B. LA COMPÉTENCE CONFIÉE AUX DÉPARTEMENTS DEPUIS 1983 NE DOIT PAS SE TRANSFORMER EN DÉSENGAGEMENT DE L'ÉTAT.

La présidente du CNPE, Anne Devreese, a mise en évidence la responsabilité partagée des départements et de l'État dans la situation actuelle. Le rapporteur souscrit à ces propos ; en parallèle de l'engagement variable des départements, l'État s'est trop souvent reposé sur eux et a pu négliger certaines de ses missions qui concourent à la politique de protection de l'enfance.

Présentant le projet de loi à la commission, en septembre 2021, le secrétaire d'État Adrien Taquet indiquait : « [...] j'ai toujours dit que cette politique publique était une compétence non pas décentralisée, mais partagée. Il ne s'agit pas de revenir sur le chef de filat du département en la matière, mais les pouvoirs publics ont trop souvent considéré que c'était à l'enfant de suivre notre organisation administrative. »94(*) Lors de la discussion générale du projet de loi, le secrétaire d'État exprimait cette même idée : « Cet investissement doit être partagé entre les différents acteurs, départements et État, chacun devant prendre ses responsabilités [...]. » Déjà en 2016, Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie, déclarait au Sénat que « le respect du principe de libre administration des collectivités ne s'oppose pas à l'exercice par l'État de ses responsabilités régaliennes. Il appartient à celui-ci de garantir sur l'ensemble du territoire national la prise en compte effective des besoins de l'enfant. » La stratégie nationale de protection de l'enfance a entendu réaffirmer le rôle de l'État dans l'accomplissement de certaines compétences mais n'a pas encore parachevé cette ambition.

1. Accompagner les départements dans leurs efforts financiers

Plusieurs dispositifs financiers de l'État soutiennent les départements dans l'accomplissement de leurs missions au titre de la protection de l'enfance. Premièrement, dans le cadre de la contractualisation, des crédits du programme budgétaire n° 304 à hauteur de 140 millions pour 2023 sont alloués aux départements signataires d'un contrat départemental de prévention et de protection de l'enfance (CDPPE). Les montants mobilisés par la contractualisation font également intervenir un financement par le fonds d'intervention régionale (FIR) à disposition des ARS. Deuxièmement, pour 2023, l'État a dégagé une enveloppe de 50 millions d'euros pour aider les départements à prévenir les sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance. Le rapporteur estime ce montant largement insuffisant (voir supra).

Troisièmement, l'État doit assurer une contribution aux dépenses des départements associées à l'évaluation de la minorité et de l'isolement des personnes se déclarant MNA. Alors que les flux d'entrées de mineurs non accompagnés repartent à la hausse, le financement de l'État baisserait de 93 millions d'euros en 2022 à 90 millions d'euros en 2023 (crédits de la loi de finances pour 2023).

Dépenses de l'État au titre de la prise en charge des MNA

(en millions d'euros)

Source : Avis n° 118 (2022-2023) de M. Jean Sol, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 novembre 2022

Dans le contexte de tension que connaissent les services d'ASE, qui a été mis en évidence dans ce rapport, le rapporteur estime que le financement apporté par l'État n'est pas à la hauteur des enjeux. Le rôle de l'État est de s'assurer que les collectivités territoriales, qui ne disposent pas d'autonomie fiscale, aient les moyens de mettre en oeuvre les compétences que le législateur leur confie.

Par ailleurs, le rapporteur constate que tous les financements prévus par la loi ne sont pas mis en place. La loi de 2007 a prévu un fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE) dont l'objet, aux termes de l'article 27 de la loi, « est de compenser les charges résultant pour les départements de la mise en oeuvre de la présente loi selon des critères nationaux et des modalités fixées par décret et de favoriser des actions entrant dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance et définies par voie conventionnelle entre le fonds et ses bénéficiaires ». Les ressources du fonds sont constituées par un versement de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), dont le montant est arrêté en loi de financement de la sécurité sociale et un versement annuel de l'État arrêté en loi de finances.

Ce fonds n'a pourtant pas été utilisé aux fins que la loi lui avait assignées. De 2015 à 2018, le FNFPE a été entièrement consacré à la participation financière forfaitaire de l'État à la phase d'évaluation et de mise à l'abri des personnes se présentant comme MNA. Cette réorientation a été expressément permise par le pouvoir réglementaire en 201595(*). Un décret du 27 juin 201996(*) a redirigé ce dispositif vers le budget de l'État en l'inscrivant directement sur le programme n° 304.

La Cour des comptes juge sévèrement ce détournement de la mission du fonds qui n'a donc apporté son financement qu'à la prise en charge des MNA « et non sur les réformes introduites en 2007, ce qui soulève une interrogation quant au portage par l'État de cette politique publique »97(*). Le fonds n'est aujourd'hui plus actif alors même que sa gouvernance réunissant des représentants de la CNAF, des départements et de l'État était intéressante. La DGCS confirme que, « depuis 2020, aucun versement n'a été opéré sur le FNFPE qui est devenu sans objet, les mesures nouvelles issues de la loi du 5 mars 2007 étant mises en oeuvre depuis plusieurs années ». Le présent rapport porte une appréciation différente de l'application réelle des dispositions de la loi de 2007. Le fonds national trouverait encore toute son utilité.

2. Mobiliser les services déconcentrés de l'État concourant à la politique de protection de l'enfance

La loi du 7 février 2022 a entendu réaffirmer le rôle de l'État en matière de coordination dans la politique de protection de l'enfance. L'article L. 121-10 du code de l'action sociale et des familles dispose que « l'État assure la coordination de ses missions avec celles exercées par les collectivités territoriales, notamment les départements, en matière de protection de l'enfance et veille à leur cohérence avec les autres politiques publiques [...]. Il promeut la coopération entre l'ensemble des administrations et des organismes qui participent à la protection de l'enfance. »

Plusieurs enjeux se superposent pour que l'État déconcentré assure de manière satisfaisante les missions qui lui incombent.

D'une part, la mobilisation des services de l'État et leur bonne coordination avec les services départementaux doivent être améliorées. Selon Adrien Taquet, « les ruptures [de parcours des enfants protégés] proviennent souvent d'une mauvaise coopération entre État et départements, et parfois entre les services de l'État eux-mêmes, qu'il s'agisse des agences régionales de santé (ARS), de l'éducation nationale ou de la justice ».

L'expérimentation du CDPE a précisément pour objectif de remédier à ces difficultés ; le rapporteur ne peut qu'enjoindre au Gouvernement de prendre les dispositions pour mobiliser tous ses services territoriaux dans les comités. Il constate, d'ailleurs, que la contractualisation porte également l'ambition de sensibiliser les services aux missions qu'ils exercent en protection de l'enfance. L'instruction du 25 avril 2023 invite les préfets à associer les services de l'éducation nationale et de la protection judiciaire de la jeunesse à la contractualisation. Lors du renouvellement de la démarche de contractualisation, en 2024, le Gouvernement souhaite associer davantage l'autorité judiciaire aux conventions, ce qui ne peut être que souhaitable.

D'autre part, les services déconcentrés de l'État doivent disposer des moyens financiers et humains d'assurer leurs missions. Cet enjeu, interne à l'État, revêt une importance capitale. De l'aveu même de Charlotte Caubel, « les services déconcentrés de l'État, sont peu dotés en moyens humains dans le champ de l'enfance. La préfecture des Bouches-du-Rhône compte 0,80 équivalent temps plein travaillé (ETPT) dédié à l'enfance. »98(*)

Selon la secrétaire d'État, malgré ses demandes, en faveur, par exemple, des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) afin de renforcer leurs compétences de contrôle, très peu de nouveaux effectifs ont été obtenus dans le cadre de la loi de finances pour 2023. Le constat est identique pour les directions territoriales de la PJJ dont les ressources humaines n'ont pas pu être renforcées en 2023. Il ressort pourtant des travaux de la présente mission d'information que leur dimensionnement est inadapté à l'importance des missions qu'elles remplissent en protection de l'enfance.

3. Accroître les contrôles en partenariat avec les départements
a) Le droit applicable en matière de contrôle

L'article L. 313-13 du code de l'action sociale et des familles confère au président du conseil départemental la charge de contrôler les établissements, services et lieux de vie et d'accueil relevant de sa compétence d'autorisation. En outre, aux termes de l'article L. 221-1 du CASF, le service de l'aide sociale à l'enfance « contrôle les personnes physiques ou morales à qui il a confié des mineurs, en vue de s'assurer des conditions matérielles et morales de leur placement ».

Le même article L. 313-13 octroie toutefois au préfet une compétence générale de contrôle pouvant être exercée « à tout moment ». Dans ce cas, il informe le président du conseil départemental des résultats de ces contrôles. Afin que le préfet exerce sa compétence, le président du conseil départemental doit l'informer sans délai « de tout événement survenu dans un établissement ou service qu'il autorise, dès lors qu'il est de nature à compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ». Le préfet dispose alors des services déconcentrés de l'État : personnels de l'ARS, ou de la PJJ notamment. Les services de la PJJ détiennent, en particulier, une compétence reconnue en matière de contrôle puisqu'ils assurent notamment le contrôle des établissements, services et lieux de vie, gérés par le secteur associatif habilité (SAH) soit exclusivement par l'État, soit conjointement avec les conseils départementaux.

Par ailleurs, l'inspection générale des affaires sociales assure, en vertu de l'article L. 221-9 du même code, le contrôle du service de l'aide sociale à l'enfance et peut également être amenée à contrôler les structures des opérateurs du département. La DGCS indique ainsi que l'Igas inspecte chaque année un ou deux conseils départementaux et se trouve également saisie pour inspection en cas d'incidents ou événements particuliers.

b) Les initiatives à encourager

Il ressort des travaux de la mission d'information que les représentants de l'État ne font que rarement usage de leur compétence à titre préventif. La DGCS indique ainsi au rapporteur que les préfets « peuvent opérer des inspections, en cas de défaillance du conseil départemental, autorité qui a en charge en première intention ce contrôle, ou en cas de signaux et d'inquiétudes sur un établissement ». Les conditions tenant à la défaillance du département ou au signalement de problèmes ne semblent pas suffisantes au rapporteur.

La Cour des comptes dans son rapport public thématique de 2020 avait encouragé les collaborations entre les services de l'État et ceux du département dans le suivi et le contrôle des établissements : « Les services territoriaux de la PJJ disposent, en effet, d'une forte expertise en matière de contrôle des établissements accueillant des mineurs en danger ou en conflit avec la loi. L'École nationale de la PJJ (ENPJJ) a d'ailleurs récemment ouvert aux personnels des départements les formations dédiées à cette activité. Une telle initiative doit être encouragée, de même que l'élaboration de plans de contrôle communs départements-PJJ, contrairement à la tendance observée depuis 2014 de forte diminution des contrôles. »99(*)

Les formations de l'ENPJJ en matière de contrôle

L'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) organise depuis plusieurs années, en lien avec la DPJJ, des sessions de formation au profit des conseillers techniques chargés des contrôles de fonctionnement (CCTCF), mais également pour les agents des conseils départementaux qui le souhaitent, affichant ainsi sa volonté de développer la coopération entre État et conseils départementaux dans le champ de la protection de l'enfance (ainsi pour l'année 2022, 12 agents des conseils départementaux sur une promotion de 23 professionnels ont suivi la formation).

En outre, l'ENPJJ a notamment développé un module de rapid learning en la matière à l'attention des cadres. L'objectif, pour les années à venir, est de renforcer la capacité de contrôle des directions territoriales dans une démarche d'anticipation des difficultés et de maîtrise des risques, en particulier pour le dispositif de placement fortement exposé.

Source : DPJJ, réponses au questionnaire du rapporteur

Cet axe a d'ailleurs été investi par la stratégie nationale de protection de l'enfance (2018-2022) dont le document de présentation notait que « les contrôles des lieux d'accueil de protection de l'enfance sont majoritairement déclenchés à la suite d'un signalement, plutôt que dans le cadre d'une programmation préventive. Il existe très peu de contrôles conjoints (ARS, départements et PJJ, par exemple) mais cette pratique, lorsqu'elle est déployée, peut s'avérer très qualitative ».

À la demande du secrétaire d'État Adrien Taquet, les préfets ont été chargés de dresser un état des lieux des plans de contrôle départementaux et une remontée des incidents graves. Ces informations doivent être transmises annuellement au Gouvernement. Selon Adrien Taquet, entendu en audition, il a également été demandé aux préfets de communiquer le nombre de contrôles mis en place par leurs soins. Dans au moins un tiers des cas, le représentant de l'État, considérant que les dispositions prises par le département n'étaient pas suffisantes, avait pris des mesures complémentaires.

Ainsi, selon la DPJJ, pour la période 2021-2022, trois contrôles de dysfonctionnement ont été réalisés par les directions interrégionales de la PJJ suite à une saisine du préfet. Ces contrôles ont concerné :

- deux établissements de placement gérés par le secteur associatif non autorisés et non habilités ayant conduit à des arrêtés de cessation d'activité ;

- une MECS habilitée conjointement par l'État et un département, à la suite d'un incident grave.

En outre, les préfets ont reçu comme instruction du Gouvernement d'inviter chaque conseil départemental à s'engager dans une démarche de maîtrise des risques incluant la définition d'un plan de contrôle. La contractualisation peut alors faire intervenir des financements, abondés par le programme n° 304, afin d'accompagner les départements dans la réalisation du diagnostic, l'élaboration du plan de contrôle ou la mise en place de formations à destination des professionnels mobilisés sur les contrôles. Enfin, dans le cadre d'une action visant à mieux articuler les contrôles État/départements, il a été demandé aux préfets « d'indiquer au président du conseil départemental que vous vous tenez à sa disposition afin de mettre en place des contrôles conjoints État/département »100(*).

Le rapporteur encourage ces initiatives ; il conviendrait que les préfets diligentent davantage de contrôles conjointement avec les services de l'ASE. Le champ des investigations couvert par ces contrôles conjoints ne doit pas s'arrêter aux défaillances les plus flagrantes, mettant en danger les enfants, mais porter également sur le respect des exigences légales par les structures d'accueil.

Proposition n° 3 : Mener davantage de contrôles exercés conjointement par les départements et les services déconcentrés de l'État portant sur la qualité de l'accueil des enfants protégés et la conformité des dispositifs aux lois.

(GouvernementDGCS, DPJJ, préfets - et départements)


* 94 Audition du 29 septembre 2021.

* 95 En vertu du décret n°2015-1013 du 18 août 2015 modifiant le décret du 17 mai 2010 relatif au FNFPE.

* 96 Décret n°2019-670 du 27 juin 2019.

* 97 Rapport public thématique de 2020, p. 33.

* 98 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 99 Rapport public thématique précité, p. 56.

* 100 Annexe 4 à l'instruction interministérielle précitée du 25 avril 2023, p. 9.

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