N° 870

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) et de la délégation sénatoriale aux outre-mer (2) sur la parentalité dans les outre-mer,

Par M. Stéphane ARTANO, Mmes Annick BILLON, Victoire JASMIN
et Elsa SCHALCK,

Sénateur et Sénatrices

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

(2) Cette délégation est composée de : M. Stéphane Artano, président ; M. Maurice Antiste, Mmes Éliane Assassi, Nassimah Dindar, MM. Pierre Frogier, Guillaume Gontard, Mmes Micheline Jacques, Victoire Jasmin, M. Jean-Louis Lagourgue, Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, MM. Teva Rohfritsch, Dominique Théophile, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Vivette Lopez, Marie-Laure Phinera-Horth, M. Gérard Poadja, secrétaires ; Mme Viviane Artigalas, M. Philippe Bas, Mme Agnès Canayer, M. Guillaume Chevrollier, Mme Catherine Conconne, M. Michel Dennemont, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, M. Abdallah Hassani, Mme Gisèle Jourda, MM. Mikaele Kulimoetoke, Dominique de Legge, Jean-François Longeot, Victorin Lurel, Mme Marie Mercier, MM. Serge Mérillou, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Sophie Primas, MM. Jean-François Rapin, Michel Savin, Mme Lana Tetuanui.

L'ESSENTIEL

La délégation sénatoriale aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes ont décidé de croiser leurs regards et expertises afin d'apporter une meilleure connaissance des familles des outre-mer et de leurs besoins et de mieux accompagner les parents. Dans un contexte où les codes de la parentalité ne cessent d'être bousculés, il est primordial de s'interroger sur les politiques publiques aujourd'hui déployées en faveur du soutien à la parentalité. Le défi est de les dimensionner et les adapter à la hauteur des besoins et des spécificités des outre-mer, dans une approche transversale et non stigmatisante.

Après plus de cinq mois de travaux conjoints, près de 120 personnes auditionnées et un déplacement en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, les rapporteurs formulent vingt recommandations afin que le soutien à la parentalité outre-mer ne soit pas le parent pauvre des politiques familiales. Ces recommandations s'articulent autour de quatre axes : mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité ; aider et accompagner les familles précaires et vulnérables ; renforcer les services de proximité pour tous ; soutenir les acteurs associatifs et mieux coordonner les actions.

I. DES FAMILLES SOUS TENSION

Les modèles familiaux traditionnels - fondés sur la « matrifocalité » et une forte solidarité intergénérationnelle - et les normes éducationnelles sont en pleine mutation dans les outre-mer sous l'effet de la diffusion du mode de vie occidental contemporain, de la transition démographique et des migrations internes comme externes.

 

Pour répondre au mieux aux besoins des familles et accompagner les parents dans leur rôle, il est essentiel de comprendre les déterminants socio-économiques et les dynamiques familiales spécifiques à chaque territoire.

Recommandation : Généraliser les Observatoires de la parentalité, en s'inspirant de l'expérience réunionnaise, pour récolter, exploiter et diffuser données et connaissances.

A. UNE PRÉDOMINANCE DE MÈRES SEULES, DÈS LA NAISSANCE DE L'ENFANT

Les territoires ultramarins se distinguent par une forte prévalence de monoparentalité, dont les modalités sont distinctes de l'Hexagone : la monoparentalité ne fait généralement pas suite à une séparation mais commence dès la naissance et se poursuit pendant la majorité de l'enfance.

 

Martinique

Guadeloupe

Guyane

La Réunion

Hexagone

Proportion de familles monoparentales parmi les familles avec enfant

         

Part des naissances non reconnues par le père

         
           
 

La reconnaissance des enfants par leur père, un enjeu d'égalité femmes-hommes.

Recommandation :

Reconsidérer la place du père dans les politiques familiales en luttant contre les idées reçues relatives aux effets sur le bénéfice des prestations familiales d'une reconnaissance légale par le père et en associant davantage les pères aux dispositifs de soutien à la parentalité.

Des grossesses précoces et/ou non désirées ? un enjeu d'éducation et de prévention

Un taux élevé d'IVG

 

10 % de maternités précoces (<20 ans) en Guyane et à Mayotte

qui s'explique souvent non par un échec de la contraception mais par un refus de la pilule.

 

La maternité apparaît comme un moyen d'acquérir un « statut ».

Recommandations :

- Dispenser, par des professionnels formés, dans tous les collèges et lycées des outre-mer les séances obligatoires d'éducation à la vie affective et sexuelle et développer la prévention des grossesses précoces ;

- Conforter les dispositifs permettant aux jeunes mères de concilier leur vie familiale et le Service militaire adapté (SMA).

B. UNE PRÉCARITÉ ET DES VULNÉRABILITÉS QUI COMPLEXIFIENT L'EXERCICE DES FONCTIONS PARENTALES

Moyenne nationale (14,9 %) au seuil de 60%

Taux de pauvreté

Taux d'illettrisme

dans les DROM

par rapport à l'Hexagone

à Mayotte

En outre, le français n'est pas la langue maternelle d'une part significative de la population (90 % des Mahorais, 70 % des Guyanais). De nombreux habitants ne le parlent pas au quotidien.

Recommandations :

- Décliner l'information sur les politiques familiales et parentales sur des supports adaptés à la diversité des populations concernées ;

- Développer les projets combinant lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme et soutien à la parentalité.

II. RENFORCER ET ADAPTER LE SOUTIEN À LA PARENTALITÉ

A. APPORTER DES PRESTATIONS ET SERVICES À LA HAUTEUR DES BESOINS

1. Lutter contre la précarité économique et les vulnérabilités sociales

Dans les quatre DROM historiques, le mouvement de convergence des prestations est presque achevé. Deux grandes différences subsistent : le versement des allocations familiales dès le 1er enfant et les conditions d'octroi du complément familial. En revanche, à Mayotte, les conditions d'ouverture des droits et les plafonds demeurent différents.

   

des habitants des DROM perçoivent au moins une prestation sociale ou familiale (47 % dans l'Hexagone)

de prestations légales versées par les CAF des DROM en 2022,

sur un total de 100 Md€

 

Cependant, de nombreuses familles n'ont pas connaissance des prestations et des dispositifs d'aide dont elles pourraient bénéficier, ou ne prétendent pas à leur bénéfice.

Recommandations :

- Réaliser une étude comparative des incidences budgétaires et socio-économiques pour les familles des différents systèmes de prestations sociales entre l'Hexagone et les territoires ultramarins.

- Afin d'améliorer l'accès aux droits et l'« aller-vers », consolider la présence des CAF au plus près des familles et développer des guichets uniques.

2. Garantir la scolarisation et un meilleur accueil des enfants sur tout le territoire, un enjeu d'égalité des chances pour les enfants et d'insertion professionnelle pour les parents

Taux de couverture des enfants de moins de trois ans
par un mode de garde formel

 

Taux de couverture global

... dont assistante maternelle

... dont mode d'accueil collectif

Hexagone

59 %

55 %

41 %

Martinique

55 %

19 %

58 %

Guadeloupe

44 %

31 %

45 %

La Réunion

32 %

23 %

61 %

Guyane

9 %

22 %

69 %

 

Proportion d'enfants de trois ans non-scolarisés

Enfants en âge d'aller à l'école primaire n'ayant pas accès à l'école

 

Guyane

   

Un manque d'établissements scolaires et d'enseignants mais aussi des lacunes dans les transports et la restauration scolaires

Mayotte

   

Recommandations :

- Faire du futur service public de la petite enfance une opportunité pour rattraper le retard des outre-mer en matière de mode de garde ;

- Renforcer l'accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire.

B. SOUTIEN À LA PARENTALITÉ : UNE POLITIQUE À FAIRE GRANDIR

1. Accompagner les parents le plus tôt possible, dans tous les moments de leur vie de parent, y compris les plus difficiles

Les cinq dispositifs principaux de soutien à la parentalité (réseaux d'écoute et d'appui aux parents ; lieux d'accueil enfants-parents ; contrats locaux d'accompagnement à la scolarité ; médiation familiale ; espaces rencontres) et le programme des « 1 000 premiers jours » sont inégalement déployés dans les outre-mer.

Recommandations :

- Accélérer, en l'adaptant, le déploiement du programme des « 1 000 premiers jours » ;

- Lorsque le domicile est éloigné du centre médical adapté, proposer des solutions d'hébergement temporaire pour les femmes enceintes ou bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation et les parents de grands prématurés ;

- Densifier les lieux d'accueil enfants-parents et les écoles des parents, en particulier en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin où des plans urgents de rattrapage sont nécessaires ;

- Développer les mesures judiciaires d'aide éducative et d'aide à la gestion du budget familial.

2. Renforcer les acteurs locaux de proximité et mieux coordonner les actions

CAF : leur action de chef de file sur les territoires est largement saluée.

Collectivités territoriales : leur engagement - et en particulier la mise en oeuvre des compétences « famille », PMI (protection maternelle et infantile) et ASE (aide sociale à l'enfance) - apparaît à géométrie variable. Beaucoup de collectivités ultramarines en difficultés financières n'ont pas les moyens de cofinancer des projets en appui des CAF.

Associations : de nombreuses initiatives originales sont développées (bus de la parentalité, maisons des familles, groupes de parole, services de médiation, éducation populaire, vacances familiales ou encore écoles des parents), mais elles manquent de moyens financiers, de travailleurs sociaux, de formation et d'ingénierie administrative et sociale pour inscrire leur action dans la durée.

Recommandations :

- Dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion État-Cnaf 2023-2027, inscrire un volet « soutien à la parentalité outre-mer », qui autoriserait notamment les CAF à financer des projets à 100 % et augmenterait les crédits disponibles pour développer les services aux familles ;

- Pour les associations : accroître la part de financements pluriannuels et les inciter à s'appuyer sur les fédérations nationales pour monter en compétences (formation, ingénierie administrative...) ;

- Simplifier et renforcer la gouvernance de la politique de soutien à la parentalité.

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