C. LE NOUVEAU CONTEXTE NÉCESSITE DE REMÉDIER À LA DÉGRADATION DES CONDITIONS MATÉRIELLES D'EXERCICE DES MANDATS

1. Préserver le principe de gratuité

Pas plus qu'en 2018, votre délégation n'entend remettre en cause la conception française du mandat local et de la démocratie locale : des élus locaux bénévoles et engagés, et perçus comme tels par leurs concitoyens. Un mandat, qu'il soit local ou national, découle d'une élection au suffrage universel : il ne s'agit donc pas d'un métier, mais d'un service rendu à la collectivité. C'est pourquoi l'élu local n'est ni rémunéré, ni gratifié, mais se voit simplement compenser son engagement bénévole par une indemnité.

Encore cette indemnité ne concerne-t-elle qu'une minorité d'élus : en effet sur 500 000 élus locaux, 190 000 bénéficient d'une indemnité de fonction. Autrement dit, les deux tiers des élus sont actuellement totalement bénévoles.

Votre délégation considère de manière constante, comme la plupart des associations d'élus locaux, que le mandat local demeure avant tout fondé sur l'engagement citoyen d'élus qui consacrent, au quotidien, leur temps et leur énergie à servir l'intérêt général. Une véritable « rémunération » viendrait ainsi amoindrir cette force de l'engagement municipal. En outre, le principe de gratuité du mandat emporte deux conséquences juridiques d'importance : d'une part, le versement d'une somme à un élu municipal ne peut intervenir que sur le fondement d'une disposition législative expresse, d'autre part, l'élu n'est soumis à aucun rapport de subordination à l'égard d'un tiers employeur.

Principe de gratuité des mandats locaux :
fondement et aménagements

Héritée de la pratique romaine, la gratuité des mandats locaux est profondément enracinée dans la culture politique française. Montaigne, maire de Bordeaux, indiquait ainsi au XVIe siècle que « la charge de maire semble d'autant plus belle qu'elle n'a ni loyer, ni gain autre que l'honneur de son exécution ». En France, le statut de l'élu local s'est donc construit progressivement autour de ce principe fondateur de gratuité, considéré comme gage d'impartialité, de désintéressement et de dévouement de l'élu.

Ce principe est aujourd'hui inscrit à l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales (CGCT) aux termes duquel « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ».

Néanmoins, plusieurs aménagements législatifs sont venus tempérer ce principe pour permettre au plus grand nombre de se porter candidat aux élections locales, dans le droit-fil de la pensée de Max Weber qui soulignait, au XIXe siècle, qu'attribuer des revenus permettant de « vivre de la politique » ouvre l'accès aux moins fortunés, et constitue en outre un moyen de prévenir la corruption. La loi municipale du 5 avril 1884 apporte ainsi au principe de gratuité une première atténuation en autorisant à la fois le remboursement de frais (sous certaines conditions), ainsi que la mise en place par les communes d'indemnités de représentation pour leur maire.

Alors que les indemnités se limitaient précédemment à ce que l'on pouvait assimiler à des remboursements de frais, un changement de paradigme s'opère à la suite de la seconde guerre mondiale : les ordonnances du 26 juillet 1944 et du 21 février 1945 relatives aux indemnités de fonctions des maires et adjoints permettent aux communes de voter des indemnités de fonctions à leurs maires et adjoints.

Le montant des indemnités de fonction est fixé en pourcentage du montant correspondant à l'indice brut terminal de l'échelle indiciaire de la fonction publique. Le CGCT détermine le plafond d'indemnisation des élus locaux, qui varie selon l'importance du mandat exercé et de la population de la collectivité.

2. Reconnaître l'engagement local à sa juste valeur

Nos rapporteurs sont néanmoins conscients que la décentralisation a sensiblement alourdi la charge des élus locaux. De nombreux facteurs conduisent les élus à  consacrer de plus en plus de temps à leur mandat : technicité croissante des tâches, complexification du droit et des procédures, montée de l'intercommunalité, difficultés de recrutement des secrétaires de mairies9(*)...

Comme le souligne le livre blanc de l'Observatoire de l'Éthique Publique10(*), l'exercice des mandats locaux est de plus en plus chronophage, de sorte que « les coûts en termes de vie personnelle et familiale sont élevés ».

Pour autant, dévouement ne rime pas avec sacrifice. Dans le rapport précité de notre délégation portant sur l'exercice des mandats locaux, 55,6 % des répondants estiment que la faiblesse des indemnités joue un rôle important dans la crise des vocations au niveau municipal11(*). Par ailleurs ils sont assez partagés sur la logique indemnitaire12(*).

Comme le souligne très justement le rapport précité sur l'avenir du maire et de la commune, « reconnaître l'engagement municipal à sa juste valeur, c'est reconnaître le juste besoin de compensation des dépenses et sujétions inhérentes à l'exercice par les élus locaux de la charge publique à laquelle ils ont été élus. La question du montant des indemnités, qui servent ce but, mérite donc d'être posée ». C'est pourquoi cette mission estimait « nécessaire d'engager une réflexion sur la revalorisation du montant des indemnités des élus communaux, afin notamment d'examiner si elle doit au moins suivre l'inflation ou si des décisions plus fortes doivent être prises pour pallier le découragement de ces élus, en particulier dans les communes rurales ».

Entendant cet appel de la mission et conscients du formidable engagement citoyen des élus locaux, au service de l'intérêt général, vos rapporteurs ont souhaité examiner les différents scénarii de revalorisation des indemnités qui leur sont alloués.

En préalable à toute réflexion sur les indemnités des élus locaux, il est nécessaire d'avoir à l'esprit deux réalités incontestables : d'une part, la quasi-totalité des élus perçoivent une indemnité inférieure au salaire moyen brut, d'autre part, les élus assument une mission quasi-bénévole irremplaçable, au service de la collectivité.

En premier lieu, la quasi-totalité des maires et adjoints perçoivent une indemnité inférieure, voire nettement inférieure au salaire moyen brut en France. Telles sont les conclusions d'une étude menée en 2020 par Élodie Lavignotte et notre co-rapporteur Éric Kerrouche13(*). Ces travaux soulignent notamment que :

- seuls 462 maires en France ont une indemnité brute supérieure au salaire moyen brut ;

- seuls les adjoints des communes de plus de 100 000 habitants ont une indemnité qui approche le salaire brut moyen (de 86 à 95 % de celui-ci). Sont concernés environ 720 adjoints dans 40 communes.

Il en résulte que très peu d'élus peuvent vivre uniquement de leurs mandats, alors même que, de facto, l'exercice de certaines fonctions électives empêche toute activité professionnelle.

La récente consultation menée par le Gouvernement et l'AMF va dans le même sens : elle souligne que de nombreux élus ont un taux horaire brut à peine supérieur au SMIC.

Enquête AMF-Gouvernement, réalisée par le CEVIPOF (novembre 2023)

En second lieu, il convient de s'interroger sur le rôle irremplaçable des élus locaux : que deviendraient nos services publics sans leur engagement ? Qui assumerait leurs fonctions ? À  quel coût ?

Selon les chiffres adressés à vos rapporteurs par la Direction générale des collectivités locales (DGCL), toutes strates confondues, le montant annuel des indemnités de fonction des élus communaux s'élevait à 2 milliards d'euros en 2022, dont près d'1,5 milliard d'euros pour les communes.

Population des communes

Nombre de communes

Montant des indemnités de fonction

moins de 500

18 139

321 975 166,00 €

500-999

6 687

220 326 011,00 €

1000 - 3499

6 891

420 599 946,00 €

3500 - 9999

2 198

237 977 523,00 €

10 000 - 19 999

556

94 811 113,00 €

20 000 - 49 999

352

97 909 434,00 €

50 000 - 99 999

90

45 827 826,00 €

100 000 - 200 000

31

27 618 301,00 €

Plus de 200 000

11

31 311 150,00 €

TOTAL

34 955

1 498 356 470,00 €

Source : DGCL

Si on considère que les maires et adjoints exercent des fonctions comparables à celles d'un cadre A de la fonction publique, à l'indice terminal brut, à temps plein ou partiel selon les strates démographiques, leur remplacement par des fonctionnaires coûterait à la collectivité un montant estimé à plus de 3,4 milliards d'euros, soit un coût 2,3 fois supérieur au montant actuel des indemnités versées aux élus communaux.

Pour établir ce chiffre de 3,4 milliards d'euros, vos rapporteurs ont considéré que les maires exercent des fonctions similaires à celles d'un agent de catégorie A, à hauteur de :

· 50 % de l'indice terminal brut 1 027 pour les 25 047 communes de moins de 1 000 habitants, soit 2 043 euros ;

· 100 % de l'indice pour les 9 791 communes de 1 000 à 49 999 habitants, soit 4 086 euros ;

· 150 % de l'indice pour les 130 communes de plus de 50 000 habitants, soit 6 123 euros.

Concernant les adjoints, la mission a estimé que ces derniers exercent des fonctions similaires à celles d'un agent de catégorie A, à hauteur de :

· 25 % de l'indice terminal brut 1 027 pour les communes de moins de 1 500 habitants, soit 1 021 euros ;

· 50 % de l'indice pour les communes de 1 500 à 49 999 habitants, soit 2 043 euros ;

· 100 % de l'indice pour les communes de plus 50 000 habitants, soit 4 086 euros.

Le détail du calcul figure en annexe.

Remplacer les maires et adjoints par des fonctionnaires entraînerait un surcoût pour notre pays de près de 2 milliards d'euros, sans qu'on puisse garantir que le service rendu à nos concitoyens ne serait pas réduit, au regard de la très grande disponibilité dont font preuve les élus locaux.

Et encore ne prend-on pas en compte, dans ce calcul, d'une part, les conseillers municipaux, délégués ou non, d'autre part, les élus intercommunaux, départementaux et régionaux. Les plafonds indemnitaires des conseillers départementaux et régionaux sont retracés dans les tableaux ci-dessous.

Plafonds indemnitaires des conseillers départementaux
(Art. L. 3123-16 du CGCT)

Population départementale

(habitants)

Taux maximal

(en % de l'indice brut terminal)

Indemnité brute

(en euros, au 1er juillet 2023)

moins de 250 000

40

1 634, 36

de 250 000 à moins de 500 000

50

2 042, 95

de 500 000 à moins de 1 million

60

2 451, 54

de 1 million à moins de 1,25 million

65

2 655, 84

1,25 million et plus

70

2 860, 13

Plafonds indemnitaires des conseillers régionaux
(Art. L. 4135-16 du CGCT)

Population régionale

(habitants)

Taux maximal

(en % de l'indice brut terminal)

Indemnité brute

(en euros, au 1er juillet 2023)

moins de 1 million

40

1 634, 36

de 1 million à moins de 2 millions

50

2 042, 95

de 2 millions à moins de 3 millions

60

2 451, 54

de 3 millions et plus

70

2 860, 13

Pour toutes ces raisons, il convient d'agir de manière concrète pour ne plus pénaliser financièrement l'engagement des élus.

La mission formule ainsi trois propositions :

- au 1er janvier 2024, indexer chaque année sur l'inflation les montants d'indemnités des élus ;

- avant le renouvellement municipal de 2026, proposer, en concertation avec les associations d'élus locaux, une revalorisation des indemnités pour toutes les strates démographiques ;

- à plus long terme, réfléchir, pour certaines catégories d'élus, à la création d'un nouveau statut rémunéré.

3. Au 1er janvier 2024, indexer chaque année sur l'inflation les montants d'indemnités des élus 

Le tableau ci-dessous retrace l'évolution des indemnités sur trois ans : entre le 1er juillet 2020 et le 1er juillet 2023. Ce tableau fait apparaître un décrochage significatif par rapport à l'inflation. En effet, sur la période considérée, les indemnités ont progressé de 5,1 % tandis que l'inflation s'est, quant à elle, élevée à 13,1 %. L'indemnité de fonction a donc subi une perte de 8 % en euros constants.

Indemnités des maires :
Évolution entre le 1er juillet 2020 et le 1er juillet 2023

Nombre d'habitants

Indemnité brute
(en €)
au 1er juillet 2020

Indemnité brute
(en €)
au 1er juillet 202314(*)

Moins de 500

991

1 042

De 500 à 999

1 567

1 647

De 1 000 à 3 499

2 006

2 108

De 3 500 à 9 999

2 139

2 247

De 10 000 à 19 999

2 528

2 657

De 20 000 à 49 999

3 500

3 677

De 50 000 à 99 999

4 278

4 495

100 000 et plus

5 639

5 924

Vos rapporteurs recommandent donc d'indexer sur l'inflation les montants d'indemnités des élus. Cette indexation annuelle automatique, qui ne serait pas rétroactive, interviendrait dès le 1er janvier 2024.

En 2024, le coût de cette indexation serait de 52 millions d'euros pour l'ensemble des élus locaux, sur la base d'une inflation estimée à 2,6 %15(*).

Afin de rendre automatique cette revalorisation annuelle, il conviendra que les conseils municipaux, lors de leurs délibérations, fixent les indemnités de leurs membres par référence à des pourcentages de l'indice brut terminal de la fonction publique plutôt qu'à des montants en euros.

4. Avant le renouvellement municipal de 2026, proposer, en concertation avec les associations d'élus locaux, une revalorisation des indemnités pour toutes les strates démographiques.

Deuxième proposition avancée par la mission : étudier, avant le renouvellement municipal de 2026, une revalorisation des indemnités pour toutes les strates démographiques.

Il n'est pas possible, à ce stade, d'établir le montant de cette revalorisation dans la mesure où, d'une part, elle nécessitera une étroite concertation avec les élus locaux, d'autre part, il conviendra d'évaluer les effets des mesures proposées dans le cadre du présent rapport.

À cet égard, vos rapporteurs se réjouissent que les associations d'élus locaux aient formulé, sur le sujet indemnitaire, de nombreuses propositions intéressantes. D'autres contributions sont attendues, notamment à l'occasion du prochain Congrès des Maires. Elles mériteront toutes un examen attentif de votre délégation avant toute recommandation.

5. Des interrogations sur d'autres évolutions indemnitaires possibles
a) Une corrélation entre indemnité et temps consacré au mandat

Lors de la consultation précitée, menée en 2018, plus d'un quart des élus répondants estimaient consacrer plus de 35 heures hebdomadaires à leur mandat, et près de la moitié plus de 25 heures. En moyenne un élu municipal consacre 32 heures par semaine à son mandat.

Estimation du temps hebdomadaire consacré au(x) mandat(s) par le maire :
Résultats de la consultation menée en janvier 2018 par votre délégation

Estimation du temps hebdomadaire consacré au(x) mandat(s) par les adjoints :
Résultats de la consultation menée en janvier 2018 par votre délégation

Les indemnités sont toutefois indépendantes du temps effectif consacré au mandat par les élus. Elles sont déterminées de façon forfaitaire en fonction de grandes strates de population et du niveau de responsabilité exercé par l'élu (maire/adjoint par exemple). Les textes prévoient également une majoration indemnitaire pour certaines communes16(*).

Il n'y a donc pas de corrélation directe entre le temps passé par l'élu et le niveau de l'indemnité qu'il perçoit. En conséquence, il revient actuellement aux élus de décider s'ils entendent faire de leur mandat une activité à temps partiel ou à temps plein, sans que cela ait une conséquence quelconque sur le niveau des indemnités qu'ils percevront.

Telle n'est pas toujours l'approche retenue en dehors de nos frontières : le livre blanc de l'Observatoire de l'Éthique Publique sur l'indemnisation des élus souligne ainsi que « le temps est un critère de modulation de la rémunération des maires dans de nombreux pays européens ».

Cette question de la corrélation/modulation est essentielle et mérite un large débat public, dans le contexte de crise des vocations. Selon les derniers chiffres communiqués par le ministère de l'Intérieur début avril 2023, 1 293 maires ont démissionné depuis les dernières élections du 28 juin 2020, soit environ 3,7 %.

Si le bénévolat est un principe fondamental, comme rappelé supra, il n'apparait pas contradictoire avec une corrélation entre les indemnités de fonctions et le temps consacré au mandat. Cette corrélation pose la question concrète de la compatibilité du mandat avec l'exercice d'une activité professionnelle, et donc de la diversité des profils des élus. En effet, dès lors que les élus n'ont pas la possibilité de déclarer une quotité de temps allouée à leur mandat, d'où pourrait découler une modulation de l'indemnité, cette situation favorise les retraités et pré-retraités. Ils sont davantage disponibles que les actifs et aujourd'hui logiquement surreprésentés parmi les élus17(*). Or, vos rapporteurs soulignent l'importance de la diversification des profils au sein des conseils municipaux, qui doivent pouvoir être représentatifs de l'ensemble de la population de leur commune.

Profil des maires

· 39,2 % sont des retraités.

· 21,2 % sont des cadres ou exercent une profession intellectuelle supérieure.

· 11,6 % sont des agriculteurs exploitants.

· 10,5 % sont issus de professions intermédiaires.

· 5,9 % sont des artisans commerçants, chefs d'entreprises.

· 5,9 % sont employés.

· 2,4 % sont ouvriers.

Enquête AMF-Gouvernement, réalisée par le CEVIPOF (novembre 2023)

Par ailleurs, dans le système actuel, qui ne « récompense » pas les élus qui décident d'exercer un temps plein, les actifs qui s'engagent dans le mandat local ont tendance à privilégier un mandat à temps partiel, au risque d'être submergés et, en conséquence, de ne pas pouvoir gérer efficacement les contraintes temporelles de la double activité mandat / emploi. Le montant de l'indemnité est donc, à l'évidence, au coeur de la conciliation vie professionnelle / vie personnelle.

C'est aussi dans le but de favoriser un meilleur accès des actifs au mandat local qu'une proposition de loi avait prévu, en 2019, une majoration indemnitaire de 50 % pour les maires des communes de moins de 10 000 habitants ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer pleinement à leur mandat18(*).

Si l'idée, fondée sur les notions de manque à gagner et de coût d'opportunité, paraît séduisante, elle se heurte à plusieurs arguments, tant d'opportunité que juridique :

- argument du désavantage comparatif : ces mêmes candidats actifs risqueraient d'être écartés par les électeurs car ils coûteraient plus cher à la commune ;

- argument du retour à l'emploi : certains élus pourraient être incités à quitter leur activité professionnelle mais rencontreraient, à l'issue du mandat local, des difficultés de retour à l'emploi ;

- argument de l'effet de seuil : les maires ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat dans les communes de moins de 10 000 habitants recevraient une indemnité nettement supérieure à celle des maires des communes de plus de 10 000 habitants se trouvant pourtant exactement dans la même situation (cf supra, tableau des indemnités).

Pour l'ensemble de ces raisons, cette idée n'a pas été retenue par le Sénat dans le cadre de l'examen de la proposition de la susmensionnée. La proposition a néanmoins le mérite de soulever une question fondamentale : celle de la corrélation entre indemnité et temps consacré au mandat, gage d'un meilleur accès de tous aux mandats locaux. Le temps consacré au mandat peut, notamment mais pas seulement, être mesuré par le nombre de réunions auxquelles les élus doivent participer.

Vos rapporteurs pensent notamment aux étudiants qui font le choix de l'engagement citoyen. Or, ils sont souvent découragés par l'insuffisante prise en compte du temps consacré au mandat. D'une manière générale, la mission appelle de ses voeux à la création d'un statut de l'élu étudiant pour les jeunes élus locaux inscrits en université ou dans un établissement supérieur. En effet, les textes ne prévoient aucune disposition particulière pour aménager les conditions de poursuite des études avec l'exercice d'un mandat, ce qui est particulièrement regrettable, comme l'a souligné le rapport précité sur l'avenir du maire et de la commune.

b) La création d'un statut d'agent civique territorial

Par ailleurs, le principe de gratuité du mandat, évoqué précédemment, soulève certaines interrogations, comme l'illustre la proposition récurrente de créer un statut d'agent civique territorial19(*). Cette initiative est notamment portée par notre co-rapporteur Éric KERROUCHE dans une proposition de loi dont il est le premier signataire20(*). Elle n'a pas été retenue, à ce stade, par la délégation, mais fait partie des pistes de réflexion, à terme, pour certaines catégories d'élus, dès lors que de facto l'exercice de certaines fonctions électives empêche toute activité professionnelle.

Selon l'exposé des motifs du texte précité, « tant que subsistera cette contradiction entre une vision idéalisée, voire mythifiée, de l'élu amateur et bénévole et la réalité d'exercice des mandats locaux qui exige des compétences toujours plus pointues et un investissement en temps toujours plus important, le projet d'instaurer un véritable statut de l'élu sera condamné ». Partant du constat que « les fonctions exécutives requièrent aujourd'hui un investissement en temps suffisamment important pour les considérer désormais comme une profession », le texte propose de « rémunérer », et non plus d' « indemniser » les élus détenteurs de ces mandats exécutifs. Les élus qui relèveraient de ce statut seraient liés à la collectivité territoriale ou au groupement dont ils sont élus par un contrat de droit public à durée déterminée dont l'échéance serait fixée à la cessation de leurs fonctions.

Votre délégation relève, comme elle l'avait fait en 2018, que le régime indemnitaire français des élus locaux est sur certains points en retrait par rapport à d'autres pays : ainsi, certains pays européens ont opté pour une logique assumée de « professionnalisation » des fonctions électives locales, où les maires exerçant à temps plein perçoivent une indemnité de fonction souvent supérieure à celle de leurs homologues français (Allemagne, Portugal, Italie, Espagne, Pays-Bas).

Votre délégation réaffirme toutefois, à ce stade, son attachement au principe fondamental de gratuité.

RECOMMANDATION N°1 : Remédier à la dégradation des conditions matérielles d'exercice des mandats, sans revenir à ce stade sur le principe de gratuité des mandats :

- à partir du 1er janvier 2024, indexer chaque année sur l'inflation les montants d'indemnités des élus ; le coût de cette indexation serait de 52 millions d'euros en 2024 ;

- avant le renouvellement municipal de 2026, proposer, en concertation avec les associations d'élus locaux, une revalorisation des indemnités pour toutes les strates démographiques ;

- à plus long terme, réfléchir, pour certaines catégories d'élus, à la création d'un nouveau statut rémunéré.


* 9 Voir le rapport d'information de votre délégation, rapport n° 676 (2022-2023), déposé le 1er juin 2023 : https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-676-notice.html; le rapport souligne que les secrétaires de mairie constituent l'emploi le plus en tension de la fonction publique territoriale.

* 10 «  Débattre d'une juste indemnisation des élus », Rémi Lefebvre et Didier Demazières, juin 2023.

* 11 Le taux varie fortement selon la strate démographique, il oscille en effet entre 52 % dans les communes de moins de 500 habitants et 60 % dans celles de plus de 10 000 habitants. Ces variations sont expliquées a` la fois par le temps demandé par le mandat qui, toutes choses égales par ailleurs, est plus important dans les plus grandes communes mais également par la fonction exercée. Sans surprise, cet aspect est plus souligné par les maires et les adjoints que par les conseillers municipaux sans délégation.

* 12 Enquête IFOP pour le CEVIPOF 2019.

* 13 « Profession : élu.e local.e : la fin d'un mythe républicain, pour un renouveau démocratique », 3 janvier 2020, Éditions Berger-Levrault.

* 14 Le 1er juillet 2023, l'indice brut terminal de la fonction publique servant de base au calcul des indemnités de fonction a été augmenté de 1,5 %. Il s'établit désormais à 4 085,91 euros.

* 15 Le gouvernement prévoit dans son projet de loi de finances 2024 une inflation à 2,6 %.

* 16 L'article L. 2123-22 du CGCT prévoit la possibilité d'appliquer certaines majorations d'indemnités : communes chefs-lieux de département et d'arrondissement, communes classées « stations de tourisme », communes sinistrées...

* 17 Voir le rapport précité de 2018 qui rend compte des résultats de la consultation menée auprès des élus locaux : https://www.senat.fr/rap/r17-642-6/r17-642-6_mono.html. Le rapport souligne que « le taux de retraités et de pré-retraités - 37,5 % - chez les répondants élus est plus important que dans la population française en général (26,2 %), ce qui peut signifier qu'il est plus facile d'exercer des fonctions locales quand on n'exerce plus de responsabilités professionnelles ». Selon l'enquête CEVIPOF, commandée par le Gouvernement et l'AMF et publiée en novembre 2023, 39,2 % des maires sont des retraités.

* 18 Proposition de loi créant un statut de l'élu local, Texte n° 305 (2018-2019) de M. Pierre-Yves COLLOMBAT et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 12 février 2019 ; https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl18-305.html.

* 19 Cette idée apparaît dans le rapport intitulé « Refonder l'action publique locale », remis au Premier ministre le 17 octobre 2000 et rédigé par la Commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par Pierre Mauroy.

* 20 Texte n° 767 (2022-2023) de MM. Éric Kerrouche, Didier Marie et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 23 juin 2023 : https://www.senat.fr/leg/ppl22-767.html.

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