont vocation à travailler au sein d'une association. Cela relève d'autres services.

M. Claude Raynal, président. - Lesquels ?

M. Christian Gravel. - Ce travail relève du Trésor ou de la Cour des comptes, si nécessaire. Ce n'était pas à mon service de demander le CV de ceux qui allaient travailler dans l'association. Nous avons reçu un projet que nous avons considéré comme hautement qualitatif et qui semblait donner toute satisfaction sur le papier. Nous avons simplement constaté que six personnes étaient salariées et que le directeur du projet était clairement identifié.

M. Claude Raynal, président. - Initialement, il devait y avoir dix salariés.

M. Christian Gravel. - En réalité, il n'y en a eu que six.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'insiste en vous faisant part à nouveau de mon étonnement sur le fait que le document que nous avons reçu ne comporte qu'une seule page. Une conjonction d'événements nous porte à croire que le document comportera bientôt davantage de pages. La question ne date pas d'aujourd'hui et je crois deviner que certains candidats à l'attribution d'un soutien public de l'État aimeraient bien que leur dossier soit examiné par votre comité interministériel : n'envoyer qu'une seule page et obtenir plusieurs centaines de milliers d'euros de subventions paraît pour le moins inhabituel !

M. Sifaoui, journaliste rémunéré par l'USEPPM, a indiqué dans un communiqué publié sur Twitter, le 12 avril dernier, en réaction aux informations publiées dans la presse : « Je n'ai pas pris cette initiative spontanément. J'y ai été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Mme Schiappa et par elle-même [...] je suis donc quelque peu scandalisé en constatant qu'elle participe gentiment au lynchage en feignant de ne pas me connaître et de ne pas connaître l'association [...]. Ce sont les membres du cabinet de Marlène Schiappa qui ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne ». Avez-vous eu connaissance de cette demande du cabinet et de la ministre ?

M. Christian Gravel. - Je ne comprends pas que vous puissiez laisser croire que nous aurions pris la décision d'accorder une subvention à cette association en nous appuyant sur un document d'une seule page. Je vous redis formellement et solennellement que vous auriez dû recevoir un autre document - je regrette infiniment que cela n'ait pas été le cas, compte tenu de l'importance de votre assemblée -, à savoir celui qui nous a permis en conscience de prendre cette décision. Il ne s'agit en aucun cas d'un seul feuillet de quelques lignes qui aurait suffi à débloquer d'un claquement de doigts 350 000 euros. Je ne peux pas laisser passer cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est à tout le moins une erreur ou une faute hautement regrettable : tenons-nous en à cela pour l'instant.

M. Christian Gravel. - J'entends bien et je ne peux que regretter très sincèrement cette erreur. En revanche, compte tenu du contexte dans lequel les éléments vous ont été transmis, il me semble que vous pouvez aussi entendre qu'il a pu y avoir une erreur humaine.

Pour répondre à votre question, à la fin du mois d'avril 2021, M. Sifaoui m'a appelé au téléphone pour me dire qu'il sortait du bureau de la ministre déléguée, qui lui avait parlé de son projet d'engager ce qui porterait plus tard le nom de « fonds Marianne ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il y a un problème de calendrier, car le dossier a été étudié courant avril.

M. Christian Gravel. - Pardonnez-moi, c'était à la fin du mois de mars. M. Sifaoui était pleinement satisfait de savoir que des subventions permettraient de porter des projets d'envergure dans le champ concerné. Il m'a également informé de ce que des réunions avaient eu lieu avec le cabinet de la ministre déléguée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Probablement avec les mêmes personnes que celles que vous avez mentionnées précédemment ?

M. Christian Gravel. - Sans doute, puisqu'il s'agit de celles qui suivaient ce type de sujet. M. Sifaoui m'a indiqué qu'on lui avait demandé de réfléchir à un projet possible.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On l'a mis pour ainsi dire dans les starting blocks et on lui a demandé de candidater.

M. Christian Gravel. - Il m'a dit clairement que c'était une bonne nouvelle et qu'il allait s'engager dans ce projet.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous vérifié ces informations auprès du cabinet ?

M. Christian Gravel. - Nous avons eu une réunion quelques jours plus tard avec le cabinet - c'était au début du mois d'avril - au cours de laquelle le fonds Marianne a été mentionné. J'ai donc compris que le dispositif était engagé. En outre, le projet de M. Sifaoui a aussi été évoqué à l'occasion du comité de programmation du 13 avril.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'avère que, pour le projet de cette association, la part des salaires au regard des charges est nettement plus élevée que pour la plupart des autres associations. Cela vous a-t-il paru normal et conforme au cahier des charges de l'appel à projets ?

M. Christian Gravel. - Ce projet était le plus ambitieux et le plus courageux de ceux qui ont été présentés et le seul à envisager une confrontation directe avec des activistes extrémistes. M. Sifaoui, qui a une connaissance fine de ces réseaux, était une caution scientifique solide. L'essentiel du projet reposait objectivement sur la production intellectuelle : il s'agissait d'analyser, de concevoir et de diffuser des messages sur internet. Par conséquent, je n'ai pas été choqué par le fait qu'une partie importante des charges s'inscrive dans des rémunérations, car il s'agissait précisément de payer de l'intelligence pour pouvoir engager ce type de travaux, sans parler du courage qu'il fallait pour produire ces contenus. En effet, il n'y a pas eu, comme on l'a parfois entendu, que trois vidéos visionnées seulement quinze fois, mais l'association a produit cinq cents contenus. Certes, on peut toujours faire plus et mieux, mais il ne s'agissait là que du premier volet du projet.

M. Claude Raynal, président. - Dans le bilan financier et moral de l'association que vous nous avez transmis, je ne vois pas la mention de ces cinq cents contenus.

M. Christian Gravel. - Il y a eu près de cinq cents tweets, threads et productions.

M. Claude Raynal, président. - Disposez-vous de ces contenus ? Pour l'instant, ce qui nous a été transmis est d'une rare pauvreté.

M. Christian Gravel. - Nous ferons en sorte de vous transmettre tous les éléments du bilan. Tous ces contenus sont visibles sur les réseaux sociaux. Le premier volet du projet consistait à analyser l'écosystème avant d'engager très régulièrement des ripostes, à un rythme soutenu. Cela a été fait. Le deuxième volet prévoyait de construire un site internet et d'élaborer une encyclopédie numérique visant à agréger tous les contenus et éléments d'analyse permettant de fournir de la matière aux internautes qui souhaiteraient s'inscrire dans ce travail d'influence en ligne.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous reviendrons sur ce sujet.

D'après les échanges de courriels que vous nous avez fait parvenir, l'USEPPM vous a transmis personnellement et directement sa candidature. Le courriel vous est parvenu le 9 avril 2021, soit onze jours avant le lancement de l'appel à projets, ouvert du 20 avril au 10 mai. Comment expliquez-vous que vous ayez été le destinataire direct et unique de cet envoi ? Avez-vous reçu sur votre adresse les demandes d'autres associations ? Le cas échéant, lesquelles et pourquoi ?

M. Christian Gravel. - Lors de son appel téléphonique, en sortant du bureau de la ministre, M. Sifaoui m'a précisé qu'il reviendrait au CIPDR de gérer les dossiers. C'est donc - je le pense, mais n'en ai pas la certitude - que c'est sur la recommandation de M. Sifaoui que le président de l'association m'a envoyé directement le dossier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Aucune autre association ne vous a envoyé avant le 20 avril de demande pour postuler au fonds Marianne ?

M. Christian Gravel. - Je n'ai pas reçu d'autres demandes d'association dans le cadre du fonds Marianne, mais je reçois régulièrement des courriels de la part de présidents d'association qui me relancent sur des demandes de subventions.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Hors fonds Marianne ?

M. Christian Gravel. - Oui.

M. Claude Raynal, président. - Revenons-en à la question des dix ou des six salariés. Quoi qu'il en soit, ils n'étaient pas salariés à temps complet.

M. Christian Gravel. - De mémoire, ils couvraient 4,8 équivalents temps plein (ETP).

M. Claude Raynal, président. - En réalité, il y a eu plutôt trois salariés, dont deux à mi-temps. La rectification pour passer de dix à six salariés est intervenue postérieurement à l'accord ; pourtant, elle n'a pas conduit à modifier le projet de convention. On aurait pu penser que la logique serait celle du « À moyens diminués, subvention diminuée ». Comment justifiez-vous cela ?

M. Christian Gravel. - C'est dans le cadre du contrôle a posteriori que nous avons compris qu'il y avait eu moins de salariés que prévu. Auparavant, l'information n'est pas remontée jusqu'à mon équipe, qui m'en aurait parlé.

M. Claude Raynal, président. - Pourtant cela figure dans le formulaire Cerfa qui vous a été envoyé par l'entreprise comme document officiel d'engagement. Il est clairement précisé qu'il n'y a que six salariés. Ensuite, leur nombre a été réduit à trois. Vous auriez pu être alerté au moins par le fait que l'on était passé de dix à six salariés.

M. Christian Gravel. - Je croyais que vous me parliez du passage de six à trois salariés, dont nous n'avons pas eu connaissance,...

M. Claude Raynal, président. - ...Avant le contrôle a posteriori, je l'ai bien compris.

Le contrôle sur pièces de l'USEPPM a été annoncé seulement le 17 mars 2023 à l'association, alors qu'elle aurait bénéficié du plus haut montant de subventions, si tous les fonds avaient été versés. En outre, l'association ne répondait pas aux mails de relance depuis plusieurs mois. Le lancement du contrôle sur pièces a été fait tardivement si l'on considère que d'autres associations ne présentant a priori aucune difficulté particulière ont été contrôlées avant l'USEPPM. Dans le cas de celle-ci, soit vous n'obteniez pas de réponse, soit l'on vous répondait que les sommes n'avaient pas été engagées. En effet, vous nous avez dit que vous aviez pris la décision de ne pas engager la deuxième partie de la subvention. Pour quelles raisons avez-vous pris cette décision ?

M. Christian Gravel. - Précisément, à cause de l'absence de réponse de l'association après un certain nombre de relances ou bien seulement de réponses partielles concernant des demandes de pièces qui devaient nous être remises dans le cadre du processus de contrôle de l'action. Une fois prise la décision de ne pas verser la deuxième partie de la subvention, le secrétaire général adjoint, M. Laffite, a appelé le président de l'association et a compris au cours de la discussion que le seuil des 60 % du budget prévisionnel n'avait pas été atteint. Par conséquent, quoi qu'il en soit, la deuxième tranche de la subvention n'aurait pas été versée. Toutefois, la décision a été prise avant même que nous ayons pris connaissance de ce critère budgétaire, en raison des difficultés que nous avions à obtenir des réponses, la situation s'étant aggravée dans la période de contrôle a posteriori.

M. Claude Raynal, président. - À quoi correspond le seuil des 60 % ?

M. Christian Gravel. - Il s'agit des 60 % du budget prévisionnel.

M. Claude Raynal, président. - Et donc pas des 60 % de la subvention ?

M. Christian Gravel. - Pardon, il s'agit bien des 60 % de la subvention.

M. Claude Raynal, président. - En réalité, le budget global de l'association pour cette opération n'est pas fondé uniquement sur votre subvention. Il y a des cofinanceurs, qui peuvent être des collectivités territoriales.

M. Christian Gravel. - Dans le projet, deux régions sont cofinanceurs.

M. Claude Raynal, président. - Mais à l'instant où vous exerciez votre contrôle, les cofinancements n'existaient pas et l'opération était donc bloquée, car l'association ne pouvait pas justifier des 60 % de la totalité du financement. C'est la raison pour laquelle la deuxième tranche de la subvention n'a pas pu être versée. La décision se justifiait par le fait que le plan de financement total n'étant pas réalisé, l'association ne pouvait pas prétendre à une tranche de subvention supplémentaire, par manque de cofinancements. Sommes-nous bien d'accord ?

M. Christian Gravel. - Il semble bien que le taux de 60 % porte sur notre subvention et que ce seuil n'ait pas été atteint. Le dossier mentionnait deux cofinanceurs de poids, à savoir les régions de l'Île-de-France et du Nord, ce qui contribuait à sa solidité. Or le soutien attendu, je vous le confirme, ne s'est pas concrétisé.

Le seuil a donc été fixé à 60 % de la subvention que nous devions accorder à l'association. Puisqu'il n'a pas été atteint, nous ne pouvions pas remettre la deuxième tranche de la subvention. La décision de ne pas la verser a d'abord relevé du constat d'un dysfonctionnement en termes d'information de leur côté.

M. Claude Raynal, président. - Notre lecture est un peu différente. Nous considérons que l'association devait démontrer qu'elle avait engagé plus de 60 % du projet pour pouvoir toucher le supplément de subvention.

Quoi qu'il en soit, la subvention a en définitive servi à financer du salaire à plus de 80 %, ne laissant quasiment rien pour les actions sauf à considérer que celles-ci n'étaient que de nature intellectuelle, ce qui n'est pas exact, car il y avait aussi du contenu technique qui devait être réalisé.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est sans doute la raison qui explique que l'association a peiné à vous envoyer un bilan tant quantitatif que qualitatif. Il y a eu très peu de communication entre l'USEPPM et le CIPDR entre mai 2022 et février 2023, alors que vous demandiez ce bilan. Vous nous avez dit avoir fait de nombreuses relances. Comment expliquez-vous l'absence totale de réponse de la part de l'association ?

M. Christian Gravel. - Si nous avions eu les moyens d'avoir un échange clair avec l'association, nous aurions pu prendre la mesure de la situation. La seule réponse qui nous a été donnée était que le président étant en train de monter une société et qu'il était donc très compliqué de le joindre. L'argument était assez faible compte tenu de nos relances répétées.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit donc d'une sorte d'extinction des feux.

L'association finit par vous envoyer des documents le 15 février 2023. Elle avait indiqué dans son projet qu'elle recevrait un financement de 145 000 euros de la part des régions et 45 000 euros d'aides privées. Or elle n'a obtenu aucune de ces recettes et le fonds Marianne représentait finalement sa seule ressource.

De nombreuses charges ont été sous-exécutées. Les dépenses de la catégorie « autres services extérieurs » devaient représenter 177 100 euros, mais n'ont pas dépassé, en réalité, 31 000 euros, soit un taux d'exécution de 17 %. Alors que l'essentiel des dépenses de cette catégorie devaient être des dépenses de publicité et de publication, la plupart ont été basculées dans la catégorie « rémunérations intermédiaires et honoraires ».

Les charges de personnel ont en revanche fait l'objet d'une exécution à 87 % en 2022.

Dans ces conditions, peut-on considérer que l'objectif principal de la subvention a bien été atteint ?

M. Christian Gravel. - Une fois établis les éléments d'analyse issus de notre contrôle a posteriori, nous avons pris des mesures. Compte tenu des difficultés que nous avons eues pour obtenir les documents nécessaires au contrôle, nous avons refusé de verser la deuxième partie de la subvention. Nous avons aussi engagé un contrôle facultatif sur pièces, dit de deuxième niveau, pour que notre pôle administratif et financier puisse faire un point précis et identifier le cas échéant les abus qui auraient pu être opérés. Enfin, j'ai engagé la procédure de l'article 40, car des éléments convergents laissaient penser qu'il y avait eu un certain nombre de problèmes en matière de comptabilité.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Tout cela est bien léger ! Pour résumer, il a suffi que la ministre de l'époque porte sur les fonts baptismaux le fonds Marianne, puis en informe avant tout le monde une de ses connaissances afin qu'elle candidate ; son dossier est retenu et une subvention d'un montant très important est accordé à son association ; et tout cela a abouti au constat que 87 % de la subvention avait été utilisée pour des dépenses de personnel, ainsi qu'à une procédure au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

M. Claude Raynal, président. - Je souhaite revenir sur le déroulement du contrôle, qui a été très clair et qui prévoyait des délais : l'association avait jusqu'au mois de novembre 2022 pour fournir les éléments que vous lui demandiez. Elle n'en a donné que quelques-uns puis a cessé de répondre. Vous avez lancé la procédure de l'article 40 quatre mois après la fin du délai. En faisant cela, d'une part vous réagissiez au fait que les journalistes commençaient à s'emparer du sujet, d'autre part vous répondiez à une demande de la ministre qui souhaitait que vous signaliez la situation. Confirmez-vous cela ?

M. Christian Gravel. - La démarche de contrôle a été engagée avant l'emballement médiatique. Nous n'avons pas attendu que la presse se focalise sur le sujet pour engager les procédures de contrôle. Celles-ci s'appliquent à toutes les associations.

M. Claude Raynal, président. - Ma question portait sur le signalement, pas sur le contrôle.

M. Christian Gravel. - La décision du signalement était la mienne, dans la mesure où je suis le responsable administratif du projet. Je vous confirme qu'elle a été appuyée par la ministre. Celle-ci a d'ailleurs également souhaité faire un signalement pour une autre association dont nous parlerons ensuite.

M. Claude Raynal, président. - Pour résumer, comme l'a fait avant moi le rapporteur, on est parti d'une opération sur l'initiative de la ministre Schiappa qui a abouti à ce que l'on vous transmette un dossier dans le but qu'il soit retenu pour bénéficier du fonds Marianne. Et l'on finit par un signalement contre l'association en question. Avez-vous un jugement à porter sur cette situation ?

M. Christian Gravel. - Il est évident qu'elle est regrettable étant donné la nature du sujet et le contexte dans lequel elle s'inscrit. Toutefois, un travail a été réalisé et il y a eu cinq cents contenus produits, et accessoirement de grande qualité. Quant aux problèmes d'ordre comptable et financier, ils sont plus que regrettables.

Mme Isabelle Briquet. - Vous avez dit que vous considériez le projet comme « hautement qualitatif ». Au vu de son bilan, conservez-vous cette impression ?

M. Christian Gravel. - Qualitativement, le bilan est positif. L'USEPPM est la seule association à avoir fait ce à quoi elle s'était engagée, en s'inscrivant frontalement dans la riposte contre des acteurs dont certains sont dangereux. Quantitativement, on aurait pu espérer plus, notamment pour ce qui est des interactions et du nombre d'abonnés. Toutefois, une règle opère sur le web selon laquelle, quelles que soient la nature et la pertinence du projet, il faut toujours plus d'un an pour agréger une communauté numérique large et solide. Cette temporalité se retrouve dans tous les projets. L'association Alma, par exemple, qui dispose d'un soutien conséquent et pas simplement du CIPDR, a également produit des contenus de grande qualité. Or les résultats quant au nombre d'abonnés ont été équivalents à ceux de l'USEPPM, au bout d'un an. Il faut donc tenir compte du contexte dans lequel s'inscrit ce type d'action.

Qualitativement, le travail engagé a été de grande qualité. Le projet d'encyclopédie numérique n'a pas abouti, mais il était dès le départ envisagé sur plusieurs années. Le site internet a été créé sur lequel figurent des articles et des éléments de fond.

En revanche, les problèmes financiers sont en effet profondément regrettables. La justice fera son travail.

M. Dominique de Legge. - Vous avez mentionné le fait que les statuts de l'USEPPM dataient de 1920 et que l'association était reconnue d'utilité publique. Sauf erreur de ma part, il n'y a plus d'association pour la préparation militaire depuis les événements de la guerre d'Algérie. Peut-être auriez-vous dû davantage vous interroger sur les activités de cette association depuis la guerre d'Algérie et sur le fait que ses statuts n'avaient pas été mis en conformité avec les nouvelles activités qu'elle vous avait présentées ? Les associations reconnues d'utilité publique relèvent du ministère de l'intérieur et doivent être régulièrement contrôlées.

Vous nous avez dit que la prestation réalisée était majoritairement de nature intellectuelle tout en nous expliquant qu'il n'entrait pas dans votre champ de compétences de vérifier les CV des intervenants. J'en suis étonné, car dans le cas d'une prestation de nature intellectuelle, il est d'autant plus important de vérifier les compétences des intervenants. Or vous renvoyez cela à l'administration fiscale et à la Cour des comptes. Il me semble que, avant de verser une subvention d'un tel montant, on doit examiner le parcours de ceux qui vont être amenés à travailler. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?

M. Christian Gravel. - À ma connaissance, cette association est toujours reconnue d'autorité publique, ce qui, compte tenu de la fiabilité du ministère dont dépend cette reconnaissance, est un gage de confiance. Ses statuts auraient certes pu être modifiés, mais je considère que cela ne relève pas de ma responsabilité de demander à l'association de les modifier. Ce qui compte pour moi, c'est que l'association travaille aujourd'hui sur les problématiques de la jeunesse et de la citoyenneté.

J'ai évoqué de manière très concrète tout à l'heure l'action amorcée en 2016 par l'un des responsables de cette association pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation. Compte tenu de cet engagement, qui est directement lié à la question qui nous préoccupe et qui a été pris à un moment clé de notre histoire contemporaine, je ne pense pas que nous étions hors sujet.

Je rappelle en outre que l'association était dirigée par un expert reconnu, qui a fait figure de caution scientifique dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne, une caution suffisamment forte pour nous rassurer sur la qualité des productions à venir.

Je vous invite à consulter les contenus réalisés, puisqu'ils sont toujours en ligne : je peux vous garantir qu'il n'est pas donné à tout le monde de mobiliser autant de connaissances et de faire preuve d'autant de pertinence, sauf justement à maîtriser parfaitement l'art de la riposte, ce qui est le cas ici.

Encore une fois, j'essaie de faire la part des choses entre le bilan que je viens de dresser et les divers éléments budgétaires et financiers que l'on a évoqués : ces deux sujets sont distincts, même s'ils concernent la même association.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'en viens à maintenant à l'association « Reconstruire le commun » qui a été créée quelques mois seulement avant le début de l'appel à projets, très peu de temps après l'annonce de la création du fonds Marianne. En réponse aux questions de Mediapart, vous auriez loué « l'intelligence » d'un projet « convaincant et parfaitement structuré ».

En 2020, l'association a bénéficié d'une subvention dite « de lancement » de 39 000 euros dans le cadre de l'enveloppe dédiée à la radicalisation du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Pourriez-vous nous préciser les conditions dans lesquelles cette première subvention a été attribuée ? Quel en était l'objet exact ? Cette subvention visait-elle à aider l'association à se porter candidate par la suite à l'appel à projets du fonds Marianne ?

M. Christian Gravel. - En réponse à votre question, je me propose de retracer la genèse des relations entre le CIPDR et cette association.

Fin décembre 2020, après avoir suivi le conseil d'un universitaire reconnu, j'ai rencontré la présidente de l'association « Reconstruire le commun ». Il s'agit d'une femme dotée d'une grande intelligence, d'une vraie connaissance de l'ensemble des enjeux liés à l'actualité et d'une véritable conscience républicaine.

Cette dirigeante associative a, je le rappelle, fondé son association deux semaines après l'assassinat du professeur Paty : il me semble que très peu de structures ont su se mobiliser dans un tel laps de temps, ce qui atteste, encore une fois, de la très grande conscience républicaine de cette personne, dont l'objectif était - c'est le discours qui m'a été tenu - de faire face efficacement au délitement de nos sociétés et de défendre l'essentiel, à savoir nos principes.

Dans la foulée de la présentation de son projet, celle-ci m'a transmis une demande de subvention, à laquelle nous avons répondu positivement. Cette subvention de 39 000 euros avait tout simplement pour objet de donner à cette association les moyens de lancer des actions concrètes.

Je précise que le projet qui nous a été présenté était très abouti : l'association avait pour but de s'investir sur les réseaux sociaux et le web. C'est la raison pour laquelle nous avons accordé une subvention qui, même si elle a été versée en 2021, était destinée à couvrir des dépenses correspondant à la fin de l'exercice 2020.

La présidente de « Reconstruire le commun » a ensuite eu connaissance, comme beaucoup d'autres dirigeants d'associations, de la mise en place du fonds Marianne, ce qui l'a conduite à se porter candidate : son projet était d'envergure, très ambitieux et démontrait, sans ambiguïté possible, une véritable maîtrise de tout ce qui relève de la communication digitale - la directrice de projet était elle-même une experte du marketing et de la communication digitale.

Il s'agissait du reste du seul projet ambitieux défendu par des jeunes pour des jeunes : c'était la seule association dont les membres appartenaient à la tranche d'âge qui nous intéresse le plus, ce qui est un critère supplémentaire à prendre en compte. Compte tenu de nos échanges, de la qualité du projet, il nous a donc semblé envisageable de poursuivre la collaboration avec cette association.

Dernière remarque, « Reconstruire le commun » est en partie issue d'un collectif baptisé « On vous voit », qui a déjà démontré sa capacité à développer une vraie analyse intellectuelle des milieux séparatistes sur la toile et à riposter face à ce type d'acteurs.

Nous savions que, par le passé, ce collectif avait parfois diffusé des contenus à caractère politique. C'est pourquoi nous avions conditionné notre aide - la première subvention, qui a été versée avant la création du fonds Marianne - à cette association à l'absence de tout message de nature politique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Est-ce vous qui avez décidé d'attribuer 39 000 euros à cette association nouvellement créée ?

M. Christian Gravel. - Une telle décision n'est pas unilatérale, mais collective, puisqu'elle est prise à l'occasion d'un comité de sélection comprenant six personnes. Elle a surtout été validée par le directeur de cabinet de la ministre. Je précise que la ministre devait venir à ce comité, mais c'est finalement son directeur de cabinet qui est venu.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je ne parlais pas du fonds Marianne, mais de la décision d'allouer une première subvention de 39 000 euros.

M. Christian Gravel. - Pardonnez-moi, je croyais que vous faisiez référence à une somme plus élevée. La décision à laquelle vous faites allusion relève du CIPDR, et de lui seul.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - « Reconstruire le commun » ne déclarait aucun salarié au moment de sa création, et son projet ne prévoyait aucun recrutement. Au vu du montant des subventions accordées, on aurait pu s'attendre à ce que davantage de personnes ressources soient employées par l'association.

Un membre de votre secrétariat général s'est d'ailleurs étonné, dans un certain nombre de mails adressés aux membres de l'unité de contre-discours républicain, que l'on octroie une subvention de 330 000 euros à une association dont aucun salarié n'était chargé de sa gestion financière. Partagez-vous cet étonnement ?

M. Christian Gravel. - Cette remarque atteste qu'en interne tout le monde pouvait s'exprimer librement et qu'aucune directive n'a été donnée pour que l'on taise tel ou tel point. Elle atteste aussi que chacun faisait son travail au sein de mon équipe : le secrétaire général adjoint du CIPDR, responsable de ce pôle administratif et financier, jouait pleinement son rôle, avec la rigueur qui caractérise ce magistrat de formation.

Je précise une fois de plus que la décision finale a été prise par un comité de sélection, et ce au vu des engagements pris par cette association, pour laquelle, naturellement, aucun bilan sur la manière dont avait été utilisée la première subvention versée ne pouvait être établi, étant donné qu'elle venait de se constituer et que chacun sait qu'un minimum de temps est nécessaire à une association avant qu'elle puisse exercer pleinement ses missions.

Le projet qui nous a été présenté dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne a été suivi d'effets : l'association a salarié jusqu'à vingt-sept personnes, ce qui prouve incontestablement une utilisation des subventions conforme à notre plan de charge. Il va en outre de soi que le projet mené par cette association correspondait, au moins sur le papier, à ce qui nous avait été présenté et qu'il respectait l'ensemble des codes du web en vigueur aujourd'hui, conditions sine qua non du soutien de l'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il ressort des éléments qui nous ont été transmis que les prestations fournies par « Reconstruire le commun » posent question.

Vous y avez fait allusion, cette association a produit des contenus à caractère politique, dont il a été question notamment lors d'une réunion ayant eu lieu le 1er mars 2022. Assistiez-vous à cette réunion ? Que s'est-il passé précisément ? Avez-vous donné des directives pour que cela cesse ? Dans l'affirmative, ont-elles été scrupuleusement respectées, et dans quel délai ?

M. Christian Gravel. - Le projet de « Reconstruire le commun » comportait quatre volets, qui ont conduit à la réalisation de cinquante-sept vidéos au total en un an, soit près de vingt-quatre heures de contenus à visionner.

Dans les six premiers mois d'existence du fonds Marianne, sachez que le suivi de l'association était réalisé par une cheffe de projet, qui exerçait cette mission à temps plein - j'en profite d'ailleurs pour la saluer, car, malgré sa charge de travail, celle-ci a su s'organiser et travailler de manière consciencieuse et professionnelle. Elle a finalement quitté le comité pour rejoindre une autre structure, et la charge de travail a été répartie entre quatre agents de mon équipe.

Or ces agents occupaient déjà eux-mêmes un poste à temps plein, a fortiori au sein de l'unité de contre-discours républicain, qui était alors en plein déploiement et soumise à une pression totalement justifiée, mais très forte. En plus de leur travail quotidien, ces quatre agents ont donc endossé une partie du travail consistant à suivre les associations ayant reçu des subventions du CIPDR.

L'agent chargé d'assurer le suivi plus particulier de « Reconstruire le commun » a formulé un certain nombre de remarques sur les premiers contenus produits, principalement sur leur aspect qualitatif. L'association a pris en considération nos remarques et a, à chaque fois que nous le lui avons demandé, parce que nous étions inquiets du faible taux d'engagement de ces contenus, reconsidéré sa ligne éditoriale. Elle a même opéré un changement de stratégie, en s'impliquant davantage dans le sponsoring, ce qui lui a permis de franchir un seuil décisif et de développer un certain nombre d'interactions sur le web.

Puis, à la fin du mois de février, notre agent s'est aperçu que l'association avait diffusé trois ou quatre contenus à caractère politique. Il m'en a alerté immédiatement : je lui ai alors demandé de convoquer les représentants de l'association, de sorte à leur communiquer nos observations, tant sur le plan qualitatif que sur le caractère hautement problématique des contenus politiques que nous avions identifiés.

La consigne que nous avons fait passer, à savoir qu'il était strictement interdit à l'association de s'associer, d'une manière ou d'une autre, à des contenus de nature politique, ne laissait place à aucune ambiguïté.

La présidente de l'association en a pris acte au mois de mars. La preuve en est que nous disposons d'une vidéo, si ce n'est pas deux, dans laquelle les chroniqueurs concernés par ce projet problématique ont eux-mêmes évoqué, de manière ironique, les risques que pourrait encourir la présidente de l'association s'ils persistaient à parler de politique. C'est bien la preuve que le message est passé, que notre consigne a circulé en interne et que nous avons correctement effectué notre travail de suivi et de contrôle.

À l'occasion d'un autre visionnage, l'agent concerné par le suivi de « Reconstruire le commun » s'est rendu compte que de nouveaux contenus politiques avaient été produits. J'ai alors demandé qu'on les convoque de nouveau, ce qui a été fait le 2 juin : lors de la réunion que j'ai présidée, je leur ai dit très clairement, très explicitement, très vigoureusement qu'il était intolérable de diffuser de tels contenus. Au moment où nous les avons convoqués, nous pensions encore que ces contenus étaient peu nombreux - je rappelle, en toute objectivité, que l'agent chargé du suivi de cette association était alors en surcharge de travail.

Cela étant, j'avais bien conscience à l'époque que ces dérives se produisaient en pleine période électorale, durant la campagne des élections législatives. Je connais un peu le code électoral : vous dire que j'étais contrarié ou en colère est un euphémisme...

Pour le reste, je le répète, le travail de l'association a donné satisfaction ; même si certaines choses auraient pu être améliorées, il était vraiment innovant.

Tout dernièrement - et c'était trop tard ! -, nous avons compris qu'en définitive de nombreux contenus de nature politique avaient été émis : j'ai donc moi-même déclenché une procédure pour obtenir le remboursement - total ou partiel - de la subvention allouée.

Au total, nous avons recensé dix pages correspondant au verbatim des contenus problématiques. Ce qui importe, au-delà du caractère intolérable de ces vidéos, qui découlent d'une forme d'insouciance et d'inconscience de quelques jeunes - cela ne concerne pas toute l'association - qui ont profité de l'occasion, c'est que le verbatim ne contient manifestement aucun contenu partisan faisant la promotion de tel ou tel candidat - je tiens ce verbatim à votre disposition si vous souhaitez vous en rendre compte par vous-même, ainsi que les seize heures de vidéo concernées.

À moins de faire preuve d'une malhonnêteté intellectuelle évidente, on ne peut pas sérieusement considérer que ces propos, quel que soit leur caractère intolérable, ont contribué à la campagne de tel ou tel candidat.

M. Claude Raynal, président. - Ce point ne relève pas du champ de compétence de notre commission d'enquête.

M. Christian Gravel. - Je profitais simplement de l'occasion qui m'était donnée de m'exprimer pour évoquer cette situation particulière.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'irons pas plus loin, car ces faits font actuellement l'objet d'une procédure judiciaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Permettez-moi de vous faire remarquer qu'après une rapide vérification, et sauf erreur de ma part, les comptes de l'association ne laissent pas clairement, voire pas du tout apparaître qu'elle rémunérait vingt-sept salariés au titre de l'exercice 2022.

M. Christian Gravel. - Je vous confirme pourtant que l'association a bien salarié jusqu'à vingt-sept personnes.

M. Claude Raynal, président. - En plus des différents documents que vous ne manquerez pas de nous communiquer, je vous remercie de nous adresser le verbatim dont vous venez de parler : il nous évitera le visionnage de ces seize heures de vidéos.

Vous venez de nous expliquer que les problèmes que vous avez détectés l'ont été assez tôt. Pour autant, malgré l'absence de prise en compte de vos remarques par l'association durant plusieurs mois, vous n'avez pas hésité à verser les 25 % de subvention restant à « Reconstruire le commun » : comment expliquer ce mystère ?

M. Christian Gravel. - Il ne s'agit pas d'un mystère, mais d'un enchaînement de circonstances.

Revenons-en à l'historique des faits.

À la suite de nos critiques sur la qualité de certains contenus - je ne parle pas là des contenus politiques -, un certain nombre d'échanges ont eu lieu entre le pôle « métiers » et le pôle administratif et financier du CIPDR, afin de déterminer s'il serait envisageable de reconsidérer le versement de la seconde tranche de la subvention.

À l'époque - je suppose que vous en reparlerez avec Jean-Pierre Laffite -, le pôle administratif et financier a estimé que tout était en règle sur un plan budgétaire, dans la mesure où toutes les pièces avaient été transmises en temps et en heure, conformément à ce qui était prévu, et on a dépassé le seuil des 60 %. Dès lors, nous en sommes arrivés à la conclusion que, si l'on ne versait pas la totalité de cette subvention, on s'exposait de fait à un contentieux que nous étions presque sûr de perdre.

Au moment de prendre notre décision, nous n'avions de plus pas connaissance de toutes les dérives de l'association. Jusqu'à dernièrement, il y a encore quelques semaines, nous n'avions pas perçu l'ampleur des dégâts liés à ces contenus à caractère politique. Si cela avait été le cas, nous aurions évidemment été en mesure de démontrer la violation substantielle du projet. Aussi, nous aurions pu refuser de verser le reste de la subvention, tout en engageant des procédures sans attendre.

Ne l'oublions pas - je le répète -, l'agent chargé du suivi de « Reconstruire le commun » avait à l'époque un tel travail qu'il n'a pu visionner que quelques-unes des cinquante-sept vidéos produites par l'association, si bien qu'il n'a pas décelé l'ampleur du problème. À partir du moment où nous en avons pris connaissance, tout a été fait pour le résoudre et rectifier ce qui devait l'être.

M. Claude Raynal, président. - Encore une fois, vous admettrez que tout cela peut sembler surprenant : nous ne nous expliquons pas pourquoi, après que vous avez adressé des mises en garde très explicites à cette association, qui n'en a pas du tout tenu compte, vous avez finalement décidé de verser ce complément.

Nous nous posons une autre question : à quelle date la procédure de remboursement a-t-elle été engagée ?

M. Christian Gravel. - Nous l'avons envisagé dès que nous avons été avertis de l'étendue de ces dérives politiques, mais le processus n'a été formellement engagé que la semaine dernière.

Vous imaginez bien que nous n'avions collectivement aucun intérêt à ce que les choses se déroulent ainsi.

M. Claude Raynal, président. - Je n'ai rien dit de tel.

M. Christian Gravel. - Comme je le disais dans mon propos liminaire, la lutte contre le séparatisme et la radicalisation constitue encore un champ expérimental. Dans ce domaine, on ne fait pas de pari : on s'engage. Nous considérions, cabinet comme administration, que nous pouvions faire confiance à cette association, étant donné les gages qui nous était donnés à l'époque, et compte tenu de notre volonté de faire émerger de nouveaux acteurs pour aborder ces sujets.

S'il y a bien une personne qui est profondément affectée par cette situation, c'est votre serviteur...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'engagement n'exclut ni la sobriété ni la rigueur.

Après l'avoir encouragée, vous êtes contraint aujourd'hui de réclamer un remboursement à cette association. À combien estimez-vous le montant du remboursement que vous sollicitez ?

M. Christian Gravel. - La procédure étant en cours, nous allons déterminer très rapidement le montant que nous pourrions exiger de l'association. Cette évaluation étant en cours, je préfère ne pas vous donner de chiffres à ce stade.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous serais reconnaissant de nous faire connaître ce montant dans des délais relativement brefs.

Aucun document mentionnant un échange écrit en 2023 entre « Reconstruire le commun » et le CIPDR n'a été transmis à la commission de finances. Le dernier échange reçu écrit remonte à novembre 2022. Comment expliquez-vous cela ? Vous venez de nous dire que vous avez engagé une démarche de remboursement la semaine dernière. Comment expliquez-vous cette lenteur ?

M. Christian Gravel. - L'association et l'agent chargé de son suivi ont bien eu des échanges par écrit, notamment par SMS et par mail. L'organisation de réunions formelles et l'envoi de convocations démontrent qui plus est notre volonté d'établir un cadre très clair, de faire passer des messages tout aussi clairs concernant les dérives constatées à différents niveaux.

Dans les faits, la procédure de remboursement a été engagée quelques semaines après que l'on eut constaté l'étendue des dégâts.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous confirmez-vous l'absence d'écrit depuis le mois de novembre 2022 et l'absence de réunion formelle depuis le mois de juin 2022 ? Nous avons besoin de disposer de preuves concernant les démarches entreprises par le CIPDR, du moins de celles que vous venez d'évoquer.

Je ne vous cache pas que je suis étonné de la nature des relations que votre comité a nouées avec ces associations, surtout quand on connaît le contrôle parfois tatillon effectué par des administrations dont les moyens sont pourtant bien moindres que les vôtres.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour vos réponses, monsieur le secrétaire général. Nous vous recontacterons si nous estimons que des réponses écrites complémentaires nous semblent nécessaires.

En définitive, vous le reconnaîtrez, les deux projets expérimentaux, qui ont mobilisé chacun des budgets significatifs, ont abouti à un résultat qui pose question : un signalement, pour l'un, et une demande de remboursement, pour l'autre.

Souhaitez-vous ajouter quelques mots ?

M. Christian Gravel. - Sachez que cette situation ne me fait pas rire. Loin de là !

Je sais que quand je parle d'expérimentation, certains pensent que c'est une manière pour moi d'esquiver le débat.

Si l'on se place dans une démarche comparative, si l'on regarde ce qu'il se passe à l'échelle de l'Europe, on découvre que les Britanniques, par exemple, qui ont été les premiers à mener des actions de contre-discours sociétal en ligne, ont commis plusieurs erreurs. Ils ont ainsi été jusqu'à financer des salafistes quiétistes, considérant qu'il s'agissait là du seul moyen de contrer les salafistes djihadistes. Je vous laisse imaginer le résultat...

En France, en 2014, les pouvoirs publics ont fait confiance à une prétendue spécialiste des questions de radicalisation. Je crois même que deux de vos collègues sénateurs ont cosigné un rapport sur le sujet et relevé un certain nombre d'irrégularités : ils se sont étonnés notamment de l'importance des sommes versées à une seule et même structure.

Rappelons-nous encore du centre de déradicalisation de Pontourny.

Bref, en vous répondant aujourd'hui, je n'ai à aucun moment cherché à échapper à mes responsabilités. Confronté à la réalité de ces phénomènes, à leur dynamique, je revendique le fait que nous devons expérimenter, faire émerger de nouveaux acteurs.

Les projets concernés présentaient toutes les garanties nécessaires en termes de structuration, de pertinence et de connaissance et d'analyse des codes de l'internet.

Le reste n'appelle pas d'autre commentaire : j'en suis le premier affecté, moi qui suis un serviteur de l'État. J'ai bien trop conscience de la valeur à la fois des deniers publics et de la responsabilité qui est la nôtre dans la lutte contre la radicalisation.

Pour finir, je tiens à remercier les associations qui se sont engagées avec nous pour leur courage. Je peux vous assurer que certaines d'entre elles vivent mal aujourd'hui le fait que la liste complète des structures financées par le fonds ait été diffusée dans les médias ; quelques-unes ont même songé à cesser leur activité, car elles ne souhaitent pas que leur action soit placée sous le sceau de la lutte contre le séparatisme et la radicalisation. Leurs membres ont peur du cyberharcèlement et des menaces.

Je veux également féliciter et remercier mon équipe qui, quelle que soit la surcharge de travail qui a été la sienne, a toujours su agir avec professionnalisme et rigueur. Elle a accompli sa mission, y compris pour ce qui est du suivi du fonds Marianne.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Pierre Laffite, secrétaire général adjoint du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)

(Mardi 16 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information de notre commission sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Monsieur Jean-Pierre Laffite, vous êtes magistrat et secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). À ce titre, vous avez participé au contrôle de l'exécution du fonds Marianne. Votre audition nous est donc apparue complémentaire à celle de M. Christian Gravel.

Avant d'évoquer la phase de contrôle, nous avons relevé que vous ne faisiez pas partie du comité de sélection des projets. Savez-vous comment sa composition a été arrêtée ? Y a-t-il une raison pour laquelle vous n'en faisiez pas partie ? Avez-vous tout de même participé à la sélection des projets et, plus généralement, quel était votre rôle dans la préparation du fonds ?

Avant de vous donner la parole, je rappelle que seuls les membres de la commission des finances peuvent intervenir lors de cette audition pour interroger la personne auditionnée. L'audition est par ailleurs diffusée en direct sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues par le code pénal.

Monsieur le secrétaire général adjoint, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Laffite prête serment.

M. Jean-Pierre Laffite, secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. - À vos questions liminaires, ma réponse est négative : je n'ai pas participé à la rédaction de l'appel à projets. Je n'ai pas pris part à la définition de la composition du comité de sélection, et je n'ai pas non plus participé à ce comité, comme vous l'avez relevé.

Je n'ai pas de raison précise à vous donner, mais mon analyse personnelle est la suivante : j'étais chargé depuis le 17 décembre 2020, soit quatre mois plus tôt, des fonctions de secrétaire général adjoint, qui correspondent à des fonctions essentiellement financières et budgétaires. Or, le cabinet de la ministre déléguée considérait sans doute que la finalité du fonds était la communication sur les réseaux sociaux, thématique sur laquelle je n'ai aucune compétence. C'est probablement la raison pour laquelle la composition que vous avez mentionnée, que je ne connaissais pas - je l'ai découverte à l'occasion des investigations qui ont été menées - ne comportait pas cette dimension, ce qui soulève, de mon point de vue, certaines questions.

Toujours est-il que, si je n'ai pas participé à la rédaction de l'appel à projets proprement dit, j'ai pris part à une organisation interne au sein du secrétariat général. J'en ai ainsi été informé le 13 avril 2021, lors d'une réunion du comité de programmation, distinct du comité de sélection du fonds Marianne. Le cabinet de la ministre y avait annoncé, non pas un, mais trois appels à projets : l'un pour le fonds Marianne, sur la thématique du contre-discours républicain, un autre sur la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), rattachée quelques mois auparavant, en juillet 2020, au secrétariat général du CIPDR, et un troisième appel à projet sur les actions de lutte contre les atteintes à la dignité humaine, notamment les mariages forcés. Ce dernier n'a jamais eu lieu, et n'a fait l'objet d'aucune traduction budgétaire ni politique.

Ce 13 avril 2021, étant informé du projet - l'appel à projets Marianne serait annoncé le 20 avril -, j'ai pris l'initiative de réunir les acteurs, au sein du service - je ne parle pas du cabinet -, dont il me semblait qu'ils seraient concernés par ces trois appels à projets. C'était le cas de trois pôles métiers, c'est-à-dire de services au CIPDR traitant de différentes politiques publiques - ils se distinguent du pôle administratif et financier, qui sont des pôles support, dont j'ai la responsabilité depuis décembre 2020. Ainsi, il s'agissait de l'unité de contre-discours républicain (UCDR) - vous savez le contexte dans lequel l'autorité politique a confié sa création au secrétaire général -, de la Miviludes, qui n'est pas un pôle à proprement parler, mais est rattachée à la personne du secrétaire général, et du pôle de lutte contre l'islamisme radical et le communautarisme, qui a changé de nom depuis. Toutefois, ce pôle était concerné par le troisième appel à projets, qui n'a pas abouti.

J'ai rédigé le compte rendu de cette réunion, que j'ai envoyé au préfet le 22 avril. J'avais alors deux objectifs, car je sentais venir des difficultés : résoudre le problème d'organisation et assurer le respect des process. Je ne sais pas si cela a été mentionné lors de l'audition précédente, mais le secrétariat général du CIPDR a défini le process de distribution des subventions publiques dans un document élaboré en 2017. En effet, en 2016, pour la première fois, les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ont été confiés en gestion directe au secrétariat général, en application de la loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, à la suite de la suppression de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), qui gérait le FIPD en notre nom, car nous n'avions pas de pôle administratif.

C'est dans ces conditions complexes, en 2016, qu'il a fallu créer l'ébauche d'un pôle financier, alors que nous n'avions aucun fonctionnaire doté de compétences budgétaires. En 2017, avec le recrutement d'un secrétaire général adjoint, le ministère de l'intérieur a mis en place la politique de contrôle des risques avec, notamment, un logigramme sous le format d'un tableau Excel. Il définit qui fait quoi pour gérer les subventions en central. Le document a été révisé en 2018 et en 2019, et c'est cette dernière version qui s'est appliquée en 2021, au moment du lancement de l'appel à projets du fonds Marianne. Elle ne me semblait d'ailleurs plus à jour, j'ai dû y retravailler récemment. En effet, entretemps, sans doute entre la fin 2020 et avril 2021, le cabinet de Mme Schiappa avait décidé d'élever à son niveau la prise de décision sur l'attribution des crédits pour les subventions en central. Jusqu'alors, le secrétaire général en décidait seul, pour les actions d'une certaine ampleur, en réunion du comité de programmation.

C'est pourquoi ont été mis en place les comités de programmation ministériels, dont le premier semble être celui du 13 avril 2021. Je n'ai pas trouvé trace d'un précédent. Le 22 avril 2021, j'ai donc réuni les acteurs métiers pour rappeler les règles du logigramme, qui comportait alors douze étapes - il y en a quatorze désormais - qui organisent, en résumé : la réception de la demande, l'instruction du dossier, la réception des pièces, la mise en forme des actes attributifs de subvention, qui relèvent de mon service, le contrôle de l'exécution et la réception des documents des pôles métiers et des associations, qui rendent compte - c'est la loi - de l'exécution, tout est défini. Or, ce 22 avril 2021, parmi ces trois pôles, un seul agent connaissait la matière : c'est elle qui allait instruire les dossiers du fonds Marianne. Elle avait en effet l'habitude, depuis environ deux ans, d'instruire des dossiers de demande de subvention, notamment sur le contre-discours républicain : c'était son domaine.

Tel n'était pas le cas des deux autres pôles, notamment la Miviludes, qui n'a jamais été concernée par les subventions, que ce soit leur statut juridique ou les pièces à demander. Tout était à faire. C'était la raison de cette réunion, au cours de laquelle j'ai également demandé aux responsables des pôles métiers de désigner un référent. En effet, je pressentais des difficultés de ressources humaines, parce que le pôle que je dirige avait - et aurait encore pour plusieurs mois - un effectif très tendu. Un référent sera donc désigné pour la Miviludes, mais pas pour le pôle instruisant les dossiers du fonds Marianne, puisque j'estimais, je pense à raison, que l'agent était déjà formé.

C'est dans cette organisation interne que se situe mon rôle. Même s'il n'y a eu que deux appels à projets formalisés en 2021, c'est cette année qui a constitué le record du nombre de demandes de subventions instruites au niveau central. J'ai fourni récemment ces éléments à la Cour des comptes, qui a passé six mois dans nos locaux pour mener une étude. Nous en avons ainsi enregistré une centaine - 98 il me semble -, contre une cinquantaine l'année précédente et une trentaine habituellement.

Mon pôle comporte deux agents. Nous en avons recruté un troisième en mars, mais il gère le budget de fonctionnement, et n'a donc pas de compétences dans ce domaine. Les deux autres ont des compétences distinctes. L'un est chargé du budget opérationnel de programme (BOP), la racine des crédits du FIPD, afin de les déléguer au niveau central, mais surtout en préfecture : ceux-ci représentaient, en 2021, 54 millions d'euros, sur un total d'environ 65 millions d'euros. Le second agent met en forme l'ensemble des dossiers du fonds Marianne, tels qu'ils résultent de l'arbitrage du 21 mai. En réalité, c'est cette dernière personne qui était chargée de mettre en forme les 98 dossiers de l'année 2021. Une exception toutefois : à l'été 2021, compte tenu d'une masse de travail qui déstabilisait le service, l'agent instruisant les dossiers du fonds Marianne, qui appartenait donc à un autre pôle, a accepté de mettre en forme un certain nombre de conventions budgétaires attributives de subvention, afin de soulager mon service, qui n'était pas en mesure de traiter tous les actes dans les délais.

Autour du 10 décembre de chaque année, la direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier (Depafi) du ministère de l'intérieur rappelle qu'approche la date limite de clôture des autorisations d'engagement (AE) et des crédits de paiement (CP). Ainsi, pour anticiper cette échéance, elle m'a soumis dès juillet, pour contrôle, des dossiers rattachés au fonds Marianne.

C'est alors que je découvre le contenu des demandes de subvention, à l'exception de celui de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM). En effet, cette association, le 9 avril 2021, donc avant la connaissance publique de l'appel à projets, avait envoyé au secrétaire général - c'est la compréhension que j'en ai - une demande de subvention pour des sommes très importantes : 635 000 euros. J'ai fait part de ma surprise par mail, s'agissant d'une association que nous n'avions jamais financée et que je ne connaissais pas, indépendamment de son ancienneté.

En outre, son budget prévisionnel mentionnait un excédent au bénéfice de l'association. Un excédent raisonnable est certes autorisé, mais celui-là me semblait suffisamment significatif pour que j'en fasse part au secrétaire général, lui indiquant que cela me semblait inacceptable.

Le comité de programmation, le 13 avril 2021, a examiné cette demande, avec un montant alors arbitré de 300 000 euros. Cela apparaît dans un tableau restitué après la réunion. Ce dossier a ensuite intégré - pour des raisons peut-être commentées il y a un instant - l'appel à projets du fonds Marianne, dans des conditions que je ne maîtrise pas pleinement. Un montant de 355 000 euros a été arbitré le 21 mai. Ce dossier est donc le seul dont j'ai eu connaissance du contenu avant la réception des 71 dossiers dont l'agent devait assurer l'instruction.

J'ai découvert les autres dossiers au moment de la formalisation des actes attributifs, c'est-à-dire la mise en forme, assurée par mon pôle et par l'agent qui apportait son aide. Il y a deux types d'actes, selon les montants, en application de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, modifiée en 2014. En deçà d'un seuil de 23 000 euros, l'acte est unilatéral, en l'occurrence un arrêté attributif signé par le secrétaire général. Au-delà, il s'agit d'une convention bilatérale, plus exigeante dans sa formalisation et le contrôle, avec double signature. La plupart des dossiers de l'appel à projets sont dans ce cas, avec deux arrêtés pour quinze conventions.

C'est alors que je vois apparaître les montants arbitrés. Ce qui attire mon attention - des mails de ma part en attestent - est celui, significatif, accordé à l'association Reconstruire le commun. Elle avait déjà été financée, à hauteur de 39 000 euros, dans des conditions assez compliquées. Dans mes mails, j'indique que cette association, récente, a bénéficié d'un montant important. De plus, les Cerfa de demande de subvention comportent de nombreux critères, dont les moyens humains de la structure qui seront utilisés pour gérer l'argent. S'il n'y a personne, cela interroge. Or, c'était le cas pour Reconstruire le commun. Certes, certains bénévoles peuvent avoir cette compétence - c'est toute la complexité des associations. Néanmoins, un effectif de 1 ou 0,5 équivalent temps plein (ETP) apparaissant dans le Cerfa pour 330 000 euros demandés, sans être un critère dirimant, m'alerte. J'ai donc notifié l'instructrice du dossier et mon pôle.

M. Claude Raynal, président. - Avant de poursuivre, M. le rapporteur va vous demander quelques compléments. Nous avons reçu copie d'un certain nombre de vos mails, qui vont dans le sens de ce que vous évoquez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez récapitulé vos fonctions depuis votre arrivée en 2020 et le rôle des comités ministériels de programmation, à commencer par celui qui s'est réuni 13 avril 2021. La procédure administrative et juridique, avec les douze étapes à suivre, est donc bien établie.

M. Jean-Pierre Laffite. - Je vous le confirme.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Voilà qui éclaircit les choses.

Vous avez ensuite mentionné qu'une seule personne disposait des compétences budgétaires et comptables : quel est son nom ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Dans le pôle métier concerné, l'agent qui avait une formation et la connaissance des dossiers est Charlotte Collonge. C'est elle qui en a instruit la totalité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est bien ce que j'imaginais. On voit qu'il y a un lien lorsqu'elle quitte le service.

L'USEPPM, avant même le lancement officiel du fonds Marianne, a adressé au comité interministériel une demande de subvention de 635 000 euros. Vous nous avez fait part du manque d'information, pour un montant si élevé, avec un excédent significatif dans la présentation comptable. Pourriez-vous réexpliquer comment nous en sommes arrivés aux 335 000 euros, avec donc une diminution de près de 300 000 euros ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Le comité de programmation ministériel du 13 avril a pris la décision de rabattre sensiblement cette prétention, dans un contexte dont je ne me souviens plus.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il prend la décision de retirer 300 000 euros, laissant 335 000 euros.

Vous avez indiqué que la procédure laisse la main au CIPDR jusqu'à 23 000 euros. Au-delà, ce n'est plus discrétionnaire, avec une convention et la double signature. Vous avez mentionné le versement de 39 000 euros dans des conditions difficiles : pourriez-vous nous préciser le contexte ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Je pense que je n'étais pas présent à ce moment-là, car cela s'est passé à la fin de l'année 2020, alors que je n'avais pas encore les responsabilités qui sont les miennes. On a eu des difficultés pour identifier l'acte juridique ayant abouti à la délivrance de cette somme - je vous rassure, il existe bien. Il y a eu une décision, dont je n'ai pas retrouvé la trace - elle a bien été prise, puisque la convention a été passée, avec la signature du secrétaire général et de la présidente de l'association -, qui date du 28 décembre 2020. Or, cette date correspond à un moment où il n'y a plus de crédits disponibles : c'est le plus mauvais moment pour attribuer une subvention.

Mon service dresse des tableaux de suivi de chaque convention, avec la date de délivrance du premier acompte et du solde, quand il y en a un. Y est mentionnée la convention, en 2020, mais aussi le fait que la somme a été « basculée » en 2021, pour des raisons budgétaires : lorsque le secrétaire général du ministère de l'intérieur nous a notifié les crédits, nous les avons donc attribués au titre de l'année 2021.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Une subvention est donc attribuée le 28 décembre 2020, alors qu'il n'y a plus de crédits, et le versement est fait au titre de l'année suivante. Cela limite-t-il le contrôle ?

M. Jean-Pierre Laffite. - La situation est en tout cas discutable, mais on ne s'en est rendu compte que plus tard, voire trop tard, sans remettre en cause l'attribution. La convention, signée en 2020, aurait dû permettre l'imputation des charges sur l'exercice 2020. Or, l'exécution, et donc la dépense, a eu lieu en 2021 : nous avons donc recherché un avenant. C'est assez courant : notamment durant la crise sanitaire, de nombreuses associations, faute d'avoir exécuté leur action en 2020 ou 2021, ont signé des avenants pour prolonger la durée d'exécution. Nous n'avons pas retrouvé trace, pour ce dossier, d'un avenant qui aurait encadré juridiquement la prolongation. Pourtant, c'est ce qui s'est passé. Le compte rendu financier, obligation légale, atteste de l'exécution de ces 39 000 euros : il s'agissait de créer le site internet de cette association, instituée en octobre 2020, et de promouvoir certains dispositifs sur les réseaux sociaux. Les comptes rendus, formellement, montrent que cette action a bien eu lieu, je n'ai pas de raison de le remettre en cause. C'est ce basculement entre les deux exercices budgétaires qui a complexifié les choses.

Nous aurions sans doute dû contrôler, avant le 21 mai 2021, le contenu des demandes de subvention, avec l'appui d'autres acteurs que le seul agent, qui devait instruire 71 dossiers, ce qui est considérable. Cela n'a pas eu lieu, pour deux raisons. D'abord, je n'ai pas été associé à cette phase de préparation et d'instruction des dossiers. Ensuite, nous avions un agent qui, hors de ses fonctions directes, a apporté cet appui pendant des années, qui était un référent de contrôle interne financier (RCIF). Cet agent était chargé de suivre et contrôler le processus de dépense, par sondage - il serait impossible de contrôler 100 subventions par an - pour s'assurer du respect du logigramme en douze étapes par les agents internes, mais il effectuait aussi le contrôle de deuxième niveau, de la réalité des dépenses, justificatifs et factures à l'appui.

Or, entre février 2021, le lancement du fonds Marianne, et septembre 2022, il n'y a plus eu d'agent en service. J'ai participé au recrutement de son remplaçant, qui me semblait indispensable, mais cela a été très compliqué : l'essentiel des nombreux candidats, issus du privé - banque, audit, assurances -, ne maîtrisait pas le budget de l'État. Nous avons finalement recruté une personne qui est d'ailleurs en train de contrôler plusieurs des associations dont nous avons parlé depuis mars 2023.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Bien qu'expérimenté, vous êtes nommé depuis peu au moment de la mise en place du fonds Marianne, avec certaines difficultés et l'absence totale de la personne qui assure le contrôle interne et financier durant 18 mois. En outre, la personne-ressource dans le pôle du comité quitte ses fonctions en fin d'année 2021. Voilà des indices sur des difficultés que nous constatons.

Vous ne faites pas partie du comité de sélection, vous intervenez après. Cela étant, confirmez-vous bien que, avec la réunion du 22 avril, le processus en douze étapes est bien appliqué pour l'ensemble du fonds Marianne ?

M. Jean-Pierre Laffite. - J'en tiens le compte rendu, dont j'ai une version imprimée avec moi, à votre disposition, mais il s'agissait d'un simple rappel. En mai ou en juin, nous avons mis en place une formation spécifique au bénéfice d'un agent de la Miviludes. Nous avons donc expliqué à cette personne, qui allait instruire tous les dossiers de l'appel à projets de la lutte contre les dérives sectaires, comment recevoir une demande de subvention et examiner son contenu pour repérer des incohérences, voire des absurdités, dont l'excédent possible dans un budget prévisionnel, ou l'absence de ressource humaine pour gérer les crédits. Cette formation a eu lieu, avec quelques réunions et un document, mais il s'agit bien de la Miviludes, pas du fonds Marianne, pour lequel j'estimais que l'agent avait la compétence, malgré la masse de travail que cela représentait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous relevons néanmoins, dans des mails de juin et juillet 2021, vos interrogations sur l'octroi d'une subvention de 330 000 euros à Reconstruire le commun. Vous vous étonniez alors de sa création récente, sans salarié ni prévision de recrutement. Était-ce une première pour vous ? Comment les destinataires de vos messages ont-ils réagi ? Quelles mesures ont été prises ?

M. Jean-Pierre Laffite. - C'est la règle budgétaire : une fois l'acte décidé au niveau ministériel, rédigé et signé par les deux parties, il devient engagement juridique (EJ). Il doit donc avoir une traduction budgétaire dans l'application Chorus. Nos conventions prévoient l'engagement de 100 % des AE et la consommation d'une partie des CP. Nous avons donc versé l'argent, malgré mes remarques.

Attention, ce n'est pas parce qu'une association n'a pas de salarié qu'elle ne peut pas gérer les montants, notamment avec ses bénévoles. En outre, le document prévoyait non pas des recrutements, mais le recours à des prestataires, ce qui est classique et est une traduction de l'action. Ce n'est donc pas inconcevable, mais c'est un élément d'alerte. C'est pourquoi, comme je l'indiquais dans un de mes mails, que j'estimais que cela méritait un contrôle a posteriori sur la réalité de la consommation des crédits, notamment de deuxième niveau, sur un échantillon de pièces justificatives.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'était donc une alerte.

M. Jean-Pierre Laffite. - En effet.

M. Claude Raynal, président. - Le visa est donc donné et l'opération démarre. Pourriez-vous nous parler de l'exécution du fonds Marianne, après la sélection des projets et les premiers versements ? Quels contrôles avez-vous menés ? Étaient-ils sur pièce ou prenaient-ils une autre forme ? Leurs modalités étaient-elles semblables à ceux concernant d'autres associations, comme dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIDPR) ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Le contrôle des dix-sept dossiers de l'appel à projets doit être et a été, je pense, identique à celui des autres actions financées. Il est double, avec tout d'abord le contrôle métier. C'était le fond du problème pour Reconstruire le commun, même si j'avoue, à nouveau, n'avoir aucune compétence en matière de communication digitale. C'est le rôle du pôle métier.

Le contrôle est ensuite budgétaire, qui prend deux formes. Il prend tout d'abord une forme conventionnelle - l'article 4 du modèle de convention le mentionne - qui tend à contrôler l'état déclaratif de dépenses avant de délivrer le solde de la subvention. Cela ne concerne pas les dossiers inférieurs à 23 000 euros, pour lesquels nous appliquons la règle AE=CP : dans ce cas, nous délivrons en même temps et unilatéralement la totalité des AE et des CP. Pour les conventions, un acompte de 75 % permet de lancer l'action. Ensuite, le contrôle a lieu sur deux documents : une attestation sur l'honneur du responsable de la structure financée, qui doit indiquer qu'elle a atteint un taux de dépense du budget prévisionnel égal à au moins 60 %, ainsi qu'un tableau normalisé, que nous fournissons, récapitulant charges et produits prévisionnels et réalisés. Ces montants déclaratifs justifient le taux de 60 % du budget de départ. C'est sur la base, au minimum, de ces deux documents que nous décidons du versement du solde de 25 %.

À ce stade, tout est déclaratif, sans contrôle sur pièces. Toutefois, en tant que pénaliste, je rappelle qu'une attestation sur l'honneur fausse peut poser des difficultés et l'application des sanctions contre le faux et l'usage de faux.

M. Claude Raynal, président. - Sur les dix-sept associations, combien ont-elles posé problème au stade du contrôle budgétaire ? N'y en a-t-il bien que deux ? Pour celles-ci, le problème était-il de nature budgétaire, ou bien sur le contenu de l'action ?

M. Jean-Pierre Laffite. - J'ai décrit le contrôle conventionnel. Il y a aussi un contrôle légal, relevant de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000, modifiée en 2014 avec, pour la première fois dans la loi française, la définition d'une subvention. Cet article prévoit un compte rendu financier (CERFi) : la structure bénéficiaire, en clôture d'action, atteste de la conformité de la dépense à la subvention accordée. Là encore, le document est déclaratif, avec les mêmes conséquences pénales. Ce document est imposé.

Dans les dossiers de l'appel à projets du fonds Marianne, mis à part dans deux cas - mais nous sommes encore dans les délais pour fournir les CERFi -, la totalité des dossiers a été fournie, même avec certains retards. Il n'y a donc pas d'absence totale de coopération d'une association. En revanche, les difficultés, sur le plan budgétaire, surgissent pour une association, l'USEPPM.

En effet, la loi prévoit que le CERFi est fourni dans les six mois suivant la clôture de l'exercice budgétaire pour lequel la subvention a été accordée. Nos conventions sont plus exigeantes : elles prévoient un délai de six mois après l'achèvement de l'action, ce qui peut être plus court. Or, pour l'USEPPM, le point de départ de ce délai a été considéré, peut-être à tort, comme étant le 31 mai 2022, en raison d'une demande d'avenant pour prolonger de trois mois le délai d'exécution de l'action, du 28 février au 31 mai 2022. Or si le secrétaire général en a accepté le principe, nous n'avons pas retrouvé trace d'un document signé par le président de l'association, malgré une relance.

Le CERFi aurait donc dû être fourni dans les six mois; or tel n'était toujours pas le cas en février 2023. C'est alors que je suis intervenu, avant donc que les difficultés n'éclatent publiquement. En effet, le 14 février, le pôle métier UCDR m'a alerté. Alors que c'est ce pôle qui doit recevoir les documents budgétaires avant de les transmettre à celui dont j'ai la responsabilité, cela faisait plusieurs mois qu'il n'arrivait pas à en obtenir la restitution. Le 14 février donc, le responsable du pôle m'a alerté de l'impossibilité d'obtenir le CERFi de l'USEPPM. J'ai réussi à joindre par téléphone Cyril Karunagaran, président de l'association, alors qu'il semble qu'il ne répondait pas à mes collègues, pour lui faire remarquer que nous n'avons pas reçu le compte rendu financier. Surtout, à cette occasion, je découvre que les autres documents, qui ont bien été fournis en 2022 - état des dépenses notamment - révèlent que le seuil de 60 % n'a jamais été atteint. J'ai donc indiqué au président de l'association qu'on ne pouvait verser le solde en l'état, pour des raisons conventionnelles.

Je lui ai demandé par mail de me transmettre ce CERFi, ce qu'il aurait dû faire au plus tard en novembre 2022. Je lui ai aussi enjoint, l'action étant terminée et afin de prévenir tout contentieux, de renoncer expressément au solde. C'est ce qu'il a fait, en envoyant le document le lendemain, le 15 février, tout en indiquant qu'il renonçait au solde. Il y a donc bien un problème budgétaire.

M. Claude Raynal, président. - S'il y a eu un décalage de novembre à février, est-ce donc bien le temps entre le moment où le pôle métier notifiait un retard et celui où il vous indique qu'il n'arriverait pas à obtenir les documents ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Exactement.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez mené un contrôle budgétaire approfondi sur une autre association, Civic Fab. Finalement, plutôt que deux associations avec des problèmes avérés - ceux d'ordre budgétaire relevés en février 2023, et les difficultés de contenus, ayant transpiré jusqu'à votre service, de Reconstruire en commun - c'est plutôt une troisième qui est contrôlée. Est-ce bien logique ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Civic Fab posait une autre difficulté : ses documents budgétaires montrent que nous n'aurions pas dû lui verser le solde.

M. Claude Raynal, président. - Elle n'atteignait pas les 60 % ?

M. Jean-Pierre Laffite. - En effet. J'avais donné des instructions pour ne pas le faire, mais une action malencontreuse d'un agent a conduit à le verser - j'en prends ma responsabilité. Avec le nouveau référent de contrôle interne financier (RCIF) arrivé en septembre 2022, nous avons examiné, en novembre, les dossiers posant problème. Comme j'avais indiqué par écrit que, compte tenu de ce versement, il y aurait matière à contrôler Civic Fab, nous l'avons retenue, avec deux autres.

M. Claude Raynal, président. - Voilà qui explique pourquoi elle était mentionnée.

Mme Sylvie Vermeillet. - Puisque, pour les deux associations concernées, le montant des subventions dépassait les 153 000 euros, avez-vous vérifié dans votre procédure de contrôle si un commissaire aux comptes avait été nommé ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Quand on dépasse les 153 000 euros, il est obligatoire de verser au dossier que nous demandons les comptes annuels, soit un bilan sous forme de plan comptable associatif, et le rapport d'un commissaire aux comptes. Je ne peux affirmer que cette obligation ait été respectée par l'ensemble des dossiers : je n'ai pas en tête la totalité du contenu de chacun. En dessous de 153 000 euros, un simple état financier est exigé.

M. Jean-François Husson, rapporteur- Pour revenir à l'USEPPM, vous évoquiez votre réaction du 14 février 2023, suivie, un mois après, d'une prise de contact pour informer l'association d'un contrôle sur pièce. Aviez-vous des craintes concernant le fonctionnement de cette structure ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Le 14 ou le 15 mars 2023, nous avons reçu son compte rendu financier. Il s'agit d'un Cerfa, c'est-à-dire d'un document formalisé, normalisé, qui contraint la rédaction. À la lecture, j'ai noté que la première partie relative au bilan quantitatif - voire qualitatif - de l'action n'était pas remplie. J'ai signalé par courriel ce manquement, sans recevoir de réponse. Après plusieurs jours et plusieurs relances, constatant l'absence de réaction et l'omission d'autres documents, à savoir le rapport du commissaire aux comptes et les bilans de 2021 et 2022, j'ai annoncé qu'un contrôle sur pièce serait effectué en application de l'article 8 de la convention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre réaction aurait été provoquée par l'absence d'éléments relatifs au bilan d'action : vous avez jugé le dossier insuffisant. Si, d'aventure, il était assuré que ce bilan avait alors été jugé positif, quelle serait votre réaction ? Confirmeriez-vous que ce serait inexact ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Je ne peux rien affirmer sur le fond : je ne maîtrise pas précisément le sujet. Des tableaux devant être remplis et des indications fournies dans des documents normalisés, apprécier le contenu même de l'action nécessite de faire intervenir des personnes au sein de nos services plus à même d'exprimer un avis. Je n'ai pas à juger. En revanche, concernant non pas l'USEPPM, mais l'autre association, si la réalisation de l'action s'écartait de l'objet défini dans la convention, il y aurait matière à remettre en cause l'attribution de la subvention.

Dans le cas de l'USEPPM, le problème est budgétaire. Même si les dirigeants de l'association avaient rempli correctement le bilan du compte rendu financier figurant dans la première partie, cela n'aurait rien changé au non-versement du solde : ils ne remplissaient pas les conditions conventionnelles.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cette association donne lieu à des inquiétudes pour plusieurs raisons au regard de son exécution financière pour 2021 et 2022. En effet, elle indique une subvention de 145 000 euros de la part des régions ainsi qu'une aide privée autour de 45 000 euros, et certaines charges sont sous-exécutées. De plus, les charges qui sont relatives au personnel représentent au global 87 % de l'exécution en 2022 : le bilan de l'association ne se réduit-il donc pas à de telles dépenses ?

M. Jean-Pierre Laffite. -Il faut prendre de la distance par rapport à ces signaux d'alerte. En soi, le fait de payer des personnes pour travailler sur les réseaux sociaux n'est pas choquant. Il faut prendre en compte l'achat de matériel, les imputations de charges fixes comme la location d'un local ou une partie de l'assurance si le montant est raisonnable et adapté.

De mémoire, les charges de personnel figuraient dans la demande même de subvention, qui présentait une indication précise des recrutements de salariés. Les noms n'apparaissaient pas, mais ils ne figurent jamais dans ces demandes. Dans la dernière version du document reçu, il me semble que le recrutement concernait six personnes : deux contrats à durée indéterminée et quatre à durée déterminée. Il n'était pas incohérent qu'une large partie de la subvention serve à recruter, entre autres, des community managers. Je n'avais pas instruit le dossier à ce stade, donc je n'avais pas précisément connaissance de ce qu'allaient représenter ces charges, mais elles n'étaient pas incohérentes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Bénéficiez-vous déjà d'une première évaluation concernant le contrôle que vous avez lancé à la mi-mars 2023 ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Même si plus de 200 documents ont été fournis, pour le moment, je ne peux guère émettre d'affirmations. De nombreux bulletins de salaire y figurent. J'avais demandé - je suis parti du service depuis - qu'on ne s'en satisfasse pas, étant donné le contexte : je souhaitais que l'on dispose également des contrats de travail. Je ne les ai pas vus. Certains bulletins de salaire sont manifestement en lien avec deux personnes identifiées dans l'association.

Les montants figurent dans un tableau synoptique qui classe par année la totalité des charges, car, en plus des contrôles, l'article 6 de la convention vise à la mise en place d'un outil analytique. L'association nous a bien restitué des tableaux Excel où sont classés par année et par catégorie les montants associés aux différentes charges. Reste à vérifier s'ils correspondent à l'action financée. On y voit apparaître des salaires ; les deux plus importants sont d'un peu plus de 3 000 euros, le plus élevé étant compris entre 3 500 et 3 900 euros. Ils sont présents sur plusieurs mois à partir de la délivrance des premiers crédits de paiement en juin 2021.

M. Claude Raynal, président. - Des réunions se sont tenues au sujet de l'association Reconstruire le commun à propos des contenus et messages présentés comme politiques. Avez-vous été associé à cette réflexion ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Pas sous cette forme. On m'a demandé de participer à une réunion en mars 2022, me semble-t-il, où, dans mes souvenirs, l'aspect politique n'a pas du tout été abordé. Il l'a peut-être été de manière incidente, mais ce n'était pas le sujet. L'enjeu était celui de la faible pénétration sur les réseaux sociaux, posant la question de la qualité du produit : le nombre d'adhérents était assez faible. Il s'agissait de déterminer s'il était possible de remettre en cause le montant de la subvention, ce qui était compliqué, car l'acte était signé. Pour ce faire, il aurait fallu que l'association s'éloigne de l'objet même de la convention.

Pour donner un autre exemple qui révèle l'absence de méthodologie de contrôle avant la prise de décision, une rubrique de la convention est nommée « Critères d'évaluation ». Ces critères ont été acceptés, car ils sont un copié-collé du Cerfa : sauf difficulté majeure, lors de la mise en forme de l'acte attributif, les termes du formulaire de demande de subvention sont repris et annexés à la convention. Or, dans ces « Critères d'évaluation », les termes acceptés le 21 mai 2021 lors du comité de sélection sont vagues, voire très vagues. L'un d'entre eux est l'« évaluation qualitative » : la traduction qui en a été faite dans la convention est : « évaluation qualitative »...

Avec un critère de cette nature, il est extrêmement compliqué de remettre en cause le non-respect de l'évaluation prévue dans la convention. J'avais dit lors de cette réunion qu'il fallait opérer un suivi de l'association, mais que la remise en cause du principe même de la subvention était complexe. Un acte ayant été signé par chacune des parties, nous risquions un contentieux délicat.

Quoi qu'il en soit, même s'il a pu apparaître de manière incidente, le contenu politique n'a pas été le point central de nos échanges en mars 2022. Je n'ai pas été associé aux échanges où cet enjeu a surgi de manière bien plus nette : je les ai découverts par la suite.

M. Claude Raynal, président. - Finalement, les 25 % restants ont été versés.

M. Jean-Pierre Laffite. - Oui.

M. Claude Raynal, président. - Globalement, les conditions financières et administratives étaient remplies, même si celles qui sont liées au fond étaient un peu ténues. Après avoir décaissé les fonds et constaté que les difficultés se poursuivaient, une demande de remboursement a été faite.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pouvez-vous décrire comment la procédure de remboursement est menée ? Avez-vous une estimation du montant de la subvention qui pourrait faire l'objet d'une demande de remboursement ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Les conventions prévoient deux méthodes : soit l'État émet un titre de perception à l'issue d'une procédure contradictoire, soit - mais la procédure est plus complexe et plus rare - l'on impute le trop-perçu sur le montant de la subvention si un renouvellement est prévu l'année suivante. Ce dispositif est expressément prévu dans l'un des articles de la convention. Dans le cas qui nous concerne, nous sommes dans le cas classique de l'émission d'un titre de perception.

À ce stade, je ne peux pas vous indiquer le montant de la restitution au profit de l'État. Il s'agit pour l'instant de calculer très précisément l'imputation budgétaire qu'ont représentée pour la subvention toutes les prestations qui se sont écartées de l'objet de la convention. Selon mes collègues qui travaillent en lien avec les réseaux sociaux, ce calcul est a priori possible, car dans la convention les montants figurent par prestation : on sait, par exemple, que la réalisation d'une vidéo coûte 6 000 euros. Il est donc possible de calculer précisément le coût, et ce dans un cadre contradictoire. J'ai lancé la procédure il y a trois ou quatre jours et nous attendons les observations de la partie adverse.

Mme Isabelle Briquet. - Une subvention de 39 000 euros a été versée au début de 2021. Lors de la précédente audition, M. Gravel a précisé qu'elle devait servir à accompagner le lancement de l'association Reconstruire le commun. Ce choix s'inscrit en contradiction avec l'objet même du fonds interministériel de prévention de la délinquance, qui vise à financer des projets, mais pas directement des structures. Qu'est-ce qui a justifié la dérogation dont a bénéficié l'association Reconstruire le commun ? Les subventions du fonds Marianne à cette association, ainsi qu'à l'USEPPM, ont-elles couvert une part supérieure à 10 % du fonctionnement administratif des deux associations ? Autrement dit, a-t-on financé des projets ou bien des structures associatives ?

M. Jean-Pierre Laffite. - L'objet du fonds interministériel est défini dans la loi, ce qui n'est pas le cas de tous les programmes budgétaires de l'État. La loi du 5 mars 2007 prévoit, dans son article 5, que le FIPD finance des actions de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Je n'ai pas trouvé trace des conditions dans lesquelles la décision d'attribuer cette subvention de 39 000 euros a été prise, mais la convention a bel et bien été passée. De mon point de vue, elle prévoyait que la subvention aurait pour objet non pas le fonctionnement de l'association, mais la création d'un site internet avec des contenus. Il s'agissait donc bien d'une action et la convention était, formellement, régulière.

M. Claude Raynal, président. - Pour le dire autrement, il s'agissait d'une action faite dans le cadre du lancement d'une association.

M. Daniel Breuiller. - Est-il fréquent d'attribuer une subvention et de signer une convention avec une association qui n'a pas d'existence préalable ? J'ai été maire pendant vingt ans et je n'ai jamais subventionné d'association sans preuve préalable de sa constitution. Or je comprends là qu'il s'agit d'accompagner la création de l'association. Aurais-je mal interprété vos propos ?

Vous avez décrit avec rigueur l'élaboration pour vos collaborateurs d'un processus très fin de suivi des attributions de subvention et d'analyse des dossiers de candidature. Vous avez indiqué que, en 2020, le cabinet de Mme Schiappa avait fait remonter à son niveau l'attribution des subventions. Le cabinet ministériel a-t-il été soumis à ce suivi, selon les procédures définies par votre direction ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Le document qui faisait référence lorsque l'appel à projets a été lancé datait de 2019 et n'avait pas été remis à jour. Le cabinet ministériel n'apparaissait donc pas dans ce document, d'où la difficulté à laquelle nous avons été confrontés. Lorsque, en avril 2021, le cabinet a élevé à son niveau la prise de décision, le document n'était donc pas à jour ; j'ai depuis procédé à cette mise à jour, il y a quelques jours.

Je n'ai pas d'observation à faire concernant le lancement de l'association, car je n'ai pas participé à la prise de décision. Je ne peux que constater qu'une convention a été signée, le 28 décembre 2020, avec une association dont l'existence très brève ne pouvait qu'interroger - j'ai écrit un mail à ce sujet - dès lors que l'on choisissait de lui attribuer non pas 39 000 euros, mais 330 000 euros. Je ne peux que constater la situation : l'association a été créée en octobre 2020, en décembre de la même année elle a reçu 39 000 euros, puis en avril plus de 300 000 euros.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous nous avez dit que les subventions dans le cadre du fonds Marianne relevaient initialement du CIPDR avant de passer sous compétence ministérielle à l'arrivée de la nouvelle ministre. Cela vous paraît-il justifié encore aujourd'hui ? Connaissez-vous les raisons de ce changement ? Compte tenu du montant des subventions, qui peut être très élevé, vous semble-t-il bon que leur attribution relève d'une décision ministérielle ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Je n'ai pas à juger d'une décision ministérielle. Toutefois, un certain nombre d'éléments font que l'on peut s'interroger sur ce sujet. Ainsi, qui est l'ordonnateur de la dépense ? C'est le secrétaire général et non pas la ministre qui est responsable du budget opérationnel de programme et qui signe les actes attributifs.

Il faut toutefois se rappeler que, en 2020, il y a eu un changement radical dans les relations entre le ministère et l'administration, car pour la première fois, le décret d'attribution de la ministre épouse toutes les compétences de notre service. Cela a contribué à créer un lien très fort entre la ministre et notre service administratif, dont on a parfois du mal à qualifier les missions. En effet, le secrétariat général du CIPDR distribue des crédits, mais il rédige aussi des stratégies nationales.

Il faut également prendre en compte un autre aspect, qui relève, si je puis dire, davantage de l'humain que de l'aspect administratif et budgétaire : lorsque le cabinet de la nouvelle ministre s'est formé, deux de nos collègues, membres du secrétariat général, y ont été intégrés. Or, ils avaient participé au comité de programmation précédent et connaissaient son fonctionnement. Sans être affirmatif, il me semblerait assez logique qu'ils aient expliqué la gestion des crédits centraux du FIPD, de sorte que le cabinet a pu trouver logique de faire intervenir un regard politique compte tenu de l'incidence de cette gestion sur les crédits de l'État.

M. Claude Raynal, président. - D'un point de vue technique, pouvez-vous nous préciser ce qu'est le seuil de 60 % pour obtenir le complément de subvention : faut-il justifier de 60 % de la consommation de la subvention ou de 60 % de la réalisation du programme ?

M. Jean-Pierre Laffite. - Le seuil est fixé à 60 % des dépenses prévisionnelles qui figurent dans la demande de subvention.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour toutes les précisions que vous nous avez apportées.

Audition de MM. Abdennour Bidar, président de Fraternité générale, Xavier Desmaison, président de Civic Fab et Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch

(Mardi 30 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs fixés. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons aujourd'hui les représentants de trois des dix-sept associations ayant bénéficié du fonds Marianne : M. Abdennour Bidar, président de Fraternité générale, accompagné de Mme Fabienne Servan-Schreiber, membre du Bureau, et de M. Baptiste Larroudé-Tasei, délégué général ; M. Xavier Desmaison, président de Civic Fab ; et M. Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch.

Nous avons reçu de chacune de vos associations des éléments écrits, en réponse au questionnaire qui vous a été adressé, ce dont nous vous remercions.

Lors de son audition, le 16 mai dernier, le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), M. Christian Gravel, nous a fait part des difficultés rencontrées pour trouver des associations en mesure de répondre aux objectifs du fonds Marianne et nous confiait : « si la mobilisation du secteur associatif constitue un levier essentiel pour déployer sur internet un discours républicain crédible, rares sont les associations qui sont à la fois en mesure d'agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication. »

Pouvez-vous revenir de façon précise sur vos domaines de compétences, mais également sur la manière dont vous avez répondu à l'appel à projets et sur les actions que vous avez menées pour répondre aux objectifs poursuivis.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Abdennour Bidar, Mme Fabienne Servan-Schreiber, M. Baptiste Larroudé-Tasei, M. Xavier Desmaison et M. Rudy Reichstadt prêtent serment.

M. Abdennour Bidar, président de Fraternité générale. - Je vous remercie de m'avoir permis d'être accompagné de Mme Servan-Shreiber, avec laquelle nous avons fondé l'association dans une période particulièrement difficile pour notre pays, celle des attentats, qui s'est ouverte en janvier 2015, ainsi que de M. Larroudé-Tasei, qui est, en tant que délégué général opérationnel, chargé de la direction de nos actions.

Notre vocation est simple : nous voulons montrer l'autre pays, pas la France telle qu'elle nous est décrite à longueur de journaux, comme un pays qui se déchire et dans lequel se multiplient le rejet de l'autre, la haine, le repli sur soi, les communautarismes et les séparatismes sociaux, culturels ou ethniques, mais l'autre France, celle qui s'engage pour la valeur républicaine de la fraternité. Selon notre credo - laïc, depuis le début -, nous ne réussirons à « lutter contre » que si nous sommes en même temps capables de « lutter pour ». Ainsi, nous ne réussirons à endiguer les séparatismes et à réparer le tissu déchiré de notre société que si nous faisons aimer les valeurs républicaines et si nous donnons à voir celles et ceux qui, au jour le jour, oeuvrent et s'engagent pour ces valeurs, pour les faire vivre afin qu'elles ne restent pas des idéaux de frontons, mais qu'elles deviennent - pour parler comme les antiques - des vertus, c'est-à-dire des manières d'agir et de se comporter dans la société.

Depuis 2016, nous faisons ce que nous aimons et savons faire : nous donnons à voir tout ce qui se fait dans la France d'aujourd'hui pour réparer le tissu social. Nous mettons en lumière les associations qui y travaillent et leur donnons ainsi davantage conscience de leurs forces, en leur disant : « vous n'êtes pas seuls à agir, mais vous appartenez à un grand mouvement. » Nous créons ainsi un effet communicatif, le but étant de mettre en mouvement ceux qui n'agissent pas encore en leur montrant ceux qui agissent déjà, en provoquant un effet de contamination et de galvanisation du désir d'engagement.

Pour ce faire, nous déployons des actions de quatre types.

D'abord, nous avons recours à l'action en ligne et travaillons beaucoup sur les réseaux sociaux, ce que je pourrai détailler. Quand j'évoque les réseaux sociaux, je pense à ceux dont les gens de ma génération sont familiers - Facebook et Twitter -, mais aussi à ceux pour lesquels M. Larroudé-Tasei a toute ma confiance - TikTok et Instagram - et qui sont plus loin de mes bases. Nous sommes présents sur ces réseaux avec la vocation de toucher la jeunesse, c'est-à-dire les citoyens de demain. Comment les amener à se sentir appartenir à cette entité plus grande qu'eux, qui les dépasse et les appelle, et que l'on nomme « Nation » ?

Nous intervenons également grâce à des actions audiovisuelles. Depuis 2016, grâce à un partenariat avec un ensemble de médias comprenant notamment France Télévisions, TF1 et M6, nous proposons la diffusion de clips qui mettent en scène la fraternité et la manière dont elle se bâtit au jour le jour dans notre société. Chaque année, une campagne de clips est diffusée par l'ensemble des grands médias nationaux, ce qui a un impact assez considérable. Il nous arrive de monter des événements physiques, qui peuvent avoir une grande valeur symbolique, comme la première chaine humaine que nous avons organisée autour des remparts de Carcassonne et qui a regroupé plus de 2 000 personnes se tenant la main pour symboliser la France qui se rassemble. Cependant, pour que l'impact de tels événements soit plus important, il faut se tourner vers les médias et les réseaux sociaux.

Nous avons aussi recours à des actions événementielles et, pendant des années, nous avons organisé des « diners en couleurs » rassemblant toutes les couleurs sociales, culturelles et ethniques de notre société, pour montrer une France qui vit bien, qui est capable de se mélanger, de se respecter, de se comprendre et de « s'entreconnaître ». De la même manière, nous avons organisé dans certains territoires des tournois de football, afin de créer des opportunités de rencontre là où, d'habitude, chacun reste de son côté.

Enfin, l'action éducative constitue la quatrième dimension de notre travail. Il y a quelques années, nous avons créé une mallette pédagogique, qui est en voie d'amélioration permanente et dans laquelle nous proposons un « kit de débat fraternel », rédigé dans un langage extrêmement simple. Ce kit peut être utilisé par des professeurs de l'école, par des animateurs de quartiers et d'associations ou par des éducateurs, pour inviter les jeunes à discuter autour des valeurs de la République, de la fraternité et de la laïcité.

M. Xavier Desmaison, président de Civic Fab. - Notre travail rejoint un peu celui d'Abdennour Bidar, sur les valeurs comme sur certains éléments du projet. Civic Fab a fêté ses 13 ans il y a quelques mois. L'association compte une quinzaine de membres, tous bénévoles, dont je fais partie. La plupart d'entre eux sont spécialistes du numérique - directeurs artistiques ou spécialistes de la communication sur les réseaux sociaux - mais certains sont aussi des acteurs engagés dans la vie de la cité. Une quinzaine de bénévoles pilotent une quinzaine de personnes, qui sont dirigées par une déléguée générale et déploient le travail sur le terrain, en ligne et hors ligne.

Notre sujet est l'esprit critique, ce qui correspond à une partie de l'appel à projets du fonds Marianne, notamment en matière de défense des valeurs républicaines de liberté de conscience et d'expression. Pourquoi l'esprit critique ? Parce que nous voyons tous la manière dont certains publics se mobilisent sur internet et la façon dont la haine, les discours de colère, les discours rapides et l'envie d'en découdre peuvent primer sur des discours plus pacifiques, réflexifs et bienveillants, en raison notamment des procédures algorithmiques. Ces phénomènes sont très documentés. À titre d'exemple, pour chaque mot d'indignation ajouté à un tweet, le taux de retweet augmente en moyenne de 17 %. Ainsi, en ajoutant cinq ou six mots, on commence à pouvoir faire le buzz.

Nous intervenons en ligne, mais aussi au travers d'actions et d'ateliers créatifs, qui mélangent le physique et le numérique, relevant ainsi de ce que nous appelons le « phygital » dans le domaine du marketing. Nous disposons d'une communauté importante sur les réseaux sociaux, puisque nous comptons plus de 300 000 fans sur Facebook et que plus de 350 000 personnes suivent nos communications et nos contenus, ce qui nous permet d'avoir une certaine puissance de frappe. Nos vidéos sont « likées », commentées et partagées, plusieurs ont été vues plus d'un million de fois et certaines ont atteint les trois ou quatre millions de « vus ». Ces contenus rencontrent donc un véritable succès auprès d'une partie du public.

Notre public est jeune et nous nous adressons aux 13-27 ans pour l'essentiel. Il s'agit d'un public qui ne souhaite pas qu'on lui impose des discours de sachants, mais qui se questionne beaucoup et se construit. Il s'agit d'un public qui n'est pas dupe, mais qui est très perméable à des contenus qu'il capte en permanence sur les réseaux sociaux, qui est donc poreux aux théories du complot et aux manipulations. Il a ses propres codes, ses réflexions, ses approches et ses modes, qui évoluent rapidement et nous avons vu certaines personnes changer complètement de mode de vie, d'usages, de coutumes et d'opinions en quelques années. Il s'agit d'un public ultra-volatile qu'il faut intéresser pour ne pas qu'il décroche. Il a parfois connu des expériences de vie dures et les remontées émanant de nos ateliers de terrain sont parfois glaçantes et tristes. Nous travaillons pour eux, ce qui est difficile, mais satisfaisant pour l'équipe.

Notre démarche consiste à prendre la mesure de la responsabilité qui est la nôtre. Elle n'est pas stigmatisante et jamais nous ne tenons ce type de propos : « vous êtes complotistes, vous ne comprenez rien et vous êtes dangereux. » Grâce à une démarche d'échange et d'information, nous essayons d'amener chacune et chacun à améliorer sa réflexion. Nous le faisons sans prétention, sachant que nous faisons tous l'épreuve de ces mécanismes digitaux et algorithmiques, que tout le monde peut faire des raccourcis, aller trop vite et user d'agressivité. Nous n'adoptons pas une position de sachant. Enfin, nous nous inscrivons dans une forme de démocratie délibérative. Un philosophe allemand a récemment commis un petit ouvrage, paru en 2023 à la Nouvelle Revue française (NRF), dans lequel il se demande si la délibération et notre capacité à échanger des arguments, à nous entendre, à nous écouter et à essayer de nous retrouver sur un commun, qui font le coeur de nos démocraties, ne sont pas en train de disparaître dans cette ère des réseaux sociaux.

Cependant, ce n'est pas parce que nous poussons à la délibération et à la discussion que nous faisons n'importe quoi. Nos intervenants sont formés, certains par le CIPDR, et ils doivent être capables d'aborder des sujets et des questions complexes, de répondre et de réagir à la formulation de certaines opinions de la façon la plus raisonnable, la plus structurée et la plus documentée possible, en ligne et hors ligne. Nous exerçons un double contrôle sur nos ateliers grâce aux animateurs formés, mais aussi aux professeurs qui sont présents lorsque nous intervenons dans les écoles et les collèges. Nous construisons nos interventions à partir de documents, de films, d'éléments historiques et de références. Puis, quand c'est possible, nous demandons à ces jeunes publics de produire quelque chose, que ce soit un travail écrit, une chanson ou un tableau, mais surtout des vidéos numériques, ce qui leur permet de décoder la façon dont les contenus sont produits et dont ils peuvent être travaillés.

Nos programmes ont donc pour objectif de développer l'esprit critique et reposent sur une démarche créative. Cette méthode n'est pas la seule, mais c'est bien tout le sens du fonds Marianne, qui tentait d'agréger des approches diverses et des associations différentes, de les réunir autour d'un commun constitué par les valeurs de la République. Chaque approche demeure personnelle, limitée, mais intéressante.

M. Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. - Conspiracy Watch est un site internet qui a été créé en 2007, avant de se professionnaliser à partir de 2017, en devenant un service de presse en ligne, édité par une association loi 1901, l'Observatoire du conspirationnisme. Je n'en suis pas le président, mais le directeur salarié de la publication et de la rédaction.

Ce site, qui existe depuis plus de quinze ans, possède une expertise reconnue dans son domaine. Le fonds Marianne a servi à aider des acteurs de la lutte contre la radicalisation en ligne, dont l'Observatoire du conspirationnisme fait partie. Il est même l'un des acteurs les plus unanimement reconnus en la matière pour le sérieux de son action et la solidité de son travail sur le complotisme. C'est à ce titre que nous avons été soutenus dans le cadre de l'appel à projets.

Au-delà de l'animation de ce service de presse en ligne, nos activités sont diverses. Nous produisons des enquêtes originales sur le phénomène complotiste. Nous animons les réseaux sociaux grâce à un compte Twitter comptant plus de 60 000 abonnés. Nous concevons une newsletter hebdomadaire. Nous mettons en oeuvre le projet « Riposte », soutenu et cofinancé par le CIPDR depuis 2019, qui l'a été de nouveau en 2023. Nous réalisons pour YouTube l'émission Les Déconspirateurs, qui bénéficie d'un cofinancement de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Nous participons chaque année à l'organisation des assises nationales de la lutte contre le négationnisme. Nous intervenons auprès de professionnels de l'éducation, qui visent à sensibiliser aux enjeux de la désinformation et du conspirationnisme. Nous participons à l'observatoire de la haine en ligne, rattaché à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ainsi qu'à la définition du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à origine.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons proposé ce format de table ronde pour nous aider à comprendre quelles relations les associations ayant candidaté au fonds Marianne entretenaient avec le CIPDR, comment le fonds est venu modifier ce lien, comment vous l'avez perçu et comment cette relation perdure aujourd'hui.

Je commencerai par quelques questions d'ordre général avant que le rapporteur n'en vienne à des questions plus pointues. Comment s'organisent les financements ? Quelle est votre relation historique avec le CIPDR ? Comment le fonds Marianne s'inscrit-il dans cette relation et par rapport à ce que faisait déjà le CIPDR ? En effet, fondamentalement, il n'y a pas eu d'argent supplémentaire et il s'agirait presque d'une appellation recouvrant un domaine particulier au sein du CIPDR ou d'une « labellisation », comme l'a dit le secrétaire général. Quels autres financements recevez-vous ? Quelle est la part de financements privés ? Ces informations nous aideront à développer une vision de la manière dont le système fonctionne.

M. Rudy Reichstadt. - Nous avons commencé à prendre contact avec le CIPDR en 2018 et ces échanges se sont traduits par une demande de subvention formulée en 2019. Un premier financement a ainsi été obtenu pour le projet expérimental « Riposte », seul projet cofinancé par le CIPDR. Riposte consiste à percer les bulles de filtres dans lesquelles sont enfermés les internautes, en les exposant à la diversité informationnelle, grâce au « pre-bunking ». L'objectif est que lorsque des gens recherchent des termes liés à la culture complotiste tels que « nouvel ordre mondial », « great reset » ou « État profond », ainsi que des noms de médias complotistes notoires, ils trouvent d'abord des contenus produits par notre rédaction. Dans cette optique, nous produisons des notices d'information très documentées, sourcées et informées, qui sont régulièrement mises à jour et que nous poussons via des coupons publicitaires mis à notre disposition - notre association étant à but non lucratif -, dans le cadre du programme Google Ad Grants. Ce droit de tirage de coupons publicitaires est neutre pour nous d'un point de vue budgétaire.

Cette opération a connu un premier lancement pour la période s'étirant du printemps 2019 au printemps 2020. Ensuite, nous avons réajusté le tir pour l'année suivante, notamment parce que nous n'avions pas pu dépenser toute l'enveloppe du projet initial. J'évoque ici le coût du projet global, qui n'est financé qu'à hauteur des deux tiers par la subvention du CIPDR.

J'en viens à la part des financements publics dans notre budget. Quand nous avons commencé à avoir un budget, nous avons pris la décision de plafonner cette part à 50 % dans notre budget global, ce qui nous parait sain.

M. Claude Raynal, président. - Mais la première année le financement du CIPDR s'élevait à 70 %.

M. Rudy Reichstadt. - Je parle ici du budget global de l'association et non de celui de l'action.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pourriez-vous donner une estimation de l'évolution de votre budget depuis 2017 ?

M. Rudy Reichstadt. - Nous avons dû passer d'environ 150 000 euros à environ 230 000 euros aujourd'hui.

Nous avons donc choisi de ne jamais excéder 50 % de financement public dans notre budget global annuel.

Nous avons obtenu un premier financement du CIPDR pour 2019-2020 et un second pour 2020-2021. En 2021, quand il s'est agi de renouveler la demande de financement, nous avons été orientés vers l'appel à projets. Nous avons alors franchi un palier et demandé plus que ce que nous avions obtenu l'année précédente, en raison du contexte lié au drame de Conflans-Sainte-Honorine. De plus, nous savions que nous pouvions absorber ce financement.

M. Claude Raynal, président. - Depuis, les financements sont restés au même niveau, même s'il ne s'agit plus du fonds Marianne ; c'est exact ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui.

M. Xavier Desmaison. - Nous travaillons avec le CIPDR depuis 2016. Nous avons proposé un projet, assez proche de ce qu'est devenu l'un de nos formats, « Nuance », une plateforme numérique produisant des contenus autour des valeurs de la République et de l'esprit critique. Nous avions proposé d'autres dispositifs qui n'avaient pas été retenus. Notre relation avec le CIPDR date d'un peu après les événements de Charlie Hebdo. Avant, en tant qu'experts du digital, nous étions déjà très intéressés par la problématique de la haine en ligne et avions lancé un observatoire, qui était le premier du genre et qui, dans le cadre de travaux de recherches autour de la notion de hate speech, essayait de comprendre la montée de la violence sur les réseaux sociaux. Depuis 2016, nous avons toujours eu des relations avec le CIPDR, plus ou moins importantes suivant les époques.

Le fonds Marianne a été l'occasion de donner à nos projets davantage d'envergure financière. L'année du fonds Marianne, notre association a connu son budget annuel le plus important. Ce financement nous a permis de travailler sur de nouveaux programmes. Nous avons notamment lancé le format « Memorama », un programme d'ateliers s'adressant au jeune public, souvent en milieu scolaire. Dans ces ateliers, on travaille sur la mémoire et l'histoire de la guerre d'Algérie pour tenter de faire réfléchir des jeunes publics sur cet événement, en partant de contenus sérieux. Nous avons également pu tester d'autres formats tels que « Mixité », qui vise à organiser la rencontre de publics de diverses catégories socioprofessionnelles, de différents lieux géographiques ou classes d'âges. Ainsi, nous avons accompagné des jeunes dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et tenté d'enclencher des relations. Cet atelier a plutôt bien fonctionné et s'est révélé durable, puisque des jeunes sont retournés dans l'Ehpad. Nous avons aussi testé de nouveaux contenus et formats.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez dit compter autour de 350 000 followers et vous avez évoqué un public jeune, compris entre 13 et 27 ans ; quelle est sa part ?

M. Xavier Desmaison. - Selon les informations provenant des plateformes, ce public représente 74 % de notre audience.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quelle évolution a connu le budget de votre association entre 2010 et 2023 ?

M. Xavier Desmaison. - Je dirais qu'il a augmenté d'un tiers, mais je n'ai pas le détail précis.

M. Claude Raynal, président. - Quelle est la part de financement public ?

M. Xavier Desmaison. - Elle a évolué dans le temps. L'année du fonds Marianne, le financement privé représentait environ 20 %, mais cette part a pu être beaucoup plus importante. Sur ces thématiques, le financement privé est assez complexe. Il faut savoir ce qu'on entend par « privé ». Parmi les entreprises qui interviennent, on retrouve les grandes plateformes, qui ont chacune un programme, plus ou moins élaboré, pour essayer de travailler les externalités négatives qu'elles pourraient générer ou pour soutenir la création de contenu positif. Il peut nous arriver de travailler avec ces plateformes. Nous travaillons également avec des associations, souvent aussi avec des préfectures, qui nous demandent d'intervenir dans des quartiers spécifiques et prioritaires de la politique de la ville, et parfois dans des écoles.

M. Claude Raynal, président. - On peut aussi trouver des bénévoles du milieu économique, dont vous faites d'ailleurs partie. Des entreprises vous soutiennent-elles ?

M. Xavier Desmaison. - C'est en projet.

M. Abdennour Bidar. - Fabienne Servan-Schreiber était en contact avec le CIPDR depuis la campagne de clips qu'elle a engagée en 2015, pour faire connaitre le numéro vert lié au site « stop djihadisme », développé par le Gouvernement. Depuis la création de Fraternité générale en 2016, nous avons été en contact régulier avec les responsables successifs du CIPDR, le préfet N'Gahane, Mme Domenach, le préfet Rose puis le préfet Gravel. De mon côté, j'ai rencontré ce dernier, d'abord dans le cadre de mes fonctions puisque, au-delà d'être président bénévole de Fraternité générale, je suis inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche et siège, à ce titre, au conseil des sages de la laïcité. Je travaille beaucoup au sein du ministère de l'éducation nationale sur ces questions de fraternité et de laïcité, ainsi que sur celle de la transmission des valeurs. Assez tôt, j'avais sensibilisé le préfet Gravel à la nécessité de « lutter pour », c'est-à-dire de promouvoir de manière positive ces valeurs dans l'esprit de nos jeunes concitoyens.

C'est dans cet esprit que l'association a sollicité le CIPDR. Nous voulions constituer la mallette pédagogique de la manière la plus solide qui soit. De plus, nous souhaitions agir sur les réseaux sociaux pour promouvoir auprès des jeunes et au quotidien la fraternité et les valeurs de la République.

Ainsi, le 18 janvier 2021, nous avons rencontré le secrétaire général du CIPDR, Christian Gravel, ainsi que sa collaboratrice Charlotte Collonge, qui était notre interlocutrice habituelle.

La création du fonds Marianne nous a ouvert une possibilité alors que nous voulions renforcer notre action sur les réseaux sociaux. Il nous fallait une force de frappe digitale. Pour cela, nous avions besoin d'une équipe formée et opérationnelle, mais aussi de jeunes, puisque c'est à la jeunesse que nous voulions nous adresser. Nous souhaitions rassembler une équipe autour de M. Larroudé-Tasei et le fonds Marianne nous en a donné l'opportunité. Nous pouvions constituer une équipe qui allait nous permettre de devenir très présents sur les réseaux sociaux - notamment sur TikTok et Instagram - et nous avions les moyens de salarier cette équipe, mais aussi de la former, à l'usage général des réseaux sociaux ainsi qu'aux manières de produire un contre-discours qui appelle à se rencontrer plutôt qu'à se haïr. Au-delà du soutien financier, le premier apport du CIPDR a été d'offrir à notre équipe l'opportunité d'une formation, dont ont pu bénéficier les jeunes que nous avions recrutés. Ensuite, chaque mois, ils recevaient des documents sous la forme d'une sorte de newsletter qui opérait un décryptage de la radicalisation et de la nébuleuse présente autour du sujet.

Sur Instagram et TikTok - je parle sous le contrôle de Baptiste Larroudé-Tasei, qui a suivi cela de plus près que moi -, nous avons opéré un bond dans notre capacité à toucher la jeunesse. Sur Instagram, 67,5 % de notre public a entre 12 et 25 ans. Sur TikTok, 71 % de notre public a entre 18 et 25 ans. En vue de pouvoir fournir un résultat objectif, nous avons comptabilisé les interactions, qui sont de l'ordre de 100 800 sur TikTok. Par ailleurs, le nombre de comptes atteints s'élève à un peu plus de 7 millions sur Instagram et à un peu plus de 3,8 millions sur TikTok.

En termes de contenu, ce que nous donnons à voir sur ces réseaux reste dans notre coeur de métier puisqu'il s'agit de la vie associative. Nous avons valorisé plus de 300 associations qui travaillent à réparer ou à raccommoder le « vivre ensemble » - pardon pour cette expression un peu passe-partout. À ce titre, nous mettons en lumière aussi bien des gens qui font des maraudes que des personnes travaillant dans le milieu carcéral. Nous ne donnons pas seulement à voir ce qui se passe dans notre société française puisque nous élargissons la focale pour que les jeunes que nous touchons s'aperçoivent que la fraternité n'est pas une obsession ou une lubie française, mais qu'une autre façon de vivre ensemble, qui dépasse l'individualisme et l'égoïsme, cherche à s'inventer au niveau international.

M. Claude Raynal, président. - Quel est le pourcentage d'aide publique dans l'ensemble de votre budget, en 2022 par exemple ?

M. Abdennour Bidar. - Depuis la fondation de l'association, nous sommes financés notamment par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), par France 2, par la Fondation LVMH et une série d'autres fondations. En matière de financements publics, outre le soutien du CIPDR, nous recevons celui de la Dilcrah, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la région d'Île-de-France, ainsi que de certains départements comme la Seine-Saint-Denis, le Var ou la Saône-et-Loire.

M. Claude Raynal, président. - Plus précisément, quel est le pourcentage de financements publics ?

Mme Fabienne Servan-Schreiber, membre du bureau de Fraternité générale. - Cette part s'élève à quelque 80 %. Beaucoup de financements publics proviennent des régions.

Par ailleurs, une large part de nos financements est issue du mécénat de compétences de l'agence de communication BETC ou de ma propre société de production Cinétévé.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quel est le montant de votre budget annuel ? Comment a-t-il évolué depuis la création de votre association jusqu'à aujourd'hui ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei, délégué général de Fraternité générale. - Le montant de notre budget annuel a varié. Au début, il s'est élevé à près de 400 000 euros, mais il y a eu des périodes de creux, notamment en 2020, où nous avons beaucoup souffert du covid, car nous organisons beaucoup d'événements. Aujourd'hui, il atteint entre 350 000 euros et 450 000 euros. En 2022, le fonds Marianne a représenté une large part de notre budget.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Combien de salariés compte votre structure ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - En 2021, elle comptait sept salariés et deux stagiaires, contre six salariés et trois stagiaires aujourd'hui.

M. Claude Raynal, président. - Si j'ai bien compris, le fonds Marianne vous a tous permis de monter en puissance. Les montants du fonds, après sa disparition, ont été reversés sur l'enveloppe propre du CIPDR, qui les a préservés.

Mme Fabienne Servan-Schreiber. - Le problème des associations est de ne bénéficier que rarement de financements pluriannuels. Aussi, nous devons aller les chercher chaque année.

C'est dans ce cadre que depuis 2007 nous rencontrons le CIPDR. À chaque fois, nous présentons nos actions, nous expliquons pourquoi nous avons besoin de tels financements et à quel point ils sont importants. Une année, il nous a été dit qu'un budget spécialement consacré à toutes ces actions serait instauré et qu'il s'appellerait le fonds Marianne. Telle est l'origine des financements.

Ainsi, pendant un an, nous avons bénéficié du fonds Marianne, avant de bénéficier de nouveau du CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - Le fonds Marianne, c'est une appellation, si je puis dire, d'une action au sein du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et cela a été l'occasion d'augmenter le budget à destination de certaines associations.

M. Rudy Reichstadt. - En complément, voici la façon dont nous travaillons au sein de Conspiracy Watch : lorsque l'une de nos actions est cofinancée, nous faisons des reportings réguliers : parfois chaque semaine, mais au moins une fois par mois, par mail ou par téléphone avec la personne chargée du suivi de nos projets.

En 2021, à l'approche du renouvellement de la demande de subvention, nous avons été informés du lancement d'un futur appel à projets. J'ai reçu un mail le 28 avril 2021 nous annonçant le lancement de l'appel à projets, mais je l'ai peut-être su par téléphone avant, je ne sais plus. À cette occasion, nous avons découvert que l'appel à projets était en ligne depuis huit jours sur le site du CIPDR.

De toute façon, nous nous apprêtions à faire une demande de renouvellement. Ainsi, tout cela s'est fait de manière naturelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - À quel moment avez-vous entendu parler du fonds Marianne ? Par quels moyens en avez-vous eu connaissance ? De quelle manière avez-vous été mis en relation ? Pourriez-vous nous rappeler la chronologie des événements à partir du début de l'année 2020 ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons eu une réunion le 9 avril avec notre interlocutrice habituelle du CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avant le 9 avril, vous n'avez entendu parler de rien, n'est-ce pas ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons entendu parler du fonds le 29 avril. Nous avons reçu deux mails : l'un d'une préfecture, qui rend publique l'existence du fonds...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - De quelle préfecture s'agit-il ?

M. Xavier Desmaison. - Il s'agit de la préfecture des Bouches-du-Rhône.

À la suite de ce mail, nous nous sommes interrogés sur ce fonds. Quelques heures après nous avons reçu un mail de notre interlocutrice habituelle du CIPDR, nous indiquant que si nous voulions maximiser nos chances d'obtenir une subvention, il fallait déposer un dossier de candidature pour cet appel à projets.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Que s'est-il passé le 9 avril ?

M. Xavier Desmaison. - Nous préparions une demande de subvention avec notre interlocutrice habituelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Qui était-ce ?

M. Xavier Desmaison. - Il s'agit de la personne qui a déjà été nommée par M. Bidar.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai cru comprendre que certains d'entre vous ont entendu parler du fonds Marianne beaucoup plus tôt.

M. Abdennour Bidar. - Dans les documents que nous avons rassemblés, je constate que le 25 mars 2021, nous avons fait parvenir nos demandes de subventions au CIPDR. Elles étaient liées non seulement au projet « Discours fraternels en ligne », mais également au projet éducatif de mallette pédagogique.

À la suite de cette transmission, le CIPDR nous a proposé d'intégrer notre demande de subvention pour le projet « Discours fraternels en ligne » à l'appel à projets « fonds Marianne », qui venait d'être créé. Le CIPDR nous a appelés à trouver d'autres financeurs pour le projet de mallette pédagogique, ce que nous avons essayé de faire.

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Pour être plus précis, le 25 mars est non pas le jour où l'on nous a parlé pour la première fois du fonds Marianne, mais le moment où nous avons envoyé notre demande de subvention. Beaucoup d'échanges ont eu lieu par téléphone avec Charlotte Collonge, mais ce n'est que plus tard - courant avril, je dirais -que l'on nous a dit que cette demande serait intégrée à l'appel à projets « fonds Marianne », dont on nous a parlé.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce en mars ou en janvier que vous en avez entendu parler ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - En janvier, nous avons eu un rendez-vous, analogue à celui que nous avons tous les ans, pour présenter notre souhait de réaliser une nouvelle action sur les réseaux au secrétaire général du CIPDR.

Par la suite, nous avons obtenu un rendez-vous avec le cabinet de Mme Marlène Schiappa pour présenter l'association en général. Nous ne savions pas qu'il y allait avoir des financements particuliers.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quel lien faites-vous entre le CIPDR et le cabinet de la ministre ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Lors de notre rendez-vous avec le cabinet de la ministre, M. Christian Gravel était également présent.

L'objet de la réunion était de présenter nos actions dans les domaines placés sous la responsabilité de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Le 25 mars, nous avons envoyé notre demande de subvention ; mi-avril, nous avons appris qu'elle allait entrer dans l'appel à projets « Fonds Marianne ».

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaiterais que nous croisions les informations. Pour rappel, la chronologie de l'instauration du fonds est la suivante : le comité de programmation du FIPD a eu lieu le 13 avril 2021, la publication de l'appel à projets du fonds Marianne le 20 avril et la fin du dépôt des dossiers pour la sélection desdits projets le 10 mai.

Pourriez-vous nous présenter vos calendriers respectifs ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Qu'entendez-vous par là ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Après avoir été informés de la création du Fonds Marianne, vous avez déposé vos dossiers de subvention, mais chacun à des dates différentes : certains d'entre vous ont eu des informations avant le comité de programmation, d'autres après.

J'aimerais comprendre comment les choses se sont déroulées pour chacun d'entre vous dans un délai si resserré, comment elles sont ordonnées et quelles procédures ont été respectées. À vous entendre, j'ai l'impression que ce délai très court a été encore plus comprimé et accéléré.

Aussi, à quel moment avez-vous vraiment eu l'information de la création du fonds ? À quel moment avez-vous présenté et déposé votre dossier ? À quel moment a-t-il été définitivement accepté ?

M. Claude Raynal, président. - Vous auriez d'abord présenté un dossier qui a ensuite été intégré au fonds Marianne. Autrement dit, avez-vous redéposé formellement un dossier ou est-ce le même qui a été qualifié après l'appel d'offres ?

M. Abdennour Bidar. - C'est le même.

M. Xavier Desmaison. - Notre délégué général me confirme que nous avons déposé un dossier de demande de subvention au titre du FIPDR le 9 avril ; le 29 avril nous avons appris qu'il existait un fonds Marianne. Notre demande a été fléchée vers le fonds Marianne, mais je n'ai pas le calendrier.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'avez pas monté un autre dossier pour répondre spécifiquement à ce nouvel appel d'offres ?

M. Xavier Desmaison. - Non.

M. Claude Raynal, président. - Le dossier déposé le 9 avril a donc été pris en compte pour l'appel à projets du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Et quand avez-vous su officiellement que vous étiez sélectionné ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons obtenu une réponse informelle le 26 mai et officielle le 18 juin.

M. Rudy Reichstadt. - Quant à nous, nous avons reçu un mail du CIPDR le 28 avril 2021.

Nous avons priorisé la demande de subvention au titre du fonds Marianne. Nous avons envoyé notre dossier de candidature le 7 mai 2021 ; le 18 juin nous avons reçu un mail du CIPDR nous informant que notre projet était retenu ; le 16 juillet 2021, nous avons reçu un courrier officiel de Marlène Schiappa - le fichier en pièce jointe était daté du 4 juin 2021. Sans doute a-t-il été envoyé par voie postale, mais je vous ai présenté les documents que nous avons reçus dans notre boîte mail, nous n'avons pas examiné les autres.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous construit votre demande en respectant spécifiquement le cahier des charges de l'appel à projets ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui, nous souhaitions faire coïncider notre projet au cahier des charges de l'appel à projets, afin de maximiser nos chances d'être retenus. Nous avons ajusté notre projet « Riposte »...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous me permettez cette remarque, vous n'avez pas eu le choix : vous recevez le mail le 28 avril, vous déposez le dossier le 7 mai et vous êtes sélectionné, sans le savoir, le 10 mai...

M. Rudy Reichstadt. - Chaque année nous nous attendons à faire une demande de subvention. Nous avions déjà deux ans d'expérience pour cette action.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ni les délais de préinformation ou d'annonce de la création du fonds Marianne ni le manque de visibilité ne vous ont surpris pour répondre et ajuster votre demande, car, selon vos propos, vous oeuvrez depuis des années dans ce secteur-là.

M. Abdennour Bidar. - Le CIPDR est depuis des années notre interlocuteur régulier. Chaque année, nous réengageons la discussion pour ajuster nos demandes, comme nous l'avons fait justement le 18 janvier 2021.

Tous les ans, nous nous mettons d'accord avec le CIPDR sur ce qui constitue notre valeur ajoutée, notre savoir-faire et nos capacités. Ainsi, nous avons progressivement préparé notre demande. Quelques mois plus tard - nous retrouverons les dates exactes - le CIPDR nous a fait savoir que nous pouvions répondre à l'appel à projets du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il est entendu que chaque année vous fournissez des comptes rendus, qu'ils vous sont demandés et qu'un dialogue est établi.

M. Rudy Reichstadt. - Cette année-là, il fallait prendre en compte le contexte lourd lié aux événements d'octobre 2020. Nous l'avions tous en tête à cette époque.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends, mais quelle frontière distingue l'annonce du fonds Marianne et des appels à projets habituels ?

Selon le préfet Gravel, la création d'un fonds Marianne, ou plutôt la labellisation d'une partie du FIPDR en fonds Marianne, résulte d'une décision politique. Son montant devait s'élever à près de 2,5 millions d'euros ; il a atteint un peu plus de 2 millions d'euros.

M. Rudy Reichstadt. - Les crédits de la lutte contre la radicalisation - le programme « R » du FIPD - ont été fléchés dans un contexte post-attentat. N'oublions pas ce qu'il s'est passé dans notre pays depuis 2015 jusqu'à l'événement tragique de Conflans-Sainte-Honorine.

Notre créneau, c'est la lutte argumentative contre les discours complotistes, qui s'articulent avec la lutte contre la radicalisation. Il est établi par une littérature importante que c'est l'antichambre vers la radicalisation et l'extrémisme violent.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends bien.

Vos trois structures ont des anciennetés différentes : l'une est vieille de quinze ans, l'autre de dix ans, l'autre enfin de cinq ou six ans.

Est-ce que le fonds Marianne vous a permis d'augmenter vos effectifs pour mieux répondre aux défis que vous avez identifiés ou pour disposer des compétences vous permettant d'atteindre, au travers de différents modes de communication, un public jeune et digital ?

M. Xavier Desmaison. - Dans ma vie professionnelle - je dirige des entreprises -, je me méfie des embauches faites à partir d'un fonds dont la reconductibilité est incertaine et varie dans le temps.

En revanche, au sein de notre association, nous avons envie d'être dynamiques. Aussi dans le cadre du fonds Marianne nous souhaitions embaucher une personne supplémentaire, car les montants alloués étaient importants. Nous voulions être sûrs que tout allait très bien se passer. Mais nous n'avons pas réussi à faire cette embauche, donc nous n'avons pas dépensé l'intégralité de la somme qui nous a été allouée. L'embauche sera peut-être faite dans les prochains mois.

M. Rudy Reichstadt. - Nous sommes deux salariés, un troisième a été embauché en contrat à durée déterminée (CDD) en décembre dernier et un quatrième en février 2023.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En décembre 2022 ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui. Nous sommes sept à être intervenus sur l'action financée dans le cadre du fonds Marianne : mon binôme Valérie Igounet - nous étions tous les deux salariés -, deux prestataires - Tristan Mendès-France, qui a piloté cette action et un journaliste - et trois stagiaires, qui ont participé à des moments différents.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dois-je en conclure que votre effectif est resté constant ?

M. Rudy Reichstadt. - En équivalent temps plein, oui. En revanche nous avons décaissé des prestations et des rémunérations que l'on n'aurait pas eues autrement.

M. Xavier Desmaison. - Pour être précis, une partie de nos actions repose sur de jeunes réalisateurs - des spécialistes de courts ou longs métrages - que nous mobilisons sur le terrain.

Ils encadrent des ateliers de création de vidéos avec des publics jeunes. Nous avons doublé le nombre de réalisateurs que nous avons pu mobiliser et donc former. Par moment, certains d'entre eux doivent continuer à suivre ces ateliers.

M. Abdennour Bidar. - Nous avons eu la possibilité de financer cinq personnes supplémentaires. C'était très important.

La crise covid a été un moment difficile pour les associations. Cela nous a permis de prendre conscience que l'organisation d'événements en présentiel était très fragile. Cela nous a convaincus qu'à long terme il fallait renforcer notre présence sur les réseaux sociaux.

Aussi nous avons saisi l'occasion du fonds Marianne pour salarier cinq personnes supplémentaires et constituer une équipe de sept personnes, qui a été active, comme je l'ai dit, sur les réseaux sociaux, au travers du site Le Bon Côté des choses. Je laisse M. Larroudé-Tasei présenter cet outil ad hoc.

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Nous avons cherché à adopter différentes stratégies pour intéresser le public jeune - il a de l'appétence pour nombre de sujets de société, mais il est très volatile. L'une d'elles a consisté à choisir un nom plus parlant pour les jeunes, à savoir « le bon côté des choses » pour nos comptes Instagram et TikTok.

D'ailleurs, l'équipe qui les gère existe toujours, même si nous avons adapté certains postes, car, au travers des rapports mensuels que nous faisons au CIPDR, nous avons constaté que nous péchions sur certains points. Désormais, une équipe composée de quatre salariés et de trois stagiaires s'occupe de nos actions sur les réseaux sociaux.

M. Abdennour Bidar. - Cela nous a conduits à définir un périmètre d'action de fraternité que nous voulions mettre en valeur.

Nous avons défini neuf thématiques : l'engagement des jeunes, les valeurs de la République, les enjeux sociaux - les questions de société liées aux séparations sociales -, la tolérance, l'égalité femme-homme et le genre, l'écologie - notre discours doit nécessairement s'adresser directement aux jeunes générations -, les nouveaux outils et les enjeux de communication - la cancel culture, les fake news, les théories du complot, le gaming, le cyberharcèlement -, le fonctionnement de l'appareil républicain - il s'agit toujours de transmettre une culture républicaine - et les savoirs liés à la fraternité. Par exemple, les neurosciences sont aujourd'hui en mesure d'indiquer que tel comportement va développer telle zone neuronale, qui, à son tour, va encourager l'être humain dans telle direction.

Il nous fallait porter ces points-là dans un langage accessible à la connaissance des jeunes générations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous des éléments plus précis sur les évolutions d'effectifs liés au fonds Marianne ? Sa suppression au bout d'un an a-t-elle modifié les effectifs de vos associations ? Cela a pu entraîner des difficultés de pilotage à effectifs constants ou en obligeant de répondre à d'autres appels à projets.

Est-ce que la création du fonds Marianne a répondu à vos attentes, malgré son extinction ? Avez-vous trouvé ce que vous escomptiez ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui, car nous escomptions le cofinancement d'une action que nous aurions, de toute façon, menée, mais dont l'impact et l'ampleur auraient été moindres. Or, celle-ci s'est bien passée et l'administration nous a donné quitus. Nous avons fait une nouvelle demande, qui a de nouveau été acceptée.

Nous pensons que l'État ne peut pas tout faire, non plus que la société civile. Au travers de la politique de lutte contre la radicalisation, l'État peut faire en sorte que la société civile prenne ses responsabilités, afin qu'elle fasse ce qu'il ne peut pas faire.

Aussi, selon nous, le bilan du fonds Marianne est positif. Nous avons été accompagnés et nous continuons à l'être.

M. Abdennour Bidar. - Oui, assurément. Nous sommes convaincus qu'il est heureux que les initiatives de la société civile, telles que les nôtres, trouvent en face d'elles une volonté politique qui puisse les soutenir et que nous pouvons soutenir en retour.

Au travers des financements, qui proviennent de différentes sources publiques ou privées, il s'agit en réalité d'un effort collectif réalisé pour défendre les valeurs qui nous importent. Selon nous, toutes les conditions de la confiance avec le CIPDR étaient réunies.

M. Xavier Desmaison. - Oui, cela nous a donné l'occasion de travailler à un cofinancement avec l'ANCT. Nous avons atteint nos objectifs. Nous sommes contents d'être plus allants et d'avoir réussi ce que nous souhaitions faire. Nous avons pu tester de nouveaux formats et relever de nouveaux défis.

Pour nous, comme l'a dit Mme Servan-Schreiber, la question de la pluriannualité des financements est un véritable sujet. Si l'on veut créer et développer des communautés numériques, il faut régulièrement créer du contenu et engager des personnes qui nous suivent. Cela pose un problème de s'arrêter un moment et d'attendre trois ou six mois pour avancer sur un projet. On perd le bénéfice de la dynamique. Le pilotage n'est pas parfait, mais nous avons accueilli avec joie ce dispositif.

M. Claude Raynal, président. - La pluriannualité est contradictoire avec le principe d'annualité du budget de l'État, mais tel est notre mode de fonctionnement, qui oblige chacun à prévoir pour maintenir la dynamique et s'engager dans des actions à long terme. Du reste, des actions comme les vôtres appellent plusieurs années de fonctionnement pour être utiles et efficaces.

Selon vous, vous travaillez depuis plusieurs années avec le CIPDR. Ses financements se sont appelés à un moment donné « fonds Marianne », avant de retrouver l'appellation classique du FIPD.

J'aimerais revenir sur les échanges avec vos interlocuteurs. Vous avez parlé d'une continuité mensuelle. Pourtant, nous avons cru noter une variation à la suite du départ de la responsable chargée du suivi des dossiers en décembre 2021, ses fonctions ayant ensuite été réparties entre trois ou quatre personnes. Avez-vous eu l'impression d'une telle rupture ou avez-vous eu des contacts avec des gens formés, qui se passaient bien ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Le départ de Mme Collonge a marqué la fin de l'envoi de newsletters sur la littérature relative à la lutte contre la radicalisation.

Mais nous avons continué à adresser nos rapports mensuels à la personne désignée, en expliquant nos résultats et les écueils que nous rencontrions.

Nous avons eu un peu moins de retours qu'à l'époque de Charlotte Collonge, mais nous n'avons pas senti que le CIPDR était absent. Depuis, une nouvelle personne nous a été adressée.

M. Claude Raynal, président. - Le CIPDR reconnaît qu'il y a eu une période de flottement après le départ de la personne chargée de ces dossiers, qu'elle connaissait bien, car elle était là depuis des années. Mais si j'entends bien, cela n'a pas changé fondamentalement votre relation avec le CIPDR, n'est-ce pas ?

M. Xavier Desmaison. - Oui, je le confirme. Nous avions affaire à une grande professionnelle, dont les méthodes de travail fonctionnaient avec les nôtres. Pour autant, il n'est pas inintéressant de travailler avec une nouvelle personne, car cela permet de s'interroger sur un certain nombre de points.

Selon moi, on pourrait parler plutôt d'une continuité avec une phase de transition.

M. Rudy Reichstadt. - Je n'aurais pas su dater spontanément le départ de la cheffe de mission, qui a sans doute correspondu à un trou d'air dans nos relations avec le CIPDR.

Il faut bien avoir à l'esprit un point : nous sommes une toute petite structure. Nous n'avons pas vocation à parler au CIPDR. Nous le faisons régulièrement avec cette personne, par mail, au moins une fois par mois, mais nous sommes une rédaction qui travaille sur le complotisme. Aussi, ce départ a été presque indolore. Par la suite, nous avons travaillé avec d'autres interlocuteurs. D'ailleurs nous discutons avec la personne chargée spécifiquement des questions de complotisme.

M. Claude Raynal, président. - Ce qui nous intéresse, c'est surtout la manière dont le CIPDR a assuré le suivi d'opérations qui se voulaient très ambitieuses et ont suscité une communication extrêmement large.

Initialement, le fonds Marianne était programmé pour une durée d'un an. Pensez-vous qu'une année suffise à une association pour démontrer qu'elle réalise des choses utiles et qu'elle a atteint sa cible ? Une telle échéance était-elle réaliste ?

M. Abdennour Bidar. - Nous étions en quelque sorte rassurés par l'existence d'un appel à projets, qui s'établissait pour nous dans le cadre d'une relation durable avec le CIPDR. Quand bien même le fonds Marianne disparaissait au bout d'un an, nous pensions que la relation avec le CIPDR perdurerait. Nous avions bon espoir qu'il s'agisse là d'un épisode supplémentaire qui consoliderait nos rapports avec celui-ci.

En définitive, comme le disait Mme Servan-Schreiber, nous avons été confrontés à une fragilité à laquelle, malheureusement, nous sommes habitués : chaque année, il nous faut frapper à un certain nombre de portes pour sensibiliser divers interlocuteurs à notre démarche. C'est un mal pour un bien finalement, car ces situations de fragilité nous obligent à revoir notre discours et à sortir de la routine.

Nous n'avions aucune inquiétude particulière à ce propos, d'autant moins que notre task force sur les réseaux sociaux avait ainsi l'occasion de se mettre en évidence. Pour nous, il s'agissait d'un projet au long cours que nous souhaitions voir perdurer via les financements nécessaires.

M. Rudy Reichstadt. - Parmi les cinq critères de sélection de l'appel à projets figurait bien celui de la pérennité de l'action : « une attention particulière sera portée aux projets réunissant des cofinancements favorisant la pérennité des projets au-delà de 2021. » C'était du reste notre cas, puisque la majeure partie de nos financements sont privés, l'essentiel provenant d'une subvention annuelle de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, fondation privée d'utilité publique.

M. Claude Raynal, président. - Le fait que votre projet s'inscrive dans une perspective pluriannuelle a peut-être été l'une des raisons qui a conduit le CIPDR à retenir Conspiracy Watch. Cela étant, nous ne pouvons pas en être sûrs, car, si des critères de sélection ont été définis, nous n'avons pas connaissance de notations ou d'évaluations sur le fondement de ces critères...

Monsieur Desmaison, un avenant a été signé pour prolonger la durée de la convention avec Civic Fab jusqu'au 30 juin 2022. Pourquoi ce délai a-t-il été sollicité ? Par ailleurs, votre association est la première à avoir fait l'objet d'un contrôle sur pièces, en raison d'une erreur de versement du solde de 25 % par le CIPDR. Comment ce contrôle s'est-il déroulé ? Quelles en ont été les conclusions ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons effectivement demandé la prorogation de notre subvention du mois de mars au mois de juin 2022.

Je précise tout d'abord que ce type de démarche est assez fréquent.

Je rappelle ensuite que l'année 2022 se situe en pleine crise de la covid-19 et qu'un certain nombre d'événements que nous organisons n'ont pas pu se tenir à la date prévue. Je pense notamment à notre festival du court-métrage qui ne s'est finalement déroulé qu'en juin ou à l'exposition Mémorama, dont les ateliers portaient sur la mémoire et l'histoire de la guerre d'Algérie, et qui n'a pas eu lieu avant l'été.

Il est possible que notre demande ait suscité des interrogations. C'est d'ailleurs l'objet du seul échange que j'ai eu avec M. Laffite, le secrétaire général adjoint du CIPDR, qui a répondu à notre sollicitation en précisant qu'il ne pourrait pas aller au-delà du mois de décembre 2022. Finalement, nous avons respecté notre engagement, puisque nous avons réalisé 100 % de nos actions avant la fin du mois de juin 2022.

Pour ce qui est du contrôle, nous avons reçu le mail d'une agente du CIPDR au début du mois de décembre 2022 : elle a présenté sa requête comme s'inscrivant dans la continuité de la campagne de 2019 de contrôle interne financier des subventions octroyées par le CIPDR. Elle nous a informés que d'autres dossiers faisaient l'objet d'un contrôle et nous a demandé de lui envoyer un certain nombre de pièces avant le 16 décembre 2022, ce que, pour l'essentiel, nous avons fait.

Je n'ai pas eu vraiment d'alerte ou d'appel à ce sujet : personne ne m'a donné d'indications sur les raisons de ce contrôle. Je ne dispose pas non plus d'éléments d'information sur les résultats de ce dernier. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le CIPDR a accepté de nous verser une nouvelle subvention, ce qui laisse entendre que tout était en règle.

Cela étant, je n'ai pas été totalement surpris par la démarche du CIPDR, dans la mesure où, par le passé, celui-ci avait déjà contacté plusieurs fois notre comptable pour demander des précisions sur telle ou telle pièce ou telle ou telle facture.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie, ainsi que l'ensemble des intervenants pour avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Cyril Karunagaran, président de l'Union des Sociétés d'Éducation Physique et de Préparation Militaire (USEPPM)

(Mercredi 31 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons ce matin les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons M. Cyril Karunagaran, président de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM). Je vous précise que M. Mohamed Sifaoui, directeur des opérations, n'a pu se rendre disponible ce matin, pour des raisons de santé. Nous attendons de sa part les justificatifs nécessaires pour reprogrammer son audition.

Pouvez-vous nous présenter votre association, son champ de compétence et la manière dont vous avez répondu à l'appel à projets Fonds Marianne, ainsi que le rôle que vous exercez dans cette opération ? Vous nous indiquerez également le sens des actions que vous avez menées pour répondre aux objectifs de ce fonds.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cyril Karunagaran prête serment.

M. Cyril Karunagaran, président de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. - Je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de m'exprimer devant vous et, au-delà, devant l'opinion publique, en dehors des pressions et des emballements médiatiques, auxquels j'ai résisté, par conviction. Il s'agit ici de ma première prise de parole publique. Elle nécessite, selon moi, de rappeler en préambule les circonstances et le déroulement exact des faits.

Je vais commencer par présenter succinctement notre association, puis vous exposer des éléments de contexte. J'aurai l'occasion, bien évidemment, de répondre à vos questions avec sincérité et précision sur notre projet, en contestant les raccourcis et accusations dirigés contre notre association, et fournir toutes les précisions qui pourraient être utiles à votre commission.

Je préside l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. Si cette dénomination fait sourire, parfois, c'est parce qu'elle a été choisie en 1885 par des personnes, qui, déjà, jugeaient important de défendre la République et de préserver le lien entre les armées et la Nation. Cette association a toujours oeuvré en faveur de la jeunesse, pour l'amener à adhérer au projet républicain et préserver la Nation contre les dangers qui la guettent. La seconde moitié du XXsiècle ayant été marquée par la fin des conflits armés et du service militaire, l'USEPPM avait fortement ralenti son activité et s'était presque exclusivement consacrée au devoir de mémoire. Cependant, les membres de l'association, à l'instar de tous les Français, ont été fortement marqués par les attentats terroristes qui ont frappé notre pays depuis 2012 et la chevauchée meurtrière de Mohamed Merah.

À partir de 2015, dirigée par un officier de gendarmerie, le colonel Raymond Carter, lui-même spécialisé dans les questions de lutte contre le terrorisme, l'association a commencé à réfléchir sur la nécessité de s'impliquer, à partir de son rôle d'acteur de la société civile, dans les questions de sensibilisation et de prévention face à la menace terroriste, notamment d'inspiration islamiste. En 2016, lorsque j'ai pris la présidence de l'association, nous avions inscrit à l'ordre du jour du premier conseil d'administration de l'année la nécessité de créer une cellule de réflexion sur la question de la prévention et l'anticipation de la menace terroriste. L'association a par ailleurs, dans la foulée, soutenu la publication d'un livre intitulé Vivre avec la menace terroriste.

Nous avions alors organisé des débats, toujours avec cette idée de participer à la prévention de la radicalisation, de sensibiliser la jeunesse et, plus généralement, l'ensemble des citoyens, sur ces nouveaux défis qui nous menacent tous. Dès 2016, nous avons pu compter sur l'apport de M. Mohamed Sifaoui, qui est venu nous rejoindre justement afin de nous aider à orienter l'association vers le sujet de la prévention de la radicalisation. J'ai moi-même repris mes études et me suis inscrit en 2017 à un master de sûreté et de sécurité à l'université Paul Sabatier de Toulouse.

Ces éléments devraient contribuer à mettre en évidence la légitimité de notre association.

J'en viens à un bref historique autour du fonds Marianne, qui intervient alors que nous étions déjà engagés sur plusieurs initiatives, certes d'une ampleur limitée, sur les questions de prévention de la radicalisation. J'avais alors déjà demandé à M. Mohamed Sifaoui de nous faire bénéficier de son expertise.

Entre fin 2020 et début 2021, au lendemain d'un horrible attentat que tout le monde garde en mémoire, Mohamed Sifaoui m'a fait savoir que les pouvoirs publics, et plus précisément le cabinet de Mme Schiappa, lui avaient demandé de prendre part à des actions de contre-discours pour répondre à la propagande islamiste. Pendant la première quinzaine de janvier, il m'a demandé si je trouvais intéressante l'idée de mettre en oeuvre un projet au sein de l'USEPPM : il m'a confié, sans me donner toutes les précisions, qu'il était en contact avec plusieurs responsables du ministère de l'intérieur qui l'encourageaient à s'engager dans cette perspective. Le projet en question était très ambitieux, s'étalait sur plusieurs années et nécessitait la mise en place de moyens considérables, notamment humains. Les échanges entre nous ont continué entre février et mars.

Par la suite, plus précisément le 7 avril 2021, M. Mohamed Sifaoui m'a transféré un e-mail d'un conseiller de Mme Schiappa, qui lui a adressé les pièces d'un dossier à renseigner dans les deux jours pour bénéficier d'une subvention. J'ai donc travaillé jour et nuit pour pouvoir être dans les temps. Avec du recul, monsieur le président, je me dis que, ce jour-là, j'aurais dû refuser d'envoyer cette demande de subvention. Vous me répondrez que c'est toujours facile de commenter les événements quand ils sont passés... Non seulement j'ai commis des erreurs en travaillant dans la précipitation, mais, de plus, ce mauvais départ allait perturber le projet auquel nous avons pensé initialement.

Ce projet portait sur trois ans. Quelques jours plus tard, des échanges ont eu lieu avec une interlocutrice du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), notamment concernant le budget du projet. En effet, nous avions proposé un projet pluriannuel, une telle action n'ayant de sens pour nous uniquement si elle s'inscrivait dans la durée. Les écosystèmes numériques se développent depuis plusieurs années et ont de l'avance sur nous. Nous avions donc un retard considérable à combler. Toutefois, la demande de financement étant trop importante à leurs yeux, nous avons, au fur et à mesure des échanges réduit notre ambition. Semaine après semaine, mes interlocuteurs au sein du CIPDR nous demandaient de revoir à la baisse la nature du projet. C'est le deuxième signal qui aurait dû m'amener à stopper le projet, qui s'est peu à peu vidé de sa substance.

À partir du 20 avril, comme tout le monde, j'ai entendu parler de la mise en place d'un fonds appelé Fonds Marianne, dédié aux questions de contre-discours. À ce moment-là, mes interlocuteurs du CIPDR m'ont appris que la demande de subvention que nous avions été invités à présenter pouvait intégrer le nouveau Fonds Marianne. C'est ainsi qu'orientés par mon interlocutrice au sein du CIPDR, nous avons décidé de nous porter candidats dans le cadre de ce fonds.

Le 22 ou le 23 mai, sans que je puisse vous confirmer la date avec certitude, M. Mohamed Sifaoui m'a appelé pour me dire qu'il avait eu des informations laissant penser que notre projet avait été retenu. Dès le lendemain, le lundi 24 mai, je lui ai préparé son contrat de travail avec l'association. Nous avons alors commencé à mettre en oeuvre le projet. Je signale que nous avons été officiellement informés une première fois le 28 mai 2021 par mail. Ensuite, début juin, nous avons reçu un courrier de la ministre nous félicitant de façon officielle. Cependant, le CIPDR nous alerte à la fin du mois de juin 2021 sur le fait que le Cerfa que nous avions fourni lors de la candidature au Fonds Marianne comportait une demande pour les années 2021 et 2022, alors que le CIPDR ne pouvait s'engager de manière pluriannuelle. Cette incompréhension nous a donc conduits à réajuster le budget du projet.

La somme de 355 000 euros qui devait être affectée jusqu'au 31 décembre 2021 dans mon Cerfa constitue en fait le seul engagement que nous avions reçu du CIPDR. La somme demandée au titre de 2022 n'en faisait pas partie. En outre, il nous a été indiqué que la durée de l'action prévue, à savoir de juin 2021 à décembre 2021, semblait trop courte au regard du montant de la subvention accordée. Nous sommes donc convenus de prolonger la durée de l'action jusqu'au 28 février 2022, tout en conservant le même budget, autrement dit en réduisant de nouveau le montant des dépenses projetées. Nous avons donc signé la convention attributive dans ces conditions. Les différents ajustements, vous l'aurez compris, ont fortement impacté l'envergure du projet. Tous ces cafouillages, qui se sont étalés entre le mois d'avril et la fin du mois de juillet, ont énormément pénalisé le lancement de nos actions. Pendant la période estivale, Mohamed Sifaoui et moi-même avons commencé à poser les bases du projet, mais nous n'avons pas souhaité recruter avant la rentrée, car les personnes auxquelles nous pensions étaient en vacances et parce qu'il ne nous paraissait pas judicieux de commencer les contrats en plein été.

Nous avons néanmoins utilisé cette période estivale pour rédiger la stratégie, concevoir le logo « I Laïc », rencontrer des spécialistes du numérique, trouver un local, acheter le matériel et commencer à assurer la veille internet sur les comptes identifiés toxiques ou dangereux. C'est à partir du mois de septembre que nous avons constitué une petite équipe et que nous avons mis en place les premières actions. Nous reviendrons bien sûr sur le bilan de ces dernières.

Concernant l'organisation opérationnelle, j'étais le directeur administratif et financier du projet, par ailleurs le garant du respect de la ligne éditoriale que nous devions conserver dans le cadre du projet que nous avions présenté. M. Mohamed Sifaoui était, lui, directeur des opérations, caution scientifique, courroie de transmission et maître d'oeuvre de tout ce qui devait être publié. Il y avait également une rédactrice, juriste de formation, dont la mission consistait à proposer du contenu en veillant à ne pas s'exposer à des poursuites judiciaires abusives, pour diffamation notamment. Nous comptions également un graphiste, lui-même créateur de contenus. Enfin, des prestataires extérieurs étaient chargés, pour l'un du suivi des mesures numériques et de la conception des sites internet, et, pour l'autre, de la réalisation des vidéos.

Contrairement à ce qui a été dit ici et là, la masse salariale n'a pas été répartie entre Mohamed Sifaoui et moi-même, mais entre six personnes, quatre sous la forme de salaires et deux sous la forme d'honoraires. Beaucoup de contre-vérités ont été relayées par la presse, et c'est d'ailleurs ce qui a motivé la naissance de votre commission d'enquête.

Première contrevérité, les journalistes ont affirmé...

M. Claude Raynal, président. - Nous n'allons pas entrer dans le détail tout de suite. Si contre-vérités il y a eu, vous pourrez vous en expliquer en répondant à nos questions. Vous avez cadré la façon dont vous êtes rentrés dans le fonds Marianne, mais maintenant nous allons passer aux questions.

M. Cyril Karunagaran. - Monsieur le Président, j'aimerais pouvoir terminer cette partie, qui me semble essentielle au regard du contexte...

M. Claude Raynal, président. - Nous ne souhaitons pas inscrire nos travaux dans le cadre d'une opposition à la presse et aux contre-vérités qui ont pu être écrites. Nous souhaitons au contraire que nous puissions établir ensemble la vérité.

M. Cyril Karunagaran. - Je réitère ma demande...

M. Claude Raynal, président. - En m'excusant, non. Nous vous avions permis une introduction de quatre minutes et vous en avons laissé treize. Nous reviendrons au cours des questions sur l'ensemble des éléments du dossier. Vous pourrez, au terme de l'audition et si vous avez des choses à ajouter, compléter votre propos.

M. Cyril Karunagaran. - Ma dignité, mon honneur, ma réputation ont été ternis. Je dois terminer mon propos.

M. Claude Raynal, président. - Ne vous inquiétez pas, nos travaux s'engagent sans préjugés. Vous allez pouvoir vous expliquer en détail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Reprenons les choses dans l'ordre.

Je vais d'abord m'attacher aux conditions dans lesquelles vous avez déposé votre candidature dans le cadre du fonds Marianne et à la manière dont la sélection s'est opérée.

Avant le fonds Marianne, aviez-vous déjà eu l'occasion de travailler avec le secrétariat général du CIPDR (SGCIPDR) et, le cas échéant, de quelle manière ?

Pouvez-vous revenir sur le projet que votre association a présenté ? Quels en étaient les objectifs ? Vous avez expliqué qu'il était très ambitieux ; pouvons-nous avoir plus de détails ?

M. Cyril Karunagaran. - Avant de répondre à votre question, je souhaite terminer mon exposé. La première contre-vérité que je voulais dénoncer...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Monsieur, le président de notre commission d'enquête vous a rappelé notre fonctionnement : vous êtes ici en audition. Les questions qui vous seront posées au cours de celle-ci vous donneront l'occasion de vous exprimer. Le président vous a déjà laissé bien plus de temps qu'initialement prévu pour votre propos liminaire. Si, d'aventure, il vous restait des choses à dire au terme de nos interrogations, vous pourrez nous remettre un document.

Je répète mes questions : aviez-vous déjà eu l'occasion de travailler avec le secrétariat général du CIPDR ? Quel était le contenu de votre projet ?

M. Cyril Karunagaran. - L'association n'avait pas eu l'occasion auparavant de travailler avec le CIPDR. Le projet avait été soumis à celui-ci à la demande du cabinet de la ministre. C'est moi-même qui ai envoyé l'e-mail.

Pour ce qui concerne le contenu du projet, je vous renvoie à la fiche synthétique et au descriptif détaillé que nous vous avons transmis.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons bien reçu la fiche synthétique. Pour le reste, nous n'avons pas eu de document très détaillé...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons reçu, au départ, un document d'une page, puis un léger complément.

Vous avez évoqué tout à l'heure un projet dès le début de l'année, sur trois ans, très étoffé. Pouvez-vous nous en donner les grandes lignes ?

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous en repréciser le cadre et les objectifs ?

M. Cyril Karunagaran. - L'objet du projet s'inscrivait évidemment dans le cadre du fonds Marianne, à savoir la lutte contre les discours séparatistes.

M. Claude Raynal, président. - Si j'ai bien compris, le projet a été déposé avant même que l'on ne vous parle du fonds Marianne.

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait.

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous nous parler de ce projet initial, pour que nous puissions bien comprendre comment il s'est transformé ensuite ?

M. Cyril Karunagaran. - Ce premier projet avait effectivement pour objet de mener une action de déconstruction en ligne. Ce projet visait à lutter contre les discours séparatistes, les discours antirépublicains qui sont malheureusement foisonnants sur les réseaux sociaux et qui sont notamment relayés par certains écosystèmes nocifs. Il avait pour idée principale de constituer une véritable réponse en ligne à ces discours.

Comme je l'ai indiqué dans le projet détaillé, nous avions, pour ce faire, prévu de constituer une équipe, avec un responsable de projet opérationnel éditorial, une chargée de relations presse, une personne chargée des questions administratives, juridiques et financières, des community managers, des responsables de pôles. Il s'agissait vraiment de structurer une équipe afin de pouvoir produire un contenu régulier, moderne et accessible qui permette de décrypter l'islam politique et ses méthodes d'infiltration, mettre en place une riposte médiatique et « social media » pour lutter contre l'idéologie islamiste, et répondre de manière systématique, après évaluation et analyse des comptes émetteurs, aux propos diffamants dénigrant les valeurs de la République ou diffusant les idées susceptibles de fracturer la société française. Voilà la méthode que nous nous étions donnée.

S'agissant des moyens de communication, il s'agissait d'utiliser principalement les réseaux sociaux - Twitter, Instagram, Facebook -, un site internet, un wiki pour ce qui concerne les définitions, les médias mainstream, ainsi que des formations. Nous avions prévu de faire des vidéos, des articles de presse - y compris des articles de blog, des tweets et des posts Facebook, Instagram. Il s'agissait d'agir dans tout cet univers.

Tel était l'objet du projet dès le départ.

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Avant le fonds Marianne, vous n'avez donc jamais travaillé avec le secrétariat général du CIPDR ?

Vous venez de nous donner les grandes lignes du projet, dont j'ai compris, d'après votre propos introductif, qu'il datait du début de l'année 2021.

Ensuite, vous avez envoyé la candidature de votre association directement à M. Gravel le 9 avril, soit onze jours avant l'annonce de l'appel à candidatures du fonds Marianne. Le confirmez-vous ?

M. Cyril Karunagaran. - Je veux être bien précis. Je sais que M. Mohamed Sifaoui a travaillé avec le CIPDR, dont il a formé les équipes, mais cela n'avait rien à voir avec ce projet-là. Notre association, en revanche, n'a jamais travaillé avec le CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous prenons bonne note de ces précisions.

Vous nous avez confirmé que vous aviez déposé votre candidature en 48 heures. Entre le 7 et le 9, vous avez formalisé un dossier que vous avez envoyé directement à M. Gravel dans le cadre du fonds Marianne, qui n'existe pas encore à ce moment.

M. Cyril Karunagaran. - Ce n'est pas dans le cadre du fonds Marianne : c'est dans le cadre d'une demande de subvention. Comme je l'ai exposé tout à l'heure, c'est le cabinet qui nous a invités à produire ce dossier et à demander une subvention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Lorsque nous avons auditionné M. Gravel, celui-ci a indiqué que vous aviez d'abord déposé une demande de subvention à hauteur de 635 000 euros.

Quel est le projet qui devait être réalisé avec cette subvention ? Est-ce le même projet que celui qui a été retenu dans le cadre du fonds Marianne ? Disposiez-vous, à ce moment, d'informations qui vous laissaient espérer une éligibilité à ce fonds ? À onze jours près, vous auriez pu avoir vent de sa création...

M. Cyril Karunagaran. - Non. Pour notre part, nous avons présenté un projet avec une demande de subvention tout à fait classique, via le Cerfa 12156, pour un montant, effectivement, de 635 000 euros.

Nous n'avions pas plus d'informations sur un quelconque fonds - en particulier sur le fonds Marianne.

M. Claude Raynal, président. - Ce projet initial à 635 000 euros portait-il sur un an, sur trois ans ?

M. Cyril Karunagaran. - Comme je vous l'ai dit, nous avions présenté un projet sur trois années, même s'il était amené à se poursuivre au-delà. Les 635 000 euros portaient uniquement sur la première année - plus précisément sur ce qu'il restait de l'année, parce qu'on était déjà au mois d'avril. C'était donc sur sept ou huit mois.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si je comprends bien, les candidatures ont été déposées en dehors du fonds Marianne, avant d'y être intégrées : pouvez-vous me le confirmer ?

Pouvez-vous également me confirmer qu'un comité de programmation s'est réuni le 13 avril - soit toujours avant la création du fonds Marianne -, qui a fléché 300 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Je veux bien comprendre la question : vous me demandez si nous avons été basculés sur le fonds Marianne ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le fonds Marianne n'existe pas encore le 13 avril, date à laquelle nous avons eu connaissance qu'un comité de programmation s'est réuni. La somme de 300 000 euros vous a a priori été attribuée par ce comité, et vous n'êtes nullement tenus informés. Ignorez-vous cette décision ?

M. Cyril Karunagaran. - Pouvez-vous me répéter la date ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le comité de programmation s'est tenu le 13 avril. Cela a été confirmé lors des auditions.

J'essaie de comprendre la chronologie exacte des faits et les temps durant lesquels ont été attribuées des subventions - il ne vous a pas échappé que nous travaillons ici dans la rigueur financière et budgétaire...

Vous me dites donc que vous n'avez pas connaissance du résultat d'un comité de programmation qui s'est tenu le 13 avril et qui vous a attribué 300 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Non.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La subvention est portée de 300 000 euros à 355 000 euros par le comité de sélection du fonds Marianne, quelques semaines après.

À quel moment apprenez-vous cette décision ? Si j'ai bien entendu, vous êtes informés que votre projet allait être retenu à la fin du mois de mai ?

M. Cyril Karunagaran. - La chronologie est essentielle. Nous avons envoyé un premier dossier...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 9 avril !

M. Cyril Karunagaran. - Oui. Il y a eu des échanges avec le CIPDR à ce moment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec qui au CIPDR ? Sous forme de mails, d'échanges téléphoniques ?

M. Cyril Karunagaran. - Sous forme de mails.

C'est avec Mme Charlotte Collonge que nous avons échangé. J'ai eu un seul échange avec M. le préfet Gravel, au tout début, lorsqu'il a accusé réception de l'e-mail que je lui avais écrit.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En connaissez-vous la date ?

M. Cyril Karunagaran. - Malheureusement, ma mémoire me fait défaut sur les dates, mais c'était début avril.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 9 avril ?

M. Cyril Karunagaran. - Je pense. Je n'ai pas le mail sous les yeux, mais je pourrai vous le redire précisément. Ensuite, je n'ai échangé qu'avec Mme Collonge.

Nous avons été informés, à la toute fin du mois d'avril, que notre demande était susceptible d'être éligible au fonds Marianne. On nous a donc invités à présenter officiellement une demande de subvention dans le cadre du fonds Marianne, ce que nous avons fait ensuite.

M. Claude Raynal, président. - Cette demande de subvention dans le cadre du fonds Marianne portait-elle sur 635 000 euros, ou en aviez-vous déjà revu le montant à la baisse compte tenu des échanges que vous aviez eus avec le CIPDR ?

M. Cyril Karunagaran. - Les deux en même temps.

En effet, nous avons candidaté au fonds Marianne suivant la dernière version de nos échanges - celle à 635 000 euros.

J'ai ensuite eu un échange avec Mme Collonge, qui m'a fait modifier le dossier pour réduire le montant de la demande le 10 mai. Depuis le départ, le dossier envoyé début avril, nous n'avons pas bougé la présentation de notre dossier et le contenu mais simplement réduit les budgets.

M. Claude Raynal, président. - En annonçant les mêmes actions ?

M. Cyril Karunagaran. - Exactement. Depuis le départ, depuis le dossier envoyé le 7 avril - je crois -, nous n'avons pas modifié le contenu de notre dossier. Nous avons simplement réduit les budgets.

M. Claude Raynal, président. - À quel niveau le CIPDR vous a-t-il demandé de réduire le budget ?

M. Cyril Karunagaran. - Dans les premiers formulaires que j'ai envoyés, la demande de subvention était, du 1er janvier 2021 - modulo les quelques mois écoulés - au 31 décembre 2022, de 1,5 million d'euros sur trois ans. Ensuite, nous avons découpé notre projet : nous en avons réduit la durée et revu le budget.

Je pourrai vous transmettre ultérieurement les montants exacts.

M. Claude Raynal, président. - Oui, il faudrait que les étapes soient bien précisées.

Comment et à quel moment avez-vous eu connaissance du montant retenu de 355 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons tout d'abord reçu un mail du CIPDR nous informant que notre demande de subvention avait été satisfaite. Par la suite, nous avons reçu un courrier postal émanant du cabinet de la ministre, de la ministre elle-même nous félicitant pour la réussite de notre candidature.

M. Claude Raynal, président. - Il n'y a donc pas eu de discussions entre le CIPDR et l'association pour arriver à ce montant de 355 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Non, car ce montant était conforme à la demande présentée dès le 10 mai.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre demande initiale était de 635 000 euros. Ensuite, nous avons connaissance que vous a été signifiée l'attribution d'une subvention de 300 000 euros. Ce montant est passé à 355 000 euros sans que vous ayez de contact avec le CIPDR sur ce réajustement ?

M. Cyril Karunagaran. - Le réajustement a été fait en amont : dès le dossier présenté le 10 mai, nous avons formulé une demande de ce montant. Le montant de 635 000 euros est celui demandé au tout début.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On peut penser que le passage de 300 000 à 355 000 euros s'est accompagné d'échanges avec vous ?

M. Cyril Karunagaran. - Aucune subvention de 300 000 euros ne m'a été notifiée.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'avez même eu aucune connaissance d'un tel montant ?

M. Cyril Karunagaran. - Aucune ! Le montant qui nous a été attribué était de 355 000 euros. C'est le sens de l'e-mail et du courrier que j'ai reçus. Je n'ai pas connaissance de ce qui a pu se dire en interne au CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous avez indiqué dans votre propos introductif que tout était parti - pour ce que vous en savez - d'un appel du cabinet de la ministre à M. Sifaoui pour lui proposer d'adresser une demande de subvention dans le cadre des fonds du CIPDR - à ce moment-là, on ne parlait pas encore de fonds Marianne. Est-ce bien ce qu'il s'est passé ?

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait.

M. Claude Raynal, président. - Cette nuance est assez significative. En effet, toujours dans votre propos introductif, vous avez précisé que si vous aviez su comment les choses évolueraient, vous auriez peut-être agi différemment. De fait, il s'agissait donc au départ d'un contact du cabinet de la ministre non pas avec votre association, mais avec M. Sifaoui, lequel s'est adressé à vous afin que vous fassiez une proposition par le biais de ladite association. Est-ce ainsi que cela s'est passé ?

M. Cyril Karunagaran. - C'est exact. D'après ce que l'on m'a relaté, M. Sifaoui a été en contact avec le cabinet de la ministre. Il est ensuite venu me voir, l'USEPPM ayant la volonté d'engager ce type d'action, et je le lui ai confirmé, car il s'agissait bien de la ligne interne de l'association.

M. Claude Raynal, président. - Surtout, M. Sifaoui, que nous espérons auditionner dès qu'il ira mieux, ne pouvait pas répondre intuitu personae à la demande du cabinet de la ministre et à l'appel d'offres ; il fallait bien qu'une association porte cette action. Pour votre part, d'après ce que vous nous dites, vous n'étiez pas encore acteur dans ce domaine, ou alors de manière très limitée, mais vous aviez la volonté de travailler sur ce terrain-là. C'était l'occasion d'amener votre association à traiter ce sujet.

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait. Nous avions déjà mené des actions dans le domaine, plus large, de la prévention de la radicalisation ; en revanche, c'est ultérieurement que nous nous sommes orientés vers l'action en ligne à destination de la jeunesse.

M. Claude Raynal, président. - M. Raphaël Saint-Vincent a été cité par M. Christian Gravel comme étant l'un des experts de votre association en matière de prévention de la radicalisation. Le confirmez-vous ?

M. Cyril Karunagaran. - M. Saint-Vincent a fait partie de l'association à une certaine époque et s'est effectivement intéressé à ces sujets, mais il n'en fait plus partie aujourd'hui.

M. Claude Raynal, président. - Avait-il quitté l'association lorsque vous avez déposé le dossier de demande de subvention ?

M. Cyril Karunagaran. - M. Saint-Vincent ne faisait plus partie de l'association depuis 2018, car il en a été exclu.

M. Claude Raynal, président. - C'est un autre aspect... Est-ce la raison pour laquelle vous n'avez pas fait appel à lui au moment de répondre à l'appel d'offres ?

M. Cyril Karunagaran. - Oui.

M. Jérôme Bascher. - Pour quelle raison M. Saint-Vincent a-t-il été exclu de l'association ?

M. Cyril Karunagaran. - Il a été exclu pour motif grave. Il faut savoir que notre association détenait un patrimoine immobilier important, notamment un immeuble situé dans le 1er arrondissement de Paris qui avait été affecté dans les années 1960, en accord avec la mairie d'arrondissement, à la vie de quartier - sport, loisirs, bien-être, accompagnement des personnes fragiles. Or ce point est à l'origine de nombreuses difficultés rencontrées par l'association dans un passé plus ou moins récent.

En 2014, notre association avait subi une première tentative de prise de contrôle par des membres malveillants qui voulaient faire main basse sur son patrimoine immobilier. Cela s'est produit une seconde fois en 2018, sur l'initiative d'une autre équipe, et les nombreuses exclusions décidées étaient liées à cette nouvelle tentative de prise de contrôle. Ces affaires internes sont un peu reliées à l'emballement médiatique que nous connaissons : elles font partie des règlements de comptes qui visent l'USEPPM, ainsi que M. Sifaoui et moi-même, qui sommes parties à ce contentieux.

Je tiens à attirer votre attention sur le fait que ce différend est en cours de règlement par la justice, des procédures ayant été engagées.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'entrerons pas dans ce sujet, qui relève du droit privé, mais ce que vous venez de dire permet d'éclairer le climat qui régnait dans l'association.

M. Daniel Breuiller. - Combien d'adhérents comptait votre association et quel était son budget en 2020, soit une année avant que vous ne déposiez un projet auprès du CIPDR ? Je pose cette question pour apprécier l'écart entre les budgets 2020 et 2021.

Vous avez dit avoir déposé un grand nombre de formulaires Cerfa. Pourquoi, et à la demande de qui ?

M. Cyril Karunagaran. - Le nombre des membres de l'association a beaucoup fluctué, notamment à cause des conflits internes que j'ai évoqués. Lors du dépôt de la demande de subvention, nous avions fortement réduit cet effectif, en ne retenant que des personnes véritablement sûres, soit cinq membres. Quant au budget annuel, il était de 50 000 euros environ. Le fonds Marianne, et au-delà le projet que nous avons présenté, a modifié substantiellement notre budget dans la mesure où nous lancions une nouvelle activité.

Lors de chaque échange avec le CIPDR, à la suite duquel nous adaptions le projet, nous devions remplir un nouveau formulaire Cerfa, ce qui était assez fastidieux. Nous avons dû en remplir un, également, à la suite de la notification d'attribution des 355 000 euros parce que l'un des éléments indiqués n'était pas bon, et ce très peu de jours avant la signature de la convention d'attribution.

M. Claude Raynal, président. - Quel est le rapport entre les finances de votre association et un projet de cette nature ? Vous nous avez indiqué avoir demandé, dans un premier temps, une subvention de 635 000 euros. Or le budget de l'association est de 50 000 euros.

En tant que président d'association - beaucoup d'entre nous ici l'ont été, souvent avant d'être élus -, comment avez-vous pu imaginer pouvoir porter un projet coûtant 635 000 euros, avec les salaires et charges y afférant, alors que votre budget annuel était de 50 000 euros, soit un montant extrêmement faible ? En effet, les salaires doivent être versés tous les mois et il n'y a jamais de certitude quant à la date de versement des subventions. À cet égard, il semble que des avances de trésorerie aient été consenties au directeur des opérations.

Ne vous êtes-vous pas interrogé sur votre capacité, dans le cadre d'un projet de cette dimension - celui de 635 000 euros, mais cela vaut aussi pour celui de 355 000 euros -, à faire face aux frais et avances de trésorerie avant réception des subventions et participations ? L'acceptation par le CIPDR d'une demande de cette nature ne vous a-t-elle pas étonné ?

M. Cyril Karunagaran. - J'ai découvert tout cela sur le moment parce qu'il s'agissait de ma première demande de subvention pour l'association. Je n'étais donc pas étonné parce que je n'avais aucune expérience antérieure d'une mission impliquant l'intervention des fonds publics. J'ai découvert ainsi qu'entre le moment où vous déposez une demande de subvention et le versement effectif des sommes, il peut se passer du temps, et que les engagements dépendent de la signature de conventions qui n'arrivent pas toujours...

Toutefois, nous avions budgété le projet très précisément, en tenant compte des subventions publiques et privées. Ayant construit un budget pluriannuel, nous pouvions en théorie assurer le déroulement du projet. Mais, dans les faits, c'est en effet plus compliqué que cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Président d'une association dont le budget annuel est de 50 000 euros, vous avez déposé - avant la création du fonds Marianne -un projet d'un montant de 635 000 euros annuels qui devait s'étendre sur trois ans ; vous avez ainsi avancé le chiffre de 1,5 million d'euros. De 50 000 à 1,5 million d'euros, avec un premier versement annuel souhaité de 635 000 euros, il faut ajuster la voilure !

Les 635 000 euros initialement demandés avant la création du fonds Marianne, dont vous avez pris connaissance un peu après le 10 mai 2021, sont devenus finalement 355 000 euros. On nous a dit qu'à un moment donné l'annonce d'un montant de 300 000 euros avait été faite. La somme qui vous a été attribuée vous convenait-elle, ou y a-t-il eu des réclamations, comme cela nous a été rapporté ? Nous avons en effet besoin de confronter les points de vue des uns et des autres. M. Sifaoui et vous-même vous êtes-vous inquiétés du faible montant programmé, soit 300 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Encore une fois, je n'ai pas imprimé tous les formulaires Cerfa, mais je vous transmettrai l'information précise ultérieurement. Outre les 635 000 euros que nous demandions au départ au CIPDR, nous avions prévu d'autres financements. Les 355 000 euros que nous avons demandés ensuite ne représentent qu'une partie de notre budget et de la totalité de nos subventions.

Vous avez parlé de mon inquiétude quant aux modifications de budget ; il y avait plutôt pour moi un motif d'incompréhension. C'était en effet la première fois que je remplissais un formulaire de demande de subvention. Lors de nos échanges avec le CIPDR, nous avions évoqué la possibilité d'obtenir une subvention de 300 000 euros, sans préciser leur affectation ; notre demande a donc porté sur un montant de cet ordre dans le cadre du fonds Marianne : 355 000 euros, correspondant à l'année 2021, le projet devant être pluriannuel dans mon esprit. Sur le formulaire Cerfa que j'ai sous les yeux, il est indiqué que la subvention sollicitée est de 355 000 euros pour 2021, et de 580 000 euros pour 2022. Pour répondre à votre question, afin de gérer la trésorerie, nous disposions donc d'une programmation pluriannuelle.

J'ai malheureusement découvert, après que l'acceptation de la demande de 355 000 euros m'avait été notifiée, que je devais faire disparaître le montant de 580 000 euros qui figurait pourtant sur le formulaire Cerfa et qui correspondait, selon moi, à un engagement dans la durée. Nous nous sommes donc retrouvés avec une visibilité réduite sur six ou sept mois.

M. Claude Raynal, président. - Je m'adresse au président et au responsable financier d'association que vous êtes : vous nous avez indiqué que l'association disposait d'un patrimoine immobilier, mais peut-être aviez-vous aussi des réserves significatives, un patrimoine financier ? Cela aurait alors permis de lancer le projet sans trop d'inquiétude, même si l'argent de la subvention arrivait un peu plus tard. Était-ce le cas ?

M. Cyril Karunagaran. - Lorsque le projet a démarré, l'association n'avait plus de réserves de trésorerie, celles dont elle disposait auparavant ayant malheureusement été dilapidées lors du premier conflit interne qui a donné lieu à une tentative de prise de contrôle. Je savais que cette trésorerie était reconstituable - certes pas en un an -, mais l'activité était pérenne et les choses fonctionnaient ainsi depuis longtemps ; je n'avais donc pas de doutes sur la montée de trésorerie.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous dû attendre pour démarrer l'opération que l'argent de l'État rentre ?

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait. Toutefois, avec M. Sifaoui, nous avions tout de même commencé à travailler sur ce projet dès le premier trimestre 2021.

M. Claude Raynal, président. - Il y a un point que j'ai un peu de mal à comprendre : votre projet comprenait une subvention du CIPDR, dont on a compris qu'elle était essentielle, mais également - vous les avez évoquées - des subventions complémentaires provenant, notamment, de deux conseils régionaux qui devaient apporter une participation. Or on constate, d'après les documents que vous avez transmis, que ceux-ci n'ont pas participé. Malgré tout, en tant que président de l'association, vous démarrez le projet et embauchez, sans certitude concernant ce financement. Comment l'expliquez-vous ?

M. Cyril Karunagaran. - Nous n'avons pas indiqué ces montants par hasard, mais en fonction de discussions informelles qui avaient eu lieu. Or ces subventions que nous avons inscrites, et sur lesquelles nous comptions, n'ont pas eu lieu.

M. Claude Raynal, président. - N'auriez-vous pas dû avoir quelques certitudes à cet égard, ce qui est généralement le cas lorsqu'il s'agit d'institutions telles que des conseils régionaux, au travers du mode de validation des subventions par l'assemblée permanente ? Comment peut-on démarrer un projet sans être certain de disposer de telles sommes, aussi significatives, dès lors que l'on n'a pas de réserves, financières ou autres ? Il est évident, dans ces conditions, qu'au bout de quelque temps le projet va s'éteindre.... Que pouvez-vous nous dire à cet égard ?

M. Cyril Karunagaran. - Encore une fois, vous me parlez des processus de validation pour lesquels je n'ai aucune expérience : c'était la première fois que je travaillais avec des subventions publiques. Je découvre aussi ce fonctionnement. Je ne savais pas qu'il y avait une telle complexité.

Mme Isabelle Briquet. - Vous avez indiqué ne jamais avoir déposé de demande de subvention, mais ce propos ne concerne-t-il que le CIPDR, ou est-il général ? Votre association n'aurait-elle donc jamais bénéficié de subventions pour son fonctionnement courant ou pour d'autres projets ? Quelles auraient été ces subventions, auprès de qui auraient-elles été obtenues, et pour quels types d'action ?

M. Cyril Karunagaran. - De mémoire, nous n'avons jamais perçu de subventions, mais l'association existe depuis bien longtemps. Je crois savoir que lors des présidences précédentes, des subventions avaient été obtenues, mais je n'en ai pas connaissance et je ne peux pas vous en dire davantage, car je ne suis pas informé de ces éléments.

M. Claude Raynal, président. - Vous signalez simplement que, durant votre mandat, il n'y avait pas eu de demandes de subventions préalables. C'était la première fois qu'en tant que président vous demandiez une subvention. Mais comme l'association a plus d'un siècle, vous ne pouvez pas garantir l'absence de subventions pour les années précédentes.

M. Cyril Karunagaran. - C'est certain : je n'étais pas né lors de la fondation de l'association.

M. Claude Raynal, président. - S'il n'y a pas d'autre question sur les aspects financiers, nous allons donc passer à un deuxième sujet, qui concerne la réalisation et le contrôle du projet, c'est-à-dire son exécution. Les éléments budgétaires que vous nous avez fournis ne sont pas sans lien avec les résultats obtenus, mais vous indiquez avoir travaillé en amont de l'obtention des subventions. Le projet a démarré en septembre, vous recrutez à la fin de l'été, mais M. Sifaoui et vous-même travaillez déjà sur le projet. Pouvez-vous rapidement nous parler des réalisations financées par ces crédits ?

M. Cyril Karunagaran. - J'en profite donc pour revenir à nos productions.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord. Mais ne mettez pas en cause qui que ce soit : énoncez seulement votre vérité.

M. Cyril Karunagaran. - Nos productions ont commencé au début du mois de septembre 2021. En sa qualité de responsable éditorial, M. Mohamed Sifaoui a rappelé à maintes reprises que ce qui était attendu de nous, ce n'était pas la quantité, mais la qualité. Malheureusement, la presse a été très partiale en relayant des contre-vérités et en dressant un bilan à charge de nos réalisations.

Certes, nous n'avons pas réalisé beaucoup de vidéos, et ces vidéos n'ont peut-être pas suscité l'adhésion souhaitée, mais il est évident qu'elles ont été vues. Les mesures d'impact que nous avons réalisées établissent que toutes nos productions ont touché des centaines de milliers de personnes - ce qui n'a pas été dit. Entre septembre et novembre 2021, lors du premier trimestre de production, selon les statistiques de Twitter, nos tweets ont été vus par près de 2 millions d'internautes ; entre décembre 2021 et février 2022, ils l'ont été par 1,1 million de personnes. Un seul thread du 12 mars 2022 sur le sanguinaire Mohammed Merah a permis à notre compte d'être vu par 1,9 million de personnes.

Je sais que je m'exprime devant l'opinion publique ; je prends à témoin tous les spécialistes du numérique, qui vous confirmeront que l'indicateur le plus important pour mesurer l'impact d'un compte est non le nombre de followers, mais le taux d'impression, c'est-à-dire l'audience réelle. Avec ce projet, nous n'avons pas voulu faire un feu de paille en utilisant des publicités sponsorisées pour obtenir un chiffre d'affichage maximal, mais nous avons cherché à créer une réelle diffusion organique de nos productions, bien plus qualitative. Dans la perspective de l'enquête judiciaire, nous faisons authentifier ces mesures d'impact par constat d'huissier ; je les tiens à votre disposition.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Dans les documents que vous avez transmis au CIPDR, qui nous les a transférés et qui s'affichent sur un écran devant vous, vous dressez le bilan de votre action. Vous y recensez 1 763 abonnés sur les réseaux sociaux Twitter, TikTok et Instagram, 500 publications diffusées sur ces trois plateformes, avec un engagement en ligne « faible », qui s'explique, selon votre commentaire, pour ces raisons : « les comptes ont été créés à l'occasion de ce projet et la constitution d'une communauté [...] nécessite une stratégie de communication de longue durée » - nous pouvons vous suivre sur ce point. Et ensuite : « comme l'explique la structure dans son bilan, les comptes toxiques identifiés par l'association bénéficient de communautés établies et agissent depuis des années ».

Le bilan statistique est le suivant : 1 510 abonnés sur Twitter, 401 tweets, avec une moyenne de 123 000 impressions. Mais sur Twitter, les impressions comptabilisent le nombre total de vues, qui peuvent durer une seule seconde : en tant qu'utilisateur de Twitter, je sais bien qu'il faut se méfier de cette statistique, dont les chiffres parfois importants ne signifient pas que le message est réellement lu ou vu, mais uniquement que le message a été ouvert. Sur Tiktok, vous comptez plusieurs milliers de vues par vidéos diffusées, 116 abonnés, 950 « j'aime », 21 publications, et plus de 5 500 vues en moyenne.

Dans la campagne digitale la plus importante que vous avez menée, en hommage au professeur assassiné Samuel Paty, des enseignants de collège, face caméra, lisent des textes, notamment de Victor Hugo. En regardant globalement les choses, le bilan semble relativement faible.

Je vous interroge à nouveau : comment mettre en perspective ces résultats avec les montants significatifs touchés ? Vous le savez, nous restons simples : d'un côté des montants, de l'autre des résultats. Le montant des subventions est important, même si, comme nous l'avons évoqué, vous n'avez pas touché la deuxième partie des subventions demandées, car vous n'avez pas obtenu les subventions régionales. À partir de ce moment, vous n'avez pas pu bénéficier du deuxième versement du CIPDR pour poursuivre votre projet. Mais si l'on rapporte les montants perçus aux résultats, il nous paraît tout de même qu'il y a peu de résultats par rapport aux moyens engagés. Partagez-vous cette impression ?

M. Cyril Karunagaran. - Si vous me demandez si nous sommes contents du résultat, je vous répondrai évidemment non. Si nous avions bénéficié de plus de moyens humains et financiers et de plus de temps, nous aurions probablement fait plus. Mais, je vous le rappelle, ce projet est né d'une feuille blanche. Il nous a été demandé de répondre à des comptes toxiques installés depuis plusieurs années, parfois suivis par des centaines de milliers de personnes.

Personne n'est revenu sur la qualité de l'intégralité de nos productions : nous avons cherché à faire de la qualité, et non de la quantité. Ce point est essentiel. Notre projet était pluriannuel : il faut évidemment faire un bilan, mais l'intérêt du projet ne se mesure pas sur six mois ou un an. Le projet vise à déconstruire les discours d'en face. Il s'inscrit dans le temps : pour qu'un compte perdure, avec une efficacité opérationnelle, il doit tout d'abord être qualitatif.

De ce point de vue, notre mission est réussie. Nous pouvons toujours discuter de la quantité des impressions et des engagements sur Twitter, mais pour nous, du point de vue qualitatif, l'objectif a été atteint, et il s'agissait des bases de notre projet, appelé à se poursuivre les années suivantes. Je ne sais pas si je réponds à votre question...

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes libre de votre réponse.

M. Cyril Karunagaran. - Je rappelle les objectifs et les fondements du projet : nous ne pouvons pas nous arrêter sur le nombre de followers pour mesurer l'action menée et établir si nous avons atteint notre objectif. De ce point de vue, nous avons fait ce qu'il fallait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Où en êtes-vous du projet d'encyclopédie en ligne, que vous indiquez comme étant « en cours » dans ce document ?

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait. Cette encyclopédie en ligne réunit des définitions scientifiques qui supposent des recherches, pour déconstruire notamment tous les aspects de la propagande islamiste. Nous avons produit un grand nombre de définitions, qui comme dans un wiki comportent des liens entre chaque article, mais nous ne l'avons pas encore publié, car notre production n'est pas publiable pour l'instant. Nous irons au bout de ce projet, indépendamment de tout financement public, et nous continuerons à travailler dessus.

M. Claude Raynal, président. - Je n'arrive toujours pas à comprendre que vous continuiez à parler d'un projet conçu dans une perspective pluriannuelle, alors que les moyens alloués par le CIPDR ne correspondent qu'à la moitié de ce que vous espériez initialement. Vous ne bénéficiez pas de financements complémentaires. À quel moment déciderez-vous de changer de projet ? En l'absence de partenaire, si vous ne disposez pas de l'argent attendu pour le projet tel que vous l'imaginiez, vous devriez vous retourner vers le financeur, pour lui indiquer que le projet ne peut pas être réalisé. Vous devriez réduire votre ambition, réviser les moyens financiers, réduire le nombre de salariés ou de prestataires, pour retrouver un équilibre entre le projet et son financement.

Or dans vos réponses, vous continuez à vous placer dans une perspective de trois ans, qui n'existe plus, comme vous l'avez-vous-même indiqué. Elle a existé lors de votre première demande, mais elle n'existe plus, car les financements que vous demandiez pour 2022 dans le formulaire Cerfa ne pouvaient pas vous être accordés. Même si cette perspective n'existe plus, vous soutenez d'une certaine manière que vous investissez pour la suite plutôt que pour le présent, et que votre action ne serait pas quantifiable immédiatement.

Certes, vous découvrez le fonctionnement des financements publics. Mais les subventions publiques accordées à des associations servent à faire : il doit y avoir une réalisation concrète, l'action menée doit être quantifiable. Encore une fois, pour des associations, ces montants sont extrêmement significatifs. Vous-mêmes disposez d'un budget de 50 000 euros par an ; nous parlons de subventions non de 30 000 euros, mais de 355 000 euros, accordés à une association pour un projet qui démarre, même si votre association a une petite expérience. C'est tout à fait différent : il faut une gestion très précise, de votre part comme de celle du CIPDR - ce dernier point a fait l'objet de questions à M. Gravel, et je n'y reviendrai pas. Mais à quel moment vous dites-vous que vous allez dans le mur ? Dans les documents que nous avons reçus, vous indiquez que vous ne pouvez plus financer votre projet, payer des salariés, et que le projet s'arrête. Vous présidez l'association, vous avez des habitudes de gestion financière : vous voyez bien que vous allez dans le mur, mais pourtant les choses ne s'arrêtent pas. Expliquez-moi cela...

M. Cyril Karunagaran. - Je suis aussi là pour assumer mes responsabilités. Avons-nous commis des erreurs ? Oui, peut-être : notre première erreur a été de solliciter cette subvention sur un sujet sensible alors que, selon moi, notre association n'était pas prête à assumer un tel défi. Cela dit, nous avons signé des contrats à durée déterminée (CDD) qui s'arrêtaient en février ou en mars - la mémoire me fait défaut, mais c'est dans ces eaux-là. Nous avons pu payer tout le monde jusque-là. Ensuite, évidemment, nous avons réduit la voilure, de fait : au départ, le projet devait mobiliser une dizaine de personnes. Le projet a été vidé de sa substance, comme je vous l'ai indiqué, mais nous l'avons poursuivi avec les moyens accordés : cela ne préjugeait pas de la suite : rien ne nous empêchait de poursuivre ce projet, parce que, disons-le, la qualité de nos productions a été plutôt bien accueillie...

M. Claude Raynal, président. - Mais par qui ?

M. Cyril Karunagaran. - Par le CIPDR, notamment, avec lequel nous avions des échanges. Rien ne me laissait penser que le projet s'arrêterait brutalement. Nous sommes partis d'une feuille blanche ; il s'agissait de faire nos preuves, nous avons poursuivi dans ce sens-là, en réduisant la voilure quand il le fallait, et en tentant de gérer au mieux les fonds dont nous disposions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Rentrons dans le détail de ce que vous appelez « la voilure ». Dans les pièces que nous avons reçues, il y a des évolutions concernant le nombre de salariés. Dans la fiche projet, ce sont d'abord dix salariés qui sont indiqués, puis six dans le formulaire Cerfa. Pour le projet, combien de personnes avez-vous recrutées ? Ces personnes ont-elles travaillé toute l'année ou une partie de l'année seulement ? Étaient-elles à temps complet ou à temps partiel ?

M. Cyril Karunagaran. - Nous étions quatre, dont moi-même, M. Sifaoui et les deux personnes dont j'ai parlé : celle qui était responsable éditorial - juriste de formation - et celle qui s'occupait de la production de contenus vidéo. Elles ont travaillé jusqu'au début de l'année 2022, à plein temps au départ, puis une d'entre elles est passée à mi-temps. Quelques ajustements ont été faits. Grosso modo, il y avait quatre emplois à plein temps. Nous avions annoncé six emplois, et il y a eu quatre embauches.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le formulaire Cerfa, il était indiqué le chiffre de six emplois ; mais, en réalité, il y en avait quatre « grosso modo », pour reprendre vos mots.

M. Cyril Karunagaran. - J'ai dit grosso modo car il y a eu des évolutions. Une personne embauchée à temps plein est passée à mi-temps en cours de contrat. Il faudrait faire des calculs plus précis, en proratisant.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le projet a duré un an puisqu'il a été mis en oeuvre de juin 2021 à mai 2022. À ma connaissance, au vu des bulletins de salaires qui nous ont été transmis, dans les salariés nous avons une personne à mi-temps toute l'année, une à plein temps toute l'année, une à plein temps pendant six mois, et une à mi-temps pendant six mois et à plein temps pendant deux mois. Au total, cela représente 2,5 temps plein (ETP) pendant l'année du projet, et non pas quatre comme vous le disiez. Pouvez-vous me le confirmer ?

M. Cyril Karunagaran. - Je vous le confirme. Je n'ai pas fait le calcul, mais nous avions effectivement embauché les quatre personnes que vous avez citées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment expliquez-vous qu'on soit passé de 6 équivalents temps plein au départ à 2,5 ?

M. Cyril Karunagaran. - Lorsque nous avons rempli le formulaire Cerfa, nous attendions d'autres financements. Je suis d'accord pour être naïf et un peu optimiste à l'époque sur l'obtention des subventions que nous avions demandées, en revanche, je n'irais pas jusqu'à embaucher des gens sans savoir si nous pourrions les financer. Si nous n'obtenions pas ces subventions, nous n'aurions pas pu payer toutes les personnes embauchées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les dépenses de personnel représentaient dans votre projet un peu plus de 40 % des charges totales. Selon les éléments qui nous ont été transmis, elles représentent 77 % des dépenses exécutées. Par conséquent, d'autres dépenses ont été sous-exécutées. Comment expliquez-vous que les charges de personnel, pourtant réduites par rapport à l'ambition initiale de 6 à 2,5 ETP, pèsent aussi lourd dans votre budget ?

M. Cyril Karunagaran. - Ces chiffres proviennent-ils du compte rendu financier ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Oui.

M. Cyril Karunagaran. - La prévision en charges de personnel s'élevait à 233 600 euros ; le montant exécuté est de 193 468 euros. J'estime que nous sommes dans les clous. Nous avons dû réduire des éléments d'autres postes budgétaires parce qu'on n'a pas obtenu la totalité des sommes prévues, notamment la partie « autres services extérieurs », sur la publicité et les publications.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le taux de 77 % n'inclut pas les prestataires extérieurs.

M. Cyril Karunagaran. - Pour ma part, je dispose de la donnée suivante : un taux d'exécution de 83 %.

M. Claude Raynal, président. - Nous évoquons, pour notre part la part des salaires de 77 % sur l'ensemble des dépenses exécutées et non le taux d'exécution des dépenses salariales. Les deux principaux salariés représentent 73 %, ce qui est extrêmement significatif.

Pour en revenir à ma question précédente, vous estimez que vous êtes « dans les clous » par rapport à l'opération telle qu'elle a été présentée, en ayant fait un peu moins que prévu. La question n'est pas est-ce qu'on est dans les clous ou pas : la réponse est évidemment non ! Entretemps, le budget total s'est réduit considérablement. L'opération aurait dû être réduite à due proportion de la baisse du budget. Si l'on a moins d'argent pour faire, l'objectif n'est pas de payer des salaires, mais bien d'avoir un résultat, de monter un projet.

Si vous n'avez que 60 % des subventions attendues, votre projet doit être réduit de 40 % autant sur les prestations fournies que sur la partie salariale. Nous examinons les aspects budgétaires, au-delà des commentaires qui peuvent être faits sur les aspects qualitatifs, sur laquelle chacun peut avoir son avis. Or les salaires, qui devaient constituer 42 % du budget, finissent par représenter 77 % des dépenses réalisées. C'est la réalité des choses, et cela s'est fait au détriment des prestations et des contenus.

En toute logique, vous auriez dû considérer qu'en raison de la réduction du budget, il n'était plus possible de payer un salaire pour un plein temps à M. Sifaoui, un salaire pour un mi-temps pour vous-même... Si l'on garde l'ensemble des moyens sur les salaires, il ne faut pas s'étonner de ne pas avoir de résultats. À quel moment vous êtes-vous dit que le projet ne permettait plus de porter des charges salariales aussi importantes ? Vous n'avez pas ajusté, les salaires ont été maintenus.

M. Cyril Karunagaran. - Je suis complètement votre raisonnement qui est tout à fait logique. Mais nous étions arrivés à un seuil critique de dénaturation du projet initial. Je suis d'accord sur la réduction de personnel qui doit faire suite à une baisse du budget, mais là nous n'étions plus que l'équipe minimum. Pour produire, il faut des gens derrière. La preuve en est qu'avec le budget que nous avions, nous avons tout de même réussi à produire du contenu. Il faut réduire proportionnellement, certes, mais dans une certaine limite, car on finit par arriver à un seuil. Il faut des personnes pour faire notre travail, qui est essentiellement de la production intellectuelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La réduction n'est pas proportionnelle. Les charges de personnel, estimées au départ à un peu plus de 40 % du budget, passent à 77 %, ce qui laisse peu de place pour les moyens dédiés à la production de contenus du projet « I Laïc ». S'agit-il, selon vous, d'un élément d'explication ?

M. Cyril Karunagaran. - Notre équipe était vraiment au minimum, on ne pouvait pas réduire davantage. Je l'ai dit, nous avons mis fin aux CDD et conservé l'équipe « moteur ». Car si vous retirez le volant, les roues et le moteur, vous n'avez plus de voiture.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En revanche, vous avez gardé le carburant puisque les salaires ont été maintenus !

M. Cyril Karunagaran. - Bien sûr, mais nous avons pu produire et travailler.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez produit du contenu, mais rapporté au budget total le montant qui a été consacré aux contenus est relativement modeste, autour de 20 %.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous avez indiqué que vous étiez le directeur administratif et financier. Vous n'interveniez donc pas directement sur les contenus. Au final, le coût de la fonction administrative et financière a représenté de l'ordre de 30 % du budget. Ne vous êtes-vous pas dit à un moment donné que cela était excessif et qu'il fallait réduire ce coût ?

Dans le cadre de la gestion de projet, la partie administrative et financière représente habituellement 7 à 8 % de l'enveloppe financière. Dans le monde associatif, c'est l'ordre de grandeur qui est très souvent admis. En l'espèce, on atteint un taux de 30 %. Un travail a certes été effectué, mais il n'y a pas eu d'ajustement à la réalité des sommes consacrées in fine. Nous ne trouverons pas de terrain d'accord sur ce point, mais nous pensons que, face à une baisse des subventions, il faut réduire les charges salariales pour garder le projet. Ce n'est jamais agréable, mais c'est quasiment une nécessité. Si le bilan nous apparaît pauvre - on peut en discuter à l'infini -, c'est parce que l'argent a été utilisé pour les fonctions support et pas pour l'exécution de la mission. Tel est notre point de vue.

M. Cyril Karunagaran. - Je le comprends parfaitement.

En revanche, nous avons fait un ajustement, pas en réduisant la masse salariale, mais au niveau de la répartition des tâches. Au vu de l'ampleur du projet au départ, je m'occupais de la partie administrative et financière. Chemin faisant et l'équipe se réduisant, je me suis occupé aussi de l'opérationnel. Mes tâches n'étaient pas seulement liées à l'administratif ou au financier.

M. Claude Raynal, président. - J'ai repris vos mots : quand vous avez présenté votre fonction, vous avez indiqué que vous étiez directeur administratif et financier, et non pas que vous réalisiez des vidéos.

M. Cyril Karunagaran. - Effectivement, j'ai fourni un travail en dehors des tâches administratives et financières. J'avais la responsabilité de la ligne éditoriale. Les publications étaient toutes revues, avec deux niveaux de contrôle. Vous le savez, le sujet était très sensible, surtout à cette période-là. Je n'ai jamais eu de commentaire sur la qualité des productions et l'engagement moral que nous avions pris, et cela résulte de la ligne éditoriale que nous avons mise en place.

Je participais également à des visioconférences toutes les semaines avec les équipes, pendant lesquelles les contenus étaient revus. Cette tâche était en dehors de mes fonctions administratives et financières. C'est de cette façon que nous avons ajusté les choses de notre côté.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous en venons à la dernière partie de l'audition, qui concerne les opérations de contrôle du secrétariat général du CIPDR. Au regard des éléments qui nous ont été transmis, l'absence de versement de la deuxième tranche de la subvention se trouve justifiée par le niveau d'engagement des dépenses par rapport au budget prévisionnel - c'est la règle des 60 %.

Lors de son audition par notre commission, le secrétaire général, M. Gravel, a précisé que la décision de ne pas verser la part complémentaire de la subvention relevait d'abord d'un dysfonctionnement en termes d'information de votre part, et donc pas principalement en raison du niveau insuffisant d'engagement des dépenses.

De quelle façon vous a été justifié le refus de verser la deuxième tranche de la subvention de la part du secrétariat général du CIPDR ?

M. Cyril Karunagaran. - Je n'ai pas connaissance de ces raisons. Le sujet a été évoqué pour la première fois en février ou mars 2022. Je reçois une demande du CIPDR de compléter le document attestant que j'ai engagé 60 % des dépenses, afin de percevoir la somme restante.

Nous avons eu un échange avec le CIPDR, au cours duquel j'ai expliqué que ce taux n'avait pas été atteint et qu'au vu de la ventilation du budget, ce n'était pas possible. J'ai renvoyé l'état récapitulatif des dépenses, qui était une trame déjà préparée. Nous n'avons pas demandé le solde de la subvention. Ensuite, cette question ne s'est plus posée jusqu'au mois de février de cette année. J'ai alors de nouveau échangé avec le CIPDR. Nous avions convenu qu'en raison de la non-utilisation de plus de 60 % du budget, je ne pouvais pas prétendre au versement du solde. Voilà les seules informations dont je dispose.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je n'ai pas tout à fait les mêmes au regard des éléments qui nous ont été transmis. Je vous ai bien entendu dire qu'il ne s'était rien passé de mars 2022 à mars 2023. D'après les éléments qui nous ont été transmis, vous semblez avoir été - je pèse mes mots - très peu réactif aux demandes du secrétariat général du CIPDR, au point même de cesser de répondre à ses sollicitations entre novembre 2022 et février 2023.

M. Cyril Karunagaran. - S'agissant du versement du solde, nous en avons discuté en mars 2022, puis en février 2023.

J'ai effectivement reçu un mail du SGCIPDR en novembre 2022 concernant une absence d'éléments.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc vous auriez tendance à dire que le secrétariat général n'a pas été très présent concernant l'absence des éléments de réponse qu'il vous avait demandés ?

M. Cyril Karunagaran. - J'ai eu un échange avant la date prévue pour la fin du projet, c'est-à-dire avant le 31 mai 2022, avec le SGCIPDR. Nous avons fait un bilan téléphonique de nos actions.

Par ailleurs, j'ai reçu, le 10 novembre, un mail me demandant ces informations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je le redis, selon mes informations, vous n'avez répondu à aucun des mails envoyés, ni à aucun appel, ni à aucun texto. Vous auriez même rejeté un appel.

Vous dites ne pas en avoir eu connaissance vous-même.

Vous êtes président, directeur des affaires financières (DAF), à mi-temps. J'ai un peu de mal à retrouver l'intégralité de vos responsabilités dans votre agenda. J'essaie vraiment de comprendre.

M. Cyril Karunagaran. - Je n'ai pas souvenir de ces appels. Pour ma part, j'ai retrouvé ce mail du 10 novembre, et je me souviens d'avoir eu un contact fin mai 2022. Toutefois, ma mémoire n'est pas exhaustive !

C'était la première fois que je travaillais avec une subvention publique. Je souhaitais obtenir l'assistance de notre expert-comptable pour retourner les éléments le plus fidèlement possible.

Après ce mail, nous avons travaillé rapidement, afin de présenter des chiffres au SGCIPDR. J'ai reçu un appel du secrétariat général à la fin du mois de février 2023. À cette occasion, on m'a annoncé que, du fait de la clôture budgétaire, il était impératif que j'envoie les éléments rapidement. Je me suis exécuté dans les jours qui ont suivi. Voici ma lecture de la chronologie.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Permettez-moi de vous lire quelques textos.

Le premier date de novembre 2022 : « Je reviens vers vous au sujet de la convention échue au 31 mai 2022 et des éléments de bilan à nous fournir au plus tard le 18 novembre. Je vous ai envoyé un mail à ce sujet récapitulant les documents à nous transmettre. Je reste à votre disposition par téléphone si vous le souhaitez. »

Deuxième texto, « j'ai urgemment besoin que nous ayons cet échange téléphonique lundi et d'avoir les éléments de bilan relatifs à vos actions. Lundi à 11 heures vous conviendrait-il ? », auquel vous avez répondu : « Je ne peux vous répondre, je rappelle dès que possible. »

Troisième texto, en date du 14 novembre, « je reviens vers vous au sujet du mail envoyé le 10 novembre au sujet de la convention arrivée à échéance le 31 mai 2022. »

Il s'agit d'éléments factuels s'ajoutant les uns aux autres. C'est la raison pour laquelle j'ai besoin que vous disiez ne pas en avoir eu connaissance, même si nous disposons d'un élément de réponse à un texto.

Est-ce le moment, pour vous, de dire que vous avez failli à tel ou tel moment ? Notre mission est de contrôler les versements d'argent public au Fonds Marianne, qui répond à un appel à projets dont nous connaissons le contexte et qui est porteur de valeurs très fortes. Nous devons nous assurer que l'argent versé est bel et bien dépensé, qu'il n'y a pas de défaillance de la tutelle et que les associations agissent en conséquence.

M. Cyril Karunagaran. - Je vous confirme la date du 10 novembre, le mail ayant dû être doublé d'un texto, auquel j'ai donc répondu.

Pour autant, je n'ai pas eu d'échange entre la fin du projet et ce mail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'action est engagée, vous devez fournir un bilan six mois plus tard, qui n'est pas fourni. Un an plus tard, vous recevez un mail, et vous convenez désormais que vous avez eu deux ou trois contacts à la suite de ce mail. Il ne se passe plus rien ensuite.

M. Cyril Karunagaran. - Entre novembre et janvier, pour des difficultés d'ordre personnel, j'ai été un peu moins présent. Malgré mon inexpérience en matière de subventions publiques, j'ai pris tout à fait conscience, à la réception du mail du 10 novembre, qu'il me fallait répondre avant le 18 novembre, alors même qu'il s'agissait d'éléments complexes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Une telle complexité ne constituait pas une surprise, dans la mesure où vous auriez dû fournir ces éléments six mois plus tôt.

M. Cyril Karunagaran. - J'en conviens.

Dans les jours qui ont suivi, je me suis activé, avec l'expert-comptable, pour avoir des chiffres exacts, d'autant que nous étions sur des actions qui chevauchaient deux exercices. J'ai tout envoyé en décembre, janvier et février. J'ai essayé de faire au mieux, même si j'étais en retard d'un an.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 26 mars dernier, vous avez un échange téléphonique avec le préfet Christian Gravel. Quelle en est la teneur ?

M. Cyril Karunagaran. Le 26 mars ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous devez vous souvenir des appels du préfet Christian Gravel.

M. Cyril Karunagaran. Je me souviens très bien des discussions que j'ai eues avec M. Jean-Pierre Laffite. Je ne sais pas si l'appel que vous évoquez est antérieur ou postérieur.

M. Claude Raynal, président. - C'était il y a deux mois !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Normalement, postérieur !

M. Cyril Karunagaran. - Il m'a certainement appelé pour la fourniture des documents que je n'avais pas envoyés dans les temps. Je me souviens lui avoir demandé s'il était satisfait du projet. Nous nous sommes plutôt entendus.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il doit y avoir un lien de cause à effet entre son appel et les documents non fournis.

Avez-vous eu des retours du contrôle sur pièces lancé par le SGCIPDR le 17 mars 2023 ? Quels ont été les échanges que vous avez eus avec le SGCIPDR depuis que vous avez transféré les documents demandés pour le contrôle du 27 mars dernier ? Comment se déroule ce contrôle ? Suscite-t-il des inquiétudes ou bien êtes-vous serein, après avoir rassemblé l'ensemble des pièces ?

M. Cyril Karunagaran. - À la suite de l'envoi des pièces demandées, j'ai reçu un mail m'informant que l'association était sélectionnée pour un contrôle. Je pense avoir réagi assez rapidement, puisque j'avais à ma disposition l'ensemble des éléments. Depuis lors, je n'ai pas eu de nouvelles de ce contrôle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'aurais tendance à penser que, dans la mesure où il s'agit essentiellement de salaires, ce contrôle ne devrait pas être très compliqué à effectuer.

M. Cyril Karunagaran. - Que voulez-vous dire par là ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - S'il s'agit uniquement de versements de salaires, il est assez simple de collationner les différents documents.

M. Claude Raynal, président. - Le contrôle ayant eu lieu le 27 mars et l'appel du préfet le 26 mars, on pourrait imaginer que ce dernier vous a annoncé la mise en place de ce contrôle.

M. Cyril Karunagaran. - Je n'étais pas au courant de ce contrôle.

M. Claude Raynal, rapporteur. - Avez-vous fait établir, comme il est d'usage pour des subventions importantes, c'est-à-dire supérieures à 153 000 euros, un rapport par un commissaire aux comptes ?

M. Cyril Karunagaran. - Un commissaire aux comptes a été nommé après la réception de la subvention. En effet, auparavant, nous n'avions pas de commissaire aux comptes. Cependant, en raison des difficultés internes que je vous ai précédemment exposées, je n'ai plus accès aux éléments qui ont été transmis au commissaire aux comptes. Nous avons en effet subi une nouvelle tentative de prise de contrôle, qui a été dénoncée en justice. Aujourd'hui, je dois attendre que le juge du fond tranche pour récupérer le contrôle de nos échanges avec nos interlocuteurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous aviez évoqué la sollicitation de régions. Avez-vous formellement déposé des demandes de subventions auprès de celles-ci ? Pour quel motif n'ont-elles pas répondu favorablement à votre demande ?

M. Cyril Karunagaran. - Je ne peux pas répondre à la place des régions ! Nous n'avons pas formellement déposé de dossier, nous ne sommes pas allés jusque-là. Nous avons également approché des financeurs privés, mais rien n'a abouti.

M. Christian Klinger. - Permettez-moi de revenir sur les rémunérations. Vous avez dit que vous avez maintenu les salaires et réduit les tâches. Combien de temps consacriez-vous à vos publications ? Certes, je ne peux évaluer la qualité du travail. Je le rappelle, en une année, il y a eu 21 publications sur TikTok et 67 sur Instagram.

M. Thierry Cozic. - Concernant la nomination du commissaire aux comptes, je n'ai pas bien compris votre réponse à la question posée par M. le président de la commission.

Vous dites n'avoir pas eu accès au travail du commissaire aux comptes, en raison d'un conflit. Or, à la suite des propos que vous avez tenus, j'ai compris que ce conflit remontait à 2018. J'ai du mal à comprendre le rapport entre ce conflit de 2018 et la nomination d'un commissaire aux comptes en 2022.

Par ailleurs, je m'interroge depuis le début de votre audition sur l'organisation de l'association. Vous en êtes le président ; j'ai compris que M. Sifaoui en était l'administrateur. Or il me semble que, en droit français, et sous toutes réserves, il n'est pas possible d'être rémunéré quand on est dirigeant d'une association. Vous êtes-vous interrogé sur ce point, qui relève du b-a ba, quand on est dans le milieu associatif ?

M. Cyril Karunagaran. - Pour répondre à M. Klinger, nous avons réduit la partie administrative et financière de mes fonctions, afin que je puisse me consacrer au travail relatif aux publications. Il est effectivement difficile d'appréhender mon travail par le biais du nombre de tweets. Tout cela nécessite un travail très important, avec des revues de presse, de l'information et de la formation, un vrai travail de veille particulièrement chronophage. Je pense que le nombre d'heures réellement effectué dépassait largement le nombre d'heures indiqué sur nos bulletins de paye.

S'agissant des conflits, nous avons eu un conflit en 2014, un autre en 2018 et un dernier en 2023. Des journalistes sont intervenus, et la volonté des gens qui souhaitent prendre le contrôle de l'association d'instrumentaliser les enquêtes.

Le conflit de 2023 consiste en une tentative de prise de contrôle illégale, que nous avons dénoncée. Cela remonte, très précisément, au 25 janvier 2023.

M. Thierry Cozic. - Ma question portait sur le commissaire aux comptes...

M. Cyril Karunagaran. - Le commissaire aux comptes et l'expert-comptable veulent que la justice tranche, avec une présidence claire. Les personnes ayant tenté de prendre le contrôle de l'association se sont autodéclarées à la direction de l'association. Cela a été relayé dans la presse. Je crois même qu'un communiqué de Mme Schiappa évoque la nouvelle direction de l'association alors qu'il s'agit de sujets qui sont aujourd'hui entre les mains de la justice. De fait, l'expert-comptable et le commissaire aux comptes attendent une réponse claire de la justice pour savoir qui est leur interlocuteur. Dans l'intervalle, c'est une question à laquelle je ne suis pas en mesure de répondre.

La seconde question que vous m'avez posée concerne notre statut au sein de l'association. Nous avions évidemment pris conseil avant de signer ces contrats de travail, ce qui ne posait a priori aucune difficulté au regard de la loi française. À la suite de l'emballement survenu en début d'année, nous avons également consulté un avocat spécialisé, qui nous a confirmé qu'il était à la fois possible de détenir un contrat de travail et de faire partie d'une association, voire d'en être à la direction. Je ne suis pas spécialisé en droit du travail et je ne suis pas non plus avocat. Je ne peux que répéter ici les informations qui m'ont été données.

M. Daniel Breuiller. - Je vous remercie de votre franchise à propos de votre « naïveté » ou de votre manque de compétences sur certains sujets. Nous avons tous nos limites. Ma question porte sur le statut de votre association. Tout le monde peut-il adhérer à votre association ou faut-il être parrainé ? Existe-t-il des critères ? Par ailleurs, est-ce que les statuts de l'association autorisent le paiement de ses dirigeants ? Je crois qu'il faut que cela soit mentionné dans les statuts. Cela y figure-t-il ? De quand datent vos statuts ? J'ai présidé une très ancienne association - je n'étais pas né lorsqu'elle a été créée. Je suis donc bien placé pour savoir qu'en général on ne refait pas les statuts aussi souvent qu'il le faudrait. Vos statuts sont-ils récents et prévoyaient-ils ces éléments ?

M. Cyril Karunagaran. - Nous avons constitué dès 2016, à la suite des difficultés que nous avons rencontrées, un comité de validation pour les nouvelles demandes d'adhésion. Il s'agissait, en quelque sorte, d'éviter les « putschs », en réponse aux problèmes de 2014 où un afflux impressionnant d'adhérents avait permis l'élection d'un nouveau président, etc. Depuis 2016, toutes les nouvelles demandes d'adhésion doivent être, soit parrainées, soit validées par le conseil d'administration.

Concernant les statuts, ils datent effectivement du début du siècle dernier. Plusieurs éléments ne sont donc plus à jour. Nous avons tenté d'y remédier, je crois que c'était en 2016 - cela avait été inscrit, à mon arrivée à la présidence, à l'ordre du jour d'une l'assemblée générale extraordinaire. Un avocat faisant partie de la direction de l'association, nous nous sommes tout naturellement tournés vers lui pour la rédaction des nouveaux statuts. Malheureusement, sa proposition n'a pas été validée en assemblée générale, d'autant qu'il s'agit d'un processus complexe.

S'agissant de la rémunération des administrateurs, encore une fois, je m'en suis remis aux mains des professionnels. À l'époque, l'avocat dont je vous parlais a également signé un contrat de travail. Pour moi, cela ne faisait donc pas de difficulté. Par ailleurs, les conseils pris au départ du projet allaient également en ce sens. Idem pour le conseil postérieur, qui a confirmé ces éléments d'information. Mais encore une fois, je ne suis pas juriste, je ne fais que vous répéter ici ce que mes avocats m'ont dit.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à cette question, qui est périphérique à notre mission puisqu'elle relève du droit privé et non de la question du fonctionnement du fonds. Je vous remercie également d'avoir répondu à notre invitation. En deux heures, nous avons fait le tour du sujet de manière assez précise.

Audition de Mme Ahlam Menouni, présidente de Reconstruire le commun

(Mercredi 31 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du « fonds Marianne », la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons Mme Ahlam Menouni, présidente de l'association Reconstruire le commun.

Nous attendons de votre audition que vous puissiez nous préciser à la fois la genèse de votre association, vos priorités d'action et dans quelle mesure vous considérez que les contenus produits par votre association répondent aux objectifs du fonds Marianne.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Ahlam Menouni prête serment.

Mme Ahlam Menouni, présidente de Reconstruire le commun. - Je vous remercie de me donner l'occasion de pouvoir être auditionnée dans le cadre de cette commission d'enquête, sous serment et en public.

Je vais tenter, dans un propos introductif assez bref, de remettre un peu d'ordre dans le tourbillon de désinformations et d'approximations que j'ai pu lire ces dernières semaines. Je tiens à rappeler qu'à la suite d'un article totalement à charge, repris sans la moindre précaution par de nombreux journalistes et personnalités politiques, nous avons vécu dix semaines absolument délirantes. Nous avons vu se propager de fausses informations sur nous, sur nos affiliations politiques, sur nos motivations et sur notre travail. J'ai lu tout et son contraire concernant l'association « Reconstruire le commun ». Si vous le permettez, je commencerai depuis le début.

Je suis Ahlam Menouni, j'ai trente-six ans, je suis ingénieur urbaniste et j'ai quatorze ans d'expérience professionnelle, notamment dans la conduite de projets complexes, d'abord chez un major de la construction et ensuite dans un établissement public d'aménagement de premier plan. Si je précise cela, c'est qu'à lire certains articles nous serions une bande de jeunes inexpérimentés. À mes côtés, le secrétaire de l'association, Johann Margulies, trente-six ans également, est ingénieur nucléaire, enseignant à Sciences Po Paris et responsable développement durable dans une collectivité d'Île-de-France. Enfin, notre trésorier est magistrat en chambre régionale des comptes.

Je suis d'origine marocaine et je suis de culture musulmane. Je suis arrivée en France il y a dix-sept ans. J'ai été naturalisée en 2013. Avec Johann Margulies, nous avons partagé une prise de conscience républicaine au moment des attentats de 2015. À la lumière de ce que j'ai vécu, j'ai vu se reproduire sous mes yeux les mêmes mécanismes qui se sont déployés au Maroc, au tournant des années 2000, l'arrivée des chaînes satellitaires, notamment Al Jazeera, qui sont rentrées dans les foyers. J'ai vu la société, j'ai vu mon entourage entrer dans une forme de rigorisme religieux tout à fait inédit, y compris pour une société conservatrice musulmane. Ce glissement lent a été ensuite suivi d'un premier choc, celui des attentats de Casablanca de 2003, qui m'avait particulièrement affectée.

De mon point de vue, le traitement médiatique de la question de l'islam en France n'était pas au niveau des enjeux. Les Français de confession musulmane sont assimilés, soit à une « cinquième colonne », soit à des éternels mineurs à protéger. Le coeur du problème, c'est-à-dire l'analyse des mécanismes de pénétration de l'islamisme dans la société en tant que fait politique majeur, était absent du débat et - disons-le franchement - inaudible.

Notre analyse est que les sujets de l'universalisme et de la laïcité, qui doivent nous rassembler en tant que Nation, étaient devenus des positions politiques génératrices de clivages. Pour nous, l'urgence première était de stopper l'hémorragie, de remettre tout le monde autour de la table et de recréer du commun républicain en l'ancrant dans les réalités de la jeunesse. Nous avons alors décidé de nous lancer avec humilité dans ce projet qui ne peut se penser que sur le temps long : dix ou quinze ans minimum. Il fallait bien démarrer quelque part : la saison 1 était la saison pilote pour poser les fondations.

Nous avons décidé de le faire en nous engageant de manière totalement bénévole, sur notre temps libre, en parallèle de nos vies professionnelles. Je tiens à le rappeler, nous ne vivons pas de nos engagements : les membres de l'association ne se sont pas versé un seul euro.

Je souhaitais également clarifier un point qui est fondamental pour bien appréhender nos productions. Notre projet répondait au deuxième objectif qui est de « défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales ». Nous nous inscrivons donc pleinement dans l'objectif numéro 2 de l'appel à projets « fonds Marianne ».

Je tiens également à préciser que notre projet préexistait au fonds. Notre première rencontre avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a eu lieu après la création formelle de l'association. Le processus a été accéléré, de notre côté, par le choc de l'assassinat de Samuel Paty et par la confirmation à cette occasion de notre constat sur le rôle des réseaux sociaux. Le CIPDR a très vite manifesté de l'enthousiasme vis-à-vis de notre projet. Nous avions le sentiment, à l'époque, d'un alignement sur l'état des lieux et la stratégie à adopter.

Il nous a accordé une première subvention de 39 000 euros fin 2020, qui nous a permis de mener les toutes premières actions de l'association, notamment la création d'un site vitrine pour le projet. Nous avions déjà, en mars 2021, un projet stabilisé, qui esquisse en détail les contours d'une plateforme éditoriale appelée « Comme Un ». Nous avons ensuite été en mesure de nous mobiliser pour l'appel à projets et de proposer un dossier qui, visiblement, a convaincu.

Une fois la convention signée, nous avons tout mis en oeuvre pour respecter l'ensemble de nos engagements. De septembre 2021 à juin 2022, nous avons produit à des prix très concurrentiels plus de dix formats éditoriaux différents, notamment sept formats audiovisuels, cinquante-sept vidéos, le tout pour vingt-deux heures cumulées.

Avons-nous parlé de politique en tant qu'affaire de la cité ? Oui, et nous l'assumons parfaitement. Le sujet de la plateforme « Comme Un » est éminemment politique, au sens le plus noble du terme. Nous l'assumons depuis la phase de candidature où il était déjà question de réactions à l'actualité et d'« infotainment », c'est-à-dire de divertissements politiques.

Avons-nous diffusé des posts partisans ? Absolument pas ! Il n'y a même pas sur nos pages le petit post classique appelant au barrage républicain à l'entre-deux-tours de la présidentielle. C'est dire notre rigueur sur le sujet de la neutralité partisane.

Depuis six semaines maintenant, nous subissons avec mon équipe une campagne de désinformation médiatique et de harcèlement sur les réseaux sociaux, mais pas seulement. Nous subissons aussi des menaces, dont une que je voudrais particulièrement souligner : le Collectif contre l'islamophobie en Europe (CCIE), émanation du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui a été dissous par décret validé par le Conseil d'État le 24 septembre 2021, a produit une vidéo contenant les photos, les noms et les prénoms de plusieurs membres de l'association et chroniqueurs, pour être bien sûr que nous soyons identifiés. Malheureusement, on sait ce que ce genre de procédé fait peser comme type de menaces...

Face à cela - nous parlons bien de notre intégrité physique et pas uniquement d'un potentiel litige contractuel -, nous n'avons reçu aucun soutien de la part du CIPDR. Au contraire, puisqu'en rentrant chez moi, le soir du 16 mai, après l'avoir appris en direct, j'ai trouvé une lettre en recommandé, demandant un remboursement qui nous a été adressé quelques jours plus tôt, plus précisément en date du 12 mai. Voilà donc la réponse de l'État qui entend lutter contre la menace séparatiste : sortir les parapluies à la première attaque !

Vous m'avez aimablement permis, monsieur le président, de diffuser une courte vidéo. Je vous en remercie, car nous avions à coeur avec mon équipe de montrer un très court échantillon de nos productions à ceux qui n'auraient pas eu le temps de les visionner, afin de donner une image plus fidèle de notre démarche.

(Diffusion d'une vidéo échantillon)

M. Claude Raynal, président. - Merci de nous avoir donné un aperçu des vidéos qui ont été produites par votre association ; elles témoignent d'une certaine qualité dans la manière dont ça a été filmé, et sur la gestion de l'image et de la lumière. L'extrait qui a été diffusé s'achève sur la polémique concernant la période de la campagne électorale. Une plainte a été déposée à ce sujet et le Parquet national financier (PNF) examine le dossier. Il ne nous appartient pas de le commenter.

Pourriez-vous rappeler les objectifs précis que vous vous étiez fixés et les projets que vous envisagiez, lors de la création de votre association ? Aviez-vous déjà pris contact avec le CIPDR et son secrétaire général ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous avions commencé à nous intéresser à ces sujets de manière très sérieuse à partir de 2015, ce qui nous a conduits à faire de la veille sur les réseaux sociaux et à rencontrer de nombreuses personnes actives dans ce domaine, sous des formes différentes, mais en ligne principalement.

À partir de 2018, 2019 et 2020, notre constat a été que la jeunesse est imperméable au discours républicain institutionnel. Il semble que sur les réseaux sociaux les jeunes s'intéressent aux récits identitaires, que ceux-ci soient de droite, comme ceux qui parlent de « grand remplacement », ou de gauche, comme ceux qui valorisent les identités. Or, les mouvements identitaires qui développent ces récits ont dix à quinze ans d'avance sur nous, sur les réseaux sociaux, et ont su adapter leur discours aux codes et à ce qui peut intéresser la jeunesse. À l'inverse, le discours républicain, qui nous a toujours structurés en tant que Nation, a raté ce changement de média. On est passé de la presse écrite et de la télévision à la presse écrite et aux réseaux sociaux.

En prolongeant notre réflexion, nous avons constaté que ceux qui étaient les plus actifs sur ce type de sujet, dans le milieu laïc, avaient en moyenne entre 45 et 50 ans, et que leur manière de présenter ou de défendre un discours passait par des concepts qui restaient trop inaccessibles, trop abstraits et pas assez ancrés dans ce qui intéresse la jeunesse française. La jeunesse est engagée sur les questions de justice sociale, du climat, des discriminations... La République et la laïcité ne les intéressent pas plus que ça. Par conséquent, face à ce constat d'un récit républicain abstrait et d'un fossé générationnel au sein du milieu laïc, il nous a semblé nécessaire d'intervenir, notamment pour adapter le discours républicain aux codes de l'époque.

Nous projetions déjà, en 2020, de lancer une association et dès le début du mois d'octobre, nous avions élaboré une première version des statuts. L'assassinat de Samuel Paty, événement bouleversant, nous a incités à accélérer. Les brouillons ont été validés, et les statuts ont été déposés en préfecture le 29 octobre 2020.

Le CIPDR m'a contactée une première fois par mail, à la fin du mois d'octobre 2020, suite à une recommandation d'un universitaire reconnu sur le sujet à qui j'avais présenté notre projet. J'ai rencontré le secrétaire général pour la première fois en novembre 2020, donc bien après la création officielle de l'association. Je lui ai présenté le projet, et il avait l'air vraiment enthousiaste que des jeunes capables de gérer la complexité, s'intéressent à ces questions. Puis, il y avait peut-être une question d'image. Notre association, fondée par Yoann et moi, un juif et une musulmane, faisait un peu « scénario de film français ». Nous nous sommes rendus compte tous les deux que ce qui nous permettait d'être amis, c'était l'article 1er de la Constitution. Dans d'autres pays, y compris le pays d'où je viens, notre amitié aurait été impossible, ou du moins distante.

Le CIPDR nous a ainsi octroyé un premier financement d'un montant de 39 000 euros. Le CIPDR a financé le lancement de notre site internet et tout le travail de conception préliminaire de conception de notre plateforme éditoriale, « Comme Un ».

M. Claude Raynal, président. - Cette première subvention de 39 000 euros en 2020, n'a été engagée qu'en 2021 pour des raisons administratives, car on ne peut plus engager de fonds à partir d'une certaine date, et a servi à financer les opérations que vous venez de mentionner.

Vous avez indiqué qu'entre 2015 et la création de l'association, vous avez côtoyé tout le « petit » milieu - j'entends par le nombre - qui intervient régulièrement sur ces sujets. Lors de son audition, M. Gravel nous indiquait que votre association était en partie issue d'un collectif nommé « On vous voit », dont les pratiques ont fait l'objet de débats. Considérez-vous que votre association est issue de ce collectif ?

Mme Ahlam Memouni. - Le collectif « On vous voit » a suscité de nombreux fantasmes, y compris au sein du CIPDR, qui a dit que nous en sommes issus. En réalité, il s'agit d'un collectif informel, oeuvrant sur internet, de manière amateur. En 2020, il faisait de la veille sur les candidats aux municipales qui jouaient la carte du communautarisme, tous partis confondus.

Notre projet n'a rien à voir avec cette démarche, il ne s'inscrit pas dans la même temporalité, ne vise pas les mêmes objectifs et n'a pas besoin des mêmes moyens. Il est vrai que certains membres du collectif se sont emballés pour notre projet, à titre individuel, car à l'inverse de leur mode d'action, basé sur la réaction et la riposte, notre démarche repose sur le discours. Je ne souscris pas à la notion d'un contre-discours républicain, car elle suppose que l'on se positionne en réaction, et donc avouer que l'on a perdu. Or le discours républicain existe bel et bien, selon nous : il suffit de le remettre au goût du jour pour qu'il continue d'être transmis.

M. Claude Raynal, président. - En quelque sorte, vous tentez d'avoir un discours positif plutôt qu'un discours moralisateur qui s'inscrirait en réaction à un autre type de discours.

Mme Ahlam Menouni. - Oui, mais je précise que « positif » ne veut pas dire « consensuel ». En effet, nous avons toujours considéré qu'il fallait aborder les questions qui fâchent, celle des religions, de la laïcité et de l'universalisme qui devraient structurer notre société, mais qui sont aujourd'hui des lignes de fracture au sein de la jeunesse. Pouvoir en discuter est un préalable indispensable.

M. Claude Raynal, président. - Vous côtoyez le milieu laïc qui intervient sur ces questions depuis 2015. Or il existait déjà des associations, dont vous connaissiez certainement l'existence et qui, pour la plupart, ont fait partie du fonds Marianne. Pourquoi ne pas avoir fait le choix d'adhérer à ces associations ? En quoi votre proposition était-elle innovante ou différente ?

Mme Ahlam Menouni. - Je n'ai jamais adhéré à un parti politique ou à une association, avant de m'engager dans celle que j'ai créée. C'est un monde que je connais, mais qui n'est pas le mien. Bien sûr on ne part pas de zéro, mais ce que nous avions pu voir dans l'écosystème de ce milieu ne correspondait pas à notre projet, tel que nous l'envisagions. Nous risquions notamment d'être bridés, car nous souhaitions taper là où cela fait mal, tout en conservant une certaine légèreté dans la manière de le faire, alors que la plupart des associations sont dans un discours uniquement consensuel.

M. Claude Raynal, président. - Votre premier projet était évalué à 70 000 euros, dont 39 000 euros d'aides. L'avez-vous réalisé et où avez-vous trouvé le reste du financement ?

Mme Ahlam Menouni. - Dans le budget prévisionnel pour ce premier projet, nous avions inscrit la prévision de la subvention de 39 000 euros et nous espérions attirer d'autres types de fonds, notamment privés. Cela n'a pas été le cas, sans doute parce que le sujet que nous traitons reste d'intérêt général et très régalien, ce qui n'intéresse pas forcément les mécènes privés, qui sont plutôt portés sur des thèmes comme la préservation de l'environnement ou l'inclusion sociale. Nous avons continué de démarcher d'éventuels partenaires - nous avons rencontré des gens qui ont trouvé notre démarche intéressante -, mais sans aboutir.

M. Claude Raynal, président. - Il s'agissait d'une subvention assez modeste. M. Gravel avait parlé d'aide au démarrage dans la presse - il n'a pas repris exactement les mêmes termes lors de son audition. Vous avez donc réalisé l'intégralité de ce projet avec un budget de 39 000 euros ?

Mme Ahlam Menouni. - Oui, pour la première partie du projet.

M. Claude Raynal, président. - M. Gravel nous a indiqué que cette aide de 39 000 euros avait été conditionnée, je le cite, « à l'absence de tout message de nature politique ».

Avez-vous entendu cela ? Cette condition a-t-elle été formalisée par oral ou par écrit ? Comment l'avez-vous perçue ?

Mme Ahlam Menouni. - J'ai écouté avec attention l'audition du secrétaire général du CIPDR. Il a utilisé l'expression de « condition sine qua non ». À mon sens, une telle condition doit alors avoir une traduction au niveau du contrat, ce qui n'a pas été le cas dans les deux conventions que nous avons signées, aussi bien la première que celle du fonds Marianne, qui sont à peu près les mêmes - ce sont des conventions type. Au-delà des questions qui nous intéressent aujourd'hui, aucune condition portant sur notre ligne éditoriale n'y figure et la plupart de leurs articles ont trait au bon suivi administratif.

Aucun objectif métrique, si je puis dire, précis, n'y était indiqué, ni aucune limitation, en tout cas, écrite sur ces questions.

M. Claude Raynal, président. - Au-delà de la convention - il est en effet compréhensible qu'une telle disposition soit difficile à écrire -, dans le cadre de votre conversation, des recommandations vous ont-elles été faites ?

Mme Ahlam Menouni. - De nombreux membres de notre association ont un passé militant, des convictions et des positions tranchées. Je pense que la crainte du Secrétaire général, lors de nos conversations, était que cela influe peut-être sur le projet.

M. Claude Raynal, président. - Factuellement, vous en a-t-il parlé ou non ? Cela a-t-il fait l'objet d'un échange de confiance - en discussion libre -, si je puis dire ?

Mme Ahlam Menouni. - Il ne nous a jamais interdit de faire des contenus politiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment avez-vous eu connaissance de l'appel à projets du fonds Marianne ? Est-ce que vous en aviez eu connaissance avant le début de l'appel à projets ?

Mme Ahlam Menouni. - Du fait de notre première subvention, nous étions en contact avec le CIPDR et nous travaillions sur nos premières actions. Le 12 avril 2021, lors d'une réunion d'étape, nous avons présenté les contours de la plateforme. Suite à cet échange, j'avais compris que le CIPDR envisageait de prolonger son soutien, car nous avions prouvé dans le cadre du premier soutien, notre capacité à s'entourer des compétences nécessaires, à respecter un planning et un budget. À la suite de cet échange avec le préfet, j'ai reçu un courriel le lendemain, le 13 avril, faisant part de leur intérêt et de la possibilité de soumettre une demande de subvention. Cela s'inscrivait dans la continuité de nos échanges et nous étions très satisfaits.

Après ce mail, et avant l'annonce officielle, j'ai reçu un appel du CIPDR, que j'ai interprété comme une marque d'identification des potentiels candidats à cet appel à projets. On nous a dit qu'un appel à projets allait être publié, que nous remplissions les conditions et qu'on aimerait bien que nous candidations.

Nous sommes très présents sur les réseaux sociaux, et nous avons suivi en direct l'annonce de ce fonds dans la presse. Nous nous sommes alors mis immédiatement au travail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - « On nous a dit », mais de qui s'agit-il ?

Mme Ahlam Menouni. - Il s'agit du secrétaire général.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est mieux de le préciser pour éviter toute interprétation. Lorsque vous avez connaissance du fonds Marianne, présentez-vous alors un tout nouveau projet ou un projet faisant suite à la première réalisation ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous avons présenté une version plus aboutie de ce que nous faisions déjà. Nous avions déjà travaillé sur la plateforme de marque. Nous avions déjà notre logo, notre identité visuelle, notre stratégie éditoriale et notre positionnement. Nous avons donc fourni les documents demandés et retravaillé de façon plus précise le chiffrage, mais l'ADN de ce que nous avons présenté existait déjà.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il s'agit donc d'une montée en puissance. À la suite de vos contacts avec le préfet Gravel, à la fin de l'année 2020, au cours desquels il validait ou partageait vos objectifs, vous comprenez que vous risquez d'être retenue, si vous montez en puissance. Par conséquent, vous conservez la ligne de votre premier projet. La voie est tracée et vous faites en sorte de « cocher les cases » de l'appel à projets pour obtenir un nouveau soutien.

Le 13 avril, vous avez un nouvel échange. À cette date, un comité de programmation a lieu avant l'annonce du fonds Marianne. Vous n'êtes alors pas mise dans la boucle particulièrement et n'avez aucune information complémentaire. La durée courte de cet appel à projets, allant du 20 avril au 10 mai, n'est pas un obstacle majeur pour vous pour y répondre, car vous avez déjà un premier projet existant.

Mme Ahlam Menouni. - Le projet existait déjà, en effet, nous avons donc travaillé rapidement avec l'équipe, en nous appuyant sur notre expérience, pour délivrer un dossier dans les temps.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre expérience professionnelle a-t-elle été précieuse ?

Mme Ahlam Menouni. - Tout à fait. La taille modeste de la structure nous a aussi aidés, car la chaîne de décision est plus réduite.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous connaissance des associations qui allaient aussi répondre à cet appel à projets ?

Mme Ahlam Menouni. - Non.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre structure étant nouvelle, vous ne les connaissez donc pas.

Votre association est assez singulière : elle compte des profils aux expériences professionnelles diverses et des acteurs, au moins pour trois d'entre eux, issus de la jeune génération.

Dans le dossier de candidature, vous indiquez que les charges de rémunération sont les plus importantes, de l'ordre des deux tiers, soit 303 000 euros sur 451 000 euros. Comment l'expliquez-vous ?

Mme Ahlam Menouni. - Dans notre dossier de candidature, nous avons été très clairs sur la nature de notre projet, qui repose essentiellement sur la création artistique. Or la création artistique, c'est de la matière grise, de l'humain.

Dès l'appel à projets, nous avions indiqué, noir sur blanc, que nous n'avions pas de salariés, mais que nous allions recourir à une vingtaine d'intervenants, relevant d'une quinzaine de professions, rémunérés par forfait-mission, par cachets intermittents ou sur facture. D'après notre bilan, à la fin de l'action, nous comptions vingt-six intervenants, ce qui correspondait aux prévisions.

Le projet avait des phases différentes, et donc nous avions besoin de beaucoup de souplesse. En effet, les premiers mois, nous avions recours à dix personnes pour atteindre vingt-six personnes en mars-avril, lorsque toutes les productions se déroulaient de façon quasi simultanée. Des personnes par exemple ne sont aussi intervenues qu'une semaine et d'autres six mois.

Nous restons une structure très jeune et ce premier grand financement couvrait une période très limitée : 330 000 euros à dépenser avant juin 2022. Même si le projet était pérenne à nos yeux, je ne pouvais pas, en tant que responsable, embaucher des salariés sans disposer d'une vision à long terme des rentrées d'argent.

M. Claude Raynal, président. - Pour ce projet plus lourd, avec un budget présenté de 451 000 euros, dont une part importante est portée par le CIPDR, avez-vous trouvé d'autres financements ou en êtes-vous resté à celui du CIPDR ?

Mme Ahlam Menouni. - Il nous a été demandé de présenter un budget prévisionnel. Nous avons donc construit un budget d'environ 500 000 euros, qui nous permettait de franchir un cap. S'agissant du type de financement, nous imaginions un ratio de 70/30, avec 30 % de fonds privés.

Nos premières productions ont été publiées sur les réseaux en janvier 2022. Aussi, de notre point de vue, nous n'avions pas suffisamment de productions pour démarcher des mécènes privés. De plus, les sujets traités étant régaliens, il était difficile d'intéresser des fondations.

Par conséquent, nous avons adapté notre budget prévisionnel.

M. Claude Raynal, président. - Vous l'avez adapté en fonction de la subvention obtenue ?

Mme Ahlam Menouni. - Tout à fait. Nous avions négocié tous nos contrats, et nous réalisions des points budgétaires réguliers.

M. Claude Raynal, président. - L'État demande toujours de construire un budget comportant des financements autres que ceux de l'État, ce qui suppose une recherche. Mais le financement de votre projet intégralement par l'État démontre que ce n'est pas une condition dirimante. Si ce n'est pas possible, la bonne volonté est constatée et il est tenu compte de la réalité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans les éléments transmis, on voit que beaucoup d'intervenants réalisent leurs prestations sous le statut d'entrepreneurs. Comme vous l'avez dit, cela facilite l'ajustement des rémunérations, ce qui est important car les besoins évoluent.

Quels sont les points sur lesquels vous n'avez pas atteint vos objectifs, et pour quelles raisons ?

Mme Ahlam Menouni. - Pour nous, il était évident que ces crédits finançaient une saison pilote : nous étions axés « recherche et développement ». Notre but était donc de constituer une équipe, de trouver des personnes intéressées par le sujet avec les compétences dont nous avions besoin. Nous nous sommes efforcés d'assurer un équilibre entre des profils seniors et des profils plus jeunes, pour avoir un budget équilibré. Cette première étape de recrutement était nécessaire pour poser les fondations d'un récit et produire un certain nombre de formats autonomisables, traitant notre sujet sous un maximum de facettes.

J'insiste sur la dimension qualitative de ce travail. À la fin de la saison pilote, nous devions être à même de stabiliser la plateforme "Comme Un". Certains formats ont bien marché, d'autres un peu moins bien. Pour certains formats, nous avons repéré des évolutions possibles. Il était absolument nécessaire de mener ce travail, puisque le benchmark ne nous avait pas donné de repères à cet égard. Ce que nous faisions étant assez nouveau, il fallait passer par cette phase.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Un membre du CIPDR s'est étonné par mail que votre structure n'ait aucun salarié en dépit d'un budget de 500 000 euros, ce qui n'est pas négligeable pour une association nouvellement créée. En parallèle, vous avez dû gérer jusqu'à vingt-quatre intervenants. Comment avez-vous assuré la gestion financière ? Comment justifiez-vous le fait de ne recourir à aucun emploi salarié, même à temps partiel ou dans le cadre d'une mission, pour garantir une bonne et saine gestion ?

Mme Ahlam Menouni. - Je le répète, dès le dossier de candidature, nous avons souligné que notre association reposait sur un travail bénévole et sur un certain nombre de prestations intellectuelles, rémunérées soit par forfait de mission soit par cachet d'intermittent.

Personnellement, le montant dont il s'agit ne m'a pas inquiétée. Les dirigeants de l'association ont l'habitude de gérer des projets beaucoup plus complexes, avec des montants beaucoup plus importants et des enjeux beaucoup plus forts. Nous avions le savoir-faire. Pour piloter un tel projet, un certain nombre d'éléments ne varient pas, en termes de temps ou de budget. Nous avions l'expérience nécessaire, qu'il s'agisse de mettre en oeuvre une feuille de route, d'adapter un budget ou de gérer les relations avec nos partenaires. Ce travail était de notre niveau et se passait plutôt bien.

En termes opérationnels, notre directrice de projet était une consultante externe ; sa rémunération était adaptée en fonction des phases. Elle avait elle aussi une expérience solide du pilotage de projet et avait déjà monté sa propre entreprise. Nous avons donc rapidement mis en oeuvre un certain nombre de process et de méthodes grâce auxquels tout s'est déroulé sereinement.

M. Vincent Éblé. - Si j'ai bien compris, votre association, créée peu avant l'appel à projets, a reçu cette subvention du fonds Marianne pendant sa première année d'existence.

J'ai présidé pendant onze ans une grande collectivité territoriale : pour des raisons que l'on peut comprendre, elle n'a jamais accordé la moindre subvention publique à une association, si elle n'était pas en capacité de présenter un bilan financier d'une première année de fonctionnement. Il ne s'agit pas d'une obligation légale, mais d'une règle relevant en quelque sorte de la déontologie.

En tant que présidente de l'association, est-ce une question que vous vous êtes posée ? D'autres dirigeants l'ont-ils évoquée avec vous ? Votre conseil d'administration ou votre bureau ont-il eu à en connaître ? Vous êtes-vous demandé si ces fonds avaient été accordés trop vite ou trop tôt ? Comprenez-vous que ce point puisse interpeller ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous sommes toujours partis du principe que les choix de l'administration étaient motivés : si notre demande de subvention était acceptée, c'était la preuve que nous avions respecté toutes les règles.

Pour moi, c'est une question qu'il faut poser à l'administration. Nous avons foncé, tout simplement : nous avions envie de mener ce travail, le CIPDR en avait également envie. Très sincèrement, nous ne nous sommes pas posé 12 000 questions.

M. Vincent Éblé. - Vous le regrettez aujourd'hui ?

Mme Ahlam Menouni. - Non, je ne regrette rien.

M. Vincent Éblé- Pour vous, il n'y a pas d'autres exigences que les exigences légales ?

Mme Ahlam Menouni. - Oui.

M. Vincent Éblé- Au moins, c'est clair.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez fait des recherches de financement dans un domaine qui - vous l'avez dit vous-même - ne s'y prête guère. Peut-être certains chefs d'entreprise s'intéressent-ils tout particulièrement au sujet de la laïcité : encore faut-il les trouver.

Mme Ahlam Menouni. - Oui.

M. Claude Raynal, président. - En tant que professionnelle, vous affirmez que ces montants ne sont pas très importants ; mais ils sont extrêmement élevés pour une association, qui plus est quand elle vient d'être créée. J'ajoute que la seule subvention publique a permis d'assurer la première année de fonctionnement, même si des aides complémentaires ont été recherchées.

J'en viens aux problèmes relatifs à la nature des contenus. Bien entendu, nous nous interdisons de nous aventurer sur le terrain judiciaire : des plaintes ont été déposées et le PNF se prononcera. Toujours est-il que la série À la bonne franquette a posé problème à cet égard. Ce sont des extraits publics.

(Il est procédé à la diffusion d'extraits de ladite série.)

Vous constatez que, par souci d'équilibre, nous avons choisi des extraits mentionnant des personnalités de différents bords politiques.

À quel moment le CIPDR s'est-il ému de ces propos pour vous demander de corriger le tir ? On sait qu'une correction a eu lieu, car dans l'une des vidéos, les intervenants mentionnent le fait que la Présidente a été informée en indiquant qu'ils ne peuvent pas faire certains contenus.

Sur la forme, c'est bien filmé, c'est bien enregistré, il n'y a pas lieu de s'interroger. Sur le fond, cela pose question. Tous les termes employés étaient-ils facilement compréhensibles pour le public visé, notamment les jeunes ? On peut s'interroger.

Surtout, le but était de diffuser un discours positif et apaisé, que l'on peine à retrouver dans ces séquences de conversation informelle. Quand on défend les valeurs de la République, ne doit-on pas, autant que faire se peut, éviter de s'attaquer à ses représentants ? Pourquoi dénigrer ainsi les élus, qui plus est quand on s'adresse à des personnes éloignées des institutions républicaines ?

Vous avez déclaré être globalement assez fière des contenus produits et ne rien regretter. (Mme Ahlam Menouni le confirme.) Étant donné qu'il s'agissait de construire, grâce à des fonds publics, un discours positif sur la République, on peine tout de même à vous suivre.

Mme Ahlam Menouni. - Nous ne sommes pas des prestataires du CIPDR. Nous avons été sélectionnés pour un projet dont la ligne éditoriale - réagir à l'actualité et proposer une émission de divertissement politique - avait été définie dès la candidature.

En France, la vie politique est hyperpersonnalisée, si bien qu'il n'est pas possible de parler de certains sujets sans mentionner les personnalités politiques impliquées.

L'extrait dont on parle, où des consignes ont été passées, provient d'un épisode tourné le 8 janvier. Il fait suite au bilan tiré du tournage du premier épisode. Nous étions convaincus du format informel de l'émission - une sorte d'apéro filmé. Pour qu'elle fonctionne bien, elle devait en effet épouser les codes des réseaux sociaux, notamment le clash et la personnalisation. Aussi, il fallait trouver le bon ton pour, à la fois, permettre à vidéo de devenir virale sur les réseaux sociaux et défendre un débat apaisé - cela ne veut pas dire lisse.

Il peut en effet sembler difficile d'entendre de tels extraits sortis de leur contexte. Mais en réalité, il s'agit de quelques minutes sur 22 heures de programmes, dont 16 heures pour l'émission « À la bonne franquette ». Si l'on regarde toutes les séquences, on verra que les sujets ont toujours été traités de façon différente. De plus, les participants ont tous un avis différent et chacun s'écoute. Oui, il y a eu des blagues acides, ainsi que des analyses politiques qui ont été faites - on n'a aucun problème avec ça - mais le message que nous avons fait passer au début du mois de janvier, et auquel nous nous sommes tenus durant toute la production, est que certes nous avons souhaité organiser une sorte d'apéro filmé, à la façon de l'émission « Les Grandes Gueules », mais que nous cherchons à élever le débat et à en éviter la personnalisation. Cela était déjà dans les tuyaux bien avant le premier point d'étape avec le CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne peux pas m'empêcher de faire le lien entre vos propos et les critères d'éligibilité de l'appel à projets du fonds Marianne sur la défense de la laïcité.

J'ai du mal à voir en quoi un certain nombre de vos émissions et publications concourent à reconstruire le commun. Dans certains extraits, vous opposez les artistes belges aux artistes français sur le ton du second degré ; vous opposez les boomers à la jeune génération sur la question écologique ; la crise sanitaire est abordée sous l'angle de la jeunesse sacrifiée. Or vous êtes la présidente de l'association Reconstruire le commun... À titre personnel, il me semble qu'elles ne répondent pas aux critères de l'appel à projets du fonds Marianne relatifs à la défense d'un certain nombre de valeurs.

Mme Ahlam Menouni. - Avant de reconstruire le commun, il faut écouter la parole des jeunes : ils s'opposent aux boomers sur les questions écologiques et ils ont vraiment vécu la crise sanitaire comme un sacrifice. Je n'avais aucune raison de censurer leurs propos, car il s'agit d'une analyse politique comme une autre.

Je pourrais comprendre votre surprise, mais je pense que l'écoute de ce que les jeunes ont à dire est la première étape de la reconstruction. Bien sûr, leurs propos peuvent choquer, comme cela a pu être le cas dans d'autres formats, notamment « Quiz Comm(e)un », car leurs paroles sont libres, mais respectueuses de la loi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous souhaitez donner une place à l'expression dans votre démarche associative, je l'entends. Mais les critères d'éligibilité au fonds Marianne sont, je le rappelle, la défense des valeurs républicaines.

J'entends comme vous ces réflexions, et quand bien même je ne les entendrais pas, elles s'expriment dans des bulletins de vote. Pour autant, les contenus semblent relativement en décalage avec les critères de l'appel à projets.

M. Claude Raynal, président. - C'est non pas l'ensemble du travail de l'association, mais un format particulier qui suscite nos questions et notre inquiétude.

Quelle a été votre relation avec le CIPDR sur la question des contenus ? En attribuant une telle subvention à une nouvelle association comme la vôtre, le secrétaire général semble avoir placé une certaine confiance en vous. D'ailleurs, vous avez dit précédemment qu'il avait été très positif lors de votre premier entretien.

Vous semblez avoir été en relation à propos du suivi de l'opération. De même, le suivi financier semble s'être déroulé convenablement, au vu des éléments soumis à notre appréciation. Ainsi, le problème semble davantage porter sur les contenus que sur le suivi financier. Ce sujet a-t-il été abordé au cours de vos conversations ?

Mme Ahlam Menouni. - Je le redis, nous ne sommes pas des prestataires du CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - J'entends, mais vous êtes financés par l'État, sous le contrôle du CIPDR. C'est d'ailleurs la seule source de financement de vos opérations. Vous n'êtes peut-être pas un sous-traitant du CIPDR sur le plan intellectuel, mais vos contenus, qui font débat, ont bien été financés par de l'argent public.

Mme Ahlam Menouni. - Tous ces sujets laissent place à une marge d'appréciation.

Nous avons présenté un certain nombre de formats avant qu'ils ne soient publiés. Selon nous, l'appréciation de leur contenu n'entrait pas dans le champ du contrat qui nous liait au CIPDR. En revanche, nous en prenions acte, afin de préserver la relation avec notre partenaire et surtout de poursuivre nos actions.

Nous étions foncièrement attachés à notre liberté éditoriale, dans le respect de la loi. À l'occasion d'un ou deux points, le CIPDR nous a signifié qu'une blague anti-Macron ne les a pas fait rire. Cela a donné lieu à une discussion normale et bienvenue sur le contexte sensible - la période électorale - et sur la nécessité de faire attention à notre traitement de sujets politiques. Nous avions déjà intégré ce point. Pour autant, il nous a semblé impossible de ne pas parler de sujets politiques dans une émission d'infodivertissement lancée à cette période-là. Entre janvier et juin, la vie politique était traitée par tous les médias à l'aune de l'élection présidentielle. Ainsi, il nous a donc semblé important de traiter ainsi les sujets politiques et de laisser les chroniqueurs s'exprimer. Néanmoins, durant la période stricte de la campagne, nous n'avons publié aucun contenu à caractère politique.

Le CIPDR a fait une ou deux fois de telles remarques. Elles n'ont jamais fait l'objet d'un point à l'ordre du jour de nos réunions ni d'un courrier. Si j'avais un début de phrase dans un mail qui parlait de ça, nous aurions réagi immédiatement. Je ne dis pas comment on aurait réagi : il nous aurait d'abord fallu arbitrer en interne entre garder notre ADN et arrêter les financements ou faire des compromis pour les garder.

Nous n'avions pas peur d'aller au contentieux, car nous honorions toutes les obligations de notre contrat.

M. Claude Raynal, président. - Les remarques ont été orales et n'ont fait l'objet ni d'un point à l'ordre du jour d'une réunion, ni d'un compte rendu écrit. C'est un propos un peu humoristique sur le Président de la République qui a donné lieu à une remarque acide.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment était organisée votre plateforme « Comme Un » ? Comment étaient définis les formats ? Qui était responsable des choix et des validations ? Comment les choses étaient-elles maîtrisées ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous détaillons les process dans un document que je vous transmettrai à la fin de l'audition. Notre façon de concevoir et de produire les contenus est expliquée ainsi que le moment auquel l'équipe opérationnelle demandait une validation aux dirigeants de l'association.

En règle générale, la première étape est la définition d'un cadre et le recrutement des bonnes personnes. Puis, nous organisons une réunion de lancement pour présenter l'ADN de l'association, de sorte que les intervenants s'imprègnent de notre état d'esprit.

La cheffe de projet dirigeait la conception et la production. Nous validions les sujets, les scripts et toutes les vidéos avant leur publication. Ainsi, nous intervenions, de façon cadrée, au cours d'un certain nombre d'étapes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans une note de juin 2022 du SGCIPDR, le secrétaire général attire solennellement l'attention sur le fait que certains contenus ne conviennent pas, au regard notamment des critères relatifs au discours séparatiste et à la promotion des valeurs républicaines. Dans la note, il est indiqué que le préfet s'est montre très ferme sur les contenus politiques. Comment expliquez-vous que le phénomène ait perduré ?

Mme Ahlam Menouni. - Je voudrais clarifier certains points. Contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, je n'ai jamais été convoquée. En revanche, j'ai assisté à des réunions de suivi et à des points d'étape. D'ailleurs cette réunion a été réalisée sur mon initiative, après avoir sollicité un rendez-vous formel avec le CIPDR pour présenter un prébilan avant la fin de la convention.

Au cours de cette réunion, organisée sur mon initiative, et dont l'ordre du jour était la présentation d'un point d'étape, une forme de prébilan, nous avons été renvoyés à nos résultats. Selon eux, les résultats - c'est devenu le sujet central de la réunion - n'étaient pas au niveau attendu. De surcroît, nous avons discuté de la qualité du projet. Après avoir terminé son propos, le secrétaire général est parti, sans nous laisser l'occasion de répondre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous été avertie du risque de ne pas percevoir le solde de la subvention, soit 25 % ?

Mme Ahlam Menouni. - Non, à aucun moment. Nous avons déposé notre demande de versement du solde le 11 mai. À cette occasion, j'ai à nouveau sollicité un rendez-vous pour le début du mois de juin.

À la suite de la réunion, j'ai relancé les services pour suivre l'état d'avancement de ma demande. Aussi, tous les échanges que j'ai eus avec le CIPDR jusqu'au versement, qui a eu lieu le 8 juillet, portaient sur le volet administratif. Il s'agissait de savoir si les documents fournis étaient dûment remplis. On m'a répondu qu'il était normal que les délais soient plus longs, car nombre de conventions arrivaient à terme. J'ai insisté, car je devais payer mes prestataires, dont certains n'ont pas beaucoup de trésorerie.

J'ai fait en sorte de suivre très précisément ce dossier. Entre le 11 mai et le 8 juillet - un délai classique pour l'administration s'agissant d'une demande de virement -, aucun échange n'a porté sur autre chose que le volet financier du versement.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous eu des échanges avec le CIPDR entre la fin du projet au titre du fonds Marianne et les révélations par la presse au mois de mars 2023 ?

Mme Ahlam Menouni. - Le déroulement de la réunion du 2 juin a suscité nombre d'interrogations sur la suite à donner. Nous ne nous attendions pas à une telle attitude dans le cadre de notre partenariat. Cela nous a conduits à remettre en cause nos projections à moyen terme.

Aussi nous avons envoyé à la rentrée les documents pour clore la subvention, puis, en octobre, le bilan détaillé et, en novembre, le compte rendu de subvention.

Tout d'abord, nous avons décidé de mettre en pause le projet, compte tenu premièrement de l'évolution du partenariat. L'approche du CIPDR était quantitative, court-termiste et consensuelle, alors que la nôtre était qualitative et de long terme. De surcroît, nous abordions les sujets qui fâchent, ce qui est à la limite d'une approche consensuelle.

Ensuite, des raisons plus personnelles nous ont poussés à faire ce choix, liées aux problèmes de santé importants de l'un des membres du bureau. On s'est dit que ça reste du bénévolat. Il lui fallait se rétablir avant de rebondir.

Enfin, nous avons pris une telle décision en raison des difficultés de trouver d'autres sources de financement. Nous avons donc décidé à l'été de mettre notre projet en pause avant de nous retrouver au printemps, mais c'est le moment où est arrivé ce que vous savez.

M. Claude Raynal, président. - Une procédure de remboursement a été lancée la semaine du 8 mai. Avez-vous reçu un courrier d'information du secrétariat général ? Y avez-vous répondu ?

Mme Ahlam Menouni. - Comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, nous avons appris en direct cette demande de remboursement lors des auditions du 16 mai dernier. Le soir même, j'ai trouvé dans ma boîte aux lettres un courrier recommandé de demande de remboursement, et un contrôle a posteriori. Le courrier est signé du vendredi 12 mai ; l'audition a eu lieu le 16 mai ; nous avons envoyé tous les documents au 17 novembre 2022. Or entre le 17 novembre 2022 et le 12 mai 2023, nous n'avons pas eu de contact avec l'administration. Le pôle financier ne nous a pas demandé de pièces justificatives.

Nous avons répondu à ce courrier dans les temps. Nous considérons que le timing de cette demande de contrôle a posteriori a été - comment le dire poliment ? - hypocrite.

En parallèle, nous avons des échanges avec votre commission d'enquête, avec l'inspection générale de l'administration - nous avons transmis toutes les pièces qu'ils nous ont demandées - et nous en aurons éventuellement dans le cadre de l'information judiciaire qui a été ouverte. Nous considérons qu'avec toutes les enquêtes en cours, le CIPDR est dessaisi de fait de ce contrôle a posteriori, puisqu'il est déjà en cours de réalisation par des autorités indépendantes, dont la vôtre.

M. Claude Raynal, président. - Considérez-vous que cette demande de remboursement est en lien avec les événements récents ?

Mme Ahlam Menouni. - Oui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comptez-vous faire droit à cette demande de remboursement ? Ou attendez-vous plutôt les résultats des enquêtes en cours ?

Mme Ahlam Menouni. - Tout à fait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Selon vous, une telle demande n'avait pas lieu d'être, car vous avez adressé en novembre 2022 le dossier complet, les comptes, et les éléments justificatifs.

Mme Ahlam Menouni. - En effet.

M. Christian Klinger. - Des membres de l'association ont-ils perçu des rémunérations ou reçu un bulletin de salaire, voire signé des factures d'autoentrepreneur ?

M. Claude Raynal, président. - Dans le bureau de l'association, est-ce qu'il y a des gens qui ont reçu des rémunérations ?

Mme Ahlam Menouni. - Non.

M. Marc Laménie. - La demande de remboursement porte-t-elle sur la totalité des subventions perçues au titre du fonds Marianne ?

Quel est le public de la projection que nous avons vue ?

M. Thierry Cozic. - Le courrier de demande de remboursement adressé par l'administration est-il motivé ? Quels en sont les éléments factuels ?

Mme Ahlam Menouni. - Le courrier qui nous a été transmis par le CIPDR est d'abord un contrôle a posteriori. Il s'agit de voir si l'objet de la convention a été gravement méconnu et substantiellement modifié et quelle est la réalité des prestations réalisées. Ce n'est pas une demande de remboursement formelle. Des pièces justificatives sont exigées pour contrôler si nous avons méconnu le cadre fixé par la convention, afin d'envisager un remboursement tout ou partiel de la subvention.

Pour nous, c'est une première étape, qui ne dit pas s'il y a un litige ou non. Le cas échéant, - et nous pensons pas que ce n'est le pas cas - il faudrait débattre sur le remboursement, mais une telle perspective est encore très loin, vu que nous ne disposons ni des conclusions de votre enquête ni du rapport de l'inspection générale de l'administration.

M. Claude Raynal, président. - En effet, donner suite serait reconnaître une faute. Le courrier indique seulement une possibilité à terme d'un remboursement.

Des salariés sont-ils membres du bureau ?

Mme Ahlam Menouni. - Non, la distinction était très claire. Soit on est bénévole, soit on est salarié.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions.

Audition de M. Sébastien Jallet, préfet de l'Orne, ancien directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022

(Mercredi 7 juin 2023)

M. Roger Karoutchi. - Nous avons appris la démission du préfet Christian Gravel, et nous avons entendu les déclarations de Marlène Schiappa sur la première version du rapport que l'Inspection générale de l'administration (IGA) vient de rendre publique, ainsi que les propos de plusieurs responsables politiques appelant à la démission de Mme Schiappa : est-ce que ce contexte modifie notre travail ?

M. Claude Raynal, président. - A ce stade, avec le rapporteur, nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de modifier notre agenda.

Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons ce matin M. Sébastien Jallet, préfet de l'Orne, en sa qualité d'ancien directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté.

Comme vous le savez, nous avons entendu ces dernières semaines le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), M. Christian Gravel, ainsi que les représentants de plusieurs associations ayant bénéficié des crédits du fonds Marianne. Nous attendons donc de votre audition que vous puissiez nous préciser la manière dont, à vos fonctions, vous avez suivi ce dossier, en lien d'une part avec la ministre et d'autre part avec les services sur lesquels elle avait autorité.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sébastien Jallet prête serment.

M. Sébastien Jallet, ancien directeur de cabinet de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. Je vous remercie de m'entendre et de me donner l'occasion d'apporter ma part d'explication aux questions intéressant la gestion du fonds Marianne. J'ai été auditionné par la mission de contrôle de l'IGA, diligentée par le ministère de l'intérieur. Je serai logiquement entendu dans le cadre de l'information judiciaire ouverte par le Parquet national financier (PNF). J'ai été sollicité par les médias mais je n'ai pas donné suite, réservant mes réponses aux organismes et institutions saisis. Cette audition par votre commission d'enquête revêt donc pour moi une importance particulière car elle est sans doute la seule occasion qui me soit donnée de tenir une parole publique sur le fonds Marianne et plus globalement sur le sens et les modalités du contre-discours républicain.

Je suis préfet de l'Orne et, du 3 septembre 2020 au 31 janvier 2022, j'ai été directeur de cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. Dans cette responsabilité, j'étais chargé des missions classiques d'un directeur de cabinet : la gestion de l'équipe du cabinet, composée de douze collaborateurs ; l'assistance de la ministre dans la définition de sa feuille de route et de ses orientations stratégiques ; le pilotage de la mise en oeuvre de cette feuille de route, avec les administrations placées sous l'autorité de la ministre ou mises à sa disposition ; enfin, j'assurais une fonction de liaison avec les autres ministères et avec Matignon sur l'ensemble de ces sujets. J'étais, au sein du cabinet, le seul à bénéficier de la délégation de signature de la ministre déléguée, et donc le seul à pouvoir, juridiquement, engager la décision ministérielle, dans un rapport de loyauté et de confiance avec la ministre. J'exerçais cette mission sur l'ensemble des champs d'intervention de la ministre : elle était en charge d'un ministère nouveau, le ministère délégué à la citoyenneté, placé auprès du ministre de l'Intérieur, avec des attributions importantes et d'une grande diversité.

Ces attributions recouvraient schématiquement deux grands domaines. D'abord, la protection des Français, avec des attributions de prévention de la délinquance et de la radicalisation, de lutte contre les dérives sectaires, mais également la mise en oeuvre des engagements du Grenelle des violences conjugales, ou encore, pour ce qui concerne l'action des forces de sécurité intérieure, la lutte contre le séparatisme. Ensuite, la deuxième ligne de force dans les attributions de la ministre avait trait aux valeurs de la République, avec la promotion de l'engagement citoyen, la politique de l'asile et d'accueil des réfugiés, la politique de l'intégration, la naturalisation, le déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité électronique, et le portage interministériel de la laïcité. J'étais, en tant que directeur de cabinet, en charge de préparer et d'exécuter les décisions de la ministre sur l'ensemble de ces champs et je m'attachais à leur accorder une importance égale.

J'ai ainsi naturellement été en prise avec la mise en place d'une action nouvelle de contre-discours républicain et avec la mise en place du fonds Marianne. J'aimerais en quelques mots replacer cette démarche dans son contexte. À l'automne 2020, notre pays subit une vague d'attentats terroristes, avec, le 25 septembre, l'attentat de la rue Nicolas-Appert devant l'ancien siège de Charlie Hebdo ; le 16 octobre, l'attentat d'Eragny-sur-Oise ; le 29 octobre, l'attentat de la basilique de Nice. Ces attentats placent plus que jamais les pouvoirs publics dans une ardente obligation d'agir et de protéger les Français dans tous les domaines. Ce contexte est donc celui d'une mobilisation générale contre la haine en ligne, contre le cyber-islamisme, contre les idées séparatistes sur internet, lesquelles portent en germe, chez certains individus, des risques de basculement dans la radicalisation et la violence terroristes.

La création du fonds Marianne s'inscrit dans ce contexte et n'est qu'un élément d'une stratégie d'ensemble, arrêtée en conseil de défense et de sécurité nationale, à l'automne 2020, et qui se déploie dans plusieurs directions. Il y a, d'abord, le renforcement de la plateforme Pharos opérée par des policiers et des gendarmes, qui traite les signalements de contenus illicites sur internet pour incriminer les auteurs et demander le retrait de ces contenus auprès des opérateurs ; le ministre de l'Intérieur et la ministre déléguée renforcent sensiblement ses effectifs pour les porter de 30 policiers et gendarmes à 54 en quelques mois, pour assurer un fonctionnement 24 heures sur 24 et sept jours sur sept et pour renforcer la capacité à judiciariser les contenus illicites sur internet. Il y a eu aussi, en janvier 2021, la création du pôle national contre la haine en ligne au sein du parquet de Paris, pour renforcer la réponse pénale aux affaires les plus graves ou les plus complexes - un engagement qui relève du garde des Sceaux et de la Chancellerie, mais qui fait partie de cette stratégie d'ensemble portée par le Gouvernement. Cette stratégie passe également par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, avec le renforcement des obligations des plateformes et la suppression des sites dits miroirs, qui répliquent les contenus interdits par la justice : les plateformes doivent désormais effacer ces sites et les déréférencer ; il y a eu aussi le principe de la comparution immédiate introduite pour les infractions les plus graves en matière de haine en ligne, telles que le délit de négationnisme ou d'incitation à la haine et à la violence ; cette loi a aussi créé un délit de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations personnelles sur internet dans l'intention de nuire, une disposition prise en référence directe aux agissements dont avaient été victimes plusieurs personnes et le professeur de Conflans-Sainte-Honorine, en particulier, avec un délit puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, sanctions majorées quand elles concernent une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Il y a eu également une mobilisation au niveau communautaire pour renforcer la législation européenne, avec l'adoption du règlement contre les contenus terroristes, en 2021, qui oblige les plateformes à supprimer en moins d'une heure les contenus à caractère terroriste, ainsi que les efforts déployés par la France pour promouvoir le projet de directive Digital Services Act.

C'est dans cette stratégie d'ensemble que s'inscrit la mise en place d'une action nouvelle de contre-discours républicain. Il y a donc bien une stratégie, laquelle sera, fin 2020, érigée au rang de réforme prioritaire du Gouvernement : elle fait partie des 73 réformes prioritaires du Gouvernement et sa coordination est confiée au ministre de l'Intérieur et à la ministre déléguée, sachant qu'elle est interministérielle, concernant bien sûr la Justice et le ministère chargé du numérique. Les ministres rendront compte régulièrement en Conseil des ministres de l'avancée de cette stratégie, ce sera le cas notamment le 12 janvier 2022 avec une communication sur les réformes prioritaires du ministère de l'intérieur, dans laquelle la ministre déléguée fait état des avancées et des enjeux en matière de lutte contre la haine en ligne et le cyber-islamisme.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ce rappel du contexte, le fonds Marianne fait partie d'une stratégie plus globale et il ne saurait répondre à lui seul de la lutte contre le cyber-islamisme. Notre mission se concentrera dans un premier temps sur l'élaboration même de ce fonds et sur son fonctionnement. Nous avons bien compris que le fonds Marianne ne constituait qu'une partie de la réponse à un sujet très large. D'où est venue, précisément, l'idée de mettre en place ce fonds, qui a eu l'idée de son nom, et qui a décidé de faire le lien avec le professeur assassiné à Conflans-Sainte-Honorine ?

M. Sébastien Jallet. - Dès l'automne 2020, il est acté par les instances compétentes la mise en place d'une action de contre-discours républicain...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quelles instances compétentes ?

M. Sébastien Jallet. - Je fais référence au conseil de défense et de sécurité nationale qui a adopté la stratégie d'ensemble contre la haine en ligne et le cyberislamisme, ainsi que le principe d'une action de contre-discours républicain. Cette démarche s'inspire pour partie de ce que les Britanniques ont mis en place depuis 2007 en créant le Research Information and Communications Unit (RICU), une unité constituée au sein du Home Office pour établir un contre-discours institutionnel, porté par une structure d'État, et un contre-discours sociétal, porté par des acteurs associatifs. Ce qui se met en place à l'automne 2020 s'inscrit sur ces deux axes, avec un contre-discours institutionnel, porté par le CIPDR, avec la création de l'unité de contre-discours républicain, auxquels des premiers postes sont affectés en novembre 2020 via des mises à disposition, jusqu'à compter une quinzaine d'agents en avril 2021 puis une vingtaine d'agents en octobre 2021...

M. Claude Raynal, président. - Le conseil de défense et de sécurité nationale, fin octobre, dit qu'il faut mettre en place un fonds dédié ?

M. Sébastien Jallet. - Nous sommes en effet fin octobre mais l'idée est d'abord de lancer un contre-discours républicain. Il comprend, en plus de son volet institutionnel, une démarche sociétale d'implication des acteurs associatifs, et cette idée est également initiée à l'automne 2020. Elle prend appui sur des acquis plus anciens puisque dès 2015, il y a la volonté d'accompagner la société civile dans la réaction à l'islamisme, avec l'initiative « Stop djihadisme », portée par le Service d'information du gouvernement que dirigeait le préfet Christian Gravel, ou encore avec des actions inscrites dans le plan national de prévention de la radicalisation de 2018. Mais il s'agit, à l'automne 2020, de changer d'échelle et d'agir vite, avec des partenaires associatifs. Le budget vers lequel on se tourne est assez naturellement le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), que la loi de finances pour 2021 vient de reconduire à 69 millions d'euros, son niveau de 2020. Cependant, une fois déduite la réserve de précaution, il reste 66 millions d'euros, et la ministre et moi-même faisons le constat que le FIPDR ne permet pas de financer l'appel à projet au niveau que nous envisageons. En effet, sur les 66 millions d'euros, 54 millions d'euros sont déconcentrés aux préfets pour financer des actions de proximité dans les territoires, de prévention de la délinquance dans les territoires, qui sont incompressibles et que nous ne voulons certainement pas réduire, et il y a aussi le programme de sécurisation des sites sensibles et des lieux de culte, pour 4 millions d'euros, que nous estimons également incompressible - et que nous allons même augmenter d'un million en gestion 2021. Les 8 millions d'euros du FIPDR, gérés au niveau national sont en forte tension, puisque nous devons financer sur cette enveloppe deux nouveaux appels à projets que la ministre entend conduire, le premier sur la lutte contre les dérives sectaires, pour un million d'euros et le second sur la lutte contre les atteintes à la dignité humaine, c'est-à-dire la polygamie, les mariages forcés et les certificats de virginité en référence à des dispositions inscrites dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Nous constatons donc que, pour conduire des actions de contre-discours républicain sur internet, à la hauteur de nos ambitions, il nous faut trouver des moyens supplémentaires. C'est pourquoi nous ferraillons pour obtenir un report de crédits du FIPDR de 2020 sur 2021 et que nous obtenons de l'arbitrage du cabinet du Premier ministre, une décision de report de 4,8 millions d'euros, qui vont être affectés à deux priorités ministérielles : le contre-discours républicain, pour 2,5 millions d'euros, et le développement de la vidéo-protection. Si les crédits du fonds Marianne sont donc bien des crédits ordinaires du FIPDR, ils proviennent d'abord d'un report de crédits et d'un arbitrage du cabinet du Premier ministre.

La deuxième condition pour lancer un contre-discours sociétal était d'avoir des partenaires associatifs. Nous - c'est-à-dire le cabinet de la ministre déléguée, et le CIPDR - entreprenons alors de rencontrer des acteurs associatifs qui sont déjà connus ou qui se sont distingués pour leur action ou leur réflexion en matière de contre-discours sociétal, qu'il s'agisse de porter la riposte contre les campagnes d'influence de séparatistes en ligne ou de promouvoir, sur internet, les valeurs de la République. Nous allons le plus souvent ensemble, cabinet et administration, rencontrer ces associations, c'est la consigne que je passe à mes collaborateurs, je leur demande de voir, avec l'administration, les porteurs de projets potentiellement intéressants et intéressés, pour mesurer leur capacité à entrer sur des actions de contre-discours républicain. Ces rencontres et auditions ont lieu de l'automne 2020 au printemps 2021. J'aurai pour ma part l'occasion de voir deux acteurs associatifs avant le lancement du fonds Marianne - et mes collaborateurs en verront un nombre important, je n'en ai pas la liste précise, mais il y a plusieurs associations connues ou identifiées.

M. Claude Raynal, président. - Quelles sont ces deux associations que vous rencontrez ?

M. Sébastien Jallet. - Elles n'ont pas été citées dans vos travaux jusqu'ici et je ne souhaite pas divulguer leurs noms, pour ne pas exposer ces acteurs associatifs, mais je pourrai vous les dire à huis clos à la fin de cette audition.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pourriez-vous être plus précis sur la période de ces rencontres ? Lorsque vous évoquez le printemps 2021, la période peut courir jusqu'au mois de juin, ce qui n'est pas la même chose que jusqu'au mois de mars...

M. Sébastien Jallet. - Les rencontres des acteurs associatifs, des chercheurs, des intellectuels, débutent en novembre 2020 et s'achèvent en avril 2021 quand la décision est prise de lancer l'appel à projets. Il y a donc des associations qui vont, avant l'appel à projets, déposer des demandes de subvention auprès du CIPDR, selon la démarche classique où la décision est discrétionnaire - ce qui ne veut pas dire que ces décisions de subvention ne sont pas réfléchies ni motivées, après instruction administrative. Il y a donc des demandes de subvention dès février 2021 qui sont déposées.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites que ces décisions sont motivées, mais la motivation n'apparait pourtant dans aucun document transmis, elle ne laisse aucune trace, nous y reviendrons.

Ce que nous pouvons déjà retenir de ce que vous nous dites, c'est qu'il y a un travail sur le FIPDR traditionnel avec une enveloppe donnée, des associations qui, de manière classique, s'adressent au CIPDR, que certaines associations, déjà connues, sont sollicitées et qu'on réfléchit aux façons dont on pourrait faire davantage ou mieux sur internet. C'est en tout cas le contexte lorsqu'arrive le fonds Marianne : à quel moment et qui décide de faire cette appellation nouvelle, plutôt que de renforcer le FIPDR ? Pourquoi cette appellation nouvelle, dont le préfet Gravel a dit qu'elle était un « label de communication » ? Pourquoi n'est-on pas passé par une modalité d'action plus simple, qui aurait consisté à renforcer ce qu'on faisait déjà ?

M. Sébastien Jallet. - La décision de faire un appel à projets est prise début avril, je la rattache à une discussion que j'ai eue avec la ministre le 7 avril 2021 ; nous en informons alors le cabinet et l'administration. Nous le faisons pour deux raisons : nous constatons, après avoir rencontré et reçu pendant quatre à cinq mois les acteurs associatifs, que peu de projets associatifs ont été déposés pour porter le contre-discours sociétal, nous pensons que l'appel à projets est une manière pertinente de susciter davantage de projets et de partenariats ; ensuite nous pensons que l'appel à projets donnera plus de visibilité à cette démarche de contre-discours sociétal. Je ne saurais vous dire qui a proposé le nom, je n'en n'ai pas souvenir, ni de trace numérique dans mes archives. Le 7 avril, nous décidons d'en passer par un appel à projets et le nom est venu après.

Le fonds Marianne est effectivement une sorte de label, un préciput - comme on dit dans le jargon financier - de 2,5 millions d'euros réservés dans le FIPDR pour les actions de contre-discours en ligne. La décision est communiquée aux membres du cabinet, puis formellement à l'administration le 13 avril, lors de la réunion de coordination que nous tenons chaque mardi avec le CIPDR : je fais part de notre volonté de passer par un appel à projets et je demande à ce qu'un texte soit préparé à cette fin pour un lancement le 20 avril, avec communication de la ministre.

M. Claude Raynal, président. - Avant le 13 avril, le CIPDR ne travaille donc pas sur un appel à projets ? Ses responsables apprennent-ils seulement le 13 avril qu'il y aura un appel à projets ?

M. Sébastien Jallet. - Oui, c'est le 13 avril que le CIDPR en est informé officiellement, mais je pense qu'il y avait eu des discussions en préalable pour choisir le meilleur vecteur, entre le gré à gré, qui est la méthode traditionnelle pour les subventions du FIPDR, et l'appel à projets. Ces discussions ont eu lieu entre des membres de mon cabinet et l'équipe du CIDPR et son secrétaire général en particulier - nous avons pu en discuter, même si je n'ai pas de traces écrites, mais je sais que si nous avons abordé ces questions et si nous sommes passé du gré à gré à l'appel à projets, c'est pour les deux raisons que je vous ai indiquées : le nombre de projet associatifs et l'enjeu de visibilité.

M. Claude Raynal, président. - Quelles différences faites-vous entre le gré à gré et l'appel à projets ? La façon dont la sélection a été réalisée, c'est-à-dire sans critères précis d'évaluation, nous semble en réalité très proche du gré à gré.

M. Sébastien Jallet. - Il y a, à mon sens, plusieurs différences. La principale, c'est que l'appel à projets comporte, par construction, une dimension d'ouverture et d'appel à candidature, avec un texte d'appel qui précise les attendus, le cadre, l'objet, avec deux axes d'actions : la riposte à la propagande séparatiste et la promotion des valeurs de la République. Le dossier est normé, les pièces attendues sont connues, l'appel à projets suppose une démarche d'ouverture et de transparence sur le cadre, les critères et le calendrier. La seconde différence, c'est que l'appel à projets place de fait les candidats dans une démarche d'équité plus importante que dans le gré à gré, car tout le monde peut candidater et les critères d'appréciation sont connus et précisés avant la phase de sélection.

M. Claude Raynal, président. - On verra si, dans les cas d'espèce, ils ont été remplis.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai besoin de précision, il me semble qu'il y a une confusion entre le cabinet et l'administration. Vous dites qu'il y a eu une communication en interne le 13 avril, dans la réunion hebdomadaire de coordination ; or, jusqu'à maintenant, on avait entendu parler d'un comité de programmation : était-ce la même réunion, celle du mardi, ou bien une autre réunion, éventuellement le même jour ?

M. Sébastien Jallet. - Le 13 avril, il y avait la réunion hebdomadaire de coordination et c'est aussi ce jour-là que nous avons mis en place, pour la première fois je crois, le comité de programmation des crédits du FIPDR, dont la création avait été souhaitée pour structurer les échanges jusque-là informels entre le cabinet et le CIDPR sur les sujets budgétaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il s'agit donc d'une seule et même réunion ou y a-t-il eu deux réunions ?

M. Sébastien Jallet. - Il s'est agi plutôt de la même réunion, qui s'est déroulée en deux temps, avec un temps pour la programmation budgétaire et un temps sur les autres sujets que nous traitons avec le CIPDR. Ce comité se réunira en tant que de besoin sur les questions budgétaires, j'ai souhaité le mettre en place pour donner de la collégialité et de la traçabilité dans le processus décisionnel quant à l'emploi des crédits budgétaires. Ce cadre se veut clair sur la répartition des rôles.

M. Claude Raynal, président. - Il nous a été indiqué qu'avec l'arrivée de Marlène Schiappa, le 6 juillet 2020, le processus de décision pour l'attribution des subventions du FIPDR était remonté du secrétaire général du CIPDR, au cabinet de la ministre déléguée : le secrétaire général adjoint nous l'a dit de manière très précise, indiquant que le circuit de décision qui était traditionnellement une responsabilité du secrétaire général devient avec l'arrivée de Mme Schiappa, une responsabilité du cabinet : le confirmez-vous ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne sais pas quel parcours prenait la décision avant ma prise de fonctions, mais je vous confirme la volonté de la ministre et du cabinet de valider l'attribution des crédits du FIPDR. La ministre étant responsable, et en rendant compte devant la représentation nationale, il est légitime, normal et attendu qu'elle décide de l'emploi des crédits.

M. Claude Raynal, président. - L'antériorité n'était pas celle-là. Jusque-là, le ministre donnait une orientation, le cabinet veillait à ce que l'administration suive, mais les procédures elles-mêmes étaient aux mains de l'administration, donc à celles du secrétaire général du CIPDR, en particulier les appels à projets. Ce que je souhaite mettre en débat, c'est la légitimité du changement opéré par la ministre. Personne ne contestera que la ministre attende que sa politique soit appliquée, mais nous sommes là dans une nouvelle définition des rôles, c'est un peu différent, il y a là ce qui s'apparente à un changement de modèle de la décision, où tout remonte au cabinet...

M. Sébastien Jallet. - Il faut tenir compte du fait que la ministre est en charge d'un nouveau ministère délégué à la citoyenneté, qui recouvre pour la première fois les missions du CIPDR. C'est la première fois qu'un membre du gouvernement est chargé d'incarner, de porter la politique publique de prévention de la délinquance et de la radicalisation dans l'architecture du gouvernement - donc la ministre a à coeur de pouvoir fixer des orientations et de prioriser les choix budgétaires, elle nous demande de nous organiser en conséquence. Nous le faisons de manière claire. Le cabinet a un rôle d'orientation et de validation ; mais le recueil des demandes, leur instruction et les propositions de financement relèvent de l'administration, en l'occurrence le CIPDR, de même que la mise en forme des conventions et le suivi. Le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites que le cabinet valide, je dirais que l'administration propose, et que le cabinet dispose - et nous vous citerons tout à l'heure des cas très précis d'intervention du cabinet, qui le démontrent.

L'IGA vient de publier les premiers éléments de son rapport concernant la subvention versée à l'USEPPM, elle conclut que l'appel à projets n'a été « ni transparent, ni équitable ». Vous nous dites que le cabinet a validé cet appel à projets, c'est donc, si les mots ont un sens, que vous avez validé un processus qui n'a été ni transparent, ni équitable : comment réagissez-vous à cette conclusion de l'IGA ?

M. Sébastien Jallet. - Je n'ai pas d'observation personnelle à faire sur ce rapport : quand on est préfet, on lit les rapports de l'IGA, on intègre leurs recommandations et on les met en oeuvre - mais on ne les commente pas... Le calendrier est important, les deux démarches se sont chevauchées : jusqu'au 13 avril, des projets ont été déposés dans la formule classique du gré à gré ; ensuite, il y a eu la démarche de l'appel à projets, qui constitue une autre démarche. Le 13 avril même, plusieurs dossiers sont présentés, quatre d'entre eux proposaient des actions de contre-discours numérique : le choix est alors fait de reporter ces dossiers sur la procédure de l'appel à projets. Il n'y a pas eu de dossier retenu dans l'appel à projets qui ait fait l'objet d'une décision avant le déroulement de l'appel à projets. La procédure a donc été transparente et équitable, me semble-t-il : tous les candidats et lauréats ont vu leur demande appréciée plus tard, dans le cadre de l'appel à projet.

M. Claude Raynal, président. - Vous sentez bien qu'il y a une difficulté, Monsieur le Préfet. Vous ne pouvez pas dire que l'IGA n'est qu'une structure interne, vous savez bien que le CIPDR va devoir apporter des réponses à ce rapport, ainsi que le ministère. Un rapport de l'IGA, c'est fait pour questionner, mais après les auditions que nous avons faites en particulier des responsables du CIPDR, j'avoue que je n'ai pas été si étonné de voir que l'IGA écrive que l'appel à projets ait été « ni transparent, ni équitable » - les inspecteurs ne posent pas la question, ils font un constat.

Nous allons essayer d'entrer plus avant dans ce dossier, avec ce qui concerne l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) et de l'un de ses membres, Mohamed Sifaoui, lequel s'est beaucoup exprimé dans les médias, contrairement à vous et à nous. Il dit qu'on est allé le chercher, que le cabinet de la ministre l'a contacté, sachant qu'il intervenait déjà sur des questions de formation au sein du CIPDR. Le cabinet a-t-il eu des contacts avec Mohamed Sifaoui avant la création du fonds Marianne ? Si oui, quelle en a été la teneur ?

M. Sébastien Jallet. - Vous citez un acteur connu sur ces sujets, qui fait, en quelque sorte, référence en matière de lutte contre l'islamisme et le cyber-islamisme, il faisait déjà du contre-discours sociétal à travers les réseaux sociaux et le site « Islamoscope », qu'il avait créé à titre personnel. À ce titre, il avait déjà été reçu par le cabinet de la ministre et par le CIPDR...

M. Claude Raynal, président. - Par vous-même ?

M. Sébastien Jallet. - Non, par le conseiller spécial de la ministre en charge de piloter les actions de contre-discours, éventuellement par d'autres membres du cabinet, à une ou plusieurs reprises, je ne saurais vous le dire avec précision, et par le CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - À sa demande ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne saurais vous le dire. Je pense qu'on l'a sollicité très certainement pour avoir un échange avec lui sur la façon dont il appréhende cette action publique nouvelle que nous commençons d'expérimenter. Nous avons besoin de rencontrer des acteurs, des chercheurs, des scientifiques, c'est une phase de consultation assez intense. La personne que vous avez citée va présenter un projet, début avril...

M. Claude Raynal, président. - Nous y reviendrons car nous avons des questions, dans un premier temps, sur la teneur des différentes rencontres que Mohamed Sifaoui a pu avoir avec le cabinet. Christian Gravel nous a dit avoir appris de la bouche de Mohamed Sifaoui, que l'USEPPM pourrait bénéficier du fonds Marianne, il nous a dit que cette information lui avait été communiquée comme venant de la ministre ou de son cabinet : quand donc ce premier rendez-vous a-t-il eu lieu ?

M. Sébastien Jallet. - Je dépose sous serment, et je vous dis qu'à ma connaissance, la ministre n'a pas reçu Mohamed Sifaoui ; je l'ai reçu pour le compte de la ministre le 22 avril 2021 à 15 h15, le rendez-vous avait été organisé par le secrétariat de la ministre, elle n'avait pas pu l'honorer pour des raisons d'agenda, je l'ai alors représentée, je suis très précis sur ce point. Mes collaborateurs ont pu rencontrer M. Sifaoui à plusieurs reprises précédemment, fin mars début avril, il y a eu une invitation à envisager un projet associatif pour obtenir un soutien du CIPDR. Ce projet a été déposé le 9 avril et le CIPDR, dans ses missions administratives de gestion des subventions, l'a entièrement géré.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons y revenir. Le rapport de l'IGA indique qu'il y a eu six rencontres entre mars et avril 2021 avec le cabinet, dont une avec vous.

M. Sébastien Jallet. - Le rapport transcrit les propos d'un des protagonistes, mais une note en bas de page précise qu'il n'a pas été possible de vérifier le nombre et la nature des réunions qui se sont tenues.

M. Roger Karoutchi. - Une remarque générale : j'avoue être agacé par l'usage de l'expression à la mode de « contre-discours républicain », car elle fait croire que la République ferait face à un autre discours républicain, ce qui n'est pas du tout le cas : en réalité, il n'y a pas deux discours républicains, mais un discours qui l'est, et l'autre qui ne l'est pas - parce qu'il n'y a qu'une seule acception de la République.

Je me demande, ensuite, quelle expérience les associations bénéficiaires du fonds Marianne apportent de plus que les structures publiques ? Le Service d'information du Gouvernement organise des campagnes, il dispose d'un budget d'une quinzaine de millions d'euros, il emploie 90 personnes, auxquelles s'ajoutent les 60 agents du CIPDR. On a vu, pendant la pandémie, des campagnes sur les médias publics et les réseaux sociaux, qui étaient plutôt bien faites par les organismes publics. Pourquoi était-ce impossible ici ?

M. Sébastien Jallet. - Je vous rejoins, c'est vrai que les termes peuvent être équivoques et qu'il s'agit en réalité de conforter le discours contre les ennemis de la République. Nous avons deux modalités : un volet institutionnel et un volet sociétal. Nous avons mis la priorité sur l'institutionnel, avec la création, dès novembre 2020, de l'unité de contre-discours au sein du CIPDR, l'effort a été significatif puisque le Premier ministre annonce à l'automne 2020 le renforcement des services du ministère de l'intérieur contre la haine en ligne et le cyber-islamisme à hauteur de 100 emplois - c'est ce qui permettra de renforcer Pharos, certaines préfectures, mais aussi de prévoir 35 postes pour l'unité de contre-discours républicain au sein du CIPDR, dont 20 postes dès 2021. La priorité est donc bien mise sur le contre discours institutionnel, y compris en termes budgétaires. Cependant, le contre-discours institutionnel peut rencontrer des limites puisque le message intervient sur des comptes identifiés comme publics. Ce message émanant de structures publiques a moins de portée, en particulier auprès des jeunes, que s'il est porté par la société civile. Nous éprouvons donc le besoin de mobiliser la société civile, d'avoir des acteurs associatifs qui portent cette parole sur le sens de la République, sur la lutte contre les idées séparatistes, extrémistes et complotistes. D'autres pays l'ont fait, j'ai cité le Royaume-Uni, il y avait déjà des initiatives en France depuis 2015, nous voulions donc changer d'échelle et intervenir de façon plus volontariste avec un levier dédié et des partenaires plus à même de mobiliser la société civile, pour une parole qui soit plus entendue par ceux auxquels elle s'adresse.

M. Claude Raynal, président. - Une parole qui ne porte pas le sceau du ministère de l'intérieur...

M. Sébastien Jallet. - Pour le dire très clairement, oui.

M. Daniel Breuiller. - Peut-on envisager que Mohamed Sifaoui, contacte le secrétaire général du CIPDR pour lui annoncer qu'il sort du cabinet de la ministre et qu'il va recevoir une subvention pour participer à ce discours républicain ? Est-ce une initiative imaginable par l'un de vos collaborateurs d'indiquer de contacter le CIPDR avec un engagement de soutien ? Vous avez parlé de la collégialité de la décision et avez indiqué que vous n'avez rencontré M. Sifaoui que le 22 avril, mais M. Christian Gravel nous a dit que M. Mohamed Sifaoui serait venu le voir en lui disant qu'il aurait une subvention. Est-ce le cas ?

Ensuite, je trouve intéressante l'idée d'un contre-discours, mais j'ai le sentiment qu'il est construit au hasard des rencontres : est-ce qu'il y a eu une analyse des ressources disponibles avant de contacter tel ou tel et de lui proposer de participer au contre-discours républicain ?

M. Sébastien Jallet. - Nous mettons alors en place une action publique nouvelle, qui a peu de précédents. Nous le faisons en consultant des chercheurs, des intellectuels, des journalistes, des scientifiques - je pourrai vous en préciser la liste -, pour réfléchir à la mise en place dans les meilleures conditions de cette action. Nous rencontrons aussi des acteurs associatifs, certains sont invités à formaliser des projets, et à se rapprocher du CIPDR pour faire une demande de subvention, c'est ce qui se passe avec Mohamed Sifaoui : il est reçu à une ou plusieurs reprises, début avril par le cabinet et par le CIPDR, il propose le projet « iLaïc » et nous l'invitons, par mail, à se rapprocher du CIPDR pour déposer son dossier, après quoi c'est la phase administrative d'examen, d'instruction et de proposition. Aucun engagement d'aucune sorte n'a été alors pris, et, le 22 avril, quand je le reçois pour le compte de la ministre, je ne prends aucun engagement financier - on attend l'instruction par l'administration et la proposition de financement de l'administration pour se prononcer, ce qui interviendra en comité de sélection, le 21 ou le 22 mai.

Nous avons consulté de nombreux acteurs, y compris dans la préparation du projet de loi confortant les principes de la République, beaucoup d'acteurs, scientifiques, culturels, administratifs et politiques sur ces sujets et sur les moyens de mettre en place le contre-discours républicain, et je vous confirme que nous n'avons guère eu beaucoup de propositions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On comprend bien la difficulté pour l'État, cela nous a été dit par d'autres, cette difficulté à suivre des annonces politiques ambitieuses alors que le discours institutionnel ne passe pas aussi bien que souhaité, donc l'utilité d'aller chercher des associations. Pour moi, il y a beaucoup de confusions.

Je vais entrer dans le détail. Vous avez dit, et c'est dans le rapport de l'IGA, qu'il y aurait eu deux réunions où Mohamed Sifaoui dit avoir eu des échanges au moins de salutations avec la ministre : le confirmez-vous ? Sur quoi, dans ces deux cas précis, les échanges ont-ils porté et, oui ou non, a-t-il été question de subvention, et d'un montant ?

M. Sébastien Jallet. - Il y a eu avec M. Sifaoui un ou plusieurs rendez-vous avec le cabinet fin mars début avril pour évoquer l'enjeu du contre-discours et, dans un deuxième temps, pour qu'il présente son projet « iLaïc » au cabinet et au CIPDR ; la demande de subvention est déposée au CIPDR le 9 avril par l'USEPPM. Le 13 avril, nous examinons plusieurs dossiers en comité de programmation, instruits par le CIPDR, mais il y a peu de traces, malheureusement, de ce qui se dit dans ce comité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Permettez-moi d'exprimer ma surprise de voir, sur un tel sujet et alors qu'il y a de telles procédures, l'absence de trace et de compte rendu sur ces réunions, alors même qu'on fait des annonces d'une telle importance...

M. Sébastien Jallet. - Je la comprends et je la partage, nous sommes alors dans une phase de mise en place et de structuration de ce processus décisionnel. Les choses vont s'améliorer ensuite, le processus sera beaucoup plus normalisé dans l'appel à projet sur les dérives sectaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne comprends toujours pas et je sens votre embarras, votre gêne. Je reviens sur ma question : M. Sifaoui dit avoir eu plusieurs réunions avec le cabinet et qu'à l'occasion de deux d'entre elles, il aurait salué la ministre : le confirmez-vous ? Quel a été le contenu de l'échange ? Vous parlez d'une réunion du 24 mars puis du 6 avril, j'essaie d'être précis dans la chronologie.

M. Sébastien Jallet. - Je vous confirme que la ministre n'a pas rencontré ni reçu M. Sifaoui le 22 avril à 15 h 15, c'est bien moi qui l'ai reçu, la ministre est passée le saluer, cursivement, elle ne s'est pas attardée, ni assise, elle n'a fait que le saluer cursivement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - M. Sifaoui a eu une réunion le 24 mars 2021 avec Christophe Gravel et plusieurs membres du cabinet : y avez-vous participé ? Quel en a été le contenu ?

M. Sébastien Jallet. - Il y a eu une ou plusieurs réunions avec mon cabinet, je n'ai pas les dates précises, je n'y étais pas. Il y a eu une réunion d'échange général qui peut être celle de la fin mars et une deuxième réunion début avril sur le projet « iLaïc » présenté par M. Sifaoui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous nous dites que vous n'étiez pas à la réunion du 24 mars, mais elle a bien eu lieu, avec un membre du cabinet que vous dirigez, et elle n'a pas laissé de traces. Il y a eu une autre réunion le 6 avril, avec M. Sifaoui et M. Gravel, mais aussi le conseiller du cabinet en charge des élus et des collectivités : quel en était l'objet ?

M. Sébastien Jallet. - Il y a très certainement une deuxième réunion début avril avec M. Sifaoui sur le projet « iLaïc », je n'ai pas la composition de cette réunion mais elle a dû se faire au niveau du conseiller référent, le conseiller spécial sur le contre-discours et le fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En tant que directeur de cabinet, vous n'avez pas connaissance des réunions organisées dans votre cabinet, ni de leur contenu ?

M. Sébastien Jallet. - C'était il y a plus de deux ans, il m'est difficile d'être très précis, sans trace numérique. Je vous l'ai dit de manière constante, il y a eu, effectivement, un ou plusieurs rendez-vous entre M. Sifaoui et mon cabinet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends, mais vous êtes directeur de cabinet, vous avez la responsabilité des échanges sur un sujet qui est loin d'être mineur... Vous saviez que nous allons vous auditionner, c'était l'occasion de réunir le maximum d'éléments, je m'étonne que vous ne soyez pas plus précis, nous avons obtenu des informations précises par ailleurs, c'est aussi une question de transparence.

M. Sébastien Jallet. - Comme je vous l'ai dit, j'étais le seul, au cabinet, à disposer de la délégation de signature, je peux donc dire qu'il n'y a pas eu de décision prise lors de ces réunions avec mon cabinet, elles étaient d'information, pas de décision. L'USEPPM a ensuite déposé une demande de subvention, elle apparaît dans un tableau de suivi du comité de programmation du 13 avril. Cette demande n'est alors pas validée, et je demande à ce que le projet soit affiné, qu'on y associe des indicateurs de résultats et de réalisation précis, et nous renvoyons le dossier sur le fonds Marianne, de même que les autres projets de contre-discours numérique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je poursuis. M. Sifaoui a donc eu plusieurs réunions avec le cabinet : quand donc l'USEPPM a-t-elle été abordée pour la première fois ?

M. Sébastien Jallet. - Je prends connaissance de cette association quand on aborde la demande de subvention, le 13 avril, en comité de programmation. Quand je reçois M. Sifaoui, ainsi qu'une autre personne, le 22 avril, avec le secrétariat du CIPDR, nous abordons le sujet du portage associatif, donc l'USEPPM ; je demande alors expressément à ce qu'on regarde et vérifie le sérieux de cette association, qui porte un nom et un objet social large, et qui n'est pas accompagnée alors par le CIPDR : je demande à vérifier si cette association est à la fois crédible et sérieuse.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites, donc, que vous n'apprenez l'existence de cette association que le 22 avril ?

M. Sébastien Jallet. - Non, le 13 avril, lors du comité de programmation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il y a eu au moins une réunion avant le 9 avril avec M. Sifaoui, est-ce que, comme cela a pu être dit, des membres du cabinet ont envoyé des messages à cette association pour l'inciter à préparer son projet ?

M. Sébastien Jallet. - L'appel à projets a été décidé après les rencontres avec M. Sifaoui et d'autres acteurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Après le 22 avril ?

M. Sébastien Jallet. - Non après début avril. Les questions que vous me posez sont extrêmement précises, alors que le sujet fait l'objet d'une information judiciaire par le parquet national financier. Le cadre est ici différent, avec des questions extrêmement précises, je n'ai pas avec moi tous les éléments de documentation qui me seraient nécessaires, je n'ai pas non plus l'appui d'un avocat : il me paraît délicat d'être dans cet exercice que je trouve légitime et auquel je me donne complètement, mais où je suis sans les garanties minimales de défense et de protection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends votre objection, vous n'êtes pas ici dans une procédure judiciaire, mais dans le cadre d'une commission d'enquête, et nous essayons simplement de comprendre la matérialité des choses, nous avons besoin de comprendre la chronologie, il y a des enjeux politiques mais aussi de contrôle de l'action publique, des dépenses engagées. Il ne me parait ni inconvenant ni déplacé que nous nous assurions que les procédures ont bien été respectées - je vous sens agacé et sur la défensive, mais il y a de notre part une saine curiosité afin de disposer des faits les plus précis possibles.

M. Sébastien Jallet. - Je réponds à vos questions pour ce qui a été mon action. Le 13 avril, le projet auquel vous faites référence m'est présenté, la décision de subvention n'est pas encore prise. Dans votre audition du président de l'USEPPM, vous lui demandez si la décision de subvention est prise le 13 avril, il vous répond qu'il l'ignore. Mais il n'y a pas eu de décision prise le 13 avril, et aucune des associations lauréates du fonds Marianne ne sera avisée d'une décision en sa faveur à l'issue de cette réunion du 13 avril : j'insiste, c'est établi. Le 22 avril, quand je reçois M. Sifaoui pour la première fois et pour le compte de la ministre, nous échangeons sur son projet, il n'y a pas de compte rendu de notre réunion mais je peux vous assurer que je n'ai pris aucun engagement financier sur ce projet. Et tous les échanges qui ont lieu sur ce projet, entre le 9 avril, jour du dépôt de demande de subvention, et le 22 mai, jour du comité de sélection, tous ces échanges sont conduits par l'administration, par le CIPDR, chacun était dans son rôle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - A l'issue de votre entretien du 22 avril, vous demandez au CIPDR de mener des investigations pour comprendre cette association, l'USEPPM, son objet et son sérieux. Les renseignements que vous avez obtenus vous ont rassuré, et conforté pour octroyer plus de 300 000 euros à cette association ?

M. Sébastien Jallet. - Oui, je ne me souviens plus si c'est avant ou après cet entretien du 22 avril, je demande expressément à mes collaborateurs et à l'administration de regarder ce qu'est cette association. La réponse m'est donnée le 22 mai en comité de sélection lorsque nous examinons les dossiers, j'en retiens que la présentation est positive, on met en avant le fait que cette association est reconnue d'utilité publique. Je n'ai pas moi-même la capacité de procéder à des contrôles sur des sujets comme celui-ci, je fais confiance à l'administration : j'ai passé une consigne, on me fait passer un retour positif, je considère que la réserve est levée. Ce qui s'est passé depuis peut me le faire regretter, mais j'ai alors posé la question et demandé les vérifications, et la réponse était positive.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous été en contact avec l'association Reconstruire le commun, qui a également obtenu plus de 300 000 euros de subvention, avant l'appel à projet ? Si oui, quelle a été la teneur de vos échanges ?

M. Sébastien Jallet. - À ma connaissance, il n'y a pas eu de rencontre ni d'échanges entre cette association et le cabinet ou la ministre ; je ne connaissais pas cette association avant que nous examinions son projet le 22 mai en comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec d'autres associations finalement retenues, avez-vous eu des échanges préalables où vous auriez eu à arbitrer entre une orientation vers le fonds Marianne ou vers d'autres lignes du FIPDR ?

M. Sébastien Jallet. - Le fonds Marianne est consacré au contre-discours numérique, très peu d'associations financées par le FIPD étaient sur ce terrain-là. Les deux modalités de sélection se sont chevauchées, entre le gré à gré et l'appel à projets, mais les projets encore en instruction alors qu'on avait décidé de passer à l'appel à projets, n'ont pas fait l'objet de décision, car ils avaient vocation à être versés dans l'appel à projets.

M. Claude Raynal, président. - Le CIPDR, sur votre demande, a écrit l'appel à projets : l'avez-vous ensuite modifié, ou avez-vous demandé des modifications, et si oui, lesquelles ?

M. Sébastien Jallet. - Le 13 avril, je demande à l'administration de proposer un texte pour l'appel à projets. Il nous est assez vite communiqué, il y a un échange et des modifications sont apportées, en particulier sur le calendrier. Les délais sont courts, je l'assume bien volontiers, dans un contexte de menace terroriste élevée - le 23 avril 2021, a lieu l'attentat de Rambouillet, il y a des éléments de circonstances exceptionnelles qui justifient les délais très volontaristes qui ont été retenus. Nous prévoyons trois semaines, du 20 avril au 10 mai, pour le dépôt des dossiers de candidature, avec l'objectif de retenir des projets qui soient opérationnels dans les 45 jours suivant la notification de la subvention. J'exprime aussi la priorité qu'accorde la ministre à l'appel à projets entrant dans le fonds Marianne. Les délais sont courts, mais tenables : nous enregistrons plus de 70 dossiers, ce qui montre que des acteurs associatifs sont en capacité de répondre dans l'urgence.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez en effet réduit les délais par rapport au premier projet : alors qu'initialement les dossiers pouvaient être déposés jusqu'au 30 juin, vous avez demandé à ce que les dossiers ne puissent être déposés que jusqu'au 10 mai. Autant nous comprenons le contexte dans lequel intervient la décision, autant le fonds Marianne n'est qu'un élément dans un ensemble. La mise en route rapide de l'appel à projet n'est pas de nature à contrer un risque immédiat. Le Gouvernement veut surtout montrer qu'il agit et l'on retrouve souvent, face à des attentats, une volonté d'afficher une réponse rapide. Cela peut s'accompagner d'un défaut de vigilance dans le choix des partenaires, c'est le cas lorsqu'une association dont le budget n'a jamais dépassé 50 000 euros annuels et demande au départ plus de 600 000 euros de subvention. Nous sommes hors-jeu en termes de capacité à faire... Si vous vous posiez aujourd'hui la question des délais, prendriez-vous la même décision ? Le fonds dont on parle finance plusieurs projets, mais en réalité quatre associations concentrent les deux-tiers des ressources : deux associations avec qui le CIPDR travaillait déjà, et deux associations qui ont été désignées dans l'urgence. C'est un aspect important de la question, qui me conduit à vous interroger : si c'était à refaire, diriez-vous que c'était une bonne méthode ?

M. Sébastien Jallet. - Le contexte est important, nous étions dans une obligation ardente d'agir, et nous l'avons fait dans tous les domaines. La plateforme Pharos a été renforcée en deux mois, l'unité de contre-discours républicain est mise en place en seulement quelques semaines, le pôle national contre la haine en ligne au sein du parquet de Paris a été créé en janvier 2021, le projet de loi confortant le respect des principes de la République a été examiné selon la procédure d'urgence... Nous avions l'obligation d'aller vite, avoir plus de temps aurait été préférable et je crois qu'un délai de 30 à 45 jours pour cet appel à projets aurait été raisonnable - 20 jours c'était court, mais pas intenable dans les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous étions à l'époque.

M. Claude Raynal, président. - Soit les associations font déjà ce type d'opération sur les réseaux sociaux, et l'appel à projets se contente de leur donner des moyens complémentaires, soit elles n'ont pas d'expérience en la matière mais souhaitent s'engager sur le sujet, et pensez-vous vraiment qu'elles puissent, en trois semaines, proposer un projet sérieux ? L'histoire ne donne pas raison à cette voie, ce n'est pas si simple de se lancer sur des projets qu'on ne connait pas, même en admettant que ces acteurs aient eu la volonté réelle d'avancer...

Vous avez fait une commande politique - l'expression est de Christian Gravel - à l'administration, ce qui est votre rôle. Le délai était court et l'administration aurait préféré avoir au moins trois mois, mais le cabinet va chercher Mohamed Sifaoui qui lui-même va chercher l'association dont nous parlons, parce que vous ne pouvez pas le financer, lui, directement - et les précautions minimales ne sont pas prises au sujet de celle-ci. Avec des délais si courts, on n'a guère d'autre choix que de se tourner vers ceux que l'on connait déjà, ceux qui sont dans les tuyaux, et on s'interdit d'aller chercher d'autres projets...

M. Sébastien Jallet. - Vous dites : « Vous êtes allés chercher Mohamed Sifaoui »...

M. Claude Raynal, président. - C'est lui qui le dit.

M. Sébastien Jallet. -...mais ce « vous » est très collectif, comme je vous le disais dès le début de cette audition, je ne souhaitais pas de dichotomie entre l'administration et le cabinet, et les acteurs étaient reçus ensemble. Nous avons avancé de concert.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas ce que dit Christian Gravel, qui dit que Mohamed Sifaoui l'a informé qu'il pourrait bénéficier du fonds Marianne au regard de ce que lui avait été dit par la ministre ou son cabinet...

M. Sébastien Jallet. - L'information judiciaire déterminera la façon dont les choses se sont passées précisément. La consigne que j'avais donnée, c'est que les acteurs soient reçus conjointement par le cabinet et par l'administration. Nous ne sommes pas allés chercher le projet de l'USEPPM. Nous avons réceptionné ce dossier, qui est d'ailleurs arrivé au CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La demande initiale de subvention portait sur trois ans et 1,5 million d'euros, dont 635 000 euros pour 2021. Le 13 avril, il est décidé d'accorder une subvention de 300 000 euros à l'association, qui est portée à 355 000 euros le 21 mai. Comment les choses se sont-elles passées ? Quels étaient les engagements initiaux de la ministre et du cabinet envers M. Sifaoui ? Pour quel motif la subvention a-t-elle été réduite à 300 000 euros ? Y a-t-il eu d'autres temps d'échanges entre le 22 avril et 21 mai - et si oui, avec qui ?

M. Sébastien Jallet. - Le 13 avril, plusieurs dossiers sont examinés, dont celui de l'USEPPM, mais aucune décision n'est prise, aucun engagement financier n'est pris, ni par le cabinet, ni, je le crois aussi, par l'administration. Le 13 avril, nous discutons du niveau de subvention demandé par l'USEPPM, qui parait sans rapport avec une association dont l'expérience est si récente, et nous demandons que le projet, déposé quatre jours avant, soit précisé. Il n'y a donc pas de décision prise, le président de l'USEPPM vous l'a dit lui-même. Ensuite, les échanges avec cette association sont le fait exclusif de l'administration, en charge de la gestion de l'appel à projets. Le projet revient le 22 mai en comité de sélection, quand nous examinons les propositions de l'administration pour déterminer les lauréats du fonds Marianne.

Je tiens à votre disposition une note de couverture de ce comité de sélection préparée par le CIPDR le 20 mai. Le 22 mai, je valide la proposition de l'administration de financer l'USEPPM à hauteur de 355 000 euros, avec une réponse qui n'est que verbale à la demande de vérification que j'ai formulé précédemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le journal Libération du 2 juin dernier, il est fait état que Marlène Schiappa aurait présenté un mail du 6 février 2021 qu'elle aurait adressé à son cabinet, indiquant que la subvention accordée à M. Sifaoui lui semblait excessive. Elle aurait écrit : « 300 000 euros de l'État, ce serait énormissime » : confirmez-vous cette information, sachant que cette date du 6 février 2021 ne correspond pas à la chronologie dont nous parlons depuis tout à l'heure ?

M. Sébastien Jallet. - Le 6 février, cela me paraît totalement impossible. Il n'y a pas de projet déposé ou envisagé par l'USEPPM ou son principal porteur à cette date. Je ne sais pas à quoi cela peut faire référence. On est, je me permets de le signaler une nouvelle fois, sur des questions qui font l'objet d'une information judiciaire, avec des investigations qui portent sur l'USEPPM et vont conduire à des auditions. Il m'est difficile de vous répondre de manière aussi précise, dans ce format de la commission d'enquête parlementaire, sur des faits qui font l'objet d'information judiciaire. Je m'en excuse, mais ça ne me paraît pas compatible.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si, à l'issue de l'audition, vous êtes en capacité de nous fournir des éléments complémentaires, factuels, de chronologie, nous les recevrons bien volontiers.

La ministre devait a priori présider le comité de sélection du 22 mai 2021. Ce ne fut finalement pas le cas. En connaissez-vous les raisons ?

M. Sébastien Jallet. - Il était prévu que la ministre vienne ouvrir la réunion du comité de sélection, le 22 mai à 10 heures, et qu'il y ait une communication qui marque l'arrivée à bon port de l'appel à projets du fonds Marianne. Pour des raisons que je n'ai plus à l'esprit, je n'ai pas souvenir que la ministre soit passée. La ministre n'a pas ouvert la réunion et j'ai été amené à la présider du début jusqu'à la fin pour son compte.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il n'y a pas eu de grille de notation, de relevé de décision particulier. Avez-vous une raison à cela ?

M. Sébastien Jallet. - Nous avons, en entrée de réunion, cette note datée du 20 mai produite par l'administration et nous aurons, en sortie, une note du 31 mai qui recense les décisions prises sur le fonds Marianne. Cette réunion du 20 mai, que je préside, va durer sans doute autour d'une heure et demie. Nous allons valider presque intégralement les propositions faites par l'administration quant aux choix des lauréats et au niveau de financement qui leur est réservé. La note préparatoire fait état de 71 dossiers déposés, dont 47 éligibles ; 24 ont été écartés sur un critère territorial, car ils n'ont pas d'envergure nationale ou intéressent plusieurs régions ou départements. Ils ont donc été refusés par le CIPDR au stade de la recevabilité. Le passage de 47 dossiers éligibles à 22 qui sont présentés dans la note préparatoire, n'est pas explicité. Cette sélection peut tenir à la nature des actions proposées, puisqu'on souhaite soutenir exclusivement des actions en ligne mais également au fait que nous raisonnons sous enveloppe ; nous disposons de 2,5 millions d'euros disponibles pour le contre-discours sociétal. Avec les 22 dossiers priorisés par le CIPDR, nous sommes déjà au-dessus de cette enveloppe disponible. Il était de mon point de vue attendu et normal que le CIPDR opère ce travail d'instruction, de pré-sélection et de priorisation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez donc travaillé dans un temps très contraint, assez court. Je conclus de ce que vous nous dites, que vous avez privilégié l'analyse à la consignation de certains éléments qui permettraient d'expliquer les montants et de les motiver. De quelle manière avez-vous procédé avec les associations qui n'ont pas été retenues ? Ont-elles été informées par une procédure particulière ?

M. Sébastien Jallet. - Les responsabilités entre l'administration et le cabinet étaient clairement reparties. La phase d'instruction et d'organisation administrative était confiée au CIPDR. Le cabinet de la ministre était là pour impulser puis pour valider. D'ailleurs, ce comité de programmation ou de sélection porte un nom qui n'est pas forcément adéquat puisqu'il fut un comité de validation, à quelques amodiations près, par rapport aux propositions faites par l'administration, que j'ai endossées, validées.

À l'issue du comité, nous étions convenus de ne pas rendre publique la liste des lauréats. Cette question a été discutée. Nous sommes tombés d'accord sur ce choix car il nous paraissait...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pardon, ce n'est pas la question. Nous avons déjà eu ce type de réponses. La question est de savoir comment les associations non-retenues ont été informées, sous quelle forme et dans quel délai ?

M. Sébastien Jallet. - Nous avions convenu qu'il y aurait un courrier de la ministre aux associations lauréates, ce qui a été fait. Je n'en ai pas de trace dans mes archives numériques mais je pense que cela a été fait. En tout cas, plusieurs personnes en ont témoigné dans le cadre de votre commission. Il était convenu que l'administration notifie aux candidats non-retenus le fait qu'ils n'étaient pas lauréats du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le CIPDR s'était prononcé pour accorder une subvention de 100 000 euros à une association qui en avait sollicité 140 000. Mais sur une décision du cabinet, l'association n'a finalement rien obtenu. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ? Avez-vous souvenir de cette décision ?

M. Sébastien Jallet. - Je n'ai pas beaucoup d'éléments factuels à ma disposition, et je n'ai pas de souvenirs précis de ces échanges qui remontent à deux ans. Le souvenir que j'ai et les éléments dont je dispose, me permettent de dire que les propositions faites par l'administration ont été presque intégralement validées. Entre la note préparatoire et celle de sortie du comité, j'ai relevé très peu de différences.

M. Claude Raynal, président. - Comme pour tous les dossiers, pour cette association-là, il existe une note préalable du CIPDR qui indique que, le 21 mai, au comité de sélection, cette association est retenue. Mais il semblerait que, par un mail d'un membre du cabinet que vous dirigez daté du 2 juin, le financement soit retiré. Il y a donc eu un comité de sélection conclu par une décision favorable, puis dans les jours qui suivent, on constate encore des modifications qui se font hors du comité de sélection, par le cabinet de la ministre. Nous avons reçu un mail très clair à ce sujet qui indique qu'une association a été sortie des associations lauréates. Pouvez-vous nous confirmer cela ? Le comité de sélection n'a-t-il donc pas eu le dernier mot ?

M. Sébastien Jallet. - Le 22 mai, en comité de sélection, nous entrons en réunion avec une note du CIPDR qui propose quinze dossiers à validation et sept autres en annexe proposés pour discussion. Sur les quinze projets de la liste principale, nous les validons tous à l'exception d'un seul, qui sera écarté après discussion car si les actions proposées sont intéressantes et les porteurs du projet sont d'une grande qualité, il s'agit d'interventions en milieu scolaire qui ne sont pas des actions numériques. Sur les sept associations qui figurent dans l'annexe, trois vont être retenues en tant que lauréates, à des niveaux de financement inférieurs à ceux demandés pour des raisons budgétaires. Il y a une quatrième association de la liste annexe qui n'est donc pas proposée par le CIPDR en financement au titre du fonds Marianne, elle fait l'objet d'une discussion entre moi, mes collaborateurs, le secrétaire général du CIPDR et ses collaborateurs. Sur cette association que vous citez, dont la demande est de 140 000 euros, le comité de sélection, - dans les conclusions que j'en dresse à l'issue du comité -, la retient pour un montant de 100 000 euros.

Cette liste des lauréats est naturellement transmise à la ministre et nous avons sur cette association une réserve de la ministre en raison d'un historique de relations assez ancien. Par ailleurs, dans les jours qui précèdent ou qui suivent, à la fin du mois de mai, nous assistons à une mise en cause vis-à-vis de la ministre par voie de presse de la part d'un membre de l'association, qui conduit à cette décision de non-sélection. Il y a bien eu, sur les décisions arrêtées en comité de sélection, pour l'un de ses lauréats, une infirmation de la ministre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez invoqué un problème d'enveloppe budgétaire. Je ne comprends pas ce dernier argument puisque l'enveloppe initiale n'a pas été consommée intégralement.

M. Sébastien Jallet. - Les 2,5 millions d'euros correspondent au montant consacré aux actions de contre-discours numérique et au fonds Marianne. Une association est retenue avant le lancement du fonds Marianne sur un projet déposé depuis déjà plusieurs mois, prêt à démarrer et qui va être financé sur une partie des crédits de l'enveloppe fonds Marianne. On est sur le contre-discours numérique, sociétal. Sur les 2,5 millions d'euros, 2 millions seront attribués dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne, et 500 000 euros l'auront été hors appel à projets et avant le lancement de l'appel à projets pour une association qui portait déjà un projet très important et prêt à démarrer.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le rapport de l'IGA, il est mentionné que la ministre déléguée se serait effacée du processus de décision une fois passé le lancement de l'appel à projets, le 20 avril. Vous venez de dire que vous avez eu, à l'issue du comité de sélection le 22 mai, une discussion et même une décision de la ministre. C'est en contradiction avec les éléments contenus dans le rapport de l'IGA.

M. Sébastien Jallet. - La ministre a lancé le fonds Marianne le 20 avril à l'occasion d'une interview de la presse ; c'est ce jour que l'appel à projets est lancé par le CIPDR de manière formelle et administrative. La ministre se tient en effet à l'écart du processus, elle ne rencontre pas de porteurs de projets, elle ne participe pas au comité de sélection le 22 mai, elle ne donne pas d'instructions particulières, ni collectives ni individuelles, sur le choix des lauréats. Il y a, en comité de sélection, une discussion importante autour de l'association que vous avez citée puisque l'administration ne propose pas de la financer ; mais à l'occasion du comité, il est envisagé de la financer. Il y a donc bien un point de discussion particulier au sujet de cette association qui n'est pas proposée par l'administration spontanément, que le comité, sous ma présidence, retient. C'est un point que je porte à l'arbitrage de la ministre. Elle fait connaître son arbitrage, qui est défavorable.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Certaines associations ont vu leurs subventions réduites. Bibliothèques Sans Frontières, par exemple, a obtenu environ la moitié de ce qu'elle sollicitait : 70 000 euros, contre 130 000 euros demandés. Je compare cette somme à celle qu'elle avait perçue l'année antérieure, qui était de 140 000 euros. Avez-vous des éléments susceptibles de nous éclairer sur ce point ?

M. Sébastien Jallet. - Non, j'étais dans une approche stratégique. J'entre dans ce comité avec une note préparatoire qui donne des éléments, mais pas tout l'historique. Nous nous appuyons sur l'administration pour faire ce travail. Je rappelle, c'est important, que nous avions créé une unité de contre-discours républicain au sein du CIPDR fin 2020. En avril 2021, l'unité compte 15 agents, et nous faisons confiance à notre administration. Nous avons veillé à ce qu'elle soit renforcée pour faire ce travail d'instruction, de priorisation, ce qu'elle a fait a priori.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Alma, qui est une association bien connue avec laquelle le système institutionnel travaille, n'a finalement pas été comptabilisée dans le fonds Marianne, alors même que plusieurs documents attestent qu'elle a tout d'abord été retenue. Pouvez-vous expliquer ce revirement ?

M. Sébastien Jallet: - Dans les documents qui ont été communiqués pour le comité de sélection, il est, je crois, mentionné expressément que la décision a été prise préalablement, et hors appel à projets, lors du comité de programmation du 13 avril, me semble-t-il. On est sur un projet qui a été déposé auprès du CIPDR, je crois début février. Ce projet très travaillé concernait un média en ligne en direction des jeunes dans les quartiers populaires. J'avais eu l'occasion, à l'automne 2020, de recevoir le directeur de l'association et plusieurs de ses collaborateurs, avec le secrétaire général du CIPDR et plusieurs membres du cabinet, afin que le projet nous soit présenté. Ce dernier paraissait très ambitieux et pertinent. Il est déposé en demande de subvention début février et nous décidons de le valider début avril, grâce aux crédits que nous avons réussi à mobiliser pour le contre-discours sociétal, c'est-à-dire 2,5 millions d'euros. On est hors appel à projets, ce qui montre bien qu'il y a deux phases distinctes : le gré à gré, où l'on choisit directement les projets, puis il y aura l'appel à projets, vers lequel sont alors renvoyés tous les projets, y compris ceux qui ont été déposés avant.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce qui n'a pas empêché la ministre d'adresser un courrier de félicitations à cette association, un courrier signé et qui présente une mention manuscrite précisant qu'elle était lauréate du fonds Marianne.

M. Sébastien Jallet. - Effectivement, c'est une erreur matérielle, ou une confusion, qui s'explique par le fait que nous sommes sur le budget de 2,5 millions d'euros alloué au contre-discours numérique. L'association que vous avez citée est financée grâce à ces crédits et sera suivie, comme les 17 lauréats du fonds Marianne, de manière plus importante quant à ses réalisations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous parlez de confusion, je suis d'accord : ce fonctionnement est particulièrement confus.

Deux associations sont aujourd'hui pointées du doigt. La première, l'USEPPM, dont le budget habituel est de 50 000 euros, dont l'objectif est assez éloigné de la cause que vous défendez avec le fonds Marianne ; elle demande 1,5 million d'euros sur trois ans. La seconde association n'a pas d'existence propre, elle est en création, mais elle se voit accorder plus de 300 000 euros de subvention. Pensez-vous que rien n'a échappé à la vigilance, tant de l'administration que du cabinet ?

M. Sébastien Jallet. - Au vu du rapport de l'IGA, la réponse est claire. Il y a deux ans, dans le contexte d'urgence attentat et de mobilisation générale, on se voit soumettre des projets présentés et instruits par une administration professionnelle, renforcée spécifiquement dans cette optique. Le 22 mai, on prend ces décisions lors du comité de sélection avec un niveau de sécurité important.

Nonobstant, nous allons tenir, alors même que ce n'est pas forcément la mission du cabinet, à opérer un suivi précis de l'action de ce lauréat. Je vais provoquer une réunion de suivi six mois après la sélection des projets, le 14 décembre, pour vérifier où nous en sommes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous parlez d'un « niveau de sécurité important », mais reconnaissez que les faits prouvent une erreur.

Dans le fonctionnement habituel des associations, lorsqu'une subvention est sollicitée auprès d'une collectivité, même pour des sommes modestes, des éléments de bilan sont exigés. Vous nous dites que dans le cas du fonds Marianne, au regard de l'urgence, une association sans existence propre depuis longtemps a obtenu une somme de plus de 300 000 euros sans que cela ne soulève beaucoup de questions au regard de l'importance et de la gravité du sujet...

M. Sébastien Jallet. - Je m'appuie, dans la fonction qui était la mienne à l'époque, sur le travail et les propositions de l'administration. Je n'ai que ces éléments d'appréciation.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'arrivons pas à être très convaincus, car le fonds Marianne n'est en aucun cas une réponse appropriée à un risque d'attentat. L'action du fonds Marianne peut avoir du sens, se construit dans le long terme. D'ailleurs, les objectifs du fonds vont dans ce sens ; le cahier des charges souligne la nécessité de trouver des co-financements pour faire perdurer son action. La vitesse, en réalité, relève de l'impératif de la communication et tient à la nécessité de répondre vite à l'opinion publique sur des sujets aussi graves. Quand on regarde comment se sont faits l'appel à projets et la sélection des associations, quand on constate que des modifications ont encore lieu après le comité de sélection, on donne raison à l'IGA qui estime que l'appel à projets n'a été « ni transparent, ni équitable ». Il faudra tirer de cette expérience quelques règles pour l'avenir.

Vous avez expliqué que le cabinet avait participé au suivi de la réalisation des projets. La procédure de suivi était-elle la même que pour les autres subventions accordées au titre du FIPDR ?

M. Sébastien Jallet. - Je souhaite apporter une remarque sur le constat posé d'un appel à projet « ni transparent, ni équitable ». Je n'ai pas d'avis personnel. Je souhaite juste souligner que sur le contre-discours, nous avions deux possibilités : l'appel à projets ou le gré à gré. Entre les deux, l'appel à projets présente le meilleur degré de transparence et d'équité. Nous aurions pu procéder différemment et faire de gré à gré ; nous n'aurions pas ces critiques aujourd'hui, qui sont certainement fondées pour certaines. Le fait de choisir l'appel à projets n'a pas été fait par refus de la transparence et d'équité, bien au contraire. On peut, ensuite, discuter du résultat.

M. Claude Raynal, président. - Oui, nous ne sommes pas là pour discuter des intentions... Pouvez-vous répondre à la question concernant la procédure de suivi ?

M. Sébastien Jallet. - La phase de suivi relève de la responsabilité de l'administration, premièrement pour formaliser une décision de financement via un acte attributif, - l'arrêté aux conventions attributives de subventions -, en revenant vers le cabinet en cas de difficultés ou de modifications à apporter ; puis pour réaliser un suivi d'impact, puisqu'il est question d'une action publique nouvelle et de montants significatifs pour certains. Contrairement à ce que nous faisons pour les partenaires nationaux classiques, le cabinet demande au CIPDR d'assurer un suivi fin des réalisations. C'est dans ce contexte que je provoque la réunion de suivi du 14 décembre 2021, qui sera précédée d'une note préparatoire la veille. Cette dernière, comme les échanges qui ont lieu en réunion de suivi, ne contient aucune alerte ni difficulté particulière sur les dix-sept lauréats du fonds Marianne et les associations qui s'y rattachent. Sa tonalité est positive, y compris sur l'USEPPM et Reconstruire le commun. Il est fait mention d'un décalage pour certaines associations, dont l'USEPPM, dans le calendrier de réalisations, ce qui était compréhensible à ce stade. Jusqu'à mon départ du cabinet début 2022, je ne reçois aucune alerte, ni en interne, ni venant de l'extérieur. Je crois que ce sera le cas jusqu'au terme du mandat de Marlène Schiappa au ministère de l'intérieur.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez sans doute suivi les auditions de certaines associations, elles rapportent des éléments complexes sur le lien entre le ministère et les associations au sujet des subventions. S'il y avait bien l'idée au départ d'avoir des co-financeurs, les projets des associations ont été intégralement financés par le ministère de l'intérieur. On y trouve des remarques telles que : « on ne peut pas être considéré comme des prestataires de service du ministère de l'intérieur ». La frontière entre verser des subventions et préserver l'autonomie des associations paraît étroite. Avez-vous un commentaire à ce sujet ? Comment envisagez-vous le contrôle de l'exécution pour qu'il soit utile ? Dans les faits, vous n'avez d'ailleurs pas été alerté sur quoi que ce soit...

M. Sébastien Jallet. - Il est important de souligner qu'il ne s'agit pas d'une prestation de services, mais d'un projet associatif dont les termes et engagements n'ont pas été dictés ou commandés par l'administration ou le ministère. Le projet associatif est une réponse à un appel à projets qui fixe certains objectifs, mais le projet reste celui de l'association. Dans cette relation entre l'association et l'administration ou le ministère, il me paraît important qu'il y ait des engagements précis de réalisation, qu'on sache ce qu'on finance. C'est sur la base de ces éléments-là, même succinctement présentés en comité de sélection, que nous nous prononçons sur le niveau de financement. On s'appuie aussi sur quelques principes généraux qui valent sans qu'on ait besoin de les préciser, parmi lesquels la neutralité et l'impartialité de l'action publique. Il n'est pas concevable qu'on puisse, avec des fonds publics, soutenir des actions qui s'insèrent dans le débat politique ou démocratique. Je fais référence aux reproches adressés à une association parmi les 17 du fonds marianne. C'est une ligne rouge absolue que nous avons fixée et qui vaut de manière générale : ne pas intervenir avec le contre-discours républicain dans le champ électoral ou démocratique.

M. Claude Raynal, président. - Pourquoi n'y a-t-il eu qu'une mise en garde orale, malgré les signalements du CIPDR qui sont peut-être remontés jusqu'à vous ? Pourquoi le financeur n'a-t-il adressé aucun écrit à l'association?

M. Sébastien Jallet. - Il s'agit d'une règle générale qui vaut absolument pour l'administration, et donc pour nos services : pas d'interférence avec le champ politique. C'est important puisqu'on est sur un champ de contre-discours qui relève du débat public et peut facilement entrer en résonnance avec le débat politique. C'est pourquoi on ne prend pas part à des discussions de nature électorale ou démocratique.

M. Claude Raynal, président. - Et donc : pourquoi cette absence d'écrit ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne saurais pas vous le dire. Je n'ai pas d'alerte particulière tant que je suis en responsabilité au sein du cabinet de Mme Schiappa. Je crois qu'il n'y en aura pas non plus jusqu'à ce que la ministre déléguée quitte ce ministère en avril ou mai 2022. Ce sont des débordements qui ont donné lieu à des réactions, me semble-t-il, si j'ai bien écouté les auditions précédentes.

M. Claude Raynal, président. - Sur ce point, nous n'avons pas les mêmes retours des associations et du CIPDR. Le fonds Marianne est lancé avec force. La ministre fait le tour des plateaux de télévision pour porter le message du Gouvernement en termes de réaction. Par la suite, la communication ayant eu lieu, le silence se fait. Un point d'étape est fixé pour novembre 2021, peut-être même à l'Élysée selon les échos que nous en avons eu...Au final, cette réunion n'a pas lieu et il n'y a plus de communication autour du fonds Marianne. Pourquoi ce silence ?

M. Sébastien Jallet. - Je ne peux pas me prononcer sur ce qui s'est passé après mon départ du cabinet. Il y avait sur le fonds Marianne une impulsion, donnée par la ministre, avec de nombreux projets portés par des associations connues ou non, une grande variété, un grand pluralisme d'acteurs. Nous n'avons pas pu organiser d'initiatives de communication avec les lauréats car nous avons tenu à ne pas les marquer d'un soutien de l'État. L'objectif de fond reste d'inscrire cette action dans la durée. Le fonds Marianne est un fonds d'amorçage en 2021, et dont l'enjeu était que ces actions de contre-discours numérique, dès 2022 et pour les années suivantes, fassent partie des actions conventionnelles de droit commun soutenues par l'administration du ministère de l'intérieur. Je ne saurais pas vous répondre sur ce qui a été fait au-delà de mon départ.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Rien n'empêchait les actions de communication puisque celles-ci s'inscrivaient dans l'appel à projets du fonds Marianne.

Je souhaite aussi clarifier le sujet des relations entre le CIPDR, le cabinet sous votre autorité, et la ministre. Confirmez-vous que le CIPDR a préparé et que le cabinet n'est intervenu à aucun moment dans la sélection des associations qui a été proposée au comité du 22 mai 2021 ?

M. Sébastien Jallet. - La répartition des rôles est bien celle-ci. Le cabinet, pour le compte de la ministre, impulse, répercute, valide ou modifie les propositions. L'administration réceptionne les dossiers de demandes de subventions, les instruit, échange avec les porteurs de projets, priorise et propose un nouveau de financement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il existe donc une zone de flou entre la publication définitive et le comité de sélection, dont vous avez dit qu'il était avant tout un comité de validation. Une intervention politique a lieu par la suite pour modifier des montants ou rejeter des candidatures préalablement validées : nous sommes preneurs de tous les éléments que vous pourrez nous communiquer sur ce point. Au regard de l'importance du sujet et des valeurs fortes portées par le fonds, on ne peut que considérer que les conditions de lancement et la gestion du fonds sont pour le moins confuses.

M. Sébastien Jallet. - Il est vrai que l'absence de formalisation des échanges et des décisions dans des documents rédigés et signés est pénalisant pour retranscrire le processus, les différentes étapes et les décisions prises. L'essentiel de ce qui vous est rapporté repose sur les témoignages, les souvenirs, les échanges entre les différents acteurs. Ce qui fait foi, me semble-t-il, ce sont les décisions prises et formalisées dans les actes attributifs de subventions par l'administration, après échange avec le cabinet de la ministre.

Je confirme que le comité de sélection a pour l'essentiel validé les propositions faites par l'administration après instruction des dossiers déposés par les porteurs de projets. Il y a eu quelques amodiations apportées en comité de sélection sur la liste complémentaire. Il y a eu un dossier de la liste complémentaire, que vous avez évoqué et que le comité de sélection a remis en liste principale et qui a été porté à l'arbitrage de la ministre : c'est ce que j'ai réussi à retracer après beaucoup de recherches et de consultations pour comprendre précisément le déroulement des faits.

Mme Isabelle Briquet. - Certaines associations écartées de la sélection travaillaient de longue date avec le CIPDR. Si M. Mohamed Sifaoui était connu du CIPDR, ce n'était pas le cas de l'USEPPM, qui n'avait jamais fait de demande de subventions. Cette association n'oeuvre pas directement dans le cadre fixé par le fonds Marianne, et pourtant, en première intention, sa demande de subvention est douze fois supérieure à son budget annuel moyen, de 50 000 euros. Cette situation n'a-t-elle fait poser aucune question de la part du cabinet ?

M. Philippe Dominati. - La notion de « cabinet » est vague. Combien de personnes au sein du cabinet s'occupaient concrètement du fonds Marianne ? Quels étaient les pouvoirs dont étaient investis les différents acteurs ?

M. Sébastien Jallet. - Le cabinet a reçu à plusieurs reprises la personne qui a été citée, et non pas l'association. Ce n'est que cette personne, ce n'est pas l'USEPPM, qui ne sera pas reçue au cabinet et avec laquelle il n'y aura pas de relation particulière, y compris par téléphone ou par mail. Quand je reçois pour le compte de la ministre la personne qui a été citée, le 22 avril, c'est bien la personne que je reçois, et non pas l'association. L'USEPPM n'a pas été reçue, elle a été gérée intégralement par l'administration à partir du dépôt de sa demande de subvention. Dès la première présentation du projet, le 13 avril en comité de programmation, on marque immédiatement des réserves quant au montant demandé par l'association, on demande à ce que le projet soit affiné par le porteur de projet, au vu d'engagements qui peuvent être pris et de vérifications à opérer sur le statut de l'association. Nous avons donc été, vis-à-vis de cette association, dans une approche rationnelle, prudente. Nous n'avons pas pris pour argent comptant ce qui était demandé par cette association. La suite a été gérée par l'administration.

Aucune personne au cabinet n'était spécifiquement en charge du fonds Marianne. Il n'y avait pas de « conseiller fonds Marianne ». Le sujet du contre-discours était suivi, en termes de portefeuille de compétences, par deux conseillers principalement : le conseiller spécial de la ministre, sur une partie très minoritaire de son temps, et le conseiller prévention de la délinquance et promotion de la citoyenneté, là aussi sur une partie très minoritaire de son temps. Le sujet n'était pas secondaire ou périphérique, et j'attache une égale importance à tous les chantiers que la ministre avait en responsabilités, mais celui-ci, une fois passée la phase d'impulsion, relevait pour l'essentiel de missions administratives de préparation et d'exécution.

Concernant la question centrale de la délégation dans les cabinets ministériels, la ministre pourra sans doute vous l'indiquer, j'avais au sein du cabinet une délégation de signature. J'étais le seul à en bénéficier, j'étais le seul collaborateur qui était fondé à engager, vis-à-vis de l'administration et des tiers, des décisions de la ministre. Je rendais compte, bien entendu, de toutes les décisions importantes de manière régulière pour ce que j'étais amené à dire ou faire en son nom.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour toutes ces précisions.

Audition de M. Julien Marion, directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer,
chargée de la citoyenneté

(Mercredi 7 juin 2023)

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons à présent M. Julien Marion, directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.

Nous savons, monsieur le directeur, que vous êtes arrivé dans vos fonctions bien après le lancement du fonds Marianne, alors que son exécution était largement engagée. Toutefois, il nous est apparu nécessaire de vous entendre, dans la mesure où nous nous intéressons tout autant au démarrage de cette opération qu'à son déroulement et à son contrôle dans le temps. Il est également important de savoir quels éléments d'information vous avez obtenus à votre arrivée et quelles suites vous avez souhaité y donner.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Julien Marion prête serment.

M. Julien Marion, directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté. -J'occupe depuis le 13 juillet 2022 les fonctions de directeur de cabinet de Mme Sonia Backès, qui a été nommée secrétaire d'État chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, le 4 juillet 2022.

Tout d'abord, la première alerte qui est remontée au cabinet de la secrétaire d'État au sujet du fonds Marianne est très récente, puisqu'elle date du mois de mars 2023.

Ensuite, à compter de cette date, la conduite que j'ai mise en oeuvre à la demande de la secrétaire d'État peut se résumer en deux mots : transparence et réactivité. Vous en avez eu un exemple pas plus tard qu'hier avec la publication du rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) concernant la subvention versée à l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire - l'association USEPPM -, publication à la suite de laquelle le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a démissionné.

Enfin, derrière les dysfonctionnements, les manquements et sans doute les fautes qui ont entouré la gestion du fonds Marianne, il y a une politique publique qui vise le contre-discours républicain et dont il faut rappeler le caractère inédit ainsi que le contexte dans lequel elle a vu le jour. En effet, elle résulte d'une prise de conscience collective de la nécessité pour la puissance publique d'investir de nouveaux champs d'intervention, en particulier celui des réseaux sociaux, où doit désormais se mener le combat contre des personnes ou des structures qui s'en prennent de manière méthodique et déterminée aux valeurs et aux institutions de la République. Cette politique me semble indispensable, même si elle mérite sans doute d'être affinée.

M. Claude Raynal, président. - Dans les semaines qui ont suivi la nomination de Mme Sonia Backès, le nouveau cabinet a-t-il eu une réunion ou un entretien avec le secrétaire général du CIPDR au sujet du fonds Marianne ? Avez-vous a minima eu un document ou une note des services relative à ce fonds ?

M. Julien Marion. - La règle intangible et immuable veut que, quand un membre du Gouvernement quitte ses fonctions, il est tenu de verser les archives de son cabinet à la mission des archives nationales du ministère dont il dépend. Cette règle s'est appliquée lorsque Mme Schiappa a quitté ses fonctions de ministre déléguée. Par conséquent, quand il arrive dans son ministère, le membre du Gouvernement nouvellement nommé n'y trouve pas les archives du cabinet précédent. Cette règle est rappelée de manière invariable à chaque remaniement ministériel. Elle s'est donc appliquée, lorsque Sonia Backès a pris ses fonctions de secrétaire d'État, le 4 juillet 2022.

Je précise que, entre le 16 mai 2022, date du départ de Mme Schiappa, et la nomination de Mme Backès dans des fonctions similaires, il s'est écoulé un laps de temps de six semaines.

Pour autant, quand un membre du Gouvernement est nommé, l'usage veut qu'il trouve à son arrivée ce qu'on appelle le « dossier ministre », qui est constitué par les services sur lesquels il a autorité. Il s'agit de lui présenter les équipes, les organigrammes, les enjeux et les points d'actualité qui relèvent de son périmètre ministériel.

Quand Sonia Backès est arrivée dans ses fonctions, et moi à ses côtés comme directeur de cabinet quelques jours après, nous avons donc trouvé ce « dossier ministre » pour partie composé par la production du secrétaire général du CIPDR. Or il n'y figurait pas de note ni d'éléments relatifs au fonds Marianne.

Quant aux échanges ou aux entretiens qui auraient pu avoir lieu en complément de ce dossier, Sonia Backès a en effet rencontré le secrétaire général du CIPDR très rapidement après son arrivée et j'ai fait de même, quelques jours plus tard, lorsque j'ai pris mes fonctions de directeur de cabinet. Lors de ces échanges, le fonds Marianne n'a pas été mentionné et n'a fait l'objet d'aucun signalement particulier.

Il en a été de même dans la deuxième quinzaine de juillet, lorsque j'ai pu échanger avec celui qui m'a précédé dans les fonctions de directeur de cabinet - vous l'avez entendu en audition, ce matin.

Il n'y a donc pas eu, ni par écrit ni à l'occasion des échanges qui ont pu avoir lieu, de signalement particulier à propos du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que cela a pu vous étonner ou vous inquiéter ? Est-il normal qu'il puisse y avoir des oublis de cette importance ?

M. Claude Raynal, président. - Pour compléter, connaissiez-vous le fonds Marianne en arrivant au ministère ? Auriez-vous pu entendre parler du dossier en tant que simple citoyen ?

M. Julien Marion. - Je n'avais pas connaissance de l'existence du fonds Marianne lorsque j'ai pris mes fonctions auprès de la secrétaire d'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On peut donc penser que, au moment de la transmission des dossiers entre les deux cabinets, le fonds Marianne n'était pas un sujet de préoccupation.

M. Julien Marion. - Oui. Cela peut s'expliquer par le fait que Sonia Backès et son cabinet se sont installés plus d'un an après le lancement du fonds Marianne. Entre-temps, le secrétariat général du CIPDR avait mis en oeuvre toute une série d'initiatives ; or l'actualité politique se périme assez rapidement, comme vous le savez.

Autrement dit, le fonds Marianne a connu une impulsion politique au moment de son lancement, en avril 2021, puis sa mise en oeuvre et son exécution ont été internalisées par les services de l'administration, ce qui n'a rien d'anormal. D'où sans doute l'absence d'alerte, plus d'un an après son lancement.

M. Claude Raynal, président. - Si ni Mme Backès ni vous-même n'aviez la mémoire du dossier, on peut comprendre que vous n'ayez pas posé de question sur ce sujet. Toutefois, le fonds Marianne avait été lancé à grand renfort de communication comme une action portant sur le discours contre-républicain. En effet, il s'agissait pour le Gouvernement de mettre en oeuvre une traduction politique de ce qui s'était produit en octobre 2020 en montrant sa volonté d'agir. En réalité, le rapport de l'IGA a montré que le fonds Marianne n'était rien de plus qu'une sorte de fléchage du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).

M. Julien Marion. - Ou un label.

M. Claude Raynal, président. - On aurait pu se contenter de dire que l'on consacrerait plus de moyens, dans le cadre du FIPDR, pour mener certaines actions précises. Cela aurait suffi à montrer l'action de l'État. On a donc délibérément choisi de faire du fonds Marianne une opération spécifique. Or, cette opération a été menée avec difficulté sous l'ancienne ministre, puis plus du tout à l'arrivée de la nouvelle secrétaire d'État, hormis dans le cadre du CIPDR, sans que cela constitue un sujet de préoccupation particulier.

Une particularité du CIPDR tient à ce que pendant très longtemps son secrétaire général a été en charge de la sélection des projets, du cahier des charges et des appels à projets, le cabinet ministériel se contentant de faire des remarques d'ajustement.

Or, au moment où Mme Schiappa est devenue ministre déléguée, le cabinet a demandé non seulement que l'information sur les projets lui soit remontée, mais aussi que la décision lui revienne. Le CIPDR continuerait donc d'étudier les projets, mais la décision finale reviendrait au cabinet, ce qui constituait une manière nouvelle de procéder. Ce nouveau mode de fonctionnement a-t-il suscité des interrogations ?

M. Julien Marion. - Le mode de fonctionnement que vous venez de décrire s'est poursuivi après l'entrée en fonction de Sonia Backès. Cette répartition des rôles entre l'autorité politique et l'autorité administrative n'a rien d'anormal. Dans l'administration, certains services instruisent et vérifient les dossiers avant de les soumettre à la validation de l'autorité politique. Le FIPD représente une enveloppe d'un peu plus de 80 millions d'euros, dont les crédits sont à 80 % déconcentrés, les 20 % restants relevant d'une enveloppe centrale qui servent à financer des projets de nature variable correspondant à des priorités. La double intervention de l'administration et du politique n'est donc pas illogique : les services administratifs instruisent les dossiers et veillent à la régularité des procédures avant de soumettre le fruit de leurs travaux à la validation du politique.

Lorsque j'ai été chargé de valider des projets, dans l'écrasante majorité des cas, il s'agissait vraiment d'une validation, c'est-à-dire que j'ai acté la proposition faite par les services. Il a pu m'arriver de demander un complément d'information ou bien de retirer des projets qui ne correspondaient pas aux attentes. Toutefois, à aucun moment le cabinet de la secrétaire d'État n'a injecté dans le processus des dossiers nouveaux qui n'auraient pas été préalablement instruits par les services.

Je rappelle par ailleurs que le FIPD est un fonds budgétaire dont l'enveloppe centrale est structurellement soumise à une forte tension budgétaire. Des demandes d'intervention parviennent au ministre de l'intérieur ou à la secrétaire d'État, qui portent sur des financements au titre des crédits centraux ou déconcentrés, de sorte qu'il est normal que le cabinet veille à ce que ces interventions soient prises en compte. Par conséquent, la répartition des rôles ne me semble pas choquante, dès lors que chacun reste dans le sien.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez veillé à préciser que vous n'injectiez pas de projets qui seraient d'abord passés par le filtre ministériel avant d'arriver à l'administration. En effet, faire passer un dossier par l'intermédiaire de la secrétaire d'État ou du cabinet n'a rien d'anodin. Cela crée une sorte de pression morale sur l'administration.

M. Julien Marion. - Je tiens à lever tout malentendu. Il peut arriver que des dossiers de demande de financement au titre du FIPDR arrivent directement au cabinet de la secrétaire d'État par l'intermédiaire des élus. Il n'y a rien d'anormal à cela. Dans ce cas, nous transmettons systématiquement les dossiers aux services pour qu'ils les examinent.

M. Claude Raynal, président. - Le 10 octobre 2022, le préfet Gravel a fait parvenir une note à la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, dans laquelle il expliquait les raisons pour lesquelles la liste des lauréats n'avait pas été rendue publique, ainsi que celles pour lesquelles une démarche avait été engagée pour ne pas les mentionner dans le jaune budgétaire sur le soutien de l'État aux associations. Il est fait mention dans cette note d'une demande de la presse pour obtenir la liste des lauréats. Pouvez-vous nous rappeler le contexte dans lequel cette note a été rédigée ? Qui en a été à l'origine ? Le cabinet a-t-il lui-même été sollicité ? Quelles ont été les suites données à cette note ?

M. Julien Marion. - À la fin du mois de septembre 2022, le conseiller pour la presse et la communication de la secrétaire d'État a porté à ma connaissance un article de l'hebdomadaire Marianne sur le fonds du même nom daté du 30 juin 2022. C'était la première fois que l'on me signalait ce fonds de manière précise. J'ai donc demandé au secrétaire général du CIPDR de me faire un point détaillé sur le fonds Marianne, d'où la note à laquelle vous faites référence ; celle-ci ne contenait aucune forme d'alerte sur la mise en oeuvre des actions financées par le fonds.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans une note du 14 octobre 2022, M. Gravel a transmis au cabinet le détail des projets du fonds Marianne. S'agissait-il d'un complément à la note du 10 octobre ? Cette seconde note répondait-elle pleinement à la commande qui était la vôtre ?

M. Julien Marion. - La première note que m'a transmise Christian Gravel se bornait à une description très formelle du processus et ne disait rien des actions menées ni des bénéficiaires du fonds Marianne. Elle m'a donc semblé insuffisante et j'ai demandé des éléments complémentaires. La seconde note entrait davantage dans le détail et dressait un bilan très positif des actions financées par le fonds avec une très légère nuance sur un projet particulier porté par l'association Reconstruire le commun, qui faisait état de difficultés sur les contenus éditoriaux.

J'ai demandé des éclaircissements sur cette mention un peu sibylline et le secrétaire général du CIPDR m'a répondu qu'il avait pu y avoir des difficultés sur certains contenus publiés par cette association, dont il avait recadré les dirigeants au mois de juin 2022, de sorte que le problème était réglé. Cette réserve étant levée, j'ai donc considéré qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter sur la mise en oeuvre des actions financées au titre du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Au moment de la nomination de Mme Sonia Backès, des difficultés avaient déjà été identifiées avec une association puisque le secrétaire général du CIPDR avait constaté que des contenus produits par l'association Reconstruire le commun visaient des personnalités politiques ou étaient sans lien avec les objectifs du fonds Marianne. Si j'ai bien compris, vous n'aviez pas eu d'information particulière à ce sujet.

M. Julien Marion. - Je vous le confirme.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'USEPPM a reçu la subvention la plus importante parmi toutes celles qui ont été attribuées dans le cadre du fonds Marianne : initialement très élevée, celle-ci a été considérablement réduite, passant d'un projet de 1,5 million d'euros à 335 000 euros. L'association ne répondait plus aux relances envoyées en interne depuis novembre 2022. Avez-vous été averti de la situation et à quel moment ? Comment avez-vous réagi ?

M. Julien Marion. - Les premières alertes que j'ai reçues à propos du fonds Marianne datent de mars 2023 et elles concernaient l'USEPPM.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Par conséquent, les relances envoyées depuis novembre 2022 n'avaient pas été portées à la connaissance de la secrétaire d'État ?

M. Julien Marion. - C'est le travail de l'administration de s'assurer qu'un porteur de projet s'acquitte de ses obligations en transmettant dans les délais les documents requis. Ce genre d'information n'a pas forcément besoin de remonter jusqu'au cabinet.

Le 22 mars 2023, les journalistes qui étaient à l'origine de la première sortie médiatique sur le fonds Marianne nous ont contactés pour nous faire part de la suite de leurs travaux et de leurs soupçons d'irrégularité à propos d'une association en particulier. Je découvre les éléments à ce moment-là.

Le secrétaire général du CIPDR m'avait averti quelques jours auparavant, le 17 mars, dans une note où il faisait état de difficultés à obtenir de la part de l'association les pièces justificatives relatives à la conduite des actions financées au titre du fonds Marianne.

Dans le même temps, la nouvelle gouvernance de l'USEPPM m'a fait parvenir des mails indiquant qu'elle découvrait avec étonnement certaines irrégularités. Tout cela est convergeant avec ce que me disaient les journalistes.

J'ai immédiatement rendu compte de la situation à la secrétaire d'État. Quarante-huit heures plus tard, soit le 24 mars 2023, à la demande de la secrétaire d'État, j'ai prévenu l'inspection générale de l'administration qu'elle serait saisie d'une mission sur le versement de la subvention à l'USEPPM, car à cette date nous n'avons une alerte que pour cette association. Dans le même temps, toujours à la demande de la secrétaire d'État, j'ai demandé au secrétaire général du CIPDR de saisir le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale. Ces deux procédures ont été lancées le 24 mars 2023 et formalisées le 29 mars 2023.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est donc vous qui avez déclenché les deux procédures ?

M. Julien Marion. - Je l'ai fait à la demande de la secrétaire d'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'ordre était donc politique.

M. Julien Marion. - Absolument. Dès que j'ai rendu compte à Sonia Backès de la présomption assez forte d'irrégularités dans le cadre du versement d'une subvention à une association, sa réaction a obéi à deux mots d'ordre : transparence et réactivité.

M. Claude Raynal, président. - Y a-t-il eu une réaction de la part du secrétaire général du CIPDR à votre demande de saisine au titre de l'article 40 ? En effet, le projet de l'association a vu le jour dans le cadre d'une relation directe entre M. Sifaoui et le cabinet de la ministre ; puis le dossier a été directement transmis au secrétariat général avant même l'annonce de la création du fonds Marianne. Compte tenu de ce contexte particulier, le secrétaire général a-t-il réagi d'une manière ou d'une autre à l'utilisation de l'article 40 ?

M. Julien Marion. - Le secrétaire général du CIPDR n'a fait aucune difficulté. Je me rappelle très précisément qu'il m'a dit découvrir les irrégularités qui étaient pointées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Toutefois les premières relances envoyées à l'association remontent à novembre 2022.

M. Julien Marion. - À ce moment-là, M. Gravel faisait état des difficultés que rencontraient ses services pour obtenir les justificatifs permettant le versement de la deuxième tranche de la subvention. Rien ne laissait apparaître alors les faits qui ont été documentés dans le rapport de l'IGA. Il faut distinguer la difficulté à entrer en contact avec les responsables de l'association et la difficulté à obtenir les documents et les éléments de bilan qui permettraient de déclencher le versement de la deuxième tranche de la subvention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il était prévu initialement qu'un bilan d'étape interviendrait six mois après l'attribution de la subvention. En novembre 2022, on est bien au-delà du délai.

M. Claude Raynal, président. - Plusieurs éléments sont surprenants. Certaines associations qui travaillaient déjà avec le CIPDR ont obtenu, grâce au fonds Marianne, une subvention supplémentaire, mais celles qui ont touché les subventions les plus importantes sont deux associations nouvelles, qui souhaitaient intervenir sur les réseaux sociaux et qui étaient caractérisées par la faiblesse de leurs fonds propres et de leur budget - 50 000 euros de budget annuel pour l'une, dont le projet initialement estimé à 635 000 euros a finalement obtenu une subvention de 355 000 euros ; une création ex nihilo pour l'autre. Le règlement prévoyait que les deux associations trouvent des cofinancements afin de poursuivre leur projet à plus long terme sans subvention, mais elles ne les ont pas trouvés. Que pensez-vous de tout cela ?

M. Julien Marion. - Les alertes circonstanciées que nous avions reçues entre la fin du mois de mars et le début du mois d'avril 2023 ont d'abord porté sur une puis sur deux des dix-sept associations qui ont bénéficié du fonds Marianne. En réponse à ces alertes, la secrétaire d'État a commencé par demander la saisine de l'inspection générale de l'administration, d'abord pour faire toute la lumière sur la situation de l'USEPPM, qui est la première à avoir fait l'objet d'une alerte, puis quelques jours après, lorsque des signalements sont remontés pour une autre association, elle a demandé immédiatement l'extension de l'enquête à l'ensemble des associations financées au titre du fonds Marianne. Le rapport de l'IGA sur ce dernier aspect n'a pas encore été remis.

M. Claude Raynal, président. - Il est prévu pour la fin du mois de juin.

Dans le rapport qu'elle a remis sur l'USEPPM, l'inspection générale de l'administration recommande d'émettre un titre exécutoire en vue de la restitution de la somme de 127 476 euros, équivalant aux postes de dépenses ne correspondant pas à la convention ou ayant été payés après la fin de celle-ci ; de prendre acte des manquements aux obligations statutaires relevés par la mission ; et de compléter la saisine du procureur de la République.

Quelles suites envisagez-vous de donner à ces trois recommandations ?

M. Julien Marion. - Le communiqué qui a été mis en ligne hier sur le site du ministère de l'intérieur en marge de la publication du rapport répond à votre question : les trois recommandations seront mises en oeuvre. Toutefois, ce ne sont pas les mêmes personnes qui s'en chargeront.

En effet, la restitution d'une part significative de la subvention reçue par l'USEPPM - soit la première recommandation - relève des missions du SG-CIPDR. L'IGA a facilité sa mise en oeuvre en détaillant le plus possible le processus à suivre.

Quant aux conséquences à tirer des manquements disciplinaires observés, cela relève de l'autorité administrative, en particulier du secrétaire général du CIPDR. Cette deuxième recommandation sera mise en oeuvre lorsque le deuxième rapport de l'IGA aura été rendu, car l'autorité politique qui a commandité ces deux rapports doit avoir une vision globale de la situation. Une fois le second rapport remis, des poursuites disciplinaires pourront être engagées, dans le strict respect du contradictoire.

Enfin, la troisième recommandation relève des agents publics qui sont à l'origine du constat des manquements susceptibles de recevoir une qualification pénale, à savoir les inspecteurs de l'IGA qui ont rédigé le rapport.

M. Claude Raynal, président. - Une procédure de contrôle a été engagée au début du mois de mai dernier à l'encontre de l'association Reconstruire le commun ; elle pourrait donner lieu à une demande de remboursement. Cette décision a-t-elle été prise sur votre initiative ? N'intervient-elle pas trop tardivement compte tenu des révélations et des enquêtes récentes ?

M. Julien Marion. - Je ne crois pas que cette procédure intervienne trop tardivement. En effet, le préalable indispensable à l'engagement d'une telle action est d'établir la matérialité des faits : sans cela, on ne pourrait pas demander à une association dont les moyens sont limités de restituer des sommes d'un montant important.

Quand nous avons reçu une alerte sur l'association Reconstruire le commun, entre la fin du mois de mars et le début du mois d'avril - alerte qui se concrétise par des échanges que nous avons avec des journalistes de Médiapart -, conformément au souhait de la secrétaire d'État et comme pour l'USEPPM, j'ai demandé au secrétaire général du CIPDR de m'envoyer une note détaillée et circonstanciée sur les contenus à caractère politique pouvant s'éloigner de l'action financée par le fonds Marianne. Les équipes du CIPDR ont dû pour cela visionner des dizaines d'heures de production vidéo, ce qui selon moi justifie le délai. La note, qui est parvenue au cabinet dix jours plus tard, entre le 7 avril et le 10 avril, retranscrivait des propos à caractère politique. En prenant connaissance de ces éléments, j'ai constaté un écart manifeste par rapport à l'objet de la mission financée et la secrétaire d'État m'a demandé, en conséquence, de faire instruire par les services du CIPDR une procédure de restitution partielle de la subvention, conformément à ce qui était prévu dans la convention initiale.

Le deuxième rapport de l'IGA devrait établir les faits de manière aussi rigoureuse que le précédent.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Plusieurs associations nous ont indiqué qu'elles ne se considéraient pas comme « les prestataires de service du ministère de l'intérieur ». Que pensez-vous de cette formule ? Comment percevez-vous la relation que doivent entretenir le secrétariat général du CIPDR et les associations qui sont financées par le FIPD ?

M. Julien Marion. - Je m'associe à la réaction des acteurs associatifs que vous venez de citer. En effet, il ne serait pas juste de les considérer comme « les prestataires du ministère de l'intérieur ».

Cela renvoie à notre volonté de développer une politique de présence active sur les réseaux sociaux, même si l'expression de « contre-discours républicain » n'a pas forcément vos faveurs. Le constat reste que certaines personnes professent des discours hostiles à la République, à ses valeurs les plus précieuses et à ses institutions, et que leur combat se mène sur les réseaux sociaux et non plus dans les lieux de culte, s'adressant notamment aux plus jeunes de nos concitoyens. C'est donc sur ce terrain que nous devons agir pour diffuser un discours autre en utilisant les règles et les codes propres aux réseaux sociaux. Or l'administration n'a pas forcément les outils adéquats pour être suffisamment réactive et présente sur les réseaux sociaux, de sorte que nous devons nous appuyer sur des acteurs qui maîtrisent ces codes et savent s'adapter. En suivant les règles habituelles de l'administration, on peine à atteindre la cible.

Par conséquent, la puissance publique a identifié un besoin mais a fait le constat qu'elle n'était pas assez outillée pour y répondre, de sorte qu'elle a choisi de s'appuyer sur des acteurs associatifs, auxquels il revient de déterminer les modalités d'action les plus adaptées - ce n'est pas le rôle de l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il existe deux types de convention possibles avec les associations : le gré à gré, notamment quand il s'agit d'acteurs associatifs solides, dont on connaît les pratiques, et l'appel à projet. Dans un cas comme dans l'autre, le cadre d'action est bien défini. Compte tenu de l'expérience quelque peu défaillante à laquelle nous nous intéressons, envisagez-vous de modifier le dispositif en prévoyant des conventions qui limiteraient davantage le cadre d'action des acteurs tout en leur laissant une marge de liberté ?

M. Julien Marion. - À l'évidence, il faudra tirer des enseignements de la manière dont ont été déployées les actions financées au titre du fonds Marianne. Les deux rapports de l'inspection générale de l'administration et les travaux que mène votre commission contribueront à nous éclairer.

Toutefois, je rappelle que nous parlons d'une politique publique nouvelle, qui a été créée ex nihilo, dans le contexte particulier de l'année 2020. La lucidité a posteriori est toujours confortable, mais fait rarement évoluer la situation. Nous veillerons à identifier les dysfonctionnements, mais nous devons poursuivre cette politique publique, qui est indispensable. Nous le ferons en nous armant de garde-fous, afin de faire preuve de plus de rigueur à l'avenir.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En effet, il est toujours plus facile de refaire le match. Toutefois, si l'on se remet dans le contexte, on constate qu'il y a un fossé entre les événements qui constituent la genèse du fonds Marianne - je rappelle qu'il a été créé dans un délai raccourci pour frapper l'opinion et montrer la détermination sans faille de l'État - et le relais pris par les associations.

L'appel à projet témoignait d'un manque de rigueur certain : six personnes se sont réunies dans une sorte d'entre soi, l'appréciation des experts a été peu sollicitée et il n'y a pas eu de compte rendu pour témoigner de la manière dont les décisions ont été prises. Envisagez-vous de mettre en place des procédures plus solides juridiquement ?

M. Julien Marion. - Le rapport de l'inspection générale de l'administration, qui a été rendu public hier, met en évidence des lacunes dans le suivi administratif des dossiers. Il faudra en effet y remédier. La secrétaire d'État a très clairement manifesté son intention de le faire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Selon vous, le cabinet ministériel doit-il être représenté dans le comité de sélection ou de validation ?

M. Julien Marion. - Cela ne me choque pas que l'autorité politique soit amenée à connaître et à valider les propositions qui sont faites par l'administration, dès lors que celles-ci concernent la politique publique que j'ai mentionnée.

M. Claude Raynal, président. - La sélection et la validation d'un projet constituent, il me semble, deux étapes différentes.

M. Julien Marion. - J'ai bien parlé de validation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans les conventions d'attribution des subventions du FIPDR, prévoyez-vous d'exclure certaines pratiques ou tout au moins de garantir la conformité des actions avec les attentes du ministère ? En effet, dans le cas de certaines associations, les actions menées étaient très éloignées de l'objectif défini pour le fonds Marianne. Envisagez-vous un cadre plus rigoureux pour le dispositif tout en laissant une certaine liberté aux opérateurs qui seront sélectionnés ?

M. Julien Marion. - De ce que j'en vois, le travail d'instruction conduit par les équipes du CIPDR s'agissant de l'attribution de subventions au titre du FIPDR est mené avec rigueur. Les fonctionnaires s'attachent à vérifier la conformité des actions financées avec les objectifs fixés et le respect des règles formelles. Il peut y avoir des exceptions, mais je ne voudrais pas que ce dossier jette une ombre excessive sur la rigueur dont ils font preuve au quotidien.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous sommes au Parlement, pas au tribunal : c'est bien la chronologie, la matérialité des faits, d'éventuelles mauvaises décisions ou des pratiques trop souples que nous essayons d'établir.

Certaines associations subventionnées, on le voit, avaient des budgets faméliques et ont été soudainement propulsées dans des domaines qu'elles ne connaissaient pas, avec des budgets très élevés. L'une d'entre elles venait même tout juste de naître. Tout s'est fait pratiquement ex nihilo, alors que, souvent, il faut une antériorité, un budget, un conseil d'administration, etc., pour obtenir le soutien financier de collectivités locales. Envisagez-vous de tenir compte de règles en la matière, une règle d'antériorité plus précisément, ce qui permettrait d'avoir des garanties ?

M. Julien Marion. - Les règles que vous venez de rappeler en matière d'éléments à apporter en appui d'une demande de subvention - publication de comptes, instances dirigeantes, etc. - existent. Il suffit de les mettre en oeuvre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites donc qu'il y a eu défaillance...

M. Julien Marion. - Je constate, à la lecture du rapport de l'IGA, que le contrôle du respect de ces critères a été insuffisant pour ce qui concerne l'USEPPM. Nous verrons ce que dira le deuxième rapport de l'IGA.

M. Claude Raynal, président. - Je suis toujours un peu étonné de voir des projets se lancer sans budget bouclé. On est sur un projet d'une certaine ampleur ; on prévoit 35 % de financement en dehors du FIPDR et on démarre à l'aveugle, avec une première subvention accordée d'un montant tout de même significatif, sans même un courrier confirmant une démarche engagée ! Ensuite, on se rend compte que l'on n'a pas le budget pour mener l'action à son terme. C'est presque écrit ! Cela a dû vous heurter aussi...

M. Julien Marion. - Je le répète, les constats du rapport de l'IGA sur le traitement du dossier de l'USEPPM sont assez sévères.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites que les règles de contrôle et de suivi existent, mais n'ont pas été respectées. Envisagez-vous néanmoins certaines évolutions de ces règles ? C'est une question parfaitement ouverte. On sait bien qu'il faut un équilibre en la matière et que l'on ne peut pas se retrouver à passer plus de temps à contrôler une action qu'à la mettre en oeuvre. Mais on pourrait aussi envisager d'agir différemment quand on fait le pari de la nouveauté et que l'on traite avec des associations que l'on ne connaît pas.

M. Julien Marion. - Effectivement, il faut trouver le juste équilibre entre le contrôle, qui ne doit pas être étouffant, et la nécessité d'« impulser » sans cesse des actions. C'est un équilibre précaire. Certes, il est plus facile à trouver avec des opérateurs associatifs connus, solides, assis sur une antériorité dans le travail avec l'administration, mais cela ne doit pas empêcher de trouver de nouveaux partenaires, sinon on s'enferme dans une forme de confort. Nous sommes ici dans un domaine - les réseaux sociaux - où tout bouge beaucoup, où les acteurs les plus performants ne sont pas forcément les plus visibles. C'est un défi pour l'administration.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes également directeur adjoint du cabinet du ministre de l'intérieur. Celui-ci vous a-t-il interrogé sur le sujet ?

M. Julien Marion. - Il a été informé par la secrétaire d'État de l'existence d'alertes dès la fin du mois de mars et le début du mois d'avril, et s'est exprimé en réponse à une question d'actualité au gouvernement à l'Assemblée nationale. Il est bien sûr informé. Je rappelle également, comme cela a été dit en introduction, que le pilotage du secrétariat général du CIPDR relève de la secrétaire d'État, qui l'opère au quotidien.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - M. Christian Gravel, en ouverture de son audition, a évoqué une « commande politique ». J'imagine, vu l'importance du sujet, qui n'est pas tout à fait mineur au regard de l'événement à l'origine de la création du fonds Marianne, qu'il y a eu des temps de validation - entre la secrétaire d'État et le ministre - et un suivi. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce circuit d'échanges et de validation ?

M. Julien Marion. - Je ne peux pas répondre à votre question sur la commande politique, car ni moi ni la secrétaire d'État n'étions en fonction à ce moment-là.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Peut-être y a-t-il des traces ?

M. Julien Marion. - Comme cela a été dit par plusieurs des personnes que vous avez auditionnées, la politique de contre-discours républicain émane d'une décision du Président de la République, dans le contexte très particulier de la fin de l'année 2020.

M. Vincent Éblé. - Je voulais vous réinterroger sur le point particulier du processus de validation de subventionnements, pour des montants non négligeables, au bénéfice d'associations tout juste créées. J'ai présidé pendant onze ans une importante collectivité locale française, qui distribuait des subventions par centaines, par milliers, pour des montants excessivement raisonnables. Parfois, ils ne dépassaient pas quelques centaines d'euros. Je n'ai jamais vu, en onze ans, une association qui ne soit pas en capacité de fournir a minima des comptes arrêtés sur un exercice. On ne subventionne jamais une association sur sa première année d'existence, cela me semble être la moindre des précautions. Ce point particulier a-t-il été méconnu ? Ou n'existe-t-il pas en tant que tel et doit-on l'intégrer dans l'arsenal législatif ou réglementaire ?

M. Marc Laménie. - Nous soutenons bien évidemment la défense des valeurs de la République. Mais ce qui peut interpeller, c'est de voir apparaître des noms d'associations que nous ne connaissons pas du tout, dès lors qu'elles n'interviennent que sur les réseaux sociaux, alors que nos territoires et départements respectifs comptent de nombreuses associations. Comment était composé le comité de sélection des dossiers ? Quel est le résultat des actions menées ?

M. Daniel Breuiller. - Vous avez évoqué la rigueur de l'instruction des équipes du CIPDR. Ce que je comprends à ce stade, c'est que des défaillances ont été constatées sur deux associations semblant avoir été orientées vers le fonds Marianne par le cabinet. Je ne vois donc que deux explications : soit il y a eu une défaillance administrative, ce qui entre en contradiction avec la rigueur mise en avant ; soit la volonté politique était telle que l'administration s'est sentie tenue d'instruire le dossier, y compris sans exercer sa rigueur habituelle. Quelle est votre analyse sur ce point ?

Par ailleurs, peut-on mettre en place en trois semaines une stratégie d'ampleur de contre-discours républicain sur des réseaux sociaux ? Un sujet aussi important, un objectif aussi ambitieux ne demandent-t-ils pas plus de temps d'analyse et de construction ?

M. Thierry Cozic. - Vous avez de l'expérience en cabinets ministériels. Existe-t-il une doctrine en matière d'attribution des subventions de l'État aux associations ? Le Premier ministre ou son secrétariat donnent-t-il des instructions précises aux ministères ? Des documents types sont-ils prévus ? Des contrôles ? Si une telle doctrine n'existait pas, ce genre d'affaires ne rendrait-il pas pertinente l'élaboration de recommandations pour avancer en ce sens ?

M. Julien Marion. - Je ne peux pas commenter les circonstances dans lesquelles les lauréats ont été choisis en avril 2021, n'étant pas en fonction à l'époque. Au-delà de la question particulière de cet appel à projets, des règles juridiques régissent l'octroi de subventions publiques ; leur respect ne se discute pas.

Je suis également au regret de ne pas pouvoir répondre au sénateur Marc Laménie. Sa question sur la composition du comité de sélection porte sur des faits bien antérieurs à ma prise de fonctions. Elle me semble néanmoins avoir été évoquée lors d'auditions précédentes.

Je suis tenu, pour les mêmes raisons, de faire la même réponse à la question concernant les deux associations les plus importantes.

S'agissant des capacités à construire une stratégie de contre-discours républicain en trois semaines, il me semble important de préciser que la stratégie en la matière, telle que voulue par le Président de la République, ne se résume pas au seul fonds Marianne. Elle porte sur d'autres actions, qui s'inscrivent dans la durée.

Existe-t-il une doctrine dans l'attribution des subventions ? Il existe des règles juridiques et des impulsions politiques, données par les membres du Gouvernement. Je rappelle tout de même une évidence : l'écrasante majorité des subventions accordées dans notre pays le sont par des acteurs locaux, et c'est heureux ! L'attribution de subventions au niveau central est l'exception. Le respect des règles vaut bien évidemment pour tous les échelons, mais l'évidence, c'est bien que l'octroi de subventions obéit d'abord à des réalités locales.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020
au 20 mai 2022

(Mercredi 14 juin 2023)

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous poursuivons ce matin les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds.

Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête. Nous entendons donc ce matin Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, en sa qualité d'ancienne ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022.

Comme vous le savez, madame la ministre, nous avons entendu ces dernières semaines de nombreux acteurs administratifs et associatifs, ainsi que votre ancien directeur de cabinet, afin de comprendre la manière dont le Fonds Marianne a été créé, la procédure ayant conduit à la sélection des projets et les conditions de suivi de leur mise en oeuvre, ainsi que les résultats obtenus.

Au regard des responsabilités qui étaient les vôtres au moment de la création et du lancement du Fonds Marianne, votre audition est particulièrement attendue pour éclaircir l'ensemble de ces points.

Avant de vous céder la parole, si vous le souhaitez, pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Schiappa prête serment.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je serai brève, mais je veux d'abord vous remercier de cette audition devant cette commission d'enquête.

Je vais tâcher humblement, et dans la limite des éléments dont je dispose, de vous aider à établir une chronologie, mais aussi la matérialité des faits vus de ma fenêtre, c'est-à-dire la fenêtre de la ministre.

Je suis heureuse de pouvoir répondre pour la première fois à un certain nombre de questions particulières, en dehors du bruit, des commentaires ou des supputations qui ont pu être émis en dehors de cette commission, et de pouvoir être aussi factuelle que possible. Je vais tâcher de vous aider en cela. Je n'aurais sans doute pas réponse à tout. Je ne suis pas omnisciente sur ce sujet, ni sur les autres d'ailleurs, mais les enseignements et la matérialité de certains faits, eu égard au rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), vous aideront en cela, j'imagine.

Je veux vous dire d'ores ores déjà, monsieur le président et monsieur le rapporteur, que vous m'avez écrit hier soir pour me demander d'avoir accès aux archives des mails échangés entre mon cabinet et moi-même. Bien évidemment, je donne mon accord pour que vous puissiez avoir accès à ces archives. Une réponse écrite qui va vous parvenir aujourd'hui vous permettra d'avoir accès à l'ensemble de ces messages.

Je veux très brièvement rappeler le rôle de chacun, de manière habituelle, dans un fonctionnement ministériel. Le ministre impulse des politiques publiques, représente également ces politiques publiques, en est comptable devant le Parlement - je suis devant vous aujourd'hui pour cela -, mais aussi devant les citoyens, soit de manière directe, soit de manière indirecte, par l'intermédiaire des médias.

C'est le rôle du ministre. Le rôle de l'administration, c'est la mise en oeuvre de ces politiques publiques impulsées par le ministre - la mise en oeuvre et le suivi. Le ministre, en cela, s'appuie sur la confiance qu'il a dans les collaborateurs, ceux qu'il a choisis ou ceux qu'il a trouvés en arrivant, et s'appuie sur la sincérité des déclarations des rapports, mais aussi des comptes faits par les partenaires et par les associations.

Je voudrais brièvement rappeler que le contexte, dans lequel a été créé le Fonds Marianne, c'est celui que certains experts, dont Gilles Kepel notamment, appellent le « djihadisme d'atmosphère ». Cela veut dire que des terroristes, désormais, ne se radicalisent plus en allant comme précédemment dans certains kebabs ou certaines mosquées qui étaient radicalisées, qui étaient des lieux d'endoctrinement, mais se radicalisent sur Internet, en consultant des sites, des plateformes ou des réseaux sociaux.

Dans ce contexte, les spécialistes recommandent de lutter contre ce « terreau du terrorisme » en allant là où ces discours se portent, c'est-à-dire en ligne, sur les réseaux sociaux. Il est donc décidé, à l'occasion du Conseil de défense, de faire appel notamment à des acteurs de la société civile pour soutenir le discours républicain, comme cela se fait dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni. Le Fonds Marianne s'inscrit dans cette action globale.

Ce n'est pas, je tiens à le dire, l'entièreté de la politique publique menée pour lutter contre la radicalisation. Je veux le rappeler, il y a une politique plus globale. Je ne vous en fais pas la liste exhaustive, mais je veux simplement mentionner l'unité de contre-discours républicain (UCDR), dont on parlera peut-être, la lutte contre la haine en ligne, l'ouverture de Pharos 24 heures sur 24 et les dispositions législatives que vous connaissez parfaitement, en tant que parlementaires, pour les avoir nourries, ou en tout cas avoir pris part au débat.

Je veux dire aussi - mais j'imagine que nous y reviendrons - que le budget du Fonds Marianne est une ligne budgétaire du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), donc du ministère de l'intérieur. Je sais que vous le savez, mais je tiens à être factuelle dans ce bref propos liminaire : ce n'est à aucun moment une « cagnotte ». Je l'ai entendu ici et là : l'État, bien évidemment, ne lance pas de « cagnotte » au profit des familles de victimes du terrorisme. Il n'y a pas de cagnotte, pas de collecte de fonds. C'est une ligne budgétaire du ministère de l'intérieur et, plus précisément, du FIPD.

Je veux dire également que des questions aujourd'hui très légitimes se posent, et j'avais appelé de mes voeux, dans le respect de la séparation des pouvoirs, l'ouverture de cette commission d'enquête. Je la salue et je m'en réjouis, parce qu'elle permet justement, par des auditions longues, précises, par des témoignages, parfois par la mise en lumière de contradictions, de révéler un certain nombre de dysfonctionnements. Le rapport de l'IGA, d'ailleurs, commandé à la demande du Gouvernement et réalisé au ministère de l'intérieur, met en lumière des dysfonctionnements qui sont avérés, documentés - et nous allons, je pense, y revenir.

Je profite de ce propos liminaire pour dire qu'il y a aussi et surtout, dans leur grande majorité, des associations qui mènent un travail remarquable pour défendre la laïcité, pour lutter contre l'islamisme, la radicalisation ou les discours dits séparatistes de manière globale. Aujourd'hui, beaucoup des acteurs du Fonds Marianne, qui sont des associations que vous avez pu auditionner et dont vous avez pu constater le sérieux pour la grande majorité d'entre elles, sont brocardées, insultées et, pour certaines même, menacées de mort, comme beaucoup d'acteurs qui s'engagent contre la radicalisation, contre l'islamisme.

Je veux dire ici mon soutien à ces associations et à ces personnalités qui s'engagent, et également aux agents du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), passés et actuels qui, dans leur immense majorité, mènent au ministère de l'intérieur un travail difficile avec beaucoup de sérieux.

Pour conclure, je voudrais dire que votre retour d'expérience et les recommandations que, j'imagine, vous formulerez à l'issue de cette commission d'enquête, seront bien évidemment particulièrement intéressants pour chacun en tant que citoyen, mais aussi pour moi, en tant que secrétaire d'État qui, à ce jour, suis chargée de la vie associative. Ce que vous direz sur la manière dont on doit ou on ne doit pas attribuer des subventions, jusqu'où on doit aller dans le contrôle de l'attribution des subventions, sera extrêmement intéressant pour moi en tant que membre du Gouvernement, mais aussi, je pense, pour tous les décideurs publics, parce que les enseignements qui seront tirés à l'issue de cette commission d'enquête poseront les questions que je pose et auxquelles je n'ai pas forcément la réponse. Un décideur public, un responsable politique, un maire par exemple, peut-il faire confiance à son administration ou à des associations sans craindre d'être blâmé lorsqu'il y a des dysfonctionnements internes dans ces associations ? Est-ce qu'un responsable politique est fondé à passer des commandes à son administration ?

Plus important encore, demain, comment poursuivre cette nécessaire politique publique de lutte contre la radicalisation et contre le terreau du terrorisme sans que la peur d'être amalgamé à ce dossier désormais dit du Fonds Marianne puisse exister ?

Je veux dire pour conclure que cette politique publique, en ce qui concerne le Gouvernement, puisque je suis auditionnée à ce titre, se poursuit. Je n'en suis plus en charge depuis plus d'un an. J'ai toute confiance dans ma successeure, mais aussi dans l'administration telle qu'elle est constituée actuellement et dans l'ensemble des parties prenantes pour continuer à mener ce combat, qui est un combat essentiel, nécessaire à notre pays, et qui est un maillon essentiel de la chaîne de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme qui doit absolument perdurer.

Je suis à votre entière disposition pour répondre à toutes vos questions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Vous avez évoqué dans votre propos introductif un terme qui n'a jamais été utilisé, en tous les cas dans notre commission, le terme de « cagnotte ». Je pense qu'il n'a pas sa raison d'être, qu'il n'y ait aucune ambiguïté.

Vous avez donné quelques explications sur le fonctionnement du Fonds. Je voudrais dire quelques mots à l'attention de celles et ceux qui nous écoutent.

Vous l'avez dit, il y a aujourd'hui trois procédures sur le dossier du Fonds Marianne, des travaux de l'Inspection générale de l'administration, qui a déjà rendu un premier rapport, une information judiciaire par le Parquet national financier (PNF) et notre commission d'enquête, dont je rappelle qu'elle est la forme la plus élaborée du contrôle de l'action du Gouvernement ouverte au Parlement et à chacune de ses assemblées.

Pour être parfaitement clair et que chacun se rappelle le principe de la séparation des pouvoirs, sous l'autorité du président de la commission des finances, nous avons saisi le garde des sceaux pour nous assurer de la compatibilité des différentes démarches, raison pour laquelle notre mission se poursuit.

On connaît le contexte dans lequel le Fonds Marianne a été créé. C'est peut-être un point de détail, mais pas nécessairement : qu'est-ce qui a présidé au choix du Fonds Marianne ? Qui l'a défini ? Comment avez-vous procédé ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, pour être très claire vis-à-vis de votre propos introductif, je n'ai à aucun moment remis en cause l'existence de la commission d'enquête. Ce n'est pas à moi que cela s'adressait ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je l'ai effectivement dit pour celles et ceux qui nous écoutent. Tout le monde n'a pas le même niveau d'information.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très bien ! Je vous remercie.

Sur le Fonds Marianne, je vous l'ai dit, en Conseil de défense, une décision est prise de mobiliser les acteurs de ce qu'on appelle alors le contre-discours républicain. Je comprends que cette appellation porte à différentes appréciations, mais c'est en tout cas l'appellation qui lui est donnée à ce moment-là pour porter un discours de défense des valeurs de la République en ligne.

Cette décision est prise. Un certain nombre d'acteurs de la société civile sont mobilisés pour mettre en oeuvre cette décision. Mon directeur de cabinet, M. le préfet Jallet, que vous avez auditionné, m'informe du fait que nous avons obtenu un arbitrage favorable de Matignon pour reporter des crédits non utilisés du FIPDR de l'année précédente, donc la ligne budgétaire du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Il m'envoie un message pour me dire que nous bénéficions de 2,5 millions d'euros de reports de crédits.

Comme nous avons à la fois une demande de mobiliser les acteurs de la société civile pour porter ce discours et cette ligne budgétaire dont nous bénéficions, nous décidons, pour plus de lisibilité, de mettre en oeuvre une appellation de « Fonds Marianne » qui regroupe, sous le biais d'un appel à projets (AAP), ces acteurs de la société civile que le ministère viendrait soutenir dans la rédaction de discours républicain.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le nom de Marianne fait donc simplement écho au symbole de la République.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Le nom de Marianne - je n'apprends rien à personne - représente l'allégorie de la République. Il y a, au Sénat, une exposition sur les figures de Marianne. C'est une figure qu'on utilise traditionnellement au ministère de l'intérieur. J'ai lancé plusieurs projets qui ont le nom de Marianne, comme les « 109 Mariannes » ou les « Mariannes de la République ». Le nom est couramment usité. C'était un nom par ailleurs important pour le CIPDR, qui avait un moment le projet de lancer sur les réseaux sociaux un compte marianne.gouv. Finalement, c'est le nom de republique.gouv qui a été retenu. Dans mes souvenirs, il y a un consensus sur le fait que, quand on parle de Marianne, chacun comprend qu'il s'agit de la République et de défendre ses valeurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez indiqué à deux reprises avoir fait le choix d'un appel à projets pour ouvrir au partenariat avec les réseaux associatifs. Pourquoi avoir eu recours à un appel à projets, sachant que vous avez déjà des acteurs implantés qui ont un savoir-faire ? Comment vous êtes-vous tenue informée du processus, et à quelles étapes êtes-vous intervenue pour obtenir des retours d'informations ou valider des décisions ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sur le choix de l'appel à projets, il y a un échange entre mon directeur de cabinet, M. le préfet Jallet, et moi-même sur la manière de financer et de soutenir financièrement au mieux les acteurs de la société civile. M. le préfet Jallet me propose de passer par un appel à projets en me disant - je suis tout à fait consciente que cela peut aujourd'hui paraître paradoxal à la lumière des événements - que ce sera plus transparent et plus équitable que les subventions de gré à gré, ce qui était le cas jusqu'à présent, me semble-t-il, du CIPDR en direction des associations.

Nous avons alors le sentiment que l'appel à projets répond à cette demande d'une part, d'autre part qu'il permettra de faire émerger de nouveaux acteurs qui ne sont pas forcément encore identifiés dans la sphère du CIPDR. Nous prenons donc ensemble - et je l'assume - la décision de passer par un appel à projets.

Un comité de sélection est ensuite mis en place avec des membres de l'administration et des membres de mon cabinet. Je n'interviens pas personnellement. Je ne suis pas dans le comité de sélection eu égard - ce que je rappelais dans mon propos introductif - au rôle de chacun. Il n'est pas du rôle du ministre de faire de l'ingénierie et d'« ouvrir le capot » pour regarder l'ensemble des dossiers.

Je ne suis pas dans le comité de sélection. En revanche, je suis bien sûr tenue informée régulièrement par mon cabinet des discussions qui peuvent exister autour de l'attribution des subventions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir mais, à ma connaissance, vous deviez faire partie du comité de sélection.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'en ai pas le souvenir. Je n'ai pas de trace du fait que je doive en faire partie. En tout cas, je n'en fais pas partie.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est une observation que je porte à la connaissance de chacun. Je relève, dans l'explication que vous venez de donner, que vous dites avoir suivi les conseils du préfet Jallet, votre directeur de cabinet à l'époque, l'appel à projets étant considéré comme une procédure plus transparente et plus équitable. Je mesure que vous utilisez à dessein ces mots, qui sont exactement ceux de l'Inspection générale de l'administration pour dénoncer le fait que la procédure n'était ni transparente ni équitable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne sais pas si c'est une manière pour vous de répondre et de dire qu'il y a eu erreur sur toute la ligne ou si vous voulez aller un peu plus loin sur le sujet, mais démarrer vos propos en expliquant que ce qui devait être plus juste, plus transparent et plus équitable ne l'est pas, de votre propre aveu, est une déclaration me semble-t-il importante.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Tout d'abord, je n'ai pas d'appréciation à porter sur le rapport de l'IGA. C'est un rapport qui a été mené avec le plus grand sérieux par une inspection qui est réputée pour son professionnalisme, qui a eu accès à des informations auxquelles je n'ai pas accès puisque, une fois encore, je ne suis pas omnisciente dans ce dossier. J'étais ministre dans un temps limité. Je n'ai pas interrogé les différents acteurs. C'est l'IGA qui a réalisé ce travail, mais je n'ai aucune raison de contester ses conclusions.

Je n'ai aucun aveu à faire, pour reprendre votre terme, monsieur le rapporteur, dans la mesure où je n'ai pas pris part à ce comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. En audition, il nous a été indiqué qu'à votre arrivée en poste, le 6 juillet 2020, le processus de décision - du moins pour l'attribution de certaines subventions du FIPD - était passé du secrétariat général du CIPDR au cabinet, au motif que le périmètre du secrétariat d'État correspondait à celui du CIPDR, ce qui voulait dire que la signature - le pouvoir de décision - sortaient des mains de l'administration pour passer aux mains exclusives du pouvoir politique.

Comment expliquez-vous ce changement ? Quelles en sont les motivations et qui participait concrètement, autour de vous, avec vous, au processus de décision ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne dirais pas que les décisions étaient remises exclusivement entre les mains du pouvoir politique, et je ne dirais pas non plus, si vous me le permettez, que c'est parce que le périmètre du ministère cadrait avec le périmètre du CIPDR. Le périmètre du ministère délégué était bien plus large que celui du CIPDR, avec notamment la question de l'intégration des étrangers, de l'accélération des délais pour les cartes d'identité et beaucoup d'autres missions, en dehors du CIPDR.

En revanche, ce qui est juste, c'est que, avec la création d'un ministère délégué à la citoyenneté, pour la première fois, un ministre a autorité sur le CIPDR qui, auparavant était interministériel et n'avait donc pas, me semble-t-il, de ministre de tutelle. C'est le cas pour la première fois, me semble-t-il, dans un décret d'attribution. C'est pour cette raison que les validations sont remontées au niveau du cabinet, mais cela ne veut pas dire que le CIPDR est dépossédé de son pouvoir. Les éléments le démontrent.

Des nouvelles priorités politiques sont fixées à cet égard, dont beaucoup sont concentrées au CIPDR : la lutte contre les dérives sectaires, la montée en puissance d'intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG), qui sont gérés par le CIPDR, la question de la lutte contre le cyber-islamisme, qui nous préoccupe aujourd'hui. Il y a un processus qui est défini par le directeur de cabinet. L'administration instruit et propose, et l'autorité ministérielle valide ce qui a été instruit et proposé par l'administration. À mon humble avis, c'est un procédé classique, il y a des réunions qui existent avec le secrétaire général et des réunions hebdomadaires entre le secrétaire général du CIPDR, équivalent d'un directeur d'administration, et le directeur de cabinet. À ma connaissance, ce procédé est d'ailleurs maintenu par ma successeure, Mme Backès, qui s'exprimera sur ce sujet tout à l'heure.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre propos confirme donc mon observation. Vous l'avez dit, le pouvoir politique, c'est-à-dire le ministre et son directeur de cabinet, ont le pouvoir de décider et de signer. L'administration, vous l'avez dit d'ailleurs dans votre propos introductif, met en oeuvre, mais le périmètre étant conforme à celui de votre ministère et non plus sous un cadre interministériel, cela vous donne les pleins pouvoirs de décision. Cela paraît, de ce côté-là, indiscutable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ni le ministre ni le cabinet ne signent d'attribution de subventions, puisque c'est la question qui nous préoccupe aujourd'hui. À aucun moment le ministre ni le cabinet ne mettent en paiement des crédits ou ne signent des chèques. C'est la prérogative de l'administration, et à aucun moment nous n'avons la volonté ni même le pouvoir matériel de le faire. Je suis donc claire sur ce sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir, parce qu'il y a manifestement des zones de conflit entre les auditions et les déclarations des uns et des autres.

À ce stade, une dernière question : vous avez annoncé, le 31 mars 2021, la suppression de l'Observatoire de la laïcité, soit quelques jours avant l'annonce, le 20 avril, de la création du Fonds Marianne. À l'époque, le Gouvernement avait fait l'objet de critiques, parfois assez vives, considérant qu'il était porteur d'une vision très centralisée de la laïcité et, je cite « évitant d'avoir une pluralité de voix à l'intérieur de l'espace public ».

Le Fonds Marianne s'inscrivait-il dans cette logique visant à avoir un message plutôt unique, voire unitaire et donc cohérent sur la laïcité, notamment, en prévoyant de contractualiser avec des associations s'inscrivant dans cette cohérence de la parole ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - S'agissant de l'Observatoire de la laïcité, l'annonce a été faite par M. le Premier ministre de l'époque, Jean Castex, auprès de qui l'Observatoire de la laïcité était rattaché. C'est une organisation qui dépendait de Matignon, qui a produit de nombreux rapports et qui a fait un travail d'observation de la laïcité et de contribution au débat public. C'est un apport important qui, je crois, n'a pas été contesté ou remis en cause, en tout cas dans la qualité des rapports et du travail mené par cette organisation plurielle, pour reprendre votre expression.

C'est donc le Premier ministre qui annonce le fait que le Gouvernement met fin à l'Observatoire de la laïcité, non pas sur une question de désaccord de ligne mais, à ma connaissance, parce que nous entendons passer à un autre mode d'action. Vous aviez un observatoire qui observait, produisait des rapports ou des recommandations, et nous avons souhaité, avec M. le Premier ministre de l'époque, créer non seulement un Comité interministériel à la laïcité qui soit chargé de la réflexion et de l'impulsion d'actions concrètes et de politiques publiques portées par le Gouvernement sur la question de la laïcité, mais aussi un bureau de la laïcité. Il n'y en avait pas précédemment au ministère de l'intérieur. Il y avait un bureau des cultes, mais pas de bureau de la laïcité.

Nous l'avons donc créé afin de faire en sorte de passer, si vous me permettez l'expression, de l'observation à l'action en la matière, et à la possibilité de coordonner les actions menées en matière de laïcité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous choisissez donc, dans l'esprit des travaux de l'Observatoire, de passer à l'action, fort de la volonté d'agir au regard des événements consécutifs à l'assassinat de Samuel Paty.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je crois qu'aucun acteur membre de l'ancien Observatoire de la laïcité souhaiterait ne pas agir face au terrorisme. Je n'ai jamais dit cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ne vous méprenez pas : je n'ai pas du tout mis en doute...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne comprends peut-être pas votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites : « On observe, on agit. Il est mis fin à l'Observatoire ». Je veux juste m'assurer - c'était le sens de ma question - que la volonté d'agir s'inscrit dans le droit fil des travaux de l'Observatoire et du nouveau contexte.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très sincèrement, étant sous serment, je ne peux pas me prononcer sur l'intégralité des rapports émis pendant des années par l'Observatoire de la laïcité, ne les ayant pas sous les yeux avec moi - si c'est bien la question, mais je ne suis pas sûre de l'avoir comprise.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il n'y a pas de chausse-trappe.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est donc ma réponse.

M. Claude Raynal, président. - De toute façon, madame la ministre, nous allons revenir sur l'ensemble des sujets que nous avons évoqués, mais un peu plus dans le détail, pour valider ou non les positions que vous avez exprimées.

Je vais changer de registre, et on va en venir directement sur le dossier sans doute le plus compliqué, qui a donné lieu d'ailleurs à un rapport spécifique de l'inspection générale de l'administration, mettant en lumière un certain nombre de difficultés, dans des termes que je qualifierais d'extrêmement durs.

Le premier point concerne les contacts avec M. Mohamed Sifaoui avant mars 2021, avant votre entrée en fonction, puis après celle-ci. Dans quel contexte vous êtes-vous connus et quels ont été vos échanges, s'il y en a eu ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sur la question de l'Union fédérative des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), le rapport de l'IGA, qui est dur mais factuel, est me semble-t-il documenté.

M. Claude Raynal, président. - Je vous interromps, si vous le voulez bien : on reviendra sur l'association après. On a bien compris que l'association arrivait dans un deuxième temps, très proche d'ailleurs de la réponse au Fonds Marianne. Dans un premier temps, où avez-vous rencontré M. Sifaoui ? Quel était l'état de vos relations ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre question va me permettre, je l'espère, de clarifier un certain nombre de choses. J'ai eu l'occasion de le dire, mais je le redis sous serment et dans ce contexte, face à cette commission : je ne suis pas une amie de M. Sifaoui.

Je le dis parce que, dans un premier temps, c'est ce qui a été rapporté. Je le démens. Il est difficile de démontrer qu'on n'est pas ami avec quelqu'un. M. Sifaoui lui--même s'est exprimé sur BFMTV et a dit également : « je ne suis pas un ami de Mme Schiappa ».

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, le terme « ami » est un mot-valise : ami politique, ami sur un objectif qui est la laïcité...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais donc éliminer une par une toutes ces hypothèses, si vous me le permettez. Je ne suis pas une amie de M. Sifaoui. Je n'ai aucune relation personnelle avec M. Sifaoui, d'aucune sorte, et je n'en ai jamais eu. Je ne suis pas, avec M. Sifaoui, membre des mêmes organisations. Nous ne nous retrouvons pas dans telle ou telle association ou organisation, en dehors de mon action ministérielle.

Je n'ai l'occasion de rencontrer M. Sifaoui dans aucun lieu privé, ni chez lui ni chez moi ni dans une activité sportive, et je peux vous faire l'intégralité de la liste.

Je ne connais pas sa vie personnelle ni sa famille, il ne connaît pas la mienne, bref, nous ne sommes pas amis. Nous ne sommes pas d'anciens associés. Nous n'avons pas d'intérêts communs et nous ne sommes ensemble, à ma connaissance, membre d'aucune organisation, puisque c'est ce que sous-entendent certaines formulations - pas les vôtres, monsieur le président.

M. Sifaoui, je le vois à plusieurs reprises, et pas en tête-à-tête. Je tiens à le dire ici, parce que l'un des témoignages qui a été apporté devant votre commission a affirmé que j'aurais reçu personnellement en tête-à-tête M. Sifaoui au mois de mars, et que ce serait à cette occasion que je lui aurais annoncé qu'il aurait une subvention ou qu'il serait éligible au Fonds Marianne. C'est faux, je tiens à le dire ici sous serment.

C'est faux et c'est documenté par l'ensemble de mon agenda et des échanges de messages avec mon cabinet. J'ai un message d'un de mes conseillers, daté environ du 20 avril, peu ou prou, qui m'interpelle en me disant que je n'ai pas rencontré M. Sifaoui. De mémoire, dans son mail, il dit : « vous devriez recevoir M. Sifaoui ».

J'ai participé à des événements ministériels auquel M. Sifaoui était présent. J'ai fait notamment - je l'ai lu dans la presse ou dans un rapport, parce que je n'en avais pas le souvenir - un déplacement dans le Tarn où, à ma connaissance, M. Sifaoui avait été convié par le Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) pour délivrer une formation à cette occasion. Je n'ai pas convié moi-même M. Sifaoui à venir. J'étais présente et il était présent.

Il a également participé à une visioconférence avec d'autres experts, que je peux citer si vous le souhaitez, dans le cadre des travaux préparatoires à la loi séparatisme, puisqu'il était un interlocuteur du CIPDR.

M. Sifaoui était en lien avec le CIPDR longtemps avant ma propre nomination. Il y a des comptes rendus qui sont dans les dossiers qui montrent qu'il est reçu et qu'il a des entretiens avec le CIPDR, ce qui n'est pas anormal puisque c'est à ce moment un acteur reconnu de l'écosystème de la lutte contre l'islamisme qui a publié des ouvrages sur le sujet. Il fait des interventions et fait donc partie des acteurs consultés par le CIPDR, mais je tiens à être claire et formelle sur le fait que nous ne sommes pas amis. Nous n'avons pas de relations personnelles et nous n'avons pas, à ma connaissance, d'intérêts communs ou d'appartenance commune à telle ou telle organisation. J'espère avoir été claire.

M. Claude Raynal, président. - La réponse est claire en tout cas. Dans le rapport de l'IGA - puisque, vous le savez, nous n'avons pu entendre sous serment M. Sifaoui, nous avons malheureusement décalé son audition à demain -, il est indiqué que M. Sifaoui a affirmé qu'il y a eu six réunions entre lui et votre cabinet en mars et avril 2021 et qu'il y a eu un échange avec vous durant deux de ces réunions. Votre directeur de cabinet a dit que vous êtes en fait venue le saluer « cursivement ». Vous nous direz quels ont pu être les échanges que vous avez eus à ce moment-là avec M. Sifaoui, si vous le voulez bien et si vous vous en souvenez avec précision et, le cas échéant, si cela est vrai. Je parle des six rencontres. Ce n'est pas une rencontre, ce n'est pas deux rencontres, ce sont six rencontres.

Quelles étaient donc les réunions en question et sur quoi portaient les discussions ? C'est un point extrêmement important, vous le comprenez. Je le remets dans la chronologie des faits. Nous sommes là avant même l'appel à projets du Fonds Marianne.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je ne sais pas si les six rencontres ont lieu avec mon cabinet ou l'administration. J'ai lu le chiffre de six rencontres. Un journal a d'ailleurs fait un raccourci en disant qu'il s'agissait de six rencontres avec moi. J'espère qu'il est clair aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Dans ces discussions, je ne sais pas ce qui se dit entre mon cabinet et M. Sifaoui. Je ne peux qu'imaginer qu'ils parlent de lutte contre l'islamiste, contre le cyber-islamisme, que M. Sifaoui, peut-être, fait part des projets qui sont les siens.

En ce qui concerne les fois où je l'ai salué, peut-être suis-je allée le saluer et que je ne m'en souviens pas - on parle de faits d'il y a quasiment deux ans. M. le préfet Jallet dit, et je n'ai pas de raison de ne pas le croire, que je suis venue saluer M. Sifaoui lors d'un rendez-vous du 22 avril, si ma mémoire est bonne. C'est tout à fait probable. Cela m'arrive fréquemment de venir saluer par courtoisie les gens qui sont reçus par les membres de mon cabinet. Je n'ai pas souvenir de ce que j'ai pu lui dire au moment de le saluer mais, si c'est la question, je ne lui ai pas dit que j'allais lui attribuer une subvention ou lui faire attribuer une subvention. Je ne le fais jamais. C'est donc très clair.

M. Claude Raynal, président. - Ni même l'encourager à déposer un dossier dans le cas du Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très honnêtement, ce n'est pas impossible. J'encourage les gens à déposer des dossiers. Je le fais tout le temps. Je suis aujourd'hui chargée de l'économie sociale et solidaire. Dans les dernières semaines, j'ai reçu des gens qui m'ont dit qu'ils souhaitaient pouvoir être subventionnés, et je leur ai dit : « je vous encourage vivement à déposer un dossier auprès de l'administration pour que l'administration l'instruise ». Encourager quelqu'un à déposer un dossier, cela ne veut pas dire qu'on va le soutenir. C'est une formule générale, qui signifie que le dossier sera renvoyé à l'administration et étudié. C'est en tout cas comme cela que je conçois les choses.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous dites donc qu'il y a peut-être eu six réunions avec votre cabinet. Vous ne savez pas. Vous nous dites : « Je ne sais pas ce qui s'est dit entre mon cabinet et M. Sifaoui ». La question du Fonds Marianne est maintenant sur la table depuis quelques mois. Vous n'avez pas interrogé votre directeur de cabinet entre-temps pour préparer cette audition ?

Ce que je veux dire c'est qu'il est difficile d'imaginer qu'un ministre et son cabinet ne fonctionnent pas en totale confiance et que toutes les informations ne sont pas transmises.. On connaît bien les structures des cabinets, on connaît bien leur manière de travailler. Je ne peux pas imaginer un directeur de cabinet ou un conseiller spécial chargé de ces questions avancer, dans le cadre de six réunions, si elles ont eu lieu - pour l'instant, on n'a pas de confirmation de votre part - sans vous faire un reporting, une note ou tenir un propos oral.

Je rappelle qu'on est sur un sujet sur lequel votre communication, la communication du ministère, a été extrêmement forte. C'est un sujet qui est encore dans tous les esprits aujourd'hui. Samedi, par exemple, je vais à Toulouse pour l'inauguration d'une rue Samuel Paty. Il est dans tous les esprits.

Vous êtes sur un sujet qui est sensible, vous êtes sur une position politique affichée et vous ne suivriez pas les discussions entre votre cabinet et M. Sifaoui ? J'ai un peu de mal à le croire. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sauf erreur de ma part, il me semble que ce n'est pas le préfet Jallet, mon directeur de cabinet à ce moment-là, qui reçoit M. Sifaoui. Je pense - mais c'est à vérifier, sauf élément contraire - qu'il est reçu par l'administration et des membres de mon cabinet, et notamment, je vous le disais, dans le cadre de la préparation de la loi dite séparatisme, pour conforter les principes de la République.

M. Claude Raynal, président. - On est en avril 2021. On est déjà bien après la réflexion préalable à la loi, me semble-t-il.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous me parlez d'avril 2021 ? Mais les six rencontres n'ont pas lieu en avril 2021.

M. Claude Raynal, président. - L'IGA parle de mars et avril 2021. On n'est pas sur la préparation de la loi confortant le respect des principes de la République. C'est avant qu'il y a eu des visioconférences avec différents experts.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument. C'est ce que je mentionnais dans mon propos.

Vous l'avez très justement dit, il y a une relation de confiance entre un ministre et son cabinet. En tout cas - peut-être est-ce une erreur -, mais c'est comme cela que je fonctionne. Je ne vais pas, par exemple, regarder les agendas des membres de mon cabinet, et je ne leur demande pas quotidiennement qui ils ont reçu ou avec qui ils ont échangé. Il y a des réunions thématiques globales, et c'est à cette occasion que les membres du cabinet font état des personnes qu'ils ont vues.

En revanche, ce que je peux vous dire matériellement, puisque j'en ai la trace, ce que j'ai retrouvé dans mes mails auxquels vous aurez accès, c'est que des membres de mon cabinet reçoivent M. Sifaoui lorsqu'il présente un projet. Il dit qu'il a un projet de contre-discours sur le cyber-islamisme, et c'est à cette occasion que mon cabinet m'adresse un mail - c'est la seule trace écrite que j'ai relative à un rendez-vous entre des membres de mon cabinet et M. Sifaoui. Dans ce mail, ils m'expliquent le projet.

C'est d'ailleurs à ce mail que je réponds, puisqu'ils me détaillent les montants du projet - pardon pour la familiarité, mais c'est un échange qui avait vocation, à ce moment-là, à être personnel : « 300 K€ d'argent de l'État pour ce projet, cela me paraît énormissime ». C'est ma réponse, et je me réjouis aujourd'hui de l'avoir faite par écrit, parce que cela démontre bien que j'ai trouvé que ce projet était trop coûteux. On me demande mon premier avis. Mon conseiller, dans une discussion informelle, me parle d'un projet. Ma première réponse et mon impulsion sont de dire : « c'est trop cher ». S'ensuivent ensuite des échanges par écrit, qui sont documentés, que l'IGA a eus et que vous aurez également ou que vous avez peut-être déjà, dans lesquels on discute de ce projet, des membres de mon cabinet soutenant le projet et le détaillant, le directeur de cabinet rappelant qu'il y a une procédure, rappelant par écrit ses étapes et invitant à ne pas débattre de cette sorte, mais à intégrer ce projet dans le cadre du comité de sélection ou, en tout cas de la procédure qui existe. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Claude Raynal, président. - Partiellement. La question est quand même très simple, quand il y a une position d'un cabinet, notamment écrite, elle engage son ministre. On est bien d'accord ? Il y a une responsabilité conjointe, ce qui me permet d'ailleurs de vous dire toute de suite, madame la ministre, que ni dans votre propos introductif ni à quelque moment que ce soit jusqu'à présent vous n'avez mis en cause, en jeu ou même en discussion votre propre responsabilité. Pour l'instant, vous dites : « c'est l'administration, c'est le cabinet ».

Non, madame : quand le cabinet prend une position, elle est supposée être la position de la ministre ou du ministre. De manière générale, c'est comme cela que les choses se font - et heureusement parce que sinon, quelle serait la qualité d'une intervention du cabinet s'il ne portait pas la voix du ministre ? Il me paraît très important de revenir là-dessus.

On a plusieurs échanges sur plusieurs associations mais, entre le 9 et le 13 avril, votre conseiller spécial interroge le CIPDR sur la bonne réception de la demande de M. Sifaoui. M. Sifaoui a indiqué, sur Twitter - encore une fois, je le prends avec précaution : « Je n'ai pas pris cette initiative spontanément. J'y ai été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Mme Schiappa et par elle-même », à l'occasion sans doute de ce petit contact cursif. « Je suis donc quelque peu scandalisé en constatant qu'elle participe gentiment au lynchage. Ce sont les membres du cabinet de Marlène Schiappa qui ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne ». Une chose est d'avoir un contact, une autre est d'encourager. Je reprends les termes : « les membres du cabinet ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne ». On a des échanges de votre cabinet avec le secrétariat général pour avoir des informations, savoir si le dossier de candidature est bien arrivé, si on peut l'intégrer. Ces échanges vont très loin.

Le directeur de cabinet de Mme Backès nous a fait une démonstration que je trouve assez juste et assez classique : un cabinet reçoit souvent des demandes, est sollicité. C'est évident. Lorsqu'il est sollicité, la tradition, la méthode, l'organisation veulent que le cabinet ou le ministre transmette pour analyse à son administration le dossier présenté et se garde bien, jusqu'à ce que le dossier fasse l'objet d'un rapport par l'administration, d'intervenir sur le sujet.

Là, on est sur quelque chose de très différent. Il y aurait eu une sollicitation. Vous ne pouvez pas nous répondre : « je ne sais pas ce que le cabinet a fait, s'il a appelé M. Sifaoui, s'il ne l'a pas appelé, si c'est M. Sifaoui, de sa propre autorité, qui est venu ». Ce n'est pas ce que nous disent les auditions ou l'IGA. M. Gravel nous dit qu'il a reçu un coup de fil de M. Sifaoui. On n'est pas du tout dans la transmission par le cabinet à l'administration, mais bien sur quelque chose de totalement différent.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, en ce qui concerne ma responsabilité, je ne me défausse pas, je ne me dérobe pas, je suis là devant vous et j'entends endosser ma responsabilité, toute ma responsabilité, mais rien que ma responsabilité. Que le ministre soit comptable, rende des comptes et soit responsable devant le Parlement de l'action menée non seulement par lui-même mais aussi par son cabinet et son administration est politiquement normal, et c'est pourquoi je suis là autant que de besoin, maintenant et dans l'avenir, si vous avez besoin de compléments d'informations. J'ai toujours, en toutes circonstances, pris mes responsabilités. J'ai énormément de défauts, mais certainement pas celui de me dérober !

Je suis là et je vous réponds dans toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité.

M. Claude Raynal, président. - Cela me paraît clair, de même que l'on parle bien de responsabilité et pas de culpabilité.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je l'espère bien. Je ne l'ai pas entendu. Je parle de responsabilité. À ma connaissance, je ne suis accusée de rien. Je suis là pour vous aider à établir des faits, la matérialité des faits, en dehors des commentaires des uns et des autres, et la chronologie des faits.

D'ailleurs, je n'ai pas non plus à préjuger de la culpabilité de quelque acteur que ce soit, puisqu'il y a une instruction judiciaire en cours qui les concerne et qui ne me concerne pas.

M. Claude Raynal, président. - Et qui ne nous concerne pas non plus !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien évidemment. Tout cela pour dire que mon cabinet a fait confiance à un acteur qui, à ce moment-là, est un acteur reconnu de ce sujet, M. Sifaoui, qui est déjà soutenu par le CIPDR. Il y a des rencontres avec l'administration qui sont documentées. Un site de M. Sifaoui, Islamoscope, est référencé comme partenaire du CIPDR. Il y a une réelle antériorité.

Je réponds pour ce que j'ai fait, je n'ai pas connaissance d'autres échanges personnels, mais vous-même et la justice le direz peut-être. Je suis formelle, je vous le dis sous serment : je n'ai à aucun moment demandé ou passé commande pour que M. Sifaoui soit priorisé ou mis au-dessus de la pile. Je n'avais aucune raison de le faire, et je ne l'ai pas fait.

D'ailleurs, le rapport de l'IGA est très clair sur ma responsabilité dans le cadre du processus de sélection, puisqu'il établit qu'après avoir impulsé cette politique publique, « la ministre s'est effacée du processus de sélection ». C'est la conclusion écrite du rapport de l'IGA.

M. Claude Raynal, président. - Excusez-moi de vous reprendre. Le rapport ne dit pas cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il y a cette phrase stricto sensu dans le rapport.

M. Claude Raynal, président. - Absolument pas ! La phrase est : « l'ensemble des témoignages recueillis indique au demeurant que la ministre déléguée s'est effacée du processus ». Surtout, l'Inspection générale de l'administration a pour rôle de contrôler l'administration. Elle n'est pas là pour porter un jugement de responsabilités politiques, en aucune façon. Elle ne l'a jamais fait.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous me demandez ma parole. Je vous donne ma parole, et sous serment : je vous dis que je n'ai à aucun moment priorisé moi-même ni demandé de prioriser le dossier de M. Sifaoui. J'ajoute que je n'avais aucune raison de demander à prioriser le dossier de M. Sifaoui et que je ne l'ai pas fait.

Au demeurant, ce dossier était soutenu par l'administration, par le CIPDR, puisque manifestement il a été donné un avis favorable, de manière unanime, au fait de pouvoir financer ce dossier par l'ensemble des membres du comité de sélection, c'est-à-dire tant les membres du cabinet que les membres de l'administration. C'est en tout cas les éléments dont je dispose.

M. Claude Raynal, président. - En même temps, vous savez comment les choses se passent : lorsqu'un cabinet demande à l'administration de regarder de près un dossier, la réinterroge pour savoir s'il a bien été déposé, participe à des discussions sur le montant alloué, l'administration a quand même du mal à s'opposer - quoi qu'en pense M. Gravel qui, par ailleurs, a dit plutôt du bien de M. Sifaoui lors de son audition. Quand un cabinet parle à son administration, il représente toujours le ou la ministre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais rester sur la chronologie des faits parce que j'ai toujours, à ce stade, quelques difficultés à m'y retrouver. Vous avez parlé de matérialité et de chronologie. Je suis assez basique, parce que le calendrier est ce qu'il est. Vous avez tout à l'heure évoqué un mail du 20 avril. Je vais me permettre de vous corriger : ce qui nous a été transmis, c'est un mail du 6 avril et non pas du 20, adressé à votre cabinet, qui indiquait le montant de 300 000 euros, qualifié d'énormissime.

Mais le 9 avril, trois jours après, l'USEPPM envoie tout de même une demande de subvention de 635 000 euros, qui sera réduite à 300 000 euros le 13 avril 2021, lors du comité de programmation du FIPDR. Je rappelle qu'à ce stade, le Fonds Marianne n'est pas créé.

Est-ce qu'on doit en déduire que la décision d'octroyer les 300 000 euros à l'USEPPM a finalement été non seulement envisagée mais actée par vos équipes et votre cabinet, en amont même du comité de programmation, dont je rappelle qu'il s'est tenu le 13 avril, et donc avant même le dépôt officiel de la demande de subvention ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je tiens à vous dire que mon point de vue sur ce montant n'a changé à aucun moment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas la question. La question, maintenant, c'est la procédure, les montants et la séquence dans laquelle la subvention est déjà pré-accordée.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais c'est le regard qu'on porte sur un montant qui procède d'un arbitrage ou d'un non-arbitrage. Mon point de vue, je l'ai donné à mon cabinet par écrit, et j'ai dit que, pour moi, 300 000 euros, c'était une somme énorme, de surcroît si l'État était le seul financeur. C'est pourquoi, à ma connaissance, rétrospectivement, quand je recoupe aujourd'hui les éléments, il aurait été demandé à M. Sifaoui de trouver des cofinancements, d'après ce que j'ai compris.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends. Je vous demande simplement de confirmer le séquençage entre le 6 et le 13 avril. Est-ce qu'il est conforme ou est-ce que je commets une erreur ? Est-ce que c'est la manière de procéder ? Est-ce que c'était finalement une subvention fléchée, avant même le Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne peux pas vous dire ce qui a procédé au changement de montant dans la demande. Pardon si je comprends mal la question.

M. Claude Raynal, président. - C'est une question importante. Selon nous, elle démontre que le cabinet vous a questionné sur un montant de subvention à cette association, l'USEPPM, avant même que tout dossier soit déposé au CIPDR. Il n'y a pas de dossier déposé, et votre cabinet vous interroge sur un montant de 300 000 euros qui pourrait être affecté à l'USEPPM, ce à quoi vous répondez : « C'est énormissime ».

Mais la demande réelle arrive après, ce qui tend tout simplement à dire qu'il y a eu une décision préalable de votre cabinet de soutenir cette association avant même de recevoir quelque dossier que ce soit, d'où d'ailleurs la demande qui est faite au CIPDR par le cabinet : « est-ce que vous avez reçu le dossier ? » parce qu'ils ont déjà une position préétablie pour 300 000 euros, en accord avec vous, sous la réserve que vous dites : « c'est énormissime ». Ils vous répondent que, politiquement, c'est jouable, que cela a du sens, etc.

Ce qui ne va pas et qui fait dire à l'IGA que ce n'est ni transparent ni équitable, c'est que des associations ont finalement fait l'objet d'arbitrages par votre cabinet, préalablement à toute demande et à tout dépôt de dossier. C'est votre mail même, que vous nous avez transmis pour exprimer votre position, qui dit que vous avez été questionnée par votre cabinet sur 300 000 euros avant même tout dossier.

Cela veut dire tout simplement que, dès le départ, cette procédure fait qu'il y a plusieurs types d'associations et qu'il y a des associations dont le sort est réglé en amont du lancement même du fonds. En tout cas, pour celle-là, les faits sont établis.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que vous contestez ces faits ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est à vérifier, mais il me semble que le mail de mon conseiller ne fait pas référence au Fonds Marianne.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le sujet !

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Ne mélangez pas. Je vous ai donné une matérialité, une séquence. Je vous demande si vous contestez les éléments que je vous ai présentés. La question est claire : si des versements ont été fléchés par avance, vous le dites et cela clarifie les choses.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je suis comme vous : matérialité et chronologie. Matériellement, je n'ai pas de faits qui viennent dire que le cabinet donne un ordre de versement de cette subvention.

M. Claude Raynal, président. - Il ne s'agit pas de versement d'une subvention. D'abord, le versement c'est le CIPDR, c'est l'administration qui verse.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas de cela dont il s'agit, mais d'un préfléchage sur un montant de 300 000 euros qui, comme par hasard, devient la proposition du CIPDR au moment du comité. C'est tout simple.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je regarde ce dont je dispose comme faits pour ces discussions, qui ont eu lieu il y a deux ans, et je me fie à ce dont je dispose. Manifestement les membres de mon cabinet, tout comme le CIPDR, étaient en soutien de l'initiative portée par M. Sifaoui. Leur mail démontre qu'ils ont un enthousiasme vis-à-vis de son projet. Je n'ai pas d'éléments qui vise à dire que le cabinet aurait à ce moment-là arbitré ou décidé quelque chose avant le comité de sélection, et je tiens à rappeler par quelle porte d'entrée arrive M. Sifaoui : c'est par le SGCIPDR, avec lequel il travaillait ou entretenait des relations précédemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous venez de nous dire que l'un et l'autre, le cabinet et le CIPDR, travaillaient avec enthousiasme et que vous validez finalement leur enthousiasme dans un même enthousiasme - j'interprète.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non, je n'ai pas d'élément matériel qui démontre cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je note que vous n'avez pas contesté la matérialité des séquences, ce qui est pour moi un élément de réponse qui nous permettra ensuite, madame la ministre, de rendre nos conclusions.

Je ne tire pas d'enseignement particulier. J'avais simplement besoin de vérifier le déroulement et la chronologie des faits. Si vous me le permettez, je voudrais savoir pour quelle raison, au final, il a été décidé d'attribuer ces 300 000 euros à l'USEPPM. Pourquoi, ensuite, a-t-elle déposé une demande de projet à 355 000 euros dans le cadre du Fonds Marianne ? Les 55 000 euros supplémentaires s'expliquent-ils par une idée géniale des porteurs de projet ? Y a-t-il eu un échange avec le CIPDR, votre cabinet, voire vous-même, au cours d'échanges dits cursifs ? J'ai simplement besoin de savoir quel est le rôle que chacun a pu tenir.

Nous devons faire la lumière, au titre de la mission de contrôle de l'action du Gouvernement et de la dépense publique, qui plus est avec des associations. Comme l'a dit un de nos collègues, parfois, dans nos collectivités pour 1 000 euros, il faut montrer patte blanche et avoir un dossier très carré.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je souscris parfaitement à vos propos. Je me permets simplement de dire que je n'ai dans mes réponses ni confirmé ni infirmé cette chronologie. Je ne connais pas les échanges qui ont pu avoir lieu sur ce sujet. Tout ce que je sais matériellement, c'est que le comité de sélection est unanime sur le soutien qu'il faut apporter à M. Sifaoui. Je ne me mêle pas du montant, à part cette remarque, en amont, où je dis que je trouve que c'est énorme. Le comité de sélection propose un montant, se met d'accord sur un bénéficiaire, qui est l'association dans laquelle est M. Sifaoui, et se met d'accord sur ce montant. Je ne biffe pas ce montant ni dans un sens ni dans l'autre. Je ne donne pas d'avis sur ce montant in fine.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous n'en donnez pas, mais vous ne l'invalidez pas, contrairement à d'autres.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non. Dans la liste finale qu'on me présente, il y a des noms et des montants, et je n'ai pas de modification à apporter.

Pourquoi est-ce que je ne le fais pas ? Ce n'est pas un désintérêt de ma part. Je reviens à ce que je disais : on peut le déplorer, on peut estimer que j'aurais dû le faire mais, en tout cas, je ne me suis pas mêlée d'ingénierie. Je ne suis pas directeur d'administration, préfète ou chargée de mission. Il ne me revient pas l'attribution, dossier par dossier, de chaque subvention. On n'a pas sollicité d'arbitrage in fine, puisqu'il y avait un consensus. Cela a donc été engagé de la sorte sur ce dossier-là.

M. Claude Raynal, président. - On va y revenir, madame la ministre, mais en réalité, la chronologie, c'est vous qui la donnez. Elle n'est donc pas fausse par nature. Vous nous avez transmis un mail du 6 avril, antérieur au dépôt du dossier, qui est le 9 avril. Le 6 avril, votre cabinet arbitre donc sur un montant de 300 000 euros qui, comme par hasard, devient le montant qui est présenté au comité qui suit. C'est la chronologie que vous avez donnée. La date de votre mail est juste. À partir de là, tout le reste est imbriqué.

M. Roger Karoutchi. - Certains ici ont une expérience ministérielle et savent très bien qu'on ne demande pas aux membres de son cabinet de faire rapport sur tout. On ne vérifie pas leurs agendas - et heureusement ! - ni qui ils reçoivent - et heureusement ! On aurait des problèmes en sens inverse.

Mais dans cette affaire qui est aujourd'hui l'objet de la commission d'enquête, il y a un élément un peu curieux. Vous dites vous-même- et je veux bien vous croire - qu'il y avait un comité pour sélectionner les projets. Vous n'avez pas à intervenir sur le montant des subventions. Vous n'avez pas d'ailleurs à faire le choix, c'est au comité de sélection de le faire.

Dans ces conditions, pourquoi votre cabinet vous interpelle-t-il sur la somme qui serait attribuée à M. Sifaoui avant le comité de programmation ? Vous répondez vous-même, c'est très bien de l'avoir fait : « La somme me paraît énormissime ». Cela semble indiquer, madame la ministre, qu'en réalité, il est probable que votre directeur de cabinet a peut-être fait une présélection avant le comité, qu'on vous a soumis quelques idées ou, en tout cas, quelques montants, et que vous avez réagi au moins sur le plus important, celui de M. Sifaoui.

D'ailleurs, vous dites vous-même que lorsque l'association de M. Sifaoui a demandé 635 000 euros, votre cabinet lui a proposé de trouver des financements complémentaires ailleurs, ce qui revient à dire qu'avant même que le comité de programmation se réunisse et décide, le projet de M. Sifaoui avait été plus ou moins validé par votre cabinet. On avait compris que cela coûterait plus cher que 300 000 euros et on lui avait proposé de trouver des financements privés parallèles.

On a un peu le sentiment qu'en réalité, sans que vous soyez forcément vous-même totalement impliquée, le cabinet avait pris le pas sur l'administration pour décider.

M. Vincent Éblé. - Je voudrais vous interroger sur le subventionnement d'une association dont il n'a pas encore été beaucoup fait état dans nos discussions d'aujourd'hui, qui est l'association Reconstruire le commun.

Comme vous le savez sans doute, cette association a été constituée seulement quelques semaines avant de bénéficier des subventions d'État, ce qui est une chose qui, personnellement, m'a beaucoup surpris car j'ai présidé une collectivité importante durant onze années, le conseil départemental de Seine-et-Marne. Jamais, en onze années, nous n'avons subventionné une association qui venait d'être constituée, tout simplement parce que, dans les conditions que nous émettons pour subventionner une association, fût-ce de quelques centaines d'euros - a fortiori pour plus de 300 000 euros -, nous demandons à disposer au moins des comptes d'un exercice annuel entier de l'association. On ne subventionne donc qu'à partir d'une année complète d'existence. C'est une précaution qui me paraît normale.

Je voudrais vous demander si vous aviez connaissance, lorsque vous avez validé l'ensemble des subventions accordées dans le cadre de cet appel à projets, du fait que cette association était de création récente ou si vous l'ignoriez.

Est-ce que ce conditionnement qui, semble-t-il, n'existe pas, a fait l'objet de discussions avec vos collaborateurs au sein du cabinet, avec les administrations en question ? Si c'est le cas, est-ce qu'il a été sciemment décidé que ce n'était pas grave de subventionner une association aussi récente ? L'évolution assez rapide des questions auxquelles le Fonds Marianne est destiné à répondre pouvait-elle justifier de retenir une jeune association ou bien tout cela est-il hors de votre visibilité de ministre, hors des radars ?

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, vous gardez en mémoire cette deuxième question. Le sujet sur Reconstruire le commun sera abordé un peu plus tard.

M. Victorin Lurel. - J'avais l'intention d'interroger la ministre sur l'USEPPM, qui est une union de sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. L'Observatoire de la laïcité a été dissous, et vous avez créé le Fonds Marianne pour lutter contre le séparatisme et développer un contre-discours républicain.

J'aimerais savoir quelle est votre vision de ce contre-discours républicain. Qu'est-ce qu'on reprochait à l'Observatoire de la laïcité pour passer à une préparation militaire et peut-être paramilitaire ?

C'est bien le nom de l'association ? C'est une vieille association endormie, qui s'est réveillée et qui reçoit des subventions. Quelle était votre vision de ce discours contre-républicain ? Quels étaient les liens avec certains essayistes ? Quelle était votre inspiration et quelle était la teneur de ce discours ? Avez-vous également des liens avec le Printemps républicain ?

M. Vincent Segouin. -M. Gravel a déclaré qu'il a appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du Fonds Marianne lors d'un appel téléphonique de Mohamed Sifaoui : « il me dit sortir d'un rendez-vous avec la ministre ». Nous sommes en mars 2021. Qu'en est-il ? Est-ce vrai ?

M. Daniel Breuiller. - Pour mettre en place ce contre-discours républicain, avez-vous demandé à votre cabinet et à l'administration de chercher des acteurs ou des associations dont l'action était déjà visible et réputée ? Vous dites : « je n'avais aucune raison d'appuyer M. Sifaoui ». Aviez-vous des raisons inverses de ne pas l'appuyer, et comment se fait-il que l'administration semble dialoguer avec un acteur avant de dialoguer avec une association ? Il me semblait qu'on allait chercher dans les associations déjà engagées dans cette action plutôt que de cibler des acteurs. Vouliez-vous qu'il y ait des acteurs ou vouliez-vous qu'on aille chercher l'ensemble des associations qui intervenaient dans le champ de la défense des valeurs de la République ?

M. Christian Bilhac. - Il y a quelques années, j'étais dans l'Association des maires de France (AMF), et nous avions créé un groupe de travail qui avait produit un vade-mecum sur la laïcité. À cette occasion, nous avions auditionné beaucoup des acteurs de terrain que vous avez cités, qui font un travail remarquable dans la défense de la laïcité et des valeurs de la République.

Il s'agit pour beaucoup d'entre eux de clubs sportifs qui travaillent auprès des jeunes, essentiellement de football ou de boxe. Quelle dotation ont obtenu ces clubs qui sont déjà impliqués, qui travaillent déjà dans les quartiers, qui ont une existence reconnue ? Je n'ai pas souvenance, par contre, d'avoir auditionné l'USEPPM comme acteur de terrain. Comment expliquer ces 300 000 euros ?

Pour conclure, je voudrais quand même dire que je crois que ce Fonds Marianne était une très bonne idée au départ, parce que nous avons besoin de défendre la République et ses valeurs. Je ne serais pas heureux si, à la fin de cette procédure, on jetait - si je peux me permettre cette expression un peu populaire - « le bébé avec l'eau du bain » et qu'on fasse ainsi plaisir aux salafistes de toutes les tendanceset à ceux qui les soutiennent !

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ce commentaire.

M. Gérard Longuet. - Je ferai exactement les mêmes observations que mon prédécesseur. Madame la ministre, vous avez été en charge d'une responsabilité extraordinairement lourde et nouvelle, celle d'aider à bâtir un discours pour défendre la laïcité républicaine vis-à-vis de populations qui, à l'égard de la religion, n'ont pas le même historique que la plupart de nos compatriotes.

Avez-vous rédigé un document de base, une charte portant sur la volonté politique et la définition de votre projet politique ? Vous êtes complètement dans votre responsabilité, vous êtes en charge d'un sujet majeur, votre équipe va le mettre en oeuvre, mobiliser un Fonds préexistant mais qui a un objectif très différent, la lutte contre la délinquance. Christian Bilhac a tout à fait raison : la délinquance dans les quartiers, l'association sportive, le foot, la boxe, c'est très bien, mais là, on parle de quelque chose de très différent : c'est un message avec un corps de doctrine. Ce qu'on reprochait justement à l'Observatoire de la laïcité, c'est de ne pas avoir de corps de doctrine, de limites et de règles de comportement.

Avez-vous eu l'occasion, le temps et la possibilité de bâtir ce corps de doctrine avant de recruter des porte-parole ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je reviens très brièvement sur votre dernier propos conclusif, monsieur le président, indiquant que, dans la chronologie, le cabinet avait arbitré les montants par mail, etc. Au risque de me répéter, je n'ai pas, dans les échanges de mails, d'arbitrage du cabinet. Je tiens à le dire pour ne pas qu'il soit retenu que j'aurai implicitement validé cela. Dans les échanges de mails, il y a des discussions. On peut voir les positions et les points de vue des uns et des autres, mais il n'y a pas d'arbitrage écrit, en tout cas matériellement, je me permets de le dire.

Monsieur le ministre Karoutchi, pour répondre à vos différentes questions, vous faites référence aux échanges de mails que j'ai eus avec mon cabinet, en observant qu'ils sont antérieurs au Fonds Marianne. C'est tout à fait juste, et c'est d'ailleurs pour cette raison que, dans ces échanges, ne figure pas de mention du Fonds Marianne à ce moment-là. Je ne dis pas que cela ne veut pas dire que les échanges ne sont pas intéressants au regard de l'instruction qui est en train d'être menée, mais on n'est pas en train d'arbitrer des subventions du Fonds Marianne. On a simplement ce compte rendu thématique d'un membre de mon cabinet sur un rendez-vous. J'ai moi-même souhaité porter ce mail à la connaissance de la commission d'enquête et le donner spontanément, parce que j'ai trouvé qu'il éclairait justement ce débat.

D'ailleurs, dans ces messages, on voit que les membres du cabinet se répondent et me répondent. Le directeur de cabinet met fin à l'échange par la nature de sa réponse, puisqu'il rappelle que, pour toute attribution de subventions, il y a une procédure. L'échange s'arrête là et est reporté aux procédures afférentes.

Il propose d'ailleurs à ce moment-là un process pour ce qui n'est pas encore le Fonds Marianne, mais qui est l'activité de « contre-discours républicain ». C'est un long mail - je pense que chacun l'a -, dans lequel il rappelle le process qu'il propose, avec une validation ministérielle in fine, mais une sélection et une instruction des dossiers par l'administration. C'est cette procédure qu'il vient détailler.

Cela me semble important parce qu'on parlait de la chaîne de hiérarchie et des responsabilités de chacun. Le directeur de cabinet, le préfet Jallet, est parfaitement dans son rôle en disant, à peu de choses près : « il y a une procédure, donc on n'en discute pas comme cela, par message ». C'est le sous-entendu de son mail quand il renvoie au comité de sélection.

Monsieur le sénateur Lurel vous avez parlé de discours contre-républicain. Il n'y a pas de discours contre-républicain - ou c'est un lapsus. Je tiens à être claire sur ce sujet et j'admets, parce que je l'ai entendu dans certains débats, que cette appellation n'est peut-être pas la plus limpide qui soit. D'ailleurs, on peut politiquement - mais c'est un autre sujet - s'interroger sur le nom qu'on donne à ce discours. Que mettons-nous dedans ? Nous y mettons le fait de répondre à tout discours dit séparatiste qui peut exister, et donc essentiellement à ce qu'on appelle le « terreau du terrorisme », aux discours de radicalisation et d'islamisme et, plus largement, qui peuvent attenter aux institutions et à la République. L'idée est d'aider les jeunes, notamment sur les réseaux sociaux, à se faire leur propre avis, à exercer leur libre arbitre et à entendre différentes positions sur ce sujet.

Je souhaite répondre à votre question sur le Printemps républicain. Je vous remercie de la poser, parce que cela va me permettre de clarifier un certain nombre de choses.

Tout d'abord, je n'ai rien contre le Printemps républicain, mais je ne suis pas membre du Printemps républicain. Je tiens à le dire ici, parce que, dans les sous-entendus qui ont été faits, non pas dans cette commission d'enquête mais dans les commentaires, on entend un peu tout et n'importe quoi. On m'attribue à tort des amis et des appartenances. Je n'ai rien contre le Printemps républicain, mais je ne suis pas plus amie avec M. Sifaoui que membre du Printemps républicain. Vous avez des images, des reportages, des photos du lancement du Printemps républicain : je n'y figure pas, et pour cause : je n'en suis pas membre. Je pourrais, ce n'est pas interdit, mais il s'avère que je ne le suis pas.

Il s'avère également que le Printemps républicain n'a pas été associé à la constitution du Fonds Marianne. À aucun moment, je ne vais voir le Printemps républicain dans le cadre du Fonds Marianne. D'ailleurs, eux-mêmes ont souhaité faire un communiqué pour dire qu'ils n'avaient été associés d'aucune manière...

M. Claude Raynal, président. - Votre position est claire, madame la ministre, et nous avons encore énormément de questions à vous poser.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous voulez que je sois brève, monsieur le président : je ne suis pas membre du Printemps républicain, c'est ma réponse.

Monsieur le sénateur Segouin, je n'ai pas annoncé à M. Sifaoui en rendez-vous qu'il aurait une subvention. J'ai dit tout à l'heure que c'était faux. Je pense que M. le préfet Gravel a dû mal comprendre ou qu'il y a une incompréhension dans la manière dont les choses se sont dites entre M. Sifaoui et M. le préfet Gravel, mais je suis formelle et les éléments matériels - agenda, messages, etc. - le démontrent. Je n'ai pas reçu M. Sifaoui dans mon bureau en mars pour lui annoncer une subvention. Je le démens et les faits démontrent que ce n'est pas possible.

Monsieur le sénateur Breuiller, je vais me répéter rapidement : je n'avais pas de raisons de soutenir M. Sifaoui et son projet. Je n'avais pas non plus de raisons de m'y opposer à ce moment-là, eu égard à ce qu'on en connaissait. Je me permets de le répéter parce que je vous ai entendu, en tant que membre ès qualités de la commission d'enquête, dire sur Public Sénat que j'étais amie avec M. Sifaoui et que c'était la République des copains. Je ne suis pas la copine de M. Sifaoui !

Monsieur le sénateur Bilhac, vous avez absolument raison sur le rôle fondamental joué par les clubs sportifs. C'est pour cela que certaines activités sportives sont d'ailleurs financées par le FIPDR au titre notamment de la prévention de la radicalisation de la délinquance. Je tiens à souligner que le Fonds Marianne a vocation à soutenir du discours en ligne sur les réseaux sociaux. On y reviendra parce que c'est important pour un des autres sujets que nous allons aborder je pense tout à l'heure : le but du Fonds Marianne n'est pas de financer des activités sportives. Ces activités sont déjà financées par ailleurs sur d'autres lignes budgétaires. Ce n'est pas son objet.

J'ai souri quand vous avez dit qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, parce que c'est ce que je répète depuis des semaines. Je crois aussi que cette politique publique de lutte contre le cyber-islamisme est fondamentale. Il ne faut pas la cesser.

Pour conclure, monsieur le sénateur Longuet, la question de la doctrine est fondamentale, je vous rejoins complètement. D'ailleurs, nous avons initié un travail de doctrine confié au secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Il y a deux sujets que je souhaite distinguer ici, qui sont la laïcité et le Fonds Marianne. Le Fonds Marianne n'est pas là pour alimenter des débats de ligne autour des questions de laïcité. Il est mis en place pour porter un discours républicain et définir ce qui nous rassemble, face notamment à des discours de radicalisation. Il y a donc une doctrine sur le cyber-islamisme qui est réalisée par les services du ministère de l'intérieur en charge de cela et une doctrine Fonds Marianne, qui donne lieu à l'appel à projets réalisé par le SGCIPDR, et j'imagine que les travaux sont dans les archives qui sont à disposition.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La transition est toute trouvée. Vous venez de parler d'appel à projets : je vais y revenir.

16 avril 2021, un mail de votre directeur de cabinet au secrétaire général du CIPDR indique que la durée de l'appel à projets doit être raccourcie et avancée. Finalement, l'appel à projets devra se tenir en trois semaines. Le préfet Gravel nous a dit qu'il était plus habituel de prévoir trois mois. Il doit avoir lieu en trois semaines, entre le 20 avril et le 10 mai, alors qu'il était initialement prévu qu'il se déroule entre le 1er mai et le 30 juin, ce qui était déjà plus court que le délai habituel.

L'appel à projets a donc été lancé quatre jours après le mail du 16 avril. Avez-vous été de près ou de loin partie prenante dans cette décision ? Quelles raisons expliquent cette accélération du calendrier ? Est-ce que vous pensez aujourd'hui, avec le recul dont vous disposez que, finalement, c'était un délai suffisant permettant de bien conduire cet appel à projets, choix original dont vous avez explicité l'orientation ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Sur la question du calendrier dans le cadre de l'appel à projets, je ne me suis pas personnellement mêlée de la mise en oeuvre et de l'ingénierie des dispositifs. Ce que je sais en revanche, c'est qu'il n'y a aucune alerte qui me remonte de la part de l'administration quant à ces délais. J'ai regardé et je n'ai pas une note ou une alerte écrite ou matérielle de l'administration disant que ce délai n'est pas tenable. Ils ne préconisent pas un autre délai en indiquant qu'ils ne sauraient pas faire dans ce délai.

Le délai de trois semaines pour recueillir les candidatures peut paraître contraint. Il est serré, mais il nous apparaissait adapté au regard de la mobilisation qui était organisée depuis des mois, puisque je rappelle - et c'est documenté - que cela fait plusieurs mois à ce moment-là que j'ai impulsé cette demande de création du Fonds Marianne. Il y a des réflexions qui étaient en cours. On en a parlé depuis plusieurs mois, et le SGCIPDR pouvait aussi s'appuyer sur l'ensemble des travaux et des entretiens menés avec les experts depuis l'automne.

J'ajoute que, dans un contexte de diminution des effectifs dans l'administration centrale au ministère de l'intérieur, on a réussi à mobiliser dix-sept recrutements supplémentaires pour le SGCIPDR au 20 avril. Cela donne à penser qu'il y a des moyens humains suffisants dans l'administration à ce moment-là pour tenir les délais.

J'ajoute, pour conclure, que les délais courts n'ont pas semblé poser de difficultés particulières, dans la mesure où il y a eu 71 dossiers qui ont été présentés dans ce délai pour candidater à cet appel à projets. Cela ne les a pas empêchés de candidater.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous voulez mon avis - mais ce n'est qu'un avis -, 71 dossiers pour un appel à projets national, c'est-à-dire moins d'un par département, sachant que vous avez déjà des opérateurs, est une réussite en demi-teinte.

En fait, ce qui continue de m'étonner, c'est que vous n'êtes jamais à l'origine de la décision. Vous l'apprenez. C'est votre administration. Le cabinet ne vous alerte pas, vous dites : « Je n'ai pas de notes ». À vous écouter, ces délais très resserrés ne nuisent pas à la qualité de la sélection, non plus qu'aux procédures à respecter pour avoir à la fois une transparence et des grilles d'analyses, pour ensuite pouvoir, en toute connaissance de cause, avec un jury le plus averti possible, procéder à une sélection.

Néanmoins - le président Raynal l'a rappelé - il y a quand même dans les acteurs qui travaillaient jusqu'à maintenant en bonne intelligence avec le Gouvernement et dans le cadre du FIPD certains qui vont forcément être intéressés et candidater. C'est leur liberté. Il y aura plus ou moins de fléchage. Cette accélération aurait même permis d'avoir une meilleure qualité de réponse et d'être plus performant, avec une méthodologie bien cadrée. C'est ce que vous pensez aujourd'hui ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce n'est que mon humble avis...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous étiez ministre, quand même ! Vous l'êtes toujours, mais plus dans la même responsabilité.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais cela ne m'empêche pas d'avoir un humble avis, que je partage avec vous aujourd'hui. C'est mon troisième ministère, la septième année que j'exerce des responsabilités ministérielles. J'ai été adjointe au maire précédemment. J'ai aussi participé à de nombreux appels à projets et j'en ai impulsé : 71 réponses pour un sujet de niche - pardonnez-moi l'expression -, c'est important.

Il ne s'agit pas là d'un appel à projets auquel le tout-venant peut répondre. Il s'agit d'un appel à projets qui s'adresse à des experts de la lutte contre la radicalisation, spécifiquement sur les réseaux sociaux ou en ligne. 71 structures qui sont touchées et qui répondent, je trouve que c'est un nombre important. Je ne vous dis pas que tout a été bien fait, parce qu'il est documenté aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Bien sûr, les choses auraient pu être faites différemment, mieux faites et, je le disais tout à l'heure, vos retours d'expérience nous dirons dans quel sens, à l'avenir, nous pourrons mieux ficeler cette procédure.

Je veux dire également que la façon dont vous présentez les choses, monsieur le rapporteur, laisse à penser que je subirais les faits. Je rappelle là encore le rôle de chacun. Le ministre suit bien sûr les commandes politiques et les dossiers qu'il a impulsés auprès de l'administration, mais il n'est pas, là encore, dans la mise en oeuvre au jour le jour ou dans l'ingénierie. Ce que veut savoir le ministre, c'est si les sujets avancent, débouchent, sont pris en main, traités, et pas nécessairement quelle est la date de rendu de la première étape des porteurs de projets. C'est en tout cas ma manière de faire. Elle n'est peut-être pas bonne, mais c'est la manière dont je suis les choses à ce moment-là.

M. Claude Raynal, président. - Madame, vous dîtes qu'ayant eu 71 réponses, cela montre que le temps a été suffisant. Quand on regarde plus en détail - et votre directeur de cabinet a d'ailleurs déjà donné un petit éclairage - on voit que 54 dossiers sur 71 ne sont pas retenus. Pour l'essentiel, ce sont des projets qui sont tout simplement hors sujet. Il s'agit de mise en ligne, de contre-discours sur les réseaux sociaux, et on vous répond assez traditionnellement sur des actions du FIPD.

Au moins une cinquantaine de dossiers passent donc à la trappe. D'autres auraient peut-être pu être retenus, et sur les dix-sept, il n'y en a que cinq, en dehors des deux gros dont on parle pour l'essentiel, qui sont nouveaux. Le reste, ce sont des associations qui ont l'habitude de travailler avec le CIPDR, qui ont le temps de répondre et qui ont aussi un contact permanent avec lui. Ils ajustent donc leurs propositions dans le domaine demandé.

Sans doute que ce domaine n'est pas facile, mais la raison, c'est aussi que le délai est tellement court que n'y répondent que ceux qui sont déjà connus du CIPDR et quelques toutes petites associations, qui proposent de tous petits projets. Finalement, deux gros projets arrivent sur le bureau, mais pas de manière identique aux autres. On n'y revient pas, mais on le réaffirme, l'un arrive par votre cabinet et l'autre plutôt par le CIPDR lui-même, qui a eu ce contact avec une association et souhaite la pousser ou l'aider.

Vous ne pouvez pas dire qu'il y a eu 71 réponses et que c'est très bon. Non : il y a eu beaucoup de réponses hors-jeu.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Raison pour laquelle je parlais d'un bilan en demi-teinte. Je ne crois pas avoir indiqué que je penserais ou pourrais croire que vous subissiez les faits. Je pense au contraire que votre parcours, vous venez de le rappeler, et votre expérience ministérielle démontrent que vous avez une capacité à faire face à beaucoup de responsabilités, et je dirais même à toutes les situations. Vous êtes aujourd'hui dans un temps où vous répondez à un questionnement, sous serment - vous l'avez dit à de multiples reprises d'ailleurs. On a à coeur de vouloir faire la lumière, comprendre, et on va s'en tenir à cela si vous le voulez bien.

Est-ce que vous aviez déjà rencontré certains des lauréats avant même la création du Fonds Marianne ? Est-ce que vous aviez eu des échanges avec certains - pour M. Sifaoui, vous l'avez dit - et avec Reconstruire le commun ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - À ma connaissance, je n'ai pas reçu les responsables de l'association Reconstruire le commun. Pour être tout à fait honnête avec vous, je n'ai pas en tête la totalité des noms ou des visages des gens qui ont pris part à ce projet, puisque j'ai cru comprendre qu'il y avait des porteurs de projets et des prestataires ou des bénévoles au sein du projet qui étaient intervenus.

Tout ce que je peux dire, c'est que je n'ai pas de relations antérieures ou personnelles avec elles ou eux, mais je ne peux pas vous certifier ne les avoir jamais croisés dans quelque endroit que ce soit ni même reçus sous d'autres casquettes. En tout cas, je n'ai pas le souvenir de les avoir reçus, mais cela ne veut pas dire que ce soit impossible.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le président Raynal vient de l'évoquer, Reconstruire le commun fait partie des associations qui ont reçu de fortes dotations. C'est une association qui était de création récente, puisqu'elle a été créée en toute fin d'année 2020 et que le premier versement de 39 000 euros, que j'appellerai d'appui à la création, a été versé au tout début de l'année 2021. On a parlé de l'USEPPM pour le manque d'expérience. Finalement, des sommes importantes dans les deux cas : l'USEPPM avec un petit budget, convenons-en, de 50 000 euros, Reconstruire le commun, une association toute nouvelle, portée sur les fonts baptismaux avec le soutien de l'État, à hauteur de 39 000 euros, à qui vous avez attribué des montants importants de subventions. Cela n'a pas provoqué d'alerte particulière au sein de votre équipe ? On ne va pas revenir sur votre message indiquant que le soutien de 300 000 euros était énormissime mais ils obtiendront tout de même davantage. Comment expliquez-vous la subvention à l'association Reconstruire le commun ?

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous en même temps répondre à la question posée préalablement par M. Éblé ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Oui, bien sûr. Je vais peut-être commencer par vous répondre, monsieur le sénateur Éblé. Le projet du Fonds Marianne, c'est aussi - et c'est pourquoi nous faisons cet appel à projets, au-delà de la volonté d'être transparents à ce moment-là -de faire émerger de nouveaux acteurs et tâcher de ne pas travailler qu'avec celles et ceux qui sont connus du CIPDR. Le but, c'est de toucher la jeunesse sur les réseaux sociaux et donc de pouvoir aussi soutenir des acteurs émergents, puisqu'il y a un caractère un peu innovant ou expérimental à ce « contre-discours » républicain - j'y mets des guillemets.

Je n'ai pas souvenir d'avoir été informée ou alertée sur les 39 000 euros que demande Reconstruire le commun. Il y a un montant de subventions qui, je le comprends, est lié au besoin de recrutement ou de formation aux médias, en tout cas c'est ce que je recoupe aujourd'hui dans les documents, mais je ne prends pas part et je n'ai pas d'alerte sur le montant de la subvention pour Reconstruire le commun.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je voudrais simplement dire, puisque vous avez évoqué les moyens dont vous disposiez et les renforts en personnel, pour que nos collègues et celles et ceux qui suivent cette audition soient parfaitement informés, qu'à ma connaissance, l'instruction des dossiers était sous la responsabilité d'une seule personne. Cette situation interroge sur la solidité de la méthode et sa transparence. C'est peut-être d'ailleurs ce qui a amené l'IGA à considérer que l'appel à projets n'avait été ni transparent ni équitable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je veux simplement porter à votre connaissance le fait que j'ai appris que les dossiers du Fonds Marianne étaient gérés par une personne qui, je crois, exerce comme chargée de mission au CIPDR, à la lecture du rapport de l'IGA et des auditions qui ont été menées dans cette commission d'enquête. Nous avions obtenu les arbitrages politiques nécessaires avec mon cabinet pour considérablement renforcer le CIPDR en moyens humains, et notamment cette action de contre-discours républicain.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je rappelle aussi qu'après les événements très graves qui sont à l'origine de la création du Fonds Marianne, le Gouvernement avait mis en place une communication puissante, notamment par vous-même, pour expliquer qu'il allait agir et monter au combat. Je ne peux pas vous laisser dire de manière placide que vous le découvrez après. Je pense qu'un ou une ministre, lorsqu'il ou elle est en action, décide d'un plan d'action et de combats pour lutter contre les séparatismes, notamment sur les réseaux sociaux, et s'assure de la mise en oeuvre.

Quand vous faites une annonce sur une telle politique, avec une telle ambition, il ne s'agit pas que cela se dégonfle ensuite comme un ballon de baudruche. Je pense que cela n'a jamais été, j'imagine, dans la tête de personne. Il y a une distorsion assez importante entre les moyens consacrés à l'examen des candidatures, sur un temps très court, resserré, avec une mise en action hyperrapide. C'est le constat factuel que je dresse à cet instant.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur, c'est votre appréciation. Elle est parfaitement légitime.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Elle est même exacte !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne la trouve pas exacte, monsieur le rapporteur, avec tout le respect que j'ai pour vous personnellement, et pour la commission plus généralement. C'est mon avis, et c'est pourquoi je me permets de vous répondre. Le Fonds Marianne, c'est une petite partie des politiques publiques qui sont menées par le Gouvernement en général, et par votre serviteure en particulier, sur la question de la lutte contre le terreau du terrorisme.

J'ai évoqué très rapidement quelques exemples dans mon propos liminaire et je ne vais pas, par respect pour le temps qui nous est imparti, dérouler la totalité de la politique publique, mais vous savez que, par exemple, l'action de renfort de Pharos est absolument fondamentale. Pharos n'est pas ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à ce moment-là. Nous obtenons des arbitrages nécessaires au plus haut niveau pour faire ouvrir Pharos 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour qu'il ait des pouvoirs importants. Nous mobilisons les plateformes, les réseaux sociaux. Nous réactivons une initiative qui avait été lancée par M. le ministre Bernard Cazeneuve, à l'époque, pour avoir une instance de dialogue avec les plateformes et les réseaux sociaux pour notamment pouvoir communiquer des informations aux enquêtes, quand il y a des contenus d'incitation au terrorisme.

Il y a également eu un projet de loi, je ne l'apprends pas aux parlementaires, puisque vous avez pris part à ces débats, notamment sur la clause portée par M. le ministre de la justice et M. le ministre de l'intérieur sur le fait qu'il est désormais pénalement répréhensible de communiquer en ligne des informations personnelles concernant une personne eu égard à une menace islamiste sous-jacente.

J'arrête là ma liste, mais en fait, la communication, que je porte avec force et que je tâcherai de continuer à porter avec force, ne porte pas que sur le Fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous êtes devant une commission d'enquête portant sur le Fonds Marianne. Je vais vous faire une dernière réponse : la personne-ressource que j'évoquais était également membre du comité de sélection. Je rappelle que, dans ce comité de sélection, il y avait également trois membres de votre cabinet. J'ai une vraie difficulté : avec trois membres de votre cabinet au sein du comité de sélection, vous ne pouviez pas ignorer la difficulté pour une seule personne à instruire l'ensemble des dossiers. Vous le saviez en temps réel.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne le savais pas. D'ailleurs, le rapport de l'IGA le documente. La chargée de mission- d'après ce que dit le rapport, car je n'en avais pas connaissance -, semble avoir demandé un renfort, renfort qui avait été refusé par sa hiérarchie au niveau administratif. C'est dans cette situation que l'IGA évoque un manque de discernement de la part de la personne qui a refusé les moyens, mais à aucun moment le manque de moyens ne remonte jusqu'à moi ni - je ne crois pas - jusqu'à mon cabinet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est assez extraordinaire ce que vous dites ! Vous êtes en train de nous dire qu'avec trois membres de votre cabinet, vous n'êtes au courant de rien sur une séquence de trois semaines d'un Fonds Marianne dont vous déclarez l'urgence à agir ! Je tire simplement un enseignement de la réalité de faits et d'actes qui sont rapportés par des voies diverses au cours des auditions. C'est tout, je propose qu'on poursuive.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Si vous me le permettez, je voudrais juste dire que le ministre échange avec le directeur d'administration et, encore aujourd'hui, dans des dossiers dont j'ai la responsabilité, je ne demande pas au directeur de l'administration quel est le nom des personnes qui sont en train d'instruire tel ou tel dossier au sein de l'administration. Ce n'est pas le rôle du ministre.

M. Claude Raynal, président. - Nous partageons votre réponse, mais ce n'est pas la question. La question est de dire que, dans le comité de sélection, il y avait trois membres de votre cabinet qui étaient informés, ne fût-ce que par la chargée de mission en question qui avait une difficulté à gérer le nombre de dossiers, etc.

Cela aurait pu remonter. C'est toujours cette fameuse relation cabinet-ministre qui est un peu un trou noir malgré tout - mais on entend votre réponse.

Il nous avait été dit que vous deviez initialement participer au comité de sélection du 21 mai du Fonds Marianne, peut-être pour l'ouvrir, peut-être pour y être présente tout au long de la réunion. En tout cas, cela ne se fait pas. Quelles en sont les raisons ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très sincèrement, je n'en ai pas souvenir. Cela me paraît orthogonal que le ministre soit lui-même dans le comité de sélection. Je n'ai pas le souvenir que cela m'ait été proposé je ne peux donc pas vous répondre. Je n'en ai pas de souvenir, et je n'ai pas d'éléments qui viennent corroborer cela.

M. Claude Raynal, président. - À l'époque, dans les documents qui nous ont été envoyés, notamment par le CIPDR, il était précisé que vous deviez ouvrir a minima le comité de sélection et, ensuite, était prévu un point presse, ce qui ne paraît pas illogique, dans la mesure où il s'agit de la traduction de la politique vous aviez initiée. Vous n'avez pas le souvenir d'un point de presse qui aurait été annulé à ce moment ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pas du tout.

M. Claude Raynal, président. - Dont acte. Vous l'avez dit, le Fonds Marianne est un élément parmi bien d'autres choses plus importantes oserais-je dire - Pharos, etc. - de ce plan général voulu ensuite par le Président de la République et le Gouvernement, qui n'appelle pas de commentaires particuliers tant nous sommes dans une période particulière.

Est-ce que, d'une façon ou d'une autre, cela a été l'objet de discussions avec votre ministre de tutelle, M. Gérald Darmanin ? Si oui, sur quoi ces discussions ont-elles porté ? Est-ce qu'il a été informé ensuite rapidement des difficultés qui sont apparues ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Traditionnellement, il y a des points de rencontre entre mon directeur de cabinet et le directeur de cabinet de mon ministre de tutelle. C'est à cette occasion qu'ils échangent sur des comptes rendus, des demandes ou des feedbacks d'activités, si j'ose dire, menées par mon cabinet.

M. Claude Raynal, président. - Très bien. Le point qui chagrine tout le monde en réalité, y compris l'IGA, c'est qu'il n'y a eu aucune grille de notation pour la sélection des projets. En réalité, on a pratiqué comme s'il s'agissait de financements à la main du politique et non pas d'un appel à projets.

Vous avez dans cette assistance, vous le savez, beaucoup d'anciens maires, d'anciens présidents de département, de collectivités. Lorsqu'une municipalité lance un appel à projets, elle est tenue par des règles. Les appels à projet débouchent notamment sur plusieurs points qui sont assez clairs, d'abord un comité qui doit être assez ouvert. Souvent on recommande d'ailleurs que le maire ne le préside pas. C'est une prudence. Ensuite, il y a forcément une grille de notation qui donne lieu à une communication et, généralement, à un retour vers les associations ou les entreprises lorsqu'elles ne sont pas sélectionnées.

Dans ce cas précis, le point qui est extraordinaire c'est qu'il n'y a à rien. On a redemandé plusieurs fois, nous pensions que ce n'était pas possible : on ne distribue pas de l'argent public sans faire un petit rapport, sans un écrit. Il n'y a pas même un rapport sur les décisions du comité de sélection : il y a juste une liste d'associations avec le montant retenu. En plus, nous le savons, ce montant a même pu être modifié après le comité de sélection - nous y reviendrons.

L'IGA a dit que ce processus n'est pas transparent. La transparence, cela se traduit a minima par un compte rendu qui précise les éléments qui justifient un traitement différencié entre les porteurs de projets. On met en place une grille de notation et on explique. Généralement, l'instruction administrative précède la phase de décision. Avant la question : « est-ce que vous pouvez ? », on demande : « est-ce que vous êtes en situation de mener à bien le projet ? ». Ce sont toutes les règles administratives, comme notamment la question de Vincent Éblé sur l'ancienneté de l'association. Toutes ces questions sont généralement dans une première partie. Si on franchit ce premier cap, ce n'est qu'ensuite que l'on est partie prenante de l'appel à projets.

Dans ce cas précis, ce n'est pas du tout le cas. Vous pouvez dire, en commentant le rapport de l'IGA- au-delà du fait que vous prenez la précaution de dire que vous ne le commentez pas, précaution purement oratoire, que « le rapport de l'IGA dit que je n'ai rien à me reprocher ».

Pourtant, vous avez un comité de sélection dans lequel il y a la moitié des membres qui sont de votre cabinet, qui participent à une sélection qui ne donne lieu à aucun document de restitution, à aucun élément d'appréciation du choix des associations, et même pas non plus à une analyse préalable permettant de dire : « est-ce que telle ou telle association est en mesure de répondre ? ».

On a bien compris que le premier projet, l'USEPPM, était un projet entre guillemets « Sifaoui », abrité par l'USEPPM. En réalité, il fallait que ce soit une association qui réponde et pas une personne physique, et donc l'USEPPM apparaît tout d'un coup dans le paysage. Mais on ne met pas en cause l'USEPPM, on ne regarde pas ses statuts, on ne regarde pas ses fonds et ses capacités à faire. On ne regarde rien et on fait quand même.

Même sujet pour Reconstruire le commun où, en réalité, on est sur une association qui vient de démarrer, qui n'a aucun passé et qui, pour ces raisons, n'aurait jamais pu trouver ailleurs plus de 300 000 euros de subventions. Cela n'existe nulle part, et c'est bien le sujet.

Est-ce que vous considérez, en voyant le résultat de tout cela, que cette absence d'outil objectif d'appréciation est normale ? Est-ce que vous trouvez normal qu'il n'y ait aucun compte rendu de réalisé ni même un relevé de décisions argumenté ? Rien du tout ! Est-ce que cela vous paraît de bonne pratique et est-ce habituel dans les administrations que vous connaissez ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - J'identifie quatre questions au moins, voire cinq, et je vais essayer d'être concise.

Tout d'abord, bien sûr, je souscris à ce que vous dîtes sur la constitution des attributions de subventions dans les collectivités. J'ai eu l'honneur d'être maire adjointe auprès de Jean-Claude Boulard, sénateur-maire du Mans, pendant quelques années. J'avais moi-même à attribuer des subventions et j'ai moi-même créé un comité d'attribution des subventions très large justement pour balayer les subventions. Il n'avait pas de pouvoir de décision, mais un pouvoir de consultation et les dossiers étaient ensuite transmis à l'administration sous ma présidence.

Je veux dire cependant qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de règles écrites sur la composition des comités de sélection d'appels à projets. À ce moment-là, de mon point de vue, nous sommes en toute bonne foi dans le respect des règles de financement et des règles écrites, applicables dans ce cas.

Les membres de mon cabinet qui sont membres du comité de sélection sont, pour deux d'entre eux, d'anciens membres du CIPDR. Ils y ont travaillé, ils sont experts reconnus de ces questions, et c'est pourquoi il ne me semble pas incohérent à ce moment-là, de bonne foi, que ces conseillers capés sur le sujet, qui connaissent l'écosystème, participent et travaillent avec ce comité. L'AAP a pour nous un cadre d'éligibilité. C'est le cadre et les conditions de l'AAP qui est publié, qui est à la disposition de chacun. Il ne prévoit effectivement pas, vous avez tout à fait raison, de notification de refus. En revanche, chaque projet a fait l'objet d'une fiche d'évaluation que vous avez eue, qui synthétise, me semble-t-il, le dossier.

Bien évidemment, en retour d'expérience a posteriori et eu égard à tous les éléments dont nous disposons aujourd'hui, il y a des règles, même si ce ne sont pas des règles de droit, qui sont des usages ou des bonnes pratiques qu'il pourrait être utile de clarifier. C'est pourquoi je vous disais dans mon propos liminaire que je suis très demandeuse des retours d'expérience et des préconisations que fera votre commission d'enquête, étant aujourd'hui chargé de la vie associative, concernant l'encadrement des liens entre l'administration, l'État et les associations. Si nous pouvons clarifier les règles d'organisation des comités de sélection afin d'aller vers plus de transparence et ne pas être dans des règles d'usage mais des dispositions réglementaires, je pense que ce serait tout à fait précieux. C'est en tout cas mon avis.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez parlé de fiche d'évaluation. Tout ce qu'on a eu, ce sont des fiches de description de projets. On peut imaginer, mais nous n'en avons pas connaissance, qu'il a eu de la part du CIPDR, un exposé sur chaque cas. Cela a dû être fait, sinon c'est qu'on a tiré au sort ! Il y a forcément eu quelque chose de cette nature, mais j'insiste sur ce point : des fonds d'État, c'est autre chose que des fonds associatifs municipaux. Les fonds associatifs municipaux, cela peut se régler assez vite : si cela crée des histoires et des scandales, le maire a quelques difficultés à être réélu.

Il y a donc des précautions qui sont souvent prises dans les collectivités sur tous ces aspects pour être bien au clair, parce qu'il n'y a rien de pire - les maires le savent - qu'une association sportive qui dit : « Celle-là a eu 50 000 euros. Pourquoi je n'ai eu que 10 000 euros ? ». On ne s'embarrasse pas avec cela : plus on est transparent sur ces sujets, mieux c'est, surtout quand il s'agit de fonds publics !

Autres questions : certaines associations ont eu une subvention inférieure à leur demande. Par exemple, des associations qui ont demandé 130 000 euros n'ont obtenu que 70 000 euros, alors que l'année précédente, elles avaient obtenu 140 000 euros. Comme il n'y a aucun compte rendu de quoi que ce soit, on met tout en doute ou en question, vous le comprenez. Comment expliquez-vous ce point ?

Dans le cas précis, il s'agit d'une association, et les seuls commentaires que nous avons pu avoir pour justifier ces baisses de subventions, c'est que ces associations qui ont eu moins étaient souvent considérées comme un peu « gentillettes », ayant une vision de la laïcité douce, travaillant plus sur l'esprit de fraternité que sur un discours plus offensif, tel que vous l'avez poussé en tant que politique gouvernementale. Ce qui chagrine souvent, pour ces associations, c'est le fait qu'elles étaient considérées comme n'étant pas tout à fait dans la vision gouvernementale. Il y a même une fiche qui le dit de manière explicite.

Rien n'a été répondu à ces associations. Après tout, une position politique de cette nature peut tout à fait s'exprimer. Une ligne politique a été clairement affichée par le Gouvernement. Ne plus être dans la ligne que vous souhaitez pousser au travers de l'appel à projets peut s'entendre, mais comme ce n'est pas dit, on ne sait pas si c'est le fait du prince ou autre chose. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai pas d'éléments à partager sur ce sujet. Je n'ai pas fait partie de ces discussions. Je ne trouve pas que ce soit négatif de soutenir une association qui défend les principes de fraternité. Cela fait partie des valeurs de la République, de la trilogie républicaine. Je n'ai en tout cas formulé aucune demande en ce sens, et je n'ai pas connaissance d'échanges qui peuvent exister visant à baisser une demande pour ces raisons.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous l'apprenons donc ! Cela a pu être le cas.

Quelles sont les raisons qui vous ont conduite à exclure un certain nombre d'associations lors de la sélection des projets ? On l'a dit, certaines étaient totalement hors-jeu, et ne répondaient pas au sujet. Pour d'autres, c'est un peu plus délicat. Vous m'avez répondu - et je peux m'en tenir à cela - mais est-ce que, finalement, le fait de ne pas être dans la ligne gouvernementale telle qu'elle est définie publiquement fait que certaines associations, même si elles travaillent sur la laïcité, ne correspondent pas à l'esprit du Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais vous donner mon point de vue à cet égard, mais il ne signifie rien au regard des discussions d'arbitrage puisque, une fois encore, je n'ai pas participé au comité de sélection.

Je veux distinguer l'action politique du Gouvernement et la ligne de politique publique mise en oeuvre. Il est tout à fait permis à des associations d'être en désaccord avec la politique gouvernementale. D'ailleurs, dans les ministères dont j'ai eu la charge, j'en ai financé et j'en finance encore. Ce n'est en aucun cas un motif de diminution des demandes de subventions par rapport à ces associations.

En termes de politique publique, et donc non politicienne, il y a effectivement une volonté de travailler à la lutte contre la radicalisation et à défendre les valeurs de la République. Encore une fois, je n'ai pas participé aux discussions, mais je dis cela pour vous éclairer. Je vous donne un exemple : une association qui dirait que l'État français est un État raciste structurellement, je considère qu'il serait difficile de lui confier l'action de porter un discours républicain en ligne, qui vise à défendre les institutions et la République. C'est un avis politique personnel que je vous donne aujourd'hui pour éclairer les discussions, mais cela ne veut pas dire que ce soit cela qui ait été discuté.

M. Claude Raynal, président. - Ce que vous dites n'est pas scandaleux, mais tout ceci aurait mérité une précision, un éclairage, et d'être écrit dans un rapport. Ce n'est pas le cas, tout peut donc être interrogé.

Je voudrais revenir sur un sujet que vous connaissez, dont vous avez été informée, et qu'a notamment cité votre directeur de cabinet, à savoir la suppression d'une subvention à l'association SOS Racime, qui n'avait alors pas été citée en audition mais qui a été citée depuis par la presse. Il y a là plusieurs aspects qui sont étonnants et quelquefois un peu choquants.

Le premier, c'est que, le 21 mai a lieu le comité de sélection. Le 27 mai, il y a un mail d'un membre de votre cabinet au préfet Gravel qui dit : « j'ai soumis à la ministre votre note. On fait le point demain ». La note en question est celle du comité de sélection intervenu quelques jours avant. Juste après, vous prenez la décision, selon votre directeur de cabinet, de supprimer une ligne budgétaire du comité de sélection, concernant SOS Racisme - à hauteur de 100 000 euros. On a parlé des problématiques intervenues avant le comité de sélection, de celles posées par le comité de sélection, j'ajoute qu'il y a encore des difficultés après ce comité. Comme il n'y a toujours pas de compte rendu, on se demande si le comité de sélection sélectionne. On ne sait plus vraiment, puisqu'à la sortie, vous validez.

En fait, quand vous validez le résultat du comité de sélection, vous influencez le résultat, et votre directeur de cabinet indique que c'est suite à des questions personnelles passées entre vous et l'association en question - ce n'est peut-être pas exactement son expression, mais c'est l'esprit. Est-ce que vous pouvez nous dire comment les choses se passent dans cette affaire-là ? Est-ce que votre directeur de cabinet a raison de présenter les choses ainsi ? Est-ce que vous dites que ce n'est pas le cas ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Monsieur le président, je vous remercie de me poser la question et de me permettre d'apporter des éléments de d'éclairage. Je veux être très claire : je n'ai pas supprimé de subvention à SOS Racisme. Je ne dis pas que c'est ce que vous avez dit, mais j'ai vu des réponses qui ont été apportées en ce sens, indiquant que mes décisions auraient mis en péril l'équilibre financier d'une association. Je rappelle qu'on est sur un appel à projets, qu'on ne parle pas de financement ni de fonctionnement pour les associations. Je n'enlève donc pas à SOS Racisme l'argent dont il bénéficierait chaque année.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'en attribuez pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous refusez d'en attribuer.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais y revenir.

M. Claude Raynal, président. - En droit, vous avez raison. C'est un peu subtil comme réponse.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je pense que le droit l'emporte, d'une part et, d'autre part, au-delà du droit...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Mais la réalité est aussi là : vous n'attribuez pas les 100 000 euros à une association qui avait été sélectionnée sur son projet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ne pas attribuer n'est pas la même chose que de supprimer. Je vais vous répondre en essayant d'être la plus factuelle possible, dans la mesure où, à titre personnel, je n'avais aucun souvenir du fait qu'il y ait eu des discussions sur SOS Racisme dans le cadre du Fonds Marianne.

Maintenant qu'on a rappelé ce sujet à mon attention, j'ai souvenir qu'il y a eu des échanges sur cette association. Je me base sur les faits et sur les échanges écrits que j'ai pu trouver pour rétablir une chronologie. Ce que je comprends aujourd'hui, c'est qu'il y a une liste établie par le comité de sélection du Fonds Marianne, avec des dossiers qui font l'unanimité du comité de sélection et certains qui sont entre guillemets « en liste complémentaire », c'est-à-dire pour débat.

Je comprends de ce qu'on me dit aujourd'hui que SOS Racisme fait partie de cette liste complémentaire, qu'il n'y a pas consensus au sein du comité de sélection mais qu'il y a divergence, certains considérant qu'il ne faut pas attribuer cette subvention et d'autres considérant au contraire qu'il faut l'attribuer.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le compte rendu que nous avons du préfet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je comprends bien que ce n'est pas la même chose, mais c'est la version que j'ai aujourd'hui et que je partage avec vous.

M. Claude Raynal, président. - Ce que vous avez, madame, vous le savez ! Vous n'oubliez pas tout de votre vie, quand même !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'oublie pas tout de ma vie, mais en deux ans, j'ai eu à présider un certain nombre de réunions, à rendre un certain nombre d'arbitrages et, surtout, je ne peux pas me souvenir de réunions auxquelles je n'ai pas participé. L'IGA, vous-même ou peut-être même la justice établiront ce qu'il en est.

M. Claude Raynal, président. - Je ne suis pas sûr qu'on soit sur une question de justice dans ce cas précis.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais peu importe. J'essaie de partager avec vous les éléments que je recoupe. Le point m'est remonté par mon conseiller spécial, par un mail - c'est établi, je l'ai. Si vous ne l'avez pas, on peut vous la passer. Il me fait une note en disant : « voilà ce sur quoi nous sommes d'accord », et signale le dossier de SOS Racisme qui, manifestement, ne trouve pas de consensus. Il me demande de trancher, de rendre un arbitrage, de donner un avis favorable ou défavorable au projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'ils sont en liste complémentaire avant la réunion du comité de sélection. À la sortie du comité de sélection, ils sont sélectionnés.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne sais pas, mais je vous crois volontiers.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je le dis, parce que, d'après les éléments qui nous ont été transmis, vous faites partie du comité de sélection, je vous le rappelle. Vous vous êtes fait représenter pour des raisons qui vous sont propres.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'en fais pas partie. Comme vous le disiez, le droit est important, la réalité aussi, et je ne suis pas dans le comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je n'ai pas dit que vous y aviez siégé : je dis simplement qu'il était prévu que vous soyez membre du comité de sélection.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - En tout cas, on me demande un arbitrage. On me demande un avis pour trancher un sujet qui, manifestement, d'après ce que j'en comprends en tout cas, ne fait pas consensus. Je donne cet avis, et il me semble que le ministre est fondé à donner un avis, favorable ou défavorable quand son administration ou son cabinet le lui demande.

Je ne rends pas mon avis tout de suite. Au regard de ce dont je dispose, je demande une note sur le projet, ce qui démontre bien que je ne rends pas un avis sur une personne. J'y reviendrai. Je demande une note sur le projet pour qu'on puisse voir de quoi il s'agit.

SOS Racisme, qui est par ailleurs une association tout à fait respectable, partenaire de l'État et de différents ministères aujourd'hui encore, propose une action en deux temps, l'une sur les réseaux sociaux, qui correspond à l'objet du Fonds Marianne, l'autre qui concerne, me semble-t-il, des activités sportives ou physiques dans certains quartiers. Or, cette proposition d'action qui vise 40 quartiers de reconquête républicaine (QRR) et non le champ national, contrairement à ce qui est demandé dans l'appel à projets, est une action qui est déjà menée et financée par des fonds du FIPD, par une autre organisation, qui s'appelle Raid' Aventure, qui fait exactement ce travail de cohésion, de prévention dans les QRR, par le biais d'activités sportives.

J'imagine donc que c'est cela qui m'amène, à ce moment-là, à considérer que l'activité ne concerne pas, pour une part importante, les réseaux sociaux et, de surcroît, est déjà couverte par une autre association. J'émets manifestement - même si je n'en ai pas le souvenir - un avis défavorable en disant que ce n'est pas, pour moi, un projet à retenir. C'est un avis que j'émets. Ensuite, le comité de sélection fait une liste, d'après les éléments dont je dispose, dans laquelle ne figure pas SOS Racisme.

Je veux répondre à un élément qui est fondamental sur ce sujet sur ce qu'a dit M. le préfet Jallet, qui est un homme en qui j'ai toute confiance, qui a été mon directeur de cabinet, à qui je referai confiance à l'avenir si j'étais amenée à devoir le faire, et qui est un grand préfet.

Mon ancien directeur de cabinet fait état de relations personnelles, et de désaccords personnels que j'aurai avec M. le président de SOS Racisme. On me prête beaucoup de relations personnelles, mais je n'ai pas de relations personnelles ni de désaccord personnel ancien ou récent avec M. le président de SOS Racisme, même si nous avons des désaccords !

M. Claude Raynal, président. - Reconnaissez qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Vous nous racontez votre vision des choses. On vous entend, mais celle que l'on a n'est pas la même.

Vous dites : « Le préfet Jallet, j'ai parfaitement confiance en lui, mais il a dit des choses qui sont fausses ». Globalement, c'est ce que vous dites.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne dis pas que ce sont des choses fausses, je dis que c'est de l'interprétation.

M. Claude Raynal, président. - Non, ce n'est pas une interprétation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Elles sont donc inexactes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je pense que c'est une interprétation de sa part, ou une incompréhension peut-être de ma part. Ce sont peut-être des choses que j'ai exprimées auprès de mon directeur de cabinet qui l'amènent à penser que j'ai une antériorité personnelle avec le président de SOS Racisme. Ce n'est pas le cas.

M. Claude Raynal, président. - La question est quand même beaucoup plus simple. Il y a un comité de sélection. À l'entrée du comité de sélection, il y a des dossiers qui ne posent pas de problème, et il y a une liste complémentaire. À la sortie du comité de sélection, il n'y a plus de liste complémentaire, c'est terminé. Il y a un choix qui a été fait par le comité de sélection. À ce moment-là - et on peut l'imaginer -, le préfet Jallet aurait dit : « attention, je fais une réserve sur un des dossiers du comité de sélection retenus parce que je souhaite le soumettre à la ministre ».

Effectivement, la remarque qui est faite est une remarque de nature personnelle et pas une remarque de nature professionnelle. Vous dites que le préfet Jallet a une mauvaise compréhension du sujet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est peut-être de ma faute : j'ai pu être maladroite dans mon expression, c'est tout à fait possible.

M. Claude Raynal, président. - Enfin, tout de même...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vous ai rappelé les montants. Le 26 mai, une note de la chargée de mission est envoyée au cabinet - vous n'êtes pas très éloignée -, qui indique que le projet pour SOS Racisme est d'accorder 100 000 euros. Je rappelle que la demande initiale était de 140 000 euros. Le 1er juin, un membre de votre cabinet adresse un mail indiquant que, lors d'une réunion tenue le même jour, il a été décidé de retirer à SOS Racisme ces 100 000 euros et de verser - 100 000 euros moins 80 000 euros, on ne sait pas pourquoi - 20 000 euros au profit d'une autre association. Les faits, la matérialité des faits, c'est cela et uniquement cela.

M. Claude Raynal, président. - Vous voyez bien que cela met en difficulté votre position lorsque vous dites : « j'ai laissé travailler le comité de sélection ». C'est vrai dans une certaine mesure, à part qu'il y a eu des choses qui ont été faites en amont, on l'a dit, des choses qui sont faites pendant le comité de sélection sur certaines associations qui sont jugées trop faibles, en tout cas ne répondant pas à l'exigence gouvernementale. Je vous ai dit que ce point-là pouvait être entendu.

Ensuite, après le comité de sélection, alors que la liste est établie, on vient retirer un montant de subvention à une association. Cela vient contredire d'une certaine façon l'idée que le comité de sélection sélectionne - ce qu'on pouvait entendre, parce que vous étiez déjà représentée par votre cabinet dans le comité de sélection - et que vous validez. Eh bien, non ! Vous n'avez pas validé l'avis du comité de sélection. Vous avez dit, sur une association : « cela ne me convient pas ».

Est-ce que le préfet Jallet s'est trompé dans son interprétation ou est-ce qu'il faut retenir votre interprétation ? D'une certaine façon, n'étant pas là, ce n'est pas nous qui pouvons le dire, mais on note quelque chose de différent.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pour être très claire, je ne dis pas que je n'ai pas donné d'avis sur SOS Racisme. J'ai manifestement donné un avis négatif sur le projet de SOS Racisme, avis qu'on m'a demandé. Là où je dis qu'il y a une différence d'interprétation, c'est sur les motifs.

M. Claude Raynal, président. - Logiquement, comme le comité de sélection avait déjà eu lieu et que vous vous rangiez à l'avis du comité de sélection, vous n'aviez pas à donner un avis sur les associations déjà sélectionnées.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - On me demande mon avis.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites : « ce n'est pas mon rôle » !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne m'immisce pas dans le comité de sélection. On vient requérir un arbitrage ministériel sur un sujet en particulier, et sur un seul. Je le répète, je ne prends pas part au comité de sélection, à aucun moment. Je n'y siège pas, et je ne donne pas de consignes.

La preuve en est, c'est que la question me remonte pour avis. Si j'avais donné des consignes, chacun aurait mes consignes en tête. Là, on me demande un arbitrage, favorable ou défavorable. Je donne un avis, et c'est à l'issue de cet avis que la décision est prise.

Cela se passe toujours ainsi : après la réunion du comité de sélection, il y a une liste et, dans cette liste, ne figure pas l'association SOS Racisme après étude du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous avez bien compris, nous avons donné la matérialité des faits, leur déroulement. Vous vous tenez à l'écart, mais vous gardez un regard et même une capacité de décider. Les choses sont finalement plus claires comme cela. C'est une manière de reconnaître que vous avez un pouvoir de décision, et tout en vous tenant à l'écart, vous êtes présente pour décider.

Vous avouez avoir un rôle et une capacité à décider et à trancher, mais c'est mieux de le dire que de tournicoter autour d'une décision en expliquant que vous y êtes, mais pas tout à fait. C'est logique, cela relève de votre responsabilité. Le comité de sélection comprend la moitié des membres de votre cabinet. On pourrait vous reprocher l'inverse si vous n'interveniez pas sur ce sujet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, et ce sont deux choses différentes. Ce n'est pas que je tourne autour, c'est que je tiens à être précise.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on l'est aussi !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai jamais dit que vous ne l'étiez pas. Je ne le dis pas par opposition à vous. Je ne me le permettrai pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Moi, je le dis !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vos questions sont précises, en effet. Je tâche de l'être aussi, sur la base des faits dont j'ai souvenir, ou pour lesquels je dispose d'éléments matériels. Je ne suis pas dans le comité de sélection, mais quand on demande un avis au ministre, le ministre le donne.

Là encore, s'il eut fallu procéder autrement et que, dans les recommandations ou préconisations que vous ferez, vous considérez que le ministre ne doit pas rendre un avis ou un arbitrage lorsque cela lui est demandé sur des subventions, c'est tout à fait entendable.

Mais à ce stade, je ne vais pas au comité de sélection. On me remonte les choses et on me demande un avis. Je demande qu'on regarde le projet, et je donne un avis. Ensuite, le comité établit une liste finale, et je rappelle que seul le CIPDR est fondé à mettre les crédits en paiement ou à attribuer in fine les subventions, ce qu'il fait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le CIPDR est dans le périmètre de votre ministère. Vous avez la signature. C'est donc le ministre ou la ministre qui décide.

Je veux revenir sur les dossiers de demandes de subventions qui ont été déposés préalablement à l'appel à projets. Certains ont été validés lors du comité de programmation du 13 avril. Ensuite, certains d'entre eux ont été basculés dans le Fonds Marianne, dont je rappelle qu'il est mis en place officiellement le 20 avril. Au final, est-ce que ce n'est pas d'une certaine manière contraire à l'esprit qui préside à la création du Fonds Marianne, dont l'objectif est de faire émerger de nouveaux projets pour lutter contre toutes les formes de séparatismes, notamment par la voie digitale et numérique ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vous prie de m'excuser, monsieur le rapporteur, je ne comprends pas le sens de votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez des dossiers qui sont validés dans le comité de programmation du 13 avril. Cela veut dire que c'était plutôt du gré à gré. C'est ce que vous avez expliqué. Le 20 avril, vous lancez le Fonds Marianne et, par une analyse très aboutie, certains des dossiers qui avaient été retenus dans le comité de programmation du 13 avril basculent ensuite dans le Fonds Marianne.

L'esprit du Fonds Marianne est de faire autrement, d'identifier des acteurs associatifs sur des actions nouvelles. C'est la raison pour laquelle je vous disais que le bilan est en demi-teinte. On a l'impression qu'il y a du rattrapage.

Cela manque de lisibilité et de force dans le projet, me semble-t-il, non ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre question est de savoir si je trouve que cela manque de lisibilité dans le process, c'est cela ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si cela ne nuit pas à la lisibilité et au respect de l'esprit...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne suis pas présente aux réunions qui décident de passer telle association d'un financement habituel à un appel à projets ou qui leur proposent de le faire.

Néanmoins, aujourd'hui, je ne suis pas choquée par le fait qu'on ait des acteurs avec lesquels on travaille habituellement et qu'on flèche sur l'appel à projets, si c'est la question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. Je vous ai sentie parfois beaucoup plus motivée et convaincue.

Je pense qu'il y a un problème de ligne directrice. Vous avez un sujet avec le secteur associatif, qui n'est pas forcément facile à mettre en action. On a compris la complexité du label de l'État, qui a des difficultés à communiquer et à pénétrer ces milieux, qui ne sont pas conformes à l'esprit des valeurs de la République mais, entre tout cela, pour moi, on sent du cafouillage, du mélange des genres.

J'essaye de suivre votre parcours, mais je vous avoue que j'ai parfois du mal, entre vous, le cabinet, le CIPDR, les anciens fonctionnaires qui sont entrés dans votre cabinet, le processus se déroulant avec le Fonds Marianne, officiellement annoncé le 20 avril, terminé le 10 mai. Le comité de sélection sélectionne, la ministre qui dit de se tenir à l'écart mais qui rend des décisions pour revenir sur au moins une décision du comité de sélection.

Je voudrais juste savoir si c'est une procédure habituelle ou si c'était un cas unique par rapport à votre expérience.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je trouve que chacun est en réalité dans son rôle. Le ministre impulse la politique publique, la représente, la défend, en est le garant, en rend compte - ce que je fais aujourd'hui devant vous et que je fais à d'autres occasions.

L'administration met ensuite en oeuvre, suit, administre. Le fait qu'il y ait des membres de cabinets qui soient antérieurement membres de l'administration, c'est très classique. Il y a aujourd'hui dans l'administration beaucoup d'anciens membres de cabinets. Ce sont des trajectoires de carrière classiques.

M. Claude Raynal, président. - Quelle est votre implication dans le suivi de la réalisation des projets par les différentes associations ? Est-ce que vous avez rencontré certaines d'entre elles pour vous tenir informée ou pas du tout ? Est-ce que vous considérez que c'était à l'administration de suivre et non à vous ? Avez-vous revu M. Sifaoui dans la phase discutée aujourd'hui sur la réalisation ? Est-ce que vous avez eu des remontées des difficultés rencontrées avec certaines associations durant la période où vous étiez au ministère ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai aucune remontée de difficultés d'associations d'aucune sorte jusqu'à l'article du journal Marianne. Avant cela, pendant toute la durée où je suis ministre, c'est-à-dire jusqu'en mai 2022, à aucun moment on ne fait état de difficultés rencontrées avec les associations.

Le ministre n'est pas en charge du contrôle des associations. Il y a un contrôle qui est manifestement effectué. C'est ce qu'établissent les différentes déclarations des uns et des autres, mais ce n'est pas le ministre qui procède à ce contrôle, et il ne m'est fait aucune remontée d'aucune difficulté de mise en oeuvre avec ces associations.

M. Claude Raynal, président. - Oui, en droit, ce que vous dites est possible, et si vous le dites sous serment, c'est vrai. Mais ce qui est étonnant, là où on a du mal, c'est que ce n'est pas une opération comme les autres. C'est bien pour cela d'ailleurs qu'il y a un débat national là-dessus, c'est bien pour cela qu'il y a des gens qui s'intéressent à ce sujet, qui s'interrogent.

Lorsque vous subventionnez par exemple des associations dans le cadre du Fonds de prévention de la délinquance, il n'y a pas derrière de connotation, il n'y a pas de sujet. Sur le Fonds Marianne, pour dire les choses autrement, vous aviez déjà des dépenses qui concernaient le sujet. Vous auriez pu dire : « j'augmente les budgets. J'ai demandé à mon administration de mettre plus d'argent sur ces moyens liés à la réponse sur les réseaux sociaux ». Vous auriez pu présenter les choses de cette façon et c'était un des éléments de votre plan. Cela n'aurait soulevé aucune question.

Mais vous allez sur les plateaux télé, vous faites des interviews sur le Fonds Marianne. Vous faites le lien entre ce qui s'est passé en octobre 2020 et le Fonds Marianne. Du coup, vous connotez votre action. Cela devient une action qui, socialement, a du sens, qui répond à des angoisses des Français. Quand même, ce qui s'est passé n'est pas rien ! Vous faites une réponse politique, argumentée, en mettant en place ce Fonds Marianne.

Ne vous étonnez pas après que tout le monde s'intéresse à ce qu'est devenu le Fonds Marianne, parce que ce n'est pas une subvention du FIPDR. C'est une subvention fléchée qui est présentée comme la création d'un fonds, et qui est liée à une histoire. Vous avez fait naître une idée, un concept, une réponse politique et, derrière, vous nous dites : « je ne la suis pas ». C'est ce que vous venez de nous répondre. C'est grave ! Vous nous dites : « c'est l'administration ». L'administration est chargée de regarder que, financièrement les choses se passent bien. Ce n'est pas votre problème, mais le contenu, les éléments, savoir si cela sert à quelque chose, c'est vous ! Vous l'avez dit vous-même : vous portez les politiques publiques.

Si on regarde ce que vous avez porté comme politique publique à ce moment-là, pas pour des questions de montant mais pour des questions de contenus, c'est le Fonds Marianne qui est votre action symbolique. Il n'y a rien de pire que le symbole. Quand on est sur des actions symboliques, il faut qu'elles marchent « du feu de Dieu ». Il faut que cela fonctionne de A à Z et que vous ayez un regard attentif.

Vous avez devant vous des gens qui ont été élus locaux. Ils savent que le sujet sur lequel ils sont pris, ce n'est pas le sujet qui fait la moitié de leur budget. C'est quelquefois une bricole. On va dire : « pourquoi vous avez financé tel truc, avec telle association ? Dites-nous à quoi cela sert ». C'est toujours sur les détails. Là, vous nous faites une réponse technique et, j'oserais dire, madame la ministre, qui manque un peu de coeur. Vous n'avez pas suivi cette affaire, et c'est presque pire que cela quand on va vers la suite.

Au moment de la transmission à votre successeur, personne n'est au courant du sujet ! Fabuleux ! Il n'est même pas dans le « dossier ministre », nous a-t-on dit. Du début à la fin, on a l'impression que c'est lancé et, une fois que c'est lancé, tout le reste ne vous concerne pas. J'aimerais que vous répondiez à cela. C'est extrêmement dérangeant.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. -Je vais tâcher de vous répondre et de changer votre impression, même si c'est par nature subjectif. L'impression que vous avez du coeur que j'y mets, ou de la tonalité que j'utilise pour vous répondre est, par nature, la vôtre et parfaitement légitime.

Je veux commencer par dire que je ne me suis à aucun moment étonnée qu'on s'intéresse à l'utilisation des crédits du Fonds Marianne. Non seulement je ne m'en suis pas étonnée ou offusquée mais, plus que cela, dès le premier contact avec un journaliste d'investigation du journal Marianne sur ce sujet, - je ne suis plus membre du Gouvernement, quand je lui réponds -, et je lui dis qu'à ma connaissance, ce sont des demandes d'information légitimes, et que le ministère est fondé à lui apporter les réponses.

D'ailleurs, à ce moment-là, je le dis pour répondre à votre interpellation, la journaliste nous dit qu'elle veut la liste des bénéficiaires du Fonds Marianne, et je lui réponds qu'il faut que le ministère la lui donne parce que, à mon sens, ce n'est pas confidentiel. C'est le fait qu'il y ait un délai pour répondre qui amène à dire qu'il y a une opacité.

Je ne suis non seulement pas choquée qu'on s'intéresse à l'organisation du Fonds Marianne, mais j'en suis demandeuse. Je suis choquée quand je vois à quel point des missions qui ont été confiées, des attentes fortes qui ont été portées en toute confiance vis-à-vis de certains partenaires n'ont en réalité pas donné lieu à des actions concrètes derrière, tel que l'établit le rapport de l'IGA.

Bien sûr, cela me choque. Bien sûr, je me sens flouée quand je découvre cela dans la presse d'investigation, à un moment où je ne suis plus membre du Gouvernement !

Ne pas faire les contrôles, ne signifie pas - pardon si je me suis mal exprimée - que je ne me sois pas intéressée à cette politique publique. Pour répondre le plus factuellement, rationnellement et matériellement possible aux questions qui me sont posées depuis ce matin sur ce sujet, j'essaie de vous apporter des éléments matériels. Non, je n'ai pas suivi l'utilisation des crédits ni contrôlé les associations, puisque ce n'était pas le rôle du ministre. Cela ne veut pas dire que je m'en désintéresse.

Il est vrai et juste de dire que j'ai beaucoup communiqué sur le Fonds Marianne. Je ne pense pas faux de dire que je communique beaucoup sur toutes les politiques publiques que je porte. On peut trouver que c'est bien ou que c'est mal, mais c'est ainsi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment expliquez-vous, madame la ministre, l'absence de communication, ou quasiment, une fois faite l'annonce de la création du Fonds Marianne ?

M. Claude Raynal, président. - Jusqu'à votre départ...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La mise en oeuvre, les choix... Le projet avance et le Gouvernement, par ce choix de lien avec le monde associatif, affirme une volonté et la traduit concrètement.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je voudrais poursuivre les réponses à monsieur le président, si vous me le permettez, parce qu'il y a deux sujets sur lesquels je souhaite pouvoir apporter des réponses.

Vous me dites qu'on aurait par ailleurs pu renforcer les moyens en termes de réponse à l'attentat terrible qui s'est produit en octobre 2020. Je veux dire que les moyens ont été renforcés. J'évoquais les moyens humains de Pharos, les moyens humains de l'UCDR...

M. Claude Raynal, président. - Je ne crois pas avoir dit cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il me semble, sauf si j'ai mal compris, que vous avez dit qu'en réponse, je créais le Fonds Marianne alors que j'aurais pu augmenter les moyens.

M. Claude Raynal, président. - Vous auriez pu le faire de manière plus discrète, si je puis dire, et simplement dire, en termes d'interviews ou de communication : « il y a des fonds qui sont déjà dédiés à ces opérations, on va les pousser, les augmenter, et en rester là », sans créer même le nom de Marianne. À ce moment-là, c'était une opération plus discrète, et je pense que cela aurait sans doute été une meilleure solution.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Cela se défend parfaitement, j'entends bien.

M. Claude Raynal, président. - Je sais d'ailleurs qu'a été débattue au sein du Gouvernement et dans vos services la question de savoir s'il fallait simplement pousser le curseur ou créer une image.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Claude Raynal, président. - Dès l'instant où on crée une image, comment la fait-on vivre ? Elle est lourde, cette image. C'est l'événement de référence qui est lourd. C'est pour cela que je reviens sur cette question qui peut paraître morale, d'une certaine façon.

Quand je lis aujourd'hui que la famille Paty refuse de lier son nom au Fonds Marianne du fait des discussions en cours, cela me fait mal. Cela veut dire qu'à un moment donné, il y a eu un abandon du lien relationnel - et c'est majeur dans la vie !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, la décision de lancer une action de contre-discours fait écho à l'attentat de 2020 mais n'en procède pas. Je serai très brève là-dessus : le terroriste Anzorov, qui a commis le terrible attentat contre le professeur Samuel Paty, se serait radicalisé en ligne, selon les enquêteurs, en consultant des réseaux sociaux. C'est pourquoi cela a fait écho à cette action, illustrant dramatiquement les alertes que les services portent et la nécessité d'accélérer et d'avancer sur ce sujet.

M. Claude Raynal, président. - On est d'accord, mais dans vos interviews, vous avez fait directement le lien.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, parce que c'est mis en regard, et c'est hélas l'illustration de ce que Gilles Kepel appelle le « djihadisme d'atmosphère », qui vient, de façon terrible et dramatique, d'être illustré. Le discours des Mureaux du Président de la République précède cela. C'est donc un sujet qui est déjà identifié pour nous, et des travaux sont lancés sur ce sujet à ce moment-là.

En ce qui concerne le « dossier ministre », vous avez parfaitement raison : le Fonds Marianne, d'après les éléments que j'ai, n'y figure pas. Je tiens à dire que ce n'est pas le ministre qui fait le « dossier ministre » pour le nouveau ministre qui arrive. C'est important...

M. Claude Raynal, président. - On est d'accord, mais cela montre quelque chose de l'importance des choses, et l'importance des choses, vous l'avez dit, c'est vous qui l'impulsez, c'est votre responsabilité politique d'impulser des sujets.

Il y a des sujets qui vous tiennent à coeur. Ce n'est pas la première fois que vous intervenez sur la laïcité, cela fait des années. Il n'y a pas de doute sur votre crédibilité sur ce point, mais on crée le Fonds Marianne, et il n'y a pas de suivi. Vous nous dites que, pendant la période où vous êtes ministre, vous n'en parlez pas, vous ne vous en occupez pas.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non, ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si, madame la ministre.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai pas dit : « je ne m'occupe pas du Fonds Marianne ».

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous l'avez suivi de loin parce que vous laissez faire l'administration.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Si je peux répondre...

M. Claude Raynal, président. - Vous avez répondu cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Mais il y a d'autres interpellations auxquelles je n'ai pas eu l'occasion de répondre. Je peux rester très longtemps si vous le voulez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je veux bien, mais on ne peut pas avoir trop de longueurs. L'audition touche à sa fin, soyez respectueuse du temps de réponse...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je conçois que ce ne soit pas la réponse que vous attendiez mais, dans l'interpellation qui m'est faite...

M. Claude Raynal, président. - On n'attend rien, madame le ministre. On vous écoute avec intérêt.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Comme je vous l'ai dit, je prends toute ma responsabilité, et rien que ma responsabilité. Quand ma successeure est nommée, je ne suis plus au Gouvernement. J'ai d'autres activités ailleurs. Je ne suis plus fondée à donner des consignes à l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On va faire la synthèse des questions parce que, quand je vous ai posé une question, vous êtes revenue sur la question précédente. On va éviter les longueurs. Il y a eu une annonce forte, puissante en matière de communication, et après plus rien.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - On ne peut pas dire qu'il n'y avait plus rien. Il y a matérialité dans les échanges de mails entre mon cabinet et moi-même et des notes dans lesquelles nous voulons relancer le Fonds Marianne. Il y a une note suite à ma demande et après discussion avec le cabinet et l'administration sur ce sujet. L'un de mes conseillers prépare un futur appel à projets sur le Fonds Marianne pour l'année qui suit. Nous entendons donc poursuivre cette politique publique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord mais vous conviendrez - et vous ne m'avez pas démenti - qu'il n'y a pas de communication particulière après le lancement. Il y a l'annonce du Fonds Marianne, il y a la sélection, le projet vit sa vie. Il n'y a plus de communication. Il ne bénéficie plus du même portage ni surtout du même écho médiatique, puisque l'annonce du Fonds Marianne aux médias, vous l'avez d'ailleurs expliqué, est une ambition politique, un combat que vous menez contre les discours séparatistes, en lien avec le numérique et le secteur associatif.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pour être très rapide dans ma réponse, monsieur le rapporteur, en deux points...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous l'avez déjà été !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais essayer d'être encore plus rapide. Tout d'abord, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de communication qu'il n'y a pas de suivi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne me désintéresse pas du sujet. Il y a des points d'étape que je demande. Je ne suis pas les subventions, mais je suis le dossier du Fonds Marianne. Première chose.

Deuxième chose : je ne l'apprends à personne, quand un ministre fait des annonces qui sont susceptibles de générer des dépêches et des reprises, cela intéresse les différents médias, mais quand on veut communiquer sur des bilans, c'est jugé beaucoup moins intéressant, et c'est plus difficile de surcroît quand les porteurs de projets ne souhaitent pas apparaître pour des raisons de sécurité, parce que certains d'entre eux disent qu'ils sont menacés.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela ne nous a pas échappé, mais entre certains et rien du tout... Le fait est qu'il n'y ait même pas de bilan sur un sujet comme celui-ci.

Je m'inscris parfaitement dans les propos de Claude Raynal sur la gravité de l'acte et la solennité de la République, incarnée notamment lors de la réunion à La Sorbonne pour manifester l'unité républicaine. Après le Fonds Marianne, tout cela a perdu beaucoup de consistance. C'est tout.

On arrive à la fin. Vous venez d'évoquer les conditions dans lesquelles l'appel à projets s'était organisé et déroulé, les sélections, les validations. De quelle manière procéderiez-vous si vous deviez à nouveau mener un appel à projet ? Peut-être donnera-t-on des orientations mais, à ce stade, étant toujours en responsabilité du monde associatif, quel est votre regard ? Qu'avez-vous à nous dire à cet instant ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, vous l'avez dit, il est effectivement nécessaire de rappeler le contexte, et vous l'avez fait. Je n'y reviens pas.

Il y a évidemment des choses qu'on aurait pu faire différemment, alors qu'on en arrive aujourd'hui à missionner l'IGA et que vous avez vous-mêmes lancé une commission d'enquête en vous saisissant des prérogatives de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement parfaitement légitimement et utilement. C'est donc qu'il y a eu des dysfonctionnements dans l'organisation ou la gestion du Fonds Marianne.

Je veux être à ce stade prudente pour ne pas émettre des sentiments ou des impressions, mais je pense qu'il est effectivement nécessaire d'avoir, peut-être par écrit, un certain nombre de règles sur la manière dont les subventions peuvent être attribuées. Il existe déjà des écrits, mais peut-être est-il nécessaire de les préciser, notamment quant à l'organisation des comités de sélection, à l'organisation du suivi et aux mesures qu'il est possible de mettre en place par l'administration en matière de contrôle vis-à-vis des organisations qui sont subventionnées.

Ceci étant, avec ma casquette actuelle de secrétaire d'État chargée de la vie associative, et si je m'extrais du sujet du Fonds Marianne, je dirais que c'est une ligne de crête, parce que la question de la liberté associative me semble fondamentale.

Une des associations que vous avez auditionnées, qui a mis en place des vidéos contestables, contestées et que je conteste moi-même, s'en prend à des responsables politiques - Mme la maire de Paris, mais pas uniquement : le porte-parole du Gouvernement, le ministre de l'intérieur, moi-même, le Président de la République, etc.. Elle invoque, me semble-t-il, cette liberté associative dans les contenus. Il y a là une ligne rouge parce qu'on est sur des contenus politiciens, mais où doit-on placer cette limite ?

L'administration et même le ministre sont-ils fondés à aller dans le contrôle des productions d'une association ? C'est une vraie question, ce n'est pas une question rhétorique. C'est pour cela que je suis sincèrement très preneuse des retours, préconisations et instructions que vous donnerez à l'issue de cette commission.

M. Jean-Michel Arnaud. - Vous avez indiqué, en cours d'audition aujourd'hui, sur la demande de l'USEPPM : « je n'ai passé aucune commande de faire passer le dossier ».

Vous avez ensuite indiqué, lors d'un communiqué de presse, le 7 avril 2023, que sur toutes les candidatures reçues dans le cadre de l'appel à projets du Fonds Marianne, dix-sept ont été retenues par un comité de sélection, dont « le choix s'est fait via l'administration » - je vous cite - « à la manoeuvre dans le respect de toutes les procédures ».

Enfin, cela a été rappelé par le président, le préfet Jallet a confirmé « un arbitrage défavorable de la ministre concernant l'association SOS Racisme ».

Je comprends la difficulté du sujet et vos explications. Ceci étant dit, les faits sont là, et il y a des contradictions majeures dont notre commission a révélé les circonstances.

S'il y a une un point sur lequel j'attends des mots de votre part, c'est sur le fait d'assumer votre responsabilité. Il y a eu manifestement des difficultés de gestion dans ce dossier, des imprécisions dans la méthodologie et des implications à divers degrés, y compris politiques. Il serait bon que ce soit dit clairement, ne serait-ce que par respect pour la famille de Samuel Paty et pour la cause que nous défendons tous ici, qui est la défense des valeurs de la République, quel que soit le banc où nous siégeons.

M. Daniel Breuiller. -L'assassinat de Samuel Paty nous a tous bouleversés, parce que la République et ses valeurs sont notre bien commun. J'ai entendu vos propos sur la différence entre le rôle d'un ministre et le rôle d'un cabinet ou d'une administration, et je les comprends.

Je ne comprends toutefois pas qu'un ministre ne cherche pas à entraîner la totalité de la société française dans un combat aussi symbolique. Il y a une incohérence dans le fait que vous décidiez de ne pas attribuer de subvention à SOS Racisme et validiez des associations dont la fragilité est avérée, voire qui sont créées pour cela.

Pour le coup, c'est le rôle d'une ministre, je pense, que d'entraîner tout le monde, et je ne comprends pas ce choix.

M. Thierry Cozic. - Depuis le début de l'audition, vous avez fait état du fait que vous n'avez pas ou peu participé au processus de sélection des associations. Par contre, j'ai noté dans vos réponses un certain nombre de contradictions. Lorsque vous dites que 300 000 euros, c'est trop - et je crois que vous l'avez écrit -, c'est que, factuellement, vous participez à la décision. Idem pour l'arbitrage sur la subvention de 100 000 euros pour SOS Racisme.

Dans la sélection des associations, la transparence et la délibération sont des piliers, me semble-t-il, au coeur de votre fonction, à la fois en tant que membre du Gouvernement luttant contre la défiance institutionnelle et en tant qu'ancienne ministre déléguée à la citoyenneté.

Cependant, et ce sera peut-être une forme de conclusion, comment pouvez-vous ne pas vous interroger et être alertée par l'absence de critères explicites de sélection des associations par votre cabinet ? J'ai le sentiment qu'aujourd'hui, on est dans un processus qui s'apparente à une véritable chimère. J'aurais souhaité avoir votre sentiment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaite vous faire deux ou trois observations qui se traduisent en questions.

Un certain nombre de questions, me semble-t-il, même après votre audition, restent en suspens. Vous êtes à l'initiative, dans les conditions qu'on a évoquées, de la création de ce Fonds. Vous avez été responsable de la mise en oeuvre des projets. Est-ce que, à ce stade, vous pensez que le projet devenu Fonds Marianne a rempli pleinement ses objectifs ? Est-ce que vous pensez qu'il a été à la hauteur des ambitions fortes affichées et affirmées par le Gouvernement, je le rappelle, dans un contexte inédit et particulièrement grave ?

Est-ce que vous considérez que les procédures ont bien été respectées, qu'elles sont en tous points conformes à une gestion saine et rigoureuse des fonds publics ?

Est-ce que vous pensez que le Fonds Marianne a bien été utile dans l'expérience nouvelle de liens portés par les associations, soutenues par le Gouvernement, pour lutter contre les discours séparatistes ?

Permettez-moi, madame la ministre, une question plus personnelle, parce que j'ai le sentiment, au long de cette audition, que vous vous êtes mise en quelque sorte en porte-à-faux par rapport au projet du Fonds Marianne. Vous avez passé beaucoup de temps, à travers de nombreuses réponses, à expliquer que vous vous étiez tenue à distance. Avant la création du Fonds, vous n'avez pas d'amis - j'ai compris que c'était une réponse à la presse, pour le dire simplement. Au moment de la création du Fonds, vous le validez, puis vous vous tenez à nouveau à distance. Vous ne vous y intéressez pas.

Vous reconnaissez qu'il y a quand même eu une intervention défavorable vis-à-vis de SOS Racisme. Ensuite, il y a plus de communication. Est-ce que je me trompe ? Aurais-je mal compris ?

M. Claude Raynal, président. - Si l'on reprend les choses, on voit que nos travaux ont montré qu'il y avait eu des contacts, en amont de la création du fonds, avec différents acteurs. L'appel à projets n'a pas consisté à susciter des candidatures mais, en amont, à préparer certaines candidatures. C'est d'ailleurs ce qui rend la notion d'inéquitable tout à fait juste dans l'appréciation de l'IGA.

Des associations ont donc été sélectionnées, quelquefois avant l'ouverture de l'appel à projets, sans prendre de précautions minimales, qu'on demande toujours à une association, et encore plus quand il s'agit d'une subvention de nature exceptionnelle. Une somme de 300 000 euros à 350 000 euros, c'est exceptionnel dans ce milieu, et cela suppose des garanties.

Les procédures de sélection ont été à géométrie variable, c'est le moins qu'on puisse dire - c'est une manière délicate de dire les choses -, en fonction des acteurs. L'IGA dit des choses tout à fait claires.

Des décisions ont été prises ou modifiées en aval du comité de sélection, y compris directement par vous, madame la ministre, sous réserve de vos appréciations bien entendu. Cela nous a été confirmé par votre directeur de cabinet, nous l'avons dit.

Un appel à projets s'est fait sans grille d'analyse, sans objectivation des candidatures. Est-ce que vous ne pensez pas que la politique de lutte contre les discours séparatistes méritait un peu mieux ?

Ne pensez-vous pas qu'une action qui entendait répondre à un assassinat horrible perpétré en octobre 2020 méritait une mise en oeuvre, une attention, un suivi précis, sérieux, continu ?

Au-delà des responsabilités d'un secrétaire général, qui sont pointées par l'IGA, et d'un cabinet, continuez-vous vraiment à rejeter toute responsabilité dans ce fiasco ? Il a fallu que je vous interroge sur ce point précis pour que vous reconnaissiez un bout de responsabilité.

Je parle de fiasco parce qu'il concerne l'action de deux associations qui ont été encouragées, montées spécifiquement pour cela, alors que d'autres travaillaient déjà avec le secrétariat général. Tout ce qui a été tenté en termes « innovants » s'est un peu cassé la figure. C'est dû à la vitesse, sans doute, à l'impréparation, sûrement, à la volonté de communiquer rapidement. C'est presque une maladie gouvernementale. Je ne parle pas de ce Gouvernement, mais de manière générale : un événement, une réponse, une communication, c'est vieux comme la politique. C'est ancien comme méthode de faire, mais est-ce aujourd'hui pertinent ?

Ces nouveaux acteurs n'ont pas été encadrés et sont aujourd'hui finalement mis en cause par ceux-là mêmes qui les ont créés, d'une certaine façon. C'est quand même dur ! Un article 40 pour l'une, une demande de remboursement pour la deuxième. Sur quelle base ? On ne sait pas trop. C'est quand même le signe d'une grande difficulté.

Je l'ai dit, vous auriez pu vous contenter d'amener les associations déjà connues sur le terrain à s'intéresser à votre projet et à le développer. Je pense que le résultat aurait sans doute été meilleur.

J'en reviens à votre propos introductif. Vous avez dit : « je salue le travail de la majorité des associations, qui font un bon boulot et qui travaillent bien dans ce domaine ». Je partage votre avis. Nous en avons croisé quelques-unes. Elles nous ont toutes envoyé leur production, de manière à ce qu'on puisse regarder concrètement les choses. Il y a des productions et des projets associatifs tout à fait intéressants mais, en pratiquant ainsi, par cet appel à projets mal géré, mal suivi, et à cause de lui, j'ai l'impression que vous avez surtout fragilisé cette chaîne d'acteurs qui travaillent à dénoncer des discours séparatistes depuis des années, en le faisant souvent sous l'angle de l'explication, du travail consciencieux sur le terrain, en faisant avancer des idées, en luttant contre les discours séparatistes, ce qu'elles font fort bien.

Est-ce que vous avez conscience que cette opération de Fonds Marianne fragilise terriblement cette chaîne de compétences associative, qui a mis du temps à se mettre en place et qui est une base extrêmement forte ?

Comme notre collègue le disait, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Vous avez repris cette expression, je la reprends à mon compte également mais, malheureusement, le mal est fait, même si on espère que, le temps passant, on puisse remonter les choses.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, pour vous répondre globalement, je redis ce que j'ai dit depuis le début sur ce sujet : je prends absolument toute la responsabilité qui est la mienne, c'est-à-dire la responsabilité politique. Je ne m'en suis jamais dédouanée. J'ai toujours assumé les décisions, les lignes politiques, les commandes politiques passées. Je l'ai dit à de nombreuses reprises.

Pour citer les grands auteurs, « un chef, c'est fait pour cheffer ». J'endosse donc la responsabilité de mes décisions, mais aussi celle de mon directeur de cabinet, qui a délégation de ma signature, avec qui j'ai travaillé en parfaite symbiose et en confiance dans les décisions qu'il a pu prendre en mon nom. Il y était fondé.

J'ai dit aussi que je prenais toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité. Je ne crois pas, je le redis rapidement, qu'on puisse imputer à un dirigeant public ou un responsable politique la malversation interne d'une structure à laquelle il fait confiance, quand il n'a pas de raison à ce moment-là de ne pas le faire.

Je répète que, sur l'attribution des subventions, je n'avais pas d'implication personnelle et que je n'ai pas soutenu de dossiers en particulier. Je le redis très clairement. Je n'ai pas pris de décision de soutien à un dossier pour quelques raisons personnelles que ce soit. J'ai en revanche rendu un avis quand on est venu le solliciter.

Sur la question du suivi, il y a des communications qui sont adressées, des bilans en conseil des ministres, notamment en février dernier. Il y a un suivi étroit de ce dossier. Ne pas aller dans l'ingénierie du suivi des subventions et ne pas contrôler personnellement le travail mené par les associations ne signifie pas qu'il n'y ait pas de suivi du projet.

Tous les mois, j'ai rendu compte de la lutte contre le séparatisme et vous avez eu, monsieur le président, la gentillesse de le rappeler : c'est un sujet qui me tient à coeur de longue date, avant même d'être chargée de la question de la citoyenneté. C'est un sujet qui, pour moi, est intrinsèquement lié à la question de la liberté des femmes et de la protection des femmes. On voit trop souvent, dans trop d'actualité dans le monde, à quel point les femmes sont les premières victimes de cette idéologie séparatiste et islamiste qui menace encore notre sol à l'heure où nous sommes en train de parler.

Il a été fait mention - et j'en avais fait moi-même mention - de l'attentat odieux commis contre le professeur Samuel Paty. J'en garderai toute ma vie le souvenir. C'est moi qui ai ouvert la Cellule interministérielle de crise (CIC). Je suis allée avec le Président de la République et le ministre de l'intérieur sur place. Tous ceux qui ont été en responsabilité, quel que soit leur degré de responsabilité au moment d'attentats terroristes, n'oublieront jamais ce qu'ils ont vu, senti et entendu sur place, quand ils s'y sont rendus. Bien évidemment, et comme chacun ici, je trouve que c'est une lutte prioritaire et qui doit continuer à être menée.

Dans les réponses que j'ai pu apporter, j'ai insisté sur le rôle que j'avais ou que je n'avais pas, parce que ce sont des réponses aux questions, mais aussi parce que j'ai pu être mise en cause à tort, par voie de presse, à propos de faits que vous n'avez pas rapporté ici. Je distingue bien sûr les deux. Je n'ai pas voulu répondre à la presse par l'intermédiaire de la commission, mais j'ai voulu être factuelle et claire pour vous donner tous les éléments sur ces sujets.

Je veux redire, parce qu'on est passé rapidement sur ce sujet, que je n'ai pas non plus financé de contenu politique en période électorale - la question n'a pas été posée ici -, contrairement à ce qui a été écrit dans la presse à un moment. Il est aujourd'hui démontré que c'est faux, et d'autres articles sont venus l'infirmer. Je le dis après avoir été successivement accusée d'un peu tout et son contraire dans la presse, y compris de délits, et alors qu'il est démontré semaine après semaine que ce n'est pas du tout la question qui est posée. Ce n'est pas la même chose de se demander si un appel à projets est assez long et assez bien ficelé ou s'il y a délit. Ce sont des choses différentes.

Il a été indiqué qu'il restait des questions en suspens. C'est juste. Je suis moi-même très preneuse des réponses à ces questions. Je ne suis pas omnisciente. Il y a votre commission d'enquête. Il y a un deuxième rapport de l'IGA qui doit être rendu. Il y a une instruction du PNF ouverte sur une association en particulier.

Eu égard à la séparation des pouvoirs, je ne suis pas fondée à commenter cette instruction, qui relève exclusivement de la justice pour une affaire en cours, mais je veux dire, et ce sera ma conclusion, qu'il y a eu cinq mois de travail pour aboutir au Fonds Marianne, que l'impulsion politique qui est donnée est par nature contestable. Nous sommes en démocratie. Elle peut l'être, elle l'est et a parfaitement le droit de l'être. La méthode, au-delà de l'impulsion, peut parfaitement être remise en cause, améliorée et clarifiée. Elle le sera, je n'en doute pas.

Personnellement, quelles que soient les responsabilités que j'ai ou que j'aurai ou non à occuper dans l'avenir, je mettrai en oeuvre les recommandations qui seront indiquées en matière de liens sur la question des subventions.

En conclusion, je veux très simplement redire - d'autres l'ont dit et je l'avais fait également précédemment - le soutien que j'apporte à toutes les personnes qui sont aujourd'hui des combattantes et des combattants de la lutte contre l'islamisme radical en France et dans le monde. Toute personne qui prend la parole publiquement pour contredire et pourfendre l'idéologie de l'islamisme le fait au péril de sa vie, et on voit bien aujourd'hui à quel point des lauréats du Fonds Marianne, qui ont mené une action remarquable et avaient parfois une antériorité d'actions bénévoles pendant des années pour apporter un discours face à la radicalisation des jeunes le font sous le coup de menaces pour eux et pour leurs proches, d'insultes permanentes, de cyberharcèlement. Je tiens ici à leur apporter très clairement et très fermement mon soutien le plus absolu et le plus inconditionnel.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre.

Audition de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté

(Mercredi 14 juin 2023)

M Claude Raynal, président. - Madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous poursuivons cet après-midi les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds.

Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives d'une commission d'enquête.

Nous entendons aujourd'hui Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.

Nous savons, madame la ministre, que vous avez pris vos fonctions bien après le lancement du Fonds Marianne et la sélection des projets mais, alors que ceux-ci étaient encore soumis à un suivi par votre administration, vous avez été témoin d'un certain nombre d'alertes, qui ont conduit entre autres à la création de notre commission d'enquête.

Par ailleurs vous avez autorité sur le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) et avez aujourd'hui la responsabilité sur l'attribution des crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR). Nous sommes donc particulièrement intéressés par le fait de comprendre le suivi que vous faites de ce sujet et les enseignements que vous tirez de l'épisode qui nous occupe aujourd'hui.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, si vous le souhaitez bien sûr, madame la ministre, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Backès prête serment.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. -Je vous remercie de m'auditionner aujourd'hui.

J'ai pris mes fonctions le 4 juillet dernier, mais je vais vous donner, en propos introductif, quelques éléments de contexte, vu de mon prisme, de l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui.

Lorsque je suis nommée, le 4 juillet, je dispose de ce qu'on appelle les « dossiers ministre », qui comprennent un certain nombre d'éléments, remis par chaque direction pour être portés à la connaissance des membres du Gouvernement. Concernant le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), il n'est pas question du Fonds Marianne. C'est un sujet que je ne connais absolument pas puisque, vous le savez peut-être, je viens de Nouvelle-Calédonie et qu'en Nouvelle-Calédonie, il n'y a pas de sujet de radicalisation. Ce sujet m'était donc complètement inconnu avant mon arrivée.

Je prends connaissance pour la première fois du sujet dans le courant du mois de septembre, lorsque mon conseiller en communication me transmet un article du magazine Marianne, qui date du 30 juin, soit avant ma nomination, faisant état d'une question sur la liste des lauréats qui n'aurait pas été rendue publique. Je demande à ce moment-là, via mon mon directeur de cabinet, des éléments au secrétaire général du CIPDR, qui nous transmet une première note, que nous estimons incomplète, et qui est complétée par une seconde note du 12 octobre nous expliquant, d'une part, la raison pour laquelle la liste de lauréats n'est pas rendue publique - j'y reviendrai sans doute - et, d'autre part, nous faisant un point sur l'ensemble des lauréats pour faire l'état des lieux.

Cette note, globalement très positive, fait état d'une bonne exécution des différentes subventions. Il y a, à ce moment-là, une simple observation, qui fait une ligne, indiquant qu'il pourrait y avoir un sujet de contenus sur l'une des associations, sur laquelle j'imagine qu'on reviendra également, Reconstruire le commun.

Je demande plus d'informations au secrétaire général du CIPDR, qui nous indique qu'il avait effectivement vu des contenus à caractère politique, qu'il avait convoqué les responsables de l'association, qui avaient dit que cela ne se reproduirait plus. L'affaire était donc close.

À ce moment-là, il n'y a pas de d'alerte. Ce sont simplement des questions ou des observations. Au mois de décembre, suite aux questions insistantes d'un certain nombre de journalistes sur la liste des lauréats et du fait qu'elle n'est pas rendue publique, nous décidons de la montrer à un certain nombre de médias - en l'occurrence France 2, Marianne et Mediapart -en échange d'un engagement de ne pas la diffuser pour maintenir la sécurité des lauréats qui, on le sait, quand il s'agit d'islam radical, sont très vite en situation de risque.

Au mois de décembre, nous montrons cette liste aux différents médias et n'avons plus de nouvelles sur le sujet jusqu'au 22 mars, date à laquelle mon cabinet a un échange avec France 2, qui dit, de mémoire : « attention, on a vu un problème avec une association, l'Union fédérative des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) » qui, visiblement, n'a pas dépensé correctement la subvention.

Cette alerte est en fait suivie, dès le lendemain, d'un mail des nouveaux dirigeants de l'USEPPM, qui dit : « attention, on a constaté un problème dans la manière dont cette subvention était dépensée ». Cette alerte nous inquiète fortement et déclenche ma demande, d'une part, de saisie de l'IGA, le lendemain et, d'autre part, une demande adressée au préfet Gravel de saisir la procureure de la République de Paris sur le fondement de l'article 40 à propos de cette association.

Le préfet Gravel le fait le 31 mars. À la suite de cela, on commence à comprendre qu'il y aurait, là encore sur la base d'un certain nombre d'informations des journalistes, des problèmes de contenus qu'on avait commencé à identifier dans le cadre des premiers questionnements. Je demande donc le 31 mars au secrétaire général du CIPDR de faire un travail de fond sur toutes les associations et tous les contenus pour regarder l'étendue de la problématique et savoir si, effectivement, les associations lauréates ont bien dépensé les subventions comme prévu.

On se rend compte très rapidement, le 12 avril, qu'il y a un problème de contenu avec l'association Reconstruire le commun. J'étends donc la mission de l'IGA à l'ensemble des associations, et je décide de faire moi-même un article 40 sur cette nouvelle association.

Je passe ensuite sur le fait que le parquet national financier (PNF) ouvre une information judiciaire le 4 mai et sur la suite, que vous connaissez bien évidemment.

Je voudrais simplement, avant de répondre à vos questions, vous dire que la politique publique en matière de lutte contre l'islam radical est absolument essentielle dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qui est aujourd'hui menée par le Gouvernement. Les renseignements que nous avons démontrent que le communautarisme et le séparatisme alimentent la radicalisation qui, elle-même, alimente le terrorisme.

Auparavant, les prêches les plus violents et les plus dangereux étaient faits dans les mosquées. Ils sont aujourd'hui faits sur les réseaux sociaux, et on a besoin de cette politique publique bien évidemment menée en partie par les services du Gouvernement, mais on sait très bien que les codes de ceux qui sont sur les réseaux sociaux, les méthodes, les réseaux eux-mêmes sont plus accessibles par un certain nombre de personnes de la société civile, qui sont mieux à même de répondre, d'où l'intérêt de la politique publique au sens large qui est menée.

On y reviendra bien évidemment, mais il y a dans ce dossier, de manière maintenant très claire, après le rapport qui a été remis par l'IGA, des erreurs qui ont été commises, des fautes, des manquements sur lesquels on va revenir. Je pense qu'il ne faut pas, selon l'expression que vous avez utilisée ce matin, « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Il y a, dans les associations qui ont été lauréates comme dans d'autres, qui travaillent dans le cadre du FIPD ou de partenariats avec le Gouvernement, des associations qui font un travail extraordinaire et qui, en outre, depuis la publication de la liste par un organe de presse, sont réellement en insécurité et menacées.

Ils nous ont répondu récemment, suite à un certain nombre de sollicitations, qu'ils ne voulaient plus y aller parce qu'ils sont en danger. Je voudrais simplement attirer votre attention pour que, dans les messages que nous passons collectivement sur ce sujet, on continue de soutenir ceux qui mènent ce travail de contre-discours républicain et de lutte contre l'islam radical.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre. Comme vous le savez, notre commission n'a pas du tout pour objet de remettre en cause une politique publique, que ce soit celle-ci ou toute autre d'ailleurs. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle est de voir si elle est exécutée dans les meilleures conditions possibles et de nous assurer du respect des règles fixées par ailleurs.

J'avais quelques questions d'ordre général, mais vous nous avez déjà répondu, ainsi d'ailleurs que votre directeur de cabinet, que je salue, qui est à vos côtés. Élue de Nouvelle-Calédonie et ayant à l'époque assez peu de liens avec la métropole, sinon des liaisons indirectes, le fonds Marianne vous était inconnu, ce dont nous nous sommes étonnés lorsque cela nous a été dit par votre directeur de cabinet et désormais par vous-même.

On peut en effet s'étonner qu'il ne figure pas dans la continuité de l'action de l'État. C'est un point à mon avis tout à fait essentiel.

Avez-vous eu des discussions ou des contacts avec votre collègue Marlène Schiappa à ce sujet au moment où vous arrivez ? Elle aurait pu éventuellement, sans vous transmettre un dossier, évoquer ce sujet, ou depuis qu'un certain nombre de difficultés sont apparues. Est-ce qu'il y a eu un échange sur cette question ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Non, absolument pas de discussions, sur ce sujet avant que l'affaire n'éclate. Nous avons eu une discussion sur le sujet dans laquelle je lui ai indiqué qu'il était bon d'attendre d'une part les résultats de l'IGA, puisque c'était avant le résultat de sa mission, d'autre part de la commission d'enquête et, pour finir, de la justice, avant de nous exprimer publiquement sur le sujet.

M. Claude Raynal, président. - Votre directeur de cabinet nous a apporté une réponse assez claire sur le rôle du cabinet et sur la procédure, sur laquelle il a pris position sur le fait qu'il n'était pas anormal que le cabinet soit dans le système de décision en matière d'attribution de Fonds et, plus exactement, de validation des sujets, pour employer un terme plus précis.

On voit bien que, dans cette affaire - peut-être parce que c'était aussi le démarrage -, le CIPDR avait finalement un fonctionnement un peu autonome. Lorsque le poste de ministre délégué est créé, on revient dans un cadre un peu plus traditionnel, et un nouveau système de validation est mis en place. Vous l'avez poursuivi. Est-ce que vous pouvez nous dire si vous en tirez quelques conclusions sur la manière d'établir cette relation entre l'administration, le cabinet vous-même ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Le processus tel qu'il est construit, c'est-à-dire l'administration qui instruit et propose et le politique qui valide, me paraît parfaitement conforme. Je suis accessoirement présidente de collectivité locale, et c'est ainsi que cela se passe dans les collectivités locales. Cela ne me paraît pas dissonant ou dysfonctionnant. La question est ensuite de savoir quels sont les contrôles a priori et a posteriori qui sont effectués.

Ce qu'on voit dans le rapport de la mission de l'IGA, c'est qu'on a peut-être manqué de contrôles, notamment a priori, au moins pour une association, et que les contrôles a posteriori montrent un certain nombre de dysfonctionnements. Je pense que c'est là-dessus que nous allons travailler.

M. Claude Raynal, président. - A priori, durant l'opération, et a posteriori. Ce sont à peu près toutes les étapes qui sont signalées dans le rapport de l'IGA, si on le décode bien. En tout cas, c'est un sujet prégnant que la question de savoir comment on doit fonctionner.

Un exemple a été donné à juste titre par votre directeur de cabinet. Lorsqu'on reçoit un dossier, quels que soient les rôles et les responsabilités que l'on a, qu'elles soient municipales, départementales, régionales ou ministérielles, c'est pareil : on reçoit des dossiers en direct et la règle qui doit effectivement s'appliquer est une règle de transmission à l'administration sans élément d'appréciation particulier, la laisser travailler et voir après comment avancer. Ces pratiques-là paraissent de bon sens et, de plus, mettent chacun devant ses responsabilités. Peut-être faut-il aller plus loin dans la formalisation de quelque chose dans ce domaine, car un certain flou peut parfois sortir de positions particulières.

Le 10 octobre 2022, le préfet Gravel vous fait parvenir une note dans laquelle il explique les raisons pour lesquelles la liste de lauréats n'a pas été rendue publique et pour lesquelles une démarche a été engagée pour ne pas les mentionner dans le jaune budgétaire sur le soutien de l'État aux associations. Cela répond à une demande de la presse pour obtenir la liste des lauréats. Pouvez-vous nous rappeler ce contexte et nous dire comment cette demande de note est formulée. À quoi répond-elle ? Est-ce une demande de votre part ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Nous sommes sollicités à ce moment par des médias qui nous demandent la liste en décembre. On voit simplement à ce moment-là l'article du 30 juin qui dit que la liste est tenue confidentielle, et cela a l'air de poser problème. C'est à ce moment-là que je demande des informations et que le préfet Gravel nous indique que, pour des raisons de sécurité, et dans un cadre effectivement bien défini, la liste des lauréats est gardée confidentielle. Je pense que c'est finalement ce qui aurait dû être fait. Elle a finalement été rendue publique. Aujourd'hui, un certain nombre de lauréats nous font part de menaces à leur encontre, et je pense que, dans la mesure où ils sont directement en charge de répondre à des discours qui amènent à une forme de séparatisme, ils sont en danger. La volonté du Gouvernement, qui était je crois partagée à l'époque, était de garder cette liste confidentielle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai pris des notes sur la chronologie que vous avez évoquée dans votre propos introductif, mais n'étant pas encore un parfait pratiquant de la sténo, il doit me manquer quelques petits éléments.

Vous l'avez dit au début de votre propos introductif, peu de temps après votre nomination, en octobre, vous avez reçu une note où était mentionnée la bonne exécution des subventions, à part une association, que vous avez citée, Reconstruire le commun, pour laquelle des questions étaient soulevées sur le ou les contenus. Assez rapidement, le secrétaire général du CIPDR est intervenu et la situation a été réglée.

J'essaie de garder la tête froide par rapport à ce qui nous a été dit ce matin. Cela veut dire que lorsque vous passez cette commande, on vous produit une note. Je pense que c'est le cabinet...

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est le SGCIPDR...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - ... Qui passe au cabinet, qui passe au ministre, le tout dans un temps très court.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Oui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'en conclus une première chose, c'est que les rouages sont parfaitement huilés. Votre arrivée n'a rien changé. C'était la pratique hier, c'est la pratique aujourd'hui et, dans un ministère, ce sera la même pratique demain.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Vous voulez parler de la transmission du SGPDR au cabinet puis au ministère ? Je suppose. En tout cas, depuis que je suis là, il n'y a pas d'absence de fluidité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous n'avez donc pas donné de consignes particulières remettant en cause le fonctionnement passé ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - S'agissant du fait de demander une note et qu'elle soit transmise, non. Je ne vois pas pourquoi j'en aurais donné.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais vous dire tout de suite pourquoi je m'interroge : ce matin, votre prédécesseure a expliqué en permanence qu'elle n'avait pas connaissance des éléments, que c'était le CIPDR, le secrétaire général, le cabinet, mais qu'elle n'était pas là, même si des membres du cabinet venaient du CIPDR.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je comprends le sens de votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est pour garder le parallélisme des formes. Cela me paraît assez cohérent, d'autant que vous l'avez dit à plusieurs reprises dans votre court propos introductif. Les choses sont donc assez objectives.

Deuxièmement, je voulais parler de la subvention la plus importante concernant l'USEPPM. Effectivement, cette association qui avait bénéficié d'une subvention importante, ne répondait pas, depuis quelque temps déjà, aux sollicitations de l'administration. Historiquement, lorsque les subventions ont été accordées, il devait y avoir un point au bout de six mois. De novembre 2022 à février 2023, il y a eu des relances et pas de réponse. Vous avez bien à nouveau été avertie de la situation. Est-ce que vous savez à quel moment et par qui ? Je pense que c'est là aussi par le CIPDR.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je comprends mieux le sens de votre question et tiens à préciser que je ne suis évidemment pas informée de tout ce qui se passe à l'intérieur du SGCIPDR. Ce n'est absolument pas mon rôle. Je pense que ce serait un problème si c'était le cas. Je n'ai pas toute la partie administrative du suivi. En revanche, je suis informée de ce que fait mon cabinet, qui a des réunions régulières avec le secrétariat général du CIPDR, d'une part pour transmettre l'impulsion politique que je souhaite transmettre et, d'autre part, pour recueillir de la part du SGCIPDR d'éventuelles problématiques qui se poseraient ou les avancées des dossiers qui leur ont été confiés.

J'ai effectivement, courant mars je pense - je n'ai pas la date exacte - une remontée par le SGCIPDR et mon cabinet du fait qu'on a un souci de transmission de documents par l'USEPPM, ce qui amène la suite, c'est-à-dire la mission qui est confiée à l'IGA et l'article 40. Ils ne transmettent effectivement pas les documents et on n'a aucune réponse de leur part.

Le 23 mars, je ne sais si vous l'aviez noté, les nouveaux responsables de l'association nous disent qu'il y a visiblement un problème.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous êtes donc plutôt alertée, avec plusieurs avertissements, en mars 2023, puisque la situation a perduré, malgré des relances.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Très clairement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Parfait. Cela correspond. J'avais noté le 22. Il me semblait que c'était 48 heures après, mais on ne va pas chipoter à un jour près.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est cela. En fait, on a la presse le 22, l'USEPPM le 23, et l'IGA le 24.

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Finalement, pour les deux associations, Reconstruire le commun et l'USEPPM, vous avez eu des alertes, mais pas au même moment. Est-ce que c'était à chaque fois avant des annonces faites par la presse ou après ? Est-ce que des éléments avaient été communiqués ? Vous n'en aviez pas forcément connaissance, mais est-ce qu'ils étaient déjà dans le circuit ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Les deux, en fait. C'est-à-dire qu'il y a deux situations différentes. Pour l'USEPPM, l'alerte principale vient du mail qu'on reçoit des nouveaux dirigeants de l'association qui, clairement, nous inquiète. Au-delà de la question de la presse, c'est ce qui génère la grosse alerte.

Pour Reconstruire le commun, c'était au départ juste un questionnement qui, en plus, avait été balayé, réglé. C'était un questionnement dans la note du mois d'octobre, il y avait un problème de contenu. Je crois que c'était un contenu politique contre Éric Zemmour. On a convoqué l'association pour lui dire qu'elle n'avait pas à avoir de contenu politique, et les choses ont été recadrées.

La vraie problématique vient de questions de la presse, qui ne cite pas d'association, mais qui nous dit simplement : « on a commencé à regarder sur la base de la liste que vous nous avez montrée, et il semble qu'il y ait des problèmes de contenu ». Cela génère, le 31 mars, une demande de ma part au SGCIPDR, via mon cabinet, pour décortiquer tous les contenus. Ils ont regardé des heures et des heures de contenus pour nous faire une note qui amène à la grosse alerte sur la deuxième association, Reconstruire le commun, avec des contenus d'ordre politique qui vont bien au-delà de ce qui avait été observé au mois d'octobre. C'est donc la presse en partie et le travail de contrôle d'autre part qui nous alertent.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. Je peux donc en conclure, là encore, que l'information est fluide. L'alerte remonte vers vous normalement, sans obstacle et, de la même manière, vous prenez des décisions, vous donnez des directives et elles sont mises en oeuvre sous votre autorité par le cabinet et par le CIPDR.

Pour moi, cela paraît parfaitement clair, simple et, je le redis, beaucoup plus limpide que ce que nous avons entendu ce matin.

M. Claude Raynal, président. - Sur ce point, on a une difficulté de présentation de ce qui a été fait par le secrétariat général par rapport à ces contenus. On a deux versions, si je puis dire. Si vous en avez une à privilégier, cela nous serait utile.

Le préfet Gravel nous a indiqué ici qu'il avait fait des diligences dès qu'il avait vu les contenus un peu particuliers, sans exagérer les choses non plus, mettant en cause des personnalités politiques. On peut se demander, si on veut défendre les valeurs républicaines, s'il est bon de démarrer par une agression tous azimuts envers les élus de toutes tendances. Je n'en suis pas tout à fait sûr, mais je pense que vous partagez à peu près cette idée.

Le préfet Gravel nous a dit : « j'ai reçu l'association, je lui ai indiqué que ce n'était pas admissible, etc. ». Lorsque nous l'avons reçu, la présidente de l'association ne s'en souvient pas. En tout cas, cela ne l'a pas marquée, sinon je pense qu'elle s'en souviendrait. Elle dit simplement : « j'ai eu une remarque par rapport au fait qu'on a fait référence au Président de la République, à Emmanuel Macron, dans une des séquences », ce qui est la réalité. Il y a donc eu une mise en cause plutôt sur ce sujet-là.

D'autre part, lorsqu'il y a ce type de problème dans une association, on pourrait s'attendre à ce que l'administration fasse un écrit. On peut oralement dire qu'il y a un souci. Deux versions sur les contenus sont mises en avant. L'un n'interdit pas l'autre. On peut parler d'une question sur le Président de la République et puis d'autre chose, mais l'association nous dit : « on nous a dit en gros de ne plus faire cela », et c'est tout.

Il n'y a surtout pas eu un seul écrit. Généralement, quand il y a un problème avec quelqu'un avec qui on travaille, cela peut prendre une forme écrite. Cela reste dans le dossier. Est-ce qu'il y avait là-dessus, dans les notes que vous avez eues, des éléments particuliers sur ce sujet, ce qui nous permettrait de choisir une des deux versions ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Malheureusement, je ne vais pas pouvoir vous aider parce que cela s'est passé avant que j'arrive. Je n'ai absolument aucun élément, si ce n'est ceux qui sont arrivés après. Je ne vais donc pas pouvoir trancher. Je ne sais pas quelle est la version qu'il vous faudra garder. J'en suis navrée.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que vous avez pour habitude et pour pratique d'entretenir avec les partenaires associatifs qui interviennent sur le contre-discours des relations de suivi régulier qui vous permettent d'apprécier la qualité du travail fourni, voire de le réorienter ? Quelle est la pratique, sous votre autorité en tout cas ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Non, je ne le fais pas, parce que je considère que ce n'est pas mon rôle. Ce n'est pas le rôle du ministre. Le rôle du ministre est d'impulser une politique, d'initier et de faire le point de manière régulière avec l'administration qui est en charge du suivi pour savoir si les choses sont faites correctement, dans le cadre des objectifs politiques qui ont été fixés.

Je vais vous donner un exemple d'une politique publique que je porte, qui est la lutte contre les dérives sectaires, que l'on a également confiée au SGCIPDR, en particulier dans le cadre de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). On a de la même manière confié au SGCIPDR une politique publique à mettre en oeuvre, et on fait un point, via mon cabinet, de manière régulière pour savoir comment les choses avancent. C'est le SGCIPDR qui fait lui-même le point avec les associations.

Il nous arrive bien évidemment de recevoir des associations dans le cadre des politiques publiques que l'on mène, non pas pour faire le point sur leurs actions, mais pour voir quels sont les points qui avancent, qu'on souhaite faire avancer, comment elles le voient et comment elles sentent la situation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc, globalement comme vous l'avez dit - mais je veux m'en assurer -, vous avez des notes qui sont demandées ou envoyées à intervalles réguliers, qui vous font un état de la situation. Vous avez eu à un moment une alerte. C'est l'administration, le CIPDR, qui reçoit des consignes de la part du ministre ou du cabinet pour veiller à rectifier ce qui, éventuellement, ne fonctionne pas....

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Soit des notes, soit des réunions pour faire le point régulièrement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous embrassez une nouvelle responsabilité ministérielle, vous l'avez dit, sur un sujet qui vous est étranger. Je rappelle qu'il a été mis en oeuvre dans un temps très court, avec une procédure assez lâche, c'est-à-dire avec peu de rigueur en termes de méthode, d'exécution du contenu, de notation et de transmission de l'information à celles des associations qui avaient candidaté. Est-ce que vous avez, par rapport à cet état de fait, une remarque ou des souhaits à exprimer pour l'avenir ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Avant les alertes, je n'ai eu aucune connaissance de la manière dont cet appel à projets a été lancé. Bien évidemment, depuis, j'ai lu avec attention le rapport de l'IGA, qui démontre clairement qu'il y a eu des erreurs, voire peut-être des fautes, en tout cas un certain nombre de dysfonctionnements majeurs qui doivent nous amener à faire évoluer les méthodes.

Pour ce qui concerne les autres appels à projets, on a lancé avec le CIPDR deux appels à projets en matière de lutte contre les dérives sectaires. L'ensemble des contrôles a été effectué a priori et a posteriori. Le reste est en cours.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans un délai aussi court, avec des contrôles aussi rapides ou succincts ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - La situation est complètement différente pour les appels à projets. Je ne porte pas de jugement sur ce qui s'est passé avant. La situation et le choc qu'a connu la France suite à l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine ont sans doute amené à des décisions différentes par rapport à la question de la lutte contre les dérives sectaires, qui est une politique publique de long terme, qui ne pose sans doute pas les mêmes urgences. Je ne porte donc aucun jugement sur la manière dont les choses se sont passées.

Un certain nombre de conclusions sont à tirer et des adaptations sont absolument indispensables suite, d'une part, à ce premier rapport de l'IGA, mais le deuxième rapport et les conclusions de votre commission nous donneront un cadre qui nous permettra de faire mieux les prochaines fois.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends ce que vous venez de nous communiquer. Ceci étant, je ne crois pas qu'il y ait un rapport aussi différent que celui que vous évoquez au regard de la gravité de l'événement qui a donné lieu à la création du fonds, puisqu'on observe que, d'après les premiers éléments apportés en audition par l'administration, normalement, il faut deux à trois mois.

Et puis, il y a une accélération soudaine à propos de laquelle on n'arrive pas complètement à comprendre qui décide, ne décide pas, regarde, ne regarde pas. C'est la raison pour laquelle je voulais avoir cet élément.

Vous avez évoqué le mail du 24 mars et le projet de signalement au sujet des associations du Fonds Marianne. La décision de faire le signalement, c'est vous qui la proposez, qui la prenez ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est moi qui la prends et c'est mon cabinet qui la met en oeuvre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On a d'ailleurs une procédure de contrôle en cours. Vous avez évoqué l'autre association, Reconstruire le commun, qui a donné lieu à une demande de remboursement. Cela nous a été confirmé lors de l'audition des membres de l'association. Cela a été fait au début du mois de mai. Est-ce que vous avez participé à la décision ? Dans quel sens ? J'imagine que si vous avez participé, c'est certainement pour confirmer. N'avez-vous pas le sentiment que cette décision est un peu tardive ? Je veux dire par là qu'il s'avère qu'elle intervient consécutivement à de nouvelles révélations par la presse. Peut-on en conclure qu'il y a un lien de cause à effet ou absolument pas, et que vous avez des éléments à nous communiquer ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - On ne peut effectivement pas dire qu'il n'y a pas de lien de cause à effet. La presse s'est clairement intéressée au sujet. Il n'y a pas que la presse. Je l'ai dit pour l'USEPPM.

Pour la question des contenus, on a demandé le 31 mars à regarder l'ensemble des contenus de l'ensemble des associations, et c'est sur la base de ce travail, qui n'est pas celui exclusif fait par la presse, que nous avons effectivement été alertés sur un certain nombre de contenus qui n'avaient rien à faire dans l'objectif qui était fixé initialement.

J'ai pris la décision. Elle a été mise en oeuvre compte tenu des éléments qui nous ont été transmis par le secrétariat général du CIPDR, sur la base du visionnage de plusieurs heures de contenus extrêmement lourds, qui ont donné lieu à une identification précise de tous les contenus qui posaient problème, de manière qu'on puisse avoir l'ampleur de la problématique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous considérez qu'il y a eu des subventions trop importantes versées et qu'au regard de ce qui a été versé, il est logique de prétendre à un remboursement.

L'IGA, dans son rapport, préconise ou recommande trois choses : émettre un titre exécutoire d'un peu plus de 127 000 euros, prendre acte des manquements aux obligations statutaires qui ont été relevés par la mission et, enfin, compléter la saisine du procureur de la République. Est-ce que vous confirmez aujourd'hui vouloir la mise en application des trois recommandations du rapport de l'IGA ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Oui. La première est déjà en cours de mise en oeuvre, puisque la procédure contradictoire a été initiée par le secrétariat général du CIPDR. Les poursuites disciplinaires seront mises en oeuvre, mais nous attendons le deuxième rapport de manière à avoir une vision globale de la situation. Le complément et l'article 40 relèvent de l'IGA, puisque ce sont eux qui ont la connaissance et la vision globale du sujet.

M. Claude Raynal, président. - On va aller assez vite, puisque votre relation au projet est relativement limitée dans le temps pour aller sur les prospectives et les recommandations.

Il n'est pas simple de savoir, quand on confie une fonction à des associations tout en leur laissant le soin de mettre les choses en oeuvre, jusqu'où on va dans le dispositif.

En ce qui vous concerne, c'est plutôt une réflexion prospective que je vous demande. Vous l'avez d'ailleurs dit : c'est une politique publique, et il y a des chances qu'elle se poursuive - en tout cas, on espère que cela pourra être fait.

On a souvent, et c'est un vrai problème, monté de faux projets. Je fais simple : on associe à des montants de subventions d'autres subventions ou des fonds privés dont on n'a d'ailleurs aucune trace. Non seulement on a sans doute des réponses négatives, mais on n'est même pas sûr qu'il y ait eu des questions. Les fonds demandés ont-ils été vraiment sollicités ? On n'en sait rien. Pourquoi cela a-t-il été monté ainsi ? Après le Fonds Marianne, il y avait l'idée qu'un relais pouvait se faire par d'autres financements que ceux de l'État.

Dans la réalité, en particulier dans les deux gros projets initiés à ce moment-là, il y avait des co-financements. Bien sûr, une des fautes est de ne pas avoir vérifié avant de démarrer le projet qu'il y avait au moins eu des demandes dans ce sens. On ne peut pas toujours tout obtenir avant de démarrer, mais il aurait au moins fallu que les demandes de financement soient formulées. Ce n'était pas le cas.

De manière générale, l'État est non seulement le premier financeur mais, en fait, le financeur unique dans beaucoup de projets de cette nature. On peut le comprendre, parce que le sujet n'appelle pas des soutiens privés massifs. Dès cet instant, quel est le lien qui doit s'établir avec l'association ? Quel est le niveau de contrôle qui est possible et acceptable ? Quelle est la zone où l'association est libre d'avancer ? Comment les choses peuvent-elles s'articuler ?

Dans nos auditions, cela a été évidemment formulé de manière un peu abrupte, les associations disant : « on n'est pas sous-traitants du CIPDR ». D'accord, mais leurs projets sont financés intégralement ! Comment voyez-vous, dans le cas d'un financement public, les limites du contrôle car il faut bien laisser une part de liberté à l'association, tout en ayant un contrôle suffisamment approfondi pour ne pas risquer d'être amené soit à demander des remboursements, soit à utiliser l'article 40, ce qui n'est pas très heureux lorsqu'on a lancé un projet ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je vais vous répondre tout simplement avec la réussite des quinze autres associations. En fait, cette politique publique est capable d'être menée à bien de manière tout à fait correcte. On a fixé un grand objectif, qui était celui de lutter contre les discours de l'islam radical, à destination principalement des jeunes de douze à vingt-cinq ans. Ce grand objectif, les associations le connaissaient évidemment et avaient obligation de produire des contenus et du contre-discours à destination de ce public.

La plupart des associations lauréates du Fonds Marianne ou qui travaillent aujourd'hui avec l'État, notamment dans le cadre du FIPD, savent très bien ce qu'elles peuvent et doivent faire, tout en n'étant pas des salariées du Gouvernement. C'est toute la difficulté de l'exercice qui, finalement, n'en est pas réellement une quand on voit la production d'un certain nombre d'associations et la réussite de cette mission.

Doit-il et peut-il y avoir d'autres financeurs ? Je ne le crois pas. Cette politique publique, malheureusement, ne peut et ne doit être menée que par l'État. Par contre, les services de l'État, tels qu'ils sont construits, ne peuvent, seuls, assumer cette mission de contre-discours parce que les moyens et les publics ont évidemment changé, évolué, et que la société civile et un certain nombre de structures associatives le font mieux.

Je pense donc qu'on doit pouvoir continuer, tout en assurant des contrôles a priori plus importants que ce qui a été fait et en assurant un contrôle au fur et à mesure et a posteriori. Je crois profondément qu'on peut mener cette politique publique sous cette forme, en associant la société civile et en vérifiant évidemment de manière continue s'il n'y a pas de dérives en matière de contenus, comme on l'a vu pour une association, et si l'association met bien en oeuvre ce pour quoi elle a été subventionnée.

Je n'y vois pas de difficultés majeures. Il y a eu là, on le voit, bien des erreurs et des dysfonctionnements, mais je ne crois pas que ce soit la politique publique dans son ensemble et le fait de s'appuyer sur le tissu associatif qui soient à revoir.

M. Claude Raynal, président. - Vous parlez de la réussite des quinze autres projets. Il faut peut-être nuancer les choses, dans la mesure où dix des projets sont en réalité des projets d'associations avec lesquelles le CIPDR travaille depuis cinq ans. Après cinq ans de travail avec une administration de l'État, la pratique et le discours se sont affinés, et ces associations sont à même de réussir ou, en tout cas, présentent des éléments de travail convenables avec le CIPDR.

Il se trouve néanmoins que la question se pose lorsqu'il s'agit à la fois de nouveaux projets et de nouvelles structures. C'est là que les choses pèchent pour beaucoup : quand on travaille avec de nouveaux acteurs, qui plus est portés par des associations soit naissantes, soit très faibles. La question de la relation doit être extrêmement travaillée.

En tout cas, si on doit tirer une leçon de cette expérience, me semble-t-il, c'est de dire que, lorsqu'on a un nouvel acteur, il faut l'accompagner - pour utiliser un vocabulaire moderne. C'est pour cela qu'il faut relativiser la réussite globale.

D'autre part, les autres associations, pour l'essentiel, travaillaient sur la notion de la fraternité au sens large : comment positiver un discours face au discours islamiste ? Comment arriver à ce que des populations n'acceptent pas ces discours et comprennent qu'il y a un intérêt à la vie et au fonctionnement de la République ? C'est plus un travail de terrain que sur les réseaux sociaux.

Le travail sur les réseaux sociaux est beaucoup plus complexe. Il faut continuer ces politiques mais une des faiblesses du système est qu'il faut savoir les évaluer. La question de l'évaluation est primordiale. Comment fait-on ? Sur le terrain, les associations ont des personnels, des actions. On peut aller voir ce que font les associations sur le terrain et on a des comptes rendus. Quand on est sur les réseaux sociaux et qu'on a 50 tweets et 200 vues, on sait qu'on a tout loupé ! Même si on a un million de tweets et des millions de vues, on n'est pas sûr qu'ils proviennent de ceux que l'on souhaite atteindre.

Au-delà de l'objectif, qui peut avoir du sens - on n'est pas là pour commenter une politique publique, on peut le faire ailleurs -, il faut se donner les moyens d'en mesurer les impacts. On ne peut se contenter d'un nombre de vues.

De manière encore plus directe, ne vaut-il pas mieux très peu de visioconférences ou de vidéos, mais très regardées par les « bons clients », si j'ose dire, c'est-à-dire par les cibles que l'on souhaite toucher ? Encore faut-il avoir un outil de mesure. On a vu que ce n'est pas si facile. Lancer des politiques sans outil d'évaluation présente beaucoup de faiblesses. Partagez-vous ce point de vue ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est effectivement beaucoup plus compliqué à évaluer qu'un certain nombre d'autres politiques publiques. Le choix du Gouvernement est d'aller dans plusieurs sens. Vous connaissez l'existence de la plateforme Pharos, vous savez ce qui est fait dans les quartiers de reconquête républicaine. On essaye d'aller dans plusieurs directions, mais prenons par exemple la question de la laïcité. Les messages envoyés par un certain nombre de réseaux qui portent la voix de l'islam radical véhiculent l'idée que l'État est islamophobe et que la loi sur la laïcité est donc islamophobe. Ce sont les messages qui sont passés.

Comment fait-on pour répondre à cela ? Il faut qu'on arrive à produire des contenus qui arrivent à faire passer des messages qu'on n'arrive plus à faire passer à un certain nombre de jeunes qui n'écoutent ni leurs enseignants ni tout ce qui relève de l'État. C'est là qu'il faut employer des codes différents. Ce n'est pas juste un film avec « République française » écrit dessus, parce que personne ne va le regarder, en tout cas pas ceux qui pourraient être concernés.

M. Claude Raynal, président. - Encore moins si c'est marqué « ministère de l'intérieur » !

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - En tout cas, on ne va pas toucher ceux qui sont susceptibles d'être atteints par ces messages. Il nous faut donc vraiment nous réinventer.

Je voudrais revenir sur votre intervention initiale et la question des nouvelles associations. Oui, il faut les accompagner, mais sans les écarter. Je pense qu'on a besoin d'innovation, de créativité et de ces nouveaux acteurs qui ont une vision différente des jeunes publics et sont peut-être capables d'adapter les contenus à ces jeunes publics.

M. Claude Raynal, président. - De manière générale, et toujours pour en tirer des leçons pour la suite, parce que c'est ce que nous souhaitons faire à la fin de notre rapport, ne faudrait-il pas mieux préciser les conditions dans lesquelles les associations doivent mener les projets ? Est-ce que les clauses de convention d'attribution doivent être revues pour exclure certaines pratiques ?

Ce qu'on a vu, de manière générale, c'est que c'était extrêmement léger. Je simplifie : on a des associations qui ne sont pas bâties pour obtenir des subventions importantes, qui n'en ont jamais eu. On a un système de contrôle défaillant, un système de mesure de résultats inexistant et, à la sortie, cela produit évidemment ce que cela produit.

D'ailleurs, pour les deux associations, il s'agit de problématiques très différentes. Je ne les mets pas du tout sur le même plan. Du coup, on dit qu'on va demander un remboursement. Sur quelle base ? Si c'est sur la base de la convention signée, la demande étant faible, arriver à justifier d'un remboursement sur quelque chose qui n'est pas demandé est un peu léger. Est-ce que vous avez déjà un peu travaillé sur cette question si d'autres appels à projets, par extraordinaire, devaient arriver ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - On a évidemment des axes d'amélioration. Mieux on encadre les objectifs fixés aux associations lauréates et mieux le contrôle en cours et a posteriori peut se faire. Plus on est précis dans les objectifs qui sont fixés et mieux on arrivera par la suite à les contrôler. Je crois que, de toute façon, cette opération va nous amener, avec les rapports de la mission de l'IGA, à faire évoluer les procédures.

M. Claude Raynal, président. - S'agissant des comités de sélection, j'avais noté, dès ma première conférence de presse sur le sujet, leur caractère endogène, ce qui m'avait beaucoup gêné, trois membres du cabinet et trois membres de l'administration, alors même que deux membres du cabinet sont issus de l'administration concernée... Cela donne l'impression d'un entre-soi.

Quand on fait un appel à projets, peut-être n'est-il pas mauvais d'avoir à ses côtés une ou deux personnes avec des compétences différentes, qui ne sont pas liées à l'action menée, mais plus à l'utilisation des réseaux sociaux, etc. Le CIPDR nous a d'ailleurs dit qu'une des deux personnes était qualifiée, mais lorsqu'on sait que des associations proposent quinze minutes sur YouTube ou autres pour attirer les quinze à vingt-deux ans, on est très loin de la pratique des jeunes. S'ils en voient quinze secondes avant de refermer la boîte, c'est magnifique ! Un peu de vision sur la façon dont les jeunes voient les choses aujourd'hui et sur leurs pratiques n'aurait pas été inutile.

Partagez-vous cette idée sur le caractère endogène et sur le fait qu'on peut peut-être ouvrir les choses, ou est-ce que cela vous paraît tout à fait normal ? J'ai l'impression que j'oriente un peu la réponse...

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Légèrement !

Monsieur le président, vous sous-estimez les jeunes en pensant qu'ils vont regarder ne serait-ce que 15 secondes !

Mon sentiment est qu'il ne faut pas non plus exclure le politique. Je pense que, dans l'instruction, dans les propositions, les éléments de prise de décision doivent remonter aux politiques dans le processus de validation en matière de nouveautés et de propositions. Les éléments concrets doivent donc être validés par le politique, qui a un rôle à jouer à la fin du processus de validation.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes ici devant des élus. On a tendance à penser que le politique a un rôle de manière générale ! On ne méconnaît donc pas ce point mais, pour autant, lorsqu'on recherche de l'innovation, il n'est pas mauvais de s'entourer de compétences diversifiées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est certainement consubstantiel à la rapidité du dépôt de candidature, le délai était de vingt jours. Certains ont dû penser qu'il fallait aller vite. Le président Raynal a parlé d'entre soi. Deux ou trois membres qui étaient au cabinet, venaient du CIPDR. Comprenez qu'en termes d'ouverture, c'est relativement limité.

Je nous invite à regarder l'appel à projets pour le Fonds Marianne publié le 20 avril 2021 sur le site du secrétariat général du CIPDR, qui est toujours en ligne. Par rapport aux éléments qu'on évoque aujourd'hui, il y a quand même un certain nombre de trous ou de manques.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez raison de manière générale : vous dites que, lorsqu'on veut chercher des systèmes innovants, il ne faut pas s'interdire des créations. On peut imaginer qu'il faut presque accepter que des acteurs nouveaux, sans passé, sans histoire associative, puissent répondre. C'est ce que vous avez dit tout à l'heure, et c'est sans doute vrai mais, dans ces cas très précis, le suivi doit être extrêmement précis, sinon on en arrive à de l'expérimental pur. Il en faut un peu, mais il ne faut pas qu'à la sortie cela tourne à une dérive. Je pense qu'on est d'accord sur ce point.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je partage votre avis, monsieur le président.

M. Claude Raynal, président. - On ne peut dire : « Je vous laisse 300 000 euros, débrouillez-vous, et on se revoit à la fin pour voir si tout va bien ». C'était une phase un peu expérimentale. C'est un peu léger et, en tout cas, ces deux associations l'ont bien démontré.

Cela me permet de vous donner la parole pour une conclusion. Au regard des événements, quelles sont les évolutions que vous envisagez d'ores et déjà de prendre en compte, rapport de l'IGA ou pas ? Vous êtes suffisamment bien entourée et vous avez suffisamment de gens autour de vous pour voir comment mieux cadrer les choses. Il ne faudrait pas qu'on recommence au coup suivant, si je puis dire, et qu'on poursuive dans le même type d'errements.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Effectivement, cette affaire nous amènera de toute façon à un certain nombre d'évolutions dans la manière dont sont accordées les subventions, avec la question des contrôles a priori qui, sans doute, ont été insuffisants dans l'affaire dont on parle, mais aussi dans la manière dont on accompagne au fur et à mesure les associations pour voir si, dans le cadre du grand objectif de politique publique, les choses vont dans le bon sens, sans être dans un contrôle trop proche, où les associations deviendraient des prestataires purs et simples du Gouvernement. Il y a effectivement des moyens à mettre en place pour assurer ce contrôle a priori, en cours, et a posteriori. Cela fait partie du travail que nous devons mener.

Au-delà, je tiens à ce que cette politique publique qui est menée puisse continuer et qu'elle ne soit pas entachée par les erreurs qui sont constatées ni par les fautes, qui seront sans doute sanctionnées dans les prochaines semaines. Je le répète, cette politique publique est absolument essentielle. On le voit sur la question de la laïcité à l'école, pour ne prendre que cet exemple, où on a des réseaux extrêmement puissants qui touchent nos jeunes. Si on n'est pas en capacité d'avoir ce qu'on appelle - c'est peut-être maladroit - du contre-discours républicain, on ne sera pas en capacité de lutter. C'est bien ces messages qui génèrent la radicalisation et, derrière, malheureusement, le terrorisme.

Je pense donc vraiment que cette politique publique doit être continuée. Oui, il y a eu visiblement des erreurs, et elles ne doivent pas emmener l'ensemble de la politique publique.

Pour finir, le secrétariat général du CIPDR est une organisation qui a grossi avec le temps en fonction des problématiques. J'ai missionné, le 3 février dernier, totalement en décalage et sans aucun lien avec la question du Fonds Marianne, qui est arrivée après, l'IGA pour me faire des propositions en matière de réorganisation du secrétariat général du CIPDR, qui a grossi, avec de nouvelles missions comme la question des mineurs retour de zones, etc.

On a besoin de cette réorganisation. Je crois que, dans ce cadre qui, encore une fois, n'est pas forcément en lien avec la question du Fonds Marianne, les travaux de l'IGA sur cette réorganisation, sur les questions particulières du Fonds Marianne et les résultats de votre commission d'enquête nous amèneront à avoir des procédures plus solides à l'avenir pour continuer cette politique publique.

M. Claude Raynal, président. - Quelques collègues souhaitent vous interroger.

M. Jérôme Bascher. - Ma question est liée à une vieille pratique administrative qui était la mienne : il me semblait que, lorsqu'on écrivait une note au ministre, bien avant que le mail et WhatsApp soient autant répandus, on le faisait sous couvert du directeur de cabinet et du directeur d'administration centrale, histoire de faire valider un certain nombre d'éléments.

Est-ce qu'aujourd'hui cette pratique est encore la même ? C'est une chose que j'aimerais savoir.

M. Daniel Breuiller. - Je comprends et partage par ailleurs votre souhait que la politique publique perdure. Avez-vous aujourd'hui une stratégie suffisamment pensée pour la mettre en oeuvre ? Par exemple, des universitaires ont-ils travaillé à vos côtés pour se demander comment pénétrer les réseaux sociaux ? Est-ce que vous pensez qu'il faut une diversité d'intervenants et d'associations ou plutôt des personnes très homogènes ?

C'est pour moi une grande interrogation, parce que les valeurs de la République sont un bien commun, et je me suis interrogé sur le fait qu'on choisisse ou qu'on ne choisisse pas. Est-ce qu'il y a un vivier ? Est-ce que, pour vous, par exemple, la diversité des formes et des méthodes d'intervention sur le Net est un sujet que vous retenez ou qui est étudié ? Est-ce qu'il y a des changements de ce point de vue en termes de stratégie pour pénétrer dans les réseaux sociaux ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Madame la ministre, j'ai participé ce matin à l'audition de Mme Schiappa, et je sens deux ambiances de travail différentes. Je crois comprendre que vous avez remis un peu d'ordre ou, dans tous les cas, que vous avez la volonté de remettre de l'ordre dans les pratiques au sein de votre ministère. Vous nous avez donné quelques indices. Je crois, par bienveillance à l'égard du Parlement, que vous attendez également les recommandations de notre commission d'enquête pour examiner tout cela et faire un cocktail qui soit un peu plus agréable au vu de l'enjeu qui est le nôtre, à savoir répondre aux menaces de déstabilisation de notre modèle républicain.

Je pense qu'il serait utile que, dans l'interministérialité, votre style, plus en phase avec les objectifs d'intérêt supérieur de défense des idéaux républicains, soit mieux coordonné, au moins pour tirer enseignement des dysfonctionnements - c'est le mot le plus doux que je puisse utiliser - constatés durant la période précédente.

Je m'associe donc à la question de Jérôme Bascher sur l'organisation interne pour éviter, demain, de se retrouver dans cette situation. Je tiens à redire ici que le sujet qui nous a amenés à nous retrouver au sein de cette commission d'enquête est un sujet sérieux. C'est la déstabilisation du pacte républicain, avec l'assassinat d'un professeur de la République. Je pense que la rigueur que vous nous avez présentée aujourd'hui et le requestionnement des pratiques sont le moins que l'on doive à la mémoire de Samuel Paty et de toutes celles et ceux qui, avec vous, avec nous tous, concourent au respect des valeurs républicaines et à notre modèle d'intégration, qui exclut par définition toutes les logiques de cessation, de sécession et de séparation républicaine !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais inscrire une partie de mon propos dans la continuité des interventions de Jérôme Bascher et de Jean-Michel Arnaud.

J'ai parfois senti, dans l'audition de ce matin, une forme d'irritation lorsque nous avons cherché à replacer le temps des procédures et des validations.

J'entends ce que deux de nos collègues viennent de demander, ce qui, à mon avis, va obtenir une réponse positive de votre part, madame la ministre, sur ce que j'appelle une méthode de travail, une démarche rigoureuse, qui est une garantie de bonne administration et de sécurité juridique des actes et des décisions politiques, puis administratives.

Deuxième élément : vous avez parlé du Fonds Marianne, mais vous avez aussi employé le mot « d'affaire du Fonds Marianne ». Vous avez évoqué le fait que, peut-être, des fautes seront certainement sanctionnées dans les prochaines semaines. Vous avez également dit : « oui, il y a eu des erreurs, mais il ne faut pas tout jeter ». Ce ne sont pas tout à fait les mots que vous avez utilisés. On a en moins d'une heure, alors que vous avez pris le relais du dossier, de la part du Gouvernement, dans la continuité républicaine, des réponses qui me paraissent plus en rapport avec les éléments de notre questionnement et ceux qui sont aujourd'hui mis sur la place publique.

Cela n'a pas du tout été le cas ce matin. Il s'agit juste de poser les éléments objectifs. Il faut comprendre que les élus que nous sommes, en charge d'apprécier les faits et de contrôler l'action du Gouvernement dans ce domaine - et ce n'est pas facile -, essaient de toujours garder cette ligne.

Je poserai une dernière question. L'ambition initiale de l'État, dans un contexte atroce, à la suite d'un événement qui a glacé la France et donné un sursaut d'unité républicaine, était de mener le combat contre les discours séparatistes ou l'islamisme radical par tous les moyens. L'État n'est pas parvenu à les combattre comme il le souhaiterait par le seul système institutionnel.

On a le sentiment - et j'ai besoin de savoir si vous partagez mon avis en tout ou partie - que cette grande ambition s'est amenuisée, avec un fort manque de rigueur et sans qu'on ait une grande visibilité de l'action ni du bilan. Je comprends que le Gouvernement essaie de protéger les associations et celles et ceux qui les animent, mais on investit quand même un tout petit peu plus de deux millions d'euros en attribuant à quatre associations près de 1,4 million d'euros. D'autres ont moins, mais travaillent également, et un certain nombre - pour ne pas dire un grand nombre - sont des partenaires habituels de l'État.

Que fait-on du Fonds Marianne, une fois qu'on aura mis au clair ce qui a dysfonctionné ? Quels enseignements en tire-t-on en termes d'ambition ? Est-on au rendez-vous ? En est-on un peu, beaucoup ou très éloigné ? Il est évidemment important qu'on contrôle la bonne utilisation des sommes, la bonne organisation de la sélection et des choix, mais le Fonds Marianne impose une éthique dans les comportements et de la droiture au regard de la mémoire de la victime, et nous oblige encore plus.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Tout d'abord, les pratiques anciennes sont toujours d'actualité. Je ne sais pas si c'est de nature à vous rassurer ou à vous inquiéter. Vous avez parlé de validation de subventions : je ne valide pas les subventions. Je n'en ai pas la liste. C'est mon cabinet qui le fait, dans le cadre de l'impulsion qui est la mienne, de manière plus globale, en matière de politique publique.

Quelle politique publique mène-t-on ? En répondant à cette question, je vais répondre à l'ensemble des questions qui ont été posées en disant que cette politique est menée par l'ensemble du Gouvernement. Il n'y a pas des ministres qui le font et d'autres qui ne le font pas. C'est bien une politique publique, qui est initiée par le Président de la République, qui est menée par l'ensemble du Gouvernement et que je mène à mon niveau avec beaucoup d'humilité. On a en effet parfois le sentiment de vider l'océan avec une petite cuillère quand on s'attaque à ce sujet.

Ceux qui sont ou qui ont été élus locaux le savent : un travail extraordinaire est fait dans les préfectures, notamment avec les cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (CLIR), qui visent petit à petit à déstructurer les réseaux qui, une fois coupés, se remettent en place aussi vite qu'on les a cassés. On a, avec la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR), des outils nouveaux, objectivement assez extraordinaires, notamment les outils financiers, pour enlever les moyens à ceux qui s'en prennent à la République et aux enfants de la République en particulier.

Cette politique est menée sur le plan large. J'ai parlé de Pharos, qui s'attaque à la haine en ligne, qui est un sujet énorme. Sur les réseaux sociaux, on travaille pour construire notre politique, évidemment avec des universitaires, que reçoit le SGCIPDR. J'ai moi-même eu l'occasion d'en recevoir. On travaille également sur ces sujets avec l'Institut des hautes études du ministère de l'intérieur (IHEMI). On travaille notamment sur du « pre-bunking » pour que, lorsque quelqu'un va chercher par exemple sur les réseaux sociaux ce qu'est l'abaya, le premier contenu qui est trouvé soit plutôt produit par nous pour alerter sur les risques de séparatisme et de radicalisation. C'est un exemple qui est porté par un certain nombre d'universitaires.

On travaille sur ce sujet dans plein de directions, là aussi avec beaucoup d'humilité. Certaines choses fonctionnent, d'autres fonctionnent moins bien, en fonction des publics. Vous parliez de la difficulté de mesurer l'impact d'une vidéo qui a un million de vues, qui ne s'adresserait pas au bon public : c'est évidemment extrêmement difficile, mais je pense que ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il faut abandonner.

Je pense qu'il faut continuer dans toutes les directions dont j'ai donné quelques exemples. Au final, on se rend compte que cela amène quand même des résultats. Je l'ai dit, malheureusement, les prêches les plus dangereux ne sont plus dans les mosquées, alors qu'ils l'étaient auparavant. On a malgré tout évolué. On n'a plus aujourd'hui de prêche extrêmement violents ou dangereux dans les mosquées ou les librairies. Cela a été transposé, mais cela ne disparaît pas.

Tout le travail qu'on est en train de mener sur la question des financements de ces réseaux est absolument essentiel et, petit à petit, on déstructure ce qu'on a en face de nous. C'est une politique publique difficile, et je pense qu'on a besoin, sur ces sujets, du soutien de tous, du travail des services de renseignement, des préfectures et de l'ensemble des acteurs.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre.

Audition de M. Mohamed Sifaoui, directeur des opérations de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM)

(Jeudi 15 juin 2023)

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Directeur, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne et la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons ce matin Monsieur Mohamed Sifaoui en tant que directeur des opérations de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) à l'époque des faits. Nous avions souhaité vous entendre, il y a une quinzaine de jours, mais vous n'aviez pu, pour des raisons de santé, venir devant notre commission. Mardi dernier, une perquisition à votre domicile le matin vous a empêché de répondre à notre convocation. Nous sommes donc heureux de pouvoir enfin vous entendre.

Notre commission d'enquête ne doit pas interférer avec la procédure judiciaire en cours. Nous ne sommes pas là pour qualifier des faits en référence à des éventuelles infractions pénales, ce qui relèverait de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Notre commission d'enquête a pour seul objet de se pencher sur la préparation, la mise en oeuvre et le contrôle du Fonds Marianne, et d'en évaluer les résultats, comme cela est naturel s'agissant d'une politique publique mise en oeuvre après un évènement particulièrement dramatique que chacun d'entre nous garde en mémoire.

À cet égard, nous aimerions savoir comment vous avez été amené à présenter un dossier en réponse au Fonds Marianne. Le préfet Gravel nous a indiqué lors de son audition que vous représentiez une « caution scientifique évidente ». Vous pourrez nous indiquer si ce qualificatif vous semble adéquat et nous expliquer plus précisément la manière dont vous avez ensuite été impliqué en termes de mise en oeuvre, ainsi que les résultats que vous estimez avoir obtenus.

Je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment, à dire toute la vérité et rien que la vérité. Levez la main droite et dites « je le jure ».

M. Mohamed Sifaoui. - Je le jure.

M. Claude Raynal, président. -Je vous laisse, si vous le souhaitez, la parole pour un propos introductif.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vais être assez bref pour expurger surtout un certain nombre de points qui me tiennent à coeur, et que vous avez commencé, d'une certaine façon, à rappeler. Je ne suis dupe de rien, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Sans préambule, car votre temps est précieux, je vais entrer dans le vif du sujet. Je vais parler en toute transparence pour vous donner les éléments afin que vous puissiez vous approcher de la vérité, au plus près, mais je vais parler en toute transparence pour dire aussi des choses qui me déplaisent, que j'ai entendues et que je ne peux laisser passer. Je vais probablement - je ne l'espère pas - alimenter la polémique à travers ce que je vais vous dire. J'aurais préféré franchement ne pas m'exprimer ainsi, mais, malheureusement comme souvent dans ce type d'affaires, l'indécence l'emporte sur la raison et sur la retenue.

Je le dis, Mesdames et Messieurs, devant vous tous, sous serment, et devant l'opinion publique : non, non, non et non ! Le sujet qui intéresse votre commission d'enquête n'est pas l'expression de la « République des copains », pour reprendre le propos scandaleux, car insultant et diffamatoire, utilisé par l'un de vos collègues sur une chaîne de télévision, en l'occurrence Public Sénat. Je parle de vous, Monsieur le Sénateur Daniel Breuiller. Il n'y a pas eu de copinage dans cette affaire, et je vous prie, Monsieur le Président, de rappeler à vos collègues la décence qu'exige cette affaire, ne serait-ce que pour la mémoire de la victime que vous avez citée. Le premier copinage qui devrait d'ailleurs être dénoncé est celui qui lie votre courant politique, celui des écologistes, à l'islamisme, et ce dans plusieurs villes de France. Voilà l'intitulé d'une vraie commission d'enquête, permettez-moi l'expression, qui « aurait de la gueule ». Ainsi, je ne puis tolérer, et je pense qu'aucun démocrate ne peut le tolérer, que l'on puisse, lorsqu'on est sénateur, élu et de surcroît membre d'une commission d'enquête, tenir dans la presse des propos accusatoires avant même la fin des travaux de cette même commission d'enquête. Je peux donc vous dire mon indignation, car ce type de procédé qui se substitue à la justice n'honore ni son auteur ni l'exercice démocratique. Je ne fais aucun amalgame parce que je sais que la majorité des sénateurs et des parlementaires ont eu une attitude de dignité. Je ferme cette première parenthèse.

Depuis plus de deux mois, j'assiste impuissant à ce piétinement d'une sacro-sainte valeur, la présomption d'innocence. Alors que nous sommes aujourd'hui, d'un point de vue pénal, au stade de l'ouverture d'une information judiciaire, certains jugent utile d'ériger déjà des bûchers. Je vous rappelle que seule la justice accuse, vous l'avez dit, Monsieur le Président. Votre rôle ici, vous le connaissez parfaitement, j'en suis conscient, et il ne consiste donc pas à accuser.

Avant de répondre à vos questions, Mesdames et Messieurs les sénateurs, avant de livrer ma vérité en toute transparence, je souhaiterais quand même remettre les enjeux au centre du village, sans me dérober et sans éviter aucune question. Je suis sous serment - je l'ai rappelé et vous le savez. Il y a eu sans doute des erreurs partagées dans cette affaire, et je vous ferai part au fur et à mesure des griefs que j'ai moi-même contre les uns et les autres, les politiques, l'administration. Mais contrairement à d'autres, je ne suis pas venu ici pour défendre une carrière, faire de la communication ou me justifier comme se justifierait un coupable parce que je ne suis coupable de rien d'un point de vue pénal. Le fond, et le plus grave à mes yeux, est ce que je vais vous dire.

Aujourd'hui, et j'ai des griefs contre elle, on s'attaque à une ministre de la République. En vérité, on s'attaque à un gouvernement au mépris de la vérité parfois. Non, je le dis, Marlène Schiappa n'est pas mon amie, elle ne l'a pas été hier et elle le sera encore moins demain. Mais non, Marlène Schiappa n'est coupable ni de détournement d'argent ni d'un quelconque copinage, je le précise. Je vous dirai de quoi elle est responsable à mes yeux, politiquement parlant. On s'attaque à l'honneur d'un préfet, Christian Gravel, mais en vérité, on est en train de s'attaquer à l'honneur de toute une administration. Je ne suis pas un haut fonctionnaire - je suis un citoyen engagé -, mais je suis scandalisé par la manière par laquelle, au-delà des erreurs qu'il est légitime de rechercher, on cherche à jeter le bébé avec l'eau du bain. Christian Gravel, que je connais depuis au moins une quinzaine d'années, est un républicain de conviction et un homme de grande valeur. Il n'est coupable d'aucun détournement de fonds et n'a exprimé à aucun moment une volonté quelconque que j'aurais pu percevoir de détournement de fonds. On pourra discuter plus tard de ce qui peut être objet de débats. On s'attaque enfin à un homme, ma personne. On s'attaque à mon honneur et à ma réputation - je l'avoue, ce n'est pas nouveau, surtout depuis que le populisme et une certaine presse qui s'est mise au service de ce populisme sont devenus à la mode. Mais au-delà de ma personne, on s'attaque surtout à un courant de pensée, celui qui croit à la République et à la laïcité, qui n'a pas peur d'exprimer clairement ses positions contre l'Islam politique. Donc c'est un processus de délégitimation. Mais soyez conscients, au-delà de tout, qu'il s'agit de s'attaquer à une action, une impérieuse nécessité, me semble-t-il, qui nous enjoint de lutter contre l'Islam politique, véritable fléau qui ne cesse de gangréner nos sociétés. Et quand je vois certaines lâchetés, je comprends tous les jours pourquoi cet islamisme continue de gangréner cette société. Ce fléau trouve aujourd'hui des relais, quoi qu'on puisse en dire, et des complices, y compris au sein d'une partie de la sphère politique, de la société civile, et parfois malheureusement au sein des systèmes médiatiques sclérosés globalement médiocres, qui alimentent le populisme, lequel s'est mis lui-même au niveau des réseaux sociaux.

Avec fermeté donc, je tiens à démentir catégoriquement toutes les accusations graves et mensongères, les approximations et les contre-vérités qui ont été relayées et qui ont suscité la naissance de votre commission, mais aussi malheureusement, d'un pathétique rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) instruit exclusivement à charge, avec des approximations, des insinuations graves et des mensonges. J'espère que mon intervention permettra de mettre un bémol, un peu de nuance, à cette folie quasi généralisée qui entoure cette histoire, où des accusations tranchées sont proférées dans un esprit le plus souvent de règlement de comptes et de vendetta idéologique.

Pour finir, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, permettez--moi de parler un peu à la première personne. N'y voyez là aucune forme de prétention ou d'arrogance, mais la nécessité de vous dire clairement qui je suis, quelles sont mes valeurs et quels sont mes principes. Je suis un farouche opposant à tous les extrémismes, les islamistes bien sûr, mais aussi tous les tenants de toutes les formes de populisme. C'est ce qui a structuré mon long parcours de journaliste engagé, c'est ce qui a nourri mon expression. C'est la raison pour laquelle mes détracteurs se ramassent aujourd'hui à la pelle. C'est la raison pour laquelle aussi, depuis une trentaine d'années, Mesdames et Messieurs, je n'ai pas eu le droit à une vie normale. La mienne a été jonchée de cadavres, elle a été jonchée de sang. La mienne a été alimentée de menaces de mort. Ma vie n'est pas celle à laquelle aspire n'importe quel père de famille. Mes enfants, contrairement aux vôtres, n'ont pas grandi dans un contexte normal. Ils ont grandi avec des policiers, postés parfois 24 heures sur 24 devant leur domicile comme s'il s'agissait d'une ambassade, presque comme une citadelle assiégée, avec un père obligé d'être accompagné lui-même de gardes du corps depuis 2003, lors de ses moindres déplacements. Ceux qui m'aiment sont obligés de supporter la vie qui est la mienne, car dans la France d'aujourd'hui, on ne peut plus s'exprimer librement, malheureusement, surtout lorsqu'on s'attaque aux extrémistes, et singulièrement lorsqu'on vise l'Islam politique.

Je n'ai pas construit ma vie autour des questions matérielles, je vous le dis, mais j'ai consacré celle-ci à défendre des valeurs universelles et humanistes. Je n'ai pas bâti mes relations à travers une logique de copinage intéressé. Ceux qui défendent la République, ceux qui défendent la laïcité et ceux qui rejettent sincèrement l'islamisme sont tous mes copains, pour reprendre l'expression de votre collègue. Et vous comprendrez, Mesdames et Messieurs, que certains ne peuvent pas être mes copains, lorsqu'ils ne défendent pas ces valeurs. Lorsque l'année dernière, on m'a proposé pour une décoration, je l'ai refusée même s'il paraît qu'on ne refuse pas une décoration. Je l'ai refusée parce que je n'attends ni récompense, ni honneur, ni argent, ni aucun privilège. En revanche, j'exige du respect, - j'exige du respect M. Breuiller - un respect similaire à celui que je vous témoigne à tous en votre qualité d'élus, en votre qualité de femmes et d'hommes, un respect similaire à celui que j'ai toujours témoigné pour cette République que vous incarnez et que je n'aurai de cesse de défendre.

M. Claude Raynal, président. -Merci, Monsieur Sifaoui. Comme vous le voyez, je vous ai laissé un certain temps d'intervention.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous remercie, Monsieur le Président - on va vous accuser d'être dans un copinage...

M. Claude Raynal, président. -Si je l'ai fait, c'est surtout parce que jusqu'à présent, vous n'aviez pas eu l'occasion de vous exprimer publiquement sur des sujets où effectivement vous avez été mis en cause dès le départ. Je voudrais tout de même vous dire que quelques propos ne peuvent pas fonctionner. L'un de ces propos ne doit pas se traiter ici - il a l'intérêt d'être dit publiquement, et c'est votre ressenti concernant les propos de l'un des collègues de cette mission - mais je pense que les choses peuvent se traiter autrement. Vous avez utilisé le terme « on s'attaque ». Or, cette commission d'enquête ne s'attaque à personne, ni à un ministre, encore moins à un gouvernement. Elle établit les faits, elle pose des questions, elle écoute les réponses, elle en tire des conclusions. Tout cela n'est pas « s'attaquer ».

Bien entendu, je ne crois pas que vous ayez pu entendre qui que ce soit parler de détournement d'argent pour Madame la Ministre, de copinage de manière générale, sauf une citation que vous avez faite. Ce n'est pas notre sujet ici. De la même façon, on ne s'est pas attaqués au préfet Gravel. Je respecte, et tous les membres de cette commission respectent les préfets de la République. Nous avons simplement posé des questions sur des points de procédure, des méthodes administratives, des façons de faire et des résultats. Nous sommes dans notre rôle, et cela n'enlève rien aux qualités propres de la personne. Nous avons toujours considéré qu'il peut y avoir dans une vie de qualité des moments où il peut y avoir des erreurs. Nous avons même fait un texte de loi sur la prise en compte du « droit à l'erreur ». Nul homme n'est parfait et il peut y avoir, à un moment ou à un autre dans une carrière, des difficultés particulières. Nous les avons pointées, nous les pointerons dans notre rapport, et c'est tout. C'est notre rôle. Il revient ensuite à l'administration de dire ce qu'elle a à dire, avec le rapport de l'IGA, et nous verrons les prises de décision personnelles. En aucune façon, nous ne sommes dans un système d'attaque de qui que ce soit. Dans notre audition, nous ne nous attaquerons pas à vous non plus. Nous demanderons à établir des faits, nous questionnerons et vous répondrez aussi précisément que vous le voudrez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je partage la totalité des propos du Président, Claude Raynal, et souhaite simplement faire deux remarques comme je l'ai fait hier à l'issue du propos introductif de la ministre Madame Schiappa. Il ne faut pas confondre les temps, les lieux et les procédures. Nous sommes ici dans une commission d'enquête parlementaire, en l'occurrence sénatoriale. Il existe deux autres procédures, l'une devant le parquet national financier et l'autre devant l'IGA. Je ne porte pas de jugement. J'entends ce que vous ressentez, mais je pense que c'est auprès de ces instances que vous avez à exprimer votre sentiment. Nous sommes ici dans un temps de contrôle parlementaire le plus abouti de l'action du gouvernement et de la dépense publique, sur un sujet éminemment important. Je ne mélange pas les genres. Nous avons tous des parcours différents, faits de hauts et de bas, et nous devons ici, à cet instant, nous extraire de cette condition pour établir, analyser, comprendre et tenter de bien identifier la réalité des faits et de faire émerger la vérité afin de tirer les enseignements que, dans le cadre de cette commission d'enquête, en tant que sénateurs, nous souhaitons livrer dans un rapport qui sera rendu public. Je pense enfin que nous sommes tous animés de la volonté de faire reculer les discours séparatistes.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons démarrer par l'origine du Fonds Marianne. Vous l'avez dit, vous avez des relations anciennes avec le préfet Gravel. Vous a-t-on associé d'une façon ou d'une autre aux travaux préparatoires en vous consultant sur certains aspects de sa création ? Nous savons que vous avez participé en tant qu'expert aux réflexions sur la loi. Cela a-t-il été plus loin ensuite sur la création du Fonds Marianne ?

M. Mohamed Sifaoui. - Avant de répondre, juste un point pour que mon propos soit très clair : j'ai utilisé le « on » impersonnel, je ne visais aucunement votre commission d'enquête, mais, même si la plupart d'entre vous n'en ont pas besoin, je répondais à l'ambiance toxique générale qui entoure cette affaire afin aussi que vous y soyez vigilants.

Le contexte qui m'a amené à rencontrer le cabinet de Madame la Ministre Marlène Schiappa est le suivant. D'abord, depuis les attentats du 11 septembre 2001, j'ai été sollicité régulièrement par plusieurs institutions et j'ai toujours répondu favorablement et bénévolement. Je tiens à préciser à ce titre que tout au long de ma carrière, je n'ai jamais bénéficié d'un seul centime de fonds publics, ni sollicité ni agi dans une logique de rémunération, et ce jusqu'à l'année qui intéresse le sujet que vous traitez. Je ne vais pas vous faire le long parcours de consultations diverses et variées ; que ce soit sous le regretté Jacques Chirac, sous l'ancien Président Nicolas Sarkozy, sous le Président François Hollande et évidemment sous l'actuelle présidence d'Emmanuel Macron, j'ai été reçu à maintes reprises par plusieurs institutions régaliennes qui s'intéressent à la thématique qui est la mienne, et qui est celle de beaucoup d'autres personnes qui travaillent sur ces thématiques - je ne suis pas la seule personne à avoir été consultée.

À partir des années 2015-2016, la pression terroriste s'étant accentuée, la manifestation de la menace intérieure - le terrorisme domestique - s'est révélée avec acuité, illustrant ce que je présageais au début des années 2000, mais qui était totalement inaudible à cette époque, à savoir que cette évolution allait donner lieu incontestablement à des actions terroristes perpétrées par des citoyens français contre d'autres citoyens français, chose qui était totalement inaudible au début des années 2000. On me prenait pour un cinglé quand je disais qu'il y allait avoir des attentats, des décapitations, et des gens qui allaient tirer à la kalachnikov dans les rues de Paris ; je l'ai dit, je l'ai écrit et je l'ai annoncé en m'appuyant sur des faits objectifs.

À partir de 2015, je me suis dit que la société en avait pris conscience, mais surtout les décideurs politiques qui, souvent, face à ce sujet de l'Islam politique, ont fait preuve sinon de calcul, de méconnaissance, voire parfois clairement de lâcheté politique. En 2015-2016, la situation malheureuse a permis à tout un chacun de prendre conscience du danger terroriste, mais la question idéologique de l'Islam politique n'était pas du tout traitée. Je me suis donc attelé, à partir de 2016, à travailler inlassablement sur la question idéologique, substrat des actions terroristes que nous subissions, et qui n'était pas véritablement prise en compte en tant que telle. Autant la menace terroriste avait suscité la naissance d'une doctrine d'État qui s'est manifestée par des actions policières de renseignement et de justice où la société civile n'avait pas grand-chose à faire sinon à essayer d'alerter sur des comportements suspects, notamment parmi la jeunesse, ce que l'on appellera après les « signaux faibles », autant la question idéologique n'était pas du tout traitée. Or, j'ai toujours pensé qu'il fallait imaginer deux choses. D'abord ériger une vraie doctrine anti-islamiste, c'est-à-dire assumer un combat idéologique contre l'Islam politique et surtout mettre en place des mécanismes de prévention de la radicalisation et des mécanismes de contre-narration, notamment sur les réseaux sociaux, d'autant plus que les mouvements toxiques et extrémistes ont tous déployé une propagande extraordinaire depuis la naissance des réseaux sociaux et ont pris de court et de vitesse les États. La France évidemment était de ce point de vue très en retard.

À partir de l'année, je dirais, 2019, - je ne citerai pas de noms, d'autant plus que chaque nom qui sort est soumis au lynchage médiatique et populiste de certains courants politiques que j'ai cités tout à l'heure - j'ai été reçu à plusieurs reprises par un certain nombre de hauts responsables, avec d'autres personnes, que ce soit avec eux ou séparément, dans plusieurs ministères, cabinets, par plusieurs conseillers, personnalités et ministres. La question était la suivante : « que doit-on faire à votre avis pour faire face à cette pression islamiste qui se manifeste de différentes façons ? ». C'est la question, me semble-t-il, posée à tous ceux qui travaillent sur le sujet et qui ont été reçus.

À partir de l'été 2020, après la nomination de Madame Marlène Schiappa comme ministre déléguée à la citoyenneté, j'apprends qu'un de ses conseillers, que je vais appeler « conseiller 1 », est intéressé par un échange intellectuel avec moi. J'entre en contact avec ce conseiller 1 à partir du mois de septembre, d'abord par texto, ensuite téléphoniquement. Nous nous rencontrons ensuite physiquement, nous échangeons et nous faisons le constat que nous défendions les mêmes valeurs et d'une nécessité d'agir. Surtout, j'ai compris qu'il y avait une traduction politique à partir de 2020, un vrai changement de doctrine qui allait dans le sens que j'avais toujours défendu, à savoir que l'État allait enfin affronter l'Islam politique, l'idéologie islamiste, et mettre les moyens politiques pour répondre à la propagande islamiste de plus en plus pressante contre la France, la République, les institutions, les élus, les universitaires, les journalistes, etc. Évidemment, quand je vois cette réorientation de la politique étatique, c'est une chose que j'ai toujours défendue, et je décide de la soutenir, d'abord intellectuellement en tant que personne engagée. J'exprime ce soutien de différentes façons, sur les réseaux sociaux, dans mes publications, mes émissions de télévision, etc.

À partir de la rentrée 2020, le Président de la République va tenir un discours important, le discours des Mureaux contre le séparatisme islamiste, et les choses vont s'accélérer. Quelques jours plus tard a lieu l'assassinat du professeur du collège de Conflans-Sainte-Honorine, suscitant évidemment une émotion légitime. À ce moment, la volonté politique déjà affichée s'accentue. Les pouvoirs publics sont interpellés pour agir plus vite. Concours de circonstances, au moment où la politique gouvernementale entend concrétiser sa volonté de répondre à la propagande islamiste sur Internet, on découvre deux choses. On découvre d'abord que le crime terroriste qui a coûté la vie à ce professeur était lié de façon directe et matérialisée à la propagande islamiste sur les réseaux sociaux. En onze jours, ce professeur a été diabolisé ; en onze jours on a utilisé le discours victimaire, et en onze jours seulement quelqu'un qui n'était pas du tout en contact avec les personnes qui diabolisaient la victime allait passer à l'acte. On connaît la suite. Le constat que j'avais personnellement porté, et que je n'étais pas le seul à porter, se matérialisait par un fait dramatique. Deuxième évènement de hasard, le 2 ou le 3 octobre, au moment du discours des Mureaux, Christian Gravel est nommé au comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).

À partir de là, j'ai trois types de rencontre. J'ai eu des rencontres au ministère de l'Intérieur, notamment au département de Madame Schiappa, et au CIPDR avec Christian Gravel. J'ai eu des rencontres régulières à la demande - j'insiste, à la demande - du cabinet de Madame Schiappa. Je n'ai jamais sollicité un rendez-vous pour aller faire des offres de services. Il y a différents conseillers, celui que j'ai appelé conseiller 1, avec lequel j'ai une relation très cordiale aujourd'hui, car il n'a jamais agi d'une façon qui pourrait me laisser penser qu'il y avait quelque chose de malsain, le conseiller 4 que j'avais rencontré quelques mois plus tôt au CIPDR avant même l'arrivée de Christian Gravel, car j'étais aussi en contact avec le prédécesseur de Christian Gravel, et le conseiller 3 et le conseiller 2, soit les quatre conseillers avec lesquels je vais être en contact de façon régulière en septembre, octobre, novembre, décembre, janvier, février, mars et jusqu'au mois d'avril. Tout ce processus se passe sur deux sujets, à savoir d'abord des consultations pour alimenter la ministre dans le cadre de tout ce qui allait être la future loi séparatismes, etc. afin qu'elle comprenne quels étaient les enjeux, et ensuite une demande de leur part pour que je traduise les idées et les pistes que j'offrais pour qu'ils s'en emparent et qu'ils en fassent ce qu'ils veulent. À aucun moment je me dis que je vais proposer un projet pour moi. Tout cela se fait gracieusement à ce stade.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons essayer de préciser les choses. Vous vous êtes peu exprimé oralement, mais vous avez twitté. Dans un tweet, vous rappelez que vous n'avez pas pris cette initiative spontanément, mais que vous y avez été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Madame Schiappa et par elle-même.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous le redis sous serment aujourd'hui.

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous développer ce point ?

M. Mohamed Sifaoui. - Excusez-moi, je rigole car je suis quelqu'un d'assez jovial. J'ai dit que Madame Schiappa n'était pas mon amie, qu'elle ne l'a jamais été et qu'elle le sera encore moins demain. Je dis cela, car je n'aime pas et je ne respecte pas les gens qui n'ont pas de courage. Madame Schiappa est innocente, mais son attitude est curieuse. Elle a une attitude de quelqu'un qui est coupable. Mais elle n'est coupable de rien, et je vous le redis devant vous !

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le sujet, et d'ailleurs nous ne parlons pas de culpabilité.

M. Mohamed Sifaoui. - Non, mais elle a une attitude de coupable, c'est moi qui le dis. Si j'étais un observateur extérieur, je me dirais que Madame Schiappa a quelque chose à se reprocher. Et c'est bizarre, car elle n'a rien à se rapprocher.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas à vous de le dire.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous donne mon sentiment.

M. Claude Raynal, président. - Revenons-en aux faits. Vous dites avoir été encouragé notamment par Madame Schiappa. Le confirmez-vous et, le cas échéant, comment cela s'est-il traduit ?

M. Mohamed Sifaoui. - Cela s'est traduit par des rencontres en fin de réunion avec son cabinet, et je vais citer deux rencontres notamment. À l'issue d'une réunion portant sur le projet que j'ai proposé, quand la ministre sort pour vous saluer et pour vous dire « je compte sur vous » ; est-ce que c'est encourager à mettre en application un projet ou pas ? Ou encore quand les conseillers de la ministre me disent qu'elle apprécie énormément le projet que je leur ai présenté, qu'elle croit en ce projet, qu'elle s'en inspire énormément et qu'elle m'encourage à le présenter et à le défendre, et qu'ils disent qu'il sera regardé avec bienveillance ? Ou troisièmement, enfin à l'issue d'une rencontre que je devais avoir en tête à tête avec elle le 22 avril 2021, mais qui a finalement été annulée en raison d'un agenda compliqué, et qu'elle arrive en fin de rendez-vous avec son directeur de cabinet Sébastien Jallet, me salue et me dit encore une fois qu'elle compte sur moi et m'encourage vivement à mettre en application mon projet le plus rapidement possible.

Je mets toutefois un bémol : il est vrai qu'à aucun moment, ni Madame Schiappa, ni son cabinet n'ont pris un engagement financier à mon égard. Il y a eu trois étapes, à savoir un processus de réflexion qui a abouti au projet, une présentation du projet par moi-même - que j'ai fini par décider, car je me suis dit que si j'ai toujours défendu cette idée, pourquoi ne pas l'appliquer - et la troisième étape, une validation politique du cabinet de Madame Schiappa. Il restait une dernière étape, la validation administrative et financière du projet. Concernant le projet - j'ai entendu une histoire de 300 000 euros, cela ne va pas résister à un examen froid, distancié et documenté de la chronologie que je vais vous citer dans le détail. On n'a jamais parlé de 300 000 euros !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les déclarations que vous faites sur les discussions ou les rencontres avec Madame Schiappa confirment semble-t-il les déclarations de la ministre hier, qui explique que c'est plutôt entre deux portes, assez furtif, et que ce n'est pas un entretien d'une heure ou deux heures durant lequel le projet serait discuté en tête à tête avec des conseillers. Concernant vos propos selon lesquels, à partir du 2 ou 3 octobre 2020, quand Monsieur Gravel est nommé secrétaire général du CIPDR, il y a de manière suivie un certain nombre d'échanges et de rencontres avec les autorités politiques et administratives : pouvez-vous nous communiquer aujourd'hui ou très rapidement des éléments tangibles qui confirment vos déclarations, comme une chronologie des dates et des e-mails de confirmation de ces rencontres ? À l'heure actuelle, je prends note de vos déclarations sur vos contacts réguliers avec des autorités administratives et politiques, mais il nous faut des éléments tangibles, que vous pouvez nous faire suivre tout de suite ou à l'issue de l'audition.

M. Mohamed Sifaoui. - Désolé de ne pas pouvoir vous les communiquer aujourd'hui, et pour tout vous dire, j'avais préparé toute une documentation avec laquelle je devais venir, mais j'ai reçu une visite très courtoise du juge d'instruction, de la représentante du parquet et de policiers qui ont saisi et mis sous scellé tous les documents concernant cette affaire que j'avais préparés. Il faut que je puisse recollecter l'ensemble des éléments et des traces numériques, puis je vous communiquerai les dates dès que possible par un envoi mail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Lors de son audition, le préfet Gravel nous a rapporté qu'il avait appris que l'USEPPM, dans laquelle vous avez un rôle et une fonction, pourrait bénéficier d'un soutien via le Fonds Marianne, à l'issue de l'appel téléphonique que vous avez eu avec lui quand vous sortiez du cabinet de la ministre. Vous lui aviez parlé du Fonds Marianne en lui faisant comprendre qu'à la fois par votre statut, votre implication et votre investissement, vous aviez toute votre place pour ce fonds. Tout cela se passe en amont de la mise en place du Fonds Marianne qui n'interviendra qu'en avril. Est-ce bien la réunion que vous avez évoquée ? Avez-vous la date précise ? Avez-vous contacté le préfet Gravel à ce sujet et vous a-t-il signifié un quelconque engagement certain ou au contraire très évasif ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ce que vous a dit le préfet Gravel est vrai, mais je mettrais un bémol et quelques nuances de précision. La question m'a été posée par les inspecteurs de l'IGA, et honnêtement j'avais oublié cet épisode. C'est en recherchant, dans ma mémoire, et en essayant de remettre la chronologie, que je me suis souvenu de la chose : la réunion au cabinet de Madame Schiappa à la fin de laquelle elle vient me saluer ne se fait pas entre deux portes, mais dure le temps d'un échange de dix à quinze minutes. Les membres du cabinet et Madame Schiappa me disent qu'un fonds, sans parler du Fonds Marianne, un fonds important dédié au contre-discours sera prochainement mis en place et qu'ils attendent les derniers arbitrages.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Selon votre mémoire, c'est à quelle date ?

M. Mohamed Sifaoui. - Le 24 mars 2021, très précisément. Je n'ai pas réagi sur le coup, mais je sens une détermination chez les politiques. Je compte sur vous pour prendre de la hauteur par rapport à cette affaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On essaie de s'y employer.

M. Mohamed Sifaoui. - Je suis sûr que vous y arriverez, je vois que vous vous donnez beaucoup de mal, je suis certain que vous y arriverez. Je ne me réjouis pas de toucher de l'argent, ce serait ridicule, je me réjouis que l'État ait enfin compris qu'il fallait dégager le nerf de la guerre pour pouvoir répondre aux islamistes. Je vous rappelle que l'Islam politique n'est pas généré par des gens éparpillés ici et là. Ce ne sont pas des individus, des jeunes de quartiers populaires. Il y a des États derrière. Ceux qui financent le discours islamiste toxique, c'est le Qatar, ce sont parfois des alliés de la France, c'est la Turquie qui est membre de l'OTAN.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'allons pas faire ici d'histoire de l'islam politique.

M. Mohamed Sifaoui. - Certes, mais le contexte est important à comprendre.

M. Claude Raynal, président. - Croyez qu'ici, nous le connaissons.

M. Mohamed Sifaoui. - Je me dis simplement qu'un fonds dédié au contre-discours est une décision politique importante. Sur ce, j'appelle alors Christian Gravel pour lui dire, croyant qu'il était au courant, que la mobilisation de ce fonds est une très bonne nouvelle, mais il me répond qu'il n'est pas au courant.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez donc les mêmes propos que les déclarations du préfet Gravel qui n'ont pas complètement été confirmées par la ministre.

M. Mohamed Sifaoui. - Je pense que la ministre a des problèmes de mémoire, ce qui peut arriver.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avant le 24 mars, vous avez eu un certain nombre de contacts et d'échanges pour nourrir le débat et les projets que vous devez avoir en tête. En effet, vous allez très rapidement déposer un projet ambitieux porté par une association dont vous faites partie, ce qui signifie que vous devinez que les éléments constitutifs de votre réflexion et de votre projet vont devenir tangibles à travers un projet, c'est bien ça ?

M. Mohamed Sifaoui. - C'est bien ça.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ça, c'est le point de départ, la réunion du 24 mars. Une autre réunion se tient le 6 avril en votre présence et en présence du préfet Gravel et d'un conseiller chargé des relations avec les élus et les collectivités. Quels étaient l'objet et le contenu de cette réunion ? Des éléments nouveaux, plus précis sur le Fonds Marianne, sur un appel à projets sont-ils abordés à ce moment ?

M. Mohamed Sifaoui. - Lors de la réunion du 6 avril, on ne parle pas de fonds, on ne parle que du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - De quel projet ? Vous évoquez le 24 mars l'arrivée possible d'un fonds, sans plus. Je pense donc que le 6 avril, vous allez un peu plus loin, raison pour laquelle je vous demande quel est le contenu de cette réunion et si on vous donne un peu plus d'éléments.

M. Mohamed Sifaoui. - Non, absolument pas. Le 6 avril, on ne parle que du projet que je dois incarner à ce moment-là. Il y avait besoin d'affiner un certain nombre d'éléments, mais je ne leur présente aucun chiffrage. Jusqu'au 24 mars, je ne propose aucun chiffrage. Avec Cyril Karunagaran, on va chiffrer le projet entre le 24 mars et le 6 avril.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'avais bien compris. Je vous demandais donc quel était le contenu de la réunion du 6 avril et si vous avez alors une première approche systématique, stratégique, documentée, avec un projet de financement, une ébauche d'enveloppe.

M. Mohamed Sifaoui. - Le 6 avril, la réunion porte sur le projet en lui-même, sa stratégie. Le jour de l'ouverture de votre commission d'enquête, j'ai vu qu'avait fuité un des documents du dossier, à savoir la fameuse fiche synthétique. Or la subvention n'a pas été donnée par rapport à cette fiche synthétique. C'est faux. Si ceux qui avaient commenté cette fiche synthétique avaient fait preuve d'un minimum de professionnalisme, ils auraient simplement du aller voir la constitution du dossier le jour de l'appel à projets, dans lequel figuraient deux documents, à savoir une fiche détaillée et une fiche synthétique du projet. La fiche synthétique devait faire un feuillet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce vous qui venez avec ces éléments qui font l'objet de la discussion ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, moi je viens avec un projet d'une dizaine de pages ainsi qu'un bloc-notes dans lequel j'avais noté toutes les idées. Je présente le projet dans le détail, et cela prend à peu près une heure. Sur le chiffrage, je dis dès le départ qu'il n'y a absolument aucun intérêt à financer un projet qui ne soit pas pluriannuel et dont on n'est pas sûr de la pérennité. Par conséquent, entre le 24 mars et le 6 avril, nous avons travaillé avec Cyril Karunagaran sur le chiffrage d'un projet pluriannuel.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas tout à fait ce qu'il nous a dit.

M. Mohamed Sifaoui. - Très bien, mais c'est ce que je vous dis, et je suis responsable de mon propos. Dans ce genre d'auditions, les gens peuvent être imprécis. Nous avons travaillé sur un chiffrage pluriannuel et nous avons établi ensemble le bilan prévisionnel sur trois ans. Le chiffrage complet sur trois ans montrait que le projet allait coûter 1,5 million d'euros. Pourquoi une telle somme, qui peut faire hurler ? En effet, la riposte sur Internet nécessite la mobilisation de moyens humains séniors, des personnes confirmées. Par conséquent il faut des salaires, ce qui représente des coûts. Nous avions ainsi imaginé une petite armada de personnes capables de répondre sur Internet, raison pour laquelle sur trois ans, il était question d'une première année à 635 000 euros et de deux années à 850 000 euros.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous venez donc avec votre projet le 6 avril et vous vous quittez, je pense, en bons termes. J'imagine qu'on vous dit quelque chose à ce moment.

M. Mohamed Sifaoui. - On me dit que le projet est en train d'être étudié très sérieusement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le mot projet ne peut pas être utilisé dans tous les sens. Vous sortez, vous vous quittez en bons termes et on vous dit que votre dossier va être étudié pour voir comment il s'inscrit dans la durée ?

M. Mohamed Sifaoui. - On me dit que mon projet va être étudié.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le lendemain est évoquée l'idée d'un appel à projets à l'initiative du gouvernement et sur lequel le gouvernement réfléchit. Je conclus de ce que vous venez de dire que le 6 avril, veille du 7 avril où sera évoquée l'idée d'un appel à projets, vous n'avez eu aucune information d'une possible démarche du gouvernement de lancer un appel à projets sur cette thématique.

M. Mohamed Sifaoui. - Absolument pas. Je n'ai aucune information laissant croire que le Gouvernement allait faire un appel à projets. À ce stade, le 6 avril, je parle au nom d'une association qui porte un projet validé politiquement, et qui est en train de discuter avec les pouvoirs publics quant à sa réalisation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'imagine que le projet a fait l'objet d'un débat avec les membres de l'association et d'un compte-rendu de validation de ce projet qui sera peut-être soutenu par le gouvernement.

M. Mohamed Sifaoui. - J'ai tenu au courant les différents membres de l'association.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec ou sans formalisme ?

M. Mohamed Sifaoui. - Avec un formalisme. Lors d'un conseil d'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec un compte-rendu de conseil d'administration ? Vous êtes sûr ?

M. Mohamed Sifaoui. - Me semble-t-il, oui. Cyril Karunagaran vous le dira mieux que moi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cyril Karunagaran nous a dit qu'il avait travaillé 24 heures sur 24 du 7 au 9 avril.

M. Mohamed Sifaoui. - Du 7 au 9, c'est autre chose. Nous avons parlé du projet à partir du mois de janvier. Le 6 avril, je termine ce rendez-vous et le 7 avril, je reçois un e-mail du conseiller 3 qui m'envoie une série de documents en me disant de les remplir et de les transmettre au CIPDR, et que nous avons 48 heures pour le faire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - À plusieurs reprises, il a été évoqué que vous étiez formateur au sein de l'unité de contre-discours républicain. Par qui avez-vous été sollicité pour réaliser ces formations et à partir de quand les avez-vous dispensées ? Étiez-vous d'ailleurs rémunéré, soit personnellement, soit au titre d'une structure d'entreprise ou associative ? Jusqu'à quand avez-vous dispensé ces formations et avez-vous eu d'autres actions avec le CIPDR, ayant éventuellement donné lieu à des rémunérations ?

M. Mohamed Sifaoui. - Revenons en octobre 2020. Lorsque Monsieur Gravel est nommé au CIPDR, j'étais déjà en contact avec son prédécesseur et j'avais aussi quelques contacts au sein du CIPDR. Monsieur Gravel m'appelle, avec d'autres, et nous propose de constituer un comité scientifique. Première étape. Il me dit qu'il a besoin du soutien de tout le monde, car il est chargé de mettre en place très vite une unité de contre-discours républicain, mais qu'il n'a pas de moyens humains suffisants qui maîtrisent la matière. Lors de discussions, soit en groupe avec les autres personnes sollicitées, soit en bilatéral, il m'a demandé s'il pouvait compter sur mon aide, ce dont je l'ai assuré. Entre le lendemain de sa nomination et novembre, j'ai agi de façon bénévole auprès du CIPDR au quotidien. Le 24 ou le 25 octobre, il m'appelle pour me dire que la ministre déléguée à la citoyenneté et lui-même souhaitaient que je prenne part à un déplacement officiel dans le Tarn, à Albi, pour participer à un séminaire. Le 26 octobre, nous nous sommes ainsi rendus, Madame Schiappa, Christian Gravel et moi-même, à Albi pour assurer cette journée de séminaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez voyagé ensemble ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, j'ai mes contraintes donc je voyage dans des conditions qui sont gérées par le ministère de l'Intérieur. Nous avons tous les trois participé à cette journée de séminaire, puis Madame Schiappa a poursuivi sa visite ministérielle et nous sommes rentrés. J'ai continué mes relations avec le CIPDR, nous avons entamé un début d'échange intellectuel et ces sollicitations étaient quotidiennes - je ne m'en plains pas, j'y étais totalement disposé. Vers la mi-novembre, Christian Gravel m'a fait savoir qu'il était gêné par le fait de me solliciter au quotidien, qu'il comptait sur mon implication, que je serai de toute façon rémunéré et qu'il avait eu l'accord de la ministre. Cela a fait l'objet d'un devis et d'une facture en bonne et due forme. Toutes les institutions régaliennes, à commencer par la Présidence de la République, le cabinet du ministre de l'intérieur, le cabinet de madame Schiappa, savaient que j'étais totalement impliqué, que je formais les équipes de l'UCDR. Le devis a été établi fin novembre 2020.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela a été fait en nom propre au nom d'une association ou d'une entreprise ?

M. Mohamed Sifaoui. - Au nom d'une entreprise.

M. Claude Raynal, président. - Cela couvrait quelle période ?

M. Mohamed Sifaoui. - Il s'agissait d'un forfait payable en une fois sur la durée d'une année initialement, mais que j'ai fait durer jusqu'à janvier 2023.

M. Claude Raynal, président. - C'est un forfait qui a été payé plusieurs fois, puisque c'était une action à venir ?

M. Mohamed Sifaoui. - C'est un forfait qui a été payé en une fois, mais plusieurs mois plus tard - vous savez comment ça se passe.

M. Claude Raynal, président. - Non je ne sais pas. Dites-moi.

M. Mohamed Sifaoui. - Généralement, quand vous délivrez une facture à l'administration en novembre ou décembre, vous êtes payé quatre à cinq mois plus tard, de mémoire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous sommes preneurs de ce document, si vous le voulez bien.

M. Mohamed Sifaoui. - Vous verrez avec la police judiciaire, tout est à son niveau.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 24 mars, la réunion se tient en votre présence, celle de membres du cabinet et celle du préfet Gravel ou le préfet Gravel n'est-il pas présent ?

M. Mohamed Sifaoui. - Le 24 mars, le préfet Gravel n'y était pas, il y était le 6 avril. Sinon je ne l'aurais pas appelé au moment de sortir du cabinet !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quand avez-vous discuté pour la première fois avec le secrétaire général du CIPDR du projet de l'USEPPM ?

M. Mohamed Sifaoui. - Le 9 avril, Cyril Karunagaran envoie le projet chiffré au CIPDR à la demande du cabinet. À partir de là, pour une question d'organisation, Cyril Karunagaran devait être l'interlocuteur du CIPDR, car il est très à l'aise sur les questions administratives. Moi, je ne suis pas très attiré par ça.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il ne nous a pas vraiment dit qu'il était parfaitement à l'aise sur les sujets administratifs et financiers, mais comme vous formez un binôme assez proche, je voulais juste vous dire qu'il n'y a pas de sujet.

M. Mohamed Sifaoui. - Pardon, je n'ai pas compris votre remarque.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous l'avez comprise, et je vais la reformuler de la même manière.

M. Mohamed Sifaoui. - Pourquoi m'attribuez-vous des choses ? Quand je vous dis que je ne l'ai pas comprise, je suis honnête.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je reste cordial et courtois. Par honnêteté, parce que je n'aime pas les chausse-trappes, et je préfère que s'il y a un point de désaccord, on l'identifie. Madame la ministre m'a fait hier répéter deux fois la même question, et même la deuxième fois elle m'expliquait qu'elle ne comprenait pas. Or en général on me dit plutôt que je suis assez direct. Je vous dis que le président nous a déclaré ne pas être habitué à porter des dossiers de ce type.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous ai dit qu'il était à l'aise sur les questions administratives, je ne vous ai pas dit qu'il était spécialiste de la question des subventions. C'est vrai qu'il n'avait jamais demandé de subvention, mais il est à plus à l'aise que moi sur les tableaux Excel, et pour faire des bilans prévisionnels. Nous ne disons pas des choses contradictoires ; c'est peut-être votre lecture qui amène à voir des choses contradictoires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On essaye de faire la lumière. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers l'USEPPM pour porter le projet de Fonds Marianne, car il ne s'agissait pas vraiment l'objet de cette association ? Quel était le lien et quels étaient alors les objectifs portés par cette association ?

M. Mohamed Sifaoui. - Lorsque la discussion a lieu au cabinet, j'en informe Cyril Karunagaran très rapidement, je crois même dès décembre, mais dans mon esprit il n'est pas acté que l'USEPPM portera le projet. Je laisse le choix aux membres du cabinet auxquels je dis que je suis en contact avec quatre ou cinq associations, dont l'USEPPM dans sa dénomination complète, l'Union des fédérations des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire. Cela fait sourire tout le monde. Il me demande ce que c'est que ça. J'explique qu'il s'agit d'une vieille association de 1885 reconnue d'utilité publique, de laquelle je fais partie. Tout le monde s'est arrêté sur cette reconnaissance d'utilité publique. J'explique que depuis 2016-2017, l'association s'est réorientée sur les questions de prévention à la radicalisation.

J'ai entendu des commentaires comme quoi ce ne serait pas l'objet. Lorsque cette association est née à la fin du dix-neuvième siècle, que ses statuts sont réactualisés début du vingtième siècle et qu'elle est reconnue d'utilité publique en 1922, on est dans un contexte historique que d'aucun connaît : il est question d'armer la jeunesse. C'est une association qui préparait les enfants des petits bourgeois à aller à la guerre. Or je pense que s'il fallait dire aujourd'hui qu'il faut réarmer la société intellectuellement, et réarmer la jeunesse pour qu'elle fasse barrage intellectuellement et qu'elle devienne hermétique à la propagande islamiste, ce n'est pas contradictoire. On peut avoir une discussion, mais cette discussion, on l'aura devant les tribunaux. C'est un débat juridique sur la loi de 1901 sur les associations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En 2016-17, vous réorientez l'association. Vous modifiez l'objet de l'association. Des comptes-rendus attestent-ils de la modification de l'objet de l'association ?

M. Mohamed Sifaoui. - Oui, des comptes rendus et des assemblées générales ont abordé le sujet. Lorsque Cyril Karunagaran a pris la présidence en 2016-2017, il a traité le sujet. Je reprends une expression exacte utilisée par des avocats : c'est ouvrir une « usine à gaz » que de refaire les statuts d'une association qui est déjà reconnue d'utilité publique, car ils ont expliqué que cela engendre la perte de la reconnaissance d'utilité publique et que cela est très compliqué. Je ne suis pas là spécialiste des questions administratives sur les associations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans les documents dont nous disposons, il est indiqué que vous êtes salarié de l'USEPPM dans le cadre de la réalisation du projet du Fonds Marianne. Y a-t-il une compatibilité juridique entre cette situation de salarié et les statuts de l'association, puisque vous avez également indiqué au secrétaire général du CIPDR que vous alliez démissionner du conseil d'administration ? L'avez-vous fait et, le cas échéant, de quelle manière et à quelle date cela s'est-il matérialisé ?

M. Mohamed Sifaoui. - Entre l'année 2020 et le début de l'année 2021, j'étais trésorier. J'ai démissionné du poste de trésorier en février, je crois.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc à partir du moment où vous êtes trésorier, vous devenez salarié ?

M. Mohamed Sifaoui. - Absolument pas, je n'ai jamais été salarié de l'USEPPM. Jusqu'au 24 mai 2021, pour le compte du projet ILaïc, je n'avais jamais été salarié ni ne me suis fait rembourser sur des frais que j'ai engagés pour le compte de l'USEPPM. La question de la rémunération est liée au fait que je devais m'impliquer complètement dans le projet et que je devais laisser un certain nombre d'activités.

Le côté ridicule de l'affaire : quelques mois auparavant par ailleurs, j'avais lancé un projet personnel à haut potentiel financier, qui n'avait besoin du soutien de personne, avec un partenaire suffisamment solide. Or, je l'ai mis entre parenthèses pour aller signer un pathétique contrat à 4 422 euros bruts, pour toucher au final autour de 3 200 euros nets imposables. Au vu de mon expérience de 35 ans et de mon âge de 56 ans, je ne trouve pas scandaleux d'être rémunéré à cette hauteur.

Sur la compatibilité entre la rémunération et mon statut d'administrateur, les journalistes mal informés, qui croient avoir une meilleure connaissance que des avocats spécialistes en droit du travail, auraient dû consulter un spécialiste du droit du travail qui aurait expliqué que la rémunération d'un administrateur est possible lorsqu'il s'agit de rémunérer une mission spécifique et non pas sa fonction d'administrateur, ce qui était mon cas. Il n'y avait donc aucune contradiction. J'avais demandé à Cyril Karunagaran si je devais totalement démissionner de l'association et il m'a répondu que non. Par conséquent, je suis resté administrateur et j'ai accepté de remplir ma fonction dans le cadre d'un contrat de travail signé en bonne et due forme.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La liste des administrateurs fournie dans le dossier du projet ne correspondait pas à la liste des administrateurs enregistrée en préfecture. Aviez-vous connaissance des divergences ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, je n'étais pas au courant, je ne l'ai appris que récemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quand avez-vous évoqué pour la première fois l'USEPPM aux autorités auxquelles vous aviez affaire, à savoir soit le cabinet de la ministre, soit le secrétariat général ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je n'avais jamais évoqué le nom de l'association à Christian Gravel. J'ai évoqué le nom de l'association avec le cabinet à deux reprises je crois, une fois début mars dans une rencontre informelle, et je l'avais dit à l'un des conseillers, mais surtout lors de la réunion du 6 avril. Christian Gravel a découvert l'existence de l'USEPPM au moment de l'envoi du dossier de candidature le 9 avril en fin d'après-midi. Lorsque le conseiller 3 m'a envoyé le mail avec les documents à renseigner, il m'a dit que nous avions deux jours, jusqu'au vendredi en fin après-midi, pour les renvoyer.

M. Claude Raynal, président. - On vous encourage à présenter un dossier, vous proposez un dossier et à un moment donné, vous avez une discussion sur l'association et vous dites avoir proposé trois ou quatre structures associatives pouvant potentiellement porter le projet. Cela signifie que le cabinet vous a dit que vous ne pouviez pas prendre l'action en votre nom personnel, mais qu'il voulait travailler avec vous et que l'association, quelles que soient ses éventuelles compétences, servirait à porter l'action. L'appel à candidature est un appel vers des structures. Ce sont des associations qui répondent. C'est donc pour cela que vous répondez à l'USEPPM, nous sommes d'accord ?

M. Mohamed Sifaoui. - Nous sommes absolument d'accord avec la précision selon laquelle, sur les quatre associations que je cite, trois étaient totalement connues du cabinet.

M. Claude Raynal, président. - Et donc refusées ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, pas refusées.

M. Claude Raynal, président. - Ils ont choisi la seule qu'ils ne connaissaient pas ?

M. Mohamed Sifaoui. - D'une certaine façon... C'est pour cela que je me sens aujourd'hui trahi par les mensonges, par les approximations et par la politique de l'amnésie qui est menée dans ce dossier. Encore une fois, je rappelle que je n'ai pas sollicité de subvention - on m'a sollicité - et que je les ai laissé choisir l'association dans une logique de coopération. On est censé être dans le même bateau. Avec qui voulez-vous que je travaille, et j'ai dit « je connais untel, untel et untel », et voilà, ça s'est passé comme ça. Tout autre récit est mensonger.

M. Claude Raynal, président. - Y-en-a-t-il d'autres ? Non, la question qui était posée est « pourquoi cette association ? », et vous donnez la réponse.

M. Mohamed Sifaoui. - Je pense que c'est de bonne foi ; il ne faut pas voir du mal partout. Je ne parle pas de vous Monsieur le président ! Il faut accepter que ce soit retransmis en direct. Vous savez que les gens qui regardent n'ont pas tous votre intelligence, pardon. Il ne faut pas que les gens voient du mal partout.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est plus de la connaissance.

M. Claude Raynal, président. - Restons sur les faits.

M. Mohamed Sifaoui. - Ce qui les intéresse à ce moment-là, c'est la reconnaissance d'utilité publique.

M. Claude Raynal, président. - Voilà, et cela a donc été le seul critère permettant de choisir cette association, ce qui a d'ailleurs été dit par l'un des deux préfets. Cependant, en réalité, l'appel à projets porte sur des structures et dans ce cas particulier, le cabinet souhaite travailler avec vous. N'ayant pas de structure, vous proposez plusieurs structures qui peuvent accueillir cette action et le ministère en choisit une.

M. Mohamed Sifaoui. - C'est ça.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord. D'ailleurs, le préfet Gravel a déclaré que la subvention versée à cette association « payait de l'intelligence ». C'est une expression très favorable à votre endroit.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne pense pas qu'il l'ait dit dans cet esprit. Il a dit que ces salaires « payent une oeuvre de l'esprit ». Que ce soit dans une association ou une autre, on produit de l'intellect.

M. Claude Raynal, président. - Je continue, le préfet Gravel a dit que cette subvention « payait d'abord de la production intellectuelle ». Or, une des questions était de savoir si cette subvention avait constitué un levier de financement pour un travail de consultant. Cette question s'était en effet posée, car nous n'avions pas d'abord l'information que vous venez de nous donner, que par ailleurs, les activités que vous meniez sur demande quotidienne du CIPDR étaient elles-mêmes déjà rémunérées par un contrat de consultant.

M. Mohamed Sifaoui. - Le contrat en question prévoit un travail de consultant, un travail de formation et un travail de proposition de contenu, ce qui a duré entre octobre et mars. Nous nous sommes ensuite attelés uniquement à la partie formation.

M. Claude Raynal, président. - Peu importe, vous nous dites que jusqu'en janvier 2023, vous aviez un contrat de consultant, que ce soit de la formation ou autre chose. On a pu imaginer que le contrat que vous aviez passé avec l'association couvrait cette activité de consultant, mais vous avez dit, préalablement à la question, que non, cette activité de consultant était financée par un contrat propre jusqu'en janvier 2023. Cela amène une nouvelle question : dans ce nouveau contrat avec l'association, vous avez une rémunération qualifiée de rémunération à temps plein, mais vous avez un contrat de consultant sur la même période. Avez-vous le don d'ubiquité, la capacité à faire plusieurs choses à la fois ? Vous avez à la fois un travail permanent avec l'association et en même temps un contrat de consultant portant sur certains aspects liés au CIPDR. Pouvez-vous nous expliquer la juxtaposition de ces deux contrats ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ceux qui ont travaillé avec moi à différentes époques vont bien comprendre ce que je vais dire. J'ai une capacité de travail qui est bien supérieure à la normale, par passion, par intérêt intellectuel pour la matière. À une époque, je réalisais des reportages et j'écrivais des articles tout en rédigeant mes livres le soir. Je suis donc quelqu'un qui travaille énormément. Je ne veux pas ouvrir une autre polémique politique, je n'ai jamais cru que des gens de mon profil puissent se suffire des 35 heures, donc je ne travaille pas 35 heures, je ne travaille même pas 40 heures, je travaille beaucoup plus - mes week-ends sont très rares.

M. Claude Raynal, président. - Je vous rassure, nous aussi.

M. Mohamed Sifaoui. - Cela rassure surtout ceux qui vous ont élu.

M. Claude Raynal, président. - J'espère bien, mais restons sur la question. Sous l'angle de l'administration, vous avez deux contrats en même temps, financés par le même organisme, le CIPDR, qui ne nous a d'ailleurs pas parlé du contrat de consultant. Cela pose question sur le fait de mettre en place un contrat avec une association comprenant un salarié à temps plein et, en même temps, un contrat dont on ne connait pas la rémunération.

M. Mohamed Sifaoui. - Si cela vous intéresse, 39 500 euros hors taxes sur 26 mois, de novembre 2020 à janvier 2023. Cela fait 30 mois quasiment.

M. Claude Raynal, président. - C'est une information nouvelle, qui ne pose pas problème par rapport à vous ; c'est un constat. Une même structure vous finance en parallèle sur deux montants différents pour des actions supplémentaires alors que vous avez d'un côté un contrat à temps plein. Nous avions au départ interrogé ce contrat en nous demandant s'il ne couvrait pas une activité de consultant. Nous sentions que cette activité existait, et vous nous l'avez confirmé, mais elle a été traitée en dehors du Fonds Marianne d'après ce que vous nous dites.

Le sujet qui pose une difficulté, non pas par rapport à l'association en tant que telle mais par rapport à la manoeuvre de l'administration, a trait au fait qu'il y a eu des négociations préalables, qu'il y a peu d'acteurs en capacité de faire sur cette politique, que vous êtes sollicité et que vous déposez un dossier avant même que le Fonds Marianne soit créé. Ce sont les faits. De ce point de vue, le sujet porte plutôt sur la manière dont l'administration fait les choses. D'autre part, le comité de programmation arrive quant à lui le 13 avril, avant même la question du Fonds Marianne. Le dossier est donc déposé en amont et sera fléché sur le Fonds Marianne après coup. Qui a répondu à l'appel à projets ? Au niveau intellectuel, il n'y a pas de doutes que c'est vous. C'est vous qui avez conçu le projet, mais d'autres personnes ont-elles pris part à la rédaction du projet, à sa conception intellectuelle ? Cyril Karunagaran a-t-il été associé ou était-il plutôt purement sur la partie chiffrée ?

M. Mohamed Sifaoui. - Il a participé, et pas que lui. Nous avons eu deux rédacteurs et le rédacteur 1 a également participé. Je ne dirai pas non plus les noms. Nous avons conçu ensemble, à trois, ce projet. Le rédacteur 1, qui est l'une des personnes avec qui j'ai pensé intellectuellement le projet, et qui va nous rejoindre quelques mois plus tard, comme salarié, je l'ai associé à la réflexion. Nous avons conçu le projet à trois, dans une logique de ping-pong.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Peut-être même à quatre puisqu'il semble y avoir un rédacteur 2 ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, le rédacteur 2 est venu après, il n'a pas travaillé sur le projet directement, tel qu'il a été présenté en avril.

M. Claude Raynal, président. - Quelles sont les pièces ? Que comprend le dossier ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je peux vous retrouver l'e-mail exact, mais outre le cerfa, il y a, de mémoire, trois ou quatre documents qui sont demandés.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes sur un montant de 635 000 euros ?

M. Mohamed Sifaoui. - Nous sommes sur une demande de subvention à financer à 100 % pour une première année à 635 000 euros.

M. Claude Raynal, président. - Ce dossier arrive directement chez le préfet Gravel par e-mail. Comment se déroule le débat après la réception du dossier de 1,5 million d'euros avec une première année à 635 000 euros ? On vous demande de revoir le dossier, le montant ?

M. Mohamed Sifaoui. - Dès le moment où, le 9 avril, Cyril Karunagaran envoie au CIPDR cette demande de subvention telle que validée politiquement par le cabinet de Madame Schiappa, je laisse Cyril Karunagaran traiter avec ses interlocuteurs au CIPDR. Nous n'allons plus avoir aucune nouvelle et j'apprends par voie de presse, à travers une interview de la ministre, qu'un appel à projets appelé Fonds Marianne est mis en place autour du 20-21 avril.

Quatre ou cinq jours plus tard, Cyril Karunagaran me dit qu'il a reçu une communication du CIPDR l'invitant à reformuler la candidature du 9 avril en répondant à l'appel à projets dénommé Fonds Marianne. Pour moi, je ne trouve rien à redire. Il s'agit d'une question d'habillage administratif. Rien ne me choque à ce stade, mais j'aurais dû, peut-être, être un peu plus vigilant. J'estime avoir été piégé et instrumentalisé. J'espère qu'ils l'ont fait inconsciemment et involontairement, mais j'ai été instrumentalisé et j'ai été trahi et je pèse mes mots.

Je vais vous expliquer pourquoi. Lorsque nous discutons au sein du cabinet, je dis trois choses, à savoir premièrement que je n'accepterai jamais de m'engager dans une opération ponctuelle d'une année et qu'il faut donc que l'action soit pluriannuelle, deuxièmement je ne vais pas aller en quête de subvention, je ne sais pas le faire, et l'association qui a été désignée pour porter le projet ne sait pas le faire non plus et n'a pas l'habitude de le faire, donc que je sollicite une subvention à 100 %, et troisièmement qu'il faudra prendre en compte le fait que les salaires coûtent cher en France et que tout le projet repose sur du potentiel humain, raison pour laquelle il faudra suivre au niveau financier. Là, je vous demande de m'écouter attentivement.

Première étape, Cyril Karunagaran reçoit cet e-mail lui demandant de reformuler sa demande de subvention dans le cadre de l'appel à projets du Fonds Marianne. Il candidate pour le compte de l'USEPPM dans le cadre du Fonds Marianne quelques jours plus tard, avec un cerfa de 1,550 million d'euros sur trois ans. Durant la préparation de ce cerfa, des échanges ont lieu, notamment par e-mail, et il lui est dit que seuls 60 % de la première année seront financés. Cyril Karunagaran rédige donc un deuxième cerfa qu'il envoie en mai et, à partir du 22 ou du 23, j'apprends d'abord par mes sources personnelles d'abord que la candidature allait très probablement être retenue, puis quatre ou cinq jours plus tard par Cyril Karunagaran qu'il a reçu un mail lui disant que le projet avait toutes ses chances d'être retenu.

Nous nous sommes mis immédiatement au travail, car je suis en confiance. On m'apprend finalement que la subvention sera d'un montant de 355 000 euros pour l'année 2021, que l'administration ne peut pas financer à plus de 60 % et qu'il nous appartient d'aller chercher des subventions ailleurs. J'ai fait contre mauvaise fortune bon coeur. J'avais commencé à m'engager auprès des gens et à élaborer le projet. Or progressivement, le projet se dénaturait par son soutien financer et se vidait de sa substance de fait. Nous en arrivons à des allers et retours incessants, après même la notification, entre Cyril Karunagaran et l'administration qui lui demande quelques dernières modifications avant la signature de la convention fin juillet 2021, près de trois mois après la notification.

M. Claude Raynal, président. - C'est donc dans ces discussions, auxquelles vous dites que vous ne participez pas, que l'on passe d'un montant de 635 000 euros à un montant de 300 000 euros d'abord. Nous sommes d'accord ?

M. Mohamed Sifaoui. - Quel montant de 300 000 ?

M. Claude Raynal, président. - Il y a eu à un moment donné un fléchage de 300 000 euros, d'après le premier comité du 13 avril. Vous n'êtes donc pas informé de cela.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne suis pas informé.

M. Claude Raynal, président. - Et vous n'avez pas ensuite participé à une discussion quelconque entre ce moment-là, le mois d'avril, et le comité de sélection qui affiche un montant de 355 000 euros. Il y a eu une remontée.

M. Mohamed Sifaoui. - Il n'y a eu aucune discussion entre le moment où Cyril Karunagaran envoie la première demande de subvention et le jour où j'apprends qu'on va avoir la subvention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Là-dessus, vous êtes parfaitement sur la même posture ou explication que la ministre : vous êtes concerné par le projet, mais finalement vous vous tenez à distance.

M. Mohamed Sifaoui. - Non, monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire cela. Ça, c'est une accusation à charge. Je ne vous permets pas. Vous allez tout de suite retirer ce que vous venez de dire. Il n'y a aucune posture chez moi, je ne suis pas un homme politique. Je n'ai rien de comparable avec Madame Schiappa, c'est clair ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne retire rien, de la même manière que j'ai fait une observation hier à madame la ministre sur le fait que sur la question de l'équité et de la transparence elle a utilisé les mêmes mots que l'IGA.

M. Mohamed Sifaoui. - Pardonnez-moi, c'est ridicule car il y a des insinuations derrière. On se serait concertés ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pas du tout, n'interprétez pas.

M. Mohamed Sifaoui. - Je n'interprète pas, mais vous interprétez des choses totalement fausses. Je ne suis dans aucune posture. Je vous réponds avec sincérité, honnêteté et transparence. Arrêtez de me lancer à la figure des choses comme cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne vous lance rien à la figure, j'ai le droit de formuler et de reformuler comme je l'ai fait tout à l'heure pour être sûr d'avoir bien compris. Vous avez été convié à une réunion avec le directeur de cabinet de madame Schiappa et le secrétaire général du CIPDR le 22 avril 2021. Pouvez-vous nous décrire le déroulement de cette réunion et est-ce qu'à ce moment, le montant de la subvention a été évoqué clairement ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non monsieur le rapporteur.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc finalement une seconde demande de 355 000 euros est adressée. Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui ont conduit l'USEPPM à déposer un deuxième dossier avec un montant rehaussé de subvention ? Même si pour les 300 000, si j'interprète, vous en avez entendu parler par les médias : si la demande initiale était de 635 000, vous n'aviez jamais eu connaissance de cette proposition à 300 000.

M. Mohamed Sifaoui. - D'abord, votre lecture est fausse, car je ne dirige pas un cabinet et que Cyril Karunagaran n'est pas sous mes ordres administrativement. C'est plutôt le contraire. Je ne peux pas vous laisser dire ce que vous avez dit.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Permettez-moi, Monsieur le directeur, vous n'êtes pas là pour m'accuser, nous sommes là pour avoir des échanges apaisés et sereins.

M. Mohamed Sifaoui. - Monsieur le rapporteur, vous faites un raccourci.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Non, je pose des questions.

M. Mohamed Sifaoui. - Vous faites un raccourci malheureux et vous me comparez à madame Schiappa alors que je n'ai absolument rien de comparable ni sur le fond ni sur la forme, c'est clair ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous devez garder vos nerfs et votre maîtrise. Nous essayons de le faire.

M. Mohamed Sifaoui. - Je n'aime pas vos provocations et je vous le dis. Je suis quelqu'un d'assez entier. Je respecte les institutions et je respecte les gens qui me respectent. Dès le moment où on ne me respecte plus, je vais aller sur un autre ton, je vous le dis tout de suite.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ne déviez pas, nous allons rester sur les faits mais je n'ai jamais changé de trajectoire et j'essaie au long des auditions d'être assez constant. Certains disent même qu'ils apprécient cette forme de sérénité.

M. Mohamed Sifaoui. - Alors, gardons la sérénité, c'est pour l'honneur de l'institution que vous représentez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est pour l'honneur de tout le monde.

M. Mohamed Sifaoui. - C'est pour l'honneur de l'institution. L'institution est au-dessus de vous, donc c'est pour l'honneur de l'institution.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - S'il vous plaît, il n'y a pas d'accusation à porter.

M Claude Raynal, président. - Revenons sur cette réunion du 22 avril. Y étiez-vous ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ce n'était pas une réunion, mais une invitation pour être reçu par Madame Schiappa initialement, et cette dernière a été retenue en dernière minute par un évènement important avec le Président de la République ou le Premier ministre, je ne me rappelle plus. Par conséquent, j'ai été informé par le cabinet que je serai reçu par le directeur de cabinet. Pendant une heure, nous avons discuté du projet avec le directeur de cabinet. Ce que ce dernier vous a dit est vrai : à aucun moment, il n'y a eu d'engagement financier, ni de sa part, ni de la part de la ministre, ni de la part du cabinet. Nous avons affiné le projet, il voulait se tenir au courant pour le compte de la ministre des détails du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Qui a pris la décision de modifier le montant du dépôt du dossier à hauteur de 355 000 euros ? Cyril Karunagaran ?

M. Mohamed Sifaoui. - Quand je vous dis, ce n'est pas pour me dérober ; je vous raconte des faits. C'est ce que je suis en train de faire, en étant le plus détaillé possible, et je pense que ça vous embête car l'heure du déjeuner est proche. On va parler calmement. Ne venez pas me piquer au vif et me demander de garder mes nerfs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne pique personne au vif.

M. Mohamed Sifaoui. - Encore une fois, dès le moment où on rentre dans une traduction administrative et financière d'un projet que j'ai porté intellectuellement, je remets l'ensemble des éléments que nous avions préparés ensemble à Cyril Karunagaran, qui va se charger de la traduction administrative de ce projet, en sa qualité de président de l'association. Il va mener les discussions avec l'administration pour mettre en application ce projet d'un point de vue administratif et financier. À partir de là, ce n'est pas pour me dérober, ce n'était pas mon rôle de rester en contact avec l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai bien compris. J'ai juste besoin de comprendre la chronologie des faits et les différentes séquences.

M. Mohamed Sifaoui. - C'est heureux que vous ayez enfin compris.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - S'il vous plaît, n'ayons pas de remarque désobligeante, cela ne sert à rien, ce n'est jamais bon pour la sérénité des débats.

M. Mohamed Sifaoui. - Gardez vos nerfs, Monsieur le rapporteur, allons sur le fond.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En général, je reste sur le fond. Des éléments complémentaires ont été déposés sur le projet. Ces éléments vous ont-ils été demandés et, le cas échéant, à quel moment ?

M. Mohamed Sifaoui. - Tout peut être vérifié car tout est documenté, à savoir des échanges ininterrompus entre les services de Monsieur Gravel et Cyril Karunagaran. Il était en contact avec l'administration. L'administration a demandé à plusieurs reprises à Cyril Karunagaran d'ajuster le projet, d'où plusieurs versions de cerfa et plusieurs e-mails qui demandent d'actualiser le dossier. On lui a demandé d'actualiser le 10 mai 2021. Par la suite, il reçoit un autre e-mail. Visiblement, la personne chargée de l'examen du dossier lui dit « je me permets de vous écrire en raison d'un problème dans la subvention. Visiblement le budget du projet indique toutes les ressources et non uniquement celles des actions ». Nous sommes le 25 juin, un mois après la notification. Un mois même après la notification, l'administration se serait aperçue qu'il y aurait des erreurs. Je sais qui était en contact, et c'est documenté.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Venons-en au temps de la réalisation du projet. J'ai bien compris le rôle que vous aviez porté dans ce projet, qui était d'en être la tête pensante avec la vision stratégique et l'architecture de ce projet, ce qui j'imagine vous a pris beaucoup de temps, sachant sauf erreur de ma part que votre contrat de travail prévoyait un travail à mi-temps, c'est bien cela ?

M. Mohamed Sifaoui. - À plein temps, ce que j'ai déjà dit. 35 heures avec un taux horaire de 29 euros l'heure.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Oui, j'ai bien compris que vous aviez une capacité de travail très supérieure à la normale, et je l'apprécie.

M. Mohamed Sifaoui. - Vous appréciez ou non, ce n'est pas le sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'apprécie votre déclaration. Je ne porte pas de qualification sur vos capacités, quelles qu'elles soient ; je ne me permettrais pas. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les réalisations de votre association, l'USEPPM, qui ont été financées avec les crédits du Fonds Marianne ? Considérez-vous qu'elles sont en tout point conformes à ce que vous imaginiez à l'échelle de l'enveloppe qui vous a été attribuée ? Avez-vous rencontré des difficultés ou des obstacles particuliers qui vous ont amené à réduire l'ambition, revoir les moyens ? Pouvez-vous nous en dire plus par rapport à tout le travail que vous avez fourni en contrepartie de la subvention accordée ?

M. Mohamed Sifaoui. - À partir du moment où nous avons signé la convention et reçu les fonds fin juillet, à hauteur de 266 250 euros, et non pas 355 000 euros, très vite nous nous sommes mis au travail. J'étais évidemment conscience qu'étant donné que tout avait été budgété sur 635 000 euros, il fallait tout diviser par trois, et notamment le nombre de postes à créer. J'ambitionnais de compter sur au moins six personnes la première année, et il fallait de fait diviser par trois, c'est-à-dire arriver à peu près à trois personnes - pas à deux, car il y avait un taux incompressible, sous peine de ne rien pouvoir réaliser, surtout que nous devions initialement investir l'ensemble des réseaux sociaux. Il était question de lancer des comptes Internet assez rapidement et d'être dans une production de qualité afin de légitimer l'identité que nous comptions créer, en l'occurrence ce collectif ILaïc.

La première difficulté que j'ai rencontrée, c'est que j'ai très vite compris, et davantage entre octobre et novembre, que je m'étais engagé dans un projet mort-né pour la simple raison qu'il n'était plus pérennisable. J'ai en effet compris à travers une discussion avec Christian Gravel qu'il n'irait pas vers un financement de l'année 2, pour des raisons que j'ignore, avant même le bilan. Nous venions à peine de commencer. Nous avons eu un échange assez vif, malgré la sympathie que l'on a, mais très franc.

On a eu donc un échange assez vif sur le fait qu'avec les moyens qui m'étaient donnés et qui étaient très éloignés du projet qui avait été politiquement validé par le cabinet, je ne pouvais pas en l'état mettre en application le projet. Quand je vous dis « j'ai le projet d'acheter dix voitures, et j'aimerais que vous les financiez », vous pouvez me dire que « oui, j'accepte que vous achetiez dix voitures ». La validation politique était très éloignée de la traduction administrative et financière du projet. Nous sommes partis d'une volonté politique qui allait mobiliser des moyens à finalement une absence de volonté politique. Dès le moment où la communication a été faite avec tambours et trompettes, il n'y avait plus rien. Dès le moment où la ministre a capitalisé politiquement à travers sa communication totalement hallucinante - car il était d'abord prévu de ne pas faire de la publicité sur le sujet, déjà pour la sécurité des personnes concernées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Sur ce point, elle a tenu parole par la suite et n'a jamais communiqué.

M. Mohamed Sifaoui. - Certaines institutions travaillent efficacement dans la discrétion et n'ont pas besoin de claironner sur tous les toits pour rappeler ce qu'elles font. Les gens qui commencent à claironner sur ce qu'ils font sont en général ceux qui en font le moins.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons bien compris le sujet. Vous et d'autres ont tenu des discours convergents.

M. Mohamed Sifaoui. - Je comprends donc en octobre que le projet sera difficilement réalisable, mais je fais malgré tous les efforts pour monter quelque chose de crédible. J'attire votre attention sur un élément essentiel, car c'est l'une des critiques formulées par les médias, et probablement par vous-mêmes, ainsi que par le pathétique rapport de l'IGA: existe-t-il un contrat ou une convention qui donne un chiffre ? Si nous avions fait 1 000 productions au lieu de 500, cela aurait-il été suffisant ? Cela revient à nous annoncer le financement d'une armée pour combattre celle de Poutine alors que finalement, seule une petite milice est financée et il nous est demandé pourquoi nous n'avons pas battu l'armée de Poutine. C'est quand même surréaliste. Vous avez des islamistes qui ont dix ans d'avance sur vous, vous donnez trois francs six sous à une association, et vous vous demandez pourquoi les résultats ne sont pas suffisants.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le président de l'association, Cyril Karunagaran, dans son audition, a déclaré qu'aucune demande complémentaire de subvention à l'endroit notamment des deux régions n'avait été adressée pour participer au cofinancement de votre projet. Cela peut s'entendre. Avez-vous une explication sur le fait de ne pas même avoir adressé ces deux demandes de subvention ? Pourquoi y avoir renoncé très en amont ?

M. Mohamed Sifaoui. - J'espère que vous accepterez d'entendre ce que j'ai à vous dire, sous serment. D'abord j'ai adressé une demande de manière informelle, et même plusieurs demandes à des régions que je ne citerai pas, car cela est resté au stade de l'informel, et je vais vous dire les réponses.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment se matérialise l'informel ?

M. Mohamed Sifaoui. - Par des rencontres, des réunions que j'ai sollicitées. Or on m'a répondu clairement, et mon interlocuteur a fait cette boutade volontairement: « je ferai en sorte que cette région ne finance pas le « fonds Marlène » ». En effet, elle avait fait une communication tellement personnelle- je vous rappelle le contexte, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous êtes des élus, vous connaissez le cynisme politique mieux que moi et vous l'exercez certainement mieux que moi...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Monsieur Sifaoui, vous devriez retirer ce propos.

M. Mohamed Sifaoui. - Très bien, quand vous retirerez ce que vous avez dit. Je vous dis ce qui m'a été dit et qui intègre une logique de cynisme politique. À la veille de l'élection présidentielle, certaines régions qui avaient des divergences politiques avec Marlène Schiappa et son camp n'étaient pas promptes à soutenir un projet qui est devenu le « projet Marlène Schiappa ». Des gens de votre camp politique, je vous le dis. Ce qui est légitime, ce qui est compréhensible !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous le voulez bien, nous allons rester sur le sujet.

M. Mohamed Sifaoui. - Pourquoi cela vous gêne-t-il de parler de cela ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Rien ne me gêne.

M. Mohamed Sifaoui. - Alors, laissez-moi continuer.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Non, nous allons poursuivre, car nous avons encore un certain nombre de questions.

M. Mohamed Sifaoui. - Les gens voient qu'un certain nombre de questions vous gênent, c'est très bien.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les Français qui s'y intéressent porteront le jugement qu'ils souhaiteront, ce qui compte, c'est que la démocratie puisse s'exercer sereinement dans le respect des débats, des personnes et du sujet.

M. Mohamed Sifaoui. - Amen.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dire « amen » ne vous apporte rien et n'apporte rien de constructif au débat, permettez-moi de vous le dire. Quel regard portez-vous sur la demande, à la suite du rapport de l'IGA, de rembourser une partie des sommes versées, car elles ne correspondraient pas à la convention qui a été l'objet de la subvention fléchée au bénéfice de votre association ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je conseillerais d'abord au rédacteur de ce rapport de corriger quelques petites erreurs, qui ne sont pas si petites que ça, car on ne peut pas faire un rapport sur un tel sujet en se trompant sur la date d'un assassinat terroriste. L'enseignant de Conflans-Sainte-Honorine n'a pas été tué à la date qui figure dans le rapport. Ce n'est pas à mes yeux un détail, car cela montre la précipitation, la légèreté et le manque de rigueur avec lesquels ce rapport a été écrit. L'IGA est dans une attitude d'autolégitimation de l'administration en essayant de trouver des lampistes...

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Sifaoui, nous ne sommes pas ici pour porter un jugement sur l'IGA.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne parle pas de jugement, je vous parle d'un rapport qui est dans un processus d'autolégitimation pour trouver des lampistes, en l'occurrence, Cyril Karunagaran, moi-même et accessoirement Monsieur Gravel.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez le droit d'avoir tous les avis que vous souhaitez sur le rapport...

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous parle des erreurs factuelles. Cela ne vous intéresse pas monsieur le président ?

M. Claude Raynal, président. - Non, pas vraiment.

M. Mohamed Sifaoui. - Alors ne parlez pas du rapport qui mentionne des erreurs en m'interrogeant sur chaque page.

M. Claude Raynal, président. - La question n'est pas celle-là. Que vous ayez des commentaires à faire sur un rapport où vous êtes cité, c'est la moindre des choses, cela s'entend. Que vous ayez une réponse à faire à l'IGA, vous leur donnerez, vous leur enverrez.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne le ferai pas monsieur le président.

M. Claude Raynal, président. - Vous en avez la liberté. Il n'y a aucun problème là-dessus. Nous, on vous dit l'IGA demande à l'administration de demander un remboursement d'à peu près la moitié des montants qui vous ont été alloués. Avez-vous un commentaire à faire sur ce point ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je conteste d'abord le fond et la forme de certaines des accusations qui sont mentionnées. Je prendrais l'une d'elle, qui montre encore la légèreté et la médiocrité du texte. On prétend que l'USEPPM aurait loué un bureau sans l'utiliser. Manque de chance, c'est la chose qui ne fallait pas écrire. Dans ma triste vie, je suis toujours accompagné par deux fonctionnaires de police au moins. J'appelle donc officiellement votre commission d'enquête à se rapprocher du service de protection du ministère de l'Intérieur et à lui demander de vous fournir un document qui pourrait attester que chaque matin, au sortir de mon domicile, mes officiers de sécurité m'accompagnaient au bureau qui a été loué pour le compte de la réalisation du projet ILaïc.

M. Claude Raynal, président. - Vous apportez donc ici une réponse sur une dépense d'environ, de mémoire, 18 000 euros.

M. Mohamed Sifaoui. - Je suis sous serment. Deuxièmement, chose gravissime, on va jusqu'à vous expliquer, et expliquer à l'opinion publique, car c'est public, que Cyril Karunagaran et peut-être accessoirement moi-même, aurions fait de l'abus de faiblesse sur deux membres de l'association qui auraient signé des documents qu'ils n'auraient peut-être pas signés s'ils étaient en pleine possession de leurs moyens, tout cela parce que j'ai dit en audition en étant totalement transparent comme je le suis avec vous, que nos deux amis ont, pour le premier, eu un Covid long avec effectivement des difficultés de santé, et pour le second, eu un problème de santé.

Or, ils ont oublié que ces deux personnes sont deux gendarmes à la retraite. L'un a des activités associatives très régulières, il est médecin du GIGN, et le second est aujourd'hui employé dans une grande entreprise où il gère la sécurité. Comment peut-on raconter qu'il y avait deux « vieillards grabataires » à côté de nous, dont nous aurions abusé de la faiblesse ? C'est de la diffamation que je condamne.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Sifaoui, cela nous éloigne de la demande de remboursement.

M. Mohamed Sifaoui. - Pas du tout, nous sommes dans le sujet, car ce rapport est truffé de mensonges et de contre-vérités. J'irai porter ce combat devant les tribunaux et je vais aider Cyril Karunagaran à démontrer que le rapport de l'IGA est inepte. Le remboursement relèvera donc d'une décision de justice le cas échéant.

M. Claude Raynal, président. - En mars 2022, un avenant vous est envoyé pour proroger du 28 février 2022 au 31 mai 2022 la période autour de laquelle pourra être réalisé le projet ILaïc, qui a pris du retard au démarrage. Cela vous a-t-il permis de terminer certains projets et, le cas échéant, lesquels ? L'IGA n'a pas trouvé trace de cet avenant. A-t-il bien été pris ?

M. Mohamed Sifaoui. - C'est effectivement une difficulté dont j'ai eu connaissance je crois à la rentrée 2022, c'est-à-dire vers août-septembre 2022, d'abord de la part de Cyril Karunagaran, puis de celle de Christian Gravel. Ce dernier m'a fait savoir qu'un avenant devait être signé entre l'association et ses services et que manifestement, Cyril Karunagaran ne l'avait pas envoyé. J'ai demandé à Cyril Karunagaran ce qu'il en était et il m'a dit qu'il l'avait envoyé, mais visiblement, l'administration n'en avait pas trouvé trace. Ils sont restés dans ce dialogue jusqu'à fin 2022, quand Cyril Karunagaran a envoyé en recommandé un avenant signé par ses soins. Or il n'a jamais reçu la partie contresignée. Voilà ce que je sais de cet aspect de la difficulté.

Parmi les autres difficultés que nous avons rencontrées, j'ai été obligé de baisser nos productions à partir de janvier-février pour une raison double. Nous savions d'abord que l'association ne pouvait pas reconduire les CDD des deux rédacteurs par faute de moyens. En outre, nous étions rentrés dans une période de campagne électorale et par conséquent, il devenait très difficile de traiter la plupart des sujets qui étaient les nôtres, ces derniers étant préemptés par deux chapelles idéologiques extrémistes, à savoir l'extrême droite et l'extrême gauche. Je ne vais pas vous citer les candidats. Nous sommes entrés dans cette contradiction et Christian Gravel m'a appelé pour me dire de faire très attention à ne pas publier de tweet qui pourrait polluer la précampagne ou la campagne électorale. Je m'y suis engagé. Après, sans me parler de l'association en question, il m'a dit qu'il avait des difficultés avec une association, et qu'il voulait attirer notre attention car il savait que nous étions plutôt susceptibles de contredire, pour utiliser un euphémisme, un certain nombre de candidats qui portaient des valeurs qui étaient bien éloignées de celles que nous défendons.

M. Claude Raynal, président. - Pas de traces de l'avenant signé, vous confirmez la position de l'IGA sur ce point. D'après les échanges de courriels et téléphoniques qui nous ont été transmis, l'association semble avoir été très peu réactive aux demandes du secrétaire général, au point même de cesser de répondre aux sollicitations entre novembre 2022 et février 2023. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ce n'était pas moi qui n'étais pas joignable - on ne vous pas dit à un moment que je n'étais pas joignable - mais j'ai appris que Cyril Karunagaran, pendant une période, était difficilement joignable. Je lui ai demandé pour quelles raisons il n'arrivait pas à se rendre disponible et il m'a fait savoir qu'il avait des problèmes personnels d'état de santé liés à des proches, et qu'il allait très vite faire diligence pour répondre aux sollicitations.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez dit que vous saviez dès le mois d'octobre que le projet était « fichu », car il n'y avait plus de notion de continuité dans le temps. Vous avez également dit que vous aviez réduit les charges de manière significative, en tout cas vous ne vous êtes pas engagé sur du long terme, ce que l'on peut comprendre. Pour autant, vous n'avez pas réduit toutes les charges et la réalité des charges recouvre en réalité deux salaires principaux, quelques salaires complémentaires et très peu de frais annexes. Vous avez donc réduit les charges, mais pas sur vos deux principaux salaires, qui étaient quand même le point majeur du système. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Mohamed Sifaoui. - L'ensemble de nos salaires représentait effectivement me semble-t-il 80 % de la subvention.

M. Claude Raynal, président. - Un peu moins.

M. Mohamed Sifaoui. - Très bien. Cette dépense s'élevait à environ 140 000 euros pour l'ensemble des quatre salaires, avec un delta de prestataires extérieurs de l'ordre de 40 000 euros je crois. Nous sommes substantiellement loin des chiffres avancés par certains médias qui, n'étant pas de grands professionnels de l'investigation, ont mélangé les rémunérations établies sur les fonds propres de l'association et les salaires imputables sur le Fonds Marianne.

Sur le Fonds Marianne, le salaire imputable qui m'a été versé personnellement est de l'ordre de 43 000 euros sur douze mois, dûment déclarés auprès de l'administration fiscale, et celui de Cyril Karunagaran était de l'ordre je crois de 30 000 euros imputable sur le Fonds Marianne, pour un total de 77 000 euros au total imputables sur le Fonds Marianne. Réduire nos salaires revenait à mettre fin à nos contrats de travail et, par conséquent, passer en qualité de bénévole. Or je ne suis pas rentier, car je n'ai pas centré ma vie sur la chose matérielle, et je suis un père de famille avec des enfants à élever, il me faut gagner ma vie à une hauteur me permettant de faire face au quotidien, mais pas pour un enrichissement personnel. Cela n'a jamais été ma quête d'existence.

Il nous fallait donc un salaire, et je n'ai pas à rougir de ce salaire. Je le dis devant vous ce salaire est conforme à un contrat de travail et lié à un travail qui a été fourni. Or ce travail n'a été apprécié que sur sa partie publiable et visible. Comme si lorsque l'on se réveille le matin et que l'on fait une revue de presse pour le projet, cela n'aurait pas été du travail. Comme si, lorsque l'on reçoit un appel téléphonique à 22 heures pour corriger...

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord avec vous qu'il y a toujours une partie de travail masquée, comme un professeur qui corrige des copies. Mais lorsque l'on voit le rapport de l'IGA... Et lorsque nous-mêmes regardons le nombre de vidéos ou de tweets, cela nous paraît faible. Par ailleurs, vous nous dites que vous savez que ce projet n'ira pas très loin, et cela se traduit en quelque sorte. Vous dites également, ce qui nous a été confirmé, que vous avez été mis en garde sur tel ou tel sujet ou sur telle ou telle façon de traiter les sujets dans le cadre de la campagne électorale qui allait arriver. Au final, cela donne une production extrêmement faible. Des gens plus qualifiés que moi le dirons, certes.

Il semblerait aussi, nous avons également des confirmations sur ce point, que si au départ, les relations étaient tout à fait classiques avec l'équipe que vous avez recrutée (de l'ordre de deux postes et demi), avec une orientation fixée par vous-même, ensuite, assez tôt, vers le mois d'octobre, où il y a eu un flou sur le projet et la continuité de l'opération, il n'y a plus eu du son ni d'image. Que s'est-il passé à ce moment ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je tiens d'abord à rendre hommage aux deux rédacteurs qui ont travaillé avec nous et qui ont fait preuve de sérieux et d'une grande qualité professionnelle. J'espère qu'ils ne seront jamais mêlés à cette affaire ni de près ni de loin, parce qu'ils n'ont absolument rien à se reprocher. J'assume seul, sur le plan éditorial, la responsabilité, les critiques et les mécontentements des uns et des autres, les considérations subjectives et les accusations mensongères...

M. Claude Raynal, président. - Je comprends, mais revenons au sujet. Ici, nous ne répondons pas à la presse.

M. Mohamed Sifaoui. - Certes, mais les gens jouent leur honneur, leur tranquillité et leur avenir. Ce n'est pas quelque-chose de livrer les gens aux chiens. Il y a certains journalistes irresponsables qui s'inscrivent dans une sorte de vendetta idéologique, et qui sont capables de tout et n'importe quoi. Sur ces deux rédacteurs, amis, participant activement, je n'ai pas eu de désaccord majeur avec eux.

Il m'est arrivé de devoir, et je n'aime pas ce mot, « censurer » des productions, pas pour le plaisir de censurer ou d'attenter à la liberté d'expression, mais pour être conforme à un cahier des charges et faire preuve de responsabilité. La difficulté à laquelle j'ai été confrontée, c'est que nous sommes sur des thématiques investies par un certain nombre d'acteurs politiques. Je me suis permis personnellement de répondre, avec le compte de l'association, à des inepties de certains acteurs avant décembre, et donc avant l'entrée en précampagne. Si demain ils voient leur nom - Sandrine Rousseau, Éric Zemmour - ce n'est pas l'association, c'est moi qui ai répondu. J'ai fait le choix de répondre à des inepties, l'un pour des propos racistes et xénophobes, et l'autre pour le soutien au voile islamiste. Or, à partir de décembre-janvier, cela n'était plus possible et cela devenait de plus en plus compliqué de répondre sur le ton juste et de ne pas s'exposer à des poursuites éventuelles.

J'ai voulu incarner le projet pour pouvoir identifier le collectif. Pour les gens, y compris qui nous considéraient de leur bord idéologique, on était un collectif anonyme. Même des amis n'étaient pas au courant que j'étais à la tête de ce projet. Il m'a été demandé de rester très discret et on m'a empêché de l'incarner. Je devais par ailleurs faire en sorte qu'il y ait un porte-parole de ce projet, une figure médiatique, et j'avais en tête la personne qui devait jouer ce rôle, mais cela m'a été refusé.

On vous demande de vous lancer dans un projet, on vous le valide et ensuite, on vous dépouille au fur et à mesure de l'avancement. Évidemment, la production ne peut pas suivre. Je ne me lancerais jamais dans un projet qui consiste à faire deux, trois, dix tweets par jours - cela n'a pas de sens. Tweeter de façon frénétique, tous les spécialistes vous le diront, cela n'a pas de sens, quand on est dans un compte institutionnel. J'ai tweeté à une époque énormément, mais c'était sur mon compte personnel. Sur un compte institutionnel, on tweete forcément différemment. On part donc d'une feuille blanche ; tout était à créer. Il fallait créer un compte sur chaque réseau social avec une matière assez originale pour attirer l'attention.

Aujourd'hui, bien sûr que je ne suis pas content du résultat - vous voulez que je vous dise que je suis satisfait de moi ? Je ne suis pas content de moi. Je regrette profondément et je ne ferai plus jamais confiance aux institutions qui m'engageraient à m'investir dans un travail. Jamais plus je ne suivrai les demandes d'un responsable politique. Jamais plus personne ne m'auditionnera, sauf dans un cadre comme celui-ci où je suis contraint. Plus jamais je n'échangerai sur mes thématiques avec aucun responsable politique, car j'ai perdu totalement confiance dans l'action publique, où je vois les lâchetés se manifester par la suite. Il aurait fallu que chacun assume ses responsabilités. Chacun a sa petite part de responsabilité. Je l'ai dit au début de mon intervention, il n'y a pas de malversation financière dans cette affaire, il n'y avait pas de volonté de malversation financière.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas cette commission d'enquête qui décidera s'il y a eu d'éventuelles malversations financières, et vous le savez. Nous essayons de comprendre et vous nous avez donné des éléments d'explication, votre vérité, sur le fonctionnement du projet. Pourquoi a-t-il démarré en retard ? Nous le savons, il a démarré en retard pour beaucoup d'associations, et pas que la vôtre. Pourquoi s'est-il arrêté tôt ? En tout cas, il a été empêché tôt, ou mis en difficulté tôt. Au final, quelle est le résultat ? Vous dites que vous n'êtes pas satisfait. C'est que ce que nous venions chercher, votre explication dans cette affaire, et en tout état de cause, la reconnaissance de responsabilité est toujours compliquée à venir.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne suis pas responsable politique, et je ne suis pas dans l'administration. À mon modeste niveau, j'assume l'ensemble de mes responsabilités et la première erreur que j'ai faite est d'avoir fait confiance à Madame Schiappa et à ses équipes et d'avoir foncé. J'ai des défauts comme tout le monde, mais j'ai comme qualité peut-être la sincérité et la naïveté parfois des gens engagés. Je suis quelqu'un d'engagé monsieur le président. Les gens engagés ont parfois la naïveté de croire que les autres sont aussi engagés qu'eux. Et quand vous êtes face au cynisme, vous oubliez parfois que vous pouvez être manipulé et utilisé par le pouvoir politique. Cela a été mon cas et par prolongement, j'ai entraîné dans l'USEPPM, Cyril Karunagaran, et d'autres personnes.

M. Claude Raynal, président. - Merci Monsieur Sifaoui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Merci, Monsieur Sifaoui. Je me dois de vous dire à titre personnel que j'ai relevé un certain nombre de contradictions entre les déclarations des uns et des autres lors des auditions. Je l'ai parfois mentionné et en général, je fais les choses à visage découvert, en toute franchise, mais sans aucune pensée accusatrice. Le Président, moi-même et les membres de la commission des finances qui ont assisté à l'ensemble ou à certaines des auditions ont pu apprécier jusqu'à maintenant la tenue des travaux. Certes, les uns et les autres peuvent avoir une expression plus affirmée. Vous n'avez pas ici, en face de vous, et à vos côtés, de personnes qui ont voulu d'une manière ou d'une autre manifester du cynisme. Nous essayons d'établir la réalité des faits et d'en tirer les enseignements pour la clarté des débats publics.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous remercie Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur. J'entends vos propos, je vous remercie pour la qualité de l'échange. Je vous ai répondu franchement, j'ai dit les choses telles que je les pensais et le cynisme visait notamment ceux qui, utilisant cette commission d'enquête, veulent « se faire les dents », politiquement parlant, sur des personnes qui sont par ailleurs traînées dans la boue avant même que la justice s'exprime. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique ou des élus se substituent au pouvoir judiciaire. Je vous remercie.

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