AVANT-PROPOS

Trois ans après leur étude conjointe sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer, la délégation sénatoriale aux outre-mer (DSOM) et la délégation aux droits des femmes (DDF) ont décidé de croiser à nouveau leurs regards et expertises en menant des travaux sur la parentalité dans les outre-mer.

Quatre rapporteurs ont mené cette mission : Stéphane Artano (RDSE - Saint-Pierre-et-Miquelon), président de la DSOM, Annick Billon (UC - Vendée), présidente de la DDF, Elsa Schalck (LR - Bas-Rhin), membre de la DDF, et Victoire Jasmin (SER - Guadeloupe), membre des deux délégations.

Pendant plus de cinq mois, ils ont auditionné près de 120 personnes : chercheurs, représentants des collectivités, responsables des CAF et caisses locales de sécurité sociale, acteurs associatifs, fédérations nationales... Ils se sont également rendus en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

Leurs objectifs : d'une part, mieux appréhender, dans toute leur diversité, les spécificités des familles des outre-mer et de leurs besoins, d'autre part, prendre connaissance de la déclinaison, dans les territoires ultramarins, des politiques de soutien à la parentalité.

Développé depuis les années 1990, le soutien à la parentalité est aujourd'hui l'un des quatre objectifs des politiques publiques de la famille, aux côtés de l'encouragement à la natalité, la compensation des charges financières liées à la famille et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

Cette action publique vise à accompagner les parents dans l'exercice de leurs fonctions et compétences parentales, tout en leur reconnaissant le rôle de premiers éducateurs de l'enfant.

Elle revêt deux dimensions qui peuvent se compléter. D'une part, accompagner les parents dans leur quotidien, à l'arrivée de l'enfant - objet du programme des « 1 000 premiers jours » - et à chacun des âges de la vie de l'enfant. D'autre part, prévenir les difficultés auxquelles les familles pourraient être confrontées, en particulier : décrochage scolaire, ruptures familiales, dérives sectaires ou radicales d'un membre de la famille, troubles de santé spécifiques à l'enfance et à l'adolescence, comportements à risques, parcours de délinquance, violences intrafamiliales.

Dans un contexte où les codes de la parentalité ne cessent d'être bousculés, il est aujourd'hui primordial de s'interroger sur les politiques publiques déployées en faveur du soutien à la parentalité. Le défi est de les dimensionner et de les adapter à la hauteur des besoins et des spécificités des outre-mer.

Les outre-mer se distinguent par une forte prévalence de familles en situation de précarité économique et de vulnérabilités sociales qui rendent plus complexe l'exercice des fonctions parentales. Le taux de pauvreté y est largement supérieur à la moyenne nationale : de 28 % en Martinique à 77 % à Mayotte, contre 15 % dans l'Hexagone. Les taux d'illettrisme et d'illectronisme sont également trois fois supérieurs dans les DROM et de nombreux parents ne parlent pas français au quotidien, rendant difficile l'accès aux droits ainsi que l'accompagnement des enfants dans leur scolarité.

Les politiques familiales jouent à ce titre un rôle essentiel d'amortisseur social. Près des deux tiers des habitants des DROM perçoivent au moins une prestation sociale ou familiale.

Les familles ultramarines se caractérisent également par une forte proportion de mères seules. Aux Antilles comme en Guyane, la prédominance des familles monoparentales (la moitié des familles) et la proportion massive de naissances non reconnues par le père (près de deux tiers) interrogent sur la place des pères.

Les familles ultramarines se caractérisent enfin par une forte solidarité intrafamiliale et intergénérationnelle, correspondant au modèle des familles élargies, qui joue un rôle crucial dans l'éducation des enfants, à un triple niveau : matériel, affectif et dans la transmission des valeurs et savoirs. Cette richesse n'est sans doute pas assez valorisée par l'action publique.

Les politiques de soutien à la parentalité sont inégalement déployées sur les territoires ultramarins et pas toujours adaptées à ces spécificités.

Si l'action des CAF et les initiatives développées localement (bus de la parentalité, maisons des familles, groupes de parole, services de médiation, éducation populaire, vacances familiales ou encore écoles des parents) doivent être saluées, un renforcement des acteurs locaux et de leur coordination apparaît nécessaire. Les associations locales manquent bien souvent de moyens financiers, de travailleurs sociaux, de formation et d'ingénierie administrative et sociale pour inscrire leur action dans la durée. Quant aux fédérations et associations nationales, elles sont actuellement peu implantées dans les territoires ultramarins.

Forts de ces constats, les rapporteurs formulent vingt recommandations pour veiller à ce que le soutien à la parentalité outre-mer ne soit pas le parent pauvre des politiques familiales.

Ces recommandations s'articulent autour de quatre axes :

- mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité ;

- aider et accompagner les familles précaires et vulnérables ;

- renforcer les services de proximité pour tous ;

- soutenir les acteurs associatifs et mieux coordonner les actions.

I. LA PARENTALITÉ, UNE PROBLÉMATIQUE PRÉOCCUPANTE DANS LES OUTRE-MER

Les familles des outre-mer sont naturellement multiples. Si certaines caractéristiques - en particulier la place centrale des femmes et le rôle de la famille élargie - sont communes à la plupart des territoires, et distinguent ces familles de celles de l'Hexagone, les modèles parentaux et familiaux sont néanmoins variés entre territoires et au sein de chacun d'eux. Les modèles traditionnels sont en outre en pleine mutation, sous l'effet de la diffusion du mode de vie occidental contemporain et des migrations internes comme externes.

Dans ce contexte, l'exercice de la parentalité s'avère complexe pour de nombreux parents, confrontés à des modèles différents et parfois à des injonctions contradictoires entre le référentiel qui leur a été transmis et les normes fixées par les institutions. Assumer leurs fonctions parentales peut être d'autant plus complexe dans des situations de vulnérabilité sociale et de précarité économique.

Force est de constater que les politiques publiques ne sont pas toujours adaptées pour faire face à ces enjeux et répondre aux besoins spécifiques des familles des outre-mer. Les politiques familiales, et tout particulièrement celles du soutien à la parentalité, sont inégalement déployées sur les différents territoires.

A. DES FAMILLES SOUS TENSION

Les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de comprendre les déterminants socio-économiques spécifiques aux familles ultramarines afin de les accompagner au mieux et de soutenir la parentalité, dans les questions d'éducation et de soins aux enfants mais aussi au-delà, sans se caler systématiquement sur un modèle hexagonal, dans une nécessaire logique de différenciation.

Les enquêtes Migrations, Famille et Vieillissement (MFV), réalisées en 2009-20101(*) puis 2020-20212(*) dans les quatre DROM historiques et en 2015-2016 à Mayotte3(*), ainsi que le rapport du Haut Conseil à la famille sur « la situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) : réalités sociales et politiques menées »4(*), présentés aux délégations, permettent de dresser un état des lieux de la situation démographique et sociale dans les DROM.

Les statistiques sont en revanche plus parcellaires s'agissant des collectivités d'outre-mer. Des auditions menées par les délégations ont toutefois permis de recueillir des données et témoignages précieux.

Les familles des outre-mer apparaissent aujourd'hui soumises à une double tension. D'une part, les structures familiales dominantes, originellement fondées sur une matrifocalité et une solidarité intergénérationnelle qui les distinguent des familles de l'Hexagone, évoluent. La confrontation à des modèles et normes plus variés oblige les parents à redéfinir leur rôle et les modalités d'exercice de leurs responsabilités parentales. D'autre part, de nombreuses familles - et en premier lieu les familles monoparentales, nombreuses dans les outre-mer - sont dans des situations difficiles, de vulnérabilité et de précarité, qui rendent encore plus complexe l'exercice de cette parentalité.

1. Des structures familiales dominantes souvent différentes de celles de l'Hexagone
a) La matrifocalité ou la place centrale des femmes au sein des familles

Dans de nombreuses sociétés ultramarines, les femmes et la branche maternelle occupent traditionnellement une place centrale au sein des familles. Les mères, souvent accompagnées des grand-mères, y remplissent la plus grande part des fonctions parentales, à la fois sur le plan financier et matériel et sur le plan éducatif.

Différentes configurations doivent être distinguées :

Dans ces différentes configurations, les mères élèvent seules leurs enfants. Les pères interviennent traditionnellement peu dans l'éducation des enfants au quotidien. Ils n'habitent parfois pas le domicile familial, ce qui est également à mettre en relation avec la fréquence du multi-partenariat masculin aux Antilles et en Guyane.

Ce schéma se reproduit fréquemment de génération en génération. La place centrale des mères apparaît ainsi comme la caractéristique la plus marquante de la vie familiale dans les DROM, pour reprendre les mots des chercheurs de l'Ined Claude-Valentin Marie et Didier Breton5(*).

Les travaux des sociologues Nadine Lefaucheur en Martinique et Stéphanie Mulot en Guadeloupe, toutes deux auditionnées par les rapporteurs, interrogent le modèle matrifocal antillais ainsi que le mythe de la femme potomitan. L'hypothèse souvent avancée pour expliquer la matrifocalité est que « l'esclavage et son code noir auraient formaté des familles dans lesquelles le père aurait été rendu accessoire, voire périphérique, du fait du rapport de domination et de propriété exercé par les maîtres sur les esclaves et leur progéniture [...]. Cette histoire a contribué à construire l'image d'hommes valorisés essentiellement pour leur puissance sexuelle et physique, mais écartés de toute autorité légale et donc castrés symboliquement, et de femmes virilisées dans leur robustesse et leur capacité de résistance, mais violentées moralement et physiquement »6(*). Ce mythe de la femme potomitan - longtemps icône de résistance face à différents types de domination - est aujourd'hui critiqué parmi les plus jeunes générations qui dénoncent l'inégalité sexuelle de la répartition des charges domestiques et professionnelles qui y est associée. Il demeure toutefois important pour comprendre le rôle central des mères, qui demeure prépondérant dans les familles afro-descendantes, surtout les plus défavorisées.

Cependant, si la mère joue traditionnellement un rôle premier dans l'éducation des enfants, avec de rares interventions du père, elle est soutenue à la fois par sa famille et par les institutions communautaires - en particulier les écoles coraniques à Mayotte.

b) Une solidarité intergénérationnelle donnant une place importante à la famille élargie

Dans la plupart des sociétés ultramarines, la parentalité est traditionnellement du ressort tant des parents que des grands-parents, voire des oncles et tantes et du reste de la famille élargie. La solidarité intrafamiliale et intergénérationnelle joue un rôle crucial dans l'éducation des enfants, à un triple niveau : matériel, affectif et dans la transmission des valeurs et savoirs.

La cohabitation intergénérationnelle, sous un même toit ou dans des habitats proches, est traditionnelle aussi bien aux Antilles qu'en Guyane ou dans les îles du Pacifique. Les enfants côtoient ainsi quotidiennement les membres de la famille élargie, qui interviennent dans leur éducation. En Polynésie française, 40 % de la population - un taux stable depuis le début des années 2000 - vit dans un ménage dit « complexe », avec plusieurs noyaux familiaux issus de différentes générations.

Les grands-parents occupent une place toute particulière dans l'éducation des enfants, accompagnant les parents dans leur rôle éducatif, voire se substituant à eux. Cette importance du rôle des grands-parents se retrouve à Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire où la structure familiale est pourtant la plus proche de celle de l'Hexagone. Elle est surtout prépondérante aux Antilles, en Guyane et dans les îles du Pacifique. À Mayotte, le fils aîné est traditionnellement envoyé chez ses grands-parents pour bénéficier du même modèle éducatif que ses parents et jouer ensuite un véritable rôle de « grand frère » donnant l'exemple à ses frères et soeurs. Dans les îles du Pacifique, les grands-parents jouent un rôle particulier dans la transmission de la tradition, de la culture et du droit coutumier.

Au-delà des grands-parents, d'autres membres de la famille interviennent également dans l'éducation des enfants.

À Mayotte, traditionnellement, l'enfant est éduqué dans un espace large. Certaines particularités de dénomination des membres de la famille témoignent des liens étroits au sein de la famille élargie. Ainsi, le cousin a le même nom que le frère, la cousine que la soeur. Les oncles et tantes, ainsi que leurs conjoints, ont des titres particuliers. L'oncle maternel joue un rôle éducatif primordial et représente la mère de l'enfant lors de grandes occasions : circoncision des garçons, cérémonie à la puberté pour les filles, mariage, divorce, etc.

Ce rôle des cérémonies est également crucial dans les îles du Pacifique. Elles marquent la vie des familles, de la naissance au deuil, et réaffirment l'existence de liens particuliers entre les individus, les groupes, les familles et les clans.

Si la solidarité familiale se manifeste au quotidien, elle se révèle particulièrement précieuse lorsque des membres de la famille rencontrent des difficultés ou doivent se déplacer pour poursuivre des études ou chercher un emploi. En Polynésie française, les solidarités familiales sont ainsi activées lorsque des jeunes de la famille doivent étudier ou chercher un emploi autour de Tahiti.

La solidarité familiale est également un ressort activé par les services de protection de l'enfance dans les outre-mer. Ainsi, lorsqu'un enfant doit être extrait du domicile de ses parents, le recours au placement de l'enfant chez des tiers de confiance, souvent des membres de la famille élargie, est bien plus fréquent que dans l'Hexagone. Cette solution a ainsi été vantée par les représentants de la Collectivité de Saint-Martin rencontrés par les rapporteurs. Plus globalement le rôle des figures d'attachement autres que les parents est une richesse des familles des outre-mer dont la prise en compte ne pourrait que bénéficier à la définition des politiques de soutien à la parentalité outre-mer.

Dans les îles du Pacifique, certains membres de la famille élargie peuvent en outre être amenés à prendre le relais sur les parents biologiques, par le biais des pratiques de confiage d'enfant ou d'adoption coutumière, qui peuvent également concerner des individus en dehors de la famille biologique élargie.

c) Des pratiques d'adoption coutumière fréquentes dans les îles du Pacifique

Comme dans de nombreuses sociétés océaniennes, les pratiques d'adoption coutumière sont largement répandues dans les sociétés kanak et polynésienne. Elles consistent à confier, de façon temporaire ou définitive, un enfant à une parenté proche ou à une parenté élargie par alliance, et bénéficient d'une forte légitimité sociale.

Ces pratiques ont lieu par le biais du droit coutumier. Elles débouchent sur une parenté additive qui ne donne pas lieu à un secret adoptif et peut se rapprocher de l'adoption simple en droit civil français, bien qu'elle ne transite généralement pas par une reconnaissance en droit civil. Les contacts entre les deux familles et avec l'enfant sont maintenus.

En Nouvelle-Calédonie, deux pratiques sont répandues : soit l'enfant est confié temporairement - on parle de fosterage - et est élevé ailleurs jusque vers ses 12 ans, mais sans changement dans les généalogies, soit l'enfant est donné, avec changement d'identité et de lignage.

En Polynésie française, la pratique de transfert d'enfants est désignée sous le terme « fa'a'amu », construit à partir de « fa'a » qui signifie faire et de « 'amu » qui signifie nourrir. Il s'agit de confier l'enfant à des parents nourriciers, généralement de façon définitive, mais parfois également de façon temporaire.

Six motifs principaux peuvent expliquer ces pratiques de confiage ou d'adoption d'enfant :

- donner un enfant à des parents qui ne peuvent en avoir ;

- confier un enfant à ses grands-parents ou à des aînés qui souhaitent le soutien d'un plus jeune membre de la famille ;

- rétablir l'équilibre des sexes dans une fratrie ;

- donner ou confier un enfant à une famille qui subviendra à ses besoins, alors que les parents biologiques n'en ont pas les moyens financiers ;

- permettre à un enfant de trouver une place et le protéger, notamment dans des situations de séparation ;

- renforcer des liens entre des parties, rappeler des alliances passées, régler une dette ou remercier pour un service rendu.

Les circulations d'enfants demeurent un phénomène important tant en Nouvelle-Calédonie qu'en Polynésie française.

Selon les travaux de l'anthropologue Isabelle Leblic, un quart des enfants kanak a fait l'objet d'un transfert d'enfant, dont la moitié au sein de la même famille.

Deux études conjointes de l'Ined et de l'Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF), publiées en 20187(*) et 20228(*), confirment la permanence de la pratique du fa'a'amu en Polynésie française :

- 16 % des adultes âgés de 40 à 59 ans sont des enfants fa'a'amu, qui pour 90 % d'entre eux ont été confiés au sein de la famille, en majorité aux grands-parents ;

- plus de 11 % des femmes de plus de 35 ans ont confié leur enfant à une autre famille - un chiffre stable au fil des générations ;

- 29 % des femmes n'ayant eu aucun enfant biologique accueillent au moins un enfant fa'a'amu ;

- plus de 20 % des femmes de plus de 55 ans reçoivent à leur domicile des enfants fa'a'amu, en général leurs petits-enfants.

Ces études montrent en outre peu de différence dans les relations des personnes enquêtées à leurs enfants fa'a'amu et non-fa'a'amu, avec le même niveau de proximité affective et de solidarité économique.

2. Des familles aujourd'hui plus diverses

Les structures familiales ultramarines évoluent sous l'effet de la progression du mode de vie occidental contemporain, de la transition démographique et de migrations internes comme externes. En outre, les situations sont souvent très contrastées d'un territoire à l'autre et au sein même des territoires, en particulier entre les zones urbaines denses et les zones rurales, entre le littoral et l'intérieur des terres.

a) Une transition démographique accélérée aux Antilles et dans les îles du Pacifique

La natalité a fortement baissé aux Antilles, et ce en l'espace d'une génération, faisant perdre à la famille nombreuse son statut de modèle de référence. En Martinique comme en Guadeloupe, le nombre annuel de naissances est passé de plus de 10 000 dans les années 1960 à environ 4 000 aujourd'hui et, dans le même temps, le nombre moyen d'enfants par femme est passé de 6 à 1,8. Parmi les femmes nées dans ces deux territoires entre 1930 et 1939, plus de la moitié a eu au moins trois enfants, souvent six, tandis que leurs filles, nées entre 1960 et 1969 ont réduit leurs maternités de moitié.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette baisse de la natalité : transition économique, allongement de la durée des études, recul de l'âge de la première maternité, progression du salariat, baisse du désir d'enfants, recours à la contraception et à l'IVG...

La chute de la natalité couplée à un phénomène d'émigration vers l'Hexagone des jeunes générations d'âge actif conduit à une décroissance rapide et à un vieillissement des populations antillaises. Aux Antilles, il existe aujourd'hui un creux démographique entre 20 et 50 ans. Ce creux est genré : il reste davantage de femmes que d'hommes. En Martinique, entre 25 et 30 ans, on compte quatorze femmes pour dix hommes.

De même, les îles du Pacifique connaissent une transition démographique, particulièrement rapide s'agissant de Wallis-et-Futuna. Cette transition démographique existe également, mais de façon plus atténuée, à La Réunion.

Nombre annuel de naissances

Source : Insee

Nombre moyen d'enfants par femme

selon le territoire et le niveau d'études

Source : Ined-Insee, Enquête Migrations, Famille et Vieillissement dite MFV 2 (2020-2021)

Mayotte et la Guyane sont dans une situation inverse avec une forte natalité et une immigration importante : la population croît et se recompose.

b) Des populations très jeunes et en augmentation en Guyane et à Mayotte

Mayotte et la Guyane sont les deux régions françaises où la croissance démographique est la plus forte : la population s'est accrue en moyenne de 3,8 % par an à Mayotte entre 2012 et 2017 et de 2,1 % par an en Guyane entre 2014 et 2020.

En Guyane, cette croissance démographique est quasi exclusivement portée par le solde naturel. Le taux de fécondité est élevé (3,5 enfants par femme contre 1,9 au niveau national) et la moitié de la population a moins de 25 ans. Un quart des familles comporte au moins trois enfants, contre 9 % dans l'Hexagone.

La croissance démographique de Mayotte est quant à elle portée à la fois par une fécondité élevée et par une pression migratoire importante. 10 000 enfants naissent chaque année à Mayotte. La fécondité est près de deux fois plus élevée pour les femmes nées à l'étranger (6 enfants par femme en 2017) que pour celles nées à Mayotte (3,5). La moitié des familles de Mayotte compte au moins trois enfants mineurs. Par ailleurs, la population de Mayotte augmente en moyenne de 1 100 personnes par an, du fait des migrations. Il y a davantage d'arrivées que de départs chez les enfants de moins de 15 ans et les adultes de 25 à 34 ans (majoritairement des femmes). Au total, Mayotte est le plus jeune des départements français : la moitié de la population a moins de 18 ans, les deux tiers moins de 26 ans.

c) Des migrations et un multiculturalisme qui diversifient les modèles familiaux et normes éducationnelles

Les flux aller-et-retour entre les outre-mer et l'Hexagone sont nombreux, à la fois du fait d'habitants de l'Hexagone qui viennent y vivre, temporairement ou non, et d'habitants des territoires qui partent étudier et travailler hors de leur territoire de naissance puis y reviennent.

Ainsi en Guadeloupe et en Martinique, selon la dernière enquête MFV, les natifs sédentaires n'ayant jamais quitté leur île ne représentent que 12 % de la population et un tiers des natifs a fait l'expérience d'au moins un séjour de plus de six mois hors de l'île, à 80 % dans l'Hexagone. Par ailleurs, 11 à 12% des habitants de Guadeloupe et de la Martinique sont nés dans l'Hexagone.

À Saint-Martin, en 2012, seuls 31 % des habitants sont natifs de Saint-Martin, 18 % sont nés dans un DOM (ou COM), 16 % en France hexagonale et 3 % sont nés Français à l'étranger.

Quant à Saint-Pierre-et-Miquelon, plus de la moitié des habitants est originaire de l'Hexagone.

Conjugués à la mondialisation des pratiques culturelles et à l'influence des institutions publiques françaises, ces flux conduisent à une diffusion du mode de vie occidental contemporain et du modèle familial nucléaire.

Les parents peuvent se retrouver tiraillés entre des modèles et normes différents. Ambouharia Abdou, administratrice de l'Union départementale des associations familiales (Udaf) de Mayotte, a témoigné de ce phénomène lors de son audition : « à Mayotte les parents jonglent entre le système éducatif traditionnel basé sur les coutumes religieuses et locales et le système métropolitain basé sur la laïcité. »

L'immigration de populations étrangères et le métissage développent également un multiculturalisme qui diversifie les modèles familiaux et soulève de nouveaux défis dans les choix de modèles éducatifs. La proportion de parents d'origine étrangère est particulièrement élevée en Guyane et à Mayotte, mais aussi à Saint-Martin.

Proportion de la population d'origine étrangère

En moyenne en France

Guadeloupe

et Martinique

La Réunion

Guyane

Mayotte

Saint-Martin

           

Sources : Insee et MFV 2

Si les immigrés représentent une faible proportion de la population en Guadeloupe et en Martinique et viennent essentiellement d'Haïti et de la Dominique, Saint-Martin se distingue par sa population cosmopolite, dont un tiers est immigré, en provenance de tout l'espace caribéen. Près d'une centaine de nationalités serait représentée sur l'île selon Jeanine Arnell, directrice de l'Observatoire territorial de la protection de l'enfance et référente « violences intrafamiliales » de la Collectivité de Saint-Martin, qui a mis en exergue les différences afférentes dans les normes éducationnelles et pratiques de soin, en s'appuyant notamment sur les travaux du sociologue Gilles Séraphin.

La Guyane regroupe quant à elle des populations très diverses : Amérindiens (qui regroupent six groupes culturels de trois racines linguistiques différentes), Bushinenge (Aluku, Ddjuku, Saamaka et Paamaka), Créoles aux différentes origines (Guyanais, Martiniaquais, Guadeloupéens, Haïtiens...), Hmongs, Chinois, Brésiliens, Surinamais, Dominicains, métropolitains... La très forte mixité des unions contribue à la forte recomposition de la population et à de nouvelles configurations familiales. Ainsi, les unions entre deux natifs du territoire sont extrêmement minoritaires (17 %).

Répartition de la composition des couples selon l'origine des conjoints

Source : MFV

Comme précédemment évoqué, Mayotte fait face à des flux migratoires particulièrement importants, en provenance des Comores à 95 %. Les femmes de 15 à 34 ans représentent plus du tiers des immigrés à Mayotte. Elles sont souvent enceintes ou élèvent des enfants en bas âge.

Les naissances avec au moins un parent étranger - le plus souvent la mère d'origine comorienne - augmentent nettement. Les mères comoriennes représentent la grande majorité des 10 000 naissances enregistrées à Mayotte. Aujourd'hui un couple sur deux est mixte, avec l'un des conjoints qui n'est pas né sur le territoire mahorais.

En Polynésie française, si la question de l'appartenance ethnique ne figure plus au questionnaire du recensement depuis la fin des années 1990, les derniers chiffres disponibles faisaient état d'une population composée, sur le plan ethnique, à 78 % de Polynésiens (mâ'ohi), à 12 % de Chinois (tinito) et à 10 % d'Européens (popa'a).

Par ailleurs, sous l'effet des migrations et de l'accès à des logements individuels, les familles sont plus éclatées que par le passé et les parents - les mères en particulier - ne bénéficient plus des soutiens familiaux traditionnels. Si des individus manifestent leur souhait de bénéficier d'une plus grande autonomie, ils se retrouvent également plus isolés qu'auparavant.

3. De nombreuses familles dans des situations difficiles
a) Une précarité et des vulnérabilités qui complexifient l'exercice des fonctions parentales
(1) Des conditions de vie difficiles et une forte dépendance aux prestations sociales

Le niveau de vie des habitants des outre-mer est globalement inférieur à celui de la population hexagonale, le taux de chômage plus élevé, les inégalités de niveaux de vie plus prononcées, en particulier entre littoral et intérieur des terres ou des îles, et la pauvreté monétaire, matérielle et sociale plus répandue. À cela s'ajoutent des prix majoritairement plus élevés que dans l'Hexagone et un octroi de mer, s'appliquant notamment sur les produits de première nécessité des enfants en bas âge, qui pèsent encore davantage sur le budget des familles.

Taux de pauvreté

par rapport au seuil national fixé à 60 % du niveau de vie médian (régions)

ou au seuil local fixé à 50 % du niveau de vie médian (COM)

Moyenne nationale (8,2 %)

au seuil de 50%

Moyenne nationale (14,9 %)

au seuil de 60%

Sources (chiffres 2019) :

- pour les DROM : Insee, Fichier localisé social et fiscal (Filosofi), enquête Budget de famille 2017 ;

- pour les COM : ISEE, ISPF, STSEE.

La grande pauvreté, caractérisée par un niveau de vie inférieur à 50 % du niveau de vie médian et par des privations matérielles et sociales sévères, est également bien plus fréquente et beaucoup plus intense dans les DROM selon une étude de l'Insee publiée en 20229(*).

Répartition de la population selon les situations de pauvreté

Les statistiques sont plus complexes à obtenir pour les plus petites collectivités de l'Atlantique. Cependant, la faiblesse du PIB par habitant (environ la moitié du niveau de l'Hexagone), le fort taux de chômage (33 % contre 9 % à Sint Maarten10(*)) et le nombre d'allocataires du RSA et des prestations de la CAF (dont dépendent respectivement 21 et 60 % de la population) témoignent des difficultés socio-économiques affectant la population de Saint-Martin.

PIB par habitant dans les COM de l'Atlantique (2014)

France entière

Saint-Pierre-et-Miquelon (2015)

Saint-Barthélemy

Saint-Martin

32 477 €

39 778 €

38 994 €

16 572 €

Source : IEDOM

Du fait de la faiblesse de leurs revenus, une grande part des familles des outre-mer dépend des prestations sociales. 55 à 77 % de la population perçoit au moins une prestation sociale dans les quatre DROM historiques, contre 49 % dans l'Hexagone. Dans ces quatre départements, les prestations sociales non contributives représentent plus de la moitié du revenu disponible des 20 % des ménages les plus modestes et la seule source de revenus d'un tiers des allocataires de la CAF (contre 17 % dans l'Hexagone). Ces chiffres atteignent respectivement 70 % et 44 % en Guyane. Ils sont particulièrement révélateurs des difficultés sociales des populations de ces territoires.

Couverture de la population par les prestations versées par les CAF

 

Nombre de foyers allocataires

Population couverte

Montant total de prestations*

Taux de couverture

Guadeloupe

121 451

253 736

1 076 M€

67%

Martinique

104 768

207 484

856 M€

59%

Guyane

57 986

169 428

722 M€

57%

La Réunion

286 597

665 519

2 733 M€

77%

Mayotte

22 890

87 834

176 M€

29%

Total DROM

593 692

1 384 001

5 562 M€

63%

*montant annuel calculé par extrapolation à partir des données de juin 2022

Source : Cnaf

La faiblesse des revenus et la plus grande prévalence de la pauvreté dans les outre-mer s'accompagnent de difficultés d'accès à un logement propre à accueillir dans de bonnes conditions une famille avec enfants. Un précédent rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer11(*) avait permis de dénoncer l'existence de 110 000 logements indignes dans les DROM, soit 13 % du parc immobilier. La problématique de l'habitat informel et/ou indigne est particulièrement prégnante en Guyane et à Mayotte.

La pauvreté a également des implications dans le domaine de la santé, de l'alimentation, de l'accès aux loisirs, etc. Ainsi, selon une étude de l'Insee12(*), la mortalité infantile est deux à trois plus élevée dans les DROM que dans l'Hexagone et la prise en charge de la santé tant physique que mentale des enfants est particulièrement dégradée.

Les rapporteurs partagent cette certitude que l'on peut être de bons parents dans tout contexte social.

Pour autant, l'exercice des fonctions parentales est plus complexe dans les situations de précarité financière et matérielle, lorsque les parents jonglent entre plusieurs petits boulots et que leurs principales préoccupations portent sur le fait de nourrir leur famille, de lui donner un toit et de payer les factures du quotidien.

En outre, la primauté des préoccupations matérielles peut conduire à des carences éducatives, qui s'accompagnent d'un absentéisme voire de décrochage scolaires et d'un développement de la délinquance chez des jeunes qui sont plus ou moins livrés à eux-mêmes. Ces phénomènes ressortent des témoignages recueillis par les rapporteurs lors de leur déplacement en Guadeloupe et à Saint-Martin.

Les rapporteurs en sont donc convaincus : il est indispensable d'accompagner les parents face à leurs vulnérabilités, notamment économiques, afin de pouvoir mieux les accompagner dans l'exercice de leurs fonctions parentales.

(2) Une maîtrise inégale du français et des outils numériques

Les vulnérabilités économiques et sociales sont exacerbées pour les personnes - étrangères ou non - qui ne maîtrisent pas correctement le français et/ou sont en situation d'illettrisme et d'illectronisme. La barrière de la langue et le manque de maîtrise des outils numériques constituent des obstacles à l'accès aux droits et aux services publics. Ils empêchent également les parents d'accompagner correctement leur enfant dans sa scolarité.

Taux d'illettrisme

parmi la population âgée de 16 à 65 ans ayant été scolarisée en France

Source : Insee, Enquête Information et vie quotidienne (IVQ)

Si l'enquête Information et vie quotidienne fait apparaître des taux d'illettrisme en outre-mer deux à cinq fois supérieurs à l'Hexagone, ces données sont cependant sous-estimées car elles ne concernent que la population ayant été scolarisée en France.

Or pour ne prendre que l'exemple de Mayotte, selon une étude de l'Insee13(*), les personnes scolarisées à Mayotte ou en France métropolitaine représentent seulement 48 % de la population mahoraise. Au total, 58 % des habitants de Mayotte en âge de travailler ne maîtrisent pas les compétences de base à l'écrit en langue française.

En outre, dans de nombreux départements et territoires d'outre-mer, le français n'est pas la langue maternelle d'une part significative de la population. Le français n'est ainsi la langue maternelle que d'un Mahorais sur dix.

De nombreux habitants parlent créole au quotidien, au travail, en famille ou entre amis. Une récente étude de l'Insee14(*) met en lumière la grande diversité linguistique de la Guyane : un Guyanais sur cinq parle le créole guyanais dans la vie quotidienne, et un Guyanais sur dix le créole haïtien ou le portugais.

La situation de Saint-Martin est particulière : l'anglais y est la langue la plus parlée. Selon les représentants du vice-rectorat rencontrés par les rapporteurs, les trois quarts des habitants sont allophones et la majorité des enfants ne parlent pas le français hors des salles de classe mais plus souvent un anglais créole. Partant, les échanges des parents avec l'institution scolaire et l'accompagnement des enfants dans leur scolarité peuvent être complexes. D'autant que de nombreux enseignants arrivant à Saint-Martin - 17 % des enseignants sont des nouveaux arrivants - ne sont pas habitués au bilinguisme.

Par ailleurs, le manque d'accès à Internet et le manque de maîtrise des outils numériques accroît la vulnérabilité sociale de populations déjà fragiles. Un quart de la population des DROM est en situation d'illectronisme ou illettrisme numérique.

Équipement, usage d'Internet et capacité numérique

* Dans l'un des quatre domaines de compétences : recherche d'information, communication, usage de logiciel ou résolution de problème.

** Si la personne obtient 0 dans chacun des quatre domaines de compétences.

Source : Insee, 201915(*)

(3) Des parents démunis ou défaillants face à un absentéisme scolaire fréquent et à une montée des comportements à risques

L'absentéisme et le décrochage scolaires sont deux fois plus élevés dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone.

En 2022, un à deux tiers des jeunes de 18 ans des DROM participant à la Journée défense et citoyenneté (JDC)16(*) rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture (26,4 % à La Réunion, 28,9 % en Martinique, 30,4 % en Guadeloupe, 51,8 % en Guyane et 55,7 % à Mayotte) contre 11 % sur l'ensemble de la France. La proportion est certainement plus élevée car ces résultats ne concernent que des jeunes de nationalité française.

Selon des travaux de Claude-Valentin Marie17(*), 25 % des jeunes de La Réunion, 39 % de ceux de Guyane et 56 % de ceux de Mayotte achèvent leur scolarité sans obtenir aucun diplôme, contre 19 % dans l'Hexagone et 14 à 17 % aux Antilles. En Guyane, 9 % des élèves quittent l'école avant la classe de 3e.

Les interlocuteurs de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Martin rencontrés par les rapporteurs au cours de leur déplacement aux Antilles ont tous mis l'accent sur la problématique de l'absentéisme scolaire. Les bons taux de réussite au baccalauréat aux Antilles dissimulent un fort taux de décrochage scolaire : les élèves les plus en difficulté délaissent le cursus scolaire avant la fin du lycée.

Selon Sonia Borotra, directrice du pôle développement solidaire de la Collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, si les données sur l'absentéisme et le décrochage manquent, l'absentéisme scolaire est également important sur l'île, alors même que la plateforme de lutte contre le décrochage n'y est actuellement pas effective.

À ces phénomènes de décrochage scolaire, s'ajoute une montée de la délinquance et de comportements à risque.

Selon Christine Gangloff-Ziegler, rectrice de l'Académie de la Guadeloupe, les parents rencontrent de plus en plus de difficultés dans l'éducation de leur enfant, avec des changements de comportement et un désinvestissement scolaire qui s'est accentué depuis les périodes de fermetures d'établissements scolaires qu'a connues la Guadeloupe, avec les mouvements sociaux de 2019, le Covid, puis les barrages en 2021.

Vincent Berton, préfet de Saint-Martin, a lui aussi mis l'accent sur le fort taux d'absentéisme scolaire et sur la montée de la délinquance, qui serait 2,5 fois plus élevée que la moyenne nationale, avec en particulier des problèmes de drogue et de trafic d'armes, déplorant un manque de relais dans la sphère familiale sur ces différents sujets.

La lutte contre l'absentéisme scolaire, la délinquance et les comportements à risque exige en effet un meilleur accompagnement des familles, le plus en amont possible, afin d'éviter que des situations ne dégénèrent.

(4) Une situation particulièrement dramatique à Mayotte

La situation est notoirement dramatique à Mayotte, le plus pauvre des départements français. Des difficultés au niveau économique et social et au niveau des infrastructures et services publics (hôpitaux, écoles, transports, électricité, eau et assainissement, établissements de loisirs...) se cumulent.

77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national.

En outre, la moitié des habitants est de nationalité étrangère et vit dans des conditions particulièrement précaires, sans être éligible aux prestations sociales. Seuls 29 % des habitants sont couverts par la CAF de Mayotte.

Les conditions de logement sont problématiques. 29 % des logements ne disposent d'aucun point d'eau, 54 % uniquement de l'eau froide, 55 % n'ont pas de WC intérieurs. Les habitats de fortune, construits pour l'essentiel en tôle, représentent 39 % des logements.

Un rapport de six inspections générales18(*) évoque la situation de milliers d'enfants mineurs, vivant pour certains sans leurs parents, en risque de désocialisation et en situation de précarité sanitaire et alimentaire. Les analyses de la mission convergent vers un nombre d'environ 6 600 mineurs en risque majeur de désocialisation, faute de prise en charge familiale et institutionnelle.

Ainsi, comme l'a mis en avant Claude-Valentin Marie lors de son audition, les conditions de vie et de prise en charge des enfants sont très différentes à Mayotte de celles qui existent à la Martinique et en Guadeloupe.

b) De nombreuses mères seules cumulant les facteurs de vulnérabilité
(1) Une forte prévalence de familles monoparentales

Les enquêtes Migrations, famille et vieillissement (MFV 119(*) et 220(*)) de l'Institut national des études démographiques (Ined) soulignent la plus forte prévalence et l'augmentation du nombre de familles monoparentales dans les outre-mer et singulièrement aux Antilles, en particulier dans les milieux défavorisés.

Cette monoparentalité est sans doute en partie surestimée, des femmes déclarant élever seules leurs enfants afin de bénéficier des allocations familiales, alors même que des pères participent aux charges de la famille. Elle n'en demeure pas moins un fait social marquant et une caractéristique majeure de la vie familiale dans ces territoires.

Les familles monoparentales sont même devenues majoritaires parmi les familles avec enfant. Ainsi en Martinique, elles représentaient 27 % des ménages avec enfant en 1990 et en représentent 59 % en 2018.

Proportion de familles monoparentales parmi les familles avec enfant

 
 
 
 
 

en Martinique

en Guadeloupe

en Guyane

à La Réunion

dans l'Hexagone

 
 

vit dans une famille monoparentale aux Antilles et en Guyane

dans l'Hexagone

Source : Insee

Comme dans l'Hexagone, les familles monoparentales sont essentiellement composées de femmes avec leurs enfants.

Aux Antilles et en Guyane, la monoparentalité, outre sa plus forte prévalence, se différencie dans ses modalités de celle de l'Hexagone. Elle correspond non pas à la rupture d'une vie de couple, comme dans l'Hexagone, mais à une entrée directe en monoparentalité, de la naissance à l'adolescence de l'enfant.

Proportion d'enfants dont les parents ne vivaient pas ensemble
lors de leur naissance

 
 
 

en Guadeloupe

en Martinique

dans l'Hexagone

Source : Enquête MFV 1 et enquête périnatale 2021 dans les DROM21(*)

Les travaux de Nadine Lefaucheur en Martinique montrent que :

- 43 % des jeunes nés entre 1995 et 2003 sont nés au sein d'une famille monoparentale non-cohabitante (contre 5 % dans l'Hexagone), 30 % le sont restés au moins jusqu'à leurs 10 ans (2 % dans l'Hexagone) ;

- 50 % des femmes enceintes ne cohabitent pas avec le père de l'enfant et 35 % ne sont pas en couple, soit des proportions cinq à six fois plus élevées que dans l'Hexagone.

De façon générale, l'institutionnalisation des unions est plus faible dans les outre-mer et singulièrement aux Antilles.

(2) Une monoparentalité qui rime souvent avec précarité

Si la monoparentalité est un fait social et n'est pas problématique par nature, elle le devient lorsqu'elle est associée à de plus importants facteurs de vulnérabilité. Or souvent monoparentalité rime avec précarité. En effet, les mères seules cumulent les difficultés d'accès à l'emploi, à la formation, au logement et aux structures d'accueil. Elles sont plus souvent sans emploi, ouvrières, en CDD ou en emploi aidé que les autres parents et leur revenu est inférieur à la moyenne. Lorsqu'elles exercent une activité, elles sont confrontées à des difficultés de conciliation des temps de vie, qui complexifient l'exercice de leurs fonctions parentales.

En Guadeloupe, 17 % des Guadeloupéens vivant dans une famille monoparentale sont en situation de grande pauvreté, contre 4 % de ceux vivant en couple avec enfant.

Selon le panorama de l'Insee sur la situation des femmes à Mayotte, publié en 202222(*), à Mayotte, un quart des femmes de 20 à 54 ans sont des mères isolées, dont 90 % vivent dans une grande pauvreté.

Selon des données de la Cnaf, les foyers monoparentaux bénéficiaires de l'allocation de soutien familial - destinée aux personnes qui élèvent un enfant seules, sans que l'autre parent soit en mesure de verser une pension alimentaire ou avec une pension alimentaire faible (inférieure à 187,24 €) représentent 15 % des allocataires des CAF d'outre-mer, contre 6 % dans l'Hexagone.

Pour une jeune femme, commencer la vie parentale en couple ou bien en mère seule est aujourd'hui fortement lié à la présence ou à l'absence de capital scolaire certifié par un diplôme. D'après les travaux de la sociologue Nadine Lefaucheur en Martinique, la moitié des jeunes femmes sans diplôme ont un enfant dans l'année qui suit leur sortie du système scolaire, la maternité étant pour elle « un choix de carrière obligé ».

En outre, les jeunes femmes issues de familles monoparentales sont elles-mêmes plus susceptibles d'être pauvres et d'être à la tête d'une famille monoparentale, avec parfois une reproduction de ce schéma de génération en génération, et donc une reproduction et une aggravation des inégalités sociales. Selon une enquête de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, un tiers des mères à la tête de familles monoparentales sont elles-mêmes issues de familles monoparentales.

Il convient néanmoins de relever que bien souvent les mères seules bénéficient du soutien de la famille élargie. Ainsi, d'après une enquête réalisée par l'Observatoire de la parentalité de La Réunion auprès de familles monoparentales, la majorité des mères seules bénéficie d'une solidarité familiale et 43 % ont recours à leur mère ou leurs soeurs pour la garde de leurs enfants.

Tel n'est en revanche pas le cas des jeunes femmes immigrées - haïtiennes aux Antilles ou comoriennes à Mayotte - qui quittent leur famille et deviennent des mères isolées dans des situations particulièrement vulnérables.

c) Des pères absents et qui souvent ne reconnaissent pas leurs enfants aux Antilles et en Guyane

Comme évoqué, les modalités de la monoparentalité sont singulières aux Antilles et en Guyane : le père est fréquemment absent du domicile de la mère dès la naissance de l'enfant et non à la suite d'une rupture conjugale.

(1) Une majorité des naissances non reconnues aux Antilles et en Guyane

Dans la majorité des cas, les enfants ne sont pas reconnus par leur père à leur naissance : c'est le cas pour les deux tiers des naissances aux Antilles en en Guyane, contre 10 % dans l'Hexagone. En Guadeloupe, 85 % des mineurs suivis par les juges des enfants ne sont pas reconnus par leur père, selon la coordinatrice du tribunal pour enfants de Basse-Terre rencontrée par les rapporteurs lors de leur déplacement.

Cette pratique existe dans une moindre mesure à La Réunion où 26 % des naissances ne sont pas reconnues par le père.

Part des naissances non reconnues par le père

Guyane

Guadeloupe

Martinique

La Réunion

Hexagone

 
 
 
 
 

Source : Insee

Les pères comme les mères semblent accorder peu d'intérêt à la reconnaissance juridique de la paternité, alors même que le père est souvent bien identifié. Cette absence de déclaration peut s'inscrire dans une stratégie de survie économique, l'objectif étant d'obtenir des allocations familiales. Elle est ainsi fortement corrélée au niveau socio-économique des parents.

Les travaux de la sociologue Nadine Lefaucheur mettent en avant deux grandes explications avancées par les pères. Premièrement, le poids de l'héritage aux Antilles du Code noir, du mythe de l'esclave étalon et de l'impossibilité pour lui d'assumer la paternité de ses enfants. Deuxièmement, le rôle des prestations familiales, faisant de la CAF « le père de l'enfant ». Alors que les départs de jeunes Martiniquais vers l'Hexagone sont nombreux, les jeunes hommes qui restent sur l'île sont en moyenne moins qualifiés et n'ont souvent pas les moyens de soutenir une famille. En outre, toujours selon les témoignages recueillis par Nadine Lefaucheur, la multiplicité de partenaires féminines possibles - du fait du déséquilibre des sexes - ne semble pas les pousser à s'engager dans la vie conjugale. Ce à quoi leurs parents ne les incitent guère.

Les mères elles-mêmes peuvent ne pas être favorables à une reconnaissance de paternité, par crainte que cela les prive du bénéfice des allocations familiales mais également que cela octroie des droits trop importants aux pères. En effet, deux croyances apparaissent particulièrement répandues dans les sociétés ultramarines : celle selon laquelle « donner son nom » à l'enfant attribue au père toute l'autorité parentale et celle selon laquelle la reconnaissance de l'enfant par son père le prive du bénéfice des allocations familiales. La position des pères, incités à ne pas reconnaître leur enfant, est fragilisée quand bien même ils souhaiteraient s'impliquer. Nadine Lefaucheur résume la situation avec cette formule « père empêché, mère obligée ».

Les magistrats rencontrés par les rapporteurs en Guadeloupe ont témoigné de cette réticence des mères à voir le père reconnaître l'enfant et obtenir ainsi des droits. Ils ont également précisé que lorsque des mesures éducatives doivent être mises en place, ils convoquent à la fois le père et la mère et donnent pour objectif au père la reconnaissance juridique de l'enfant, mais cette démarche n'est pas toujours souhaitée par les parents.

Thierry Malbert, professeur des universités en anthropologie de la parenté à l'université de La Réunion et directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, a témoigné lors de son audition des effets pervers que peut avoir la stratégie de non-reconnaissance paternelle sur l'implication des pères : lorsque le nom du père n'est pas inscrit afin que la mère affiche des faibles revenus et bénéficie d'allocations, le père est rendu invisible même s'il contribue au foyer. Par la suite, lorsque le couple se sépare, le père se retire et son absence est facilitée par son invisibilité initiale.

Les conséquences pour les enfants de la non-reconnaissance par leurs pères ne doivent pas être sous-estimées : manque de soutien matériel, carences affectives, sentiment de rejet, ressentiment au sein des fratries lorsque certains enfants sont reconnus, reproduction par la suite d'un modèle de père absent. Partant, les rapporteurs ne peuvent que déplorer le peu de cas qui semble actuellement être fait du manque de reconnaissance de paternité, alors même que la loi n'exige pas d'absence de reconnaissance de paternité pour bénéficier d'allocations familiales.

Certes, la reconnaissance de l'enfant a des conséquences sur le montant de certaines allocations si le père dispose de revenus. Cependant, l'allocation spécifique parent isolé n'existe plus. La mère élevant seule son enfant peut bénéficier de l'allocation de soutien familial (ASF) même lorsque le père a reconnu l'enfant, dès lors qu'il ne peut assurer son obligation d'entretien pour cause d'insolvabilité, de chômage ou de RSA.

Un autre phénomène lié à la reconnaissance des enfants doit être mentionné. Certains hommes sont sollicités pour reconnaître des enfants dont ils ne sont pas le père afin de permettre le déclenchement du droit du sol. C'est le cas de mères du Suriname qui viennent accoucher à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane ou encore de mères haïtiennes qui accouchent en Guadeloupe. Là encore le père biologique est généralement bien identifié par l'enfant, à qui il est demandé de mentir tout au long de son enfance à chaque fois qu'il doit remplir des documents officiels, créant des incompréhensions et frustrations.

(2) Une implication des pères variable

Au cours de l'enfance et de l'adolescence des enfants, la place des pères est variable, qu'ils aient ou non reconnu leurs enfants. Dans la majorité des cas, il semble qu'ils soient absents du domicile familial et participent de façon irrégulière aux charges matérielles et éducatives.

Les témoignages recueillis auprès des travailleurs sociaux du département de Guadeloupe montrent que si la mère se présente généralement seule au départ, au fil du travail avec la famille les services découvrent souvent l'existence d'un homme référent qui intervient dans l'éducation des enfants.

La fréquence du multi-partenariat masculin peut expliquer l'absence du père du domicile familial. Il est en effet deux à trois fois plus fréquent aux Antilles et en Guyane que dans l'Hexagone. Selon l'enquête KABP DFA23(*), 26 % des hommes y auraient eu plus d'une partenaire au cours des douze derniers mois. Il s'agit en majorité de relations simultanées, généralement l'une durable et l'autre ponctuelle.

D'après une enquête réalisée par l'Observatoire de la parentalité de La Réunion auprès de familles monoparentales, un enfant sur deux a peu ou pas de relation avec son père et dans 70 % des cas les mères seules ne peuvent compter ni sur une aide financière, matérielle ou morale de la part du père, ni même sur une aide pour les rendez-vous de l'enfant chez les professionnels de santé.

Très peu de familles ont recours à la justice pour organiser la garde de l'enfant. Dans la quasi-totalité des cas, l'enfant vit avec sa mère, qui assure les charges financières et éducatives, tandis que le père décide par lui-même du rythme des visites ou des sorties.

Les représentations des pères apparaissent très souvent négatives, quelle que soit la structure familiale considérée. Les travaux de Nadine Lefaucheur montrent qu'ils sont souvent dits absents, immatures, irresponsables, voire inutiles, sauf pour exercer une certaine sévérité ou correction, en particulier chez les adolescents.

Toutefois, il semblerait que parmi les nouvelles générations, les pères cherchent davantage à s'impliquer, surtout parmi les hommes plus qualifiés et de plus de quarante ans. Ainsi le recours au congé paternité s'accroît. Il s'élève, selon les territoires, entre 25 et 69 %, contre 71 % en moyenne en France. De même, les professionnels du CHU de Guadeloupe constatent un investissement plus important des pères auprès des enfants, y compris dans les soins des nourrissons, une pratique qui ne se voyait pas du tout par le passé.

Nadine Lefaucheur a ainsi témoigné, s'agissant des Antilles, d'une société clivée entre :

- ceux qui ont réussi et peuvent envisager une coparentalité ;

- ceux qui sont peu ou pas diplômés et qui ne peuvent envisager qu'une monoparentalité des mères et une absence des pères.

d) Des grossesses précoces fréquentes

La survenue de grossesses chez des jeunes, voire très jeunes femmes, est fréquente dans la plupart des territoires d'outre-mer. Elle se traduit par un double phénomène : un taux élevé de recours à l'IVG et un nombre élevé de maternités précoces.

(1) Un taux élevé de recours à l'IVG chez les jeunes

Le taux de recours à l'IVG est historiquement supérieur dans les DROM, en moyenne deux fois plus élevé que dans l'Hexagone aujourd'hui.

Taux de recours annuel à l'IVG en 2021

(pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans)

Hexagone

Mayotte

Réunion

Martinique

Guyane

Guadeloupe

14,9

18,5

22,5

31,2

41,2

47,2

Source : DREES

En Guadeloupe, le nombre d'IVG est presque égal au nombre de naissances : 3 461 IVG ont été réalisées en 2021, contre 4 344 naissances, selon des chiffres communiquées par l'ARS de Guadeloupe. Cela signifie que 44 % des grossesses ne sont pas souhaitées et sont interrompues. Ce phénomène est ancien : selon des représentants du CHU rencontrés par les rapporteurs, en 2000 le CHU réalisait autant d'IVG que d'accouchements.

Ce constat de recours à l'IVG plus élevé que la moyenne nationale s'applique également chez les mineures : le taux de recours à l'IVG chez les femmes de 15 à 17 ans est presque trois fois supérieur dans les DROM (12,2 IVG réalisées dans les DROM pour 1 000 femmes âgées de 15 à 17 ans contre 4,5 dans l'Hexagone). La Guyane a le taux le plus élevé (18,3 pour 1 000).

Ce phénomène peut s'expliquer par l'insuffisance de l'offre de soins, d'accompagnement et de prévention en matière de santé sexuelle et reproductive et par les difficultés d'accès à cette offre en raison d'un manque de connaissances, d'un enclavement géographique ou encore d'un risque de stigmatisation. Certaines jeunes filles et leurs mères refusent le recours à la contraception par méconnaissance des moyens de contraception existants, de leur utilisation et des risques qui y sont associés.

Selon des données de l'ARS de Guadeloupe, 23 % des femmes de l'île n'ont jamais utilisé de contraception. Selon la dernière enquête MFV24(*), entre 18 et 24 ans, 18 % des femmes n'en utilisent pas, soit une proportion près de trois fois supérieure à celle observée dans l'Hexagone.

La directrice générale adjointe de l'ARS a en outre témoigné des difficultés à aborder les questions de contraception au sein des établissements scolaires. Selon des professionnels de santé et la représentante du Planning familial rencontrés par les rapporteurs en Guadeloupe, il existe un fort rejet de la pilule, chez les jeunes filles et chez leurs mères, souvent présentes lors des consultations. La pilule est associée à la crainte de grossir mais également de développer un cancer. Carole Borel, représentante du Planning familial, estime ainsi que les jeunes femmes préfèrent avoir recours à la pilule abortive deux ou trois fois dans l'année que de prendre la pilule 365 jours par an.

De même, en Guyane, les méthodes contraceptives, notamment de longue durée, sont faiblement utilisées et perçues parfois de manière négative. Lors de l'enquête KABP ORSG/INPES 2011-2012, 43 % des Guyanais interrogés pensaient que « la pilule peut rendre stérile », 25 % pour le stérilet.

Dans le cadre de la Stratégie nationale santé sexuelle 2021-2024, diverses actions spécifiques à chaque territoire ultramarin visent à promouvoir et améliorer l'accès à la contraception et à développer la prévention des grossesses non désirées.

Les grossesses précoces sont également à relier à des pratiques sexuelles qui ne sont pas toujours souhaitées par les jeunes femmes. Ainsi, selon l'état des lieux de la santé sexuelle outre-mer dressé par le Planning familial, près d'un quart des femmes déclarent ne pas avoir vraiment souhaité leur premier rapport sexuel (24 % en Guyane, 23 % en Martinique et en Guadeloupe, 20 % à La Réunion) contre 15 % dans l'Hexagone.

(2) De nombreuses mères jeunes

La fréquence des maternités précoces, avant 20 ans, est plus élevée en outre-mer, tout particulièrement en Guyane et à Mayotte. Il est en revanche rare que les pères aient moins de 20 ans.

Proportion de naissances dont la mère a moins de vingt ans

Hexagone

Guyane

Mayotte

Réunion

Martinique

Guadeloupe

1,2%

10,2%

9,9%

5,7%

3,9%

3,1%

Proportion de naissances dont le père a moins de vingt ans

Hexagone

Guyane

Mayotte

Réunion

Martinique

Guadeloupe

0,3%

1,0%

1,5%

0,8%

0,1%

0,1%

Source : Insee, données 2018

Aux Antilles, si la part de jeunes mères demeure plus élevée que dans l'Hexagone, elle connaît néanmoins un net recul et le nombre de grossesses de mineures est faible, la majorité des grossesses précoces concernant des jeunes femmes majeures, entre 18 et 20 ans.

En Guyane, les maternités précoces se maintiennent à un niveau élevé depuis quarante ans, comme en témoignent les données du Réseau Périnat Guyane25(*). Les mères de moins de vingt ans représentent 10 % des naissances, sachant que 20 % de ces jeunes femmes ont déjà eu un ou plusieurs autres enfants. Quatre femmes sur dix ont leur premier enfant avant leur 18e anniversaire et une femme sur dix avant son 15e anniversaire, soit 40 fois plus de grossesses chez les moins de 15 ans que dans l'Hexagone. À la différence des autres départements, les grossesses précoces concernent autant, sinon plus, de jeunes immigrées, d'origine étrangère, que des natives du territoire.

À La Réunion, la part de femmes devenues mères avant 20 ans diminue (13 % des natives de l'île des générations 1990-1999 sont devenues mères avant 20 ans contre 21 % de celles des générations 1980-1989), mais elle demeure encore deux fois plus élevée qu'aux Antilles ou dans l'Hexagone, d'après l'enquête MFV-2.

Source : MFV 2

Les maternités précoces ont des explications multiples.

Elles peuvent être la conséquence d'un manque d'accompagnement en santé sexuelle et reproductive, d'une mauvaise maîtrise ou d'une absence de contraception et d'un défaut d'accès à l'IVG par la suite. Les représentants du CHU de Guadeloupe rencontrés par les rapporteurs ont ainsi témoigné du défaut d'éducation à la sexualité chez les jeunes et d'une venue trop tardive des jeunes femmes à l'hôpital, après le terme légal pour recourir à une IVG.

Elles s'expliquent aussi souvent par la précarité de jeunes femmes qui souhaitent accéder à un statut à la fois symbolique et matériel. Elle offre aux jeunes femmes une forme de reconnaissance et leur permet d'obtenir des aides et un logement et de s'émanciper de leur famille.

La maternité semble apporter « un statut de substitution » particulier aux jeunes filles en situation de décrochage scolaire. En effet, les jeunes mères se caractérisent souvent par un parcours scolaire plus court et l'arrivée de l'enfant coïncide - à un an près - avec la sortie du système scolaire.

Les grossesses précoces peuvent également être le résultat de carences affectives et être « des cris de détresse », comme l'a souligné lors de son audition Aline Talbot, référente grossesses adolescentes pour le réseau Périnat Est Guyane.

Les jeunes mères suivies par ce réseau vivent dans une forte précarité matérielle et psychologique. Parmi les 240 femmes accompagnées, la moitié est étrangère, 80 % sont déscolarisées et 35 % ont subi des violences. Selon des déclarations d'Aline Talbot lors de son audition, « ces adolescentes vivent pour la plupart dans des logements insalubres, sans eau ni électricité. Elles ne mangent pas à leur faim alors qu'elles sont enceintes. »

Les grossesses précoces sont diversement acceptées par les familles. Si les jeunes femmes peuvent être confrontées au rejet de leur famille et de leurs proches mais aussi de l'Éducation nationale, nombre d'entre elles semblent néanmoins être accompagnées par leur mère. Ainsi, selon Isabelle Hidair-Krivsy, en Guyane, lorsque les femmes deviennent mères très jeunes, les enfants sont pris en charge par les grands-mères, voire par les arrières grands-mères, l'écart d'âge étant réduit entre les générations. De même, en Polynésie française, les jeunes mères cohabitent souvent avec la famille élargie.

Les grossesses précoces peuvent présenter des risques médicaux et psychologiques. Le suivi de la grossesse est souvent limité et tardif. Ainsi, les visites prénatales sont encore insuffisamment déployées en Guyane comme à Mayotte, alors même que les jeunes femmes ont, plus encore que les autres, besoin d'être accompagnées et que l'accouchement prématuré constitue un risque chez les plus jeunes adolescentes. Lorsque cette grossesse n'est pas souhaitée, voire lorsqu'elle est le résultat de rapports sexuels non consentis, elle s'accompagne en outre d'une souffrance importante. Ainsi, Aline Talbot estime qu'en Guyane, plus de 10 % des jeunes mères ont été abusées sexuellement et que 5 % d'entre elles portent des enfants issus de viols.

Par ailleurs, la maternité précoce s'accompagne d'une déscolarisation et d'un défaut de formation et d'insertion professionnelle. L'enquête MFV précitée montre que parmi les jeunes mères ayant terminé leurs études, seule une minorité occupe un emploi (12 % en Guadeloupe, 21 % en Martinique, 22 % en Guyane et 12 % à La Réunion), soit deux à trois fois moins que les jeunes femmes sans enfant à l'âge de 20 ans. Ces jeunes mères subissent des conditions de vie plus précaires.

En Guyane, on constate des liens de causalité croisés entre difficultés scolaires et maternité à l'adolescence.26(*) Pour les élèves les plus socialement défavorisées et en difficulté scolaire, la grossesse peut être un choix de vie, qui contribue davantage à leur mise à l'écart du système scolaire après la naissance et représente un facteur de risque supplémentaire de décrochage scolaire définitif. Ainsi, la lutte contre le décrochage scolaire croise la question de la prévention et de l'accompagnement des grossesses précoces.

e) Des violences intrafamiliales importantes

Plusieurs enquêtes et rapports récents ont mis en lumière la plus forte prévalence et la gravité plus importante des violences intrafamiliales dans les territoires d'outre-mer. Les données de l'enquête démographique Violences et rapports de genre (dite « Virage »27(*)) réalisée par l'Ined en 2018 à La Réunion et aux Antilles, auprès de femmes et d'hommes âgés de 20 à 69 ans, ont permis une connaissance plus précise des circonstances de la survenue de ces violences et une amélioration des politiques publiques de prévention et de prise en charge des victimes.

(1) Des violences dites éducatives banalisées

Les violences dites « violences éducatives ordinaires », incluant la punition corporelle, restent encore bien souvent au coeur de l'éducation des familles, qui peuvent mal recevoir et se sentir stigmatisées par les discours des institutions prônant une éducation non violente. Tant les travailleurs sociaux que les magistrats rencontrés par les rapporteurs au cours de leur déplacement en Guadeloupe et à Saint-Martin ont mis en avant cette problématique.

Selon l'association Attitudes Médiations, rencontrée par les rapporteurs, une famille sur cinq serait concernée par des violences en Guadeloupe mais beaucoup de famille ne perçoivent pas comme de la violence ce qui est considéré comme tel ailleurs.

Partant, le Procureur général près la cour d'appel de Basse-Terre, estime que si les violences à visées éducatives sont fréquentes, les signalements sont rares et les juges pour enfants ne sont saisis que des situations de violences extrêmes ou lorsque les parents se montrent réticents à tout changement de pratiques. Il semble cependant que depuis quelques mois les services départementaux de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) procèdent à davantage de signalements auprès du Parquet, signe peut-être d'une plus grande volonté de prendre en charge ce phénomène.

(2) Des violences sur enfants et entre enfants préoccupantes

Selon l'enquête Virage, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, une femme sur quatre et un homme sur cinq a subi, avant 18 ans, au moins un fait de violence dans la famille et l'entourage proche.

Proportion de femmes et d'hommes ayant déclaré au moins un fait de violence subi avant l'âge de 18 ans dans la famille et l'entourage proche

 

La Réunion

Martinique

Guadeloupe

Hexagone

F

H

F

H

F

H

F

H

Violences psychologiques et verbales

21%

18%

18%

15%

19%

13%

14%

10%

Violences physiques

9%

6%

11%

11%

11%

9%

8%

7%

Violences sexuelles

7%

1%

9%

3%

9%

2%

5%

1%

Indicateur global (avoir subi au moins un de ces types de violences)

26%

20%

26%

21%

28%

18%

18%

13%

Source : Ined, Virage Outre-mer, 2018 et Virage France métropolitaine, 2015

Les parents - surtout les pères - sont les personnes les plus souvent citées comme auteurs de ces formes de violence au sein de la famille et de l'entourage proche.

Les violences peuvent également exister au sein des fratries, en particulier entre enfants de lits différents, comme l'a exposé aux rapporteurs le Colonel Jean-Pierre Rabasté, commandant en second de la gendarmerie de Guadeloupe et des Îles du Nord.

Des travaux de Loïs Bastide menés en Polynésie française montrent par ailleurs que si la pratique du fa'a'amu'a est en général très bien vécue par les familles comme par les enfants, les enfants fa'a'amu sont toutefois surreprésentés parmi les victimes comme parmi les auteurs de violences intrafamiliales.

(3) Des violences conjugales largement répandues

Selon l'enquête Virage, les femmes en couple en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion sont trois fois plus nombreuses à être en situation de violences conjugales que dans l'Hexagone.

Proportion de femmes ayant déclaré des faits de violence dans le couple
au cours des douze mois précédant l'enquête

 

La Réunion

Martinique

Guadeloupe

Hexagone

Insultes

7%

9%

8%

3%

Violences psychologiques

30%

34%

36%

11%

Violences physiques

3%

3%

4%

1%

Violences sexuelles

1%

2%

2%

0,3%

Indicateur global (avoir subi au moins un de ces types de violences)

15%

18%

19%

5%

Source : Ined, Virage Outre-mer, 2018 et Virage France métropolitaine, 2015

Le Colonel Jean-Pierre Rabasté, commandant en second de la gendarmerie de Guadeloupe et des Îles du Nord, a mis en avant la rapidité de l'escalade de la violence dans les situations de violences conjugales en Guadeloupe.

Des études menées en Nouvelle-Calédonie28(*) et en Polynésie française29(*) font également apparaître des taux élevés de violences intrafamiliales :

- en Nouvelle-Calédonie, 2,6 % des femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles du fait de leur conjoint ou ex-conjoint en 2019 et 2020 ;

- en Polynésie française, les violences intrafamiliales représentaient 70 % de l'ensemble des violences aux personnes en 2015.

Un précédent rapport conjoint30(*) de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de la délégation aux droits des femmes, publié en 2020, a mis en lumière plusieurs facteurs expliquant cette plus forte prévalence : le poids des coutumes, l'influence des stéréotypes sexistes et l'impact des réalités géographiques dans des territoires où tout le monde se connaît, et où la peur des représailles conduit trop souvent les victimes à se taire.

Ces violences conjugales ne sont inévitablement pas sans conséquence sur la façon d'aborder la parentalité. Les rapporteurs tiennent à réaffirmer ici une conviction forte de la délégation aux droits des femmes : un conjoint violent ne saurait être un bon parent. Si la coparentalité et la médiation familiale peuvent constituer des outils utiles dans certaines situations de conflit, lorsqu'elles se font au bénéfice de l'enfant, elles doivent être exclues dans les situations avérées de violences, comme la loi le prévoit d'ailleurs.


* 1 MFV 1 https://mfv2.site.ined.fr/fr/les-resultats/mfv-1/

* 2 MFV 2 https://www.insee.fr/fr/statistiques/6676517?sommaire=6676232#consulter-sommaire

* 3  https://mfv2.site.ined.fr/fr/les-resultats/mfv-mayotte/

* 4  https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/rapport_situation_des_familles_dans_les_drom_2022.pdf

* 5 Claude-Valentin Marie, Breton Didier. Les « modèles familiaux » dans les Dom : entre bouleversements et permanence. Ce que nous apprend l'enquête Migrations, famille et vieillissement. In : Politiques sociales et familiales, n°119, 2015.

* 6 Unaf, L'évolution des familles guadeloupéennes de la matrifocalité vers la coparentalité : résistances, adaptations, créolisations, 2023.

* 7 Ined et ISPF, Le fa'a'amura'a. Confier et recevoir un enfant en Polynésie française, 2018.

* 8 Ined et ISPF, Étude sur la famille, son territoire et les relations familiales à distance en Polynésie française, mars 2022.

* 9  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6459395

* 10 Partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin.

* 11 Rapport n° 728 (2020-2021) du 1er juillet 2021, sur la politique du logement dans les outre-mer.

* 12 Étude de l'Insee - Focus n° 301 de juin 2023 sur la mortalité infantile en France - https://www.insee.fr/fr/statistiques/7627069#titre-bloc-9

* 13  https://www.insee.fr/fr/statistiques/1291829

* 14  https://www.insee.fr/fr/statistiques/5543889

* 15  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4241397

* 16 Fernandez A., Giraudeau-Barthet H., 2023, « Journée défense et citoyenneté 2022 : plus d'un jeune Français sur dix en difficulté de lecture », Note d'Information, n° 23.22, DEPP. https://doi.org/10.48464/ni-23-22

* 17 Claude-Valentin Marie, Contrepoint - Le défi de l'illettrisme et de l'échec scolaire dans les départements d'outre-mer, 2014.

* 18 Mission inter-inspections, Évaluation de la prise en charge des mineurs à Mayotte, janvier 2022.

* 19  https://mfv2.site.ined.fr/fr/trois-enquete-mfv/mfv-1-et-mfv-mayotte/

* 20  https://www.insee.fr/fr/statistiques/6676517?sommaire=6676232

* 21  https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/enquete-nationale-perinatale-2021

* 22 Insee Dossier Mayotte, https://www.insee.fr/fr/statistiques/6472945?sommaire=6472966, juillet 2023.

* 23  www.corevih971.org/docrestreint.api/992/f5b1ad1417fd5200dc909b2768630ad9406e9d62/pdf/ors-inpes_kabp_2011_nov_2013.pdf

* 24  https://archined.ined.fr/view/AYgjtq4TLg0aT10RuhoO

* 25 https://www.reseauperinatguyane.fr/wp-content/uploads/2021/11/Rapport-2018-final.pdf

* 26 Marion Le Tyrant, Capucine Beaumel, Marianne Monfort, Grossesses à l'adolescence et scolarité en Guyane. Une prise en compte insuffisante qui traduit l'éloignement de l'institution scolaire, 2023. https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2023-2-page-79.htm?contenu=article

* 27  https://viragedom.site.ined.fr/fr/

* 28 ISEE, Enquête Cadre de vie et sécurité 2021 : Violences intrafamiliales, mai 2022.

* 29 Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, Les violences familiales en Polynésie française, décembre 2020.

* 30  https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-362-notice.html

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