D. LE LÉGISLATEUR NE DOIT PLUS ENGAGER UNE NOUVELLE RÉFORME STRUCTURELLE AVANT QUE LES LOIS EN VIGUEUR NE SOIENT MISES EN oeUVRE

1. Ne pas envisager de réforme législative tant que les lois en vigueur demeurent inappliquées

En 2016, Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales, déclarait en séance publique que « sept ans après la promulgation de la loi réformant la protection de l'enfance, force est de constater que, malgré des avancées majeures, son application se caractérise par des inégalités territoriales, des retards et des inerties »101(*). En 2021, l'histoire se répétait et l'auteur du présent rapport soulignait, lors de la discussion générale du projet de loi, que si « d'importants progrès ont été réalisés pour améliorer la protection des enfants en danger, en particulier grâce aux lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 [, ces] avancées connaissent toutefois une application bien trop inégale selon les territoires »102(*). Dès lors, le législateur doit aussi tirer les enseignements de la mise en oeuvre imparfaite des lois de 2007, 2016 et 2022.

La mission d'information a pu constater que le législateur avait parfois adopté des dispositions rehaussant l'ambition du droit alors que les professionnels bataillaient encore sur le terrain pour l'appliquer. Le rapporteur estime qu'il n'est pas sans risque de construire des réformes sur des bases encore mal assurées. La distance entre les exigences normatives et la réalité de la politique de protection de l'enfance qui se créée ne peut, à terme, que décevoir les espérances et démoraliser les professionnels.

C'est pourquoi, la plupart des personnes entendues en audition ont mise en avant la cohérence des dernières lois réformant la protection de l'enfance mais ont insisté sur l'importance de donner le temps au secteur de les appliquer. En dehors des ajustements pouvant s'avérer nécessaires, une nouvelle loi d'ampleur dans la protection de l'enfance, aussi bien réfléchie soit-elle, présenterait probablement plus d'inconvénients que d'avantages.

Proposition n° 6 : Ne pas engager de nouvelle réforme législative d'ampleur sans s'assurer de l'application des lois en vigueur par chaque acteur de la protection de l'enfance.

(Gouvernement, Parlement)

2. S'appuyer sur de réels outils statistiques et d'évaluation

Il ressort unanimement des auditions de la mission d'information que la politique de protection de l'enfance souffre d'une grande insuffisance de l'évaluation des dispositifs en place et de la production de données consolidées. Le présent rapport visant à analyser si les dispositions législatives trouvent une application a pâtit du manque d'informations disponibles. Cette défaillance est d'autant plus grave qu'elle empêche le législateur de disposer des informations nécessaires à sa fonction ; la secrétaire d'État Charlotte Caubel, comme l'Assemblée des départements de France, ont pointé la faiblesse de l'étude d'impact de la loi de 2022. En lien avec la proposition n° 6, le rapporteur estime que tout nouveau projet de loi devrait être conditionné à une étude minutieuse de la mise en oeuvre et de l'effet des précédentes réformes.

Ce défaut d'outils d'évaluation et statistiques est déjà bien connu. La mission d'information des députés Alain Ramadier et Perrine Goulet103(*) pointait « le manque de données fiables pour conduire et évaluer cette politique publique ». Le rapport précité de la Cour des comptes pointait également « l'insuffisance et la dispersion des données disponibles »104(*). Il est également régulièrement souligné que la politique de protection de l'enfance fait insuffisamment l'objet de travaux de recherche scientifiques et universitaires.

C'est la raison pour laquelle, la loi du 7 février 2022 prévoit que le nouveau GIP France enfance protégée gère l'ONPE qui assure les missions de centre national de ressources et de promotion de la recherche et de l'évaluation. Florence Dabin indique ainsi que « le fonctionnement de l'ONPE, devenant centre de ressources national en protection de l'enfance, a pris un tournant préparé en amont de la naissance du GIP : intensification des productions de travaux d'études et recherches et de la production de données, interventions territoriales démultipliées, organisation de séminaires et évènements bimestriels à destination des professionnels (...) ».

Le rapporteur ne peut qu'inviter l'État et les départements à donner les moyens humains et financiers à France enfance protégée de remplir ses nouvelles missions de centre national de ressources. Les départements, à travers notamment les ODPE, devront également assurer une remontée régulière des informations dont ils disposent.

Proposition n° 7 : Garantir les moyens au GIP France enfance protégée et à l'ONPE de recueillir des données statistiques et de mener des évaluations à même d'aider à l'orientation de la politique de protection de l'enfance.

(Gouvernement, départements et GIP France enfance protégée)


* 101 Sénat, JORF, session ordinaire de 2014-2015, compte rendu intégral, Séance du jeudi 11 décembre 2014.

* 102 Sénat, JORF, session ordinaire de 2021-2022, compte rendu intégral, Séance du mardi 14 décembre 2021.

* 103 Rapport n° 2110 sur l'aide sociale à l'enfance de Perrine Goulet, déposé le 3 juillet 2019.

* 104 Rapport public thématique, p. 42.

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