II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 5 juillet 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de M. Bernard Bonne sur l'application des lois relatives à la la protection de l'enfance.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons à présent entendre la communication de Bernard Bonne à l'issue de ses travaux sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance. Je vous rappelle que nous avons entendu, dans ce cadre, en séance plénière, la secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel, intervenue le 24 mai dernier en commission. Il apparaissait alors que de nombreuses dispositions en termes d'application des lois de protection de l'enfance restaient à prendre. Je suppose que notre rapporteur pourra donc nous apporter des précisions et nous indiquer s'il a observé des progrès depuis lors.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, en octobre 2021, nous examinions le projet de loi devenu loi du 7 février 2022 relatif à la protection des enfants. Je ne crois pas travestir le sentiment que nous avions exprimé en disant que cette loi était bienvenue : elle apportait des ajustements favorables, dont l'ambition a d'ailleurs été rehaussée au Sénat. Elle intervenait alors que l'application des lois précédentes n'était pas assurée et que les raisons de cette situation n'étaient pas évaluées. Il me semblait donc important, plus d'un an après la promulgation de cette réforme, de dresser un bilan de l'application des chantiers législatifs en protection de l'enfance et je remercie madame la présidente de m'avoir confié cette mission qui témoigne de l'importance que revêt ce sujet aux yeux de notre commission.

Par application, il faut entendre la publication des textes réglementaires, qui relève de la compétence du Gouvernement, et qui permet à certains articles de la loi de produire des effets juridiques. Madame la présidente nous a présenté en mai dernier le taux d'application particulièrement bas de la loi du 7 février 2022 : seuls 37 % des textes attendus ont paru. Toutefois, cette situation devrait bien finir par rentrer dans l'ordre. Ce n'est pas le cas de la seconde ambition, plus exigeante, que constitue la mise en oeuvre fidèle des dispositions de la loi par les parties prenantes.

Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, la force des trois lois qui se sont succédé, en quinze ans, dans le champ de la protection de l'enfance réside dans la grande continuité de leurs actions ; le législateur est intervenu sans défaire ce qu'il avait précédemment construit. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a consacré le rôle central du département comme chef de file, en reconnaissant la primauté des mesures administratives sur les mesures judiciaires d'assistance éducative. Elle a été fondatrice pour organiser le dispositif de repérage et de traitement des situations de danger grâce aux cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Elle a aussi renforcé le rôle de la prévention en protection de l'enfance et la coordination des acteurs par des observatoires départementaux de la protection de l'enfance et le projet pour l'enfant. La loi du 14 mars 2016, issue de l'initiative de notre collègue Michelle Meunier, a renforcé l'approche de la protection de l'enfance par les besoins fondamentaux de l'enfant. Il a souhaité garantir une prise en charge des mineurs globale et coordonnée, par un bilan de santé et la désignation d'un médecin référent. Il a renforcé l'anticipation de la sortie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et l'accompagnement des jeunes majeurs. Les lois de 2007 et 2016 ont ainsi su poser la doctrine de la protection de l'enfance, selon les propres mots de Marie-Paule Martin-Blachais, initiatrice de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant. La loi du 7 février 2022, sans renouveler la protection de l'enfance, n'en a toutefois pas moins porté des mesures ambitieuses : renforcement de l'accueil chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance ; interdiction de l'hébergement hôtelier ; prise en charge des jeunes majeurs confrontés à des difficultés de nature financière ou sociale ; droit au retour à l'ASE ; présence favorisée de l'avocat pour l'enfant discernant ; revalorisation de la rémunération des assistants familiaux.

Les travaux conduits dans le cadre de cette mission d'information confortent le sentiment que le décalage s'accentue entre des dispositions législatives de plus en plus ambitieuses et la réalité de la protection de l'enfance. Nous devons garder à l'esprit que l'aide sociale à l'enfance (ASE) subit une « triple pression ». Je reprends là les mots de Charlotte Caubel devant notre commission. En effet et en premier lieu, les dispositifs de protection de l'enfance sont saturés. La tendance de long terme est à la hausse puisque le nombre d'enfants accueillis à l'ASE est passé de 147 000 en 2007 à 205 000 en 2021. S'ajoute, ces derniers mois, une nette recrudescence soudaine de placements d'enfants en bas âge. En second lieu, les flux migratoires ont repris et avec eux l'arrivée de mineurs non accompagnés (MNA), arrivée qui met en tension les capacités d'accueil des départements. En troisième et dernier lieu, la pénurie de professionnels dans le travail social est exacerbée en protection de l'enfance. Il faut donc faire mieux avec moins d'effectifs.

Le contexte de l'ASE, peu propice à l'évolution des pratiques professionnelles et des politiques départementales, offre donc une explication générale au défaut de mise en oeuvre des lois qui, bien entendu, est insuffisante. Il nous faut encore descendre dans le détail des dispositions et des obstacles qu'elles rencontrent.

Le rapport, que je vous présente, et à plus forte raison mon intervention de ce matin, ne peut pas évaluer l'application minutieuse de toutes les dispositions adoptées dans ces lois qui représentent, à elles trois, 131 articles législatifs. Vous me permettrez donc de ne pas être exhaustif en choisissant quelques exemples éclairants et d'esquisser les pistes de réflexion pour l'avenir.

Pour ne pas désespérer, je commencerai par une note positive puisque les avancées prévues par les lois, notamment celle de 2007, relatives au repérage et au traitement des informations préoccupantes (IP), se sont concrétisées, même s'il reste encore à parachever les ambitions du législateur. Quasiment tous les départements possèdent une CRIP qui réunit les informations préoccupantes. Si bien sûr des disparités existent selon les territoires, en lien notamment avec les moyens humains engagés, les auditions révèlent que ces CRIP réussissent, globalement, à remplir leur mission de centralisation, de transmission et de filtre des IP en amont de la saisine du parquet et du juge des enfants. Il est une difficulté majeure qui demeure, elle concerne les délais de traitement des IP : ils peuvent dépasser la durée maximale de trois mois fixée par décret. Un autre chantier sera l'appropriation, par les professionnels, du référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes élaborée par la Haute Autorité de santé et que la loi de 2022 a consacré comme cadre de l'évaluation menée par les CRIP. S'agissant de l'entrée des enfants dans la protection de l'enfance, la déjudiciarisation souhaitée par la loi de 2007 n'a pas eu lieu : en 2021, 75 % des enfants confiés à l'ASE l'ont été par une décision judiciaire. Les raisons sont multiples : les services départementaux font face à de nombreux refus, ne serait-ce que d'un parent, ou d'adhésion « de façade », ce qui rend obligatoire le recours au juge. Parfois, ce sont les professionnels de l'ASE qui préfèrent le recours à une intervention cadrée et plus rassurante de l'autorité judiciaire. Il est un point plus compliqué : il s'avère que certains territoires sont dépourvus de dispositifs de prise en charge adaptée à des mesures administratives. Force est de constater que le manque d'investissement des départements dans les mesures d'aide éducative à domicile renforcée rend nécessaire la sollicitation d'une aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOR) décidée par le juge. Enfin, par héritage culturel, le recours au juge reste difficile à minimiser dans notre modèle français de l'assistance éducative.

J'illustrerai l'application des dispositions concernant l'accueil des enfants par deux exemples issus de la loi du 7 février 2022. Le premier article de cette loi renforce la priorité donnée à l'accueil de l'enfant par un membre de la famille ou par un tiers digne de confiance, en rendant obligatoire l'évaluation de cette option, ceci préalablement à tout placement judiciaire. Plus d'un an après son introduction, cette disposition est restée lettre morte, alors qu'il s'agit là d'un des articles les plus structurants de la loi. Les départements estiment ne pas avoir les moyens de remplir les missions incombant aux services évaluateurs. De même, la loi a prévu de renforcer l'accompagnement des tiers dignes de confiance par les services de l'ASE. La parution du décret devant préciser cet accompagnement, en particulier son périmètre, se fait attendre en raison des inquiétudes soulevées par les départements. Or, les tiers dignes de confiance se sentent trop souvent laissés à eux-mêmes et réclament un meilleur suivi et encadrement. Il s'agit également d'une impérieuse nécessité de vérifier que l'accueil des enfants se fait dans de bonnes conditions.

J'en viens désormais à un autre point sensible de la loi de 2022, c'est-à-dire le respect par les départements de l'interdiction de l'hébergement hôtelier. À l'initiative du Sénat, l'interdiction, sans dérogation, devrait entrer en vigueur en février 2024 pour laisser aux départements le temps d'anticiper, perspective qui les a conduits à prendre les dispositions nécessaires pour éviter ce type d'hébergement inadapté aux mineurs protégés. De nombreux départements ont lancé des appels à projets. Dans le département des Hauts-de-Seine, où la situation a été particulièrement scrutée en raison du drame qui s'y est produit en 2019, le conseil départemental a pris la mesure de la situation en investissant dans la construction de nouvelles structures. Un projet de structure d'hébergement de 300 places est en cours de réalisation depuis juillet 2022. La loi agit donc efficacement pour transformer l'accueil des enfants même si le regain des flux de personnes arrivant en France et se déclarant MNA complique la mise en oeuvre totale et uniforme de l'interdiction. Une dizaine de départements, dans lesquels la contrainte foncière est la plus forte ou les flux migratoires les plus directs, sont en difficulté pour bannir l'hôtel de leur offre d'accueil, même s'il faut le rappeler, cette interdiction ne vaut que pour les personnes hébergées au titre de l'ASE. Les personnes qui sont encore en attente d'évaluation de leur minorité pourront toujours, en cas de saturation des autres dispositifs, être mises à l'abri en urgence dans des structures hôtelières.

Les lois ont prévu de nombreux dispositifs pour compléter l'accompagnement des enfants et des jeunes lors de leur prise en charge par l'ASE. À ce titre, le projet pour l'enfant est devenu emblématique des défaillances d'application de la loi en protection de l'enfance. Issu de la loi de 2007, le PPE n'est toujours pas mis en oeuvre pour tous les enfants. En 2019, seuls 27 départements sur 83 interrogés par le ministère de la santé mettaient systématiquement en oeuvre un projet pour l'enfant. Certains départements ne prévoient un PPE que pour une infime partie des mineurs qui leur sont confiés, j'ai pu le constater moi-même. Gautier Arnaud-Melchiorre, à qui le ministre Adrien Taquet avait confié une mission sur la protection de l'enfance à travers la parole recueillie des enfants, m'a indiqué en audition n'avoir jamais entendu un seul enfant lui parler du PPE. Même quand il est déployé, le projet se limite à un document administratif formel, peu utile et sans aucun sens pour les enfants. À l'inverse, le projet pour l'enfant devrait permettre de coucher par écrit les ambitions que l'on peut former, avec le mineur, quant à son avenir, à l'instar des projets que les parents établissent pour leurs enfants. C'est un outil de coordination pour les professionnels qui doit être investi et être régulièrement actualisé.

Plus récentes sont les dispositions législatives prévoyant le parrainage et le mentorat. À l'initiative d'un amendement du Gouvernement, l'article 9 de la loi de 2022 prévoit que ces dispositifs doivent systématiquement être proposés aux mineurs pris en charge par l'ASE soit 377 000 enfants. Nous avons soutenu la très bonne intention de cette disposition en partageant quelques doutes sur la capacité de réunir autant de parrains et de mentors. Comme vous l'imaginez, cette disposition à caractère théoriquement systématique est très loin d'être appliquée. Le décret prévoyant les conditions de contrôle des parrains et marraines - contrôle qui sont essentiels, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage ne sont pas encore publiés. Le Gouvernement ne semble pas se donner les moyens de concrétiser ses annonces ambitieuses.

Ma dernière illustration des faiblesses de l'application des lois concerne donc la coordination des acteurs locaux concourant à la protection de l'enfance. En effet, entre services du département, de l'État déconcentré, de la justice et des associations, des échanges fluides et efficaces ont été maintes fois rêvés par le législateur. Pourtant, tous les départements ne possèdent pas d'observatoires départementaux de la protection de l'enfance réellement actifs et assurant les missions qui lui sont confiées par la loi. De même, les protocoles devant réunir président de conseil départemental, président de conseil régional et préfet en vue de favoriser l'accès à l'autonomie des jeunes ne sont pas tous opérants.

Dans l'optique de revivifier la gouvernance locale, l'article 37 de la loi de 2022 a prévu les comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), co-présidés par le président du département et par le préfet, dont le rôle est de s'assurer que tous les services de l'État participent à la coordination de la politique. La patience fut de mise mais les premiers comités ont été institués par décret et sont en cours d'installation. L'expérimentation se déroule dans dix départements volontaires, dont les instances de coordination avaient été mises en sommeil. Les présidents des conseils départementaux de la Somme et de l'Eure-et-Loir, que j'ai pu rencontrer, placent de grands espoirs dans ces comités, y compris pour aborder les cas individuels complexes, comme la loi l'a prévu.

Plusieurs points de vigilance émergent toutefois pour garantir la réussite de l'expérimentation et envisager sa généralisation. L'articulation des CDPE avec les autres instances doit éviter toute redondance et perte de temps. De même, il revient à l'autorité judiciaire, ainsi qu'à tous les services concernés de l'État, en particulier l'Éducation nationale, de se plier à l'exercice, sans quoi les comités perdront de leur intérêt. La secrétaire d'État Charlotte Caubel m'a assuré que des instructions ont été données aux préfets pour la mobilisation des services de l'État. Une circulaire de mars 2023 insiste sur l'importance de ces comités auprès des parquets. L'optimisme est donc permis.

Vous l'aurez toutefois compris, chers collègues, le bilan dressé ici n'est qu'un échantillon représentatif d'une application des lois en deçà des attentes. Il n'y a donc pas de coupable idéal, mais davantage une responsabilité partagée des acteurs de la protection de l'enfance qui doivent réinvestir leurs missions respectives.

L'État, d'abord, est responsable à trois titres. D'une part, le Gouvernement, détenteur du pouvoir réglementaire national, fait preuve de toutes les peines du monde à publier les décrets d'application d'un texte de loi, pourtant de son initiative. Certes une période d'élections présidentielle et législative est venue couper un élan initial et le contexte de la protection de l'enfance s'est dégradé avec l'arrivée en grand nombre de MNA. Les délais de parution des décrets ne sont tout de même pas acceptables.

D'autre part, l'État semble se désengager des missions qui sont les siennes et qui concourent à une bonne politique de protection de l'enfance. Les services de l'ASE doivent accueillir des enfants en situation de handicap pour lesquels une prise en charge plus adaptée relèverait des IME ou des Itep. En Eure-et-Loir, des difficultés de coordination entre le conseil départemental et l'ARS m'ont été soulignées sur ces sujets. En outre, si le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux relevant de l'ASE incombe au président du conseil départemental, le préfet détient une compétence générale de contrôle. Celle-ci peut être exercée, notamment si la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies sont susceptibles d'être compromis. Les représentants de l'État ne font que très rarement usage de cette possibilité. Il conviendrait que les préfets diligentent davantage de contrôles conjointement avec les services de l'ASE. Le champ des investigations ne devrait pas s'arrêter aux défaillances les plus flagrantes, mettant en danger les enfants, mais porter également sur le respect des exigences légales par les structures d'accueil. Je crois enfin que l'État doit soutenir les départements pour faire face, de façon pérenne, aux conséquences financières que les dispositions de la loi de 2022 engendrent (évaluation et contrôle des tiers dignes de confiance, interdiction de l'hébergement hôtelier, rémunération rehaussée des assistants familiaux, accompagnement des jeunes majeurs de moins de 21 ans, etc.)

Le Sénat avait soutenu les avancées législatives en ne cessant de réclamer plus de moyens au profit de la protection de l'enfance. C'est à l'État de faire en sorte que la justice en assistance éducative possède les moyens permettant de suivre les enfants de façon optimale. Le nombre de dossiers par juge atteint souvent les 600, soit le double des recommandations prônées par les référentiels en la matière. L'embolie des cabinets de juges des enfants accroît le délai d'audiencement et de décisions. Elle amoindrit également la qualité de la procédure : les juges ne peuvent même plus entendre chaque mineur individuellement ni même tenir des audiences pour le renouvellement de leurs mesures.

Pour les départements, ensuite, la politique de protection de l'enfance ne peut être une compétence facultative. Certains investissent des moyens humains et financiers importants. Ainsi, près de 9 milliards d'euros sont consacrés par les départements à l'aide sociale à l'enfance. D'autres, en revanche, négligent une mission qui ne peut être à la hauteur des enjeux sans réelle volonté politique. Il n'est pas acceptable que les enfants en danger soient plus ou moins bien pris en charge selon le territoire sur lequel ils vivent. L'application des dispositions législatives doit devenir la priorité des départements. Le Gouvernement doit inciter à cette application, en particulier en l'insérant dans la prochaine vague de contractualisation et en généralisant cette contractualisation de manière à éviter les mises en oeuvre disparates selon les territoires. En troisième lieu, les professionnels de la protection de l'enfance portent une grande responsabilité, dès lors que le respect des lois dépend de leurs pratiques. Quand des avancées législatives viennent bousculer des connaissances ou des pratiques qui sont solidement ancrées, une certaine inertie dans la mise en oeuvre apparaît alors. Le levier de la formation doit donc être largement investi. D'une part, pour que les changements législatifs se diffusent rapidement, il convient de favoriser la formation continue des professionnels. Les initiatives développées par l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, qui dispense des formations aux professionnels de l'aide sociale à l'enfance, doivent être encouragées. Plus largement, la structuration de la formation en blocs de compétences au sein des instituts régionaux du travail social (IRTS) doit être encouragée afin de permettre aux éducateurs, assistants familiaux ou référents ASE, exerçant déjà leur profession, de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance et actualiser ainsi leurs connaissances.

Alors qu'une pénurie des professionnels en protection de l'enfance est déjà à l'oeuvre, les IRTS déplorent une baisse préoccupante de l'entrée en formation sur les métiers du secteur social, depuis la mise en place de Parcoursup. À cette désaffection, se rajoute un décalage entre les enseignements théoriques et la réalité des métiers de la protection qui conduit au découragement, voire à la réorientation des éducateurs peu de temps après leur prise de fonction. Pour pallier ces difficultés, il est nécessaire de renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les établissements de formation, ainsi que des départements le proposent déjà. Ces conventions favorisent le développement d'expériences concrètes en protection de l'enfance (stages et apprentissage), ainsi que le recrutement des jeunes diplômés dès la sortie des formations.

En guise de conclusion, le législateur doit aussi tirer les enseignements de la mise en oeuvre imparfaite des lois de 2007, 2016 et 2022. Les professionnels de la protection de l'enfance ont salué le travail législatif entrepris, mais ils ont également manifesté le souhait qu'une pause soit observée dans les réformes. En dehors des ajustements s'avérant nécessaires, une nouvelle loi d'ampleur dans la protection de l'enfance, aussi bien réfléchie soit-elle, présentera très probablement plus de problèmes que d'avantages. Accroître la distance entre les exigences normatives et la réalité ne pourra que décevoir les espérances et démoraliser les professionnels. J'estime donc que la priorité est davantage à la construction d'un outil statistique dans le champ de la protection de l'enfance et à l'évaluation des dispositions en vigueur. La ministre comme l'Assemblée des départements de France ont insisté sur la faiblesse de l'étude d'impact de la loi de 2022. Cette mission d'évaluation, qui fait aujourd'hui défaut, incombe au nouveau GIP « France Enfance protégée » et à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Pour ne pas bâtir sur des bases mal assurées, tout nouveau projet de loi devrait être conditionné à une étude minutieuse des précédentes réformes.

M. Laurent Burgoa. - Je remercie notre collègue pour la qualité de sa restitution, laquelle permet de relever l'intérêt du contrôle parlementaire quant à l'efficience des lois adoptées. Je souhaite évoquer le fichier des mineurs non accompagnés rendu obligatoire par la loi du 7 février 2022. Il s'avère que certains départements n'appliquent pas cette disposition. L'État a-t-il pris une mesure financière à l'encontre de ces territoires, notamment par un moindre financement de la prise en charge des MNA ? Je l'espère. S'agissant du budget, nous constatons que certains départements rencontrent des difficultés à distinguer celui dédié à l'aide sociale à l'enfance et celui dédié aux mineurs non accompagnés. Il serait opportun de remédier à ce problème.

M. René-Paul Savary. - Je me joins aux propos de mon collègue. Force est de constater que l'arrivée de mineurs non accompagnés dans les départements a fortement perturbé les missions qu'ils assuraient jusqu'alors au titre de l'aide sociale à l'enfance pour les jeunes confrontés à des difficultés sociales ou financières. Il importe de ne pas confondre ces deux publics. Qui plus est, bien souvent, les travailleurs sociaux eux-mêmes ne sont pas formés pour gérer les MNA. Quant aux PPE, je crois que leur faible nombre peut s'expliquer par leur extrême formatage. Les travailleurs sociaux en sont réduits à passer davantage de temps devant leur poste de travail à instruire un dossier de PPE que face au jeune dont ils doivent élaborer le projet ! Je comprends le propos de Bernard Bonne sur la nécessaire formation des éducateurs sociaux, formation qui est d'autant plus nécessaire que ces éducateurs sont confrontés à des cas très difficiles. Peut-être faudrait-il songer à leur offrir la possibilité d'évoluer sur le plan professionnel au bout d'un certain nombre d'années ? J'achève mon propos en saluant le travail de notre collègue.

Mme Michelle Meunier. - Je tiens, moi aussi, à saluer le travail sans concession de notre collègue, travail qui prouve aisément que le problème qui se pose n'est pas celui des lois, mais de leur application. Cette responsabilité n'incombe pas seulement à l'État. En la matière, j'en appelle donc à une grande politique nationale sur la protection de l'enfance. Je ne peux que déplorer que les mesures dites « administratives », mais qui sont avant tout des mesures éducatives, ne sont pas mises en oeuvre, faute de moyens. Le recours en dernier recours au système judiciaire s'avérera in fine inopérant car il ne dispose, lui aussi, pas des moyens suffisants. Dès lors, nous assistons à des notifications de mesures qui ne sont pas appliquées, faute de solutions idoines. Une autre difficulté est la précarité des éducateurs. Nombre d'entre eux sont des travailleurs intérimaires. Dès lors, il en résulte que les jeunes qui ont besoin de stabilité et de perspectives ne sont accompagnés que par des personnes qui sont elles-mêmes en grande précarité professionnelle et qui ne peuvent a priori pas assurer l'accompagnement sur le long terme. Ils ne restent dans la structure que quelques mois. In fine, je me joins à ce qui a été dit concernant le caractère inadéquat de Parcoursup. Ce dispositif n'est en rien adapté aux populations dont il est ici question.

Mme Élisabeth Doineau. - Je m'associe aux remerciements de mes collègues. Les travaux restitués durant cette session par notre collègue sont de très grande qualité. Il était intéressant de procéder à l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques de protection de l'enfance, d'autant qu'il m'a été donné, alors que j'étais en responsabilité dans mon département, de constater l'indigence des dispositions d'évaluation qui y étaient en vigueur. Les travaux de l'Observatoire national de l'action sociale (Odas) sur la protection de l'enfance ont pu éclairer nos politiques en ce domaine. J'observe une hausse du nombre d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis quinze ans, ceci indépendamment des mineurs non accompagnés. Je relève aussi la complexité des profils, complexité qui mobilise les professionnels du secteur. Ces derniers constatent une tendance plus répandue de ces profils à tomber dans la délinquance ou à présenter des troubles psychiatriques. Pour finir, je crois opportun qu'un des problèmes auxquels les départements sont confrontés est celui du recrutement des effectifs dédiés à la protection de l'enfance. Ces effectifs ne sont très clairement pas suffisants. Je m'étais inquiétée de la suffisance des moyens octroyés aux départements en la matière. Cette alerte n'avait pas été prise en compte par les pouvoirs publics qui n'avaient pas jugé opportun d'abonder le fonds national de financement de la protection de l'enfance. La résolution de ce problème est une priorité absolue.

Pour finir, je ne peux que déplorer la précarité des mesures prises par certains territoires et du financement qui leur est associé.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je tiens à féliciter Bernard Bonne pour la qualité de son rapport. Nous savons tous que les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain. Si les enfants ne peuvent pas bénéficier d'un cadre idoine, ils ne seront pas des adultes construits et épanouis. Mon territoire compte plus de 7 000 enfants placés, dont un nombre important de MNA parmi eux. Ils souffrent beaucoup de carences éducatives, eu égard à la pauvreté sociale du Pas-de-Calais. Mon département a pris l'initiative de créer un comité dédié à la protection de l'enfance. J'ai été intéressée par l'audition de la secrétaire d'État qui ne dissimulait pas le problème que constituent à terme les difficultés de recrutements en termes d'assistants familiaux. Il importe de revaloriser la rémunération que ces professionnels touchent et le métier qu'ils exercent. Ce métier est insuffisamment connu et reconnu. Le rapport évoque cette question de la reconnaissance et je m'en félicite sincèrement, outre le fait qu'il insiste sur la coordination du travail qu'opèrent les acteurs de terrain.

M. Bernard Bonne. - Je vais tâcher de répondre à chacune de vos interventions en confirmant tout d'abord à mon collègue Laurent Burgoa qu'il n'existe pas de distinction entre les budgets alloués aux mineurs non accompagnés et à l'ASE dans la plupart de nos départements. Comme l'a souligné fort justement René-Paul Savary, les MNA sont confiés à l'ASE mais la prise en charge adaptée à leur situation diffère de celle à déployer pour les autres enfants. Leurs problèmes comme leur âge sont notablement différents. Les approches doivent donc être différentes. J'espère vivement que la future loi sur l'immigration permettra de remédier à ce problème. Il convient que l'État prenne sa part dans la résolution financière de ce problème. De la même façon, la précarité du statut des éducateurs est un autre problème qui doit impérativement être instruit. Cette précarité est bien évidemment préjudiciable aux enfants que ces éducateurs suivent.

Je remercie ensuite Michelle Meunier pour ses propos en soulignant tout l'intérêt que nous avons à travailler au-delà de nos étiquettes partisanes sur des sujets qui sont aussi importants que celui qui nous intéresse ce matin. Cela nous renvoie à la question de la formation de ces éducateurs : elle nécessite elle aussi d'être très nettement améliorée. J'en terminerai en estimant qu'avant de voter des lois, il importe de faire appliquer celles qui existent. Il s'agirait d'un progrès très net que j'appelle de mes voeux.

Mme Catherine Deroche. - Je vous remercie. Il me revient à présent de consulter notre commission sur la publication du rapport d'information de notre collègue.

Les recommandations sont adoptées.

À l'unanimité des membres présents, la commission des affaires sociales adopte le rapport d'information sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance et en autorise la publication.

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