N° 521

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 avril 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1), investie des pouvoirs d'une commission d'enquête, sur les émeutes survenues
à compter du 27
juin 2023,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

L'ESSENTIEL

Du 27 juin au 7 juillet 2023, notre pays a connu un déferlement de violences qui, de l'avis de nombreux acteurs ou observateurs, était inédit par son ampleur et son intensité.

Ces émeutes n'étaient pas la réplique mimétique de celles, pourtant majeures, que notre pays a connues en 2005. En quelques nuits d'affrontements, elles ont excédé, en violence et en destruction d'équipements publics ou commerciaux, les trois semaines de violences urbaines qui avaient conduit à déclarer en octobre 2005 le régime de l'état d'urgence prévu par la loi du 3 avril 1955.

Pourtant, près d'un an après ces événements, si des stigmates sont encore visibles sur les bâtiments qui ont été les cibles de ces mouvements, l'existence semble avoir repris son cours normal, sans difficulté apparente. Or, malgré cette apparente résilience, ces émeutes ne sauraient être considérées comme un simple fait divers et, de ce fait, sitôt oubliées.

C'est pour trouver des éléments d'explication que la commission des lois a créé, dès le 12 juillet 2023, une mission d'information transpartisane1(*), dotée de prérogatives de commission d'enquête le 17 octobre 2023. Celle--ci s'est attachée à dresser le constat de ces événements : ses protagonistes, leurs motivations et les réponses apportées par les pouvoirs publics, au niveau local comme au niveau national, pour faire face aux violences et aux destructions qu'elles ont engendrées.

Des travaux menés par la mission, il ressort que la mort de Nahel Merzouk a été l'élément déclencheur d'un mouvement qui n'avait, en définitive, que peu à voir avec cet événement tragique et qui ne portait pas de revendications identifiées.

Plusieurs endroits du territoire étaient, semble-t-il, prêts pour un affrontement avec les forces de l'ordre, comme en témoignent les importants stocks préconstitués de mortiers d'artifices ainsi que la coordination et l'organisation qui ont pu être constatées, localement, dans les cibles et le modus operandi des participants aux actions ultraviolentes de ces premières nuits d'été.

Un certain nombre d'entre eux se sont laissé entraîner dans cette entreprise de chaos par le biais, notamment, des réseaux sociaux. Ces réseaux ont facilité la diffusion d'appels à détruire les symboles de l'autorité et à aller au contact des forces de sécurité d'abord et, assez rapidement ensuite, d'appels à dégrader les biens publics comme privés dans une logique de prédation.

Au regard de ces constats, la mission formule 25 propositions pour tirer les leçons d'une réponse opérationnelle des pouvoirs publics qui a été effective mais qui s'est révélée en partie inadaptée à ces émeutes et à leurs enjeux.

Pour autant, les membres de la mission d'information ont conscience que les événements de l'été 2023 appellent des réponses de long terme dans d'autres champs de l'action publique. Il en va ainsi, en particulier, de la question du rapport à l'autorité - qu'elle soit incarnée par les parents, les enseignants, les élus locaux ou les forces de l'ordre - ou de la pertinence, dans leur forme actuelle, des politiques publiques de logement ou d'accompagnement en faveur des quartiers prioritaires. La commission des lois invite donc à ce que ses propres travaux puissent être complétés par d'autres études et propositions, afin qu'une réponse globale puisse être apportée à ces accès de violences dont rien ne permet d'affirmer qu'ils ne se reproduiront pas dans un proche avenir.

I. LE CONSTAT : UN DÉFERLEMENT DE VIOLENCES SANS PRÉCÉDENT

A. DE L'ÉMOTION À L'INSURRECTION : LE DÉROULEMENT SÉQUENCÉ D'UNE VAGUE DE VIOLENCES URBAINES D'UNE AMPLEUR INÉDITE

Loin de constituer un événement homogène - tant sur plan de la nature des faits commis que de son déploiement territorial - l'épisode de violences urbaines de l'été 2023 se caractérise par une soudaineté et une vitesse de propagation à l'ensemble du territoire tout à fait inédites.

1. Un événement, deux phases distinctes

Massivement diffusée sur les réseaux sociaux, la vidéo du contrôle routier ayant entraîné la mort de Nahel Merzouk à Nanterre a rapidement suscité une très forte émotion. Considérée par la plupart des personnes entendues par la mission d'information comme l'élément déclencheur des émeutes, la diffusion de ces images a provoqué un embrasement dont la soudaineté n'a eu d'égale que l'intensité.

Dès le 27 juin 2023 au soir ont lieu les premières effusions de violences : s'enclenche alors une phase « émotionnelle » des émeutes, directement liée à la mort de Nahel Merzouk. Dans ce premier temps, les violences urbaines présentent une « charge politique » marquée : d'abord concentrées dans les banlieues des grandes métropoles, ces violences s'apparentent alors à l'expression intense d'une colère et sont principalement dirigées contre les forces de sécurité intérieure ainsi que les autorités et les biens publics.

À compter du 30 juin et du 1er juillet 2023, s'opère un « basculement » des émeutes vers une « phase insurrectionnelle », marquée par une expansion territoriale fulgurante des violences, qui se diffusent à l'ensemble du territoire national sous la forme d'une vague de destructions et de pillages sans précédent, mêlant comportements opportunistes et déchaînements aveugles de violence.

La décrue est aussi soudaine que l'embrasement : l'intensité et l'immédiateté des réactions et de l'expansion du mouvement ont eu pour corollaire son épuisement accéléré, sous l'effet notamment de la réponse efficace apportée par les pouvoirs publics.

2. Un dramatique bilan humain et de lourds dégâts matériels mais une absence de conséquences majeures sur l'économie nationale

Les émeutes de l'été 2023 ont eu pour conséquence un nombre élevé de victimes humaines. Deux décès sont directement liés aux émeutes, l'un à Cayenne, l'autre à Marseille. La mission d'information évalue, dans une fourchette basse, à plus d'un millier le nombre de personnes blessées, y compris légers, dans le cadre de ces émeutes, qu'il s'agisse des agents des forces de l'ordre, des émeutiers ou de la population générale. Dans le détail, 782 agents des forces de l'ordre - 674 policiers et 108 gendarmes -, et 3 sapeurs-pompiers ont été blessés. Au moins une quarantaine de blessés graves ont été répertoriés parmi les émeutiers ou la population générale.

L'estimation des dommages aux biens atteint le chiffre, colossal et en nette hausse par rapport à 2005, d'un milliard d'euros. Les 16 400 sinistres déclarés aux assureurs représentent un coût de 793 millions d'euros, soit un montant quatre fois supérieur à celui des émeutes de 2005. L'indemnisation des collectivités territoriales correspond à 27 % de ce coût total. Le coût supporté par les assureurs ne correspond cependant qu'à une part des dommages aux biens résultant de ces émeutes, tous les sinistres n'étant pas nécessairement déclarés ou acceptés par les assureurs, lesquels n'ont pas toujours pris en charge la totalité du coût du sinistre. En outre, tous les biens publics ne sont pas assurés, l'auto-assurance étant fréquente dans le secteur public, notamment pour l'État.

Les cibles des émeutiers ont été orientées vers des symboles républicains. Parmi les 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, figurent 273 bâtiments des forces de l'ordre, 105 mairies et 243 écoles. De nombreux véhicules de police ou de gendarmerie font en outre partie des 12 031 véhicules incendiés.

Illustration de l'opportunisme d'une part des émeutiers, les commerces ont également fait l'objet d'exactions, une estimation basse établissant que plus d'un millier - vraisemblablement autour de 1 500 - d'entre eux ont été vandalisés ou pillés, en particulier 436 débits de tabac, 370 agences bancaires, approximativement 200 commerces alimentaires, 200 commerces d'habillement ou encore 118 opticiens. Malgré le préjudice financier et moral indéniable pour tous ces commerces, les émeutes n'ont cependant pas eu d'incidence majeure sur l'économie française - outre le coût direct de la reconstruction -, les premières craintes semblant, fort heureusement, ne pas s'être réalisées, y compris dans le secteur du tourisme.

B. LES ÉMEUTIERS : UN PROFIL SOCIO-DÉMOGRAPHIQUE À PEINE ESQUISSÉ, DES MOTIVATIONS DIFFICILES À APPRÉHENDER

1. Le profil-type des émeutiers : un portrait inachevé
a) Une première approche fondée sur des données partielles...

L'analyse des données issues des travaux de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale de la justice (IGJ) ainsi que la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) offre une première image du profil des émeutiers. Deux caractéristiques ont été jugées particulièrement frappantes par la mission.

D'une part, la jeunesse des émeutiers. Selon le ministère de l'intérieur, un tiers des 3 500 personnes interpellées au 4 juillet 2023 sont des mineurs, la moyenne d'âge globale se situant entre 17 et 18 ans.

Âge des mineurs déférés lors des émeutes de l'été 2023

Source : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

D'autre part, une « marginalité sociale » à nuancer. D'après les données disponibles, près de 60 % des personnes interpellées sont des primo-délinquants, ce chiffre s'élevant à plus de 68 % s'agissant des mineurs déférés.

Si, du point de vue familial et socio-économique, les émeutiers se trouvent dans des situations globalement plus fragiles et défavorisées que la moyenne, le constat d'une « marginalité sociale » semble devoir être nuancé. En effet, près de trois-quarts des mineurs déférés sont inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur.

b) Des données complémentaires encore inexploitées

Si les témoignages recueillis par la mission d'information lors de ses déplacements et auditions semblent corroborer en partie ces constats, les données disponibles demeurent fort insuffisantes.

En particulier, n'ont été pris en considération dans ces premières analyses que les individus qui ont été appréhendés par les forces de sécurité intérieure et jugés dans les premières semaines suivant les émeutes. Or, d'après les informations transmises à la mission, le travail d'enquête judiciaire se poursuit et concerne souvent des personnes connues des services de police.

Subsiste donc une « partie immergée de l'iceberg » qui échappe à l'ensemble des acteurs, et qui semble davantage être constituée de personnes inscrites dans des parcours de délinquance d'habitude.

Dès lors, la jeunesse et la surreprésentation des primo-délinquants parmi les personnes condamnées pourraient - au moins partiellement - être relativisées à mesure que les enquêtes concernant les faits les plus graves aboutiront.

Dans ce contexte, et plus de neuf mois après la fin des événements, la mission appelle donc le Gouvernement à mieux exploiter les données dont il dispose afin de produire une véritable analyse du profil des émeutiers, démarche indispensable pour comprendre les dynamiques qui ont été à l'oeuvre à l'été 2023

2. Des motivations protéiformes : entre défiance de l'autorité et opportunisme

Si l'élément déclencheur des émeutes est bien le décès de Nahel Merzouk, les motivations des émeutiers au niveau national n'ont pas été liées à ce seul événement. Au-delà de la couronne parisienne, seule une minorité d'individus ont justifié leur participation aux émeutes par le décès du jeune homme ou par une contestation de l'action des forces de l'ordre2(*). Les émeutes ne semblent, au demeurant, pas être le résultat d'entreprises de déstabilisation nationale contre les valeurs républicaines. Les services de renseignement interrogés par la mission soulignent ainsi l'absence de convergence entre la violence émeutière et des groupes militants d'ultragauche ou des mouvements séparatistes.

Toutefois, le défaut de revendications politiques clairement formulées ne saurait occulter l'existence d'une colère, violemment exprimée à l'encontre des institutions et des représentants de l'autorité publique. Selon l'analyse des chercheurs en sociologie et science politique interrogés par la mission, cette réaction violente procèderait d'un sentiment de relégation sociale, tenant à un désencrage, subi ou entretenu, entre les émeutiers et le reste de la population. Des études sociologiques soulignent, en ce sens, une corrélation entre la ségrégation résidentielle, ainsi que scolaire, et les communes touchées par les violences urbaines de l'été 20233(*).

Nombre d'émeutiers semblaient également encouragés par un effet de groupe et la recherche d'adrénaline. Selon les services de renseignement, de nombreux pillages étaient orchestrés par des délinquants organisés, qui ont lancé des expéditions via les réseaux sociaux, avant d'être suivis par des individus opportunistes.

Devant la multiplicité des facteurs en jeu, adopter une position univoque s'agissant des motivations des émeutiers aurait, de fait, peu de sens.

3. Des phénomènes de violences qui se distinguent des émeutes de 2005
a) Le franchissement d'un cap dans l'intensité et la nature des violences

Les événements de l'été 2023 ont largement surpassé ceux de 2005 en termes d'intensité dans l'expression de la violence et de ciblage des différents symboles de l'autorité et de la République.

Les forces de sécurité intérieure ont fait face à des émeutiers démontrant un rapport décomplexé à la violence ainsi qu'un degré d'organisation et de désinhibition déconcertant. Les services de renseignement ont souligné l'apparition de véritables techniques de « guérilla urbaine », impliquant des guets-apens et usage massif et coordonné de mortiers d'artifice.

Preuve de l'intensité de ces affrontements, 782 membres de forces de l'ordre ont été blessés en neuf jours, soit près de quatre fois plus qu'au cours des vingt-cinq nuits d'émeutes de 2005.

Ces émeutes se sont également accompagnées d'une vague d'agressions et d'attaques directes contre les élus - et singulièrement les maires - sans précédent : entre le 27 juin et le 7 juillet 2023, 684 faits de violences à l'encontre des élus et personnes chargées de mission de service public ont été recensés.

La quasi-totalité des communes consultées et visitées par la mission d'information ont fait état de dégradations ayant ciblé des bâtiments publics. Écoles, centres culturels et sociaux, mairies, commissariats, postes : d'après, les estimations de la mission, alors qu'elles ont duré trois fois moins longtemps, les émeutes de 2023 ont donné lieu à près de sept fois plus de faits de dégradation de biens publics.

b) Une amplitude géographique qui dépasse les seuls quartiers « sensibles »

Les émeutes de 2023 ont revêtu un caractère inédit d'un point de vue géographique, notamment en comparaison avec celles de 2005.

En premier lieu, s'est observée une nette extension géographique des violences. D'après le dernier décompte effectué par le ministère de l'intérieur et des outre-mer, des actes de violences en lien avec les émeutes, même mineurs, ont été recensés par les préfectures dans au moins 672 communes, situées dans 95 des 101 départements français. En comparaison, approximativement 300 communes, situées dans 25 départements, ont connu des violences en 2005.

En deuxième lieu, les émeutes de 2023 se distinguent de celles de 2005 par la catégorie des communes touchées ainsi que la typologie des zones ciblées à l'intérieur des communes. Ainsi, davantage de villes moyennes, voire rurales, considérées comme calmes ont été touchées. 23 % des infractions recensées à la date du 31 juillet 2023 ont été commises en zone gendarmerie.

L'Île-de-France demeure néanmoins la région la plus touchée par ces émeutes, avec 38,9 % des sinistres déclarés aux assureurs et 42,5 % du coût total. L'Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France, avec respectivement 13,1 % et 8,6 % des sinistres, ont également été fortement affectées par les dégradations émeutières.

Nombre de communes, par département, dans lesquelles au moins un acte de violence
en lien avec les émeutes de l'été 2023 a été recensé

Source : Commission des lois, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur et des outre-mer. Carte réalisée avec le logiciel Khartis.

En outre, les centres-villes et les zones commerciales ont été particulièrement ciblés, les violences débordant des seuls quartiers considérés habituellement comme « sensibles ». La présence d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) reste cependant fortement corrélée à la survenue des émeutes en 2023, y compris dans les communes les moins peuplées : 74 % des communes dans lesquelles des violences ont été commises comportaient au moins un QPV.

c) Le rôle déterminant joué par les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont considérablement amplifié la couverture médiatique des événements, représentant près de 15 % de l'activité totale des plateformes pendant cette période. Preuve de leur influence dans la diffusion des violences, l'évolution volumétrique du contenu en ligne associé aux émeutes a légèrement précédé celle des épisodes émeutiers.

Les réseaux sociaux ont notamment conféré aux violences urbaines une dimension ludique. Alimentée par ces plateformes, la concurrence exacerbée entre les groupes d'émeutiers s'est traduite par une recherche effrénée de viralité des images d'exactions sur les réseaux sociaux, parfois au prix de mises en scène sensationnalistes et décalées, parfois même en relayant des vidéos trompeuses empruntées à d'autres événements.

Les réseaux sociaux ont également servi de plateformes logistiques pour la coordination des rassemblements violents. En particulier, la fonction de géolocalisation proposée par certaines plateformes s'est avérée propice à la constitution de groupes d'émeutiers. L'utilisation des boucles de messagerie, d'une part, pour se procurer des équipements comme des mortiers d'artifice et, d'autre part, pour informer en temps réel sur les dispositifs des forces de sécurité intérieure a également compliqué les opérations de maintien de l'ordre.

II. TIRER LES LEÇONS D'UNE RÉPONSE INSTITUTIONNELLE ENGAGÉE MAIS PERFECTIBLE

La nature et l'ampleur des violences et dégradations, qui ont été commises entre le 27 juin et le 7 juillet 2023 sur l'ensemble du territoire national, démontrent la nécessité d'interroger les instruments dont dispose l'État pour assurer le rétablissement rapide de l'ordre public face à des violences urbaines, puis le maintien de l'ordre public ainsi restauré dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Une telle question se pose avec une acuité renouvelée tant le risque de nouveaux phénomènes - le cas échéant plus localisé - de violences ou d'émeutes urbaines pourrait, à l'avenir, se présenter très rapidement.

Eu égard aux constats dressés à la suite des travaux de la mission, celui-ci estime que, si la réponse institutionnelle a été particulièrement forte lors des émeutes de juin et juillet 2023, elle doit néanmoins être perfectionnée à six principaux égards.

A. LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DES MOYENS DU RÉTABLISSEMENT ET DU MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC EN CONTEXTE ÉMEUTIER À DISPOSITION DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

La mission a constaté qu'aucune préparation en amont d'une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeutier n'avait été établie et que, pour la première fois, des forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées sur des opérations éloignées de leur champ d'action traditionnel, sans véritable doctrine d'emploi préalablement établie. Elle estime, en conséquence, indispensable de moderniser, tout en préservant les acquis de l'expérience des émeutes urbaines de l'été 2023, les moyens du rétablissement et du maintien de l'ordre public en contexte émeutier par cinq mesures :

· construire un schéma national de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier et stabiliser la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure en facilitant notamment le décloisonnement et le dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaînes de commandement ;

· entretenir les capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier par des formations régulières aux tirs et à l'usage des armes et des formations communes aux diverses forces afin de faciliter leur coopération ;

· moderniser et adapter les matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes.

Plus précisément, la mission préconise un renforcement des capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle ainsi qu'une augmentation des quotas de munitions des armes de force intermédiaire, ainsi que des armes classiques, en profitant du développement d'un prochain système d'information sur les armes. Elle juge également indispensable de poursuivre le déploiement et l'équipement systématique des caméras-piétons, et constituer des stocks pour un déploiement rapide en cas de mobilisation de forces en contexte émeutier. Sur ce même point, permettre, en contexte émeutier, l'enregistrement en continu des interventions par les caméras-piétons, ou leur déclenchement à distance par les postes de commandement apparait particulièrement utile à la mission.

Enfin, la mission souhaite encourager la modernisation des flottes de drones et des caméras de vidéo-surveillance pour permettre leur utilisation nocturne et propose d'expérimenter l'équipement et l'utilisation de matériels de marquage codés en cas d'émeutes ;

· assurer la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre par la conduite d'un audit des besoins de sécurisation immédiats et la constitution d'un stock de matériels mobiles permettant d'assurer leur sécurisation, y compris en cas d'assaut ;

· renforcer les moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles » par les services de renseignement mais également par le biais d'outils transdisciplinaires.

B. UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU À ENDIGUER : L'UTILISATION DÉTOURNÉE DES MORTIERS D'ARTIFICE

Malgré plusieurs tentatives de régulation et d'entrave administrative par l'État, force est de constater que celles-ci n'ont pas permis d'endiguer l'utilisation détournée des mortiers d'artifices à l'encontre des forces de sécurité intérieure ou des bâtiments publics.

La mission suggère de s'inspirer du modèle espagnol, qui semble avoir produit des effets extrêmement positifs dans l'entrave à l'utilisation détournée des mortiers d'artifice. Elle préconise en conséquence un ensemble d'évolutions administratives et pénales destinées à faciliter et renforcer les poursuites contre les auteurs d'une telle utilisation des mortiers mais également les intermédiaires.

En premier lieu, elle propose d'interdire la vente en ligne et par voie postale des mortiers d'artifice, de façon à contraindre le passage physique chez un revendeur agréé mieux à même de repérer une transaction suspecte et obligé d'enregistrer et de tracer toute transaction qui conduirait à l'édiction d'une déclaration. Pourrait alors être délictualisé le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme pour les forces de sécurité intérieure.

De façon complémentaire, la mission recommande de délictualiser la non-dénonciation de transactions suspectes, aujourd'hui réprimée d'une contravention de la 5ème classe.

Aussi, devrait être encouragée la systématisation de l'engagement de la responsabilité de la complicité de mise de moyens pour permettre l'acquisition indue tout comme le déploiement, dans les plus brefs délais, d'un système informatisé de déclaration et de contrôle des achats et des transactions de mortiers d'artifice.

Enfin, au plan européen, d'après les informations transmises à la mission, certains États membres semblent aujourd'hui adopter des comportements susceptibles de caractériser des manquements à leur obligation de mettre en oeuvre la réglementation européenne en ce qu'ils homologuent des articles pyrotechniques en dépit de leur dangerosité et de leur technicité comme des articles de divertissement accessibles librement sur le marché européen. C'est pourquoi la mission estime indispensable d'éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers non-conformes à la réglementation européenne. Pour ce faire, elle propose deux axes d'amélioration, à réglementation européenne constante :

· d'une part, assurer l'application uniforme de la directive 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen ;

· d'autre part, sanctionner les États membres manquant à leurs obligations dans la mise en oeuvre de cette directive.

C. LA NÉCESSITÉ D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE L'USAGE PROTÉIFORME ET DÉTERMINANT DES RÉSEAUX SOCIAUX DANS LE MODE OPÉRATOIRE DES ÉMEUTIERS

Aux yeux de la mission, les évolutions des modes opératoires, par la mobilisation des réseaux sociaux ou supports numériques, implique une mobilisation de plusieurs volets de politique publique :

· un renforcement de la coopération et des échanges entre les réseaux sociaux et les services de l'État par la réunion régulière du groupe de contact permanent pour mieux anticiper la coordination entre acteurs en période de crise ;

· la création d'un cadre général de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, sous de strictes conditions ;

Plus précisément, dans le prolongement du pouvoir donné par le II de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 au ministre de l'intérieur de « prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie », la mission propose que des mesures actualisées et analogues de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, tels que la géolocalisation en direct ou les lives, puissent être prises par les préfets de département, sur autorisation du ministre de l'intérieur et en dans le seul cadre de la mise en oeuvre du régime d'état d'urgence précité ;

· la facilitation de l'identification des délinquants par le biais des réseaux sociaux et supports numériques.

Pour ce faire, la mission souhaite i) permettre la levée du caractère « privé » de boucles de messages réunissant un grand nombre d'individus ou des individus sans communauté d'intérêt, ii) permettre un accès des services de renseignement et d'enquête aux échanges se tenant sur les boucles des messageries privées, dès lors que leurs conditions d'accès et le nombre de personnes y accédant les rendent assimilables à des services de communication au public en ligne et iii) faciliter la détection précoce de contenus numériques incitant à la commission de violences ou à la participation à des émeutes par l'utilisation de traitements algorithmiques ;

· la création d'un cadre pénal permettant de poursuivre les émeutiers mobilisant des supports numériques pour participer à des violences urbaines.

La mission propose, en la matière, d'une part, de porter à trois ans d'emprisonnement la peine encourue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations, afin de rendre possible, dans une procédure pénale, la réquisition, aux fins d'identification et de localisation, les données de connexion et, d'autre part, de systématiser l'application des peines complémentaires de « bannissement numérique » pour toutes les infractions commises ou facilitées par les outils numériques en contexte émeutier.

D. LE RÔLE DES POLICES MUNICIPALES EN CAS D'ÉMEUTES : UN COMPLÉMENT QUI NE DOIT PAS S'APPARENTER À UN SUBSTITUT

À la lumière de la réponse policière nationale et municipale aux violences urbaines de l'été 2023, il apparaît indispensable de renforcer la complémentarité opérationnelle entre les polices municipales et les forces de l'ordre en période d'émeutes, dans le respect de leurs prérogatives, en modernisant les outils de coordination existants et en facilitant la constitution de patrouilles mixtes entre policiers municipaux et forces de sécurité intérieure.

Parallèlement, elle propose plusieurs pistes d'évolution visant à faciliter l'action des polices municipales en période d'émeutes urbaines, sans préjuger d'une réforme globale des polices municipales appelée de leurs voeux par les syndicats de policiers municipaux et de nombreux élus :

· aligner les prérogatives de police judiciaire confiées aux policiers municipaux sur celles des gardes champêtres ;

· élargir à la saisie d'objets dangereux (mortiers d'artifice, armes par destination) leurs prérogatives de police judiciaire afin de répondre aux nécessités du contexte émeutier ;

· améliorer l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres pour faire face, sur la durée, à des violences urbaines de forte intensité ;

· renforcer l'équipement en vidéoprotection dans l'ensemble des communes volontaires, y compris rurales ou de petite taille par une aide financière renforcée et une simplification des procédures.

E. LA PLACE DES ÉLUS LOCAUX DANS LA GESTION DES ÉMEUTES : UNE RELATION À CONFORTER

La mission a jugé indispensable, au regard des témoignages de nombreux maires rencontrés et auditionnés, d'améliorer la place des élus locaux dans la gestion des émeutes.

Pour ce faire, elle propose d'assurer l'information systématique du maire quant aux interventions organisées sur le territoire de la commune, singulièrement celles lourdes ou à effet médiatique fort et de permettre sa présence aux centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité. En complément, la formation des élus locaux à la conduite à tenir face à des jeunes violents doit être encouragée.

F. LA RÉPONSE JUDICIAIRE : UNE MOBILISATION INÉDITE DE L'ENSEMBLE DE LA CHAÎNE PÉNALE EN DÉPIT DU MANQUE D'OUTILS MATÉRIELS ET LÉGISLATIFS ADAPTÉS À CERTAINES ÉVOLUTIONS

Fort de l'analyse de terrain exprimée par les acteurs de la chaîne pénale rencontrés, la mission suggère plusieurs propositions visant à améliorer le traitement judiciaire des émeutiers et mettre ainsi fin au sentiment d'impunité dont peuvent jouir des émeutiers opérant par groupe de plusieurs dizaines de personnes et par le biais de messageries en ligne privées ou de fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux. Elle propose ainsi de :

· renforcer et adapter l'arsenal pénal aux évolutions des comportements et modes opératoires des émeutiers.

Sur ce point, le rapporteur préconise, notamment, de favoriser le développement de travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires au cours d'émeutes et d'adapter le contenu du stage de citoyenneté, défini localement dans le ressort de chaque tribunal, au profil spécifique des émeutiers ;

· adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants.

À cette fin, la mission suggère de permettre le placement sous contrôle judiciaire des mineurs primo délinquants pour les infractions en lien avec la participation à des groupements, de rendre possible leur placement en centre éducatif fermé ou sous placement électronique mobile et enfin, de faciliter le passage en audience unique sur la culpabilité et la sanction de mineurs impliqués dans ce type d'infractions pour accélérer le prononcé de sanctions ;

· perfectionner l'organisation du traitement judiciaire en période d'émeutes urbaines ou de crise, en particulier en équipant l'ensemble des tribunaux de moyens techniques pour visionner et écouter les données numériques et visuelles et en assouplissant le mécanisme de réquisition des agents de greffe pour garantir la mobilisation de l'ensemble de la chaîne pénale, y compris en cas de grèves.

III. L'APRÈS-ÉMEUTES : UNE RECONSTRUCTION RAPIDE ILLUSTRANT NÉANMOINS LES FRAGILITÉS DU MODÈLE ASSURANTIEL DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Si les assureurs, en particulier ceux des collectivités locales, ont été prompts à réagir et ont pris des mesures exceptionnelles pour accompagner les victimes des 16 400 sinistres qui leur ont été déclarés, la gestion de l'après-émeutes a été qualifiée de « cauchemar » par certains maires des communes touchées. La moitié des communes consultées par la mission d'information lui ont signalé des difficultés relationnelles avec leur assureur à la suite de ces violences urbaines, leurs contrats ayant, quelques jours à peine après les émeutes, été unilatéralement modifiés, par le biais de hausses très substantielles de leurs cotisations ou de leur franchise, ou résiliés, souvent avec de très courts délais de réponse exigés.

Ces difficultés illustrent, plus généralement, les fragilités d'un modèle assurantiel des collectivités territoriales à redéfinir, en particulier pour la prise en charge des épisodes émeutiers. Il pourrait notamment être envisagé de renforcer la couverture assurantielle des dommages résultant d'émeutes d'ampleur nationale, notamment en s'inspirant du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

La mission d'information regrette par ailleurs que le choix qui a été fait par le Gouvernement, en juillet 2023, de recourir aux ordonnances pour mettre en place des mesures dérogatoires exceptionnelles, notamment au regard du droit de la commande publique ou du droit de l'urbanisme, afin d'accélérer la reconstruction des bâtiments dégradés pendant les émeutes. L'insertion des mesures directement dans la loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 relative à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 aurait permis d'initier plus rapidement les travaux de reconstruction, plutôt que d'attendre le mois de septembre et la publication des dernières ordonnances. En conséquence, cet outil est apparu peu exploité, moins d'une commune sur cinq interrogée par la mission d'information ayant déclaré avoir fait usage de ces dérogations.

Malgré cela, et grâce au volontarisme des maires concernés, la reconstruction des bâtiments endommagés pendant ces émeutes apparaît bien avancée, les retours des communes interrogées par la mission d'information permettant d'estimer la part des bâtiments publics ayant été remis en état à 80 %.

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

AXE N°1 - LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DES MOYENS
DU RÉTABLISSEMENT ET DU MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC
EN CONTEXTE ÉMEUTIER À DISPOSITION
DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Proposition n° 1 - Établir un schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, incluant une doctrine d'emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales.

Proposition n° 2 - Faciliter le décloisonnement et de dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaines de commandement.

Proposition n° 3 - Garantir l'adéquation de la formation des forces de l'ordre aux contextes émeutiers avant leur déploiement.

Proposition n° 4 - Se doter des moyens matériels et des équipements permettant de faire face à des contextes émeutiers longs et protéiformes.

Proposition n° 5 - Assurer la sécurisation des bâtiments utilisés par les forces de l'ordre et des armureries pour se prémunir de toute prise d'assaut.

Proposition n° 6 - Consolider et amplifier l'activité des services de renseignement dans le suivi et la connaissance des « quartiers sensibles » et des phénomènes de violences urbaines.

Proposition n° 7 - En période d'émeutes, assurer l'analyse rapide et systématique des profils et des motivations des émeutiers afin d'adapter les stratégies de maintien de l'ordre.

Proposition n° 8 - Améliorer le suivi et la connaissance transdisciplinaire des phénomènes émeutiers en France.

AXE N°2 - UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU À ENDIGUER : L'UTILISATION DÉTOURNÉE DES MORTIERS D'ARTIFICE

Proposition n° 9 - Au plan national, entraver administrativement et pénalement l'utilisation détournée des mortiers d'artifice.

Proposition n° 10 - Au plan européen, éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers d'artifices non-conformes à la réglementation européenne.

AXE N°3 - LA NÉCESSITÉ D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE
DE L'USAGE PROTÉIFORME ET DÉTERMINANT DES RÉSEAUX SOCIAUX DANS LE MODE OPÉRATOIRE DES ÉMEUTIERS

Proposition n° 11 - Réunir de façon régulière le groupe de contact permanent entre les représentants des réseaux sociaux et l'État pour mieux anticiper la coordination des acteurs en périodes de crise.

Proposition n° 12 - Lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi du 3 avril 1955, permettre aux préfets de solliciter, pour une durée limitée, la désactivation de certaines fonctionnalités des applications de réseaux sociaux (géolocalisation, lives) - indépendantes de l'échange de communications écrites ou orales - en contexte émeutier.

Proposition n° 13 - Au cours des émeutes, faciliter l'identification par les réseaux sociaux et les supports numériques des auteurs d'actes violents ou de dégradations.

Proposition n° 14 - Faciliter et renforcer les poursuites contre les délinquants mobilisant les supports numériques pour participer à des émeutes urbaines.

AXE N°4 - LE RÔLE DES POLICES MUNICIPALES EN CAS D'ÉMEUTES : UN COMPLÉMENT QUI NE DOIT PAS S'APPARENTER À UN SUBSTITUT

Proposition n° 15 - Faciliter l'emploi des polices municipales, dans le cadre de leurs prérogatives, lors des périodes d'émeutes en coordination avec les forces de sécurité intérieure.

Proposition n° 16 - Aligner les prérogatives de police judiciaire de la police municipale sur celles conférées aux gardes-champêtres.

Proposition n° 17 - En période d'émeutes, confier aux policiers municipaux, sous l'autorité directe du procureur de la République et après accord du maire et formations adéquates, des prérogatives de saisie de biens dangereux (mortiers d'artifices, armes par destination).

Proposition n° 18 - Instituer une doctrine pour l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres.

Proposition n° 19 - Faciliter le déploiement de la vidéoprotection au sein des communes, y compris rurales ou de petite taille.

AXE N°5 - L PLACE DES ÉLUS LOCAUX DANS LA GESTION
DES ÉMEUTES : UNE RELATION À CONFORTER

Proposition n° 20 - Assurer l'information systématique du maire quant aux interventions organisées sur le territoire de la commune, singulièrement celles lourdes ou à effet médiatique fort et permettre sa présence, en qualité d'officier de police judiciaire (OPJ), aux centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité.

Proposition n° 21 - Faciliter la formation des élus locaux à la conduite à tenir face à des jeunes violents.

AXE N°6 - LA RÉPONSE JUDICIAIRE : UNE MOBILISATION INÉDITE DE L'ENSEMBLE DE LA CHAINE PÉNALE EN DÉPIT DU MANQUE D'OUTILS MATÉRIELS ET LÉGISLATIFS ADAPTÉS
À CERTAINES ÉVOLUTIONS

Proposition n° 22 - Renforcer et adapter l'arsenal pénal aux nouveaux comportements émeutiers.

Proposition n° 23 - Sur le modèle des dispositions votées par le Sénat en janvier 2024 dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants.

Proposition n° 24 - Assurer un traitement judiciaire des violences urbaines efficace en contexte de crise ou d'émeutes.

AXE N°7 - L'APRÈS-ÉMEUTES : UNE RECONSTRUCTION RAPIDE
MALGRÉ DES OUTILS INEXPLOITÉS ET DES MODIFICATIONS UNILATÉRALES ET PRÉOCCUPANTES DES CONTRATS D'ASSURANCE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Proposition n° 25 - Renforcer la couverture assurantielle des dommages résultant d'émeutes d'ampleur nationale, notamment en s'inspirant du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles issu de la loi du 13 juillet 1982 n° 82 600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.

LES CHIFFRES CLEFS DES ÉMEUTES DE L'ÉTÉ 2023

· 672 communes concernées, situées dans 95 départements :

o 300 communes réparties sur 65 départements ont connu des tirs de mortiers d'artifice 

o 53 % des communes dans lesquelles au moins un incident en lien avec les émeutes a été répertorié comptent moins de 20 000 habitants

· 50 000 émeutiers estimés 

· 45 000 membres des forces de l'ordre mobilisés 

· 4 282 personnes placées en garde à vue du 27 juin au 10 juillet 2023 

· 2 personnes décédées et plus de 1 000 blessés, dont 782 parmi les agents des forces de l'ordre et 3 parmi les sapeurs-pompiers 

· Près de 2 000 atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique 

· 684 faits de violences à l'encontre des élus et personnes chargées de mission de service public recensés 

· 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, dont :

o 273 bâtiments des forces de l'ordre

o 105 mairies

o 243 établissements scolaires 

· 12 031 véhicules incendiés 

· Plus d'un millier de commerces vandalisés ou pillés, dont 436 débits de tabac et 370 agences bancaires

· Au total, près d'1 milliard d'euros de dommages aux biens :

o 793 millions d'euros comptabilisés par les assureurs pour l'indemnisation de 16 400 sinistres

o 27 % du montant de ces dommages est supporté par les collectivités territoriales

o l'Île-de-France, première région touchée avec 38,9 % des sinistres déclarés et 42,5 % du coût total 

AVANT-PROPOS

Du 27 juin au 7 juillet 2023, notre pays a connu un déferlement de violences qui, de l'avis de nombreux acteurs ou observateurs, était inédit par son ampleur et son intensité.

Cette situation, qualifiée d'émeutes mais aussi parfois de révoltes, a trouvé son origine immédiate dans la diffusion par les réseaux sociaux d'images d'une interpellation ayant conduit à la mort d'un mineur poursuivi par un équipage de la police nationale lors d'un contrôle routier.

À partir de cet évènement, la France a connu des situations quasi insurrectionnelles en de nombreux points du territoire, dont certains n'étaient pourtant pas connus, a priori, pour être le lieu de violences récurrentes.

Ces émeutes n'étaient pas la réplique mimétique de celles, pourtant majeures, que notre pays a connues en 2005. En quelques nuits d'affrontements, elles ont excédé, en violence et en destructions d'équipements publics ou commerciaux, les trois semaines de violences urbaines qui avaient conduits à déclarer en octobre 2005 le régime de l'état d'urgence prévu par la loi du 3 avril1955.

Pourtant, près d'un an après ces évènements, si des stigmates sont encore visibles sur les bâtiments qui ont été les cibles de ces mouvements, l'existence semble avoir repris son cours normal, sans difficulté apparente. Comme si la page était tournée, et que rien ou presque de si grave n'était advenu.

Or, malgré cette apparente résilience, ces émeutes ne sauraient être considérées comme un simple fait divers et, de ce fait, sitôt oubliées.

Par leur violence et leur dissémination sur l'ensemble du territoire national, elles ont mis crûment en lumière que notre pays pouvait, à tout moment, à la suite d'un évènement déclencheur très localisé et ponctuel, voir certaines portions du territoire national s'enflammer, dans une volonté délibérée de mettre à bas les symboles de la République et de l'autorité de ses institutions - nationales comme locales -, mais aussi les lieux de vie ou de loisirs des individus mêmes qui ont délibérément recherché l'affrontement et le chaos.

Elles ont de ce fait suscité une profonde incompréhension de la part de nombreux habitants des communes dans lesquelles elles ont eu lieu, qui en sont les premières victimes, ainsi que des élus locaux et des représentants de l'État, en première ligne face aux agressions et dégradations commises.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

C'est pour trouver des éléments d'explication que la commission des lois a créé, dès le 12 juillet 2023, une mission d'information qui s'est vue dotée de prérogatives de commission d'enquête le 17 octobre 2023. Associant un représentant de chaque groupe politique du Sénat, et conduite par son président, François-Noël Buffet, désigné en qualité de rapporteur, la mission4(*) s'est attachée à dresser le constat de ces évènements : ses protagonistes, leurs motivations et les réponses apportées par les pouvoirs publics, au niveau local comme au niveau national, pour faire face aux violences et aux destructions qu'elles ont engendrées.

Elle a pour ce faire entendu 77 personnes dans le cadre de 27 auditions. Elle s'est déplacée en plusieurs endroits du territoire qui avaient connu ces phénomènes de violence (Vénissieux et Saint-Fons, dans le Rhône ; Laval, en Mayenne ; Évry-Courcouronnes, dans l'Essonne) et a consulté plusieurs dizaines de maires5(*), qui ont comme souvent été confrontés les premiers à ces situations aux côtés des habitants, et ont pour un certain nombre été l'objet direct des violences commises.

Des travaux menés par la mission, il ressort que la mort de Nahel Merzouk a été l'élément déclencheur d'un mouvement qui n'avait, en définitive, que peu à voir avec cet évènement tragique et qui ne portait pas de revendications identifiées.

Plusieurs endroits du territoire étaient, semble-t-il, prêts pour un affrontement avec les forces de l'ordre, comme en témoignent les importants stocks préconstitués de mortiers d'artifice ainsi que la coordination et l'organisation qui ont pu être constatées, localement, dans les cibles et le modus operandi des participants aux actions ultraviolentes de ces premières nuits d'été.

Un certain nombre d'entre eux se sont laissé entraîner dans cette entreprise de chaos par le biais, notamment, des réseaux sociaux. Ces derniers, en diffusant l'information de manière quasi instantanée, ont favorisé les rivalités entre quartiers, mais aussi tout simplement l'envie pour certains individus, dont une partie importante étaient de jeunes majeurs ou mineurs, de prendre une part active à des évènements qui faisaient l'actualité voire, pour des « influenceurs », de gagner une certaine notoriété sur internet grâce à la participation à ces actions violentes. Ces réseaux ont ainsi facilité la diffusion d'appels à détruire les symboles de l'autorité et à aller au contact des forces de sécurité d'abord et, assez rapidement ensuite, d'appels à dégrader les biens publics comme privés dans une logique de prédation.

Une chose semble cependant acquise : ces évènements n'ont pas trouvé leur source dans une volonté d'action politique au niveau national. Ils ne semblent avoir été suscités ni par des groupuscules politiques prônant l'action violente, ni par des entreprises de déstabilisation à caractère national menées contre la République et ses valeurs. Mais, en plusieurs points du territoire, des actions concertées ont bien cherché à prendre le contrôle de l'espace public et à s'opposer à l'action locale des pouvoirs publics. Cela n'est pas moins inquiétant.

Au regard de ces constats, la mission formule 25 propositions pour tirer les leçons d'une réponse opérationnelle des pouvoirs publics qui a été effective mais qui s'est révélée en partie inadaptée à ces émeutes et à leurs enjeux.

Compte tenu du champ de compétences de la commission des lois, ces recommandations se concentrent sur l'organisation et les moyens de l'État, en particulier des forces de l'ordre et de l'institution judiciaire, pour faire face à ce type d'évènements. Elles visent à :

· mieux articuler, former et équiper les forces de l'ordre, au niveau national et municipal, aux contextes d'émeutes ;

· endiguer l'utilisation détournée des mortiers d'artifice comme armes offensives ;

· prendre davantage en compte l'usage protéiforme et déterminant des réseaux sociaux dans les modes opératoires des émeutiers ;

· conforter la relation entre les autorités de l'État et les élus locaux dans la gestion des émeutes ;

· adapter davantage les moyens de la réponse judiciaire à ces situations ;

· faire en sorte que les collectivités locales ne pâtissent pas, à l'avenir, des dégradations survenues au cours de ces évènements par un accroissement insoutenable du coût de leurs contrats d'assurance.

Pour autant, les membres de la mission d'information ont conscience que les évènements de l'été 2023 appellent des réponses de long terme dans d'autres champs de l'action publique. Il en va ainsi, en particulier, de la question du rapport à l'autorité - qu'elle soit incarnée par les parents, les enseignants, les élus locaux ou les forces de l'ordre - ou de la pertinence, dans leur forme actuelle, des politiques publiques de logement ou d'accompagnement en faveur des quartiers prioritaires. La commission des lois invite donc à ce que ses propres travaux puissent être complétés par d'autres études et propositions, afin qu'une réponse globale puisse être apportée à ces accès de violences dont rien ne permet d'affirmer qu'ils ne se reproduiront pas dans un proche avenir.

I. LES ÉMEUTES DE L'ÉTÉ 2023 : UN ÉPISODE DE VIOLENCES URBAINES QUI SE DISTINGUE PAR SON INTENSITÉ ET SON HÉTÉROGÉNÉITÉ

A. DE L'ÉMOTION À L'INSURRECTION : LE DÉROULEMENT SÉQUENCÉ D'UNE VAGUE DE VIOLENCES URBAINES D'UNE AMPLEUR INÉDITE

S'il est loin de constituer un événement homogène - tant sur plan de la nature des faits commis que de son déploiement territorial - l'épisode de violences urbaines de l'été 2023 se caractérise par une soudaineté et une vitesse de propagation tout à fait inédites. Déclenchées par le décès du mineur Nahel Merzouk lors d'un contrôle routier effectué par la police nationale à Nanterre, ces violences se sont rapidement étendues à la quasi-totalité du territoire, selon un séquencement qui peut être décomposé en deux phases distinctes.

Quoique concentrées dans le temps, ces émeutes ont pourtant causé de nombreux blessés et des dégâts matériels considérables.

1. Un événement, deux phases distinctes
a) À l'origine de « l'embrasement » : le décès du jeune Nahel Merzouk

Le 27 juin 2023 en début de matinée, Nahel Merzouk, âgé de dix-sept ans, est décédé lors d'un contrôle routier à Nanterre, mortellement touché au thorax par le tir d'un policier de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), alors que le véhicule dont il était le conducteur redémarrait.

Une vidéo de ce contrôle a rapidement été diffusée sur les réseaux sociaux et authentifiée par plusieurs médias nationaux, suscitant une forte émotion. La diffusion des images de l'intervention policière, abondamment relayées sur les réseaux sociaux et sur les vecteurs de communication de certains groupes ou partis politiques, est considérée, par la plupart des personnes entendues par la mission, y compris le renseignement territorial, comme l'élément déclencheur des émeutes.

En effet, contrairement à la situation qui avait prévalu en 20056(*), la diffusion massive, désintermédiée et quasi instantanée de l'événement filmé a immédiatement suscité une forte indignation. Auditionné par la mission d'information, le docteur en sociologie Marco Oberti relève à cet égard que, si « l'élément déclencheur [...] semble identique : en 2005, la mort de deux très jeunes hommes de 15 et 17 ans, électrocutés à Clichy-sous-Bois en essayant d'échapper à la police ; en 2023, celle de Nahel M., 17 ans, tué d'une balle dans le thorax à Nanterre après une course-poursuite avec la police [il existe] une vraie différence : les réseaux sociaux n'existaient pas en 2005 »7(*).

D'après certains observateurs, l'émotion et la colère générées par la vidéo ont été accentuées par le sentiment que les autorités étatiques auraient eu l'intention de dissimuler les faits. Lors de son audition, le chercheur en science politique Fabien Jobard8(*) a indiqué avoir « identifié quatre éléments déclencheurs des émeutes : le tir, la vidéo du tir, l'interprétation du son de cette vidéo - avec l'idée qui se répand selon laquelle le policier aurait proféré des menaces avant de tirer et le tir n'aurait donc été ni nécessaire ni conforme au droit - et la communication policière qui a suivi ». Sur ce dernier point, le fait qu'un syndicat de police ait communiqué en premier sur le tir, en « indiquant qu'un jeune avait tenté de rouler sur un policier et avait été tué », et non les représentants de l'institution, aurait alimenté le sentiment d'une institution policière prête à couvrir ce qui était perçu comme un abus.

De fait, le jour même du décès de Nahel Merzouk, dans la soirée du 27 juin 2023, les premières séquences de violences urbaines, d'abord concentrées en banlieue parisienne, se déclenchent.

b) La première phase : un « temps émotionnel »

L'épisode de violences urbaines survenues entre le 27 juin et le 7 juillet 2023 se décompose en réalité en deux phases bien distinctes. Tant les publications académiques que les premières études institutionnelles et les indications fournies à la mission d'information au cours de ses travaux font en effet apparaître deux séquences, au cours desquelles la nature des infractions commises, les motivations des émeutiers et le déploiement territorial diffèrent substantiellement.

Dans un premier « temps émotionnel »9(*), directement lié à la mort du jeune Nahel Merzouk, la dimension politique des violences urbaines qui surgissent est davantage affirmée : ayant pour « épicentre » Nanterre, elles constituent l'expression intense d'une colère et sont principalement dirigées contre les forces de sécurité intérieure ainsi que les autorités et les biens publics. Cette phase s'étend du 27 juin au 30 juin 2023.

Sur le plan territorial, ces premiers faits de violence se concentrent sur l'Île-de-France. D'après les données fournies par l'inspection générale de l'administration (IGA) et l'inspection générale de la justice (IGJ) dans leur rapport conjoint10(*), seuls 16 départements sont touchés la première nuit (du 27 au 28 juin). Les départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) sont particulièrement affectés. Les communes altoséquanaises sont d'abord surreprésentées, avant que le mouvement ne se diffuse plus largement à l'ensemble des départements d'Île-de-France, dès la nuit du 28 au 29 juin 2023.

Source : Marco Oberti et Maela Guillaume Le Gall11(*)

Du point de vue de la nature des violences et des actions commises, cette phase est comparable aux épisodes de violences urbaines que la France a connus par le passé. En effet, comme le montre la carte reproduite ci-dessus, une part prépondérante des communes ayant connu des violences dès les premières nuits avaient déjà été le théâtre des émeutes en 2005. Ces faits concernent ainsi des quartiers ayant une « mémoire »12(*) des émeutes, et s'inscrivent dans une certaine « continuité » vis-à-vis des violences urbaines observées auparavant.

Aussi, ce « temps émotionnel » se caractérise « par un nombre important d'atteintes à l'autorité publique, aux biens publics et aux forces de l'ordre, majoritairement constatées au cours des premières nuits »13(*) et par une logique d'affrontement avec les forces de sécurité intérieure. Apparaissent ainsi, dès la soirée du 27 juin, des tirs d'engins pyrotechniques et de projectiles dirigés contre les policiers ainsi que des incendies de mobiliers urbains, de véhicules ainsi que de bâtiments et d'équipements publics. Le modus operandi dominant de ces premières nuits d'émeutes s'est donc caractérisé par des « affrontements contre l'autorité, dirigés contre les symboles de l'État »14(*).

c) Le second temps : un climat insurrectionnel
(1) Une « fenêtre d'opportunité »

À compter du 30 juin et du 1er juillet 2023, s'opère un « basculement ». L'expression d'une colère en lien avec le décès de Nahel Merzouk, jusqu'ici circonscrite aux banlieues des grandes métropoles, laisse alors place à une extension des violences au reste du territoire national et à une vague de pillages sans précédent.

Cette phase « insurrectionnelle » est marquée par une expansion territoriale fulgurante des violences urbaines, qui ont in fine frappé 672 communes15(*) réparties sur 95 départements sur la période du 27 juin au 7 juillet 2023.

Cartographie des violences urbaines constatées du 27 juin au 7 juillet 2023 (nombre d'infractions pour 10 000 habitants)

Source : IGA/IGJ à partir des données du SSMSI et l'INSEE

De façon tout à fait inédite, cet épisode de violences s'est propagé à des secteurs périurbains, des petites villes et villes moyennes, et même des communes rurales. Alors que la plupart de ces communes n'avaient jamais été sujettes à de telles violences, les petites villes et les villes moyennes représentent plus du tiers de l'ensemble des villes émeutières (36 %), soit un poids supérieur aux communes de la banlieue parisienne (24 %)16(*).

Parmi la cinquantaine de communes consultées, interrogées ou visitées par la mission d'information, plus de 40 % ont indiqué que les lieux dans lesquels sont intervenus les évènements de l'été 2023 n'étaient pas connus pour être fréquemment touchés par un nombre important d'atteintes aux biens et aux personnes.

Au cours de cette seconde phase des émeutes, « les vols aggravés et les atteintes aux biens sont [...] devenus extraordinairement dominants »17(*), si bien que les vols aggravés constituent, sur l'ensemble de la période, plus de la moitié des infractions constatées. Ces vols avec effraction ont été constatés à compter de la nuit du 29 au 30 juin 2023.

Consultée par la mission d'information, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) considère « la propagation des destructions et pillages dans et aux abords des cités aux centres villes et vers les plus petites villes » comme l'un des éléments les plus marquants de cet épisode de violences urbaines.

Les services du renseignement territorial estiment que cette séquence de pillages peut elle-même se décomposer en deux phases distinctes. Dans un premier temps, ces pillages étaient cantonnés aux quartiers sensibles et s'inscrivaient dans une logique d'opportunité puisqu'ils concernaient essentiellement des commerces de proximité. Un second temps fait apparaître un niveau d'organisation plus poussé, donnant lieu à des pillages conduits par des groupes de dizaines voire de centaines d'individus et ciblant des commerces proposant des produits à plus haute valeur commerciale.

La prédominance de comportements opportunistes symbolisés par les pillages s'entend d'un point de vue individuel mais s'inscrit également dans une perspective collective et socio-territoriale. D'une part, des individus plus ou moins organisés ont profité des émeutes et du climat de chaos pour participer à des saccages et des pillages18(*). Mais, d'autre part, certains analystes jugent que le déclenchement des émeutes dans les grandes agglomérations a constitué une « fenêtre d'opportunité »19(*) pour les habitants de nombreux quartiers marginalisés du territoire métropolitain en vue de participer à un mouvement collectif des « quartiers » et accéder à des biens de consommation à forte valeur symbolique.

Le cas de Marseille apparaît symptomatique de la tendance « opportuniste » qui a caractérisé la seconde phase des émeutes. Alors que la ville n'avait pas connu d'événements majeurs en 2005, d'intenses pillages ont été commis à compter du 29 juin 2023. Entendue par la mission d'information en tant que représentante de l'association « Ville & Banlieue », l'adjointe au maire de Marseille Audrey Gatian a confirmé que les émeutiers avaient presque exclusivement ciblé des commerces du centre-ville, épargnant largement les bâtiments publics.

(2) Une décrue aussi soudaine que l'embrasement

Les observateurs et les services de l'État consultés par la mission ont unanimement souligné la fulgurance de l'épisode de violences urbaines survenu à l'été 2023. Lors de son audition, Bruno Domingo, chercheur en science politique, a ainsi considéré que, « ce qui est nouveau en 2023, c'est d'abord la rapidité de la contagion de ces émeutes et la rapidité de leur fin, puisqu'elles ont duré finalement assez peu de temps »20(*). Ainsi l'embrasement a-t-il été aussi soudain que la décrue.

Le nombre d'interpellations comme indicateur de l'intensité
des violences et de leur évolution

La première nuit de violences, du 27 au 28 juin 2023, a donné lieu à 16 interpellations dans le périmètre d'intervention de la direction générale de la police nationale (DGPN) et 41 interpellations dans celui de la Préfecture de police (PP).

Le « pic » est atteint sur la période du 30 juin au 1er juillet, avec 752 et 422 interpellations, respectivement dans le périmètre de la DGPN et de la PP.

Dès le 3 à 4 juillet, ces chiffres tombent, respectivement, à 42 et 28 interpellations.

Source : Etat-major DGPN - Etat-major DSPAP1621(*)

Parmi les causes possibles de cette décrue soudaine, les représentants de la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), entendus par la mission d'information, soulignent l'effet de dissuasion résultant de la fermeté et la rapidité de la réponse judiciaire. En outre, l'efficacité de la stratégie de maintien de l'ordre, certaines initiatives des pouvoirs publics, tels que l'arrêt des transports en commun en soirée ou encore la systématisation des contrôles d'identité en centre-ville, ont contribué à accélérer la fin des violences urbaines.

Des facteurs plus exogènes pourraient également expliquer cette dynamique, mais doivent être considérés avec prudence. Selon Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice, sont susceptibles d'y avoir contribué, « le manque de munitions après quelques jours, la lassitude, la perspective du départ en vacances pour certaines familles, le rôle des familles également ou de réseaux délinquants plus structurés - mais [ces facteurs] font l'objet d'appréciations plus contrastées »22(*).

De manière générale, l'intensité et l'immédiateté des réactions et de l'expansion des violences ont eu pour corollaire un épuisement accéléré du mouvement.

2. Un déferlement de violences ayant entrainé des pertes humaines et de lourds dégâts matériels, mais n'ayant pas eu de répercussions macroéconomiques majeures
a) Un dramatique bilan humain : deux vies humaines perdues et un nombre de blessés dépassant le millier de personnes

Corollaire malheureusement fréquent des poussées de violence, de nombreux blessés ont été recensés, aussi bien du côté des forces de l'ordre que des émeutiers ou même de la population générale. À ces blessés s'ajoutent deux décès directement liés aux émeutes, l'un à Cayenne, l'autre à Marseille.

(1) Deux décès directement liés aux émeutes

Outre le décès de Nahel Merzouk, élément déclencheur des émeutes, celles-ci sont à l'origine directe du décès de deux autres personnes.

La première victime est un homme alors âgé de 54 ans, touché dans la nuit du 29 au 30 juin 2023 au thorax par une balle perdue alors qu'il se trouvait sur le balcon de son immeuble à Cayenne. Une enquête pour homicide volontaire a été ouverte, le parquet privilégiant à ce stade un tir en provenance des émeutiers et à destination des forces de l'ordre.

Le second décès a eu lieu à Marseille, dans la nuit du 1er au 2 juillet 2023. Il s'agit d'un homme de 27 ans, victime d'un arrêt cardiaque vraisemblablement provoqué par un tir de lanceur de balles de défense (LBD). Une enquête a également été ouverte et l'inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie.

Deux autres décès ont été recensés, sans toutefois que le lien direct avec les émeutes ne soit prouvé : un sapeur-pompier est décédé en intervenant sur un incendie de véhicule dans un parking souterrain en Seine-Saint-Denis dans la nuit du 2 au 3 juillet 2023, tandis qu'un homme de 19 ans est mort après avoir chuté du toit d'un commerce à Petit-Quevilly (Seine-Maritime) dans la nuit du 29 au 30 juin 2023.

(2) Au moins mille blessés parmi les forces de l'ordre et les émeutiers

Le nombre de blessés parmi les forces de l'ordre constitue une donnée de départ pour appréhender la violence des affrontements et ainsi de déterminer une estimation approximative du nombre agrégé de blessés liés aux émeutes.

D'après les données transmises au rapporteur par la direction générale de la police nationale (DGPN) et par la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), 782 agents ont été blessés au cours des opérations de maintien de l'ordre liées aux émeutes. Plus précisément, il s'agit de 674 policiers, dont 288 pour la seule nuit du 29 au 30 juillet 2023, et de 108 gendarmes. Ce chiffre global correspond à l'estimation de « 800 gendarmes et policiers blessés » faite par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, lors de son audition par la commission des lois le 5 juillet 202323(*). Le pronostic vital d'aucun de ces blessés n'a été engagé.

Bien qu'ils n'aient pas été missionnés pour du maintien de l'ordre, les sapeurs-pompiers ont également été victimes de ces violences, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) ayant indiqué au rapporteur que trois d'entre eux ont été blessés lors d'interventions liées à ces émeutes24(*), notamment car certains émeutiers les ont pris à partie au même titre que les membres des forces de l'ordre.

Le chiffrage des blessés parmi les émeutiers est quant à lui plus difficile à établir avec précision.

En effet, d'une part, les émeutiers ont pu ne pas souhaiter se déclarer comme tels lorsque les blessures étaient mineures ou lorsqu'ils se sont rendus d'eux-mêmes aux urgences. D'autre part, les blessures subies par les émeutiers ne sont pas nécessairement liées aux affrontements avec les forces de l'ordre mais peuvent également résulter d'accidents entraînés par des situations de mise en danger volontaire, à l'image du décès intervenu à Petit-Quevilly, voire de heurts entre émeutiers eux-mêmes.

En tout état de cause, dans cette tentative d'estimation, il convient de prendre en compte les 40 enquêtes judiciaires dont a été saisie l'inspection générale de la police nationale (IGPN), qui font suite à des cas de blessures graves présumément engendrées par les forces de l'ordre. L'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) n'a, quant à elle, été saisie d'aucune enquête en lien avec ces émeutes.

En outre, plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information lui ont fait part de cas de blessures parmi les émeutiers ou la population générale. Le maire de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), Serge de Carli, a cité le cas du « jeune Aimène Bahouh [qui] a été touché par un tir de flash-ball. Il est resté un mois dans le coma, manquant de perdre la vie. Il a été opéré à plusieurs reprises, s'en est sorti, mais reste handicapé. Ce jeune de 25 ans n'était pas un émeutier, il rentrait de son travail, situé au Luxembourg ». Des blessés graves ont également été recensés par la presse locale, notamment des jeunes hommes ayant perdu l'usage d'un de leurs yeux à Montreuil, à Saint-Denis, à Nanterre, à Marseille ou encore à Angers.

À partir de ces données, une estimation prudente permet ainsi d'affirmer que le nombre total de blessés en lien avec cet épisode émeutier dépasse le millier de personnes, blessés légers inclus.

b) Près d'un milliard d'euros de dommages aux biens

Selon Sebastian Roché, docteur en science politique auditionné par la commission le 16 janvier 2024, l'une des caractéristiques d'une émeute repose sur « la concentration suffisante, dans le temps et l'espace, de destructions et de dégradations. Ainsi, les émeutes, comme les marées, sont des phénomènes de type continu, les destructions et les dégradations étant permanentes ».

La métaphore de la marée, voire même du raz-de-marée, s'applique indubitablement aux émeutes de l'été 2023, tant les dommages aux biens ont atteint en quelques nuits un niveau inédit par rapport aux précédents épisodes de violences.

D'après un premier bilan provisoire rendu public par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, lors de son audition par la commission le 5 juillet 2023, « durant la période [du 27 juin au 5 juillet 2023], nous avons compté 23 878 feux de voie publique, de poubelles en particulier, 12 031 véhicules incendiés, 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, dont 273 bâtiments appartenant aux forces de l'ordre, 105 mairies incendiées ou dégradées, 168 écoles attaquées ». Le ministre de l'éducation nationale, alors Pap Ndiaye, a quant à lui comptabilisé, au 4 juillet 2023, 243 écoles ou établissements scolaires dégradés, « dont une dizaine qui devront être partiellement ou complètement reconstruits »25(*).

Bien que la mission d'information ne dispose pas d'un chiffrage agrégé actualisé de l'ensemble des bâtiments dégradés, les éléments qui lui ont été transmis confirment la grande vraisemblance de ces chiffres provisoires et, plus largement, l'ampleur des dégâts matériels.

En effet, la totalité des cinquante communes que la mission d'information a consultées, auditionnées ou visitées ont fait état de dégradations sur des bâtiments ou sur du mobilier urbain situés sur leur territoire. Si la moitié de ces communes ont indiqué avoir recensé entre 2 et 5 dégradations bâtiments dégradés, 40 % d'entre elles ont subi des dégradations sur plus de 5 bâtiments. Une des communes interrogées, en l'occurrence la ville de Marseille, a même fait état d'un nombre de bâtiments dégradés supérieur à 100.

Pour 94 % de ces communes, des bâtiments publics figurent parmi les bâtiments ayant fait l'objet de dégradations, la volonté de s'attaquer aux symboles républicains se superposant à une logique de pillage s'illustrant par le vandalisme de nombreux commerces. Outre les commerces (voir infra), les bâtiments qui apparaissent les plus ciblés sont, en premier lieu, les mairies et mairies annexes, puis les bâtiments des forces de l'ordre (commissariats, casernes de gendarmerie), les centres culturels, les écoles et, enfin, les bibliothèques. Ont été également recensées dans ces communes des dégradations sur des centres des finances publiques, des théâtres, des infrastructures sportives, des centres sociaux, des crèches ou encore des tribunaux et des maisons de la justice et du droit.

Ces chiffres sont étayés par les données compilées par France Assureurs, et transmises à la mission d'information.

Les assureurs avaient comptabilisé, au 29 novembre 2023, 16 400 sinistres liés aux émeutes de l'été 2023. Il s'agit d'un chiffrage revu à la hausse par rapport à une estimation de 15 600 sinistres communiquée en septembre 2023.

Parmi ces sinistres, 46 % sont des dommages aux véhicules, 41 % des dommages aux biens des professionnels, 9 % des dommages aux biens des particuliers et 4 % des dommages aux biens des collectivités territoriales26(*).

Source : Commission des lois, d'après les données transmises par France Assureurs

Cette répartition des sinistres démontre la spécificité des émeutes de 2023, qui s'illustrent par une diminution de la proportion des dommages aux véhicules, les commerces et les bâtiments publics ayant été davantage ciblés. Ainsi, la part des dommages aux véhicules dans le total des sinistres recensés par les assureurs est passée de 80 % lors des émeutes de 2005, à 49 % lors de l'épisode des gilets jaunes, pour atteindre 46 % en 2023.

Il convient cependant de noter que France Assurances a fait part à la mission d'information de 7 150 sinistres automobiles, soit un chiffre nettement inférieur au décompte effectué par le ministère de l'intérieur (12 031 véhicules incendiés, cf. supra). Ce différentiel peut s'expliquer, d'une part, par l'absence de déclaration de sinistre de la part d'une partie des victimes, notamment les propriétaires de véhicules anciens, et, d'autre part, par un nombre élevé de véhicules appartenant à des entités publiques parmi les véhicules incendiés, qui ne sont pas nécessairement assurés. À titre d'exemple, selon la DGGN, 106 véhicules de gendarmerie ont été dégradés lors de ces émeutes, tandis que, selon la DGPN, la police nationale a subi des dommages aux véhicules à hauteur d'un million d'euros.

Répartition et coût des sinistres déclarés aux assureurs, au 28 août 2023

Source : Contribution écrite de France Assureurs

Ces dégradations, massives, représentent inévitablement des coûts considérables, aussi bien pour les assureurs et les victimes privées que pour les collectivités territoriales et l'État.

Selon la dernière estimation France Assureurs, datée du 27 mars 202427(*), les émeutes ont représenté un coût total de 793 millions d'euros pour les assureurs, en hausse par rapport à la précédente estimation, s'élevant à 760 millions d'euros en novembre 2023. Il s'agit d'un montant quatre fois supérieur à celui des émeutes de 2005, qui avait atteint 204 millions d'euros pour les assureurs, et plus de trois fois plus élevé que celui des dégradations issues du mouvement des gilets jaunes, qui s'était établi à 230 millions d'euros.

Si les dommages aux biens des collectivités territoriales sont, en proportion, relativement peu nombreux dans le total des sinistres, l'analyse de la répartition des coûts liés à ces sinistres démontre néanmoins l'intensité des violences ciblées contre les bâtiments publics locaux, qui nécessitent ou ont nécessité de lourdes réparations.

Ainsi, selon les données provisoires arrêtées au 28 août 2023, 27 % du coût total des sinistres déclarés aux assureurs sont issus des dommages aux biens des collectivités territoriales, soit près de 200 millions d'euros. Le coût supporté par les assureurs pour prendre en charge les dommages aux biens des collectivités territoriales correspond donc à lui seul au coût total des émeutes de 2005.

Les dommages aux biens des professionnels représentent quant à eux 65% du coût total supporté par les assureurs, les dommages aux véhicules, 6 %, et les dommages aux biens des particuliers, 2 %.

Source : Commission des lois, d'après les données transmises par France Assureurs

Les dommages pris en charge par les assureurs, pourtant déjà particulièrement élevés, ne permettent cependant pas d'appréhender la totalité des dégâts matériels engendrés par les émeutes. En effet, comme l'illustre la différence entre le décompte du ministère de l'intérieur et celui de France Assureurs sur les véhicules endommagés, tous les sinistres n'ont pas nécessairement été déclarés aux assureurs, lesquels n'ont pas toujours pris en charge la totalité des coûts occasionnés par le sinistre. En outre, ceux-ci ont refusé de prendre en charge certains sinistres28(*). Enfin, tous les biens publics ne sont pas assurés, l'auto-assurance étant fréquente dans le secteur public, notamment pour l'État.

Le coût de 793 millions d'euros ne peut donc être considéré comme exhaustif.

La plupart des communes consultées, auditionnées ou visitées par la mission d'information ont ainsi fait part de coûts importants restant à la charge de la commune, y compris après indemnisation par les assurances. Sur les 31 communes lui ayant communiqué le montant que représente, pour elles, le coût de la réparation des bâtiments et équipements publics dégradés pendant les émeutes, 17, soit plus de la moitié, ont estimé que ce coût était supérieur à 500 000 euros. Pour huit d'entre elles, le coût engagé pour la reconstruction dépasse même les 5 millions d'euros. Les résultats de cet échantillon sont confirmés par les nombreuses déclarations de maires, notamment dans la presse, faisant état de difficultés pour financer la reconstruction des bâtiments et des équipements publics communaux. Ainsi, lors de son audition par la commission des lois le 20 décembre 2023, Serge de Carli, maire de Mont-Saint-Martin, a déclaré que pour prendre en charge une partie des « 3 millions d'euros de dégâts » qu'a subis sa commune, celle-ci a dû « engager [son] budget propre ».

Le coût pour l'État, bien que non chiffré et sans même tenir compte de l'enveloppe de 100 millions d'euros dédiée aux communes pour le financement de la reconstruction, semble également significatif. Pour la seule police nationale, les émeutes ont entraîné un préjudice de 30 millions d'euros, dont 10 millions d'euros pour les travaux de réparation des commissariats dégradés, un million d'euros pour la réparation ou le renouvellement des véhicules endommagés, et 19 millions d'euros pour la reconstitution des stocks de munitions et divers matériels nécessaires aux opérations de maintien de l'ordre29(*). Pour le ministère de la justice, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, a annoncé dans la presse30(*) que le coût de reconstruction des bâtiments relevant de son ministère s'élevait à 5 millions d'euros.

En définitive, tous ces éléments conduisent à estimer le coût des dégâts matériels engendrés par les émeutes autour d'un ordre de grandeur, colossal, avoisinant le milliard d'euros. Cette estimation correspond par ailleurs à celle du Gouvernement, la secrétaire d'État en charge de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache31(*), ayant évoqué « un milliard de dégâts estimés ». Cette estimation ne tient cependant pas compte du manque à gagner économique, notamment pour les commerces vandalisés lors de ces émeutes.

c) Au moins un millier de commerces durement touchés mais une absence de conséquences majeures sur l'économie nationale

La sidération causée par l'ampleur des dommages matériels a fait craindre, pendant les émeutes et lors des premiers jours qui ont suivi, une déstabilisation de plusieurs pans majeurs de l'économie nationale, notamment le secteur du commerce de détail, celui de l'hôtellerie-restauration, du tourisme et de l'évènementiel, ou encore celui des assurances.

Dans un entretien publié dans Le Parisien le 3 juillet 202332(*), le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), alors Geoffroy Roux de Bézieux, a ainsi évalué le coût des émeutes pour les entreprises à un milliard d'euros, « sans compter les dégâts au niveau du tourisme ». Outre les coûts assurantiels et les indemnités de chômage partiel à verser aux salariés ne pouvant plus effectuer leurs tâches dans l'attente de la réouverture de leur entreprise, ce coût d'un milliard d'euros reposait notamment sur une estimation de 500 à 700 millions d'euros de pertes d'exploitation. Cette estimation était à la fois basée sur le nombre de commerces pillés voire détruits et sur le postulat que les émeutes entraîneraient une baisse de la consommation de la population et des touristes, d'autant plus problématique que les émeutes sont survenues lors du premier week-end des soldes estivales. À moyen terme, le Medef a ainsi craint que « cette situation se tradui[se] aussi par une dégradation de l'image de la France qu'il faudra redresser. Au-delà des annulations déjà enregistrées dans le secteur du tourisme, des investisseurs pourraient renoncer à des projets si le calme n'est pas restauré et la sécurité assurée »33(*).

Le nombre de commerces dégradés ou pillés est en effet significatif, bien que les données agrégées soient encore incertaines, les décomptes effectués localement ou par les fédérations professionnelles laissant entrevoir un bilan plus lourd que celui qui a été communiqué par le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Les ministres Bruno Le Maire et Olivia Grégoire ont ainsi annoncé, lors des questions d'actualité au Gouvernement à l'Assemblée nationale, le 4 juillet 2023, et au Sénat, le lendemain34(*), que « plus de mille commerces ont été saccagés, pillés et, pour certains, incendiés ». Dans le détail, le ministère a recensé le pillage ou la dégradation de 436 débits de tabac, 370 agences bancaires, une douzaine de commerces de bricolage, approximativement 200 commerces alimentaires (incluant les supermarchés) et autant de commerces d'habillement, dont une soixantaine spécialisés dans les articles de sport.

Il semblerait néanmoins que ces chiffres ne soient pas exhaustifs. Alors que près de 700 communes ont été touchées par les émeutes, le président de la chambre de commerce et d'industrie d'Aix-Marseille Provence, Jean-Luc Chauvin, a ainsi estimé que, sur la seule ville de Marseille, « quasiment 400 commerces » avaient été vandalisés35(*). De même, pour la seule commune de Montargis (Loiret), le procureur de la République, Jean-Cédric Gaux, a comptabilisé une cinquantaine de commerces dont la vitrine a été cassée, dont trois ont été pillés36(*). À Saint-Fons (Rhône), 22 commerces ont été vandalisés37(*). Outre ces décomptes locaux, le recensement des fédérations spécialisées illustre également que le chiffre de mille commerces touchés paraît largement sous-estimé. À titre d'exemple, le Rassemblement des opticiens de France (ROF) a dénombré 118 commerces d'optique vandalisés au cours des émeutes38(*), pourtant non cités expressément parmi les chiffres communiqués ci-dessus.

Malgré le préjudice financier et moral indéniable pour tous ces commerces, les émeutes n'ont cependant pas eu d'incidence majeure sur l'économie française - outre le coût direct de la reconstruction -, les premières craintes semblant, fort heureusement, ne pas s'être réalisées.

D'après les éléments transmis au rapporteur par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), « que ce soit en 2005 ou 2023, les travaux sur la conjoncture économique réalisés par l'Insee ne font pas état d'un impact macroéconomique des émeutes. Selon toute vraisemblance, un tel impact est limité à l'échelle de l'économie nationale ».

Le secteur du tourisme, bien qu'ayant enregistré des annulations de réservations au cours des évènements, ne semble pas non plus avoir été affecté outre-mesure. Aussi bien l'Insee que la ministre chargée du tourisme, Olivia Grégoire, et l'Union des métiers des industries de l'hôtellerie (Umih) ont fait part de chiffres rassurants, malgré les fortes inquiétudes initiales.

Ainsi, dès le 3 juillet 2023, l'Umih déclara que malgré « un net ralentissement » pendant quelques jours, « la situation semble se stabiliser et devient plus rassurante pour nos professionnels. La saison estivale s'annonce, à nouveau, sous de meilleurs auspices »39(*). Dans un communiqué de presse en date du 6 juillet 2023, la ministre Olivia Grégoire a confirmé cette impression de retour à la normale en indiquant que « la France ne connait actuellement aucune vague d'annulation ou de modification de séjours, [ni] de baisse massive de taux de fréquentation ». Les réservations sont reparties à la hausse dès le 3 juillet 2023 et apparaissaient en augmentation par rapport au mois de juillet 2022. L'Insee a, quant à elle, informé le rapporteur qu'en « ce qui concerne le tourisme, les publications conjoncturelles de l'Île-de-France pour les deuxième et troisième trimestres [2023] ne font pas état d'effet des émeutes. S'il y a eu un impact, il est resté limité, au moins à court terme ».

B. LES ÉMEUTIERS : UN PROFIL SOCIO-DÉMOGRAPHIQUE À PEINE ESQUISSÉ, DES MOTIVATIONS DIFFICILES À APPRÉHENDER

1. Le nombre et le profil-type des émeutiers : un portrait inachevé
a) Un premier profil-type issu des travaux des inspections, arrêté au 31 juillet 2023

Dans leur rapport conjoint publié en septembre 2023, l'IGA et l'IGJ40(*) fournissent, à partir des données alors disponibles et en se fondant sur les seules condamnations définitives prononcées au 31 juillet 2023, une première esquisse du profil-type des émeutiers.

Sur le plan socio-démographique, l'émeutier serait ainsi « un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfant, hébergé souvent par ses parents, ayant un diplôme de niveau secondaire, maximum baccalauréat, plutôt en activité »41(*).

Dans le détail, 91 % des émeutiers définitivement condamnés sont des hommes, 71 % sont de nationalité française42(*), 87 % sont célibataires et sans enfant à charge, 61 % ont un emploi, une activité professionnelle ou suivent une formation (donc 39 % sont au chômage ou sans activité).

(1) La jeunesse des émeutiers condamnés jusqu'au 31 juillet 2023

Auditionné le 5 juillet 2023, le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin avait indiqué que, parmi les 3 500 personnes interpellées à cette date, la « moyenne d'âge se situ[ait] [...] entre 17 et 18 ans », les mineurs représentant un tiers d'entre elles. Sans être en mesure de fournir un comparatif détaillé à la mission d'information, le ministre a affirmé que les émeutiers de 2005 étaient « bien plus âgés que les interpellés » de l'été de 2023.

L'étude de l'IGA et l'IGJ confirme la jeunesse des émeutiers. En effet, au sein de l'échantillon considéré, près de trois-quarts des individus majeurs condamnés ont moins de 25 ans43(*), alors même que les 18-24 ans ne représentent 8 % de la population française. Plus éloquent encore, 70 % des atteintes aux biens publics et 63 % des atteintes à l'ordre public ont été commises par des individus âgés de 18 à 22 ans.

Répartition par tranches d'âge des émeutiers définitivement condamnés au 31 juillet 2023

Âge des émeutiers condamnés

Part du total des émeutiers condamnés

Part dans la population44(*)

18-19 ans

29 %

2,44 %

20-21 ans

26 %

2,39 %

22-24 ans

18 %

3,44 %

Sous-total :

73 %

8,28 %

25 ans et plus

27 %

70, 61 %

Source : commission des lois à partir des données de l'Insee et de l'IGA/IGJ45(*)

Lors de leur audition par la mission d'information, l'IGA et l'IGJ ont indiqué n'avoir, conformément à leur lettre de mission, traité de la situation des mineurs que lorsqu'ils se trouvaient en situation de coaction avec des majeurs. Le profil de ces mineurs, qui représentent tout de même 28 % des auteurs définitivement condamnés au 31 juillet 2023, est comparable à celui des jeunes majeurs. Il s'agit de garçons dans 96 % des cas, 81 % sont de nationalité française et plus d'un tiers d'entre eux sont franciliens.

S'agissant du profil judiciaire des émeutiers, les premières données exploitées révèlent que 57 % des personnes condamnées n'avaient aucun antécédent judiciaire. Parmi les 43 % ayant des condamnations antérieures, il s'agissait dans près de la moitié des cas de condamnations récentes (datant de moins de 18 mois). Ainsi, plus de la moitié des personnes interpellées et condamnées n'étaient pas des « délinquants d'habitude » : les faits commis au cours des émeutes constituent donc, pour ces derniers, un premier passage à l'acte ayant donné lieu à une réponse judiciaire.

Cette première quantification a été corroborée par les témoignages recueillis par la mission d'information, à commencer par les élus, qui se sont trouvés au coeur de la gestion de ces événements.

Victime d'une violente agression au cours de ces émeutes, la maire de Pontoise, Stéphanie Von Euw, a ainsi affirmé que, dans sa commune, « les événements sont restés localisés et ont été circonscrits aux deux quartiers prioritaires. Les émeutiers étaient donc des habitants locaux. Ils étaient très jeunes et mes (ses) agresseurs devaient avoir entre 14 et 17 ans »46(*). Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps, évoque quant à lui avoir été confronté à de « très jeunes émeutiers ». Lors du déplacement de la mission d'information à Évry-Courcouronnes, il a également été fait état au rapporteur de la présence d'individus très jeunes, de 12 à 15 ans, parmi les émeutiers.

C'est également la jeunesse des émeutiers qui pourrait expliquer, d'après les services du renseignement territorial, la rapidité et l'intensité de l'embrasement. En effet, ces émeutes se sont notamment caractérisées par leur déclenchement à un moment singulier de l'année, correspondant à une période charnière entre la fin de l'année scolaire et les départs en vacances ou la mise en place d'activités estivales. Ce contexte est allé de pair avec un certain « désoeuvrement », rendant les jeunes concernés plus réceptifs aux incitations à commettre des violences.

Par ailleurs, un processus « d'identification » à Nahel Merzouk aurait contribué à la surreprésentation des mineurs parmi les émeutiers. D'après le chercheur en science politique Sebastian Roché, auditionné par la mission d'information47(*), « l'identification au profil de la personne tuée » constitue l'un des principaux mécanismes de déclenchement d'une émeute, la mort d'un jeune occasionnant un « choc moral important » qui se traduit, en réaction, par une effusion de violences.

(2) Les mineurs déférés à l'occasion des violences urbaines : un profil relativement homogène

Les mineurs déférés à la suite des émeutes de l'été 2023 présentent un profil relativement homogène, marqué par des fragilités sociales mais dans une proportion bien inférieure à celles constatées chez les jeunes habituellement ancrés dans la délinquance.

Une enquête conduite par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)48(*) à l'issue des émeutes permet de mieux cerner le profil de ces mineurs, à partir de l'exploitation de 513 recueils de renseignements socio-éducatifs (RRSE) établis lors des procédures de déferrement.

Plus de 98 %49(*) sont des garçons, dont la moyenne d'âge s'établit à 16 ans. Sur l'échantillon considéré, la moitié des mineurs sont âgés de moins de 16 ans, et 90 %50(*) d'entre eux sont de nationalité française.

Âge des mineurs déférés

Source : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

Comme pour les majeurs, une majorité des mineurs déférés suite aux émeutes n'a aucun antécédent judiciaire sur le plan pénal. En effet, pour plus de deux tiers (68,2 %) d'entre eux, il s'agissait des premières poursuites pénales. Ainsi, seule une petite minorité de ces mineurs étaient déjà ancrée dans la délinquance avant leur participation aux violences urbaines de l'été 2023.

Dans le même ordre d'idées, près de trois-quarts (73,2 %) de ces mineurs étaient inscrits dans un établissement scolaire ou de formation. Là encore, ce chiffre, s'il est inférieur à la moyenne nationale (97,2 % des 14-17 ans), est très largement supérieur à la proportion constatée parmi les mineurs habituellement déférés (33 %).

Du point de vue familial et socio-économique, les mineurs déférés présentent des situations globalement plus fragiles et instables que la moyenne.

Configurations familiales des mineurs déférés

 

Mineurs déférés lors des émeutes de l'été 2023

Moyenne des mineurs déférés en 201951(*)

Moyenne nationale

Situation familiale

Famille où les deux parents sont ensemble

39,5 %

33 %

66, 3 %52(*)

Orphelin d'au moins un parent

7 %

13 %

3,6 %
(à 15 ans53(*))

Au moins un des parents non connu

5,2 %

14 %

 

Source : commission des lois à partir des données de la DPJJ et de l'INSEE

Comme le montre le tableau ci-dessus, la situation familiale des mineurs déférés pour leur participation aux émeutes apparaît plus fragile que dans la population générale. En particulier, près de 60 % d'entre eux sont issus d'une famille monoparentale, alors que cette structure ne représente que 25 % des familles au niveau national.

Toutefois, comme le notent les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), « l'ampleur des écarts avec la population générale est loin d'être aussi importante que dans d'autres études portant sur les mineurs suivis par la PJJ »54(*).

Un constat similaire résulte de l'analyse de la situation économique et sociale du foyer dont sont issus ces mineurs. S'ils appartiennent majoritairement à des familles de milieux populaires (80 % des parents relevant des catégories socioprofessionnelles des ouvriers, employés ou inactifs), leurs situations socio-économiques sont jugées moins défavorables que « celles repérées chez les jeunes ancrés dans la délinquance »55(*).

Catégories socioprofessionnelles des parents des mineurs déférés

 

Parents des mineurs déférés à l'occasion des émeutes de l'été 2023

Population générale (hors retraités)

Mère

Père

Employés

52,5 %

22,3 %

24 %

Ouvriers

2 %

32,5 %

19 %

Inactifs

28,3 %

21,1 %

13 %

Sous-total :

82,8 %

75,9 %

56 %

Cadres et professions intellectuelles supérieures

2,2 %

4,6 %

15 %

Source : commission des lois à partir des données de la DPJJ et de l'Insee

En ce sens, l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) a indiqué à la mission d'information que les mineurs interpellés au cours des émeutes « étaient majoritairement des jeunes de 16 ans et moins, beaucoup de primo délinquants, souvent scolarisés, parfois brillants, sensiblement différents de nos publics habituels ».

Ainsi, bien que les mineurs déférés dans le cadre des émeutes de l'été 2023 appartiennent majoritairement à des milieux populaires et plus défavorisés que la moyenne, le constat d'une « marginalité sociale » semble, d'après l'ensemble de ces données, devoir être nuancé.

b) Des données lacunaires qui fragilisent cette première approche

Si ces premières études permettent de construire un premier « profil-type » de l'émeutier, la mission d'information tient à souligner leur insuffisance.

(1) Une approche par le seul « traitement judiciaire » des émeutes

D'une part, les données statistiques disponibles sur les participants aux émeutes présentent nécessairement un caractère incomplet dès lors qu'elles sont uniquement fondées sur le traitement judiciaire des émeutes. Or, se pose la question de savoir si cet échantillonnage est bien suffisamment significatif pour refléter le phénomène dans son intégralité, cette interrogation étant elle-même en lien avec celle du nombre réel de participants aux émeutes.

Le ministre de l'intérieur a ainsi affirmé, lors de son audition56(*) par la commission des lois, qu'entre 8 000 et 12 000 personnes avaient participé aux violences urbaines entre le 27 juin et le 5 juillet 2023. Or, approximatif, ce chiffre paraît également contestable.

En effet, le ministère de la justice comptabilisait, au 10 juillet 2023, 4 282 personnes placées en garde à vue57(*). Cela signifierait que les forces de sécurité intérieure seraient parvenues à interpeller entre le tiers et la moitié de l'ensemble des émeutiers, ce qui semble d'autant plus improbable qu'au cours des auditions, les représentants de la police et de la gendarmerie nationales interrogés ont souligné que priorité avait été donnée pendant les premières nuits d'émeutes - qui ont aussi été les plus intenses - au maintien de l'ordre et à la protection des personnes et des biens, l'interpellation et la « judiciarisation » des émeutiers n'étant pas l'objectif premier. En outre, comparé au nombre de communes touchées par les émeutes (672), ce chiffre impliquerait un nombre moyen de 18 émeutiers par commune, ce qui paraît faible.

D'après une estimation produite par l'Ifop58(*), le nombre d'émeutiers pourrait davantage s'approcher des 50 000, ce qui semble plus crédible et cohérent En effet, en retenant ce chiffre, les interpellations représenteraient 8,5 % des émeutiers, le nombre moyen d'émeutiers par commune s'établirait à 7459(*) et le nombre d'émeutiers serait à peu près équivalent à celui des forces de sécurité intérieure mobilisées pendant les émeutes (soit 45 000 agents).

Même à supposer que les émeutiers aient été au nombre de 12 000, la mission d'information juge les échantillons utilisés jusqu'à présent insuffisants pour établir une image fidèle du profil des émeutiers, en particulier s'agissant de leur âge. À cet égard, Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS, estime que « nous n'avons aucune idée précise de l'âge des protagonistes - ni en 2005, ni en 2023. Qu'ils soient jeunes ne fait pas de doute mais cela reste vague »60(*).

(2) Une étude statistique arrêtée au 31 juillet 2023 qui ne prend pas en compte les enquêtes judiciaires toujours en cours

D'autre part, certains biais statistiques appellent à considérer les données disponibles avec prudence. Qu'elles concernent les personnes interpellées ou celles définitivement condamnées, les données sur lesquelles s'appuient les premières analyses présentent par définition l'inconvénient de ne concerner que les émeutiers qui « se sont fait attraper » immédiatement au cours des émeutes.

Comme le relevait le chercheur en sociologie Marwan Mohammed lors de son audition, « les données sur le profil des émeutiers déférés, que l'on tire du rapport de l'IGA et de l'IGJ, concernent surtout les amateurs qui se sont fait attraper sur le fait. Les personnes les plus organisées sont identifiées beaucoup plus tard et se font arrêter petit à petit »61(*).

De fait, les auditions ont permis de confirmer que le travail d'enquête judiciaire se poursuivait toujours pour identifier les auteurs de délits commis pendant la période des émeutes.

Or, si les personnes interpellées en flagrant délit par les services de police étaient les moins connues, les représentants de la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) relèvent en effet que, sur « les enquêtes au long cours qui font actuellement l'objet d'une réponse pénale, on retrouve grâce à la [police technique et scientifique] des personnes très connues des services de police ».

Subsiste donc une « partie immergée de l'iceberg »62(*) qui échappe à l'ensemble des acteurs, et qui semble davantage être constituée de personnes inscrites dans des parcours de délinquance d'habitude, plus organisées et rompues aux manifestations violentes et à l'opposition avec les forces de sécurité intérieure. Devant la mission d'information, Sebastian Roché a abondé également en ce sens, estimant qu'il existe « une distorsion, entre la composition de la population interpellée et la composition de la population émeutière : on peut raisonnablement supposer que, dans les moyens qu'ils mettent en oeuvre, les participants les plus actifs aux émeutes anticipent le risque d'être interpellé, ce que fait beaucoup moins aisément le pillard opportuniste ».

Dès lors, la jeunesse et la surreprésentation des primo-délinquants parmi les personnes condamnées pourraient - au moins partiellement - être relativisées, à mesure que les enquêtes concernant les faits les plus graves aboutiront.

Dans ce contexte, et plus de neuf mois après la fin des événements, la mission appelle donc le Gouvernement à mieux exploiter les données dont il dispose afin de produire une véritable analyse du profil des émeutiers, démarche indispensable pour comprendre les dynamiques qui ont été à l'oeuvre à l'été 2023.

2. La violence émeutière : entre pulsion contestataire et défiance de l'autorité

Plusieurs éléments d'explication sur l'origine des émeutes ont été avancés lors des auditions conduites par la mission d'information. Celle-ci n'a pas souhaité trancher le débat sur la motivation réelle des émeutiers - sans aucun doute multifactorielle et variable d'un territoire à l'autre, voire d'un individu à l'autre. En revanche, ces éléments font clairement apparaître que si l'élément déclencheur des émeutes a bien été le décès de Nahel Merzouk, les motivations des émeutiers n'ont pas été, loin s'en faut, liées à ce seul évènement.

a) Entre la violence émeutière et les motivations politiques initiales : un lien incertain

Si le décès de Nahel Merzouk à Nanterre constitue l'élément déclencheur des émeutes survenues à l'été 2023, le lien entre celui-ci et le déchaînement de violences qui s'en est suivi apparaît relativement faible.

En effet, le rapport conjoint de l'IGA et l'IGJ fait état d'une très faible corrélation entre le décès de Nahel Merzouk et les motivations invoquées par les émeutiers : moins de 8 %63(*) des personnes appartenant à l'échantillon analysé invoquent l'émotion provoquée par la mort de Nahel Merzouk comme la motivation de leur passage à l'acte. De même, la contestation de l'action des forces de l'ordre n'est mentionnée que dans 10 % des cas.

En outre, des motivations politiques ou idéologiques n'ont été exprimées par les auteurs que dans 0,3 %64(*) des cas. Ce constat doit être relié avec celui de l'échec des différentes tentatives de récupérations politiques. Interrogés par la mission d'information, les différents services de renseignement ont souligné l'absence de « convergence » entre la colère émeutière et les groupes militants d'ultragauche. De facto et bien qu'aient été observées certaines tentatives65(*), aucune des personnes entendues par la mission d'information dans le cadre de ses travaux n'a affirmé avoir pu établir une convergence entre les revendications politiques issues de ces milieux militants et les violences urbaines.

De même, il résulte des travaux de la mission que les émeutes n'ont pas davantage trouvé leur origine dans des mouvements séparatistes qui auraient attisé ou accompagné les violences, pas plus qu'elles n'auraient en retour conduit à la mobilisation réelle de groupuscules de l'ultradroite. En ce sens, on peut donc estimer que les émeutes ne résultent pas d'entreprises de déstabilisation à caractère national menées contre la République et ses valeurs. En revanche, en plusieurs points du territoire, des actions concertées ont bien cherché à prendre le contrôle de l'espace public et à s'opposer par la force à l'action locale des pouvoirs publics.

De fait, l'absence de revendications politiques clairement formulées ne doit pas occulter l'existence d'une colère, violemment exprimée à l'encontre des institutions et des symboles et représentants de l'autorité publique.

D'une part, les motifs politiques du passage à l'acte, à commencer par la mort de Nahel Merzouk, ont davantage été invoqués par les auteurs de violences résidant à Nanterre et, plus largement, en région parisienne. À l'inverse, au cours des auditions menées à Laval, en Mayenne, la mission d'information a pu constater qu'aucune revendication n'avait été exprimée par les émeutiers en lien avec ce décès. Ainsi, le phénomène « d'identification » et le ressentiment exprimé à l'égard de l'action des forces de l'ordre semblent avoir été avoir été plus significatifs dans les motivations des violences qui se sont déployées à proximité de l'épicentre des émeutes.

Comme l'a souligné Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice, « les revendications liées au décès de Nahel Merzouk étaient ainsi beaucoup plus fortes à Nanterre ou dans la couronne de l'Ouest francilien qu'à Saint-Brieuc ou à Marseille »66(*). Cette dernière observation s'inscrit en cohérence avec le constat d'une première phase « émotionnelle »67(*) des émeutes dont la « charge politique » semble avoir été plus affirmée. Les acteurs judiciaires des départements d'Île-de-France ont, d'ailleurs, particulièrement perçu « un ressentiment ancien à l'égard des forces de l'ordre » parmi les personnes déférées.

D'autre part, les cibles choisies par les émeutiers constituent un indice pour appréhender leurs motivations, même lorsque ces dernières ne sont pas formalisées expressément. Le chercheur en science politique et directeur de recherche Fabien Jobard considère, à cet égard, que « les cibles des émeutiers nous renseignent suffisamment sur leurs motivations. Il faut bien admettre en effet que le rapport à la politique d'une fraction de la population française - urbaine, masculine, principalement issue des populations coloniales - est d'abord un rapport à la police et aux abus policiers ».

Si elles apparaissent très marginalement liées à l'élément déclencheur des émeutes que constitue la mort de Nahel Merzouk, les violences commises par certains émeutiers ont bien été irriguées par une colère vis-à-vis de l'État, et s'inscrivent dans une démarche de contestation de leur autorité et de leur légitimité.

b) Les raisons de la colère

Dans le cadre de ses travaux, la mission d'information a interrogé dix chercheurs en sociologie et en science politique spécialisés sur les questions de la délinquance, afin d'analyser la nature de la colère exprimée lors des émeutes. Elle observe une certaine continuité avec les interprétations émises suite aux émeutes de 2005, qui prennent leur source dans le constat d'une marginalisation socio-économique persistante de certains territoires.

(1) Le constat commun d'un isolement délétère des banlieues et des quartiers défavorisés

Les chercheurs en sociologie et en science politique auditionnés par la mission ont unanimement évoqué, à la genèse des émeutes urbaines, l'isolement des quartiers dont sont originaires les jeunes ayant participé aux émeutes.

Appréhendé par les notions de « ghettoïsation » pour Nathalie Heinich, docteur en sociologie et directrice de recherche au CNRS, d'« exclusion » pour François Dubet, professeur émérite de sociologie à l'université de Bordeaux, ou encore de « ségrégation » pour Marco Oberti, chercheur en sociologie et professeur à Sciences Po, cet isolement, tant sur le plan social, spatial, économique que scolaire, témoigne d'un désancrage, subi ou entretenu, entre les jeunes émeutiers et le reste de la population.

(a) Une ségrégation économique qui alimenterait un sentiment d'abandon

Les travaux de Marco Oberti mettent en exergue une forte corrélation entre la ségrégation résidentielle et les violences urbaines de l'été 2023. Ils soulignent que les villes touchées par les émeutes ne sont pas nécessairement confrontées à une pauvreté généralisée, mais abritent quelques quartiers extrêmement démunis qui agrègent les difficultés68(*). Cette corrélation s'étend également au domaine scolaire, avec une surreprésentation des collèges publics dénués de mixité sociale parmi les communes concernées par les émeutes.

Selon François Dubet, la société française, malgré son processus d'assimilation culturelle, continuerait de marginaliser économiquement les habitants des cités, contrairement à d'autres pays exempts des épisodes émeutiers comme l'Allemagne et où l'intégration économique serait plus marquée pour certaines communautés immigrées.

Les analyses consécutives aux émeutes de 2005 mettaient déjà en lumière l'importance de la ségrégation économique dans la cristallisation des tensions sociales. En novembre 2005, la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), dans une étude consacrée aux violences urbaines, constatait déjà, selon le journaliste David Dufresne, que « les jeunes des cités étaient habités d'un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française [...] se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l'absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société française. » 69(*)

Soulignant l'impact de la ségrégation économique sur le ressentiment et le sentiment de relégation sociale, les DCRG concluaient par ces mots prémonitoires : « il est à craindre désormais que tout nouvel incident fortuit (décès d un jeune) provoque une nouvelle flambée de violences généralisées »70(*).

(b) Une ségrégation sociale qui serait entretenue par un sentiment d'appartenance

L'enclavement de ces quartiers, au sein desquels la mobilité sociale renforce leur paupérisation, contribuerait également au développement d'une forme de « séparatisme social »71(*).

Selon le professeur de sociologie Didier Lapeyronnie, « pour que se constitue un ghetto, il faut à la fois une fermeture d'un territoire vis-à-vis du reste de la société et la construction, dans cette cité, d'une contre-société ou d'un mode de vie particulier »72(*). La dynamique de « ghettoïsation » résulterait de l'interaction entre une réalité objective, liée aux conditions concrètes d'insertion socio-économique des résidents, et des certitudes subjectives, relatives à leur perception individuelle de marginalisation, d'injustice sociale et de faible appartenance citoyenne73(*).

Dans ce contexte, le quartier serait à la fois, selon l'interprétation fournie par François Dubet, « ce qui vous exclut et, en même temps, ce qui peut, en tout cas chez les jeunes, vous donner une identité par des mécanismes de renversement, de fierté » 74(*).

Le chercheur en sociologie Thomas Sauvadet décrit notamment une culture juvénile, où les bandes joueraient un rôle central en offrant une identité et un sentiment d'appartenance à leurs membres. « La bande implique une dynamique transgressive et une appropriation de l'espace. [...] En se réunissant, ces garçons développent une sorte de pouvoir, de puissance liée à celle, collective, du groupe »75(*). Cette influence « économique, culturelle, guerrière et politique » tendrait à rendre ces quartiers imperméables à toute influence extérieure, à commencer par celle des institutions républicaines.

Face à ce constat commun d'un enclavement socio-territorial des émeutiers, les chercheurs interrogés par la mission d'information relient les émeutes à l'existence d'une dynamique protestataire, qui s'appuierait précisément sur cette expérience de la relégation sociale, notamment dans leurs rapports aux institutions76(*).

(2) L'assise protestataire des émeutes : une expression politique inachevée ?

Selon l'analyse de Sebastian Roché77(*), docteur en science politique et directeur de recherche au CNRS, les émeutes seraient systématiquement déclenchées par des incidents lors d'interventions policières. Cette émotion s'associerait à un second mécanisme latent et indirect, tenant à une accumulation de frustrations liées à des pratiques policières incomprises, telles que des contrôles d'identité répétitifs, et à une perte de confiance dans l'institution.

Ce rapport de force avec les institutions et en particulier la police serait, selon l'analyse de l'ACAT-France et de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), une dimension importante de l'expérience de vie des jeunes issus des quartiers défavorisés. Auditionné par la mission d'information, le réalisateur Djigui Diarra, issu du quartier de la Grande Borne à Grigny (Essonne), a ainsi évoqué des rapports « incandescents » entre la population et la police. Selon lui, la violence des émeutiers serait avant tout le résultat d'une « déshumanisation d'une partie de la population », d'une injustice généralisée et de « brutalités policières » perçues comme une forme de discrimination, « tout cela form[ant] un cocktail explosif ». En conséquence, « la possibilité de rêver et de croire dans les institutions chez certains habitants de ces quartiers est sapée très tôt, d'où l'expression d'une défiance et d'un rejet »78(*). Un tel ressentiment s'exprimerait également à l'égard de l'institution scolaire, qui symboliserait, aux yeux de ces jeunes, une forme d'échec79(*).

Face à ce sentiment de stigmatisation, seules les pratiques de ces institutions seraient remises en question par les résidents des quartiers marginalisés, tandis que leur autorité demeurait préservée80(*). Comme le souligne Fabien Jobard, docteur en science politique et directeur de recherche au CNRS, les enquêtes de victimation dans les territoires du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis frappés par les émeutes révèlent trois caractères distinctifs : le niveau élevé de délinquance, une forte insatisfaction vis-à-vis de la police, mais également une très forte demande de police. Dès lors, selon le chercheur, « il n'est pas trop tard pour ajuster l'offre à la demande ; il est trop tard quand il n'y a plus de demande, comme c'était le cas dans certaines villes des États-Unis au milieu du XIXe siècle. Alors, en effet, il s'agissait bien de sécession. »81(*)

Aussi, selon cette analyse, les émeutes exprimeraient une forte insatisfaction, mais elles porteraient également une demande d'État, notamment en matière de sécurité, et ainsi des revendications politiques.

D'après le chercheur en sociologie Marwan Mohammed et le docteur en science politique Antoine Jardin, les émeutes participeraient ainsi à la construction d'une existence politique pour les quartiers défavorisés, offrant une plateforme pour exprimer des revendications et des frustrations souvent négligées par les canaux institutionnels traditionnels.

Les émeutes représenteraient, in fine, un moyen pour les groupes marginalisés d'exprimer leur voix politique. Elles témoigneraient, selon Denis Merklen, sociologue et professeur à l'université Sorbonne-Nouvelle, de l'existence d'une « politicité » populaire, c'est-à-dire d'une expérience et d'une pratique de l'expression politique propres à ce groupe social, qui se distinguent par ailleurs des mobilisations typiques (manifestations et grèves) de l'ancienne classe ouvrière82(*).

À cet égard, l'organisation de la marche pour l'égalité et contre le racisme d'octobre 1983, à la suite des épisodes émeutiers qui ont touché le quartier des Minguettes à Vénissieux à l'été 1983, aurait révélé la présence de revendications concrètes sous-tendant un mouvement qui, dans sa forme violente, n'apparaissait pas comme une expression politique. D'après François Dubet, cette transformation réussie des moyens d'expression d'une souffrance et d'une crise sociale s'est accomplie grâce à l'action d'acteurs locaux engagés qui ont su canaliser la révolte en un mouvement articulé83(*).

Il estime cependant que cette capacité, propre à toute démocratie, de transformation de la révolte en revendication est aujourd'hui considérablement affaiblie par le repli des quartiers sur eux-mêmes. Sous l'effet des mobilités sociales, ces derniers sont privés des enseignants, des travailleurs sociaux et des militants qui étaient autrefois leurs porte-paroles. Ce recul des acteurs locaux de la démocratie, et plus largement cette « crise démocratique » des banlieues, se répercuterait sur la capacité des émeutes à évoluer vers des mouvements sociaux constructifs.

La réduction, dans ces quartiers, de la capacité d'expression à la seule violence est qualifiée par Nathalie Heinich d'impulsive et de destructrice. S'inspirant des travaux de Norbert Elias, la chercheuse considère ce mouvement comme procédant d'un relâchement des valeurs morales et sociales qui font corps dans une société84(*). Un vide social serait créé, dans lequel la délinquance pourrait proliférer et une violence opportuniste pourrait s'exprimer.

3. L'effet de groupe : une « euphorie collective » au service d'une violence émeutière opportuniste

Il ressort des témoignages et des données recueillis par la mission d'information que l'opportunisme a tenu une place prépondérante dans les motivations des émeutiers. Le passage à l'acte opportuniste désigne, avant tout, une participation aux émeutes motivée par un « effet de groupe » et un sentiment d'appartenance, voire la curiosité et la recherche « d'adrénaline ».

Certains chercheurs en sociologie entendus par la mission estiment qu'une telle « dimension ludique » sous-tend nécessairement toute mobilisation de cette nature. Ainsi, selon Marwan Mohammed, « la révolte, la colère, l'indignation n'empêchent pas de rendre l'exercice ludique et de l'alimenter par des formes d'excitation, de compétition honorifique, d'adrénaline, de recherche d'un sentiment d'exister »85(*).

Néanmoins, l'effet d'entraînement semble avoir été un levier singulièrement puissant de participation aux émeutes de l'été 2023, qu'il s'agisse des affrontements avec les forces de sécurité intérieure ou des pillages. Si ce mobile est particulièrement observé parmi les auteurs de vols, ce sont près de 41 % des personnes condamnées issues de l'échantillon analysé par l'IGJ et l'IGA qui font état d'une motivation de nature « opportuniste ». En effet, les auteurs de dégradations et violences à l'encontre des forces de l'ordre invoquent prioritairement « l'influence du groupe » (29 % d'entre eux) et « la curiosité et la recherche d'adrénaline » (23 %) comme motifs de leur passage à l'acte.

Cet effet d'entrainement a incontestablement été facilité et amplifié par l'usage majeur des réseaux sociaux, qui ont « donné à voir » à un nombre considérable de personnes ce qu'il se passait « près de chez eux ». Ainsi, lors de son déplacement à Laval, ont été évoqués devant la mission d'information les cas d'individus jeunes, habitant dans les communes avoisinantes, qui seraient venus « pour en être » et participer à un phénomène qu'ils jugeaient « exceptionnel » et d'autant plus attirant qu'il comportait une promesse d'appropriation facile de biens de consommation de valeur.

Le climat insurrectionnel qui a caractérisé la seconde phase des émeutes a davantage donné lieu à « une coalition de petits groupes de jeunes, rassemblés parfois par opportunisme, avec une charge politique plus faible qu'auparavant »86(*). Dans ce contexte, la massification des pillages et leur diffusion à l'ensemble du territoire constituent l'un des principaux signaux de cet opportunisme.

Entendu par la mission d'information, Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration, estime que « l'importance du nombre de magasins pillés est relativement inédite dans l'histoire des violences urbaines en France, et ce phénomène revêt très clairement un caractère opportuniste »87(*).

Or, cette dimension opportuniste n'est pas exclusive d'un degré d'organisation parfois très poussé. Aussi, les services du renseignement territorial ont indiqué avoir observé qu'un grand nombre pillages avaient été orchestrés par des délinquants expérimentés et organisés, qui ont initié des expéditions via les réseaux sociaux, avant d'être suivis par des individus opportunistes, profitant de ce contexte chaotique.  À Laval, les représentant de la gendarmerie et de la police nationale ont fait état de « repérages » préalables par les émeutiers, afin de planifier de la manière la plus efficace les exactions à venir. À Évry-Courcouronnes, des magasins de centre-ville, et surtout le centre commercial, ont fait l'objet d'un véritable pillage organisé, concentré sur les biens qui pouvaient faire l'objet d'une revente rapide et lucrative.

Témoins de ces faits, certains élus auditionnés ont également été frappés par ce niveau d'organisation, à l'instar de la maire de Pontoise, Stéphanie Von Euw, pour qui « il y a eu des pillages, mais ciblés : ont été volés des denrées et des biens qui pouvaient ensuite être revendus. La logique de ces personnes est donc bien de nature mercantile »88(*).

Le cas de Laval : un déferlement de violence inattendue fondé sur des motivations principalement opportunistes

« Ils voulaient détruire et puis ils font leurs courses » a relaté à la mission d'information le commissaire Nicolas Guerrand, directeur départemental de la sécurité publique (DDSP).

À Laval, commune de 50 000 habitants située au coeur du département rural de la Mayenne et épargnée par les émeutes de 2005, la soudaineté et la gravité sans précédent des troubles survenus au cours des nuits du 27 au 30 juin 2023 a surpris.

Les émeutiers étaient tout au plus une quarantaine et se caractérisaient par leur jeunesse, comme en témoigne le cas d'un enfant de 13 ans impliqué dans les troubles. Leur motivation a semblé principalement opportuniste, avec des actes de pillage ciblant des biens matériels ludiques, comme des téléviseurs et des trottinettes. L'usage de tirs de mortier à répétition visant les forces de l'ordre et les pompiers est apparu comme un moyen tactique de couvrir les actions de saccages et de pillages et, dans cet objectif, de faire reculer et de déstabiliser les forces de l'ordre.

Ces émeutes ont également été marquées par des tentatives de mise en scène et une recherche de médiatisation par les participants de leurs actes à travers la publication de vidéos, illustrant un désir de reconnaissance couplé à une exacerbation des tensions entre bandes liées à la structuration latente du trafic de stupéfiants dans ce territoire. C'est ainsi avant tout l'oisiveté d'une jeunesse livrée à elle-même et désabusée qui a été mise en exergue par les acteurs sociaux rencontrés par la mission.

Bien que mus principalement par des actes de pillage, les émeutiers n'en ont pas moins démontré un certain degré d'organisation, comme en témoigne la livraison par camion de mortiers d'artifice depuis Le Mans ou Rennes, qui remet en question le caractère spontané des troubles, souvent mis en avant.

Des violences urbaines circonscrites à deux quartiers paupérisés et touchant principalement des lieux dédiés à la consommation ou aux loisirs.

Les troubles urbains ont été circonscrits à deux quartiers prioritaires dans la ville : Les Fourches et Saint-Nicolas. Peuplés par moins de 15 % de la population lavalloise, ces quartiers se distinguent par une précarité socio-économique exacerbée, marquée par un taux de chômage trois fois supérieur à la moyenne municipale et un taux de pauvreté allant de 37 % aux Fourches à 72 % à Saint-Nicolas.

À Saint-Nicolas, les violences ont entraîné la destruction complète du restaurant McDonald's par un incendie et des actes de vandalisme contre divers commerces, dont un magasin Conforama, une compagnie d'assurance et un bar-tabac. Les émeutiers ont tenté, par la suite, de prendre pour cibles les hypermarchés à proximité. Parallèlement, aux Fourches, le centre de loisirs a été la cible d'une attaque, entraînant des dommages estimés à 600 000 euros. Au total, sept entreprises privées ont fait l'objet de pillages ou de dégradations, tandis qu'aucun bâtiment public n'a été délibérément pris pour cible.

La greffe d'un contexte national sur des enjeux purement locaux

Historiquement, la ville de Laval avait toujours été épargnée par les violences urbaines d'ampleur nationale.

Répondant à un contexte national, les émeutes de 2023 ont, en ce sens, marqué un tournant. Mais cette affirmation doit être nuancée par le constat que les cibles des émeutes semblaient dépendre de l'existence de tensions propres à chaque quartier, comme le montre l'attaque du centre de loisirs des Fourches suite à un conflit antérieur entre un jeune et le personnel. Preuve également de l'ancrage local de ces émeutes, le coup d'arrêt brusque des violences est, en partie, lié à l'opposition des résidents des quartiers à de nouvelles dégradations.

Une action des forces de sécurité intérieure efficace mais fragilisée, le premier soir, par l'absence d'un continuum de sécurité et de toute anticipation

Malgré une réponse des forces de l'ordre efficace, celle-ci a été fortement entravée par l'absence de coordination entre la police nationale et municipale, avec seulement sept policiers municipaux pour une ville qui en nécessiterait quarante selon les estimations du diagnostic de sécurité.

L'absence d'hostilité manifestée auparavant à l'égard des forces de l'ordre a participé à la sous-estimation de la montée des violences. Prise au dépourvu la première nuit, la police nationale, avec seulement 13 agents en service nocturne, s'est retrouvée dans l'incapacité de se diviser pour répondre aux troubles dans le quartier des Fourches, tandis qu'elle assurait la protection de la zone commerciale de Saint-Nicolas, devenant, alors, la cible d'attaques à l'aide de mortiers d'artifice.

Dès le deuxième jour, les effectifs ont été renforcés. La DDSP, de taille modeste, a pu bénéficier du soutien des gendarmes en effectuant des patrouilles avancées. Ainsi, 24 militaires étaient présents la deuxième nuit. Le phénomène a été maîtrisé dès la troisième nuit grâce à une présence dissuasive des forces de l'ordre.

Toutefois, dans ce contexte d'urgence inédit, le maintien de l'ordre a prévalu sur la judiciarisation des faits. La seule comparution immédiate ayant eu lieu a conduit à une relaxe. Ultérieurement au déplacement, quatre autres individus ont été interpellés et jugés par le tribunal judiciaire de Laval, deux d'entre eux ont été également relaxés faute de preuves suffisantes à leur encontre. Les émeutes de juin et juillet 2023 ont ainsi accéléré les discussions entre la préfecture de la Mayenne et la ville de Laval concernant le déploiement de la vidéoprotection, avec notamment l'installation de nouvelles caméras dans le quartier des Fourches.

C. DES PHÉNOMÈNES DE VIOLENCES QUI SE DISTINGUENT DES ÉMEUTES DE 2005

Très rapidement, les violences de l'été 2023 ont été comparées aux émeutes qu'a connu notre pays en octobre 2005 et qui avaient alors, compte tenu de leur importance, justifié la mise en oeuvre de l'état d'urgence prévu par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. De fait, si la comparaison est tentante, les émeutes de juin et juillet 2023 se distinguent nettement de celles de 2005 par leur intensité, leur étendue sur le territoire national et l'utilisation faite des réseaux sociaux.

1. Le franchissement d'un cap dans l'intensité et la nature des violences
a) Une violence organisée et décomplexée dirigée contre les forces de l'ordre

La plupart des personnes entendues par la mission d'information a ont souligné l'intensité de la violence dirigée par les émeutiers contre les forces de sécurité intérieure, et leur degré d'organisation et de désinhibition, à plusieurs égards déconcertants.

De manière générale, c'est le rapport décomplexé des émeutiers à la violence qui a frappé aussi bien les forces de l'ordre et les acteurs judiciaires que l'opinion publique. Il ressort des travaux de l'IGJ et de l'IGA que l'expression de cette violence est apparue « sans limite, sans barrière en termes de valeurs, y compris lorsqu'il s'agit d'agression physique à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique »89(*).

Mobilisés sur le terrain au cours des événements, les élus entendus par la mission d'information partagent largement ce constat, d'aucuns allant jusqu'à affirmer que ces « jeunes ont trouvé une occasion de se déchaîner. Ils n'avaient aucune prise avec la réalité, comme s'ils avaient été dans un jeu vidéo »90(*). Ces déclarations rejoignent l'idée, mentionnée précédemment, d'une « euphorie collective » de la violence, révélant un rapport dysfonctionnel à la réalité et une volonté de « défier » l'autorité incarnée par les forces de sécurité intérieure.

Preuve de l'intensité et de la violence des affrontements, 782 membres de forces de l'ordre91(*) ont été blessés en neufs jours, soit près de quatre fois plus qu'au cours des vingt-cinq nuits d'émeutes de 200592(*). Les émeutes de 2023 ont également nécessité la mobilisation de quatre fois plus de policiers et de gendarmes qu'en 200593(*).

Au total, entre le 27 juin et le 7 juillet 2023, près de 2 000 atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ont été commises. Dirigées pour l'essentiel contre les forces de l'ordre, ces violences ont été particulièrement intenses dans les grandes métropoles, à commencer par celles d'Île-de-France. En effet, d'après les données recueillies par l'IGA et l'IGJ, parmi les tribunaux judiciaires « ayant condamné le plus d'auteurs de violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique (PDAP) par rapport au volume total des condamnations liées aux violences urbaines sur leur ressort, sept se situent en région Île-de-France (Paris, Bobigny, Évry, Pontoise, Nanterre, Créteil et Versailles), deux en région Rhône-Alpes (Lyon et Grenoble), celui de Marseille et celui de Toulouse »94(*).

Interrogés par la mission d'information, des représentants syndicaux de la police nationale ont qualifié en des termes sans équivoque ces violences, mentionnant « une situation insurrectionnelle qui était le fait de bandes criminelles organisées qui entrainaient dans leur sillage des hordes d'individus se livrant à toutes les prédations et déprédations »95(*).

Si les affrontements avec les forces de l'ordre ne constituent pas une nouveauté, les émeutes de 2023 se distinguent de celles de 2005 par le niveau d'organisation des émeutiers et l'émergence de modus operandi rarement observés.

En effet, les services de la direction nationale du renseignement territorial (DNRT) ont insisté sur le fait que « les violences exercées à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité publiques étaient organisées, certaines actions s'apparentant à une guérilla urbaine avec [des] pratiques de guet-apens, usages intenses de mortiers d'artifices ou d'armes par destination et messages de mobilisation sur les réseaux sociaux »96(*).

Au cours des premières nuits de violences, de nombreux commissariats ont été pris pour cibles, certains ayant « été comparés à Fort Alamo, tant ils étaient cernés et encerclés »97(*) et tant les affrontements ont été intenses. Selon le ministère de l'intérieur, « 273 bâtiments appartenant aux forces de l'ordre »98(*) ont ainsi été dégradés ou incendiés.

Le cas de la ville d'Évry-Courcouronnes

À Évry-Courcouronnes, où une délégation de la mission s'est rendue le 12 février 2024, les symboles de l'autorité ont été sciemment attaqués, y compris s'agissant des services offerts au public. Ainsi, la maison du droit ainsi qu'une maison de quartier accueillant les jeunes ont été incendiés par jets de cocktails molotov, l'antenne de la direction générale des finances publiques a été brûlée, tandis que le point de médiation, qui constituait un point d'accueil de proximité pour la population, a également été complètement dégradé. Lors du déplacement de la mission, ces équipements n'avaient pas encore pu être réhabilités, et les services offerts au public avaient dû être complètement suspendus ou réduits en l'absence de locaux suffisamment adaptés dans l'attente de la reconstruction.

Le vaste plateau qui concentre les services administratifs de l'État (commissariat central, préfecture du département, hôtel du département et palais de justice) a fait l'objet d'assauts coordonnés, à plusieurs reprises. Selon les informations communiquées par la direction interdépartementale de la police nationale, ce plateau a même fait l'objet d'un blocus de l'ensemble des voies d'accès par le biais de barricades enflammées, afin d'empêcher que des forces puissent venir appuyer les bâtiments publics attaqués. Du reste, il semble s'en être fallu de peu que le commissariat ne tombe à la main des émeutiers dans la nuit des 28 et 29 juin, protégé en dernière extrémité par le canon à eau déployé devant l'entrée du bâtiment. De fait, de l'avis des personnes rencontrées par la mission, pendant ces évènements, les émeutiers ont montré à plusieurs endroits leur totale maîtrise du territoire et ont ainsi pu tenir en respect pendant plusieurs heures les forces de sécurité municipales et nationales.

Les événements et leurs violences ont été tels que certaines personnes entendues ont indiqué qu'à un certain moment, compte de l'organisation mise en place et de la volonté de cibler les bâtiments publics, elles avaient craint que « la République ne tombe ».

Dans cette ville, les violences se sont caractérisées par une action concertée et organisée des émeutiers, suivant un mode opératoire qui s'est reproduit à plusieurs reprises et qui semble avoir été piloté par des personnes plus âgées laissant agir sur le terrain des plus jeunes. Ainsi, il a été fait état au rapporteur de « camionnettes de dépose et de ramassage » des émeutiers dans différents quartiers, qui ne se sont pas enflammés en même temps, mais à tour de rôle. De même, de façon méthodique, des groupes d'individus ont mis à terre les mats supportant les caméras de vidéoprotection disséminées dans la ville afin de pouvoir agir avec le plus d'impunité possible et saccager le mobilier urbain avant de s'attaquer à des commerces soigneusement sélectionnés. Les mortiers d'artifice ont été utilisés comme des véritables armes de guerre, avec des tirs en rafale, dans le cadre de charges contre la police d'individus abrités derrière des poubelles. La très importante quantité de mortiers alors disponibles est attestée par le fait qu'une saisie de 10 000 pièces a pu être effectuée en une seule fois pendant la période. Selon les services de la police nationale et de la police municipale, un grand nombre de ces armes étaient stockées depuis longtemps et n'attendaient qu'à être utilisées.

L'évènement déclencheur que constitue la mort de Nahel Merzouk a été une étincelle, mais ces mortiers auraient, selon eux, très bien pu aussi être utilisés par la suite, et notamment à l'occasion des festivités du 14 juillet au cours desquels le recours à de tels mortiers à des fins de violences est devenue courante.

Dans un témoignage rapporté par l'IGA et l'IGJ, un commandant de police exerçant depuis de nombreuses années à Trappes a concédé : « c'était une nuit d'enfer, on n'a jamais connu ça en termes de violence et d'organisation ». En ce sens, les services du renseignement territorial ont indiqué à la mission d'information que de nombreux membres des forces de l'ordre ayant connu les événements de 2005 avaient fait été d'un niveau de violence jamais atteint.

En effet, les émeutiers ont fait usage, en particulier en Île-de-France, de tactiques élaborées assimilables à de « véritables stratégies de guérilla urbaine », combinant des reconnaissances préalables effectuées par des deux-roues, des diversions, des embuscades, l'érection de barricades enflammées et des attaques par des petites groupes très mobiles.

L'usage massif et prolongé de tirs de mortiers d'artifice constitue également un élément de nouveauté par rapport à 2005. Toujours selon les informations communiquées à la mission par les services de la DNRT, ces engins semblent être devenus l'arme de prédilection des délinquants et des auteurs de violences urbaines. Au cours des événements de 2023, plus de 300 communes réparties sur 65 départements ont connu des séquences de tirs de mortiers d'artifice99(*).

Plusieurs spécialistes des violences urbaines interrogés par la mission d'information établissent le constat d'une violence ayant atteint une intensité inédite. Ainsi, selon le docteur en sociologie Marwan Mohammed, « l'intensité que l'on a observée fin juin renvoie [...] à une forme de surenchère. Cette intensité est en soi un message politique. [...] Nous n'avons pas fini d'étudier cette intensité, ce niveau de violence, cette détermination dans la confrontation et toutes les innovations tactiques que nous avons pu observer sur le terrain. Dans certaines villes, les personnes qui ont participé aux évènements étaient très bien organisées, et parfois encadrées »100(*).

Confrontées à ce déchaînement de violences, les forces de sécurité intérieure ont fait preuve d'un sang-froid indéniable. Mais l'épisode semble avoir durablement marqué les personnels qui y ont été confrontés et qui ne s'attendaient pas à une telle intensité qui a fait craindre à plusieurs pour leur vie.

b) Les élus ciblés, la République attaquée

Les élus locaux ont été, en 2005 comme en 2023, en première ligne sur le terrain face aux violences urbaines et se sont engagés sans réserve pour favoriser le retour au calme.

En 2023, toutefois, les émeutes se sont accompagnées d'une vague d'agressions et d'attaques directes contre les élus - et singulièrement les maires - d'un niveau et d'une violence inédits. En effet, entre le 27 juin et le 7 juillet 2023, 684 faits de violences à l'encontre des élus et personnes chargées de mission de service public ont été recensés101(*).

Lors de son audition par la mission d'information, Marwan Mohammed a affirmé, qu'à sa connaissance, il n'y avait jamais eu « autant d'élus, de maires, de représentants du pouvoir économique local, y compris des figures du travail social, qui ont été attaqués localement qu'à la fin juin »102(*).

Les médias ont précisément relaté l'attaque subie par le maire de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), Vincent Jeanbrun, et sa famille dans la nuit du 1er au 2 juillet. Ainsi, un groupe d'individus, d'abord rassemblé devant le domicile du maire dans lequel se trouvaient son épouse et leurs deux enfants âgés de 5 et 7 ans, a utilisé une voiture bélier pour enfoncer le portail du jardin, puis incendié le véhicule, avant de mettre également le feu à la voiture de la famille. M. Jeanbrun a, à juste titre, évoqué une « tentative d'assassinat ». Cette exaction - particulièrement marquante - n'est malheureusement pas restée isolée, et d'autres élus ont aussi fait l'objet d'attaques à cause de leur qualité.

Témoignages de maires victimes d'agressions au cours des émeutes

(Audition du mercredi 20 décembre 2023)

« Nous nous sommes retrouvés dans un guet-apens, bloqués par des barricades enflammées. Je suis sortie, ce qui constituait une erreur et montre bien à quel point je ne mesurais pas l'état de délire général et de violence désinhibée. Des jeunes se sont approchés, que j'avais l'impression de connaître, mais qui étaient intégralement masqués, avec des foulards qui leur remontaient jusqu'au nez et des capuches qui leur descendaient jusqu'aux yeux. Je sentais qu'il s'agissait de jeunes du quartier, que j'avais dû voir et tutoyer trois heures plus tôt. J'ai commis une autre erreur en les haranguant pour leur dire : « Maintenant, on arrête les conneries ! »

Ils m'ont immédiatement reconnue et j'ai reçu des tirs de mortier à bout portant, ce qui m'a fait craindre que l'un de mes tympans était touché. J'ai juste eu le temps de me mettre à l'abri dans ma voiture et de m'extraire en faisant une marche arrière de près de deux cents mètres. J'ai été frappée par ces mots, que j'ai clairement entendus : « C'est la maire, on va se la faire ! » Aucun doute n'était possible quant à l'objectif des assaillants. » (Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise)

« J'ai été victime d'une attaque personnelle. Le dimanche 2 juillet, une torche enflammée a été lancée sur ma maison, sans faire de dégâts. Nous étions en famille à la maison et mon voisin a découvert cette torche, consumée devant mon portail. Je n'y ai d'abord pas prêté beaucoup d'attention parce que la torche était tombée du bon côté du portail, sans toucher nos arbres et nos véhicules, qui se trouvaient de l'autre côté. J'ai contacté les gendarmes et j'ai commencé à prendre conscience de l'acte commis. On m'avait attaqué personnellement et j'ai commencé à avoir peur pour ma famille. » (Olivier Araujo, maire de Charly)

« Dans la nuit du 1er au 2 juillet, mon épouse et moi avons dû être exfiltrés de notre domicile et nous avons passé la nuit dans un hôtel au Luxembourg. Le préfet de Meurthe-et-Moselle m'avait téléphoné et j'avais reçu plusieurs appels dans la journée, m'indiquant qu'il était plus prudent que je ne reste pas chez moi, car j'étais visé, certains jeunes considérant que le Raid était venu à ma demande [...] Pendant trois ou quatre nuits, huit gendarmes en armes ont été positionnés dans deux véhicules à proximité de notre maison. Ces événements ont été traumatisants pour nous et je ne m'en suis pas encore remis sur le plan psychologique. L'idée m'a même traversé quelques instants d'abandonner mon mandat de maire. » (Serge De Carli, maire de Mont-Saint-Martin)

« Vous avez peut-être vu cette vidéo, qui a été visionnée plus de 10 millions de fois : ma voiture est stoppée par des poubelles et des jeunes y mettent le feu [...] j'ai été exfiltré. Toutefois, j'ai eu la chance de constater que, parmi ces très jeunes émeutiers, seulement sept d'entre eux voulaient me faire la peau, et quarante-trois autres leur interdisaient de me toucher. » (Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps)

Ces actes témoignent d'une désinhibition de la violence qui s'exprime à l'égard des élus, motivée par un sentiment d'impunité et une volonté de contester l'autorité incarnée par les vigies de la République que sont les maires.

Force est de constater qu'ont été la cible de ces violences tous types d'élus locaux, indépendamment de leur appartenance politique et de leur niveau d'engagement en faveur de leur territoire et des quartiers dont étaient issus les émeutiers. Sur ce point, la mission a pu constater l'incompréhension de nombreux maires, qui s'étaient fortement impliqués pour le développement de leur commune, d'avoir été les premières cibles de cette violence extrême.

Les témoignages transmis à la mission d'information font également état d'une diffusion de cette violence, qui a indistinctement touché les agents municipaux103(*) et les personnes chargées d'une mission de service public, pourvu qu'ils soient considérés comme des représentants de l'État par les émeutiers.

Il s'agit ainsi d'une tendance nouvelle, qui distingue les émeutes de l'été 2023 d'épisodes de violences urbaines antérieurs. Elle constitue néanmoins l'expression paroxystique d'un phénomène extrêmement préoccupant dont le Sénat s'est saisi depuis plusieurs années.

À cet égard, la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, issue d'une proposition de loi déposé par François-Noël Buffet, a apporté une première réponse à cette augmentation des atteintes commises à l'encontre des élus. Comme le soulignait le rapporteur Catherine Di Folco lors de l'examen de cette proposition de loi par la commission des lois, s'agissant des violences subies par les élus, « les évolutions législatives ne sauraient suffire, celles-ci devant impérativement s'accompagner d'un changement profond de culture des acteurs judiciaires et étatiques qui ne peuvent plus rester passifs face à ces phénomènes »104(*).

Les attaques, parfois d'une extrême violence, auxquelles ont été confrontés certains maires au cours des émeutes démontrent de façon regrettable l'actualité de ce constat, lequel vaut également pour l'ensemble des bâtiments publics pris pour cible au cours des émeutes.

c) La destruction massive de bâtiments et d'équipements publics

Animés par une volonté de porter atteinte à tout ce qui représente l'autorité publique, les auteurs de violences ont particulièrement et massivement ciblé les bâtiments et les équipements publics. S'il s'agit d'une tendance constante dans les épisodes et violences urbaines, en 2023, le phénomène se distingue par son ampleur et son intensité.

En effet, certaines personnes auditionnées considère qu'il « y a eu dix fois plus de bâtiments publics endommagés en 2023 qu'en 2005 »105(*). D'après les estimations de la mission d'information, alors qu'elles ont duré trois fois moins longtemps, les émeutes de 2023 ont donné lieu à près de sept fois plus de faits de dégradation de biens publics106(*), avec 1 560 faits recensés.

D'après les données dont dispose la mission d'information, la totalité des communes affectées par ces émeutes ont subi des dégradations sur des bâtiments ou du mobilier urbain. Pour 94 % des cinquante communes consultées ou visitées par la mission, ces dégradations ont concerné des bâtiments publics, révélant une volonté de s'attaquer aux symboles de la République.

Le premier bilan issu des travaux de l'IGA et de l'IGJ démontre que, dès la première nuit d'émeutes, les bâtiments les plus visés ont été « des établissements scolaires (de l'école primaire au lycée), des commissariats, postes et bureaux de police nationale et municipale et des locaux de gendarmerie, des centres de secours de sapeurs-pompiers, des bâtiments communaux médico-sociaux, des mairies et mairies annexes ou de quartier, des maisons de jeunes et centres culturels ou médiathèques et d'autres bâtiments publics tels que centres des impôts ou locaux de justice »107(*).

Les violences dirigées contre les symboles républicains : le cas de la ville de Saint-Fons

La ville de Saint-Fons, dans le Rhône, a été durement touchée par l'épisode émeutier de l'été 2023, qualifié par son maire, Christian Duchêne, « d'agression » à l'égard des institutions, le décès de Nahel Merzouk n'ayant fait office que de déclencheur.

Ces violences, d'une particulière gravité, ont duré du 28 juin au 2 juillet 2023 et ont causé de lourds dégâts, qui ont largement dépassé le périmètre du quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) de l'Arsenal.

Elles se sont caractérisées par des tirs de mortiers, de fumigènes et de cocktails molotov, des feux de poubelle, des jets de pierres, des barricades et des incendies. Les émeutiers ont ciblé plusieurs symboles républicains, à l'instar de l'hôtel de ville, du commissariat municipal ou d'une école publique. De nombreuses caméras et plusieurs abribus ont été dégradés et 16 véhicules privés ont été incendiés. 22 commerces du centre-ville ont été vandalisés et pillés.

Plus grave encore, la coursive d'entreprises de la ville, qui hébergeait 25 entreprises locales, a été entièrement incendiée, nécessitant la reconstruction complète du bâtiment.

Bien que le lien avec les émeutes ne soit pas encore prouvé, un immeuble d'habitation de cinq étages, situé à quelques dizaines de mètres de l'hôtel de ville, a également été incendié dans la nuit du 1er au 2 juillet 2023. 51 personnes ont dû être relogées en urgence. La mairie suspecte que le passage à l'acte ait été incité par les scènes de violence des jours précédents.

Les personnes auditionnées par la mission d'information ont quasi-unanimement souligné la volonté des auteurs de violences, de viser délibérément des lieux, bâtiments et équipements profitant à l'ensemble de la population. À cet égard, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF) a indiqué au rapporteur que « l'ampleur des destructions communales » constitue l'un des éléments de nouveauté les plus alarmants des émeutes de 2023.

La commune de Mont-Saint-Martin, dont le maire Serge Carli été entendu par la mission d'information, apparaît particulièrement représentative de la nature et de l'ampleur des dégâts infligés aux infrastructures publiques par les émeutiers en juin et juillet 2023. Dans cette commune de 10 000 habitants, neuf bâtiments publics ont été « saccagés, dégradé et incendiés »108(*), y compris sa plus grande école ainsi que l'hôtel de ville. Symbole de la dimension « aveugle » de l'expression de violence qui a animé les émeutiers, « le service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) « Vivre avec l'autisme », outil rare, a complètement brûlé » dès la première nuit d'émeutes.

Au-delà de leur coût financier, ces dégradations génèrent un puissant sentiment d'exaspération, voire de colère, dans la population. D'après une étude conduite pour la Fondation Jean Jaurès109(*), quelques mois après les émeutes, la colère a supplanté l'inquiétude de l'opinion publique. Lorsque les Français sont interrogés à propos des sentiments que leur inspirent ces évènements, ils sont 54 % à mentionner la colère et 51 % l'inquiétude. Cette exaspération semble mâtinée de résignation puisque près de 80 % des personnes interrogées indiquent être convaincues que de nouvelles émeutes auront lieu dans les prochains mois.

Les propos tenus par le maire de Saint-Fons, Christian Duchêne, lors du déplacement de la mission dans cette commune illustrent parfaitement cette lassitude. En effet, ce dernier a tenu à insister sur les traces durables que laisseront les violences de l'été 2023 dans sa commune, à la fois sur le plan matériel, avec la reconstruction de la coursive d'entreprises, mais également sur le plan psychologique, la population ayant été « profondément blessée » de voir une partie de sa jeunesse dévaster sa propre ville.

2. Une amplitude géographique qui dépasse le cadre des quartiers « sensibles »
a) Une nette extension géographique des violences par rapport à 2005

Lors des auditions menées par le rapporteur, l'extension géographique des émeutes par rapport à celles de 2005 a été unanimement relevée, et ce avant même l'obtention de chiffres définitifs. Ainsi, dès la première audition de la mission, le 25 octobre 2023, Joëlle Munier, inspectrice générale de l'administration et co-auteure du rapport d'analyse des profils et motivations des délinquants interpellés lors des violences urbaines du 27 juin au 7 juillet 2023, relevait le « caractère atypique de ces violences », notamment « en raison de leur étendue géographique [qui] mérite d'être soulignée ».

Si le chiffre de 553 communes, situées dans 66 départements, a longtemps été cité pour appréhender la diffusion des émeutes depuis le point de départ de Nanterre (Hauts-de-Seine) où a eu lieu le décès de Nahel Merzourk, un décompte actualisé fait en effet apparaître un déploiement géographique des émeutes beaucoup plus large, touchant, à des degrés divers d'intensité, la quasi-totalité du territoire.

D'après les données transmises au rapporteur le 8 février 2024 par le ministère de l'intérieur et des outre-mer, des actes de violences en lien avec les émeutes, même mineurs, ont été recensés par les préfectures dans au moins 672 communes, situées dans 95 des 101 départements français. En comparaison, approximativement 300 communes, situées dans 25 départements, ont connu des violences en 2005110(*).

Nombre de communes, par département, dans lesquelles au moins
un acte de violence en lien avec les émeutes de l'été 2023 a été recensé

Source : Commission des lois, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur et des outre-mer. Carte réalisée avec le logiciel Khartis.

Seuls les départements du Cantal et de la Meuse, ainsi que la Corse, Mayotte et la Guadeloupe ont été totalement épargnés par l'épisode de violences. Les départements du centre et de l'ouest du pays, à l'exception notable de la Gironde, apparaissent également peu touchés, la plupart de ces départements ne comptabilisant qu'entre une et six communes dans lesquelles des actes de violence ont été répertoriés.

À l'inverse, l'Île-de-France, le couloir rhodanien ainsi que le département du Nord ont été les principaux foyers de la contestation, aussi bien en termes de communes touchées qu'en termes d'intensité des violences, calculée notamment par le nombre d'interpellations et par les dégâts matériels recensés par les assureurs.

Lors de son audition par le rapporteur, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, a indiqué que l'Île-de-France avait concentré 40 % des interpellations et 21 % des feux sur voie publique. L'analyse de la sinistralité effectuée par France Assureurs confirme la surreprésentation de l'Île-de-France parmi les dommages pris en charge par les assureurs : l'Île-de-France, Paris inclus, correspond à 38,9 % des sinistres déclarés et à 42,5 % du coût total111(*).

Les autres régions les plus touchées en termes de sinistralité sont, comme l'illustre également l'analyse du nombre de communes dans lesquelles au moins un acte de violence a été recensé, l'Auvergne-Rhône-Alpes, qui rassemble 13,1 % des sinistres et 9 % du coût total, puis les Hauts-de-France, avec 8,6 % des sinistres et 14,4 % du coût total112(*). La région Grand-Est et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ont été significativement atteintes aussi, avec respectivement 8,3 % et 6,1 % des sinistres et 5,8 % et 3,6 % du coût total.

Les régions et départements d'outre-mer ainsi que la Corse, à l'inverse, n'ont représenté, toujours selon France Assureurs, que 0,2 % et 0,1 % des sinistres, pour un coût quasi nul. L'Occitanie et la Bretagne ont également été relativement épargnées, avec respectivement 2,8 % et 2,7 % des sinistres et 1,1 % et 4,7 % du coût total.

Si les zones les plus touchées - les banlieues des métropoles - correspondent approximativement à celles des émeutes de 2005, d'après un décompte réalisé par l'IFOP en juillet 2023113(*), toutes les communes ayant subi des actes de violence en 2005 ne se retrouvent pas parmi celles qui ont été touchées en 2023. Néanmoins, la corrélation est forte entre la survenue d'émeutes en 2005 et la réitération d'épisodes de violences en 2023. Cette corrélation illustrerait, selon le docteur en sociologie Marco Oberti, auditionné par la commission des lois le 8 novembre 2023, le maintien d'une « mémoire collective » des banlieues françaises.

Carte des communes touchées uniquement par les émeutes de 2005

Source : Ifop, Focus n° 236 (juillet 2023)

Carte des communes touchées par les émeutes de 2005 et celles de 2023

Source : Ifop, Focus n° 236 (juillet 2023)

Déplacement à Vénissieux (7 décembre 2023), ville emblématique du maintien d'une mémoire collective des émeutes

La ville de Vénissieux est emblématique du maintien d'une « mémoire collective » des émeutes, la commune ayant connu plusieurs_ épisodes émeutiers depuis le début des années 1980.

Ville qualifiée par sa maire, Michèle Picard, de « populaire et industrielle », elle abrite plus de 50 nationalités différentes et se caractérise par un taux de pauvreté élevé, avoisinant 30 %, en particulier dans le quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) des Minguettes, dans lequel vivent 22 000 des 67 000 habitants que compte la commune.

C'est dans le quartier des Minguettes qu'eut lieu, en 1981, « la première émeute urbaine » de France, lors de laquelle ont été brulés plus de 200 véhicules à l'occasion d'affrontements entre les jeunes du quartier et les forces de l'ordre. De nouveaux affrontements eurent lieu en 1983 dans le même quartier, lors desquels l'un des habitants, Toumi Djaïdja, fut gravement blessé. La « marche pour l'égalité » de l'automne 1983 fut organisée en réaction à ces évènements.

Par la suite, la commune fût touchée à plusieurs reprises par des épisodes de violences, notamment en 2005, comme de nombreuses autres villes de banlieue françaises, ou encore en 2013, épisode de trois semaines limité à la ville de Vénissieux, déclenché à la suite d'un accident de la route ayant avivé des tensions entre les familles des victimes.

Les violences urbaines de 2023 s'inscrivent ainsi dans le contexte, toujours selon les mots de la maire, « d'une certaine expérience des émeutes ».

Celles-ci furent cependant moins virulentes que dans les communes voisines, notamment dans la ville de Saint-Fons, que la mission d'information a également visitée.

Les violences débutèrent le mercredi 28 juin 2023 et durèrent quatre jours, selon une temporalité qui correspond à celle observée sur l'ensemble du territoire. Elles mobilisèrent environ 150 jeunes - dont aucune fille -, principalement motivés, le premier soir, par « le souhait de réagir à la mort de Nahel M. ». En revanche, le lien avec le décès de Nahel fût plus incertain les nuits suivantes, qui rassemblèrent davantage de pilleurs et d'opportunistes ainsi que des « extrémistes de droite comme de gauche ». La police nationale, qui intervint sur le territoire de la commune, procéda à 15 interpellations, tandis que 2 jeunes furent interpellés par la police municipale.

Les dégâts dans la commune furent légers, en comparaison avec les dégâts matériels ayant été constatés dans les autres communes touchées par les émeutes. Aucun bâtiment n'a été détruit. En revanche, une voiture de police a été fortement endommagée et de nombreuses vitres ont été brisées.

L'évènement le plus marquant a été l'immobilisation d'un tramway dans le quartier des Minguettes, le conducteur ayant dû se réfugier dans la mairie.

Au demeurant, ce bilan relativement léger s'expliquerait partiellement, selon la maire, par l'usage des caméras dans la commune, lesquelles ont permis aux forces de l'ordre de cibler leurs interventions et ainsi éviter de se déplacer pour un simple feu de poubelle. En conséquence, le déploiement des caméras dans la commune, au nombre de 149 en 2023, se poursuit, la mairie comptant en installer 6 de plus en 2024.

b) Un flot de violence qui n'est plus cantonné aux « quartiers »

Outre l'extension, au regard du nombre de communes touchées, des violences, les émeutes de 2023 se distinguent de celles de 2005 par la catégorie des communes touchées ainsi que la typologie des zones ciblées à l'intérieur des communes.

Ainsi, davantage de villes moyennes, voire rurales, considérées comme calmes ont été touchées. De même, les dégradations aux biens n'ont pas été limitées aux seuls quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui concentrent de nombreuses difficultés socio-économiques, mais ont également affecté les centres-villes et les zones commerciales non résidentielles. Dit autrement, contrairement à 2005, les violences sont sorties des quartiers dits « sensibles ». Cette assertion a été confirmée par la plupart des personnes auditionnées par la mission d'information, notamment la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) ou encore l'association des maires des Hauts-de-Seine, qui estime que « les émeutes de 2005 étaient concentrées dans certains quartiers difficiles, tandis que les émeutes de 2023 ont touché des lieux qui jusqu'à présent étaient préservés de tels désordres ».

Les données transmises au rapporteur attestent cette appréciation.

En premier lieu, comme évoqué supra, de nombreux départements ruraux, comme l'Aveyron, le Tarn, la Lozère ou encore la Creuse, ont subi des actes de violence, même minimes. Parmi les communes consultées par la mission d'information, 10,3 % d'entre elles ont indiqué se qualifier comme une commune rurale. Cet ordre de grandeur est étayé par les données collectées par l'inspection générale de l'administration (IGA) et l'inspection générale de la justice (IGJ) dans le rapport d'analyse précité. D'après les inspections générales, et sur la base des infractions recensées au 31 juillet 2023, 7 % des infractions ont été commises dans des communes rurales, 15 % dans des villes moyennes de moins de 50 000 habitants, 8 % dans des unités urbaines de 50 000 à 99 999 habitants et 70 % dans des unités urbaines de plus de 100 000 habitants. Ainsi, 22 % des infractions ont été commises dans une commune rurale ou dans une ville moyenne, une proportion inédite pour des violences de ce type. Cette proportion correspond par ailleurs, à une unité près, au chiffre de 23 % des infractions commises en zone gendarmerie.

Répartition des infractions par catégorie d'unités urbaines

Source : Rapport d'analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines, par l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale de la justice, publié en août 2023.

Il ressort de l'analyse des 672 communes114(*) dans lesquelles au moins un incident en lien avec les émeutes été répertorié par les préfets que, si ces émeutes ont touché la quasi-totalité des grandes villes françaises115(*), les petites villes représentent en parallèle une part substantielle des communes affectées par les violences. Près de 30 % des communes répertoriées par les préfets comptent en effet moins de 10 000 habitants, et plus de la moitié (53 %) moins de 20 000 habitants.

Taille des communes dans lesquelles au moins un incident
en lien avec les émeutes a été répertorié par les préfets

 

Nombre de communes concernées par les émeutes

Part du nombre total de communes concernées par les émeutes

Part du nombre total de communes de la strate démographique

Communes de moins de 10 000 habitants

200

29,76 %

0,58 %

(33 944)

Communes de 10 000 à 19 999 habitants

154

22,91 %

27,25 %

(565)

Communes de 20 000 à 49 999 habitants

207

30,8 %

56 %

(368)

Communes de 50 000 à 99 999 habitants

70

10,41 %

76 %

(92)

Communes de plus de 100 000 habitants

41

6,1 %

97,6 %

(42)

Total

672

100 %

 

Source : commission des lois, d'après les données du ministère de l'intérieur et de l'INSEE

La ventilation des sinistres pris en charge par SMACL Assurances, spécialisée dans l'assurance des collectivités territoriales, conforte également la proportion élevée des petites et moyennes villes parmi les communes touchées par les émeutes. Ainsi, selon les données transmises au rapporteur, 46,2 % des indemnités versées par la SMACL au titre des émeutes étaient à destination de communes de moins de 40 000 habitants, dont 12,3 % pour des communes de moins de 15 000 habitants. Plus inquiétant encore, toujours selon la SMACL, « le montant moyen, par dossier, des indemnisations dans les territoires ruraux est supérieur aux sommes engagées pour la réparation des dommages qui ont eu lieu dans les métropoles. Le coût moyen par dossier des communes comptant entre 5 000 et 7 000 habitants est de 500 000 euros, contre 128 000 euros pour les villes de 40 000 à 100 000 habitants ».

L'intégration des petites et moyennes villes dans la géographie émeutière constitue ainsi un fait marquant des émeutes de 2023, ayant conduit l'association des maires de France (AMF) à considérer qu'« aucune commune aujourd'hui ne peut se dire à l'abri de tels phénomènes ».

En second lieu, les centres-villes et les zones commerciales ont été particulièrement ciblés, les violences débordant des seuls quartiers considérés habituellement comme « sensibles ». Comme mentionné supra, de nombreux commerces et lieux publics ont été vandalisés, notamment en centre-ville. Le nombre élevé de mairies ayant fait l'objet de dégradations - 105 - illustre le déplacement des violences à l'extérieur des « quartiers ». Certains centres-villes ont été décrits comme « saccagés », notamment ceux de Marseille116(*), de Lyon117(*), de Montargis (Loiret) ou encore de Rive-de-Gier (Loire)118(*).

La présence de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) au sein de la commune reste néanmoins fortement corrélée à la survenue d'émeutes en 2023, y compris dans les communes les moins peuplées. Ainsi, selon les calculs du docteur en sociologie Marco Oberti, 74 % des communes dans lesquelles des violences ont été commises lors des émeutes comportaient au moins un QPV.

Présence d'un QPV et survenue de manifestations du mouvement des gilets jaunes, selon la catégorie des communes touchées par les émeutes de 2023

Source : Marco Oberti, Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France, octobre 2023

Plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer l'extension des émeutes vers des territoires épargnés en 2005 et, au sein des villes, vers les centres-villes et les zones commerciales. La contestation de l'autorité et l'opportunisme qui ont conduit les émeutiers à cibler les centres-villes et les commerces ont été évoqués supra. Quant à l'extension géographique, elle résulterait, selon l'IFOP119(*), d'une « banlieusardisation » des villes moyennes péri-urbaines, entraînée notamment par le mouvement des ménages modestes vers des villes dans lesquelles le prix de l'immobilier est plus abordable. Une autre explication, de nature plus psychologique que sociologique, repose sur la volonté, pour certains jeunes de petites ou moyennes villes, de « vouloir en être » et de participer à un moment considéré comme historique, dans une volonté, pour reprendre le terme du sociologue Marwan Mohammed120(*), de « surenchère ». Lors de son déplacement à Laval, le 1er février 2024, la mission d'information a pu constater que cet élément d'explication était fortement mis en avant par les travailleurs sociaux qu'elle a rencontrés.

Marco Oberti a quant à lui identifié un taux de pauvreté, une part d'immigrés, une part d'habitants en habitation à loyer modéré (HLM) et une part de familles monoparentales plus élevés dans les petites et moyennes villes touchées par les émeutes. Un « fort sentiment de relégation »121(*) s'observerait en outre dans ces territoires et justifierait le passage à une dynamique émeutière. Ce sentiment de relégation, couplé avec une délégitimation des institutions, se retrouve partiellement dans les motivations mises en avant lors du mouvement des gilets jaunes, en 2018, lequel aurait, toujours selon Marco Oberti, « contribué à diffuser, légitimer voire banaliser [...] des formes spontanées et parfois violentes de contestation ».

c) Une relative convergence territoriale avec le mouvement des gilets jaunes, bien que les populations mobilisées aient été distinctes

Le lien entre les émeutes de 2023 et le mouvement des gilets jaunes a été évoqué à plusieurs reprises lors des auditions de la mission d'information. Si, à l'instar de Marco Oberti, certains considèrent que le mouvement des gilets jaunes a préparé le terrain en démontrant que des actions de contestation étaient possibles, la similitude des évènements n'a cependant pas fait l'unanimité.

S'il semble qu'une part substantielle des communes touchées par les émeutes de 2023 ait également connu des manifestations du mouvement des gilets jaunes sur leur territoire - 41 % d'après Marco Oberti, cette part atteignant 75 % pour les villes moyennes -, la convergence territoriale n'est, d'une part, pas absolue et, d'autre part, n'a pas la même dimension sociale, les populations mobilisées lors de ces deux évènements étant distinctes.

Ainsi, lors de son audition par la commission des lois le 16 janvier 2024, le politiste Sebastian Roché, a estimé que « les segments de ville qui se sont mobilisés ne sont plus les mêmes », en dépit des « points de ressemblance ». Par ailleurs, alors que le mouvement des gilets jaunes était identifié comme émanant de la France péri-urbaine et rurale, « les émeutes de 2023 [ont peu] touché les départements de la diagonale du vide ». En outre, alors que le foyer principal des violences de 2023 s'est situé dans les villes de la banlieue parisienne, seules 8 % de ces villes ont connu des manifestations du mouvement des gilets jaunes dans ces villes122(*).

L'extension géographique des émeutes, qui s'est observée en 2023 et, selon une autre logique, en 2018, trouve aussi l'une de ses explications dans le déploiement massif des réseaux sociaux depuis 2005, qui favorisent le partage presque instantané de l'information, et a ainsi donné aux circonstances du décès de Nahel Merzourk une visibilité majeure et quasi immédiate.

3. Des réseaux sociaux jouant un rôle structurant dans l'organisation et la diffusion des violences

« La responsabilité des médias dans le développement des émeutes apparaît donc comme réelle [...]. L'expérience de ces événements devrait amener l'ensemble des médias à engager une réflexion profonde sur le traitement de l'information lorsque celle-ci peut être de nature à alimenter des affrontements » concluait, en commentaire des émeutes de 2005, un rapport sénatorial publié en 2006123(*).

Cette « soif d'images », comme le décrit le journaliste et réalisateur David Dufresne124(*), est certes une constante dans la représentation des violences urbaines. Toutefois, si les médias traditionnels étaient accusés lors des émeutes de 2005 de surenchère par la valorisation obsessive des violences et du nombre de voitures brûlées, l'enjeu de l'image a radicalement changé d'ampleur et de nature avec le développement des réseaux sociaux.

D'une part, l'ubiquité de ces plateformes a offert aux contenus relatifs aux émeutes de l'été 2023 une emprise médiatique inédite. Une étude réalisée par la société Bloom, à la demande du Gouvernement, révèle que les contenus liés à ces évènements ont représenté près de 15 % de l'activité totale des réseaux sociaux au cours de la semaine correspondante125(*). Cela a eu une incidence certaine dans le passage à l'acte puisque, selon l'étude flash de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, 34,3 % des recueils de renseignements socio-éducatifs (RRSE), soit plus d'un tiers, mentionnent l'utilisation des réseaux sociaux par les mineurs impliqués dans les violences urbaines126(*).

D'autre part, l'agrégat des fonctionnalités proposées par les différentes plateformes, alliant l'interaction en temps réel, la production de contenu propre, le ciblage des contenus ou encore la géolocalisation, élargit les potentialités d'action : les réseaux sociaux ne sont plus seulement un support d'images et de vidéos. À cet égard, l'étude flash susmentionnée fait état de diverses dynamiques d'influence sur les jeunes mis en cause : certains ont participé aux rassemblements après avoir visionné des vidéos sur les réseaux sociaux, d'autres ont répondu à des appels à la violence diffusés via ces plateformes, enfin certains affirment avoir filmé les événements dans le but de pouvoir les partager en ligne.

Une utilisation différenciée des réseaux sociaux durant les émeutes

L'échantillon étudié par le rapport conjoint de l'IGJ et l'IGA révèle une prédominance d'utilisation de certaines plateformes sociales au cours des émeutes : Snapchat a été cité le plus souvent, avec une fréquence de 36 %, suivi de X (ex-Twitter) (5 %), TikTok (4 %), Instagram (2 %), Telegram (2 %), WhatsApp (1 %) et Facebook (0,6 %).

Selon les services de renseignement, les réseaux sociaux conventionnels (Twitter devenu X, Instagram, Facebook) ont été le vecteur initial de diffusion de la vidéo du décès de Nahel Merzouk et des premiers appels à des rassemblements. Les messageries interpersonnelles (Messenger, WhatsApp, Snapchat, Telegram) ont, par la suite, joué un rôle important dans l'organisation des actions de pillages à grande échelle.

Les données fournies par les plateformes témoignent également d'une temporalité différente dans l'utilisation de chaque réseau social. La plateforme Snapchat a constaté un affaiblissement marqué des signalements et des contenus illicites en lien avec les émeutes dès le vendredi 30 juin 2023, tandis que la plateforme X (ex-Twitter) a observé un pic de contenus relatifs aux émeutes sur la période allant du vendredi 30 juin au dimanche 2 juillet. Enfin, le groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) n'a pas constaté de hausse d'activité particulière sur cette période.

Le contenu des publications sur ces réseaux a également évolué, marquant, comme l'a décrit le représentant de la plateforme X lors de son audition par la mission d'information127(*), trois temps : en premier lieu, des commentaires sur les circonstances du décès de Nahel Merzouk, en deuxième lieu, des appels à la violence et des commentaires politiques et, en troisième lieu, des critiques de l'action des émeutiers.

L'ensemble des publications sur les réseaux sociaux ne constituent, in fine, pas nécessairement des appels à la violence. « Les contenus appelant au calme sont huit fois supérieurs aux contenus appelant à la violence » souligne, sur la base de l'étude menée par la société Bloom, le ministre délégué chargé de la transition numérique Jean-Noël Barrot dans un entretien au Monde128(*). Pour autant, le volume de contenus illicites relatifs aux émeutes présents en ligne a été significatif, la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) a ainsi reçu 2 032 signalements durant cette période129(*).

a) Des réseaux sociaux qui diffusent, organisent et valorisent les violences
(1) Un rôle catalyseur par la diffusion en temps réel des images et des vidéos des événements.

Facilitant une propagation rapide des violences, le rôle des réseaux sociaux vis-à-vis des violences urbaines de l'été 2023 peut être rapproché de l'action jouée par un catalyseur au sein d'une réaction chimique : il augmente la vitesse de la réaction émeutière sans être le réactif ou le produit de cette même réaction.

Illustrant la corrélation entre l'activité en ligne et les dynamiques émeutières, l'évolution volumétrique des mots-clefs associés sur les réseaux sociaux aux émeutes (#émeutes, #nanterre, #nahel) a suivi, « avec une légère avance », celle des épisodes émeutiers, comme l'a remarqué lors de son audition la direction nationale du renseignement territorial (DNRT). Lorsque l'activité sur les réseaux sociaux était importante, le recours à la violence était d'une ampleur tout aussi considérable. À l'inverse, lorsque les réactions en ligne se sont réduites, les épisodes émeutiers se sont également amoindris. La saturation de l'espace médiatique a, à ce titre, pu contribuer à l'émoussement rapide du mouvement.

La DNRT évoque également l'action des « influenceurs d'opportunité », qui, dans un but de capter la plus large audience, relaient massivement des contenus violents à travers des groupes privés notamment sur TikTok et Telegram, sans vérifier l'authenticité des informations partagées.

Les réseaux sociaux agissent ainsi comme une caisse de résonance spectaculaire des événements, influençant la perception et la réaction des utilisateurs. Par un effet spiral, les réseaux sociaux deviennent alors un outil d'influence à des fins de mobilisation illégitime de l'opinion publique. Auditionné par le rapporteur, le service central des armes et explosifs (SCAE) observe, en ce sens, que les articles pyrotechniques peuvent être utilisés comme de véritables armes, mais peuvent aussi viser à provoquer la réaction des forces de sécurité intérieure, afin de publier sur les réseaux sociaux des réponses policières apparaissant disproportionnées car décontextualisées.

Au-delà de la modération des contenus incitant à la violence, les plateformes sont aussi amenées à constater des tentatives de manipulation de l'information. Les plateformes TikTok et X ont, à ce titre, relevé plusieurs phénomènes récurrents de désinformation, notamment par la diffusion de faux communiqués de presse du ministère de l'intérieur ou d'informations erronées sur la déclaration de l'état d'urgence. Outre des fausses communications institutionnelles, cette atmosphère anxiogène est entretenue par des détournements d'images130(*), avec notamment l'usage sophistiqué de manipulations audiovisuelles générées par l'intelligence artificielle, comme l'a souligné la plateforme TikTok.

Instigateurs de violences par la diffusion de contenus trompeurs ou incitant à la violence, les réseaux sociaux servent également de plateforme pour la structuration et la coordination des groupes d'émeutiers.

(2) Des outils logistiques facilitant la tenue de rassemblements violents

Les fonctionnalités proposées par la plateforme Snapchat, en particulier, se sont avérées propices à la constitution de groupes d'émeutiers et la planification d'actions ciblées. La géolocalisation des zones d'activité (la « Snap Map ») a facilité la coordination des pillages et des rassemblements, tandis que les discussions privées (le « Chat ») ont permis l'échange d'informations stratégiques, notamment pour se procurer des mortiers d'artifice et des chandelles romaines.

Illustration de la « Snap Map »

Source : réponse de Snapchat au questionnaire du rapporteur

Le service central des armes et explosifs (SCAE) fait ainsi état d'une généralisation des ventes d'articles pyrotechniques par des transactions réalisées de gré à gré sur certains réseaux sociaux. Basés sur des modalités de paiement non-traçables (coupons PCS, transcash, crypto-monnaies) et sur l'absence de procédure de contrôle de l'âge de l'acheteur ou de son identité, ces circuits clandestins facilitent l'accessibilité de tels matériels à de nouveaux profils de clients.

L'utilisation des boucles de messagerie a compliqué également les opérations de maintien de l'ordre, en fournissant aux individus malintentionnés un moyen d'échange en temps réel sur les dispositifs mis en oeuvre par les forces de sécurité intérieure131(*). À l'inverse, la publicité de certains appels au saccage sur les réseaux sociaux a permis aux forces de sécurité intérieure de mettre en place des dispositifs préventifs132(*).

(3) Un exutoire, au service de la compétition entre bandes et d'une recherche de valorisation personnelle.

Les réseaux sociaux ont également conféré aux violences urbaines une dimension ludique133(*), empreinte d'excitation et de recherche de gratification personnelle.

L'inspectrice générale de la justice, Mme Joëlle Munier, livrait à cet égard, à l'occasion de l'étude des procès-verbaux des personnes interpellées, des déclarations révélatrices, d'une part, de la valeur divertissante des violences urbaines vues à travers le prisme des réseaux sociaux : « lundi, comme je vivais dans une ville très calme, il ne se passait rien dans ma vie. J'ai donc voulu aller dans une ville où il se passait des trucs, prendre des vidéos et regarder. » et, d'autre part, de la valorisation personnelle tirée de la diffusion de ces images : « j'ai été matrixé, j'étais dans une matrix, un engrenage. J'avais des milliers de commentaires » ou encore « j'ai des vidéos de gens qui tirent des feux d'artifice. J'ai toujours voulu être reporter. »134(*) D'autant que ces publications peuvent s'avérer rémunératrices. Ainsi, lors de son déplacement à Évry-Courcouronnes, l'exemple a été donné par les représentants de la police nationale entendus d'un influenceur « en herbe », âgé de 15 ans, interpellé une nuit d'émeutes, qui a totalisé 122 000 vues en quelques minutes ayant généré un gain de 123 €, c'est-à-dire plus que les 60 ou 70 € susceptibles d'être gagnés en une journée en tant que « chouf » près d'un point de trafic de drogue de l'agglomération...

En permettant aux émeutiers de produire et partager leurs propres images de l'émeute, les outils numériques ont ainsi entretenu une dynamique d'émulation collective, à la fois locale et nationale, et de « spectacularisation » du phénomène, selon les termes du chercheur en science politique Bruno Domingo135(*).

À cet égard, comme en témoigne le chercheur en sociologie Marwan Mohammed, la dimension compétitive entre les groupes d'émeutiers, alimentée par les réseaux sociaux, a été un facteur important de l'escalade de la violence durant les émeutes. Cette concurrence exacerbée s'est traduite par une recherche effrénée de viralité des images d'exactions sur les réseaux sociaux, parfois au prix de mises en scène sensationnalistes et décalées, parfois même en relayant des vidéos trompeuses : « Durant cette période, nombre de jeunes ont repris sur internet des vidéos spectaculaires, montrant des tireurs d'élite, des bazookas, des armes de guerre lourdes, et y ont accolé le nom de leur quartier ou de leur ville. Une vérification permettait de se rendre compte que ces vidéos avaient été tournées pendant la guerre civile en Syrie ou encore en Amérique latine. »

b) Un manque de visibilité sur « l'esprit de responsabilité » des grandes plateformes.

Durant les émeutes, intervenues avant l'entrée en vigueur du règlement européen sur les services numériques136(*), le cadre juridique de la modération des contenus sur les réseaux sociaux avait la particularité de laisser à chaque plateforme le soin de développer son propre modèle d'autorégulation, basé sur ses conditions générales d'utilisation (CGU).

(1) Une modération des contenus dépendant des actions individuelles de chaque plateforme

Lors de leur audition par la commission des lois le 16 janvier 2024, les principales plateformes ont défendu la mise en place d'actions spécifiques de modération lors des émeutes.

La modération ordinaire fait traditionnellement l'objet de plusieurs filtres, avec une première détection par un traitement algorithmique, une deuxième sur la base des signalements des utilisateurs et, enfin, une troisième par le biais de demandes spécifiques de retrait de la part des autorités. À ceci s'ajoute, en période extraordinaire, une surveillance proactive par les équipes internes à chaque plateforme des contenus relatifs à certains évènements. La plateforme X a, à ce titre, revendiqué un suivi des mots-dièses liés aux événements émeutiers. Snapchat et Tiktok ont, pour leur part, chacun évoqué la constitution d'une cellule de crise dédiée à la surveillance et à la modération des contenus illicites liés aux émeutes de 2023. Au sein de TikTok, une équipe s'est, en particulier, concentrée sur le blocage des informations concernant des lieux et horaires de rassemblement en vue de la réalisation d'actions violentes.

Modération du 27 juin au 7 juillet 2023 : l'exemple de la plateforme X

X évoque plusieurs centaines de contenus retirés entre le 27 juin et le 7 juillet et 39 suspensions de comptes d'utilisateur.

En matière de lutte contre la désinformation, la plateforme fait état de 84 contenus labellisés « médias synthétisés ou manipulés » (par exemple, un faux communiqué de presse du ministère de l'Intérieur). Par ailleurs, l'outil « Community Notes » a permis de contextualiser des contenus inexacts ou trompeurs, comme des scènes tirées de films ou bien des scènes de violences qui ne se passaient en réalité pas en France.

La plateforme a répondu à 64 demandes d'information de la part des forces de l'ordre françaises et à sept demandes urgentes en lien direct avec les émeutes. Le taux d'action positive en réponse à ces réquisitions est de 87,5 %, et le délai d'action est à peu près d'une semaine. Enfin, 485 demandes de retrait ont été reçues pour des délais d'intervention de quelques heures.

Source : audition du mardi 16 janvier 2024

Les différentes plateformes ont mis en avant l'importance de leurs effectifs dédiés à la modération comme une garantie supplémentaire de sécurité. Il est toutefois regrettable de constater la relative insuffisance du nombre de modérateurs francophones, notamment lorsqu'il est rapporté au nombre d'utilisateurs de chaque plateforme. Meta a mentionné, au cours de son audition, 40 000 personnes travaillant aux enjeux de sécurité au sein du groupe, dont environ 15 0000 modérateurs137(*). Or, il ressort du rapport de transparence remis en août 2023 que le nombre de modérateurs travaillant dans l'Union européenne (1 362), et francophones de surcroît (226), est bien inférieur.

Nombre de modérateurs par réseau social

 

Nombre de modérateurs dans l'Union européenne

Nombre de modérateurs francophones

Nombre de modérateurs francophones par bénéficiaires actifs mensuels moyens en France

Meta (Facebook et Instagram)

1 362

226

1 pour 361 946 utilisateurs

TikTok

6 125

687

1 pour 31 150 utilisateurs

X

2 510

52

1 pour 421 793 utilisateurs

Snapchat

2 198

250

1 pour 115 269 utilisateurs

Sources : rapports de transparence remis en août 2023

La question de l'efficacité des dispositifs de modération des contenus illicites face à des mouvements structurés comme les émeutes de l'été 2023 se pose également. Comme l'a relevé Éric Garandeau, directeur des affaires publiques de TikTok en France, lors de son audition, « nous surveillons certains mots-clés, mais les utilisateurs, qui se savent sous surveillance, rivalisent d'ingéniosité pour faire passer des messages. Certains insèrent le mot-clé dans leur biographie, par exemple, où ils fixent les rendez-vous. »

L'obtention de données chiffrées et harmonisées, essentielles pour évaluer et comparer l'impact des mesures de modération prises durant la période émeutière, s'avère toutefois difficile. Certaines plateformes n'ont fourni à la mission que des données choisies et disparates, ne permettant pas d'apprécier l'efficacité des actions entreprises et leur caractère extraordinaire.

(2) En dépit de leurs actions, la crédibilité de l'autorégulation des réseaux sociaux reste sujette à caution.

Malgré ces efforts hétéroclites, la mission d'information s'interroge, au vu du rôle des réseaux sociaux dans la structuration des émeutes, sur l'efficacité des actions menées par les plateformes, qui n'ont pas apporté, du moins au cours de la première semaine de violences, une réponse suffisante aux risques posés par leur utilisation.

Les évènements de juin et juillet 2023 témoignent, en cela, d'une difficulté, qui tient à l'incapacité de contrôler concrètement l'autorégulation mise en place par les plateformes138(*). L'asymétrie d'information sur les processus de modération alimente ainsi des doutes quant à la réalité de leurs démarches139(*).

À défaut de pouvoir identifier une défaillance systémique d'un réseau social lors des épisodes émeutiers, les autorités publiques ne pouvaient que signaler des cas individuels de contenus illicites et enjoindre aux plateformes de respecter leurs obligations légales en la matière. Sur cette base, les représentants des principales plateformes (Meta, Twitter, Snapchat, TikTok) ont été convoqués le vendredi 30 juin 2023 par le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, et le ministre délégué chargé du numérique, Jean-Noël Barrot.

Témoignant de l'articulation délicate entre liberté d'expression et contrôle du contenu illicite des propos échangés sur ces réseaux sociaux, cette rencontre a été assortie d'une déclaration, le jour même, par le Président de la République, invitant les grandes plateformes à faire preuve d'un « esprit de responsabilité ».

II. TIRER LES LEÇONS D'UNE RÉPONSE INSTITUTIONNELLE ENGAGÉE MAIS PERFECTIBLE

La nature et l'ampleur des violences et dégradations, qui ont été commises entre le 27 juin et le 7 juillet 2023 sur l'ensemble du territoire national, démontrent la nécessité d'interroger les instruments dont dispose l'État pour assurer le rétablissement rapide de l'ordre public face à des violences urbaines, puis le maintien de l'ordre public ainsi restauré dans des conditions conformes aux principes républicains et dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Un tel défi soulève donc la question des modes opératoires ainsi que des ressources opérationnelles et juridiques à la main des autorités publiques pour prévenir et juguler les actions violentes susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux individuels et collectifs, singulièrement la protection des personnes et des biens.

Il emporte ainsi la nécessité, pour les pouvoirs publics, de veiller à la bonne adaptation du format et de l'organisation des forces de l'ordre, des équipements dont elles disposent ainsi que des ressources de commandement et de coopération qui permette de prévenir et de traiter efficacement des menaces en constante évolution et de haute intensité en contexte émeutier.

Une telle question se pose avec une acuité renouvelée tant le risque de nouveaux phénomènes - le cas échéant plus localisés - de violences ou d'émeutes urbaines pourrait, à l'avenir, se présenter très rapidement.

Eu égard aux constats dressés à la suite des travaux de la mission, celui-ci estime que, si la réponse institutionnelle a été particulièrement forte lors des émeutes de juin et juillet 2023, elle doit néanmoins être perfectionnée à six principaux égards.

A. LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DES MOYENS DU RÉTABLISSEMENT ET DU MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC EN CONTEXTE ÉMEUTIER À DISPOSITION DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Les conditions du rétablissement de l'ordre public lors des émeutes de l'été 2023 ont suscité des appréciations diverses et contrastées au cours des auditions conduites par la mission.

Ainsi, certains, à l'instar de David Dufresne, reprenant des controverses récurrentes, ont estimé qu'« on a vu une police beaucoup plus violente qu'en 2005 »140(*). A l'inverse, nombre d'observateurs ont salué le rétablissement rapide de l'ordre public et ont considéré que, rapporté au nombre des événements émeutiers et sans pour autant exclure des manquements individuels condamnables, le décompte des blessés parmi les émeutiers était faible eu égard à l'intensité des opérations et des difficultés opérationnelles.

Quelle que soit l'appréciation portée, force est néanmoins de constater qu'aucune préparation en amont d'une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeutier n'avait été établie et que, pour la première fois, des forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées sur des opérations éloignées de leur champ d'action traditionnel, sans véritable doctrine d'emploi préalablement établie.

C'est pourquoi, la mission estime qu'il est indispensable de moderniser, tout en préservant les acquis de l'expérience des émeutes urbaines de l'été 2023, les moyens du rétablissement et du maintien de l'ordre public en contexte émeutier par cinq mesures :

· construire un schéma de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier et stabiliser la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure ;

· entretenir les capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier ;

· moderniser et adapter les matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes ;

· assurer la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre ;

· renforcer les moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles ».

1. Construire un schéma de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier et stabiliser la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure sur la base des acquis de l'expérience de 2023

Si une doctrine du maintien de l'ordre dans le contexte de mouvements revendicatifs existe et est éprouvée, les émeutes urbaines de l'été 2023 ont été l'occasion de constater, non seulement que le schéma national du maintien de l'ordre en vigueur depuis décembre 2021 n'était pas adapté aux violences urbaines, mais surtout qu'il n'existait pas, en pareil cas, de doctrine nationale préétablie et stabilisée.

Dès lors, face aux émeutes de l'été 2023, l'engagement des forces de sécurité intérieure a été décidé puis déployé sans établissement ni tests préalables d'un cadre d'exercice et de modalités opérationnelles spécifiques au rétablissement et de maintien de l'ordre public en contexte émeutier.

Ainsi, deux mesures particulièrement inédites tant dans leur nature que leur ampleur ont été déployées pour la première fois, sans doctrine d'emploi claire et préalablement établie :

· en premier lieu, il a été nécessaire de faciliter l'intervention des forces de gendarmerie nationale sur les zones d'exercice de la police nationale aboutissant à ce que, selon les représentants de la DGGN, « l'écrasante majorité de l'action des UFM [unités de force mobile] soit réalisée en zone police nationale » ;

· en second lieu, les forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées pour la première fois en dehors de leur périmètre d'intervention traditionnel, tant s'agissant de leurs missions que de leurs compétences géographiques, eu égard à l'ampleur des besoins opérationnels induits par la violence et la durée des émeutes.

Ces deux mesures ont des conséquences particulièrement fortes s'agissant du commandement national, zonal et territorial des unités mais également de la nature des blocs missionnels qui leur sont confiés. Il en va ainsi de l'utilisation des forces de sécurité intérieure non formées et spécialisées au maintien de l'ordre mais également des unités d'intervention spécialisées dont la symbolique du déploiement ne saurait être obérée par la nature des missions leur étant confiées. De façon analogue, les forces de gendarmerie nationale sont aujourd'hui régies par des principes de « non-sécabilité » des unités qui peuvent, en pareil cas, présenter des contraintes opérationnelles trop lourdes eu égard aux nécessités du rétablissement rapide de l'ordre public sur des zones nécessitant leur intervention en complément des forces de police nationale.

En outre, les déplacements effectués dans des communes touchées par les violences urbaines de l'été 2023 ont permis à la mission de constater que la coordination entre les différents acteurs du continuum de sécurité n'avait pas été optimale en raison :

· d'une part, de l'absence d'anticipation et de formalisation d'un cadre d'emploi clair et négocié des polices municipales ;

· d'autre part, de l'hétérogénéité des choix municipaux quant à leur équipement en forces de police municipale et à leur utilisation lors des événements de l'été 2023. Ainsi, certaines villes, comme Lyon notamment, pourtant dotées de policiers municipaux nombreux, ont fait le choix de ne pas coopérer avec les forces de sécurité intérieure pour assurer leur mise à disposition lors des émeutes de l'été 2023. A l'inverse, d'autres en dépit de leurs faibles moyens - par exemple la ville de Laval dotée de sept policiers municipaux pour une population de 60 000 habitants - ont choisi d'apporter le concours de leur police municipale, dans le respect de leurs prérogatives, aux opérations de rétablissement de l'ordre public face aux émeutiers. Enfin, d'autres communes, tel Évry-Courcouronnes, se sont retrouvées, du fait de l'importance en nombre et en prérogatives de leurs polices municipales, privées de l'aide des forces de sécurité intérieure, ces dernières étant mobilisées sur le territoire de communes dépourvues de forces de l'ordre municipales - il en est allé ainsi à Évry-Courcouronnes.

Ainsi, à la lumière du déroulement des émeutes intervenues à l'été 2023, la mise en oeuvre de la doctrine du rétablissement puis du maintien de l'ordre soulève deux questions essentielles : d'une part, la pertinence des hypothèses d'intervention et des missions conférées, dans une démarche de complémentarité, aux diverses forces de sécurité intérieure et municipales (engagement des forces spéciales, coordination entre forces, blocs missionnels) ; d'autre part, les choix de positionnement et les évolutions du commandement dans la conduite des opérations du rétablissement maintien de l'ordre de ces forces (dézonage, sécabilité des unités).

Dans cette optique, le rapporteur estime qu'en s'appuyant sur les retours d'expérience des émeutes de l'été 2023, il est indispensable de se doter le plus rapidement possible d'une stratégie nationale et globale de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier.

À cette fin, il apparaît particulièrement nécessaire, d'une part, d'établir un schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, incluant une doctrine d'emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales ; et d'autre part, de faciliter le décloisonnement et le dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaines de commandement.

Par ailleurs, le rapporteur juge souhaitable que les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales soient associées à l'établissement de ce schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier.

En effet, compte tenu de l'intensité des opérations susceptibles d'être menées et eu égard à la visibilité - du fait des captations vidéo et de la circulation d'information permise par les réseaux sociaux - des actions des forces de l'ordre, il est important de rappeler l'exigence d'un contrôle célère sur l'action des forces de sécurité dans le cadre de la stratégie déployée pour rétablir l'ordre public en cas de violences urbaines.

Dans un tel contexte, la mise en place de procédures particulières, notamment destinées à systématiser et accélérer la réponse administrative voire disciplinaire, pourraient pourrait être étudiées afin de faciliter la transparence et l'investigation sur des faits présentés comme des manquements des forces de sécurité intérieure qui, en l'absence de réponse adéquate et transparente, sont susceptibles de radicaliser les rapports entre les forces et les émeutiers.

Pour ce faire, le rapporteur estime indispensable de garantir aux inspections précitées des moyens humains et juridiques adaptés aux exigences d'un tel contrôle et au surcroît de leur volume d'activité en découlant.

Plus généralement, la mission souhaite rappeler son attachement au nécessaire travail impartial et transparent de ces inspections pour contrôler et, le cas échéant, sanctionner les actions des forces de sécurité intérieure dans le cadre de leurs interventions.

Proposition n° 1 : Établir un schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, incluant une doctrine d'emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales ;

Proposition n° 2 : Faciliter le décloisonnement et le dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaines de commandement.

2. Entretenir les capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier

Les violences urbaines intervenues à l'été 2023 démontrent la nécessité de maintenir et d'actualiser les capacités opérationnelles de l'ensemble des unités et des services qui concourent aux opérations de maintien de l'ordre, et plus largement encore de permettre, en pareil cas, de mobiliser l'ensemble des forces de sécurité intérieure pour intervenir sur l'ensemble du territoire national.

Compte tenu de la forte probabilité d'un renouvellement de violences urbaines ou d'émeutes sur le territoire national et de leur dispersion géographique, il n'est pas raisonnablement concevable de faire reposer l'entretien des capacités humaines susceptibles d'intervenir pour le rétablissement et maintien de l'ordre en contexte émeutiers sur les seules unités spécialisées. Les unités non spécialisées en maintien de l'ordre doivent également y participer pleinement, leur pleine opérationnalité apparaissant d'autant plus indispensable en raison du risque accru de radicalisation de groupes et d'individus dont les modes opératoires renouvellent les enjeux de rétablissement de l'ordre public.

Par ailleurs, l'expérience des émeutes urbaines de l'été 2023 donne à penser qu'il est préférable ne pas solliciter un seul type de forces, ainsi que l'illustre le bilan dressé par le préfet de police Laurent Nuñez, affirmant devant la mission : « Nous avons mobilisé tout le monde et sans cela, nous n'aurions pas pu faire face à des événements d'une telle ampleur ».

Ainsi, davantage qu'un débat théorique sur la nécessaire spécialisation des forces, qui serait, en tout état de cause inadaptée dès lors que des actions violentes émeutières d'ampleur nationale devraient être maitrisées, la mission estime que le véritable enjeu réside dans l'effort de formation de l'ensemble des unités susceptibles d'être engagées dans les opérations de rétablissement puis de maintien de l'ordre en pareille situation. Ainsi qu'il ressort des auditions conduites, l'usage des armes exige des compétences acquises à travers un entraînement adapté et une pratique régulière, comme par exemple la maitrise de l'angle de tir et l'appréciation de la distance. De façon analogue, la formation aux interventions en commun avec d'autres forces de sécurité intérieure, spécialisées ou non, doit impérativement être développée tant elle est une condition de la réussite du rétablissement de l'ordre public en cas d'émeutes urbaines sur l'ensemble du territoire national.

Cependant, d'un constat ancien et dressé en 2022 par la commission des lois, « les obligations de formation continue, qui portent sur l'activité opérationnelle des personnels de la police nationale, ne sont pas satisfaites par un nombre important d'agents ». Comme l'avait alors révélé le rapport de Catherine Di Folco et Maryse Carrère pour la commission des lois du Sénat, « il est admis par les autorités de la DGPN que 60 à 65 % des agents en fonction dans la police nationale ne satisferaient pas à l'obligation, définie dans l'arrêté du 27 juillet 2015 relatif à la formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention des personnels actifs de la police nationale et des adjoints de sécurité (nouvellement policiers adjoints), à l'entraînement aux techniques et à la sécurité en intervention d'un volume horaire minimal annuel de 12 heures, et incluant notamment trois séances de tir par an »141(*).

En conséquence, il importe de favoriser une large acquisition de compétences en rapport avec les besoins d'opérations de police spécifiques au contexte émeutier. En application du schéma national du maintien de l'ordre et sur le fondement des instructions ministérielles, une offre de formation a été développée et complétée par des entrainements communs entre la police et la gendarmerie pour le maintien de l'ordre en cas de mouvements revendicatifs violentes. De façon analogue, une attention particulière a été portée à la maitrise des techniques d'interpellation et à l'entrainement aux tirs et à l'usage d'armes léthales ou non.

Toutefois, il ressort des travaux de la mission que deux difficultés semblent aujourd'hui obérer la capacité des forces de sécurité intérieure à accomplir les formations indispensables à l'acquisition puis au maintien des compétences spécifiques tenant d'une part aux interventions en contexte émeutier et d'autre part, aux interventions en commun avec d'autres forces de sécurité intérieure.

D'une part, la mise en tension des unités spécialisées en maintien de l'ordre compte-tenu de la multiplication des événements violents obère la fréquence des entraînements et la capacité des personnels prendre part aux formations, compte tenu de l'engagement très élevé, voire quasi-permanent, des unités auxquelles ils appartiennent. En effet, la formation continue des forces de sécurité intérieure reste une variable d'ajustement de leur activité opérationnelle.

Ainsi, comme l'a rappelé la DGGN en réponse aux questions du rapporteur, « la période des émeutes a impacté les sessions de formations de 221 stagiaires en obérant 9 instructeurs du CNEFG qui ont dû être déployés sur les émeutes ». Ainsi, plus généralement, « avec la hausse des besoins en génération de force face aux événements des dernières années, la fréquence de recyclage des EGM [escadrons de gendarmerie mobile] et Groupement Tactique Gendarmerie (GTG) s'est ralentie. Par ailleurs, les fenêtres déconcentrées de formation collective sont rarement garanties. Ceci est de nature à constituer une fragilisation dans la maîtrise juridique, technique et tactique des chefs et des unités, notamment face à l'augmentation de la violence et à l'asymétrie des troubles à l'ordre public, à la prégnance des mises en cause et couverture médiatique ».

D'autre part, les stands de tirs, singulièrement en Île-de-France, ne permettent ni un volume d'entrainement régulier et à proximité de leurs lieux de travail de l'ensemble des forces de sécurité intérieure, ni un entrainement à l'usage de l'ensemble des armes létales et non-létales dont ils sont amenés à faire usage aux cours de leurs services. Ainsi, la Cour des comptes a régulièrement pointé le défaut des équipements des stands de tirs parisiens. À titre d'exemple, non seulement le dernier stand de tir construit ne permet pas l'entrainement avec « des cartouches traçantes, perforantes, et les fusils à pompe ne sont pas autorisés » mais, en outre, compte tenu de l'utilisation mixte des locaux et de la présence de bureaux, « le recours aux calibres dits de guerre a été évité et est dorénavant réservé aux seuls personnels de la BRI »142(*).

Enfin, en sus des difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure pour accéder à une formation régulière et adaptée à l'usage des armes ainsi qu'à des exercices en commun avec les autres forces, les travaux de la mission ont mis en lumière l'absence de formation spécifique au maintien de l'ordre et au rétablissement de l'ordre public en contexte de violences urbaines ou de mouvements revendicatifs violents de certaines unités pourtant déployées à l'occasion des émeutes de l'été 2023. Il en va ainsi singulièrement des forces d'intervention spécialisées parfaitement formées à l'usage de la force en cas de périple meurtrier ou à l'intervention de contexte terroriste mais non à une violence de plus basse intensité comme les violences urbaines. De façon analogue, habituées à intervenir seules et sans coordination avec d'autres unités, ces forces ne disposent pas de formations aux interventions en commun avec des forces non spécialisées ou spécialisées en maintien de l'ordre public.

En conséquence, la mission appelle à garantir l'adéquation de la formation des forces de l'ordre, spécialisée ou non, aux contextes émeutiers et à des interventions communes avec d'autres forces.

Elle propose en conséquence d'accentuer l'effort de formation en éliminant les sujétions qui pourraient entraver la tenue des entraînements communs et le suivi des formations au maintien de l'ordre pour l'ensemble des unités appelées à prendre part à ces opérations, singulièrement pour le tiers de l'usage des armes. Enfin, plus spécifiquement, la mission recommande de former les unités spéciales à l'intervention en contexte émeutier eu égard aux effets extrêmement positifs de leur déploiement à l'été 2023 qui pourrait justifier un recours quasi systématique en cas de violences urbaines de haute intensité à celles-ci.

Proposition n° 3 : Garantir l'adéquation de la formation des forces de l'ordre aux contextes émeutiers avant leur déploiement :

- Encourager l'organisation de formations communes entre la police nationale, la gendarmerie nationale et le cas échéant, les polices municipales pour la gestion des émeutes ;

- S'assurer de la formation régulière aux tirs et à l'usage des différentes armes de l'ensemble des forces de sécurité intérieure, le plus possible à proximité de leurs lieux de travail, en particulier en région parisienne ;

- Former les unités spéciales à l'intervention en contexte émeutiers.

3. Moderniser et adapter les matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes

Lors de ses déplacements et auditions, la mission a constaté la nécessité de moderniser et adapter les matériels et équipements mis à dispositions des forces de sécurité intérieure pour faire face à des contextes émeutiers longs et protéiformes.

En effet, comme l'a révélé le service central des armes et explosifs du ministère de l'intérieur (SCAE) lors de son audition, les tensions qui sont apparues sur le nombre de munitions produites puis acheminées et délivrées aux forces de sécurité intérieure au cours de la semaine d'émeutes de l'été 2023, et particulièrement le week-end, ne sont pas sans interroger quant au besoin de garantir l'approvisionnement rapide des forces de sécurité intérieure devant faire face à des violences urbaines de haute intensité sur une longue période.

Ainsi, la mission appelle à renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle française afin de mieux se prémunir du risque de pénurie ou de limitation de réapprovisionnement des forces de sécurité intérieure confrontées à un phénomène de violences urbaines diffus géographiquement et de longue durée.

L'analyse conduite par le SCAE a également mis en avant la nécessité d'accroître les quotas de munitions des armes de force intermédiaire, ainsi que des armes classiques mises à disposition des forces de sécurité intérieure.

Ces analyses convergentes et l'examen des évènements confirment l'intérêt d'un renouvellement des moyens et armes de force intermédiaire dans le contexte de violences urbaines, à la condition d'une adaptation et d'un contrôle de leur emploi. Parmi les solutions avancées notamment lors des déplacements conduits à Évry-Courcouronnes et Saint-Fons, le rapporteur estime qu'il conviendrait de développer l'usage de nouvelles armes intermédiaires comme les canons à eaux, instruments d'une réponse graduée et adaptée à la gravité des violences commises par les émeutiers mais dont les quantités restent aujourd'hui très limitées.

Couplée à un renforcement des capacités de production, une telle mesure permettrait de simplifier la gestion des armes et des munitions en cas de violences urbaines tout en équipant, à la hauteur de leurs besoins les forces. Au surplus, une telle mesure pourrait être aisément déployée alors que le ministre de l'intérieur a annoncé le développement d'un prochain système d'information sur les armes centralisé et informatisé.

De manière générale, la mission estime indispensable de conforter la capacité d'initiative et d'action des unités de sécurité intérieure en les dotant d'équipements dont la valeur ne repose pas exclusivement sur leur puissance de feu et surtout en quantité suffisante afin que ne soit pas obérée la possibilité de déployer une réponse graduée et adaptée à la gravité des troubles et la violence des émeutiers.

En outre, les éléments recueillis par le rapporteur illustrent l'intérêt d'une meilleure exploitation de nouveaux équipements et technologies qui renouvellent les capacités de manoeuvre et de projection des forces au cours des violences urbaines, tout en permettant de collecter des éléments de preuve afin de renforcer la judiciarisation des comportements émeutiers.

Il en va ainsi des caméras-piétons. L'annonce de la généralisation à l'ensemble des policiers et gendarmes de ces équipements date du 1er juillet 2021. Toutefois, force est de constater que celle-ci est réservée aux personnels habituellement mobilisés pour des opérations de maintien de l'ordre, alors que les violences urbaines de l'été 2023 ont mobilisés des unités non-spécialisées et donc, non équipées de caméras-piétons. La mission considère, dès lors, que la généralisation de ces équipements doit être réalisée dans les plus brefs délais et que doivent être constitués des stocks de caméras-piétons afin de pouvoir équiper rapidement les unités non habituellement mobilisées sur des opérations de maintien de l'ordre.

Aussi, les travaux de la mission ont permis de confirmer que les modèles actuels ne sont pas adaptés aux contraintes opérationnelles des policiers et gendarmes, bien qu'un remplacement progressif des flottes de caméras-piétons par des équipements plus modernes soit en cours. Les syndicats de police ont fait état de la faible autonomie de cet équipement ne permet pas un usage continu en cas d'utilisation prolongée pendant une longue opération. Ils imposent par ailleurs aux unités de rentrer le numéro RIO à chaque enclenchement, ce qui complique leur usage.

Constatant les effets positifs induits par l'utilisation de tels équipements, le rapporteur souhaite le déploiement massif de cet équipement, dont le recours lors d'opérations policières en contexte d'ordre public dégradé doit permettre non seulement de collecter des preuves mais également de prévenir toute forme de violence illégitime. Il estime, en complément, qu'il convient de s'assurer que ces unités de police et de gendarmerie, qui sont régulièrement amenées à travailler ensemble lors d'opérations de maintien de l'ordre, puissent être dotées de caméras similaires, efficaces et compatibles avec leurs exigences de service.

Sur ce même point, le rapporteur considère que le cadre d'utilisation de ces caméras pourrait également être révisé afin de permettre une exploitation en temps réel des images captées. En application de l'article L. 241-1 du code de sécurité intérieure, le dispositif juridique ne permet pas, à ce stade, l'exploitation des images en temps réel et l'actionnement de l'enregistrement par un agent situé dans un centre opérationnel de commandement. Une telle possibilité est pourtant souhaitée par les forces de l'ordre rencontrées par la mission comme par les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationale.

Quant aux drones, d'après les informations recueillies par le rapporteur, ils présentent quatre intérêts majeurs :

· ces appareils offrent un moyen d'observer l'ensemble d'une zone d'opération de maintien de l'ordre, et ce, y compris de nuit ;

· ils peuvent accompagner au plus près les manoeuvres tactiques et, ce faisant, permettre de déployer rapidement des forces de l'ordre en s'adaptant aux comportements des émeutiers ;

· les images ainsi captées comptent parmi les éléments de preuve susceptibles de favoriser la réponse pénale aux faits de violence et dégradations commis par les émeutiers ;

· enfin, ils permettent d'assurer la sécurité des forces de sécurité intérieure comme des émeutiers qu'il s'agit d'appréhender.

Toutefois, il a été indiqué que la flotte des drones utilisée, notamment en région parisienne, ne disposait pas systématiquement de technologie suffisante pour être utilisée de nuit, alors que les phénomènes émeutiers de l'été 2023 comme d'octobre 2005 se sont déroulés essentiellement à la nuit tombée. Le rapporteur juge qu'il s'agit là d'un investissement à encourager, et que le renouvellement des matériels aujourd'hui non utilisables de nuit doit être amorcé sans plus attendre.

De façon analogue, il a été rapporté à la mission que les produits de marquage codé (PMC) n'ont pas été déployés au cours des émeutes de l'été 2023. Le rapporteur considère toutefois qu'en ce qu'ils peuvent aisément favoriser la collecte de preuves tout en étant inoffensifs et invisibles à l'oeil nu, l'expérimentation de l'utilisation de ces équipements en contexte émeutier devrait être encouragée. Couplé avec les autres dispositifs, il permettrait de lutter plus efficacement contre les violences survenant durant les manifestations et faciliterait l'action des forces de sécurité intérieure qui pourraient procéder, même quelques jours après les faits à l'interpellation des individus, les produits restants visibles avec une lumière ultraviolette sur la peau plusieurs jours durant.

Enfin, auditionnés par le rapporteur, les unités d'intervention spécialisées comme les syndicats de policiers ont fait état de l'absence de mise à disposition de matériels adaptés et spécifiques aux unités non-spécialistes aux interventions sur la voie publique en pareil contexte. Ces difficultés semblent s'expliquer par la mobilisation en urgence et sans stratégie préétablie d'unités non-spécialisées compte tenu de la propagation géographique et de l'intensité des émeutes de l'été 2023. Du point de vue du rapporteur, il convient, à l'avenir, de garantir l'adaptation des équipements des forces de sécurité intérieure mobilisées à titre exceptionnel en contexte émeutier à ce type de situation, faute de quoi, leur capacité de manoeuvre et d'intervention ainsi que leur adhésion à une mobilisation exceptionnelle seraient réduites.

Proposition n° 4 : Se doter des moyens matériels et des équipements permettant de faire face à des contextes émeutiers longs et protéiformes

· Renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle ;

· Accroître les quotas de munitions des armes de force intermédiaire, ainsi que des armes classiques, en profitant du développement d'un prochain système d'information sur les armes ;

· Poursuivre le déploiement et l'équipement systématique des caméras-piétons, et constituer des stocks pour un déploiement rapide en cas de mobilisation de forces en contexte émeutier ;

· Permettre, en contexte émeutier, l'enregistrement en continu des interventions par les caméras-piétons, ou leur déclenchement à distance par les postes de commandement ;

· Encourager la modernisation des flottes de drones et des caméras de vidéo-surveillance pour permettre leur utilisation nocturne ;

· Expérimenter et encadrer l'équipement et l'utilisation de matériels de marquage codés en cas d'émeutes par les forces de sécurité intérieure ;

· Garantir aux forces de sécurité intérieure mobilisées à titre exceptionnel en contexte émeutier l'adaptation de leurs équipements à ce type de situations.

4. Assurer la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre

Pour la seule gendarmerie nationale, quarante-sept attaques de casernes ont été comptabilisées pendant les émeutes urbaines de l'été 2023. Les dommages aux bâtiments sont protéiformes, allant de l'incendie volontaire aux tags.

En outre, sur cette même période, dix-neuf intrusions de casernes par escalade ou dégradation des barrières de protection sont à déplorer.

Parallèlement, comme a pu le constater la mission lors de son déplacement à Évry-Courcouronnes, le commissariat central a été la cible de plusieurs tentatives coordonnées d'assauts par le biais un encerclement de barricades incendiaires, de jets d'engins explosifs et de tentatives d'escalades des clôtures d'enceinte par des groupes coordonnés d'individus.

Ces chiffres illustrent la nécessité renouvelée d'assurer la sécurisation des bâtiments utilisés par les forces de l'ordre et des armureries pour se prémunir de toute prise d'assaut qui, symboliquement et opérationnellement, serait gravement préjudiciable.

Ainsi, le rapporteur considère impératif d'auditer les besoins de sécurisation immédiats de ces bâtiments afin de poursuivre les travaux parfois déjà engagés de renforcement de leur sécurisation.

En outre, parmi les solutions utilisées sur le terrain, le déploiement de canons à eaux a semblé constituer un élément déterminant et essentiel des opérations de sécurisation des bâtiments des forces de sécurité intérieure. Il en est allé ainsi à Évry-Courcouronnes. Toutefois, les forces de l'ordre ne disposent pas d'un grand nombre de ces équipements dont l'usage n'est pas, a fortiori, mutualisé à l'échelle départementale ou interdépartementale. Ainsi, il importe, selon la mission, de constituer un stock de matériels mobiles et mutualisés pour assurer la sécurisation, y compris en cas d'assaut, des bâtiments et armurerie des forces de l'ordre.

Proposition n° 5 : Assurer la sécurisation des bâtiments utilisés par les forces de l'ordre et des armureries pour se prémunir de toute prise d'assaut :

· Auditer les besoins de sécurisation immédiats et pallier les failles de sécurité identifiées ;

· Constituer un stock de matériels mobiles permettant d'assurer leur sécurisation, y compris en cas d'assaut.

5. Renforcer les moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles »

Le suivi des « quartiers sensibles », leur cartographie et la connaissance des phénomènes de violence urbaine relève, à titre principal, des services de renseignement intérieur - service central du renseignement territorial (SRCT) et direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) - dont les moyens doivent être renforcés à cet effet, singulièrement sur la plaque parisienne.

En complément, la connaissance transdisciplinaire, sous l'égide de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), pourrait être utilement renforcée afin de produire une analyse complémentaire et multifactorielle de ces phénomènes

a) Renforcer les moyens des services de renseignement, singulièrement franciliens

Comme l'a affirmé Laurent Nunez, préfet de police de Paris, lors de son audition, « les moyens de la DRPP en matière de suivi et de cartographie des violences urbaines doivent être rapidement renforcés et redevenir une priorité pour les services de renseignement ».

En effet, d'après les informations communiquées au rapporteur, ce suivi a un temps été affaibli par la priorité consacrée au terrorisme islamiste et aux mouvements violents dits d'ultra-gauche et d'ultra-droite, aboutissant à un désengagement, en particulier au sein de la DRPP, de ces thématiques jugées moins prioritaires. Peu après sa nomination à la tête de la DRPP, Hugues Renson a présenté à la mission les trois thématiques d'action de sa direction s'agissant du suivi des phénomènes de violences urbaines.

Matérialisant ainsi la volonté de refaire de ce suivi une priorité, il a indiqué que ses services portaient désormais une attention particulière à l'analyse de la radicalité des comportements et à la cartographie tant des quartiers dits « sensibles » que des phénomènes de « bandes » de jeunes, afin d'être en mesure de mieux comprendre et d'identifier les événements susceptibles d'être des éléments déclencheurs de violences urbaines de grande ampleur et contagieuses à l'échelle nationale.

Parallèlement, les services de renseignement, lors des émeutes, fournissent une analyse particulièrement indispensable des profils des émeutiers afin de permettre de détecter, et le cas échéant anticiper et d'adapter la réponse policière, des évolutions dans celles-ci susceptibles de correspondre à des phénomènes d'appropriation par des groupements organisés défendant des causes particulières (ultra-gauche, ultra-droite, islamistes, etc).

La mission souhaite que cette démarche soit consolidée et amplifiée jugeant indispensable un double effort des services de renseignement :

· d'une part, pour conforter leurs capacités d'anticipation des phénomènes émeutiers ;

· d'autre part, afin d'assurer leur mobilisation pour analyser les phénomènes émeutiers pour adapter en temps réel la réponse policière et judiciaire.

Proposition n° 6 : Consolider et amplifier l'activité des services de renseignement dans le suivi et la connaissance des « quartiers sensibles » et des phénomènes de violences urbaines :

· Au sein de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), consolider le suivi des « quartiers sensibles » et des phénomènes de rixes urbaines ;

· Développer le suivi et la cartographie des « quartiers sensibles ».

Proposition n° 7 : En période d'émeutes, assurer l'analyse rapide et systématique des profils et des motivations des émeutiers afin d'adapter les stratégies de maintien de l'ordre.

b) Améliorer le suivi et la connaissance transdisciplinaire des phénomènes émeutiers

Pour améliorer le suivi et la connaissance des phénomènes émeutiers, la mission estime nécessaire de poursuivre deux axes d'amélioration :

· d'une part, encourager le développement de l'analyse des phénomènes émeutiers et bandes de « jeunes » dans le cadre de l'ONDRP ;

Plus précisément, le rapporteur préconise que l'ONDRP conforte son analyse en accordant une attention particulière au phénomène qui semble aujourd'hui en grande mutation des « bandes de jeunes », dans un cadre transdisciplinaire afin d'intégrer la dimension sociale et économique du sujet.

· d'autre part, pour compléter cette approche, nommer une nouvelle mission inter-inspections ayant pour objet d'établir, sur la base de données exhaustive, un bilan plus complet des profils et motivations des émeutiers de l'été 2023.

Comme développé ci-avant, l'analyse conduite à très court terme et sur la base de données tronquées de la mission inter-inspections d'août 2023 ne permet pas de d'appréhender et de mesurer avec suffisamment de certitude les profils et motivations des émeutiers de l'été 2023. Dès lors, tout en rappelant qu'un tel travail ne pourrait utilement être mené qu'à l'issue des procédures judiciaires en cours, la mission préconise un travail de plus grande ampleur, qui fait aujourd'hui défaut.

Proposition n° 8 : Améliorer le suivi et la connaissance transdisciplinaire des phénomènes émeutiers en France :

· Mieux analyser le phénomène des « bandes de jeunes », le cas échéant dans le cadre de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), afin de pouvoir anticiper dans la survenue d'évènements violents ;

· Procéder à une mission inter-inspections sur le profil et les motivations des émeutiers à l'issue de l'ensemble des procédures judiciaires en cours en lien avec les évènements de juin 2023.

B. UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU À ENDIGUER : L'UTILISATION DÉTOURNÉE DES MORTIERS D'ARTIFICE

1. Une priorité de l'action administrative de l'État qui se heurte à d'importantes difficultés opérationnelles

L'utilisation détournée des mortiers d''artifice à l'encontre des forces de l'ordre a fait l'objet de plusieurs tentatives de régulation et d'entrave administrative par l'État.

Ainsi, depuis la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 dite « sécurité globale », de nouvelles obligations pesant sur les vendeurs agrées d'articles pyrotechniques ont été introduites dans le code de l'environnement. Ainsi :

· les opérateurs sont tenus d'enregistrer les transactions et l'identité des acquéreurs ;

· ils sont obligés de signaler toute transaction jugée suspecte ;

· la vente à des non-professionnels de mortiers d'artifice est passible de 7 500 euros d'amende et de six mois d'emprisonnement pour ces opérateurs. La peine étant portée à 15 000 euros d'amende et un an d'emprisonnement en cas de vente en ligne.

Complétées depuis par un décret du 17 décembre 2021, les « transactions suspectes » ont été définies comme les transactions pour lesquelles le client refuse de préciser l'usage qu'il envisage de faire des articles, souhaite l'acquisition d'articles dans des quantités inhabituelles, sollicite l'acquisition d'articles inhabituels pour l'usage envisagé, refuse de prouver son identité, ou insiste pour recourir à certaines méthodes de paiement, notamment, pour des achats importants, en numéraire. En pareils cas, le signalement doit être effectué immédiatement après la tentative de transaction, et au plus tard dans un délai de 72 heures à compter de la tentative. À défaut, le commerçant encourt une contravention de cinquième classe.

En complément de ces mesures, lors des émeutes urbaines de l'été 2023, le Gouvernement a interdit, sur tout le territoire national, du 9 juillet jusqu'au 15 juillet 2023 la vente aux particuliers, le port, le transport et l'utilisation par ces derniers de tout article pyrotechnique et notamment de tout artifice de divertissement. Ces interdictions n'étaient, toutefois, « pas applicables lorsque l'acquisition, le port, le transport et l'utilisation des matériels qu'il mentionne sont le fait de professionnels disposant des agréments et habilitations requis ou de collectivités publiques », compte tenu de l'organisation des festivités du 14 juillet.

Le juge des référés du Conseil d'État, saisi aux fins d'annulation du décret par des sociétés du secteur des feux d'artifice, a admis « au regard du risque que leur utilisation ferait courir aux forces de l'ordre engagées pour les festivités du 14 juillet comme aux passants, l'interdiction des articles pyrotechniques identifiés comme pouvant être détournés contre les forces de l'ordre depuis 2021 dans la règlementation ». En revanche, il a suspendu, « en l'absence de risque avéré pour la sécurité publique », l'interdiction générale et absolue pour les articles pyrotechniques les moins dangereux.

Pour autant, comme l'a indiqué au rapporteur le SCAE, « il peut être noté que la réglementation actuelle pèse uniquement sur les opérateurs respectueux de celle-ci, les clandestins - affranchis de cette réglementation - devenant paradoxalement plus concurrentiels ». Dès lors, malgré le respect par les opérateurs économiques officiels des nouvelles obligations légales et réglementaires, force est de constater que celles-ci n'ont pas permis d'endiguer l'utilisation détournée des mortiers d'artifices à l'encontre des forces de sécurité intérieure ou des bâtiments publics.

Au surplus, le rapporteur a pu constater que le système de signalement des transactions suspectes était, aujourd'hui, peu efficace compte tenu de son absence de dématérialisation. En l'occurrence, les commerçants transmettent, par voie postale, leurs registres de transactions, empêchant ainsi le recoupement automatisée et rapide des transactions et, de ce fait, la détection des achats multiples ou en grandes quantités réalisés en une courte période de temps par un même individu.

2. Au plan national, faciliter et renforcer les poursuites contre les auteurs d'utilisation détournée des mortiers ainsi que les intermédiaires

La mission suggère de s'inspirer du modèle espagnol, qui semble avoir produit des effets extrêmement positifs dans l'entrave à l'utilisation détournée des mortiers d'artifice. Elle préconise en conséquence un ensemble d'évolutions administratives et pénales destinées à faciliter et renforcer les poursuites contre les auteurs d'une telle utilisation des mortiers mais également les intermédiaires.

En premier lieu, elle propose d'interdire la vente en ligne et par voie postale des mortiers d'artifice, de façon à contraindre le passage physique chez un revendeur agréé mieux à même de repérer une transaction suspecte et à obliger l'enregistrement et le traçage de toute transaction. Un tel enregistrement conduirait à l'édiction d'une déclaration de passage chez un revendeur permettant de faciliter la répression de l'achat clandestin de mortiers d'artifices. En effet, pourrait alors être délictualisé le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme pour les forces de sécurité intérieure.

De façon complémentaire, la mission recommande de délictualiser la non-dénonciation de transactions suspectes, aujourd'hui réprimée d'une contravention de la 5ème classe, considérant indispensable de renforcer la responsabilisation des différents intermédiaires contribuant à la propagation de mortiers d'artifice dont l'usage sera détourné à l'encontre des forces de l'ordre ou des bâtiments publics.

Le renforcement de la lutte contre l'utilisation détournée des mortiers d'artifice passe également, aux yeux du rapporteur, par une politique pénale affermie en la matière. À titre d'exemple, devrait être encouragée la systématisation de l'engagement de la responsabilité de la complicité de mise de moyens pour permettre l'acquisition indue.

Enfin, afin de parfaire l'arsenal administratif et pénal français pour mieux lutter contre l'utilisation détournée des mortiers d'artifice, la mission préconise le déploiement, dans les plus brefs délais, d'un système informatisé de déclaration et de contrôle des achats et des transactions de mortiers d'artifice. De façon générale, la mission est convaincue que seule une information centralisée et uniformisée permettra de renforcer l'efficacité des procédures administratives et outils judiciaires existants.

Proposition n° 9 : au plan national, entraver administrativement et pénalement l'utilisation détournée des mortiers d'artifice

· Sur le modèle espagnol, interdire la vente en ligne et par voie postale en obligeant le passage physique chez un revendeur pour se procurer des mortiers d'artifice. Délictualiser le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme ;

· Délictualiser la non-dénonciation de transactions suspectes, aujourd'hui réprimée d'une contravention de la 5ème classe ;

· Systématiser l'engagement de la responsabilité de la complicité de mise de moyens pour permettre l'acquisition indue ;

· Déployer un système informatisé de déclaration et de contrôle des achats et des transactions de mortiers d'artifice.

3. Au plan européen, assurer pleinement l'effectivité des normes d'homologation et de classement et lutter contre leur contournement

Comme l'a l'ont révélé les représentants du SCAE auditionnés par la mission, « si des règles européennes existent, celles-ci doivent être appliquées uniformément et tout comportement non-coopératif d'un État membre doit pouvoir être sanctionné ».

Or, d'après les informations transmises à la mission, force est de constater que l'application uniforme de la directive européenne 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen n'est aujourd'hui pas effective. Plus précisément, certains États membres semblent aujourd'hui adopter des comportements susceptibles de caractériser des manquements à leur obligation de mettre en oeuvre la réglementation européenne en ce qu'ils homologuent des articles pyrotechniques en dépit de leur dangerosité et de leur technicité comme des articles de divertissement accessibles librement sur le marché européen. Un tel comportement aboutit à une application hétérogène de la réglementation européenne et permet, a fortiori, à des individus de se procurer, librement et sans commettre d'infraction, des articles pyrotechniques particulièrement dangereux, en les achetant sur le territoire de ces États membres ou au moyen de sites hébergés dans ces pays.

C'est pourquoi, la mission estime indispensable d'éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers non-conformes à la réglementation européenne. Pour ce faire, elle propose deux axes d'amélioration, à réglementation européenne constante :

· d'une part, d'assurer l'application uniforme de la directive 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen ;

· d'autre part, de sanctionner les États membres manquant à leurs obligations dans la mise en oeuvre de cette directive.

Proposition n° 10 : Au plan européen, éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers non-conformes à la réglementation européenne

· Assurer l'application uniforme de la directive 2013/29/UE sur les articles pyrotechniques s'agissant du classement et de l'homologation des produits avant leur autorisation de vente sur le marché européen ;

· Sanctionner les États membres manquant à leurs obligations dans la mise en oeuvre de cette directive.

C. UNE NÉCESSAIRE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES ÉVOLUTIONS DES MODES OPÉRATOIRES DES ÉMEUTIERS : UN USAGE PROTÉIFORME ET DÉTERMINANT DES RÉSEAUX SOCIAUX

Les travaux conduits par la mission ont permis de constater l'usage inédit des réseaux sociaux dans les modes opératoires des émeutiers et, parallèlement, leur insuffisante prise en compte dans les outils administratifs et judiciaires déployés pour rétablir l'ordre public.

Aux yeux du rapporteur, les évolutions des modes opératoires, par la mobilisation des réseaux sociaux ou supports numériques, implique une mobilisation de plusieurs volets de politique publique :

· un renforcement de la coopération et des échanges entre les réseaux sociaux et les services de l'État ;

· la création d'un cadre général de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, sous de strictes conditions ;

· la facilitation de l'identification des délinquants par le biais des réseaux sociaux et supports numériques ;

· la création d'un cadre pénal permettant de poursuivre les émeutiers mobilisant des supports numériques pour participer à des violences urbaines.

1. A priori, renforcer la coopération et les échanges entre les réseaux sociaux et les services de l'État

La meilleure prise en compte de l'utilisation des réseaux sociaux et des supports numériques dans les modes opératoires des émeutiers implique en particulier une plus forte responsabilisation des grandes plateformes numériques et des entreprises offrant des services numériques.

Conscients de leurs responsabilités et de l'utilisation importante des différentes fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux pour participer, organiser ou appeler à des actions violentes ou à des dégradations dans le cadre de violences urbaines, les principales plateformes numériques auditionnées par la mission ont sollicité la redynamisation ainsi que la réunion régulière du groupe de contact permanent institué entre les représentants des réseaux sociaux et l'État. Créé informellement en 2015 par le Gouvernement dans un contexte de menace terroriste pour associer les grands opérateurs (Apple, Facebook, Google, Microsoft, Snapchat, Twitter, TikTok...) à la lutte contre la menace djihadiste, ce dernier semble être tombé en désuétude.

En effet, il est indispensable, aux yeux du rapporteur, d'anticiper la coordination des acteurs préalablement aux périodes de crise et d'établir, avant toute crise, des circuits d'informations et d'actions devant être définis et testés avant toute période de crise. Dès lors, sa consécration dans la loi, avec par exemple la définition d'une périodicité minimale de réunions et l'élargissement de sa composition à des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, pourrait être une manière de fluidifier et de renforcer la communication entre les services intéressés (police et gendarmerie, services de renseignement, services de la Chancellerie, services interministériels en charge du numérique, etc.) et les plateformes. Il serait, dans cette hypothèse, pertinent que puissent être associés à ce groupe des acteurs qui ne sont pas des « très grandes plateformes » en ce qu'ils échappent à certaines obligations en matière de lutte contre les contenus illicites (Twitch, Discord...).

Proposition n° 11 : Réunir de façon régulière le groupe de contact permanent entre les représentants des réseaux sociaux et l'État pour mieux anticiper la coordination des acteurs en période de crise.

2. Instituer un cadre général de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux en cas de déclenchement de l'état d'urgence

Les travaux menés par la mission ont permis de démontrer l'influence de certaines fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux - en particulier la géolocalisation en directe et en continu et la diffusion d'images, de vidéos et de sons en direct - pour inciter, organiser et participer à des violences urbaines et à des destructions de biens et de bâtiments.

Dès lors, dans le prolongement du pouvoir donné par le II de l'article 11 de la loi 3 avril 1955 au ministre de l'intérieur de « prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie », il est proposé que des mesures actualisées et analogues de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux puissent être prises par les préfets de département, sur autorisation du ministre de l'intérieur et en dans le seul cadre de la mise en oeuvre du régime d'état d'urgence précité.

Le rapporteur estime indispensable de subordonner l'activation de cette prérogative exceptionnelle au déclenchement de l'état d'urgence et de la restreindre aux fonctionnalités n'impliquant pas la liberté de communication écrite ou orale entre individus - autrement dit l'envoi et la réception de messages écrits ou audios.

Au surplus, la durée maximale de validité de cette décision, la durée maximale du blocage de fonctionnalité ainsi que le périmètre géographique maximal devraient être strictement définis afin d'éviter tout risque d'application disproportionnée du dispositif.

Dans tous les cas, il conviendra de prévoir selon quelles modalités le public est informé du déclenchement du régime permettant à l'administration de prendre des mesures particulières de limitation des communications sur les plateformes en ligne, ou a minima que la loi pose le principe d'une information par tout moyen approprié, laissant au pouvoir réglementaire (ou à l'autorité administrative, au cas par cas) le soin de définir la nature exacte des moyens en question.

Proposition n° 12 : Lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi de 1955, permettre aux préfets de solliciter, pour une durée limitée, la désactivation de certaines fonctionnalités des applications de réseaux sociaux (géolocalisation, lives) - indépendantes de l'échange de communications écrites ou orales - en contexte émeutier.

3. Faciliter, lors des événements émeutiers, l'identification des délinquants par le biais des réseaux sociaux et supports numériques

Aujourd'hui, l'utilisation en source ouverte ou non des données échangées ou publiées sur les réseaux sociaux et supports numériques par les forces de sécurité intérieure est particulièrement chronophage et complexe à mettre en oeuvre rapidement alors que les nécessités d'un contexte émeutier impliquent une réactivité accrue pour identifier les risques, anticiper les actions délictuelles et dimensionner comme adapter la réponse policière aux évolutions des comportements des délinquants.

Conscients Consciente des difficultés rencontrées par les services, la mission a identifié trois axes d'amélioration afin de faciliter, au cours des émeutes, l'identification par les réseaux sociaux et les supports numériques des auteurs d'actes violents ou de dégradations.

En premier lieu, d'un constat partagé par l'ensemble des acteurs engagés dans la lutte contre les émeutes auditionnés, l'utilisation des fonctionnalités des réseaux sociaux dits « privés » ou des fonctionnalités messageries cryptées ont induit un renouvellement du mode opératoire de l'appel public à la destruction volontaire de biens, ou à l'injure et l'outrage publics en permettant aux auteurs de commettre de tels faits en dehors des réseaux de communication publics, alors que le critère de publicité est constitutif de leur répression.

Si ces délits commis dans l'espace virtuel prennent la même forme que celles commises dans le monde réel ou sur des réseaux publics, permettant de qualifier aisément le caractère public de cette apologie, le détournement des fonctionnalités offertes par ces moyens de communication « privés » est susceptible d'entrainer des conséquences encore plus dommageables en ce qu'elles permettent à des individus de se rendre coupables d'appels à la destruction ou d'injures devant une large audience de personnes sans lien avec une communauté d'intérêts en contournant les critères juridiques en vigueur.

Ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que le caractère privé de certains échanges doit faire l'objet d'une analyse casuistique et admet que le caractère privé de certains espaces d'échanges puisse être remis en cause. À titre d'exemple, elle considère qu'un échange dématérialisé est public s'il est diffusé à un « nombre indéterminé de personnes nullement liées par une communauté d'intérêts »143(*).

Dès lors, considérant que ces apports de nature jurisprudentielle n'offrent pas les garanties nécessaires quant à l'application uniforme sur le territoire et durable dans le temps de telles appréciations, la mission propose d'inscrire dans la loi les notions dégagées et éprouvées par la jurisprudence de la Cour de cassation, pour intégrer dans la définition de la condition de publicité de certains délits la diffusion de contenus sur les réseaux privés de communication, lorsque cette diffusion présente une ampleur telle qu'elle est assimilable à un délit public et a les mêmes effets en matière de diffusion d'idées et de propos dangereux ou répréhensibles. Il lui apparait indispensable de tenir compte des évolutions permises par le développement de nouvelles solutions technologiques permettant de contourner la frontière de la publicité entendue au sens de « réseau public de communication ».

Il lui est, au surplus, apparu nécessaire de proposer d'actualiser le droit existant afin de mieux prendre en compte ces nouvelles réalités et d'adapter en conséquence l'arsenal répressif, afin de permettre un accès des services de renseignement et d'enquête aux échanges se tenant sur les boucles des messageries privées, dès lors que leurs conditions d'accès et le nombre de personnes y accédant les rendent assimilables à des services de communication au public en ligne, et ce sans recourir à des techniques d'enquêtes spécialisées.

Enfin, compte-tenu de la nécessaire réactivité de la réponse policière en cas d'émeutes et du nombre important de contenus sur les réseaux sociaux en source ouverte à analyser afin de dimensionner cette réponse, la mission propose, pour la seule durée des émeutes, de faciliter la détection précoce de contenus numériques incitant à la commission de violences ou à la participation à des émeutes par l'utilisation de traitements algorithmiques. 

Proposition n° 13 : Au cours des émeutes, faciliter l'identification par les réseaux sociaux et les supports numériques des auteurs d'actes violents ou de dégradations :

· Permettre la levée du caractère « privé » de boucles de messages réunissant un grand nombre d'individus ou des individus sans communauté d'intérêt ;

· Permettre un accès des services de renseignement et d'enquête aux échanges se tenant sur les boucles des messageries privées, dès lors que leurs conditions d'accès et le nombre de personnes y accédant les rendent assimilables à des services de communication au public en ligne.

· Au cours des émeutes, faciliter la détection précoce de contenus numériques incitant à la commission de violences ou à la participation à des émeutes par l'utilisation de traitements algorithmiques.

4. Après les émeutes, renforcer les poursuites contre les émeutiers mobilisant des supports numériques pour participer à des violences urbaines

L'ensemble des acteurs auditionnés par la mission ont fait état du caractère central des moyens de communication numérique, et singulièrement des réseaux sociaux, comme vecteurs de passage à l'acte, en particulier chez les mineurs, et de renforcement des violences urbaines par la médiatisation importante qu'ils permettent.

L'arsenal pénal a progressivement été renforcé afin de tenir compte des moyens mobilisés par les émeutiers pour participer, relayer et organiser des violences urbaines, et singulièrement les supports numériques.

Il en va ainsi de la récente création, par le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique dit « SREN » adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat en avril 2024 et en attente de promulgation, d'une peine complémentaire de « bannissement numérique » qui correspond à la suspension de l'accès à un service de plateforme en ligne lorsqu'une infraction a été commise en utilisant ledit service.

Si la définition d'une telle peine complémentaire semble aller dans le sens d'une prévention de la récidive adaptée aux modes opératoires de délinquants, il appartient d'en assurer la pleine application pour toutes les infractions commises ou facilitées par les outils numériques en contexte émeutier. Il en va ainsi de la participation à un groupement pour préparer des violences ou des dégradations (article 222-14-2 du code pénal), aux menaces de commettre un crime ou un délit contre les personnes (articles 222-17 à 222-18-3), à la menace de commettre des atteintes aux biens (articles 322-12 et 322-13 du code pénal) et de l'injure ou de l'outrage publics commises à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité publique (articles 31 et 33 de la loi de 1881).

La mission d'information appelle donc l'autorité judiciaire à se saisir pleinement de cette nouvelle peine complémentaire et, en cas d'infractions commises lors de contexte émeutiers, à faire un usage plus systématique de cette procédure de bannissement numérique pour prévenir plus efficacement la récidive.

Compte tenu, comme développé ci-avant, de l'ampleur de la diffusion entrainée par ces outils numériques qui conduit à démultiplier l'effet d'une infraction, il convient également de permettre aux acteurs judiciaires - parquet ou juge d'instruction - de faire usage des données de connexion pour identifier et localiser plus aisément les individus s'étant rendus coupables de participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations. Pour ce faire, il est nécessaire d'augmenter le quantum de la peine d'emprisonnement encourue, afin de permettre la réquisition des données de connexion par le parquet ou le juge d'instruction aux fins d'identification et de localisation des individus mis en cause pour une telle infraction.

En effet, le juge constitutionnel a jugé qu'en ce que « la réquisition de ces données est autorisée dans le cadre d'une enquête préliminaire qui peut porter sur tout type d'infraction et qui n'est pas justifiée par l'urgence ni limitée dans le temps », le législateur « n'a[vait] pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions »144(*) et a, par suite, censuré les dispositions des articles 77-1 et 77-1-1 du code de procédure pénale. En conséquence, quatre hypothèses limitativement énumérées pour justifier le recours à de telles réquisitions ont été introduites à l'article 60-1-2 du code de procédure pénale par le législateur afin de mieux concilier le droit au respect de la vie privée et l'objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infraction. Figure parmi ces quatre conditions le fait que la procédure soit ouverte pour une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement, faute de quoi, il ne sera pas loisible à l'autorité judiciaire de réquisitionner les données de connexion de l'individu.

Dès lors, aux yeux du rapporteur, le fait que le délit de participation à un groupement en vue de la préparation des violences ne soit puni que d'un an d'emprisonnement fait obstacle à l'usage d'une technique d'investigation pourtant utile et précieuse. Il semble donc opportun de relever le quantum encouru à trois ans, ce qui permettrait, sans modifier les équilibres trouvés par le législateur en matière de réquisition des données de connexion et sans augmenter de façon disproportionnée le quantum de peine encourue, de faciliter l'identification des individus s'étant rendus coupables d'une telle infraction.

Proposition n° 14 : Faciliter et renforcer les poursuites contre les délinquants mobilisant les supports numériques pour participer à des émeutes urbaines :

· Porter à trois ans d'emprisonnement la peine encourue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations, afin de rendre possible, dans une procédure pénale, la réquisition, aux fins d'identification et de localisation, les données de connexion ;

· Appliquer les peines complémentaires de « bannissement numérique » pour toutes les infractions commises ou facilitées par les outils numériques en contexte émeutier.

D. LE RÔLE DES POLICES MUNICIPALES EN CAS D'ÉMEUTES : UN COMPLÉMENT QUI NE DOIT PAS S'APPARENTER À UN SUBSTITUT

Aux yeux du rapporteur, il apparait indispensable de renforcer la coordination entre les différents acteurs du continuum de la sécurité, singulièrement entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure, dans une logique partenariale et de complémentarité qui ne saurait s'apparenter à une logique de substitution ou de supplétivité.

En effet, il demeure convaincu que le rôle des polices municipales doit, à l'initiative de chacun des maires, être une force garante de la sécurité de proximité, en complément des forces de sécurité intérieure, sans que leurs actions ne soient assimilables.

À la lumière de la réponse policière nationale et municipale aux violences urbaines de l'été 2023, il apparait indispensable de réaffirmer deux principes complémentaires et parfois difficiles à concilier :

· d'une part, la police municipale ne saurait être un supplétif à l'action des forces de sécurité intérieure, venant ainsi combler le manque de moyens de ces dernières ;

· d'autre part, dans le respect de ses missions et de ses compétences, la police municipale ne saurait faire l'économie de son engagement et de sa connaissance du terrain et des populations en cas d'émeutes, sauf si la sécurité des agents est directement menacée.

Constatant l'hétérogénéité des moyens des polices municipales ainsi que des choix municipaux réalisés au cours des émeutes, la mission n'a pu que constater le besoin d'une double évolution de l'engagement des polices municipales en cas d'émeutes :

· renforcer la complémentarité opérationnelle entre les polices municipales et les forces de l'ordre ;

· et, pour celles qui sont formées, faciliter leur action au service du rétablissement de l'ordre public.

1. Renforcer la complémentarité opérationnelle entre les polices municipales et les forces de l'ordre en période d'émeutes, dans le respect des prérogatives de chacun

Faute d'une réflexion et de l'établissement d'une doctrine d'emploi préalablement à la survenue des émeutes de l'été 2023, l'engagement des polices municipales pour faire face aux violences urbaines a été hétérogène, prévu au cas par cas et parfois désordonné.

La mission considère indispensable qu'à l'avenir la complémentarité opérationnelle entre polices municipales et forces de l'ordre puisse, en pareil cas, être renforcée en ce en facilitant leur emploi par deux outils, l'un existant, l'autre inédit.

Proposition n° 15 : faciliter l'emploi des polices municipales, dans leurs prérogatives, lors des périodes d'émeutes en coordination avec les forces de sécurité intérieure.

a) S'appuyer sur les outils de coordination existants et garantir leur adaptation aux situations de crise

Au cours de ses travaux, la mission a constaté que les conventions de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité intérieure étaient loin d'être généralisées et ne comportaient aucune procédure spécifique à la gestion d'émeutes urbaines, y compris sur des territoires historiquement concernés par de multiples événements de cette nature.

En application des articles L. 512-4 à L. 512- 7 du code de la sécurité intérieure, depuis 1999, ces conventions - modernisées en 2019 - sont destinées à formaliser les modalités de coordination opérationnelles entre un service de police municipale et les forces de sécurité de l'État compétentes. Signées entre le maire, le préfet et le procureur de la République pour une durée de trois ans, elles ne sont obligatoires que dans quatre cas :

· si le service de police municipale compte au moins trois agents ;

· si la police municipale est armée ou équipée de caméras-piétons ;

· si elle est dotée d'une brigade cynophile ;

· si les agents de police municipale sont mutualisés entre plusieurs communes.

La mission considère que ce cadre légal, souple et éprouvé, constitue l'outil territorialisé adéquat et adapté à la formalisation de la participation de la police municipale à la réponse policière en cas d'émeutes et à l'établissement de procédures particulières d'intervention en pareil cas, en complément de l'action des forces de sécurité intérieure.

Elle appelle donc à généraliser le déploiement de ces conventions et lorsqu'elles existent, à leur mise à jour, sur la base du retour d'expérience des émeutes de l'été 2023, pour intégrer l'évolution de la délinquance et de la réponse à une telle situation de crise.

Sous-proposition n° 1 : Réviser les conventions de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l'État pour intégrer des procédures spécifiques en cas d'émeutes.

b) Assurer la complémentarité de la participation des polices municipales avec les forces de sécurité intérieure

Parallèlement, prenant en compte le développement parfois particulièrement abouti de certaines polices municipales, à l'instar de d'Évry-Courcouronnes, le rapporteur propose, toujours dans le souci d'améliorer la coordination entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure en cas d'émeutes, de faciliter le déploiement de patrouilles mixtes afin d'assurer la présence de tous les acteurs du continuum de sécurité dans la réponse à la crise.

En outre, une telle mesure permettrait aux policiers municipaux moins équipés, de venir renforcer, sans évolution de leurs prérogatives, les forces de sécurité intérieure dans les patrouilles, évitant ainsi leur isolement et leur ciblage particulier.

Sous-proposition n° 2 : En période d'émeutes, faciliter le déploiement de patrouilles mixtes entre forces de sécurité intérieures et polices municipales afin d'assurer la présence de tous les acteurs du continuum de sécurité en cas de crise ;

2. Faciliter l'action des polices municipales en période d'émeutes urbaines

Une des difficultés exprimées par les policiers municipaux et les élus, lors des travaux conduits par la mission, tient au manque de moyens juridiques et matériels dont disposent les policiers municipaux, contrairement aux gardes-champêtres, pour assurer pleinement et effectivement leurs missions en contexte émeutier.

La mission propose plusieurs pistes d'évolution, pour le seul contexte émeutier, sans préjuger d'une réforme globale des polices municipales appelée de leurs voeux par les syndicats de policiers municipaux et de nombreux élus :

· aligner le régime des policiers municipaux sur celui des gardes-champêtres en matière d'heures supplémentaires et de prérogatives de police judiciaire ;

· élargir à la saisie d'objets dangereux leurs prérogatives de police judiciaire afin de répondre aux nécessités du contexte émeutier ;

· améliorer l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres pour faire face, sur la durée, à des violences urbaines de forte intensité ;

· renforcer l'équipement en vidéoprotection dans l'ensemble des communes volontaires.

a) Aligner les prérogatives des policiers municipaux sur celui conféré aux gardes-champêtres en matière de police judiciaire

Lors des travaux conduits par le rapporteur, de nombreuses insatisfactions à l'égard du statut de policier municipal, singulièrement en comparaison avec celui conféré aux gardes-champêtres, ont été émises.

En l'occurrence, les gardes champêtres, qui forment pourtant l'un des cadres d'emplois de la police municipale, disposent d'un cadre d'intervention et de travail plus favorable et moins restrictif que celui des policiers municipaux. Ils disposent ainsi d'un champ de compétences en matière de police judiciaire plus étendu que les policiers municipaux sur le territoire où ils sont assermentés.

Plus précisément, s'ils bénéficient de la qualité d'agents de police judiciaire adjoints au titre de l'article 21 du code de procédure pénale, à l'instar des policiers municipaux, ils disposent de compétences plus étendues sur le territoire de leur assermentation dès lors qu'ils ne partagent pas leurs compétences avec les policiers municipaux. Ainsi, en dehors de ces compétences partagées, ils peuvent exercer certaines prérogatives de police judiciaire, sans intervention d'un officier de police judiciaire, pour le respect de certaines polices spéciales, à la différence des policiers municipaux. Il en va ainsi, en matière environnementale, de la recherche et du constat des infractions liées aux biocarburants et bioliquides liés à la biomasse, avec un droit d'accès aux zones de culture mais également aux locaux, installations et infrastructures (article L. 284-2 du code de l'énergie), à la protection de l'eau et des milieux aquatiques et marins (article L. 216-3 du code de l'environnement), des réserves naturelles (article L. 330-20 du même code), des parcs nationaux (article L. 331-20, du même code.), du patrimoine naturel (article L. 415-1, même code), de la chasse (article L. 428-20, même code), de la pêche (article L. 437-1, même code).

En complément, en application de l'article 24 du code de procédure pénale, ils sont compétents pour rechercher et constater les contraventions ainsi que les délits qui portent atteinte aux propriétés situées dans les communes pour lesquelles ils sont assermentés. Pour l'exercice de ces compétences de police judiciaire, les gardes champêtres bénéficient des prérogatives étendues : ils peuvent ainsi relever l'identité des personnes à l'encontre desquelles ils entendent dresser procès-verbal, accéder aux propriétés closes dans les conditions du code de procédure pénale relatives aux perquisitions, rechercher les objets enlevés par les auteurs présumés de l'infraction jusque dans les lieux où ils ont été transportés et les mettre sous séquestre.

Les gardes champêtres se voient aussi confier, concurremment avec les gendarmes et les policiers nationaux, l'exécution des mandats d'amener, de dépôt et d'arrêt, des ordonnances de prise de corps, des arrêts et jugements de condamnation, des mesures de contraintes exercées contre les témoins défaillants (article R. 188 du code de procédure pénale).

Compte-tenu de la professionnalisation croissante des policiers municipaux, le rapporteur considère que ces différences de prérogatives de police judiciaire entre les gardes-champêtres et les policiers municipaux ne sont plus, aujourd'hui, justifiées par des différences objectives de situation. Au surplus, nombre de maires choisissent en conséquence de se doter de gardes-champêtres plutôt que de policiers municipaux.

Dès lors, il apparait souhaitable d'aligner les prérogatives de police judiciaire de la police municipale sur celles conférées aux gardes-champêtres afin de remédier à une différence de situation peu lisible et préjudiciable en période d'émeutes, tant elle limite l'action des policiers municipaux.

Proposition n° 16 : Aligner les prérogatives de police judiciaire de la police municipale sur celles conférées aux gardes-champêtres.

b) Doter les policiers municipaux d'outils juridiques adaptés aux situations émeutières

Sans préjudice d'une réflexion plus large sur les prérogatives de police judiciaire, et singulièrement les actes d'enquêtes, pouvant être confiées aux policiers municipaux, le rapporteur a constaté qu'il était nécessaire, en période d'émeutes, d'adapter les prérogatives des policiers municipaux.

En effet, en pareil cas, il appartient aux polices municipales à la fois d'être pleinement opérationnelles sur leurs missions mais aussi de décharger, dans le respect de leurs compétences, les forces de sécurité intérieure des tâches qu'elles peuvent elle-même exécuter.

Ainsi, la mission plaide pour qu'en contexte émeutier les policiers municipaux puissent saisir des biens et objets dangereux, utilisés par les émeutiers à l'encontre des forces de l'ordre et pour dégrader des biens et bâtiments, tels que les mortiers d'artifice et les armes par destination. Ils pourraient ainsi, après accord du maire et formation adéquate, opérer une saisie dès lorsqu'elle ne nécessite pas une fouille ou une perquisition, mais une simple inspection visuelle. De tels comportements en ce qu'ils sont facilement identifiables et caractérisables permettraient une verbalisation et une saisie immédiate par la police municipale, sans attendre une patrouille des forces de sécurité intérieure envoyée par un officier de police judiciaire.

Proposition n° 17 : En période d'émeutes, confier aux policiers municipaux, sous l'autorité directe du procureur de la République et après accord du maire et formations, des prérogatives de saisie de biens dangereux (mortiers, armes par destination).

c) Améliorer l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres pour faire face, sur la durée, à des violences urbaines de forte intensité

Auditionné par la mission, le chef du SCAE a exposé les difficultés auxquelles sont confrontées les polices municipales et les gardes-champêtres dans l'équipement et le réapprovisionnement en armes en cas de violences urbaines mettant en tension les filières industrielles.

En premier lieu, il a fait état de l'absence d'homologation des équipements et matériels utilisés par les polices municipales et gardes-champêtres, pouvant aboutir à l'emploi d'équipements inadaptés voire dangereux, notamment s'agissant des gilets pare-balles ou des vêtements mal ignifugés. De la même manière, il a insisté sur les désavantages de l'absence de mécanisme de mutualisation et de centralisation des achats de ces acteurs du continuum de sécurité, renchérissant les coûts pour les collectivités qui les emploient.

En deuxième lieu, il a attiré l'attention du rapporteur sur les complexités des demandes d'agréments de port d'armes des policiers municipaux et gardes-champêtres qui ne peuvent, en l'état, être dématérialisées.

Enfin, en dernier lieu, compte tenu des situations rencontrées lors des émeutes urbaines de l'été 2023, il a alerté le rapporteur sur les difficultés de réapprovisionnement en munitions et équipements des polices municipales lorsque l'ensemble des acteurs du continuum de sécurité ont sollicité les fournisseurs au même moment faisant face à un épuisement de leurs stocks et à une mise sous tension extrême des matériels et équipements imposant des remplacements rapides. De façon analogue, certains policiers municipaux rencontrés ont signalé au rapporteur l'importance de l'évolution de l'équipement des policiers municipaux en contexte émeutier qui pourrait être rapidement déployé en cas d'émeutes, notamment les canons à eaux ou les produits de marquage corporels évoqués ci-avant.

En réponse à l'ensemble de ces éléments, la mission estime indispensable d'instituer une doctrine pour l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres.

Proposition n° 18 : Instituer une doctrine pour l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres :

· Garantir l'homologation des équipements et matériels utilisés par les polices municipales et gardes champêtres, et le cas échéant permettre de centraliser leur achat ;

· Dématérialiser les agréments de port d'armes des policiers municipaux et gardes champêtres ;

· En période d'émeutes, réfléchir, dans le cadre du schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, à une évolution de l'équipement en armes non-létales de policiers municipaux ;

· En période d'émeutes, instituer une procédure simplifiée de réapprovisionnement en munitions et équipements, sous l'égide du SCAE.

d) Renforcer la vidéoprotection dans l'ensemble des communes volontaires

L'ensemble des acteurs auditionnés par la mission ont confirmé l'utilité de la vidéoprotection dans la lutte contre la délinquance sur la voie publique, outil désormais régulièrement ciblé par les émeutiers qui cherchent à le neutraliser en coupant leur alimentation, en dégradant les caméras ou en sciant leurs mats. Cet outil présente une utilité opérationnelle multiple : il dissuade, facilite la constatation en flagrance et constitue un élément de preuve particulièrement utile en matière judiciaire.

L'un des principaux obstacles à son déploiement soulevés par les élus et les policiers municipaux auditionnés réside dans l'important coût financier que représente cet équipement, singulièrement pour les communes rurales ou dont le budget est particulièrement contraint.

Depuis 2007, le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD) finance la réalisation d'actions dans le cadre des plans de prévention de la délinquance et de la contractualisation mise en oeuvre entre l'État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville. Il octroie, dans ce cadre, des subventions aux communes afin d'installer des caméras de vidéoprotection et de construire des centres de supervisions urbains (CSU).

Toutefois, compte-tenu des besoins résultants, notamment de l'organisation de grands événements sportifs sur le territoire national, le budget alloué à ce fonds ne permet pas à l'ensemble des communes volontaires de bénéficier de co-financements pour développer la vidéoprotection sur la voie publique. En effet, celui-ci s'élève à 82 millions d'euros en 2023, dont une partie est déconcentrée à hauteur de 55 millions d'euros (54 millions d'euros en 2022).

En sus d'un renforcement des moyens alloués au FIPD, la mission insiste sur la nécessité de faciliter le déploiement de la vidéoprotection au sein des communes rurales ou de petite taille qui se retrouvent aujourd'hui régulièrement exclues des bénéfices de ces subventions au profit des villes urbaines ou péri-urbaines de plus grande taille. S'il est indéniable que les risques sécuritaires sont hétérogènes sur le territoire en fonction de la nature et de la taille des communes, elle appelle à un meilleur partage de ces subventions afin d'atteindre une couverture optimale du territoire, ce qui inclut l'ensemble des communes volontaires.

En outre, une fois son montant réévalué, il appartiendra à l'État de réserver une partie du montant des subventions à la prise en charge partielle des coûts de maintenance du matériel de vidéoprotection, aujourd'hui exclus du bénéfice des subventions. En effet, il apparait indispensable de bénéficier de caméras utilisables, y compris la nuit, ce que ne permettent pas les caméras de vidéoprotection installées dans les années 2010.

Enfin, soucieux de faciliter le déploiement de la vidéoprotection et d'en maximiser les bénéfices opérationnels, la mission appelle à simplifier la procédure de raccordement des caméras municipales vers les services de police et de gendarmerie locaux. En effet, certaines prérogatives d'intervention n'étant confiées qu'aux seules forces de sécurité intérieure, il apparait indispensable de leur permettre d'accéder systématiquement aux images captées par les caméras municipales.

Proposition n° 19 : Faciliter le déploiement de la vidéoprotection au sein des communes, y compris rurales ou de petite taille :

· Renforcer les moyens destinés au déploiement d'outils de vidéosurveillance dans le cadre du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et permettre la prise en charge partielle des coûts de maintenance du matériel de vidéoprotection;

· Simplifier la procédure de raccordement des caméras au centre municipal de visionnage et aux commissariats locaux.

E. LA PLACE DES ÉLUS LOCAUX DANS LA GESTION DES ÉMEUTES : UNE RELATION À CONFORTER

En première ligne sur le terrain, les élus locaux ont occupé une place centrale dans la réponse des pouvoirs publics aux émeutes de 2023, parfois au péril de leur propre sécurité. Comme l'a indiqué l'Association des maires des Hauts-de-Seine lors de son audition par le rapporteur, les « élus locaux ont été particulièrement réactifs avec de nombreux élus d'astreinte qui ont été sur le terrain avec les polices municipales en cellule de crise ».

Preuve du rôle essentiel joué par les élus locaux face à ces violences, c'est à l'occasion d'un discours prononcé à la Sorbonne devant des maires que la Première ministre Elisabeth Borne a présenté, le 26 octobre 2023, le plan du Gouvernement en réponses aux événements de juin et de juillet, saluant alors l'action des élus locaux « pour aider au retour au calme »145(*).

La mobilisation des services municipaux à Saint-Fons

Lors du déplacement de la mission à Saint-Fons, son maire, Christian Duchêne, a insisté sur l'importante mobilisation des services municipaux dans le cadre de la situation de crise résultant des violences qui ont touché la ville.

Ainsi, une « cellule de crise », active jusqu'à la fin du mois de juillet, ayant été mise en place dès le 30 juin 2023. Le centre communal d'action sociale a organisé une cellule de relogement pour les sinistrés de l'immeuble incendié, tandis que la direction du développement urbain a accompagné la relocalisation des entreprises de la coursive incendiée. Une équipe propreté, dédiée spécifiquement au nettoyage de la voie publique, a été missionnée chaque matin pour effacer les stigmates des heurts de la nuit. Afin de ne pas « exciter » les émeutiers, le choix a été fait de ne pas laisser les policiers municipaux à l'intérieur du commissariat, l'accueil du public ayant été temporairement déplacé à l'hôtel de ville.

De manière générale, les personnes entendues par la mission d'information, à commencer par les maires et les associations représentant les élus locaux, ont jugé satisfaisante la façon dont les élus ont été associés à la gestion de crise aux côtés des services de l'État.

Partageant ce constat, la maire de Pontoise, Stéphanie Von Euw a ainsi tenu, lors de son audition, « à saluer la coordination avec les services de l'État, en particulier avec la préfecture, et à remercier pour son écoute et son efficacité le préfet du Val-d'Oise, Philippe Court, auquel [elle] téléphonai[t] une à deux fois par jour ».

Toutefois, le degré de coordination n'a pas été homogène sur l'ensemble du territoire ni avec l'ensemble des services de l'État.

D'une part, près de 25 % des communes consultées par la mission d'information ont indiqué avoir manqué d'informations de la part des services de l'État et des forces de l'ordre à propos de l'état de la situation sécuritaire et des différentes interventions conduites sur leur territoire. Ainsi, certaines communes ont estimé que le « partage de l'information à l'égard du maire, encore trop peu intégré dans le moment le plus tendu », constituait une piste d'amélioration pour l'avenir.

À cet égard, les services de l'État dans les territoires ont également été soumis à de fortes contraintes au cours de la crise, rendant parfois plus complexe la communication avec l'ensemble des maires concernés. Ainsi, la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont le témoignage a été recueilli par la mission lors de son déplacement à Lyon le 7 décembre 2023, a fait part au rapporteur des difficultés rencontrées par les services de la préfecture pour assurer l'information l'ensemble des acteurs concernés lorsque plus de 30 communes étaient simultanément le théâtre de violences urbaines.

D'autre part, plusieurs maires interrogés par la mission d'information ont qualifié leurs relations avec le procureur de la République d'« inexistantes »146(*). De même, Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps, a confié à la mission d'information : « concernant nos relations avec la préfecture, le parquet et la police nationale, quelque chose me gêne : à aucun moment nous n'avons été interrogés à l'occasion des enquêtes menées par la police ou le Parquet ».

Pour assurer la complète information du maire sur la situation de l'ordre public sur le territoire de la commune et, le cas échéant, l'opérationnalité de la coordination avec les services municipaux, la mission recommande donc que le maire, officier de police judiciaire, puisse être présent, dans les centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité.

Par ailleurs, s'il s'est félicité de ses bonnes relations avec le commissaire de police147(*), le maire de Mont-Saint-Martin, Serge De Carli, a regretté de n'avoir pas été informé de l'intervention du RAID sur le territoire de sa commune. Cette intervention est en effet, selon lui, à l'origine de l'attaque de son domicile en représailles de cette intervention, les émeutiers lui attribuant la responsabilité de cette décision.

Proposition n° 20 : Assurer l'information systématique du maire quant aux interventions organisées sur le territoire de la commune, singulièrement celles lourdes ou à effet médiatique fort et permettre sa présence, en qualité d'officier de police judiciaire (OPJ), aux centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité.

Acteurs essentiels de la réponse des pouvoirs publics aux émeutes, les maires ont également été pris pour cible par les émeutiers et victimes de violences d'une extrême gravité. Exposés de façon croissante aux agressions physiques et verbales, les élus locaux doivent être mis en mesure d'apaiser les tensions et de réagir de façon appropriée lorsqu'ils sont confrontés à des situations de conflit. Depuis plusieurs mois, sont organisées, en lien avec le RAID et le GIGN, des formations à la désescalade de la violence afin de permettre aux élus d'acquérir les bons réflexes lorsqu'ils font face à des administrés adoptant des comportements agressifs ou violents. 

Les émeutes ont démontré l'intérêt de telles formations, en particulier lorsque les élus sont confrontés à la violence de jeunes individus violents et imprévisibles. La mission d'information invite donc à ce qu'elles soient développées.

Proposition n° 21 : Faciliter la formation des élus locaux à la conduite à tenir face à des jeunes violents.

F. LA RÉPONSE JUDICIAIRE : UNE MOBILISATION INÉDITE DE L'ENSEMBLE DE LA CHAINE PÉNALE AU RENDEZ-VOUS DES ÉVÈNEMENTS EN DÉPIT DU MANQUE D'OUTILS MATÉRIELS ET LÉGISLATIFS ADAPTÉS À CERTAINES ÉVOLUTIONS

La mission salue la systématisation et la rapidité de la réponse pénale des émeutiers au cours de l'été 2023, impliquant une réorganisation en urgence des tribunaux et une mobilisation inédite de l'ensemble de la chaine pénale pour faire face à l'augmentation des procédures, singulièrement de comparutions immédiates.

Elle rappelle la nécessité de faciliter la poursuite immédiate des auteurs d'infractions en contexte émeutiers et de garantir le prononcé rapide de sanctions afin d'une part, d'assurer un meilleur suivi des émeutiers, notamment par le prononcé de mesures interdisant la fréquentation de certains lieux ou de certaines personnes, et d'autre part, d'envoyer un message clair de fermeté et de dissuasion aux individus tentés d'adopter des comportements délicieux similaires.

Fort de l'analyse de terrain exprimée par les acteurs de la chaine pénale rencontrés, la mission suggère plusieurs propositions visant à améliorer le traitement judiciaire des émeutiers et mettre ainsi fin au sentiment d'impunité dont peuvent jouir des émeutiers opérant par groupe de plusieurs dizaines de personnes et par le biais de messageries en ligne privées ou de fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux.

Elle propose ainsi de :

· renforcer et adapter l'arsenal pénal aux évolutions des comportements et modes opératoires des émeutiers ;

· améliorer la répression et la prévention des violences urbaines perpétrées par des mineurs ;

· perfectionner le traitement judiciaire en période d'émeutes urbaines ou de crise.

1. Renforcer et adapter l'arsenal pénal aux évolutions des comportements et modes opératoires des émeutiers

Comme développé supra, l'arsenal pénal actuel est désormais inadapté aux nouveaux comportements des émeutiers et à leurs profils.

Ainsi, il apparait nécessaire de le renforcer et d'y apporter des adaptations afin d'en accroitre le caractère dissuasif et répressif, et de doter les magistrats de l'ensemble des outils permettant d'individualiser les peines prononcées.

En sus des renforcements de sanctions détaillées plus haut148(*), il est proposé, sur le modèle des dispositions de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, de favoriser le développement de travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires au cours d'émeutes.

Comme l'a indiqué la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) au rapporteur, « la peine de travail d'intérêt général peut être prononcée par le tribunal afin de substituer aux courtes peines d'emprisonnement une sanction individualisée, resocialisante et efficace pour lutter contre la récidive. La personne condamnée effectue alors un travail sans rémunération dans l'intérêt collectif, qui vise à réparer le tort commis à la communauté et restaurer le lien de confiance. Les collectivités et établissements publics, les associations et les entreprises chargées d'une mission de service public peuvent accueillir les personnes condamnées à une peine de travail d'intérêt général ».

Compte tenu de la nature du TIG, la mission a jugé particulièrement bienvenue cette mesure introduite par le Sénat, en ce qu'elle améliore concrètement et pragmatiquement la répression d'infractions commises à l'endroit des personnes dépositaires de l'autorité publique. Elle souhaite en conséquence en faciliter le prononcé pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires, notamment de biens publics, au cours d'émeutes.

Le rapporteur souhaite, néanmoins, insister sur le sens particulier de cette peine qui s'apparente à la réalisation d'un travail gratuit pour la collectivité et appelle, lorsque cela est possible et adapté à la personnalité du condamné, à ce que celui-ci puisse effectuer sa peine de TIG au sein d'une collectivité territoriale.

De façon analogue, la mission propose d'adapter le contenu du stage de citoyenneté, défini localement dans le ressort de chaque tribunal, au profil spécifique des émeutiers. Une telle mesure permettrait de renforcer l'individualisation des peines toute en territorialisant la réponse pénale apportée aux émeutes.

Enfin, compte tenu du nombre d'émeutiers ayant agi en dissimulant volontairement leurs visages, le rapporteur s'étonne du faible nombre de condamnations du fait de la participation délictueuse à un attroupement, aggravé par la dissimulation volontaire du visage. Ainsi aggravée, ce délit est puni de trois ans d'emprisonnement - permettant ainsi la réquisition des données de connexion - et 45 000 euros d'amende. La mission appelle, dès lors, l'autorité judiciaire à systématiser l'utilisation de cette circonstance aggravante afin non seulement de faciliter l'identification des auteurs et leur localisation et d'autre part, à mieux réprimer ce comportement délictueux largement adopté par les émeutiers.

Pour mémoire, définie à l'article 431-3 du code pénal, la participation délictueuse à un attroupement consiste, après deux sommations, à continuer de participer à un attroupement - l'attroupement étant caractérisé comme un « rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public ». Est alors encourue une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Proposition n° 22 : Renforcer et adapter l'arsenal pénal aux nouveaux comportements émeutiers :

· Systématiser les poursuites en cas de dissimulation du visage aggravant le délit de participation à un attroupement ;

· Sur le modèle des dispositions de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, favoriser le développement de travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités pour sanctionner les mineurs ayant commis des dégradations volontaires au cours d'émeutes ;

· Adapter le contenu du stage de citoyenneté, défini localement dans le ressort de chaque tribunal, au profil spécifique des émeutiers.

2. Améliorer la répression et la prévention des violences urbaines perpétrées par des mineurs

Comme détaillé ci-avant, de nombreux mineurs, souvent primo-délinquants, se sont rendus coupables de violences urbaines à l'été 2023.

Comme l'ont démontré les auditions conduites par le rapporteur, l'augmentation préoccupante du nombre de mineurs judiciarisés pour des faits en lien avec les émeutes, singulièrement âgés de moins de treize ans, invite à faire évoluer les mesures de poursuites et d'instruction leur étant applicables, afin de permettre aux magistrats de bénéficier de l'ensemble des moyens nécessaires à la sanction des mineurs participant aux émeutes, y compris de moins de treize ans, sans revenir sur le principe d'une distinction entre les mesures applicables aux majeurs et aux mineurs ainsi qu' entre les différents stades de la minorité.

En conséquence, sur le modèle des dispositions votées par le Sénat en janvier 2024 dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste149(*), la mission propose d'adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants.

À cette fin, elle suggère de :

· permettre le placement sous contrôle judiciaire des mineurs primo délinquants pour les infractions en lien avec la participation à des groupements, y compris pour des infractions dont les peines encourues sont inférieures à cinq ans - afin de permettre le prononcé de telles mesures en cas de participation délictuelle à un attroupement ou de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations ;

· de rendre possible, de façon analogue, le placement en centre éducatif fermé et le placement sous surveillance électronique mobile de tels mineurs, afin d'établir rapidement les conditions de leur éloignement des violences urbaines ;

· faciliter le passage en audience unique sur la culpabilité et la sanction de mineurs impliqués dans ce type d'infractions, afin de permettre un prononcé le plus rapide possible des sanctions à l'encontre des émeutiers.

Proposition n° 23 : Sur le modèle des dispositions votées par le Sénat en janvier 2024 dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants :

· Permettre le placement sous contrôle judiciaire des mineurs primo délinquants pour les infractions en lien avec la participation à des groupements ;

· Permettre, de façon analogue, le placement en centre éducatif fermé et sous placement électronique mobile de tels mineurs ;

· Faciliter le passage en audience unique sur la culpabilité et la sanction de mineurs impliqués dans ce type d'infractions.

3. Perfectionner le traitement judiciaire en période d'émeutes urbaines ou de crise

Enfin, des retours d'expériences recueillis par la mission au cours de ses déplacements et auditions, il est apparu que certaines mesures opérationnelles devaient rapidement être déployées afin de garantir et d'assurer un traitement judiciaire efficace en contexte de crise ou d'émeutes.

En effet, si la mobilisation de la chaine pénale est à saluer, force est de constater qu'elle a dû se concrétiser en dépit de sérieux manques de planification préalable, d'équipements matériels performants et adaptés aux preuves recueillies par les services enquêteurs et au cours d'une grève des agents de greffe.

Ainsi, pour remédier à ces difficultés, la mission préconise quatre principales évolutions.

En premier lieu, il lui apparait indispensable d'établir, en préservant les acquis et les singularités de fonctionnement de chacun des tribunaux, un schéma organisationnel de gestion des crises pour la mobilisation des acteurs judiciaires, sur la base des retours d'expériences de la gestion des émeutes de l'été 2023.

En deuxième lieu, elle invite les acteurs judiciaires à systématiser sur l'ensemble des ressorts les bonnes pratiques déployées à l'occasion des émeutes de l'été 2023, notamment l'utilisation des « fils rouges » des forces de l'ordre pour établir des procès-verbaux de contexte et fluidifier les relations entre les agents interpellateurs et les services d'enquêtes. En l'occurrence, une telle mesure a permis, d'après les policiers entendus à Évry-Courcouronnes, de pallier l'incomplétude et l'imprécision des fiches de mise à disposition remplies par les agents interpellateurs, qui obèrent les chances de poursuites judiciaires à l'encontre des émeutiers interpellés. En outre, cela a permis de limiter le temps passé par les agents interpellateurs sur ces procédures pour rendre effective leur pleine mobilisation sur le terrain pour mettre fin aux débordements persistants.

En troisième lieu, le rapporteur insiste sur la nécessité d'équiper, dans les plus brefs délais, l'ensemble des tribunaux de salles et de moyens techniques pour visionner et écouter les enregistrements des caméras piétons et les données extraites des sources numériques. Ces preuves numériques tendent à se multiplier et sont particulièrement nombreuses pour des procédures impliquant des groupes de mineurs en situation émeutières. Dès lors, il apparait indispensable d'adapter les équipements de l'autorité judiciaire en conséquence.

Enfin, lors de son déplacement au tribunal judicaire de Lyon, la mission a été alertée sur les difficultés rencontrées au cours des émeutes de l'été 2023 pour réquisitionner des agents de greffe alors grévistes pour assurer le traitement de l'ensemble des dossiers liés aux violences urbaines. Si le mécanisme de réquisition des magistrats est robuste et éprouvé, il apparait que celui des agents de greffe n'a pas été actualisé. Ainsi, il est souhaitable de permettre en situation de crise ou d'émeutes la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la chaine judiciaire, notamment en assouplissant le mécanisme de réquisition des greffiers.

Proposition n° 24 : Assurer un traitement judiciaire efficace en contexte de crise ou d'émeutes

· Établir, sur les retours d'expériences des émeutes de 2023, un schéma organisationnel de gestion des crises pour la mobilisation des acteurs judiciaires ;

· Systématiser les bonnes pratiques comme l'utilisation des « fils rouges » des forces de l'ordre pour établir des procès-verbaux de contexte ;

· Équiper l'ensemble des tribunaux de salles et d'équipements pour visionner et écouter les enregistrements des caméras piétons et les données extraites des sources numériques ;

· Permettre en situation de crise ou d'émeutes la mobilisation de l'ensemble des acteurs de la chaine judiciaire, notamment en assouplissant le mécanisme de réquisition des greffiers.

III. L'APRÈS-ÉMEUTES : UNE RECONSTRUCTION RAPIDE MALGRÉ DES OUTILS INEXPLOITÉS ET DES MODIFICATIONS UNILATÉRALES ET PRÉOCCUPANTES DES CONTRATS D'ASSURANCE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. UNE RÉPONSE ASSURANTIELLE RAPIDE ILLUSTRANT CEPENDANT LES FRAGILITÉS D'UN MODÈLE ASSURANTIEL DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES À REDÉFINIR

1. Une réaction de court terme satisfaisante face à des coûts significatifs pour les assureurs

Les assureurs, et en particulier ceux des collectivités territoriales, ont été réactifs lors des violences urbaines de l'été 2023. La mission d'information a pu constater que la mobilisation des assureurs et de leurs réseaux d'expertise fut prompte et proportionnée, aussi bien pendant l'épisode de violences que dans la gestion des sinistres lors des semaines qui ont suivi.

Cette mobilisation était d'autant plus nécessaire et attendue que les sommes en jeu apparaissent particulièrement significatives : d'après les chiffres, actualisés par rapport aux premières estimations transmises à la presse en juillet 2023, transmis à la mission d'information par France Assureurs et par SMACL Assurances, 16 400 sinistres ont été déclarés aux assureurs, pour un coût total s'élevant à 793 millions d'euros, dont 65 millions d'euros pour la SMACL150(*), spécialisée dans l'assurance des collectivités territoriales et des élus locaux. Ce chiffrage inclut la sinistralité automobile et les dommages aux biens des professionnels, des collectivités territoriales et des particuliers.

Cette somme représente un quasi-quadruplement par rapport au coût des émeutes de 2005 pour les assureurs, qui atteignit 204 millions d'euros, dont 25 millions d'euros pour la SMACL.

Pour y faire face et accompagner les victimes des sinistres, aussi bien France Assureurs, à partir du 3 juillet, que la SMACL, dès le 30 juin 2023, ont mis en place des « cellules de crise » afin de « réaliser des points de situation réguliers » et de faire preuve de « réactivité ». Ces cellules de crise ont été actives également lors des samedis 1er et 8 juillet, nécessitant l'enclenchement d'un dispositif d'heures supplémentaires pour le traitement en urgence des dossiers d'indemnisation.

En parallèle, de nombreuses mesures exceptionnelles ont été prises par les assureurs consultés par la mission d'information, afin de faciliter l'accompagnement des victimes :

· mise en place d'un numéro vert dédié à ces sinistres ;

· allongement des délais de déclaration des sinistres à trente jours, au lieu de cinq jours habituellement ;

· versement d'acomptes dès lors que le montant des dommages était supérieur à 500 000 euros ;

· priorisation des dossiers liés aux violences urbaines afin d'accélérer l'indemnisation et l'expertise des dommages ;

· prise de contact avec les collectivités territoriales identifiées comme ayant subi des dommages avant même que celles-ci aient entamé les démarches de déclaration des sinistres ;

· réduction du montant des franchises pour les commerçants les plus touchés.

Ces mesures ont permis d'afficher un délai moyen d'expertise des sinistres d'une quinzaine de jours et, pour la SMACL, de règlement des premiers dossiers, indemnisation comprise, de 82 jours en moyenne151(*).

Au 14 novembre 2023, soit six mois après les évènements, le taux d'indemnisation apparaissait ainsi satisfaisant : 11 720 sinistres avaient reçu une indemnisation ou avaient été classés sans-suite, soit 71 % du total des sinistres. 108 millions d'euros avaient été versés à cette date, soit 14 % de la charge financière totale.

Le taux de refus de prise en charge des sinistres déclarés apparaît en outre faible, les assureurs ayant fait preuve, d'après France Assureurs, de « souplesse ». La SMACL a quant à elle refusé de prendre en charge 11 % des déclarations de sinistres automobiles, la plupart en raison de l'absence de garantie dommages dans le contrat d'assurance, et 13,79 % des déclarations de sinistres sur les biens immobiliers, plus de la moitié des refus étant liée à des dommages dont le coût était inférieur à la franchise.

2. La gestion de l'après-émeutes : un « cauchemar » symptomatique des fragilités du modèle assurantiel des collectivités territoriales

Si le traitement et l'indemnisation par les assureurs des sinistres liés aux violences urbaines ont été célères et n'ont pas donné lieu à des dysfonctionnements majeurs, la réponse des assureurs fut tout aussi rapide pour tirer les conséquences de ces évènements, au détriment des assurés, et notablement des collectivités territoriales.

De nombreuses communes ont ainsi signalé à la mission d'information des difficultés relationnelles avec leur assureur à la suite de ces violences urbaines, leurs contrats ayant, quelques jours à peine après les émeutes, été unilatéralement modifiés ou résiliés, souvent avec de très courts délais de réponse exigés.

Ainsi, la moitié des communes consultées, auditionnées ou visitées par la mission d'information ont fait part de la réception de courriers leur notifiant une modification ou une résiliation des contrats d'assurance, les courriers auxquels la mission d'information a eu accès mettant explicitement en avant « le contexte socio-économique » de la commune et « le risque de répétition » d'évènements émeutiers. Il s'agit donc d'une double peine pour ces communes, qui ont non seulement dû faire face aux conséquences matérielles de ces violences urbaines, mais doivent également en subir les effets sur le long terme, à travers la hausse très substantielle de leurs cotisations d'assurance ou de leur franchise, voire trouver dans un délai restreint un nouvel assureur à la suite de la résiliation du contrat, tout en respectant le code de la commande publique qui impose une mise en concurrence, et donc des procédures parfois longues.

À titre d'exemple, une ville moyenne francilienne de 20 000 habitants a reçu un courrier en date du 3 août 2023, soit moins d'un mois après la fin des émeutes, lui faisant unilatéralement part d'un avenant à son contrat d'assurance appliquant une franchise de deux millions d'euros pour tous les sinistres liés à des dommages matériels résultant d'une émeute ou d'un mouvement populaire. La commune ne disposait que d'un délai de moins de deux mois et demi pour renvoyer l'avenant signé, faute de quoi le contrat serait résilié.

Plusieurs maires ont exprimé leur désarroi face à ces évolutions contractuelles qui placent leur commune dans une situation difficilement conciliable avec leurs moyens.

Lors de son audition au Sénat le 20 décembre 2023, Serge de Carli, maire de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle) a estimé que « la question assurantielle constitu[ait] un cauchemar », l'assureur de sa commune ayant « résilié l'ensemble des contrats dès la première semaine du mois d'août ». Bien que le maire ait finalement convaincu son assureur de proroger les contrats jusqu'au 1er juillet 2024, le maintien des contrats passé cette date est conditionné à « une hausse des cotisations pour des services amoindris ».

Ces difficultés ont été confirmées par Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise (Val-d'Oise), selon laquelle « la question des assurances pose un véritable problème ». À la suite des émeutes, « l'ensemble des contrats [de la commune] ont été dénoncés et résiliés par [la] compagnie d'assurance ». À la date de son audition au Sénat, le 20 décembre 2023, la commune n'avait réussi à conclure qu'un des deux appels d'offres qu'elle avait lancés, mais ce au prix d'une augmentation des cotisations de l'ordre de 200 %.

Au-delà de ces exemples localisés, Alain Chrétien, maire de Vesoul et missionné par le Gouvernement pour proposer des pistes de réformes sur l'assurabilité des collectivités territoriales, a dénoncé, lors de son audition par le rapporteur de la mission d'information, le 30 novembre 2023, « le désengagement massif des assureurs vis-à-vis des collectivités territoriales » à la suite de ces émeutes. Confirmant ce constat, l'Association des maires de France (AMF) a indiqué au rapporteur avoir recensé plusieurs cas similaires à ceux qui ont été présentés à la mission d'information, notamment les communes de Fontenay-sous-Bois, Arcueil, Ablon-sur-Seine, Garges-Lès-Gonesse, Aulnay-sous-Bois, Athis-Mons, Viry-Châtillon, Petit-Quevilly, Lanester ou encore Laxou. L'Association départementale des maires des Hauts-de-Seine a quant à elle dénoncé des augmentations « colossales » de franchises parmi ses adhérents.

Ce « désengagement » s'explique notamment par l'absence de dispositif assurantiel nationalisé permettant de prendre en charge les dégâts occasionnés par des mouvements émeutiers d'ampleur, outre l'ouverture discrétionnaire de crédits de la part du Gouvernement (cf. infra). En effet, si la plupart des assureurs proposent des garanties « émeutes et mouvements populaires » à leurs adhérents professionnels, il n'existe en revanche pas de régime assurantiel spécifique aux mouvements émeutiers, à l'instar du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles reposant sur un arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle par l'État, et qui est partiellement financé par une surprime, dont le taux est fixé par l'État, sur tous les contrats d'assurance de dommages.

Proposition n° 25 : Renforcer la couverture assurantielle des dommages résultant d'émeutes d'ampleur nationale, notamment en s'inspirant du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles issu de la loi du 13 juillet 1982 n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.

Plus globalement, les difficultés précitées, liées aux émeutes de l'été 2023, s'inscrivent dans le contexte d'une forte interrogation sur la viabilité du modèle assurantiel des collectivités territoriales, lequel est concentré sur deux acteurs, Groupama et SMACL Assurances, cette dernière appartenant à la MAIF. Au cours des derniers mois, le Sénat s'est régulièrement fait l'écho de cette inquiétude, notamment lors des questions d'actualité au Gouvernement152(*) mais surtout à travers la mission d'information de la commission des finances sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, lancée le 30 janvier 2024 et ayant rendu ses conclusions le 27 mars 2023.

La commission des finances a ainsi constaté que les émeutes constituaient un « risque majeur » pour les collectivités territoriales, qui peuvent « générer des coûts potentiellement insoutenables » pour ces dernières et « accroître le désengagement des assureurs, en raison de l'aléa moral important de ce risque, difficilement modélisable et, subséquemment, difficilement chiffrable ex-ante ». En conséquence, elle a appelé à une meilleure contribution de l'État à la couverture du risque d'émeutes, notamment à travers une extension de la dotation de solidarité aux collectivités victimes d'évènements climatiques ou géologiques (DSEC) aux dommages causés dans le cadre de violences urbaines ou par la mise en place, à l'instar de la proposition n° 25 dont elle a la primeur, d'un dispositif d'indemnisation du risque d'émeutes inspiré de celui qui existe pour les catastrophes naturelles.

Comme évoqué supra, le Gouvernement a également pris acte des dysfonctionnements du marché de l'assurance des collectivités territoriales, et a missionné Alain Chrétien et Jean-Yves Dagès, ancien président de la fédération nationale Groupama, pour proposer des solutions en vue d'améliorer la couverture assurantielle de ces collectivités. Leurs conclusions sont attendues pour le mois d'avril 2024.

Les éléments recueillis confortent ainsi largement les constats dressés par la commission des finances et par Alain Chrétien lors de son audition par le rapporteur en novembre 2023 et par la commission des finances en février dernier, à savoir une fragilité de plus en plus structurelle du modèle économique de l'assurance des collectivités territoriales. La mission d'information formule par conséquent le voeu qu'un texte législatif soit présenté au Parlement dans les prochains mois, afin que les préconisations issues aussi bien du Sénat que, le cas échéant, de la mission gouvernementale, puissent faire l'objet d'un débat parlementaire pour que les mesures les plus pertinentes soient adoptées.

B. LA LOI « URGENCE-RECONSTRUCTION » DU 25 JUILLET 2023 : UNE LOI D'EXCEPTION DAVANTAGE INCANTATOIRE QUE FONCTIONNELLE

1. Une mobilisation parlementaire prompte afin d'accompagner les communes touchées par des dégradations de bâtiments ou d'équipements publics

Si l'estimation des dommages aux biens s'est affinée au cours des mois qui ont suivi les émeutes de l'été 2023, il est cependant très vite apparu, dès les premiers jours des violences, que ces dommages dépasseraient largement le coût des violences urbaines de 2005 et que la réparation des bâtiments et des équipements publics dégradés nécessiterait l'engagement de plusieurs centaines de millions d'euros, dont une part substantielle à la charge des collectivités territoriales.

Ainsi, dès le 5 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a annoncé, lors de son audition par la commission des lois du Sénat, des chiffres provisoires faisant état de la dégradation d'au moins 2 508 bâtiments, dont plus de 750 bâtiments publics, notamment 273 bâtiments des forces de l'ordre, 168 écoles et 105 mairies153(*).

Face à ce constat, le Parlement, et plus particulièrement le Sénat, a réagi avec célérité afin de soutenir les communes et leurs maires confrontés au défi de la reconstruction. Dès le 3 juillet 2023, une proposition de loi n° 824 (2022-2023) d'urgence pour la reconstruction des bâtiments et équipements publics endommagés lors des émeutes du mardi 27 juin 2023 et des jours suivants fut déposée par Sophie Primas et 117 sénateurs. L'objet de cette proposition de loi, comportant six articles, était de favoriser « une reconstruction volontariste et accélérée [des] équipements emblématiques du service public qui ont été détruits ou endommagés » afin de démontrer que « la République ne recule pas » face aux « exactions ». Pour ce faire, ce texte tendait à mettre en place des mesures dérogatoires exceptionnelles, notamment au regard du droit de la commande publique ou du droit de l'urbanisme.

Le Parlement s'est également mobilisé pour adopter, dans des délais particulièrement restreints, le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.

Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité des propos tenus le 4 juillet 2023 par le Président de la République lors d'un échange au palais de l'Élysée avec les maires des communes touchées, au cours duquel a été annoncée une « loi d'urgence pour écraser tous les délais » afin d'accélérer la réparation de « la voirie, des établissements communaux, des écoles ». Le texte fut déposé dix jours plus tard au Sénat, le 13 juillet 2023, après avis du Conseil d'État rendu le 11 juillet 2023. Il fut examiné en quatre jours ouvrés par le Sénat et l'Assemblée nationale154(*), et fut promulgué par le Président de la République le 25 juillet 2023, après que l'Assemblée nationale a adopté le texte dans la rédaction issue du Sénat.

Reprenant les objectifs de la proposition de loi déposée au Sénat le 3 juillet 2023, cette loi comporte trois articles, autorisant chacun le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de déroger à certaines règles en matière de droit de l'urbanisme, de droit de la commande publique et de financement des opérations d'investissement des collectivités territoriales.

L'article 1er adapte les règles d'urbanisme afin de lever certains blocages potentiels et d'accélérer le traitement administratif des autorisations de travaux. Il autorise la reconstruction ou la réfection des bâtiments détruits ou endommagés au cours des émeutes à l'identique ou sous réserve de modification limitée, nonobstant toute disposition du droit de l'urbanisme contraire, et y compris lorsqu'un document d'urbanisme applicable en dispose autrement. Il permet l'engagement des travaux préliminaires dès la déclaration préalable ou le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme et, enfin, aménage la procédure d'instruction des demandes d'autorisation d`urbanisme, notamment en réduisant le délai accordé à l'administration pour l'examen des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, abaissé à un mois, et celui des déclarations préalables, abaissé à quinze jours.

L'article 2 assouplit, pour les seuls bâtiments ayant fait l'objet de dégradations lors des violences urbaines de l'été 2023, les conditions dans lesquelles les acheteurs publics peuvent déroger à deux principes forts de la commande publique : le principe de publicité et le principe d'allotissement. Il a ainsi été autorisé, d'une part, de passer des marchés publics sans publicité mais avec mise en concurrence pour des travaux dont le montant était inférieur à 1,5 million d'euros, soit un fort rehaussement par rapport au seuil de droit commun de 100 000 euros, et, d'autre part, de passer des marchés uniques non allotis et de recourir plus facilement aux marchés globaux. À l'occasion de l'examen du texte au Sénat, la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a estimé que les dérogations au principe de publicité octroieraient pour l'acheteur public un gain de temps de quatre semaines. De même, en permettant de ne passer qu'un seul marché plutôt que de l'allotir, la conclusion d'un marché global devrait entraîner un gain approximatif de quatre mois.

Enfin, l'article 3 comporte trois mesures de nature financière. Il permet en premier lieu le versement anticipé, et non lors de l'année N+2 comme le prévoit le droit commun, du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités territoriales à la suite des dégradations intervenues durant les émeutes. En deuxième lieu, il prévoit de déroger à l'article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales, qui impose une participation minimale des collectivités territoriales ou des groupements maîtres d'ouvrage au financement de leurs projets d'investissement à hauteur de 20 %, le coût des travaux pouvant alors exceptionnellement être financé intégralement par des subventions. Pour finir, l'article 3 prévoit une dérogation aux règles de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités, qui imposent une participation minimale de 50 % au bénéficiaire du fonds de concours.

Malgré le choix de recourir aux ordonnances, qualifié de « réponse juridique d'exception pour faire face à une situation elle-même exceptionnelle »155(*), ces mesures ont été soutenues très majoritairement par le Parlement, à l'unanimité au Sénat et par 260 voix contre 87 à l'Assemblée nationale.

2. Un usage modeste de la loi du 25 juillet 2023

La loi d'habilitation impartissait deux délais pour la publication des ordonnances : deux mois pour les dérogations au code de la commande publique et trois mois pour les dérogations au code de l'urbanisme et aux règles de financement des opérations d'investissement des collectivités territoriales.

Trois ordonnances ont ainsi été publiées sur le fondement de la loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 précitée :

· l'ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, mettant en oeuvre les dérogations prévues à l'article 2 de la loi n° 2023-656 précitée ;

· l'ordonnance n° 2023-870 du 13 septembre 2023 tendant à l'accélération de la délivrance et la mise en oeuvre des autorisations d'urbanisme permettant la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, mettant en oeuvre les dérogations prévues à l'article 1er de la loi n° 2023-656 précitée ;

· l'ordonnance n° 2023-871 du 13 septembre 2023 visant à faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, mettant en oeuvre les dérogations prévues à l'article 3 de la loi n° 2023-656 précitée.

Ces délais de publication, bien que conformes aux conditions de l'habilitation à légiférer par ordonnance, interrogent cependant. D'une part, la publication, dès le lendemain de la promulgation de la loi n° 2023-656, de l'ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 relative aux dérogations au code de la commande publique démontre que le recours à une ordonnance, et donc le dessaisissement du Parlement, n'était pas nécessaire puisque la mesure ne comportait pas de difficulté technique particulière et a pu être rédigée rapidement. Au demeurant, la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique avait indiqué à la rapporteure de la commission, Catherine Di Folco, lors de l'examen du texte que l'ordonnance était déjà prête avant même le dépôt du texte au Parlement. Par ailleurs, il est regrettable que les deux autres ordonnances aient été publiées mi-septembre, soit après la rentrée scolaire, alors même que l'un des objectifs principaux du texte d'urgence était de permettre l'initiation rapide des travaux de reconstruction, en particulier de ceux des 168 écoles endommagées. In fine, le gain de temps annoncé par le Gouvernement après application théorique des dérogations précitées apparaît minime, voire nul, après prise en compte du délai de publication des ordonnances.

Ce temps de latence entre la fin des violences urbaines et la publication des deux dernières ordonnances - deux mois et demi -, que la mission d'information peine à comprendre, explique partiellement le faible usage qui a été fait des dérogations permises par la loi n° 2023-656 précitée.

De nombreux maires interrogés par la mission d'information ont ainsi mis en avant leur souhait de débuter au plus vite les travaux de réfection, en particulier ceux des bâtiments publics essentiels à la vie de la commune, tels que les écoles ou les mairies. Lors de son audition au Sénat, le 20 décembre 2023, Serge de Carli, maire de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), commune particulière touchée par les violences urbaines de l'été 2023 avec l'attaque d'une école maternelle, de plusieurs infrastructures sportives, de la mairie et du service d'éducation spéciale et de soins à domicile, a illustré cet état d'esprit en mettant en avant « le bon sens [qui] voulait que nous n'attendions pas ». C'est pourquoi sa commune a « immédiatement lancé les démarches administratives visant à reconstruire ».

Parmi la cinquantaine de communes consultées, interrogées ou visitées par la mission d'information, seules 12 ont indiqué avoir fait usage des dérogations ouvertes par la loi n° 2023-656 précitée, soit un peu plus d'une sur cinq.

Par ailleurs, l'usage de ces dérogations n'est pas cantonné aux seules villes les plus peuplées, disposant d'importants services juridiques. À titre d'exemple, les villes de Strasbourg et de Marseille, pourtant très touchées par ces violences urbaines, ont indiqué de ne pas avoir fait usage de ces dérogations. Outre le souhait de lancer les travaux de réfection avant la publication des ordonnances, la raison principale invoquée par les communes n'ayant pas recouru aux dérogations de la loi n° 2023-656 est que celles-ci ne leur sont pas apparues « utiles », notamment au regard du gain de temps somme toute limitée qu'elles permettaient, en comparaison de la mise en place de procédures nouvelles et temporaires, notamment en matière de commande publique, qu'elles nécessitaient. En revanche, les efforts de communication, aussi bien institutionnels que par voie de presse, autour de ces mesures semblent avoir été efficients, une seule des communes interrogées par la mission d'information ayant fait savoir ne pas avoir eu connaissance de l'existence de ces dérogations.

À l'inverse, ces dérogations ont surtout bénéficié à des villes moyennes, une seule des communes ayant indiqué à la mission d'information en avoir fait usage comptant plus de 100 000 habitants.

C. UNE RECONSTRUCTION VOLONTARISTE MAIS ENCORE INACHEVÉE

Il ressort des auditions, déplacements et consultations organisés par la mission d'information une volonté unanime de procéder à une rapide reconstruction des bâtiments et des équipements publics dégradés lors de ces violences urbaines.

Outre les dispositions législatives issues de la loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 précitée et les indemnités versées par les assureurs, de nombreuses aides spécifiques ont été débloquées, aussi bien à destination des communes les plus touchées que des professionnels et des particuliers.

Lors de son discours du 26 octobre 2023 devant les maires des communes les plus touchées par les émeutes, la Première ministre, alors Elisabeth Borne, a ainsi annoncé l'engagement, par l'État, de 100 millions d'euros à destination des communes, afin de les « aider à la réparation et la reconstruction, en complément de l'indemnisation des assurances ».

Une somme supérieure à 50 millions d'euros a été engagée par les régions. La région Île-de-France a mis en place dès le 5 juillet 2023 un « fonds d'urgence » de 20 millions d'euros destiné à aider les communes ainsi que les professionnels victimes de dommages. Parmi cette somme, la région a indiqué en décembre 2023 avoir octroyé près de 12 millions d'euros d'aides financières ayant permis de financer des projets de reconstruction portés par 41 communes, dont 18 ont bénéficié d'une aide supérieure à 500 000 d'euros. La région Grand Est a quant à elle engagé 10 millions d'euros à destination des commerces et des mairies, la région Auvergne-Rhône-Alpes, 15 millions d'euros, la région Sud, 5 millions d'euros et la région Centre-Val de Loire, 1 million d'euros. Sans que le dispositif n'ait été chiffré, les régions Hauts-de-France, Normandie et Bourgogne-Franche-Comté ont également annoncé des aides à destination des artisans et des commerçants, notamment sous la forme d'avances remboursables ou de prêts à taux zéro.

Outre les régions et l'État, de nombreuses autres collectivités ont également débloqué des fonds, à l'instar de la métropole Aix-Marseille, qui s'est associée à la région Sud pour abonder de 5 millions d'euros le fonds de soutien « Solidarité commerces pillés ». De même, la métropole du Grand Paris a créé un fonds de soutien de 15 millions d'euros à destination des communes. Le département du Val d'Oise a quant à lui annoncé le versement d'une aide de 4,25 millions d'euros pour les communes du département victimes de dégradations.

Au total, hors fonds propres des communes mobilisés pour la reconstruction des bâtiments et des équipements publics, les aides publiques apparaissent supérieures à 200 millions d'euros.

Ces aides ainsi que la mobilisation des maires pour rétablir au plus vite le fonctionnement normal des services publics, en particulier des écoles, ont permis d'afficher un taux de réparation ou de reconstruction des bâtiments publics élevé compte tenu de l'ampleur des dégradations.

Lors de son discours précité du 26 octobre 2023, la Première ministre a indiqué que 60 % des bâtiments publics partiellement ou totalement détruits avaient été remis en état moins de six mois après les émeutes. Depuis lors, il n'a pas été produit par les services de l'État de nouvelles statistiques agrégées, mais les retours des communes interrogées par la mission d'information permettent d'estimer la part des bâtiments publics ayant été remis en état supérieure à 80  %. Plus précisément, l'immense majorité (approximativement 90 %) des communes interrogées par la mission d'information a indiqué ne pas avoir achevé les travaux de réhabilitation à la date du 1er mars 2024, les bâtiments restant à reconstruire se limitant cependant à une, deux ou, plus rarement, trois unités. La part de bâtiments restant à reconstruire correspond sans surprise aux bâtiments les plus dégradés qui nécessitent de lourds travaux, comme, à titre d'exemple, la pépinière d'entreprises de la commune de Saint-Fons (Rhône) ou le centre culturel Camille Claudel de Saint-Gratien (Val d'Oise) qui ont été incendiés pendant les émeutes.

Il appert donc que si la reconstruction est, plus de neuf mois après les émeutes, bien engagée, celle-ci est encore inachevée, certaines communes éprouvant notamment des difficultés à financer la reconstruction intégrale des bâtiments lourdement endommagés et ne tablant pas sur une réouverture avant, au plus tôt, fin 2025.

En outre, les formalités administratives liées à la reconstruction des bâtiments et équipements publics ont suscité un surcroît de travail pour les communes, auquel celles-ci n'ont pas nécessairement les moyens de faire face. Ainsi, le maire de Saint-Fons, Christian Duchêne, a estimé que l'aide en ingénierie de l'État serait nécessaire pour permettre aux services de la ville de mener à bien les formalités, notamment en matière de commande publique, liées à la réhabilitation des lieux détruits ou incendiés.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 10 AVRIL 2024

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous passons à l'examen du rapport d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023.

Vous vous en souvenez, notre commission a choisi dès le 12 juillet dernier de lancer une mission d'information, dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, sur ces émeutes. Nous nous étions alors donné comme objectifs d'en analyser les causes et le déroulement, et d'en tirer les enseignements utiles en matière de rétablissement de l'ordre public et de réponse pénale.

Avec les collègues membres de la mission, nous avons entendu près de 80 personnes, réalisé trois déplacements et lancé une consultation d'un échantillon représentatif des communes touchées par les violences urbaines. Nous avons souhaité entendre l'ensemble des représentants de la police et de la justice, mais également des maires, des sociologues et des acteurs du monde culturel ou associatif afin de croiser les analyses et les regards portés sur ces événements.

Cela nous a permis de recueillir des informations et des témoignages afin d'affiner la première approche qui avait été donnée par le ministre de l'intérieur et par les médias dès juillet 2023. Ces éléments donnent à voir l'ampleur et la violence de ce qu'ont connu de si nombreux lieux du territoire.

Des travaux menés par la mission, il ressort que le décès du jeune Nahel Merzouk, le 27 juin 2023, a été l'élément déclencheur d'un mouvement qui, en définitive, n'avait que peu à voir avec cet évènement tragique.

Nous pouvons certes distinguer une première phase des émeutes - que l'on pourrait qualifier d'« émotionnelle » - concentrée dans les banlieues des grandes métropoles et directement liée à la mort du jeune Nahel, qui a présenté une charge politique importante. Toutefois, à compter du 30 juin 2023, s'opère un « basculement » des émeutes vers une phase « insurrectionnelle », marquée par une expansion des violences à l'ensemble du territoire national sous la forme d'une vague de destructions et de pillages sans précédent, mêlant comportements opportunistes et déchaînements aveugles de violence.

En quelques nuits d'affrontements, ces émeutes ont excédé, en termes de violence et de destruction, les trois semaines de violences urbaines qui avaient conduit à déclarer en octobre 2005 le régime de l'état d'urgence.

Les chiffres recueillis et analysés par la mission sont, en cela, éloquents.

Des actes de violences ont ainsi été recensés dans 672 communes, soit deux fois plus de communes qu'en 2005, et ont concerné près de quatre fois plus de départements.

L'estimation des dommages aux biens atteint le chiffre, colossal et en nette hausse par rapport à 2005, d'un milliard d'euros.

Surtout, les émeutes de 2023 ont donné lieu à près de sept fois plus de faits de dégradation de biens publics qu'en 2005. Parmi les bâtiments incendiés ou dégradés, figurent 273 bâtiments des forces de l'ordre, 105 mairies et 243 écoles.

Ces émeutes se sont également accompagnées d'une vague d'agressions et d'attaques directes contre les élus d'une ampleur inédite : 684 faits de violences à leur encontre ou à l'encontre de personnes chargées d'une mission de service public ont été recensés.

Enfin, nous pouvons évaluer à plus d'un millier le nombre de personnes blessées. Dans le détail, ce chiffre concerne 782 agents des forces de l'ordre et 3 sapeurs-pompiers, tandis que 2 décès sont directement imputables à ces violences.

À l'aune de ce constat, une question s'impose : comment en sommes-nous arrivés là ?

Écartons dès à présent une première hypothèse : ces évènements n'ont pas trouvé leur source dans une volonté d'action politique au niveau national. Les services de renseignement ont souligné l'absence de convergence entre la violence émeutière et des groupes militants d'ultragauche ou des mouvements séparatistes. Les émeutes ne sont donc pas le résultat d'entreprises de déstabilisation nationale contre les valeurs républicaines.

Pour autant, et de manière tout aussi inquiétante, plusieurs parties du territoire semblaient prêtes pour un affrontement avec les forces de l'ordre, comme en témoignent les importants stocks préconstitués de mortiers d'artifice ainsi que la coordination qui a pu être constatée et le modus operandi des participants. Les forces de sécurité intérieure ont ainsi fait face à des émeutiers démontrant un rapport décomplexé à la violence, ainsi qu'un degré d'organisation et de désinhibition déconcertant. Les services de renseignement ont souligné l'apparition de véritables techniques de « guérilla urbaine », impliquant des guet-apens et un usage massif et coordonné de mortiers d'artifice.

Derrière cette violence extrême et inadmissible à l'encontre de nos institutions, l'expression d'une colère et d'une défiance à l'égard de l'autorité ne doit pas être occultée. Selon l'analyse des chercheurs en sociologie et sciences politiques interrogés par la mission, cette réaction violente procèderait d'un sentiment de relégation sociale, tenant à un désancrage, subi ou entretenu, entre les émeutiers et le reste de la population. De fait, la présence d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) reste fortement corrélée à la survenue des émeutes en 2023, y compris dans les communes les moins peuplées.

Pourtant, au-delà de l'indignation suscitée par la mort de Nahel Merzouk, un certain nombre d'émeutiers se sont, semble-t-il, laissé entraîner dans cette entreprise de chaos par l'effet de groupe et par le biais des réseaux sociaux, qui conféraient aux violences une dimension ludique, compétitive, voire gratifiante. Plus influençables, les mineurs représenteraient un tiers des personnes interpellées au 4 juillet 2023 et, d'après les données disponibles, près de 60 % des personnes interpellées sont des primo-délinquants.

Plus généralement, selon les premières analyses, l'émeutier serait « un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfant, hébergé souvent par ses parents, ayant un diplôme de niveau secondaire, maximum baccalauréat, plutôt en activité ». Si les témoignages recueillis par la mission d'information semblent corroborer en partie ces constats, les données disponibles demeurent insuffisantes. En particulier, ne sont pris en compte, à ce stade, que les individus ayant été jugés dans les premières semaines suivant les émeutes. Subsiste donc une « partie immergée de l'iceberg » qui échappe encore à l'ensemble des acteurs : les interpellations et le travail judiciaire d'enquête se poursuivent et concernent désormais des délinquants plus aguerris.

Rappelons-le, le mot « émeute » trouve son origine dans le verbe « émouvoir ». Pour autant, devant cette coalition de groupes aux agendas divers - si tant est qu'ils en aient eu un -, devant la multiplicité des territoires touchés, les émeutes de l'été 2023 ne sauraient relever d'un seul mécanisme émotionnel et être, en cela, considérées comme un simple fait divers, fondé sur un alignement de causes univoques, ou encore comme un incident isolé qui ne se reproduira plus.

La nature et l'ampleur des violences et dégradations commises sur l'ensemble du territoire national démontrent ainsi la nécessité d'interroger les instruments dont dispose l'État pour assurer le rétablissement rapide de l'ordre public face à des violences urbaines, dans le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Une telle question se pose avec une acuité renouvelée tant le risque de nouveaux phénomènes - le cas échéant plus localisés - de violences ou d'émeutes urbaines pourrait, à l'avenir, se présenter très rapidement.

Si la réponse institutionnelle a été particulièrement forte lors des émeutes de juin et juillet 2023, elle doit néanmoins être perfectionnée à six principaux égards. En effet, nous avons constaté qu'aucune préparation en amont d'une réponse policière coordonnée et nationale spécifique au contexte émeutier n'avait été établie et que, pour la première fois, des forces d'intervention spécialisées ont été mobilisées sur des opérations éloignées de leur champ d'action traditionnel, sans véritable doctrine d'emploi préalablement établie.

En premier lieu, il apparaît indispensable de moderniser les moyens du rétablissement et du maintien de l'ordre public en contexte émeutier par cinq mesures.

La première mesure serait la construction d'un schéma national de rétablissement et de maintien de l'ordre en contexte émeutier, avec une stabilisation de la doctrine d'emploi des forces de sécurité intérieure, ainsi qu'un décloisonnement et un dézonage facilités de l'emploi de ces forces, y compris au niveau des chaînes de commandement.

La deuxième mesure serait l'entretien des capacités humaines au regard des besoins opérationnels spécifiques d'un contexte émeutier par des formations régulières aux tirs et à l'usage des armes, et des formations communes aux diverses forces afin de faciliter leur coopération.

La troisième mesure serait la modernisation et l'adaptation des matériels et équipements aux contextes émeutiers longs et protéiformes. Il semble nécessaire de renforcer les capacités de production des munitions et des armements de la filière industrielle, ainsi que d'augmenter les quotas de munitions des armes de force intermédiaire et des armes classiques. Ces évènements ont également démontré l'urgence du déploiement et de l'équipement systématique des caméras-piétons des forces de l'ordre. Leur cadre d'usage doit, en complément, évoluer afin de permettre l'enregistrement en continu des interventions ou leur déclenchement à distance par les postes de commandement lors de violences urbaines. Enfin, il faut encourager la modernisation des flottes de drones et des caméras de vidéosurveillance pour permettre leur utilisation nocturne, et proposer d'expérimenter l'équipement et l'utilisation de matériels de marquage codés en cas d'émeutes.

La quatrième mesure serait la sécurisation des bâtiments et armureries des forces de l'ordre par la conduite d'un audit des besoins immédiats en la matière et la constitution d'un stock de matériels mobiles permettant d'assurer cette sécurisation, y compris en cas d'assaut.

La cinquième mesure serait le renforcement des moyens du suivi et de la connaissance des phénomènes de violences urbaines, ainsi que la cartographie des « quartiers sensibles » par les services de renseignement tout autant que par le biais d'outils transdisciplinaires.

En deuxième lieu, l'utilisation détournée des mortiers d'artifice est un phénomène nouveau qu'il convient d'endiguer rapidement par un ensemble de mesures relativement fortes. Je rappelle que ces mortiers, lorsqu'ils sont utilisés à « tir tendu », sont extrêmement dangereux.

En s'inspirant du modèle espagnol, je propose d'interdire la vente en ligne et par voie postale des mortiers d'artifice, de façon à contraindre le passage physique chez un revendeur agréé mieux à même de repérer une transaction suspecte, avec obligation d'enregistrer et de tracer toute transaction qui conduirait à l'édiction d'une déclaration. Pourrait alors être délictualisé le non-respect de l'obligation de déclaration et de passage chez un revendeur pour créer un cadre de contrôle et d'interception uniforme pour les forces de sécurité intérieure.

Il m'apparaît également nécessaire, au niveau européen, de sanctionner les États membres qui adoptent des comportements susceptibles de caractériser des manquements à leur obligation de mettre en oeuvre la réglementation européenne en ce qu'ils homologuent des articles pyrotechniques en dépit de leur dangerosité et de leur technicité comme des articles de divertissement accessibles librement sur le marché européen. Le fait que tout le monde n'applique pas la même règle pose effectivement des difficultés.

En troisième lieu, notre réponse policière et pénale doit s'adapter à l'usage protéiforme et déterminant des réseaux sociaux par les émeutiers.

À cet égard, il m'apparaît pertinent de prévoir : un renforcement de la coopération et des échanges entre les réseaux sociaux et les services de l'État par la réunion régulière du groupe de contact permanent pour mieux anticiper la coordination entre acteurs en période de crise ; la création d'un cadre général de blocage de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, sous de strictes conditions ; la facilitation de l'identification des délinquants par le biais des réseaux sociaux et supports numériques, notamment en permettant l'utilisation de traitements algorithmiques pour analyser des données en source ouverte ; la création d'un cadre pénal permettant de poursuivre les émeutiers mobilisant des supports numériques pour participer à des violences urbaines, singulièrement en portant à trois ans d'emprisonnement la peine encourue pour la participation à un groupement afin de rendre possible la réquisition des données de connexion.

En quatrième lieu, le rôle des polices municipales en cas d'émeutes doit être précisé. En effet, il est indispensable de renforcer la complémentarité opérationnelle entre les polices municipales et les forces de l'ordre en période d'émeutes, dans le respect des prérogatives, en modernisant les outils de coordination existants et en facilitant la constitution de patrouilles mixtes entre policiers municipaux et forces de sécurité intérieure.

Parallèlement, lorsque le maire est d'accord, l'action des polices municipales doit être facilitée en période d'émeutes. Pour ce faire, il m'apparaît utile d'aligner les prérogatives de police judiciaire confiées aux policiers municipaux sur celles des gardes-champêtres, en élargissant celles-ci à la saisie d'objets dangereux - mortiers d'artifices, armes par destination - afin de répondre aux nécessités du contexte émeutier.

Enfin, un renforcement de l'équipement en vidéoprotection de toutes les communes, y compris rurales ou de petite taille, est nécessaire. Il doit passer par le renforcement des moyens du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et par une simplification des procédures de transmission des images.

En cinquième lieu, la place des élus locaux dans la gestion des émeutes doit être confortée et améliorée. Il importe d'assurer l'information systématique du maire sur les interventions organisées sur le territoire de la commune, en particulier celles qui sont lourdes ou ont un effet médiatique fort, et de permettre sa présence aux centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité.

En sixième - et dernier - lieu, nous devons améliorer le traitement judiciaire des émeutiers et mettre ainsi fin au sentiment d'impunité que peut procurer le fait d'opérer par groupe de plusieurs dizaines de personnes et par le biais de messageries en ligne privées ou de fonctionnalités offertes par les réseaux sociaux.

Pour ce faire, il nous faut adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants : il semble nécessaire de permettre leur placement sous contrôle judiciaire, en centre éducatif fermé (Cef) et sous surveillance électronique mobile, et de faciliter la tenue d'audience unique sur la culpabilité et la sanction.

Il convient également d'adapter l'arsenal pénal aux comportements des émeutiers, en favorisant le développement des travaux d'intérêt général (TIG) en lien avec les collectivités, et d'adapter le contenu des stages de citoyenneté pour les mineurs ayant commis des dégradations volontaires de biens.

L'organisation du traitement judiciaire doit être perfectionnée en période d'émeutes, en particulier en équipant l'ensemble des tribunaux de moyens techniques pour visionner et écouter les données numériques et visuelles et en assouplissant le mécanisme de réquisition des agents de greffe pour garantir la mobilisation de l'ensemble de la chaîne pénale, y compris en cas de grève.

Enfin, de trop nombreuses communes nous ont fait part de difficultés assurantielles à la suite de ces émeutes. Une réflexion d'ensemble a été initiée par la commission des finances et le Gouvernement sur le modèle assurantiel des collectivités territoriales. Formulons le voeu que la question de la couverture assurantielle des collectivités en cas d'émeutes y trouve pleinement sa place, par exemple en s'inspirant du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

En conclusion, au-delà de nos propositions qui sont volontairement restreintes au champ de compétence de la commission des lois, je tiens à souligner que les évènements de l'été 2023 appellent des réponses de long terme dans d'autres champs de l'action publique. Je pense, en particulier, aux questions du rapport à l'autorité - que celle-ci soit incarnée par les parents, les enseignants, les élus locaux ou les forces de l'ordre - ou de la pertinence, dans leur forme actuelle, des politiques publiques de logement ou d'accompagnement en faveur des quartiers prioritaires. En résumé, il faut repenser l'ensemble ! Nous avons tout de même trouvé des collègues maires en larmes : alors qu'ils réalisent un travail considérable, certains ont vu, en une soirée, tous les équipements à caractère social de leur commune détruits...

Je forme donc le voeu que nos travaux puissent être complétés par d'autres études et propositions, afin qu'une réponse globale puisse être apportée à ces accès de violences dont rien ne permet d'affirmer qu'ils ne se reproduiront pas dans un proche avenir. Notre approche met effectivement l'accent sur la dimension régalienne, propre à notre commission, mais bien d'autres dimensions entrent en jeu et pourraient être traitées par d'autres commissions ou structures.

J'ajoute à cela que, pour ma part, je vois quelques similitudes entre ces émeutes et le mouvement des « gilets jaunes » dans la façon dont le phénomène s'est enclenché et développé. Il suffit d'un événement, ici dramatique, pour qu'un nombre conséquent de personnes se mobilisent et descendent dans la rue, avec, après un mouvement spontané dans les premiers jours, une contagion à tous les territoires sans plus forcément de lien avec l'événement initial.

Dans le cas des émeutes, on a effectivement constaté des réactions opportunistes, accompagnées d'une forme de compétition entre émeutiers et d'une coordination via les réseaux sociaux, avec pour conséquences des forces de l'ordre dans l'incapacité d'agir sur ces mêmes réseaux et des commissariats parfois en très grande difficulté.

C'est pourquoi, d'ailleurs, le rôle des polices municipales est à mon sens l'un des sujets les plus importants à traiter : certains territoires, en l'absence de polices municipales suffisamment bien équipées, ont connu des situations extrêmement dangereuses ; parfois seule une intervention du Raid ou du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), alors même que ce n'est pas là leur doctrine d'emploi, a permis de calmer les choses.

Il faut donc poursuivre le travail. Ce rapport ne pouvait traiter le sujet de fond ; or, à défaut de le faire, nous connaîtrons à l'avenir d'autres difficultés de cette nature.

Mme Corinne Narassiguin. - Je salue le travail qui a été réalisé ; il était important de le faire pour mieux comprendre les émeutes survenues à partir du 27 juin dernier, à la fois sous l'angle des motivations, des éléments déclencheurs et des améliorations qui peuvent être apportées pour l'avenir. Au vu de l'étendue des auditions et déplacements réalisés, de leur variété, le groupe socialiste exprime un accord assez général sur les constations établies et l'essentiel des préconisations.

Je concentrerai donc mon propos sur un certain nombre de nuances et de points que nous aurions souhaité voir aborder plus précisément.

Il ressort des auditions que les personnes arrêtées lors des émeutes n'avaient pas de revendications identifiées en lien avec la mort de Nahel Merzouk. Pour autant, on ne peut pas nier la relation détériorée entre une partie de notre population et la police : lors de son audition, le docteur en science politique Sébastien Roché a identifié un déclencheur direct - le choc moral de la mort de ce jeune - et un déclencheur indirect - la multiplication des petits incidents et frustrations qui diminuent la confiance dans la police et créent un fort sentiment d'injustice. Cela se passe souvent lors des contrôles d'identité, qui font partie du quotidien des jeunes dans de nombreux quartiers et donnent lieu à de la brutalité, des tutoiements, des contrôles sans raison valable, etc. Une partie de la solution tient donc, aussi, dans les pratiques des forces de l'ordre, sujet sur lequel la Défenseure des droits a émis plusieurs recommandations d'ordre réglementaire et législatif. Nous regrettons qu'il n'y ait rien dans le rapport sur ce sujet.

Je voudrais également nuancer le terme « opportunisme » employé dans le rapport. Certes, des pillages ont été organisés de manière opportuniste, probablement par des réseaux délinquants capables d'organiser la revente - les enquêtes en cours permettront de le déterminer de manière certaine. Mais on a aussi assisté à des vols de produits de première nécessité, ce qui fait ressortir la question d'un pouvoir d'achat très diminué en pleine période d'inflation. Il ne faut pas non plus négliger cette dimension.

Il faut effectivement rendre automatique l'enregistrement de toutes les interventions par des caméras-piétons. L'effet viral de la vidéo du contrôle routier a aussi été lié à une mauvaise maîtrise de la communication. Dans ce type de situations, il est crucial, pour la crédibilité des forces de l'ordre, que la communication officielle soit immédiate et aussi transparente que possible, avec un déclenchement rapide des enquêtes, y compris en interne.

S'agissant des propositions sur la police municipale, des coordinations sont effectivement nécessaires en amont, mais il faudra toujours respecter le choix du maire. Celui-ci doit pouvoir décider à quel niveau et par quels moyens sa police municipale intervient, voire si elle n'intervient pas du tout.

Nous ne sommes pas à l'aise avec la proposition de porter à trois ans d'emprisonnement la peine prévue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations. J'en comprends la logique - permettre la réquisition de données de connexion -, mais une telle durée peut sembler disproportionnée par rapport à l'acte commis. Rappelons également que le prononcé de la peine doit être laissé à l'appréciation du juge.

Je salue la volonté de privilégier le recours à des peines alternatives. Les sanctions doivent aussi être individualisées et accompagnées, pour une plus grande efficacité. Je suis opposée aux mesures de sûreté pour les jeunes primo-délinquants. Dans certains cas, ce peut être nécessaire, mais - je vous renvoie aux propos de Muriel Eglin, vice-présidente du tribunal pour enfants de Bobigny - pour d'autres cas, la détention ne peut pas être la réponse.

Si l'absence de revendication politique articulée est un fait indéniable, elle constitue en soi, conjointement à la force de la colère exprimée, un message politique, et celui-ci est encore plus inquiétant. Les jeunes concernés n'estiment même plus nécessaire de revendiquer quoi que ce soit d'un système institutionnel et économique dont ils se sentent complètement exclus.

Je vous rejoins sur le fait que d'autres commissions doivent s'emparer du sujet, même si, j'y insiste, des propositions relevant de notre commission, par exemple des mesures favorisant le rétablissement des liens de confiance entre la police et la population, auraient pu être incluses dans le rapport. Il faudra continuer de travailler à la compréhension de ces événements, en évaluant mieux les conséquences à long terme, notamment au regard du traumatisme subi par les élus - vous avez évoqué les maires -, mais aussi par les commerçants et, plus largement, les acteurs de proximité dans ces quartiers.

Il faut donc espérer que ce rapport ne soit que le début d'un travail qui sera repris par d'autres.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Cela ne vous étonnera pas, mes chers collègues, je ne partage pas tout à fait l'analyse de Corinne Narassiguin. Nous avançons des propositions tout à fait intéressantes dans ce rapport, qui, cela a été rappelé, s'inscrit dans le cadre des travaux de la commission des lois. Il est effectivement essentiel d'aller plus loin au travers de démarches qui seraient engagées par d'autres commissions, en particulier sur l'analyse sociologique.

À cet égard, notons que tous les sociologues ne dressent pas les mêmes constats. Nous en avons entendu nous expliquer que certains jeunes n'avaient jamais connu d'interdits, de limites et de lois ; dès lors, il ne fallait pas s'étonner de les voir tout casser et tout piller sans se poser de questions.

En tant qu'élus, nous savons à quel point la situation a été compliquée. N'oublions pas non plus les habitants, dont certains ont été lourdement victimes. Globalement, le pillage et la casse des commerces posent question : certains commerçants, épuisés, n'ont même pas rouvert. Il faut donc aussi responsabiliser et, à ce titre, on ne peut pas faire l'économie du rôle des parents ; il me semble même anormal de les extraire du cadre des événements que nous avons vécus.

J'estime qu'à un moment il faudra évoquer la question du rapport à l'autorité, car un jeune ne respectant pas l'autorité ne respectera pas la police. Or, il faudra l'expliquer à ces jeunes, celle-ci est là pour protéger tout le monde, y compris eux-mêmes. Quand il y a des contrôles - cela nous arrive à tous de nous faire contrôler -, on respecte la loi et on ne caillasse pas tout !

Mme Nathalie Delattre. - Je voudrais saluer le travail réalisé : la liste des propositions est dense et le rapport sera très fourni. Effectivement, il s'agit bien d'un rapport de la commission des lois, qu'il sera absolument nécessaire de compléter. On pourrait notamment s'interroger sur les dispositifs de la politique de la ville, existants depuis des années, ou encore sur les thématiques d'éducation ou de responsabilité parentale.

J'ai trois remarques à formuler.

Dans les propositions, le corps spécialisé des compagnies républicaines de sécurité (CRS) n'est jamais cité. Le décloisonnement et le dézonage sont moins évidents pour eux. C'est donc bien la doctrine d'engagement qu'il faut revoir à ce niveau, et non simplement la chaîne de commandement. Il aurait été intéressant de pouvoir le spécifier.

Il serait également intéressant d'indiquer dans le rapport que nous nous emploierons à défendre la ligne budgétaire du FIPD lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF). Nous voyons effectivement la demande augmenter dans les villes pour l'installation de caméras de surveillance, et l'on sait l'importance que cela pourrait avoir, dans le contexte que nous traitons ici ou plus largement.

Enfin, s'agissant de la reconstruction, on fait appel à la seule couverture assurantielle. Sans évoquer un recours au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui ne met pas tout le monde d'accord, nous pourrions envisager un fonds d'urgence exceptionnel et la compensation de la fermeture des services publics.

Mme Marie Mercier. - Merci pour cet excellent travail. Nous essayons de trouver comment faire à l'avenir, mais peut-être faut-il comprendre pourquoi tout cela est arrivé... Je vous rejoins sur la comparaison avec le mouvement des « gilets jaunes ». Toutefois, alors que des « gilets jaunes », il y en avait partout, nous constatons que certaines communes ont connu des émeutes et d'autres non, pour des populations très ressemblantes. D'où la nécessité d'une analyse sociologique plus fine.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Quand nous les avons auditionnés, les représentants de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et les sociologues nous ont donné l'explication : en croisant les cartes, on voit vite que les émeutes ont concerné des secteurs dont les habitants perçoivent de faibles revenus, avec des difficultés financières et d'emploi, et ce indépendamment du caractère urbain ou rural de la zone. Ainsi, 53 % des communes touchées sont des communes de moins de 20 000 habitants. C'est également très parlant. Par ailleurs, comme l'a justement indiqué Corinne Narassiguin, à l'opportunisme du début, qui a conduit des personnes à aller se servir dans des magasins vendant des produits plutôt luxueux, on est ensuite passé au tout-venant de la vie quotidienne.

Mme Catherine Di Folco. - Une des propositions du rapport vise à interdire la vente en ligne ou par voie postale de mortiers d'artifice. Quid des individus qui traversent les frontières pour faire le ravitaillement ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Effectivement, on a vu des ravitaillements par véhicule, mais cela vient beaucoup par le biais de la vente en ligne.

M. Guy Benarroche. - Merci pour le travail effectué, qui est très documenté et argumenté.

Pour moi, il n'est pas question d'un moindre respect de l'autorité. Ce qui me semble primer chez les émeutiers, c'est un sentiment de déclassement, de mise à l'écart de la société, pour des éléments souvent liés à la consommation. Sans faire de lien entre les deux - il n'y en a pas -, j'observe que c'est ce même sentiment que l'on retrouve dans le lumpenprolétariat du narcotrafic. Il y a partout des images de consommation à outrance et d'argent facile, amplifiées par les réseaux sociaux. Ceux-ci, en plus de favoriser l'organisation des émeutes, véhiculent une réalité déformée et renforcent ce sentiment de déclassement.

Je suis d'accord avec la plupart des préconisations avancées, mais je rejoins les propos de ma collègue Corinne Narassiguin sur la vision de la police : certains citoyens ne s'estiment pas représentés par la police, et je le déplore. Il faut restaurer la confiance. Dans la réalité, tout le monde n'est pas contrôlé de la même manière : certains ne le sont pas, d'autres le sont toujours et ils le perçoivent.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous évoquons très clairement la question des relations avec la police dans le rapport, tout comme le rôle des parents, dont certains - précisons-le - sont descendus dans la rue pour récupérer leurs enfants.

S'agissant des peines encourues, l'idée est de donner au juge la palette la plus large pour que celui-ci puisse adapter la sanction au cas particulier sur lequel il doit statuer.

Par ailleurs, l'inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie d'une quarantaine de dossiers, pour lesquels nous n'avons pas tous les résultats.

Enfin, vous avez entendu comme moi que le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur voulaient travailler sur une évolution de la police municipale : j'appelle à la plus grande prudence sur le sujet, car l'objectif ne doit pas être que la police municipale supplée la police nationale. On peut entendre que, ponctuellement, elle puisse collaborer au regard d'un besoin particulier, mais cela ne peut être permanent.

Pour clore la discussion, je vous redonne les principaux éléments chiffrés contenus dans le rapport. Le nombre de communes concernées atteint 672 communes dans 95 départements, dont 300 communes réparties sur 65 départements ont connu des tirs de mortiers. Par ailleurs, 53 % des communes concernées sont des communes de moins de 20 000 habitants. En volume, on estime le nombre d'émeutiers à 50 000 pour 45 000 membres des forces de l'ordre mobilisés. Il y a eu 4 282 personnes placées en garde à vue entre le 27 juin et le 10 juillet 2023 ; 2 personnes décédées et plus de 1 000 blessés, dont 782 parmi les agents des forces de l'ordre et 3 parmi les sapeurs-pompiers ; près de 2 000 atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publiques et 684 faits de violences à l'encontre d'élus ou de personnes chargées de missions de service public ; 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, dont 273 bâtiments des forces de l'ordre, 105 mairies et 243 bâtiments scolaires ; 12 031 véhicules incendiés, plus d'un millier de commerces vandalisés ou pillés, dont 436 débits de tabac et 370 agences bancaires ; près de 1 milliard d'euros de dommages aux biens, dont 27 % du montant est supporté par les collectivités territoriales. L'Île-de-France est la première région touchée, avec 38,9 % des sinistres déclarés et 42,5 % du coût total.

Mme Catherine Di Folco. - Votre liste à la Prévert éveille en moi le souvenir de la loi du 25 juillet 2023 relative à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 dont j'ai été rapporteur. Nous avons fait un travail en extrême urgence pour permettre aux communes de reconstruire rapidement, notamment les écoles. Je ne suis pas certaine que cela ait servi...

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Effectivement, nous le mentionnons dans le rapport : on nous a fait voter dans des délais extrêmement contraints un texte qui ne s'est appliqué que trois mois plus tard et dont seulement 12 communes, parmi celles que la mission d'information a consultées, ont pu bénéficier.

Les recommandations sont adoptées.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je vous propose par ailleurs d'intituler le rapport : « Émeutes de juin 2023 : comprendre, évaluer, réagir. »

Le titre du rapport est adopté.

La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

COMPTE RENDU DES AUDITIONS EN COMMISSION

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I. MERCREDI 25 OCTOBRE 2023 - AUDITION DE MME JOËLLE MUNIER, MM. PATRICK STEINMETZ, INSPECTEURS GÉNÉRAUX DE LA JUSTICE, ET PASCAL LALLE, INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ADMINISTRATION

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Nous entendons ce matin Joëlle Munier, Patrick Steinmetz et Pascal Lalle, qui ont commis un rapport au nom de l'inspection générale de la justice (IGJ) et de l'inspection générale de l'administration (IGA), à la suite des évènements de violences urbaines survenus sur notre territoire du 27 juin au 7 juillet dernier. Je rappelle que votre audition se tient dans le cadre d'une mission d'information, créée au sein de la commission des lois, qui a sollicité l'octroi des pouvoirs d'une commission d'enquête au Sénat, en application de l'article 22 ter du Règlement du Sénat.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Il me revient de débuter la présentation des travaux conduits par l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale de la justice. Cette présentation se compose de trois parties. Je débuterai, en introduction, par une description de la méthodologie qui a présidé nos travaux et de la typologie des violences rencontrées dans le cadre de cette étude, en insistant particulièrement sur leur étendue géographique et leur densité. Patrick Steinmetz, inspecteur général de la justice, poursuivra avec une présentation de la réponse judiciaire. J'évoquerai ensuite le profil des auteurs condamnés. Enfin, Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration, conclura sur les motivations des auteurs et les suites qui pourraient être données à nos travaux.

Il nous a semblé important de décrire la méthodologie que nous avons suivie au cours de ces travaux, car cette précision est nécessaire pour mieux comprendre le périmètre de notre rapport. Tout d'abord, la mission a sollicité les services statistiques du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice. Les données statistiques nationales que nous avons récoltées ne sont pas interconnectées. Cela signifie qu'il n'est pas possible, statistiquement, de suivre une procédure du début à la fin, c'est-à-dire de l'intervention des forces de sécurité intérieure jusqu'à la réponse de l'autorité judiciaire. Nous avons donc dû apprécier ces données de façon séparée.

En ce qui concerne la définition de la nature des infractions qui entrent dans le périmètre de notre étude, je tiens à rappeler que la notion de « violence urbaine » ne correspond pas à une infraction en tant que telle mais à un panel d'infractions. En pratique, nous nous sommes inspirés des faits de violences urbaines antérieurs pour définir la liste d'infractions que nous souhaitions analyser : près de 500 types d'infractions, relevant de la nomenclature des natures d'infractions dite « NATINF », ont été retenus et regroupés en 10 grandes catégories d'infractions pour rendre notre rapport plus lisible. Cette méthodologie limite, par essence, la finesse de l'analyse et la précision des distinctions opérées s'agissant des infractions décrites dans le rapport.

Nous avons ensuite complété l'exploitation de ces données statistiques par l'analyse de 395 dossiers de personnes majeures définitivement condamnées au 31 juillet 2023. Nous avons fait le choix d'examiner, in concreto, les dossiers de condamnés définitifs dans 32 tribunaux judiciaires hexagonaux. Nous avons privilégié cet échantillon car nous souhaitions analyser des faits non contestables et des personnes définitivement jugées dès le début de nos travaux à la fin du mois de juillet dernier. J'ajoute que cette étude par échantillon a été réalisée sur la base d'une grille d'analyse standardisée et systématisée pour permettre, ensuite, d'analyser les profils et les motivations des auteurs de violences.

Notre étude a par ailleurs été circonscrite aux faits commis entre le 27 juin et le 7 juillet 2023, conformément à la demande formulée dans la lettre de mission qui nous a été adressée.

Ainsi, ce rapport regroupe à la fois une analyse statistique, qui présente les limites que j'ai mentionnées au début de mon propos, une analyse de dossiers in concreto sur la base d'un échantillonnage et une analyse de 83 entretiens d'acteurs judicaires et associatifs, pour compléter notre travail par les appréciations de ceux qui ont été directement confrontés à ces évènements.

Notre étude pourrait être comparée à une photographie, à un instant donné, qui est celui de la rédaction du rapport. Comme vous le savez, le travail des forces de sécurité intérieure et des tribunaux judiciaires s'est poursuivi pendant et après la rédaction de notre rapport : des interpellations ont eu lieu ces derniers jours et ont encore lieu. En outre, les dossiers en cours à l'instruction, c'est-à-dire pour lesquels une information judiciaire a été ouverte, ne nous étaient pas accessibles : leur analyse ne pourra être menée qu'ultérieurement.

J'en viens à la présentation du caractère atypique de ces violences, à la fois en raison de leur étendue géographique et de leur densité. Nous avons en effet relevé un nombre considérable d'infractions, concentrées dans le temps, mais dont l'extension géographique mérite d'être soulignée. Entre le 27 juin et le 7 juillet 2023, 58 297 infractions, réparties sur 66 départements, soit 516 communes dont 23 % en zone gendarmerie, ont été constatées.

Sans effectuer de comparaison exhaustive, nous avons remarqué que cela contrastait significativement avec l'épisode de violences urbaines survenu en 2005, qui présente le plus de similarités avec celui que nous avons connu au début de l'été dernier. En 2005, un peu plus de 200 communes, situées dans 25 départements, avaient été touchées. Il s'agissait principalement d'agglomérations urbaines et, en leur sein, de quartiers dits « sensibles », notamment des quartiers bénéficiant du label « quartiers prioritaires de la politique de la ville » et des quartiers de reconquête républicaine (QRR).

En 2023, les violences urbaines n'ont pas été aussi significativement marquées par ces caractéristiques sociodémographiques et économiques, étant précisé que nous n'avons pas pu, dans le délai imparti, mener d'analyse spécifique sur les quartiers de reconquête républicaine et les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Cette étude, réalisée chaque année par le service des statistiques du ministère de l'intérieur en lien avec l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), n'était pas disponible à la date de rédaction de notre rapport.

Nous n'avons pas non plus été en mesure d'analyser précisément les causes de l'extension géographique marquée que nous avons constatée en 2023. Il conviendra certainement de compléter notre étude à l'aide de celle relative aux déplacements de population.

Dans les dossiers examinés par la mission, la moitié des personnes a été condamnée pour des faits commis dans sa commune de résidence. L'autre moitié s'est déplacée pour les perpétrer ailleurs, soit en utilisant un véhicule personnel, soit en prenant les transports en commun, soit à pied - cette dernière option limitant de facto la capacité de déplacements.

Les infractions commises sur la période sont majoritairement des atteintes aux biens : elles représentent 75 % des infractions totales. Néanmoins, ces émeutes se singularisent par un nombre significatif d'atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique - 2 000 faits à la date de rédaction du rapport - et de violences à l'encontre des élus et des personnes chargées de missions de service public.

S'agissant du déroulement des violences sur le territoire hexagonal, que nous avons seul examiné dans le temps qui nous était imparti, la cinétique est relativement homogène : dès la soirée du 27 juin 2023, des tirs d'engins pyrotechniques et de projectiles incendiaires, notamment à l'encontre des forces de l'ordre et des forces de sécurité, ont été constatés, ces violences se concentrant particulièrement dans la première couronne de l'Ouest francilien avec Nanterre comme épicentre.

La première nuit, voire les deux premières nuits, ont présenté une réelle complexité de gestion pour les forces de sécurité intérieure, dont l'objectif prioritaire a été la sauvegarde des biens et des personnes. Cet objectif a nécessairement supplanté celui de la judiciarisation des faits. Nous développerons par la suite les conséquences que cela a emportées sur l'examen que nous avons fait des dossiers. Certains commissariats ont ainsi été comparés à Fort Alamo, tant ils étaient cernés et encerclés. Les forces de sécurité intérieure ont également évoqué une « nuit d'enfer », en référence à cette première nuit de violences.

Le pic des infractions se situe entre le 29 juin et le 2 juillet 2023, période au cours de laquelle des vols de magasins avec effraction ont été constatés. Ensuite s'amorce une forte décrue des violences. Les causes de cette décrue sont apparues diverses. Tout d'abord, on peut mentionner la stratégie de rétablissement de l'ordre par les forces de sécurité intérieure qui s'est avérée particulièrement efficiente. De même, la réponse judiciaire, à la fois rapide et cohérente, et sur laquelle un certain nombre de chefs de juridiction n'ont pas hésité à communiquer, nous est apparue comme une des causes permettant d'expliquer la diminution des violences. À ces deux facteurs s'ajoutent également les actions entreprises par les autorités locales, telles que l'arrêt des transports en commun en fin d'après-midi ou début de soirée. D'autres facteurs ont été évoqués - le manque de munitions après quelques jours, la lassitude, la perspective du départ en vacances pour certaines familles, le rôle des familles également ou de réseaux délinquants plus structurés - mais font l'objet d'appréciations plus contrastées. Je laisse la parole à Patrick Steinmetz pour présenter la réponse judiciaire qui a été apportée et qui a permis des condamnations à brefs délais.

M. Patrick Steinmetz, inspecteur général de la justice. - Il nous a effectivement été demandé de dresser un bilan des condamnations intervenues à la date du 31 juillet 2023. Je tiens à rappeler qu'à cette date, nous nous trouvions à moins d'un mois après les émeutes : la situation a pu évoluer depuis. Notre étude s'est donc limitée aux premières données disponibles et aux premières réponses pénales apportées par les juridictions.

Ensuite, je souhaite préciser que notre lettre de mission cantonne le périmètre de notre étude à l'analyse du profil des majeurs condamnés uniquement. Il nous est toutefois apparu important de dresser un bilan portant aussi bien sur le profil des majeurs que des mineurs identifiés au 31 juillet et dont les parquets avaient été saisis.

À cette date, un peu plus de 4 000 auteurs - majeurs et mineurs - liés aux violences urbaines, c'est-à-dire mis en cause pour l'une des 500 infractions mentionnées précédemment, avaient été identifiés par les forces de l'ordre et faisaient l'objet d'une procédure, dont le parquet avait été saisi. Cela représente plus de 5 000 faits au total. Au 31 juillet, 84 % d'entre eux avaient fait l'objet de poursuites devant une juridiction de jugement, ce qui est extraordinairement élevé, et un peu plus d'un tiers avait été condamné.

Ces chiffres doivent toutefois être interprétés avec précaution puisque nous fondons notre analyse sur les seules procédures transmises et enregistrées par les parquets. Les procédures présentant des dates de poursuite postérieures au 31 juillet - dans certains ressorts, les émeutiers ne seront convoqués qu'à la fin de l'année ou en début d'année prochaine - et les procédures pour lesquelles aucun auteur n'a pu être identifié viendront progressivement modifier ces premiers résultats.

Il nous a été demandé de nous intéresser exclusivement aux majeurs condamnés. À partir des données statistiques transmises par le ministère de la justice, nous avons analysé la nature des peines qui ont été prononcées à leur encontre. Sans surprise, il apparaît que 60 % d'entre eux ont été condamnés à une peine d'emprisonnement ferme. Par définition, ils ont été jugés selon des procédures dites « rapides », soit de comparution immédiate, soit de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Parmi les peines d'emprisonnement ferme prononcées, un peu plus de la moitié correspond à une incarcération immédiate. Pour les autres, 20 % ont bénéficié d'un aménagement de peine à l'audience. Le quantum moyen de ces peines d'emprisonnement est de 9 mois, ce qui est inférieur à la moyenne annuelle constatée, qui s'élève à 12 mois. Toutefois, la pertinence de cette comparaison est à relativiser dans la mesure où les juridictions correctionnelles sont aussi appelées à juger d'infractions punies de peines supérieures, comme les trafics de stupéfiants ou les infractions en bande organisée, et commises sur des périodes beaucoup plus longues.

Concernant les peines d'emprisonnement ferme et les incarcérations immédiates, là encore, la proportion est plus élevée que la moyenne mais le champ des infractions que nous avons pris en compte est très atypique puisqu'il ne tient absolument pas compte des autres infractions jugées par les tribunaux selon des modes de poursuites plus classiques ou plus longs.

En plus des 60 % qui ont été condamnés à une peine d'emprisonnement ferme, 20 % des auteurs d'infractions ont été condamnés à une peine qui entraîne un suivi par l'administration pénitentiaire, qu'il s'agisse d'un sursis probatoire, d'un travail d'intérêt général, d'une détention à domicile sous surveillance électronique ou d'une peine de stage. Dans ces cas-là, des stages de citoyenneté ont majoritairement été prononcés.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - S'agissant du profil des condamnés, nous avons limité notre analyse aux auteurs condamnés de façon définitive au 31 juillet. Les informations que nous avons récoltées découlent à la fois du panel représentatif et des données statistiques. Elles présentent les limites que nous vous avons indiquées sur la méthodologie.

Pour définir le profil des auteurs condamnés - nous allons par exemple évoquer leurs diplômes, leur situation familiale ou leur situation d'emploi -, nous nous sommes fondés sur des éléments qui, bien que figurant dans les dossiers, résultent de données déclaratives de la part des intéressés. Ces déclarations n'ont pas fait l'objet de vérification par les forces de sécurité intérieure au moment des interpellations ou au moment des gardes à vue. En effet, certaines données, comme la nationalité, sont vérifiées. En revanche, d'autres, comme le niveau d'étude, ne le sont pas.

Le profil que nous vous présentons comporte donc des limites et il est susceptible d'évoluer : nous n'avons pas été en mesure d'analyser ce qui était encore en cours, à la fois à l'instruction et dans le cadre des enquêtes, par exemple les prélèvements d'ADN ou l'exploitation des téléphones. Ces informations, une fois connues, auront vocation à compléter notre démarche.

Le profil que nous avons établi, sans être extrêmement détaillé, nous est apparu néanmoins relativement homogène sur le plan sociodémographique. Je vais me risquer à vous le donner tel qu'il nous apparaît, à savoir : un homme, de nationalité française, âgé de 23 ans en moyenne, célibataire, sans enfant, hébergé souvent par ses parents, ayant un diplôme de niveau secondaire, maximum baccalauréat, plutôt en activité. Plus précisément, 91 % des auteurs sont des hommes, 71 % sont de nationalité française et 75 % sont nés en France. Les statistiques dont nous disposons ne répertorient que la nationalité et le lieu de naissance.

Par ailleurs, 87 % sont célibataires, sans enfant à charge, 61 % ont un emploi, une activité professionnelle ou suivent une formation, donc 39 % se déclarent chômeurs ou sans activité.

Au-delà du profil sociodémographique que je viens de dresser, le profil judiciaire apparaît plus contrasté : 57 % des auteurs condamnés définitivement au 31 juillet sont sans antécédent judiciaire. Cela signifie par conséquent que 43 % des condamnés ont un antécédent judiciaire. Nous avons retenu le qualificatif de « contrasté » puisque la majorité n'est pas si significative que cela.

Parmi ceux qui ont déjà été condamnés par le passé, les condamnations remontent généralement à un an ou à 18 mois auparavant, en raison de leur jeune âge, qui s'établit à 23 ans en moyenne. Par ailleurs, 10 % des condamnations ont été prononcées avec la mention de récidive légale. Cette notion juridique est à distinguer de la réitération, et il se peut que certains auteurs aient déjà commis des faits similaires sans avoir été condamnés. Ils ne sont donc pas comptabilisés dans ces 10 % de condamnation avec mention de récidive légale.

Comme l'a indiqué Patrick Steinmetz, l'examen du profil des mineurs condamnés était exclu du champ de notre étude dans la lettre de mission qui nous a été adressée. Néanmoins, il nous paraissait indispensable d'analyser également le profil des mineurs, dès lors qu'ils se trouvaient en situation de coaction avec des majeurs. 

Les mineurs bénéficient d'une procédure de jugement différente de celle des majeurs : celle-ci s'inscrit dans une temporalité différente, de sorte que peu de mineurs ont été définitivement condamnés au 31 juillet 2023. Le profil des mineurs que je vais vous présenter - qui représentent tout de même 28 % des auteurs au total - se fonde sur des données statistiques nationales et sur quelques éléments issus d'une enquête réalisée par la protection judiciaire de la jeunesse à l'aide de données déclaratives.

Le profil des mineurs condamnés se rapproche de celui des majeurs : 96 % sont des garçons, 81 % sont de nationalité française et 59 % sont âgés de 16 à 17 ans. La particularité réside peut-être dans le fait que 36 % des mineurs sont franciliens, soit une part significative, et plutôt concernés - plus de 23 % - par des atteintes aux biens. S'agissant des antécédents judiciaires, nous ne disposions pas d'éléments dans les statistiques analysées puisque seul un petit nombre d'auteurs avaient été définitivement condamnés au 31 juillet 2023. Néanmoins, d'après les déclarations faites au moment de leur déferrement devant les services de la protection judiciaire de la jeunesse, environ 70 % des auteurs apparaissent sans antécédent judiciaire.

M. Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration. - Notre rapport traite également de la question des motivations des auteurs de violences urbaines, conformément à la demande formulée dans la lettre de mission qui nous a été adressée. Je rappelle que nous avons travaillé à partir des déclarations faites par les auteurs interpellés, qui peuvent déployer une stratégie de défense et nier, de ce fait, la participation aux faits qui leur sont imputés, malgré leur interpellation en flagrant délit.

Nous avons également étudié les nombreux entretiens que nous avons conduits avec les magistrats du siège et du parquet : ces derniers ont été confrontés aux personnes mises en cause et ont pu en déduire des éléments de motivation. Enfin, nous avons disposé des premières analyses du renseignement territorial sur les émeutes.

Plusieurs éléments principaux ressortent de ces déclarations, entretiens et analyses. La première conclusion que nous tirons est le faible rapport à l'évènement déclencheur de ces violences urbaines, à savoir le décès du jeune Nahel M. à Nanterre. Moins de 8 % des condamnés font référence à cet évènement pour justifier leur comportement dans le cadre des émeutes.

Deuxièmement, nous avons constaté que les contestations qui apparaissent à travers les attaques contre les forces de sécurité ou les destructions de bâtiments publics ne sont pas revendiquées par les auteurs des faits.

Troisièmement, il apparaît que la quasi-totalité des condamnés n'exprime aucune revendication d'ordre idéologique ou politique qui soit susceptible de motiver une forme de colère et une expression de la violence. Au regard des déclarations des mis en cause, on constate en revanche que ces actions dénotent un rapport très décomplexé des auteurs des faits par rapport à l'expression de cette violence. Cette expression paraît sans limite, sans barrière en termes de valeurs, y compris lorsqu'il s'agit d'agression physique à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique.

L'importance du nombre de magasins pillés est relativement inédite dans l'histoire des violences urbaines en France, et ce phénomène revêt très clairement un caractère opportuniste. Il faut cependant souligner que les casseurs ne se retrouvent pas nécessairement parmi les personnes interpelées pour lesquelles nous avons étudié les dossiers. Selon le témoignage des magistrats, les casseurs étaient bien organisés, contrairement aux personnes dont nous avons étudié le dossier qui semblaient plutôt suivre le mouvement et qui ont été rameutées vers telle ou telle grande surface en se disant « on peut y aller, on peut se servir ». Certains d'entre eux revendiquaient aussi une montée d'adrénaline, voire se disaient poussés par une ambiance festive. Tout cela reflète bien le fait que nous avons affaire à de l'opportunisme.

Comme l'ont relevé la presse et certains analystes, on peut noter que la majorité des personnes condamnées était très reliée aux réseaux sociaux. Ce lien a pu prendre la forme de boucles qui les ont incitées à rejoindre des lieux d'affrontement ou de pillage, ou bien simplement se traduire par de nombreuses publications mettant en valeur l'expression de la violence dans tel ou tel quartier.

On constate enfin un indéniable déficit d'ancrage citoyen parmi ces jeunes majeurs interpellés et condamnés. Certains travailleurs sociaux ont fait savoir que beaucoup d'entre eux étaient inconnus de leurs dispositifs d'accompagnement social. Nous pouvons supposer que depuis 2005, peut-être notamment à cause de la crise de la Covid-19, un certain nombre de jeunes gens sont passés sous les radars de la prise en charge et de l'accompagnement. Cela n'aurait probablement pas été le cas en période plus classique.

Les motivations des auteurs sont donc diverses, et très minoritairement liées à l'évènement déclencheur de cet épisode.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Les motivations présentées peuvent également varier selon les territoires. Les revendications liées au décès de Nahel M. étaient ainsi beaucoup plus fortes à Nanterre ou dans la couronne de l'Ouest francilien qu'à Saint-Brieuc ou à Marseille.

L'ensemble de nos travaux devrait par ailleurs être complété par une étude subsidiaire. Notre lettre de mission nous demandait en effet de nous attacher aux conditions juridiques et opérationnelles dans lesquelles les chercheurs pourraient avoir accès aux données pénales liées à ces violences urbaines. Nous avons donc développé l'ensemble de ces éléments - qui sont à la fois juridiques, techniques, et opérationnels - dans une troisième partie de notre rapport. Cette étude plus approfondie devrait pouvoir compléter la photographie que nous vous présentons aujourd'hui. Elle bénéficiera d'une plus grande distance avec les faits directement observés.

M. François Bonhomme. - Une des singularités de ces émeutes a été l'alliance des réseaux sociaux et des mortiers d'artifice, et vous avez justement noté « l'ambiance festive » évoquée par certains auteurs. Avez-vous des analyses particulières sur l'usage totalement détourné qui a été fait à ce moment-là des mortiers d'artifices, et notamment leur rôle dans les déclenchements d'incendies ? Ces émeutes ont en effet été marquées par la multiplicité des incendies de voitures et plus encore de bâtiments.

Le ministère public a selon vous fait le choix de sauvegarder les biens et les personnes, au détriment de la judiciarisation des infractions. Il y a donc eu un effet retard en raison de la multiplication d'incendies qui ont occupé les forces de l'ordre et les pompiers, qui faisaient en outre l'objet d'un ciblage particulier en tant que représentants de l'autorité publique. Les mortiers d'artifice sont un mode opératoire qui s'est sans doute largement propagé, puisqu'il est désormais possible de se procurer ce type d'arme par livraison en quelques clics et pour quelques euros, et ce malgré la règlementation. Avez-vous des préconisations particulières, en termes de règlementation notamment, sur l'usage de ces mortiers d'artifices ?

Mme Françoise Dumont. - Je souhaiterais avoir des précisions sur les stages de citoyenneté auxquels devaient se soumettre les personnes condamnées. Avez-vous un retour sur ces stages ? Ont-ils été effectués ? De quelle nature étaient-ils ? Est-il prévu un suivi des personnes qui ont suivi ces stages de citoyenneté ? Ont-ils donné des résultats ?

Mme Corinne Narassiguin. - Vous avez évoqué le rôle des familles et des parents dans le processus de désescalade, mais vous avez aussi parlé de réseaux de délinquance plus structurés. Avez-vous des précisions sur ce point, en particulier sur le rôle de ces réseaux, que ce soit dans l'incitation au départ de ces émeutes ou à l'inverse dans le retour de l'ordre ? Dans ce cas, quelles sont les motivations qui les conduisent à inciter au retour de l'ordre ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous donner plus d'éléments sur la survenue de violences dans les zones très urbaines et notamment les zones franciliennes ?

Vous avez expliqué que beaucoup plus de petites et moyennes communes ont été touchées. Avez-vous des éléments par rapport aux motivations ou aux profils sociaux qui peuvent expliquer cela ?

M. Hussein Bourgi. - Vos propos viennent confirmer ce que j'avais observé dans mon département et à travers la lecture quotidienne de la presse quotidienne régionale (PQR) qui rendait compte des comparutions immédiates qui avaient eu lieu. Il y a en effet beaucoup de délinquance par opportunisme. Les chiffres que vous avez communiqués viennent le confirmer, puisqu'effectivement seulement 8 % des mis en cause font référence à la mort du jeune Nahel M..

La deuxième chose que j'avais observée était le ciblage d'un certain type de commerces qui revenait de manière récurrente, à savoir la captation de produits de marque destinés à des publics générationnels.

Enfin, vous avez indiqué la mobilisation via les réseaux sociaux et via les boucles. Si les réseaux sociaux sont publics et nous connaissons bien leur fonctionnement, la nature et les caractéristiques des boucles - dont j'ai vu la mention dans des articles de presse - m'interpellent et m'intéressent particulièrement. Avez-vous des précisions sur la nature de ces boucles ? S'agit-il de boucles d'élèves qui fréquentent les mêmes lycées ou les mêmes universités ? S'agit-il de boucles de jeunes qui habitent la même commune, le même quartier ? Ou bien s'agit-il de boucles à caractère communautaire ?

Mme Laurence Harribey. - Dans le prolongement des interrogations précédentes, avez-vous des éléments supplémentaires concernant les variations par territoire ?

J'ai une seconde question sur le croisement entre les motivations et la nature des peines infligées. Votre étude permet-elle de distinguer une gradation des peines entre les actes fondés sur une banalisation de la violence, d'une part, et les actes, souvent moins graves, motivés par de l'opportunisme, d'autre part ?

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Les mortiers d'artifice ou autres matériels pyrotechniques ont été utilisés dès le premier soir, ce qui laisse supposer qu'ils étaient à la disposition des auteurs de violence préalablement aux émeutes. Nos auditions et l'examen des dossiers font apparaître deux réseaux d'approvisionnement par le biais, d'une part, d'internet et, d'autre part, de placements en Belgique et Pologne, suggérant alors des liens avec des réseaux de délinquance plus structurés. Les motivations pour les utiliser ne sont, toutefois, pas développées sur les réseaux sociaux.

M. Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration. - La commercialisation des mortiers étant interdite, cet approvisionnement s'apparente à un schéma de trafic des matières dangereuses. On constate une escalade, en matière de densité, dans l'usage de ces mortiers à des fins d'affrontement avec les forces de l'ordre.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Si un réseau déjà constitué est à l'oeuvre dans la fourniture de ces moyens pyrotechniques relativement onéreux, certains témoignages démontrent que ces instruments étaient mis dans les mains des mineurs qui arrivaient sur les lieux. Ces derniers ne savaient, au demeurant, pas s'en servir.

Sur les réseaux sociaux, nous observons deux types de boucles : un premier type de boucles de proximité, utilisant le réseau WhatsApp et regroupant des « copains » d'un même quartier qui s'ennuient. Je livre, par exemple, ce verbatim concernant un groupe d'une dizaine d'amis d'une petite commune rurale : « lundi, comme je vivais dans une ville très calme, il ne se passait rien dans ma vie. J'ai donc voulu aller dans une ville où il se passait des trucs, prendre des vidéos et regarder. ». Un second type de boucles promeut la violence et est vécue, par ces jeunes, comme un moyen de valorisation : « j'ai été matrixé, j'étais dans une matrix, un engrenage. J'avais des milliers de commentaires » ou encore « j'ai des vidéos de gens qui tirent des feux d'artifice. J'ai toujours voulu être reporter. »

Si nous n'avons pas d'indices concernant des mouvements communautaires, nous notons un mécanisme d'engrenage et de surenchère entre groupes, entre villes et entre communes. Les chaînes télévisées d'information en continu sont également comprises parmi les réseaux sociaux, certains témoignages rapportant une volonté d'apparaître sur telle ou telle chaîne de télévision.

M. Patrick Steinmetz, inspecteur général de la justice. - Les stages de citoyenneté étaient en dehors du champ de notre étude, qui s'arrêtait au prononcé des condamnations. Nous considérons, néanmoins, la peine d'un stage de citoyenneté comme un outil de ré-ancrage dans la société et, à ce titre, une sanction pédagogique.

En revanche, nous indiquons dans notre rapport que le contenu du stage devrait être adapté au profil spécifique des émeutiers, sachant que le contenu du stage est défini localement dans le ressort de chaque tribunal. Autant la protection judiciaire de la jeunesse que l'administration pénitentiaire proposent, par exemple, des stages ciblés pour les auteurs de rodéos urbains. Dans le cas des émeutes, un contenu spécifique pourrait être réintroduit sur le fait de vivre dans la Nation.

S'agissant du croisement entre les motivations et les natures des peines, il nous est apparu, en premier lieu, que la peine était corrélée à la nature et à la gravité de l'infraction. En second lieu, nous avons pris avec beaucoup de précautions les motivations avancées, puisqu'elles étaient tirées des procès-verbaux d'enquête, des déclarations à l'audience, ainsi que des déclarations faites aux services chargés des enquêtes de personnalité. Nous avons trouvé que les motivations semblaient quelque peu aseptisées ou atténuées. De ce fait, elles ont pris une moindre importance que la nature des faits reprochés.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Concernant les variations territoriales, le rapport indique que 23 % des infractions ont été commises en zone gendarmerie, ce qui est beaucoup plus significatif qu'en 2005, 7 % dans des communes rurales, 15 % dans des unités urbaines de moins de 50 000 habitants, 8 % dans des unités urbaines entre 50 000 et 100 000 habitants, et 70 % dans des unités urbaines supérieures à 100 000 habitants.

Une proportion importante de ces infractions a ainsi eu lieu dans les unités urbaines les plus importantes et notamment dans l'Ouest francilien, mais aussi dans des communes rurales et des petites communes. En constituant un panel de 32 tribunaux judiciaires hexagonaux pour notre étude, nous nous sommes attachés à prendre en compte des tribunaux dans les villes et petites communes qui n'avaient pas connu de telles violences en 2005.

Mme Isabelle Florennes. - J'ai pris connaissance d'une étude de deux chercheurs de l'école urbaine de Sciences Po, parue le 10 octobre dernier, qui effectue une analyse socio-territoriale des émeutes de 2023. Leur étude fait apparaître deux temps, contrairement aux émeutes de 2005. Dans un premier temps, qu'ils qualifient d'émotionnel, les actions de violence sont dirigées contre les forces de l'ordre et les biens publics et se situent essentiellement en région parisienne. Dans un second temps, qu'ils qualifient d'insurrectionnel, les auteurs sont plus jeunes et élargissent leurs attaques aux commerces et aux plus petites communes. Votre étude sur les peines prononcées confirme-t-elle cette analyse en deux temps ?

Mme Elsa Schalck. - Nous regrettons que la lettre de mission n'ait pas pris en compte les mineurs, bien qu'ils aient été nombreux et aient joué un rôle extrêmement important. Cela soulève des questions, notamment sur la responsabilité parentale.

Au cours de ces violences, les symboles de la République ont été attaqués, notamment des écoles et des mairies. La signification est forcément importante. Vous avez évoqué la question du déficit de l'ancrage citoyen, ainsi, à la lumière de ces atteintes, établissez-vous le rapprochement que c'est aussi notre République et ses valeurs qui ont été attaquées ?

Mme Audrey Linkenheld. - Les informations que vous nous avez livrées recoupent assez largement ce que j'ai pu constater dans la ville de Lille et plus largement dans le département du Nord, y compris dans sa partie la plus rurale. Je peux également vous confirmer qu'une bonne partie des mortiers d'artifice viennent effectivement de Belgique, ce qui a pu être constaté avant les émeutes.

Je souhaiterais obtenir quelques précisions, même si cela ne rentre pas directement dans le cadre de la mission, sur les chiffres concernant les mineurs. Vous nous avez indiqué que 36 % d'entre eux étaient franciliens, avez-vous plus de détails sur les mineurs dans les autres départements de notre pays ?

M. Olivier Bitz. - À la suite du prononcé de la peine, quels sont le nombre de mandats de dépôts délivrés et le nombre de peines immédiatement aménagées ?

Concernant les mineurs, vous vous êtes intéressés à ceux qui ont été coauteurs d'infractions avec des personnes majeures incriminées. Ils étaient tous apparemment en dehors du champ de la prévention spécialisée. Personne ne les connaissait et nous découvrons, à l'occasion de ces émeutes, l'absence de suivi de ces jeunes. Quelle a été la prise en charge, par la protection judiciaire de la jeunesse et par les services du département spécialisés, de ces mineurs, qui peuvent être considérés comme nécessitant un suivi social ?

M. Patrick Steinmetz, inspecteur général de la justice. - En ce qui concerne l'étude réalisée par des chercheurs de Sciences Po, je remarque qu'elle s'est nourrie de notre rapport puisqu'elle le cite à plusieurs reprises. Nous avons aussi observé ces deux phases qui constituent ce que l'on nomme la « cinétique des évènements ». La première phase est caractérisée par un nombre important d'atteintes à l'autorité publique, aux biens publics et aux forces de l'ordre, majoritairement constatées au cours des premières nuits. Le basculement s'opère à partir du 30 juin et du 1er juillet 2023 : les faits se sont alors étendus au reste du territoire national et se sont multipliés. Ces deux journées ont concentré le plus grand nombre des infractions commises dans le cadre des émeutes. Les vols aggravés et les atteintes aux biens sont alors devenus extraordinairement dominants.

Je rappelle que notre prisme d'analyse est très limité puisqu'il ne couvre que les individus condamnés au 31 juillet 2023. Certains auteurs ont participé à ces deux phases et à tous les types d'évènements constatés mais les données sur lesquelles nous nous sommes appuyés étaient trop éparses pour en tirer des conclusions. Néanmoins, nous constatons que le profil des auteurs est rigoureusement le même : les individus qui ont tiré au mortier et ceux qui ont volé dans les magasins présentent la même situation sociale et pénale. C'est l'une des énigmes à résoudre pour comprendre les motifs du passage à l'acte et la nature des modes d'action retenus. Une étude sociologique est en cours pour creuser la question du profil et des motivations des auteurs et nous fournir les clefs d'explication manquantes. Elle prendra en compte les résultats de l'étude que vous avez mentionnée.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Les mineurs ne rentraient effectivement pas dans le périmètre de notre lettre de mission. Nous ne nous sommes intéressés qu'aux mineurs en coaction. De plus, puisque notre objectif était de déterminer le profil des auteurs, nous nous sommes limités aux individus définitivement condamnés pour éviter d'englober les personnes qui ne seraient pas, in fine, reconnues coupables par la justice. Or, la temporalité du droit pénal des mineurs est différente de celle des majeurs. Tout comme pour les majeurs, les parquets ont fait le choix de déférer 90 % des mineurs impliqués dans les violences urbaines, y compris pour la mise en place de peines alternatives. 68 % d'entre eux sont sans antécédent judiciaire et ne sont connus ni des services de la protection judiciaire de la jeunesse, ni des services sociaux. Pour ceux-là, la sanction privilégiée a été le rappel à la loi. Beaucoup des rappels à la loi ont été faits sur déferrement : les parquets ont donc quand même choisi, pour les impressionner, de faire venir les mineurs au tribunal.

Les affaires intéressant des mineurs sont jugées selon une double temporalité : la décision établissant la culpabilité est rendue dans un délai de trois mois et le jugement définitif, qui détermine la peine, est rendu dans les neuf mois. Il existe donc deux temps distincts dans la justice pénale des mineurs qui porte à 12 mois environ le délai de traitement de l'affaire. Ce calendrier est incompatible avec notre délai de remise du rapport.

Nous avons toutefois pu obtenir quelques renseignements sur les profils des auteurs à partir des données statistiques sur les mineurs impliqués mais, là encore, ces données sont à exploiter avec précaution puisqu'il ne s'agit pas seulement des personnes définitivement condamnées. 91 % d'entre eux sont des garçons et 36 % sont franciliens. Nous n'avons pas obtenu davantage de précision sur leur origine départementale. Nous nous sommes également appuyés sur l'enquête réalisée par les services de la protection judiciaire de la jeunesse à partir des données déclaratives qui figurent dans le recueil des renseignements socio-éducatifs obtenus auprès du mineur ou de sa famille au moment du déferrement : 73 % des mineurs interrogés sont scolarisés, 68 % sont issus de familles monoparentales et 68,2 % sont sans antécédent judiciaire. Mais ces éléments doivent être examinés avec prudence car ils sont déclaratifs, d'une part, et ne concernent pas que les mineurs définitivement condamnés, d'autre part.

M. Patrick Steinmetz, inspecteur général de la justice. - Les conseils départementaux prennent en charge l'assistance éducative, donc le volet civil totalement distinct de la matière pénale qui est l'objet de notre rapport. Nous ne connaissons donc pas la part des mineurs qui, déférés au pénal, bénéficiaient déjà d'un suivi éducatif ou ont fait l'objet, par la suite, d'une saisine du juge des enfants en matière éducative. Nous sommes cependant en mesure de montrer que la quasi-totalité des mineurs mis en cause ont été déférés et ont, pour la plupart, fait l'objet de mesures provisoires dans l'attente de leur jugement. Il s'agit dans ce cas d'une prise en charge éducative : la terminologie est la même mais il s'agit de droit pénal. Les services de la protection judiciaire de la jeunesse ont donc bien été saisis d'un suivi éducatif pénal de la quasi-totalité des mineurs déférés.

Mme Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice. - Pour compléter les éléments d'information déjà communiqués sur les peines prononcées, j'ajoute que les incarcérations immédiates représentent 53 % de ces peines. 20 % de ces peines ont été aménagées à l'audience. Enfin, 20 % des peines ont entraîné un suivi pénitentiaire : sursis probatoire, travail d'intérêt général, détention à domicile sous surveillance électronique, etc. Ces auteurs condamnés continueront donc à être suivis, ce qui permettra d'analyser leur évolution.

Concernant la question des motivations et des atteintes aux valeurs de la République, j'ajoute que beaucoup de faits nous ont échappé car certains faits graves tels que l'incendie du tribunal de proximité d'Asnières ont fait l'objet d'une ouverture d'information judiciaire. Or, nous n'avons pas accès aux procédures en cours. L'analyse future des auditions des auteurs de ces infractions devrait nous apporter des clefs de compréhension sur ces sujets.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Ce qui m'inquiète, à vous écouter, c'est le rapport décomplexé à la violence. On le sait depuis longtemps mais c'est bien la preuve que les choses ont changé. Tout est permis ; le degré de gravité n'est même plus apprécié. Le mal est profond et la réponse n'est donc pas aussi simple qu'on veut bien le dire. Cela prendra du temps.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

II. MERCREDI 8 NOVEMBRE 2023 - AUDITION DE MME NATHALIE HEINICH, SOCIOLOGUE, DIRECTRICE DE RECHERCHE AU CNRS, MM. MARCO OBERTI, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À SCIENCES PO ET CHERCHEUR AU CENTRE DE RECHERCHE SUR LES INÉGALITÉS SOCIALES (CRIS) ET THOMAS SAUVADET, SOCIOLOGUE, SPÉCIALISTE DES BANDES DE JEUNES, ENSEIGNANT À L'UNIVERSITÉ PARIS-EST CRÉTEIL

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Mes chers collègues, Madame, Messieurs, merci de votre présence. Nous reprenons nos auditions dans le cadre de la mission d'information sur les émeutes survenues à la fin du mois de juin dernier. Nous accueillons aujourd'hui Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS et membre de l'Observatoire des idéologies identitaires ; Marco Oberti, sociologue, professeur à Sciences Po Paris, ancien directeur de l'Observatoire sociologique du changement ; et Thomas Sauvadet, sociologue, spécialiste des bandes de jeunes, enseignant à l'Université Paris-Est Créteil.

Nous avons mis en place cette mission d'information afin d'aborder les événements de manière complète, tels qu'ils se sont déroulés. Des violences ont eu lieu dans des quartiers d'ordinaire plutôt calmes tandis que dans d'autres quartiers, généralement plus agités, la période a été plus apaisée. Nos repères habituels ont été remis en cause. Nous avons besoin de votre éclairage pour comprendre la situation. Nous rédigerons un rapport dans quelques semaines, à l'issue des diverses auditions.

Je précise que nous sommes retransmis en direct sur le site du Sénat.

Mme Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS et membre de l'Observatoire des idéologies identitaires. - Merci de m'avoir conviée à cette table ronde. Je précise que je ne suis pas spécialiste des banlieues ni des sociologies urbaines. Je ne m'appuierai donc pas sur des enquêtes personnelles, mais sur des réflexions issues de diverses lectures.

J'insisterai d'abord sur le caractère multiple des causalités. Il est erroné de vouloir n'en retenir qu'une. J'en établirai donc une liste, sans ordre particulier, pour balayer tout le spectre des possibilités.

D'abord, les réseaux sociaux donnent la possibilité technique d'accélérer la communication dans le temps et de l'agrandir dans l'espace. Les émeutes urbaines sont un phénomène bien antérieur à l'apparition des réseaux sociaux, mais je pense qu'ils ne sont pas étrangers à la rapidité, l'extension et la contagion de ces violences par la diffusion en direct d'images extrêmement frappantes. De nombreux travaux en psychologie sociale portent sur l'incitation à l'action via la banalisation de certaines images, notamment de violence. Les réseaux sociaux portent ici une énorme responsabilité. Dans ce cadre, je serais personnellement favorable à une interdiction d'offrir des smartphones aux enfants avant l'adolescence.

Ensuite, de façon inhérente à toute immigration, nous sommes confrontés à des phénomènes de regroupement communautaire qui peuvent favoriser des formes de coopération dans la transgression. Il me semble que nous ne pouvons qu'y répondre par une politique urbaine ciblée. Il en a été question très récemment avec les mesures présentées par la Première ministre. S'ajoute à ce phénomène traditionnel, propre à l'immigration, une forme de ghettoïsation due à l'urbanisme des cités, propre à l'immigration récente. Celle, traditionnelle, de centre-ville permettait beaucoup plus le mélange social. Cette forme de ghettoïsation est liée à une gestion extrêmement problématique de l'immigration depuis les deux dernières générations. De manière à casser ce phénomène de ghetto, il serait bon, à mon sens, de favoriser les internats de manière à éloigner des enfants soumis à un environnement familial et de proximité problématique. J'essaie ici de suggérer des pistes de solutions.

Il a également été beaucoup question du démantèlement de la police de proximité, depuis près d'une génération. Nous en connaissons aujourd'hui les effets pervers. Peut-être faudrait-il revenir sur la réforme portée par Nicolas Sarkozy. Nous pourrions également proposer une prime pour attirer les policiers les plus expérimentés dans les quartiers, plutôt que les plus jeunes qui s'y orientent afin de progresser dans la hiérarchie.

Par ailleurs, les trafics entraînent une forme de délégitimation de la loi, problématique. Faut-il dépénaliser l'usage du cannabis ? Je laisse ce sujet à votre réflexion.

Dans les commentaires ayant suivi les émeutes, le problème de démantèlement du tissu associatif socioculturel, notamment depuis les années 1980 et les changements dans la distribution des compétences entre les ministères de la culture et de la jeunesse, a moins été abordé. Ce sujet pourrait éventuellement être évoqué en favorisant à nouveau les associations locales, et surtout en contrôlant strictement leurs activités de façon à éviter tout enrôlement idéologique ou religieux. Nous savons maintenant qu'une partie des associations de jeunesse, notamment sportives, ont fait l'objet d'un entrisme massif par des mouvements islamistes, en particulier les Frères musulmans. J'identifie ici une réelle nécessité de prise de conscience et de mise en oeuvre de mesures.

Par ailleurs, qu'en est-il de l'éducation nationale ? De même que pour la police de proximité, la mise en place de primes a été envisagée pour attirer les professeurs les plus expérimentés dans les quartiers, plutôt que d'envoyer les plus jeunes au casse-pipe. Les établissements scolaires devraient également ouvrir au-delà des heures d'enseignement, en prévoyant des heures d'étude obligatoires pour éviter que les jeunes ne traînent dans la rue au lieu de faire leurs devoirs dans des conditions satisfaisantes.

Je note aussi le déni longtemps pratiqué au sein de l'Éducation nationale en matière d'antisémitisme et de ségrégation scolaire, parfaitement repéré au début des années 2000 par l'ouvrage collectif dirigé par Georges Bensoussan, Les territoires perdus de la République, et par le rapport de Jean-Pierre Obin. Ils ont tous deux été soigneusement enterrés, ce dont nous payons aujourd'hui le prix.

J'ai publié dans Le Monde une tribune en novembre 2020, après l'assassinat de Samuel Paty, consacrée au processus de décivilisation lié, notamment, à la politique de l'enfant roi. Ce modèle éducatif s'est développé à partir des années 70, pour favoriser la liberté individuelle ou l'écoute des besoins de l'enfant. Nous en subissons aujourd'hui les effets pervers. Nous sommes confrontés à un rapport à la loi qui me semble très problématique. Cette politique aboutit à développer une mentalité de toute-puissance, à refuser toute contrainte, forcément négative et insupportable, sur la liberté individuelle. Elle se focalise sur les droits au détriment des devoirs, fétichise la liberté individuelle au détriment de l'intérêt général. J'y vois un effet pervers de la libération des moeurs depuis deux générations.

Le sociologue Norbert Elias entendait par « décivilisation » un processus qui défait progressivement celui de civilisation des moeurs. Ce dernier correspond à une acquisition progressive d'un autocontrôle, d'une autocontrainte sur ses propres pulsions. Il définit aujourd'hui les fondements du cadre de la civilité. Or, Elias lui-même a noté que ce processus n'est pas irréversible. Il peut se retourner dans des moments de régression. C'est alors la décivilisation qui intervient. Elle se manifeste notamment par un desserrement de l'autocontrôle et par la possibilité de passer à l'acte de façon violente, pulsionnelle. Je pense que ces émeutes en ont donné un exemple évident. Cette notion a été reprise par Jérôme Fourquet, mais aussi par le président Emmanuel Macron. Ce terme a été très contesté par certains sociologues, mais je pense qu'il constitue une piste importante.

Les réseaux sociaux constituent de manière évidente une incitation à la décivilisation. Ils favorisent des expressions libres, sans contraintes, contrairement aux interactions en face à face. Interagir à distance, sans voir la personne à qui l-on s'adresse, ouvre la porte à des phénomènes de déferlement de haine, d'insultes, de violences, à un sentiment de toute-puissance et une absence de contrôle des propos qui sont tenus.

Permettez-moi ensuite d'insister sur un sujet qui n'est pas politiquement correct. Dans la culture musulmane, un privilège traditionnel est accordé aux garçons. Ils sont un peu des enfants rois, à qui on ne refuse rien, contrairement aux filles. Des ethnologues, et notamment Germaine Tillion avec son ouvrage Le harem et les cousins, ont très bien décrit cette culture propre au monde musulman. Elle me paraît liée au sentiment de toute-puissance et de non-régulation des pulsions violentes que l'on trouve pour beaucoup chez des adolescents issus de l'immigration. Ce constat pourrait selon moi être en partie modéré par une éducation scolaire prônant l'égalité entre filles et garçon. L'école devrait insister très tôt sur l'importance de prendre au sérieux cette question pour que les filles dans ces familles puissent au moins comprendre que ce qui leur est imposé n'est pas conforme aux lois et aux règles du pays dans lequel nous vivons.

J'ai co-signé avec une dizaine de sociologues, au mois d'août, une tribune parue dans l'Obs pour nous opposer à une déclaration faite au dixième Congrès des sociologues de l'association française de sociologie, le 17 juillet 2023. Une motion adoptée en assemblée générale, intitulée « sur les révoltes en cours dans les quartiers populaires », apporte son soutien, je cite, « aux revendications légitimes qui émanent des quartiers populaires, vérité, justice et égalité qui dénoncent les violences policières systémiques, s'indignent contre la justice expéditive et la répression judiciaire lourde à laquelle nous assistons depuis plusieurs jours, et s'inquiète de la montée de l'extrême droite ».

Nous protestions, dans cette tribune, contre le fait que cette motion - adoptée par quelques personnes - ne dit rien des violences commises par les émeutiers, des actes d'intimidation et des voies de fait, du saccage des biens publics et des commerces. Nous voilà donc face à un parfait exemple de militantisme académique qui pratique ouvertement la confusion des arènes entre la science et la politique, et le dévoiement de la recherche et de l'enseignement supérieur. Il serait plus que temps que la représentation nationale se penche sur ces dérives académo-militantes.

M. Marco Oberti, sociologue, professeur à Sciences Po Paris, ancien directeur de l'Observatoire sociologique du changement. - Je vous proposerai une perspective bien différente de celle de ma collègue. J'ai travaillé sur les émeutes de 2005, j'essaierai donc d'établir une comparaison entre les épisodes récents et ceux de 2005, qui ont pu être moins violents, mais qui furent plus longs.

Il me semble important de revenir sur l'élément déclencheur. Il semble identique : en 2005, la mort de deux très jeunes hommes de 15 et 17 ans, électrocutés à Clichy-sous-Bois en essayant d'échapper à la police ; en 2023, celle de Nahel M., 17 ans, tué d'une balle dans le thorax à Nanterre après une course-poursuite avec la police. Malgré les similitudes, nous observons une vraie différence : les réseaux sociaux n'existaient pas en 2005. En 2023, l'événement filmé y a été diffusé massivement et rapidement. Cette captation dément la première version policière. Elle est très vite interprétée comme une illustration de l'impunité de la police, reliée à des violences policières, voire à une dimension raciste de l'acte policier. Surtout, beaucoup de personnes se sont demandé ce qu'il serait advenu si nous avions eu la possibilité de visionner la plupart des scènes de cette nature. Auraient-elles montré des versions différentes de celles, officielles, proposées par la police ?

Je ne développerai pas la question des réseaux sociaux, déjà abordée, mais un travail est nécessaire sur cette dimension. Peut-être avez-vous prévu d'impliquer des spécialistes de l'analyse des réseaux sociaux et de leur lien avec la mobilisation collective et les mouvements sociaux dans le cadre de cette commission d'enquête.

Ce à quoi nous avons assisté en 2023 est différent des événements de 2005, en termes géographiques et temporels. Nous identifions presque deux temps. Je qualifierai le premier d'émotionnel. Il est fortement lié à la scène filmée. Il est essentiellement cantonné à l'Île-de-France, à la banlieue parisienne et, très vite, à Lyon. Il ne concerne que très peu les petites et moyennes villes. Ce temps-là agrège des jeunes, mais aussi des militants, des éducateurs, des adultes ou encore des élus. Ils sont choqués par ce que révèle la vidéo. Ce temps est émotionnel, car il touche des personnes au-delà de la simple catégorie que l'on pourrait qualifier de « jeunes en difficulté ». Ce temps fut très court. Je vous renvoie à ce sujet à l'article publié sur les sites de La vie des idées et de Sciences Po. Très vite, de nombreuses communes ont connu beaucoup d'événements en Île-de-France, avant une chute très rapide. Les petites villes et villes moyennes ont alors pris le relais.

Le deuxième temps débute quelques nuits plus tard. Il touche principalement, mais pas uniquement, des petites villes et des villes moyennes. Je ne trouve pas de terme adéquat pour le qualifier. J'ai tenté d'employer celui d'« insurrectionnel », mais il n'est pas tout à fait adapté. Nous constatons, au travers de l'analyse qualitative d'autres matériaux, que le rapport avec la mort de Nahel M. en tant que telle et les conditions dans lesquelles il a été tué est plus ténu.

Par ailleurs, le registre des violences évolue un peu. C'est aussi le cas dans le premier temps, mais ça l'est davantage encore dans le second. Nous observons beaucoup plus de saccages et de pillages de commerces, davantage que de biens publics, d'institutions associées à la police, au gouvernement local, à l'échelle régionale ou nationale.

Dans les deux cas, plus que la présence de locataires de HLM, d'immigrés, de familles nombreuses, plus que la sur-occupation des locaux et la pauvreté, c'est la concentration de ces caractéristiques dans quelques quartiers spécifiques qui explique le mieux la probabilité de connaître des émeutes. Nous avons établi des scores à l'échelle de l'ensemble des communes françaises concernant ces indicateurs. En y ajoutant le fait d'avoir ou non un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), on constate 7 fois plus de chances de connaître une émeute, toutes choses égales par ailleurs. Le QPV, à ce stade de la recherche, indique par conséquent un degré de concentration et de ségrégation dans l'espace de toutes ces caractéristiques.

Il est ensuite intéressant de dissocier ce qu'il s'est passé à Paris et dans sa banlieue de ce qu'il s'est passé dans les petites et moyennes villes. Il s'est avéré que les probabilités de connaître une émeute en 2023 étaient multipliées dans les villes qui y avaient été confrontées en 2005. Comment interpréter ce résultat ? J'aimerais insister sur la place qu'occupent les émeutes dans la mémoire collective de nombreuses banlieues, en particulier celles des plus grandes métropoles françaises. Cette mémoire collective correspond à une succession d'événements ayant marqué la vie locale et les expériences politiques des personnes participant de près ou de loin à ces émeutes.

J'identifie une différence très forte entre cette mémoire collective, qui devient très structurante dans les banlieues des grandes métropoles, et sa faible présence dans les petites et moyennes villes. Dans les quartiers en difficulté des grandes banlieues des métropoles, se trouve un tissu associatif affichant une longue histoire. Il s'est renouvelé et porte, à juste titre, un discours très fort de lutte contre les discriminations. Sa mobilisation dans ces quartiers, ses tentatives de donner une forme à des revendications, et une forme de conscience de l'intensité de certaines discriminations, participe aux dynamiques émeutières dans la région parisienne. Ce n'est pas le cas dans les petites et moyennes villes. Un tissu associatif impliqué dans la lutte contre les discriminations existe aussi dans les quartiers les plus paupérisés de ces petites et moyennes villes, mais il est beaucoup moins fort et il irrigue beaucoup moins ces quartiers. Cela peut expliquer la distinction entre le temps émotionnel et le temps insurrectionnel que j'ai évoquée précédemment.

Dans les petites et moyennes villes, les émeutes se superposent assez bien avec les rassemblements de gilets jaunes en 2018, bien que des populations différentes soient concernées. On retrouve en 2023 les mêmes territoires assez paupérisés, en situation périphérique sur de nombreux aspects, dans lesquels ont eu lieu des mobilisations très fortes en 2018, touchant des populations spécifiques. En 2023, les mêmes zones ont été touchées, sans pour autant que les mêmes catégories de population ne se mobilisent. Je pense que ce point mérite que l'on s'y arrête. Il appelle d'autres analyses.

Enfin, il convient d'établir un lien entre les émeutes et la ségrégation scolaire, sujet sur lequel je termine un rapport. Nous avons créé trois indicateurs consistant à coder une commune selon la présence éventuelle, en son sein, d'une école faisant partie du décile le plus faible de l'indice de position sociale. Nous avons complété cette donnée avec le degré de mixité ou de ségrégation de l'école. La significativité de cette variable, y compris associée à la caractéristique « QPV », est très forte.

Je suis las d'être interrogé sur les incendies d'écoles par les émeutiers. Nous devons nous interroger sur ce que produit, décennie après décennie, la ségrégation scolaire, et pas uniquement la ségrégation résidentielle. Pour une partie des jeunes, l'expérience de l'école se rapporte à l'échec, voire à l'humiliation et au rejet. L'école, plus que le collège, est l'institution de proximité par excellence. Elle est l'institution publique la plus proche des quartiers.

Je suis sociologue, je ne porte pas de jugement de valeur. J'étudie des faits, et essaie de les interpréter. Quand je constate, à partir de travaux socio-statistiques ou d'une approche socio-territoriale, que certains éléments contextuels sont récurrents, structurants, et font l'objet de peu d'actions, j'en conclus que nous pouvons réfléchir de façon plus large aux politiques publiques à envisager pour lutter contre l'apparition des émeutes.

M. Thomas Sauvadet, sociologue, spécialiste des bandes de jeunes, enseignant à l'Université Paris-Est Créteil. - J'ai travaillé depuis les années 1990 sur les QPV, notamment en banlieue parisienne. J'ai mis quelques années à me rendre compte que les jeunes que l'on voyait dans la rue, souvent qualifiés comme tels par les travailleurs sociaux, les habitants ou les élus sociaux, ne représentaient qu'une minorité de la jeunesse locale. J'ai alors tenté de recenser ceux qui se présentaient ou étaient présentés comme des jeunes du quartier. Je suis parvenu à une représentation avoisinant 10 % des jeunes de sexe masculin - même si les filles ont un rôle à jouer et sont parfois présentes - de moins de 30 ans, avec des groupes d'enfants très vite repérés et représentés comme les futurs acteurs importants des bandes du quartier, des préadolescents, des adolescents et des jeunes adultes.

C'est une civilisation juvénile, avec des formes d'éducation générationnelles et très peu d'encadrement adulte. Nous y observons des connexions entre différents groupes d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes, avec des interactions et des transmissions de savoir-faire ou de savoir-être, ainsi que du contrôle social.

Ces 10 % représentent plus ou moins une centaine d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes qui socialisent dans des bandes et, à partir des années 1990, dans des réseaux de trafic. Tous n'en font pas partie, mais il s'agit tout de même des organisations sociales structurantes de cette vie juvénile dans l'espace public des QPV.

La différence entre les bandes et les groupes de pairs est peu prise en compte par les travailleurs sociaux, les enseignants, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La bande implique une dynamique transgressive et une appropriation de l'espace. Elle se caractérise par le regroupement d'adolescents, de pré-adolescents, voire même d'enfants, qui affichent beaucoup de difficultés sociales, familiales, scolaires et, plus tard, professionnelles. En se réunissant, ces garçons développent une sorte de pouvoir, de puissance liée à celle, collective, du groupe. J'ai notamment été frappé dans les années 1990 par un jeune qui allait devenir millionnaire grâce au trafic de cannabis, qui s'était même approprié l'espace privé. Selon lui, les gens habitaient dans son quartier parce que sa bande l'acceptait, ils devaient comprendre que c'est cette dernière qui validait les dossiers des bailleurs, en quelque sorte. Cette déclaration froide, calme, faisait suite à une altercation avec une résidente de l'immeuble se plaignant de tapage nocturne. J'avais été frappé par la confiance en lui de ce jeune, par son sentiment d'appropriation et de légitimité.

Cette appropriation de l'espace heurte les habitants, les commerçants, les acteurs associatifs, avec une forme de sélection. Je travaillais récemment dans un QPV de région parisienne au sein duquel plusieurs bandes de jeunes se vantaient d'avoir choisi le gardien de la cité, après plusieurs démissions.

Lorsqu'on demande à une mère de famille ou à un animateur du service jeunesse de s'exprimer, il sait qu'il sera reconnu, même s'il est flouté et que son témoignage est anonyme. Il attend alors des conséquences, qui peuvent se présenter sous forme de boycott, de pressions, de représailles. Celles-ci sont relativement rares, car le rapport de force à l'avantage de ces groupes les rend inutiles. Qui oserait créer des conflits avec ces groupes ? Dans certains quartiers, l'absence de conflit doit même nous inquiéter.

Les groupes de ces quartiers se sont développés en vieillissant, avec de « vieux jeunes » ayant construit de vieilles bandes et ayant rejoint des réseaux de trafic. C'est moins le rajeunissement de ces bandes que leur vieillissement qui pose problème. Des adultes de 20, 25, 30 ou 35 ans restent dans cette forme de socialisation et influencent les plus jeunes. Ils peuvent parfois les pousser à l'émeute, ou, au contraire, les dissuader de recourir à ce type de pratique.

Ce collectif n'est pas structuré. Il existe plusieurs réseaux, plusieurs bandes. Ces jeunes ont connu une montée en puissance depuis la fin des années 1980, qui se caractérise de plusieurs manières.

D'un point de vue économique, les trafics de stupéfiants, et notamment de cannabis, à compter des années 1990 ont permis à certaines bandes de se transformer en réseaux de trafics, invitant le grand banditisme dans des quartiers résidentiels populaires qui ne l'avaient jamais connu, tel qu'à Nanterre.

D'un point de vue culturel, le contrôle social considérant que l'identification au rap et au ghetto était trop forte a progressivement cédé avec l'émergence du gangsta rap et des vedettes du milieu artistique qu'il a vu naître. Ces vedettes ont une influence sociale, et ont développé un mouvement culturel composé de modes vestimentaires, de codes argotiques et d'une musique aujourd'hui assimilée à une culture largement partagée. On la retrouve y compris dans les villages ou les petites et moyennes villes, dans les beaux quartiers, les lycées chics parisiens, les familles de classes supérieures...

La montée en puissance de ces bandes prend également un aspect guerrier : l'argent du trafic de stupéfiants a entraîné des trafics d'armes à Corbeil, Nanterre, Champigny, Marseille, Grenoble... Avant les émeutes, une banalisation des règlements de comptes liés au trafic de stupéfiants dans des villes qui n'avaient jamais connu ce type de violences a été observée. Cette actualité a été chassée par celle des émeutes. En plus des armes à feu, je peux mentionner des pratiques émeutières ou de contrôle du territoire avec une violence de basse intensité. La diffusion des mortiers d'artifice a aussi changé la donne, puisqu'elle accroît les capacités d'action des émeutiers et donne une dimension spectaculaire aux émeutes.

Dernière illustration de la montée en puissance de ces bandes, ces dernières sont devenues un sujet politique. Les émeutes ont amené des élus locaux et travailleurs sociaux à se mobiliser. Elles ont ainsi un coût politique. Dans certaines villes, certains quartiers, des rapprochements entre certaines familles bien connues, qui disposent de capacités pour assurer la sécurité, ont eu lieu. Je fais référence à une économie parallèle, illégale de la sécurité, prenant la forme d'un double impôt au travers de services ou de dons. Le terme d'impôt est cependant exagéré, parce qu'il n'y a pas de contrat, pour l'heure. Nous n'en sommes pas encore arrivés à ce niveau dans les quartiers, bien que des tentatives aient été observées à Aubervilliers, par exemple. Nous risquons de voir ces expériences se développer dans les années à venir.

Le chantage à l'émeute a été employé dans certains quartiers, avec des violences verbales et des intimidations, y compris auprès d'élus locaux. Nous avons observé des liens avérés entre ces derniers et la « voyoucratie » locale, notamment à Corbeil-Essonnes ou Bobigny.

Cette évolution économique, culturelle, guerrière et politique dans les grandes banlieues a entraîné une diffusion de ces phénomènes, y compris en milieu rural, dans de petites villes. Ces phénomènes se diffusent également auprès des filles de ces quartiers. Nous observons de plus en plus de phénomènes d'imitation des modes de fonctionnement des garçons par des filles plus ou moins liées à ces bandes. La montée de la prostitution est aussi notable. Par ailleurs, des dynamiques liées aux bandes et aux réseaux de trafic sont imitées par des jeunes ayant baigné dans une identification aux normes des QPV, avec l'idée qu'il vaut mieux être « avec eux » que « contre eux ». Une forme de fascination est entretenue par le milieu des affaires lié aux films, aux séries, au gangsta rap.

Le rôle des caïds du trafic de stupéfiants peut être celui de pompier ou au contraire de pyromane. À la suite des émeutes, on peut penser que des policiers ou gendarmes réfléchiront à deux fois, à l'avenir, avant de procéder à une interpellation s'ils sont encerclés, si des jeunes de 14 ou 15 ans se rassemblent autour d'eux. Il vaut mieux pour eux ne pas aller au contact de certains quartiers. Ils reçoivent des directives en ce sens.

Ces réseaux de trafics comptent des simples d'esprit, des aventuriers, mais aussi d'autres individus très intelligents et stratèges. Ils jouent avec le contrôle de la violence, la limitant, ou au contraire, la suscitant.

Par ailleurs, nous assistons parfois à une impuissance : j'ai vu certains caïds dépassés par la fougue juvénile. Je me souviens d'une discussion avec l'un d'eux, qui se demandait s'il devrait aller jusqu'au meurtre pour la contrer.

Je pense que ces bandes et ces réseaux de trafics sont aujourd'hui une référence pour une jeunesse qui écoute cette musique, qui achète son cannabis dans les quartiers, qui est sous influence. Il va nous falloir prendre des risques éducatifs et répressifs. Dans certains quartiers, vous ne pouvez pas faire d'éducation, tant les jeunes sont gangrénés par certains réseaux. Ils restent minoritaires, mais je ne vois pas comment nous pouvons faire d'éducation sans répression et sans démantèlement de ces réseaux, qui peuvent avoir des influences politiques, dans les réseaux associatifs. Ils peuvent verrouiller la prise de parole et les initiatives. Ils ont les moyens d'exclure du quartier toute personne qui nuirait à leurs intérêts.

Ainsi, je plaide pour des animateurs et éducateurs qui prennent davantage de risques. Il faut qu'ils se positionnent moins dans la proximité. Aujourd'hui, ils essaient parfois uniquement d'être en lien. Ce lien n'est pas une finalité, sans quoi il est sans intérêt. Nous attendons du changement social, individuel ou collectif. Nous devons parler des sujets qui fâchent. Les acteurs associatifs doivent être soutenus par leur hiérarchie, par les élus locaux, y compris s'ils rencontrent des problèmes ou font moins de chiffres. Nous ne pouvons soutenir ceux qui sont dans la connivence, la démagogie ou la complaisance face à ces groupes. Il en va de même s'agissant des enseignants, de la police et de la gendarmerie.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Merci à tous trois. Je laisse la parole à mes collègues.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. -Merci à vous trois pour cette présentation de vos analyses. J'aimerais particulièrement remercier Nathalie Heinich d'avoir eu l'honnêteté, dans sa conclusion, de décrire la réalité de ce qui existe aujourd'hui. Nous en sommes là en raison d'un déni collectif. J'en parle avec passion, parce que je suis une élue de banlieue. J'ai vécu la politique de la ville du début à aujourd'hui. Je préside un club de prévention. Lorsque j'étais maire, j'avais pour souci de créer de la cohésion dans ma ville comptant 30 % de logements sociaux. Parfois, nous étions très isolés dans nos prises de position, parce que nous dénoncions ce que vous dénoncez aujourd'hui.

Monsieur Sauvadet, vous avez dressé une analyse extrêmement juste de ce qu'il se passe aujourd'hui dans les quartiers. C'est le déni qui nous y a menés.

Monsieur Oberti, je ne partage pas tout à fait vos analyses. J'ai vécu les émeutes de 2005 et de 2023. Les agressions n'étaient pas les mêmes. J'ai protégé ma maison en 2023, pas en 2005. Les origines étaient similaires - personne ne peut cautionner la mort d'un jeune -, mais pas les conséquences. Pourquoi réagissons-nous aujourd'hui ? Les Français n'en peuvent plus. Les émeutes de 2005 ont fait l'objet de plus de tolérance collective qu'en 2023. Aujourd'hui, les habitants des banlieues ne supportent plus qu'on brûle les écoles, quelles qu'en soient les raisons. Ils n'acceptent plus de subir les exactions de ces minorités.

Je n'ai jamais recruté de jeunes issus du quartier, parce qu'ils sont tant enferrés, sous la pression et la domination de certains, qu'ils ne peuvent pas travailler correctement. Je pense qu'une respiration extérieure est préférable, plutôt que de s'enfermer avec des gens du quartier pour travailler avec des gens de ce même quartier.

Il est vrai que nous avons un peu négligé les réseaux, estimant que si nous ne les bousculions pas, rien ne bougerait.

J'aimerais disposer de votre analyse sur les clubs de prévention. J'identifie un réel souci de formation des éducateurs spécialisés. Je ne suis pas persuadée qu'ils soient formés à notre objectif commun.

Vous n'avez pas parlé de la place que prennent certaines figures dans les quartiers pour régler les différents sujets. Je suis choquée lorsqu'un élu local se tourne vers un imam ou un trafiquant de drogue pour régler les problèmes d'émeutes ou de violence. Le repère doit être la République, et rien d'autre.

Madame Heinich, vous avez insisté sur la place des garçons et leur comportement d'enfant roi. J'identifie à ce titre une catégorie de citoyens sur laquelle nous devons travailler : les mamans. Elles veulent donner une place à leurs filles, mais au sein de leur famille, elles laissent l'enfant roi maltraiter leur petite soeur. Nous devons leur faire prendre conscience de leur rôle essentiel, parce que les enfants rois qui terrorisent les quartiers sont leurs fils, leurs frères.

Ces émeutes auront probablement écrit l'histoire différemment par rapport à 2005 : cette situation ne peut pas continuer ainsi.

Mme Agnès Canayer. - Je m'associe aux remerciements de ma collègue vis-à-vis de vos analyses éclairantes.

Quelle est votre analyse au sujet de la monoparentalité, qu'on voit beaucoup apparaître dans nos quartiers et nos villes ?

Mme Isabelle Florennes- Merci pour vos éclairages. Monsieur Oberti, je suis intervenue lors de la dernière audition en m'appuyant sur votre note éclairante.

J'émettrai une remarque générale sur le phénomène de contagion des groupes de jeunes, et particulièrement sur la généralisation aux beaux quartiers de l'Ouest parisien. Nous avons vécu en juin dernier ce phénomène dans des quartiers qui n'avaient jamais été le terrain d'émeutes. Les biens publics ont été attaqués par le déplacement de bandes, mais aussi par une contagion interne.

Vous parlez des éducateurs. J'identifie ici un sujet d'évolution de la formation, de politique ou d'approche des jeunes dans les quartiers. Ce n'est pas simple. Des associations travaillent, mais l'évolution sur ces sujets est lente, et les élus locaux peinent à trouver les bons interlocuteurs, malgré une volonté politique qui peut être présente.

Je m'interroge également sur les crédits des QPV et sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). 700 quartiers bénéficient encore de 100 milliards d'euros de 2024 à 2030. Des rapports ont été publiés, notamment par la Cour des comptes, sur l'utilisation de ces crédits. Quel est votre sentiment face à ce phénomène qui touche des quartiers par ailleurs très aidés ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Merci pour la qualité de vos interventions.

L'impact financier des narcotrafics est très important. Le phénomène n'est pas circonscrit aux zones urbaines. Nous observons parfois des bases arrières de Grenoble ou Marseille dans des départements plus ruraux. Les populations évoluent, et diffusent avec elles des pratiques acquises dans des quartiers difficiles. Quelles seraient les solutions pour faire cesser ces trafics ? Vous avez évoqué une nécessité de répression. Identifiez-vous également un sujet de légalisation des stupéfiants ?

Par ailleurs, le point de départ de ces émeutes était un « fait policier ». Au vu de votre analyse des deux séries d'émeutes, croyez-vous nécessaire d'infléchir la formation et les pratiques policières dans ces quartiers ? Comment y faire évoluer le métier de policier ? Il est souvent l'incarnation de la République de proximité dans ces quartiers.

Mme Nathalie Heinich - La question de la monoparentalité est en effet extrêmement problématique, car elle est liée à une carence d'autorité paternelle et de rapport à la loi. Nous sommes confrontés à un problème évident, en lien avec l'enfant roi, mais aussi avec l'éducation propre à la culture musulmane du privilège d'être un garçon. Par ailleurs, les filles sont soumises à un modèle culturel qui valorise systématiquement la maternité. Des filles sans formation se donnent un statut en devenant mères, souvent très jeunes. Comment changer ce modèle culturel ? Nous devons en avoir conscience, et essayer de travailler sur ce point.

Par ailleurs, il me semble que nous devons agir en matière de contraception. Le modèle culturel de privilège donné à la maternité agit. En outre, une carence d'accès à la contraception fait que de jeunes filles se retrouvent enceintes, décident de garder le bébé et sont quittées par un garçon qui n'est pas mûr pour devenir père. Nous avons beaucoup régressé en matière d'éducation sur ce point. J'aurais aimé pouvoir dire que nous devrions développer les activités du planning familial. Malheureusement, il fait depuis quelque temps l'objet d'un entrisme par les transactivistes. Il n'est plus ce qu'il a été, et ce, au détriment du vrai travail d'accès à la contraception. Ce n'est plus le moment de lui verser des subventions.

Enfin, une fois que l'enfant est là, je serais partisane d'un développement des internats, donnant plus de chances aux jeunes de s'intégrer et se développer que dans un foyer toxique, même ces internats coûtent cher.

M. Marco Oberti - Je pense ne pas avoir été clair sur un point : les émeutes de 2023 ne sont pas les mêmes qu'en 2005, pour diverses raisons. En 2005, les petites et moyennes villes n'ont presque pas connu d'émeutes. La violence n'avait pas la même intensité. Le registre, les cibles, les modes d'organisation n'étaient pas les mêmes. C'est en comparant les deux épisodes qu'on peut en comprendre les caractéristiques.

Ensuite, les villes ayant connu des émeutes affichent des taux de familles monoparentales plus élevés, en moyenne, que les autres villes. Encore une fois, c'est la concentration de ces familles dans certains quartiers qui est encore plus significative que leur taux élevé.

Vous direz que je suis obsessionnel sur la question de la ségrégation, mais je trouve que l'on tourne autour du pot. Si nous considérons qu'il est important et fondamental de lutter contre la ségrégation socio-résidentielle, nous devons rediscuter la loi SRU. Par ailleurs, que faisons-nous en matière de ségrégation scolaire ? Vous savez mieux que moi ce qu'il s'est passé lors du passage de mon collègue Pap Ndiaye au ministère de l'Éducation nationale. De nombreux travaux montrent que l'enseignement privé en France constitue le facteur d'explication principal de l'augmentation de la ségrégation scolaire. Sa contribution n'a de cesse d'augmenter depuis 20 ans. On considère pourtant qu'aborder cette question n'implique pas de remettre l'enseignement privé dans la discussion.

Nous voyons un peu partout que la ségrégation est un contexte favorable à toute forme de trafic, d'oppressions, de dominations, d'impunité de certains modes d'organisation qui peuvent s'opposer à la société. J'insiste : ne dissocions pas la discussion sur la ségrégation socio-résidentielle et celle qui porte sur la ségrégation scolaire.

Qu'est-ce qui nous empêcherait d'intégrer dans la loi SRU une dimension inframunicipale ? Elle impose aux communes de produire une part de logements sociaux à l'échelle de la commune, sans s'intéresser à leur éventuelle concentration dans certains quartiers. Il serait opportun de la combiner avec la sectorisation des collèges pour faire en sorte d'éviter de produire et de concentrer dans certains quartiers des formes d'habitats concentrant certaines populations plus fragiles, elles-mêmes ségréguées dans des établissements scolaires.

La société française ne cesse de mettre en avant de grands principes, mis de côté lorsqu'il s'agit de les traduire en actes sur la question de la lutte contre la ségrégation socio-résidentielle et scolaire.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. -J'ai été maire d'une commune pendant 20 ans. Dans un QPV, j'ai rencontré un problème au sein d'une école accueillant 17 nationalités. J'ai un jour décidé que nous devions la fermer. Nous avons alors mis en place un système appelé « busing », qui n'existait pas : nous avons réparti dans les autres écoles différents élèves. Nous assurions les transports jusqu'aux autres écoles pour que tout se passe bien. Ce système fonctionne toujours aujourd'hui. Il s'arrêtera probablement un jour, parce que le quartier se développera et qu'on rouvrira une école. La mixité reviendra. En attendant, le dispositif a fait ses preuves. Les écoles accueillant les enfants l'ont fait parfaitement, sans aucune difficulté. Nous avons assisté à des réussites scolaires qui n'auraient peut-être pas été possibles autrement. L'éducation nationale, au départ assez hostile à l'idée, a fini par s'en convaincre. Je crois même qu'elle l'a reprise à son compte ailleurs. Ma seule réserve, pratique, concerne le temps de transport pour ces jeunes.

Le territoire de ma commune était assez réduit, bien que sa population soit dense. Plusieurs groupes scolaires y sont implantés. Ainsi, le contexte se prêtait à cette expérience. Pour autant, ce principe me paraît essentiel.

S'agissant des collèges, nous devons sortir des carcans administratifs, intégrer de la liberté, si nous voulons obtenir des résultats.

Sur la loi SRU, nous pouvons imaginer d'autres systèmes. La problématique reste celle-ci : on ne devrait pas concentrer les difficultés là où elles sont déjà présentes. Ce constat ne résout pas le problème.

M. Thomas Sauvadet, sociologue, spécialiste des bandes de jeunes, enseignant à l'Université Paris-Est Créteil. - Je suis d'accord avec vous sur la ségrégation, mais n'oublions pas les populations qui entrent sur le territoire. Nous ne raisonnons pas à flux constants. Cette problématique est politiquement très sensible.

S'agissant des éducateurs et de la formation, je rêverais d'une école nationale sur le modèle de la PJJ, regroupant les intervenants travaillant sur les QPV, en trois branches : la prévention spécialisée, l'animation et la médiation sociales, avec un tronc commun comportant de la sociologie des QPV, des bandes, des réseaux de trafic. Nous devons aussi renforcer la solidarité et l'interdépendance professionnelles. Dans le milieu associatif, il est un peu compliqué de travailler entre ceux qui viennent du quartier, ceux qui n'en viennent pas, ceux qui travaillent pour la mairie, les services municipaux ou de la jeunesse, les associations de quartier ou nationales. J'imagine un monde merveilleux dans lequel il y aurait des liens, des solidarités, des prises de risque. Nous devrions sortir de la politique du chiffre. Nous peinons parfois à évaluer l'efficacité des actions éducatives. Celui qui crée du conflit, qui tente, ne réussit pas toujours. Ses résultats sont moins visibles aux yeux des élus.

L'absence de conflit n'est en outre pas nécessairement positive, au contraire. Elle doit engager les élus locaux à s'interroger.

Une transformation des milieux politico-associatifs est nécessaire. Ils sont aujourd'hui largement liés aux mairies. Le département joue lui aussi un rôle. Dans quelle mesure l'État peut-il également prendre sa place en matière d'action éducative dans les quartiers ?

Avec le temps, nous risquons d'assister de plus en plus à un mélange des services municipaux et des associations, locales ou nationales, qui travaillent dans ces quartiers et pourraient être amenés à des formes de connivence, de complicité avec certaines familles. Ils sont écartelés entre ceux qui les financent et ceux qui les valident.

Des familles et des jeunes prétendent décider de qui travaille ou non ici, même une fois le financement accordé. Ces travailleurs ont besoin d'être soutenus pour prendre des risques. Je pense notamment à des cas de séquestration ou de torture de mineurs. Des personnes en délégation de service public travaillant sur la protection de l'enfance ont craint de retourner au travail en raison d'éventuelles fuites. Ils n'ont pas confiance en la remontée de l'information. Que faisons-nous pour convaincre des habitants, commerçants, travailleurs sociaux, de remonter des informations, pour les protéger, leur assurer un travail s'ils ne peuvent plus le faire où ils se trouvent aujourd'hui ? Dans certains milieux politico-associatifs, on retrouve des membres de la famille du caïd gérant le principal trafic de stupéfiants du quartier. Comment faire de la démocratie participative et des réunions publiques dans ce cas ? De nombreux sujets sont tabous, et nous risquons de glisser progressivement vers de plus en plus d'inertie. La liberté de parole n'existe plus. La police et la justice doivent y remédier.

Je me souviens d'une éducatrice se demandant comment un inspecteur de la brigade anti-criminalité pouvait lui demander dans l'espace public, devant 20 témoins, si elle souhaitait porter plainte. Cette situation la rendait folle de rage.

Se posent des questions sur la formation de la police et les dispositifs de protection des témoins, mais aussi sur la légalisation du cannabis, dont la consommation s'est étendue à tous les milieux sociaux et toutes les générations. Elle ouvre la porte aux trafics, qui gangrènent des villes comme Marseille ou Grenoble, mais aussi Rouen et Le Havre. La légalisation de la consommation devrait, le cas échéant, s'accompagner d'une légalisation de la production. Elle créerait de la richesse et des emplois. Surtout, elle éviterait le recours à des mafias étrangères important des marchandises en grande quantité, comme c'est le cas aux Pays-Bas.

Enfin, la mort de Nahel M., aussi dramatique qu'elle soit, pose la question de l'autorisation du contact de la police avec les contrevenants dans les quartiers.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio- J'entends que ce vous dites, Monsieur Oberti, sur les différences entre les émeutes de 2005 et 2023. J'identifie un sujet majeur dans l'étude sociologique des petites villes à l'époque et aujourd'hui. Les gens ont changé, les quartiers aussi. 40 % de l'immigration est aujourd'hui concentrée en Île-de-France. Depuis le début des années 2000, on répartit cette population. Ainsi, les petites villes connaissent aujourd'hui ce que l'Île-de-France connaissait en 2005. Qu'avons-nous fait pour intégrer une partie de cette population dans la République ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Madame, Messieurs, je vous remercie de votre venue et de vos propos éclairants.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

III. MERCREDI 6 DÉCEMBRE 2023 - AUDITION DE MM. BRUNO DOMINGO, DOCTEUR EN SCIENCE POLITIQUE ET ENSEIGNANT À L'UNIVERSITÉ TOULOUSE 1 CAPITOLE, FRANÇOIS DUBET, PROFESSEUR ÉMÉRITE DE SOCIOLOGIE À L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX, ANTOINE JARDIN, DOCTEUR EN SCIENCE POLITIQUE ET INGÉNIEUR DE RECHERCHE AU CNRS, ET DENIS MERKLEN, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE À L'UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE

M. François-Noël Buffet, président. - Avec plusieurs collègues, dont Jacqueline Eustache-Brinio, Corinne Narassiguin et Louis Vogel, nous vous accueillons dans le cadre de la mission d'information sur les émeutes qui sont survenues du 27 juin, créée au début du mois de juillet. Nous souhaitons rendre un rapport à la fin de février prochain et dans cet objectif nous souhaitons comprendre ce qui s'est passé et bénéficier de vos analyses de ces évènements.

M. Antoine Jardin, politiste. - Je suis ingénieur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), je travaille sur l'analyse de données et, depuis une quinzaine d'années, sur les quartiers marginalisés, les phénomènes politiques qui s'y déroulent et les enjeux relatifs aux formes de violence politique et à la sécurité.

Dans les analyses et le débat public sur les événements de l'été 2023, les phénomènes que nous avons qualifiés d'émeutes ou de violences urbaines ont été présentés comme inhabituels, sortant des savoirs dont nous disposions sur les mouvements de révolte, de protestation, de violence dans les quartiers marginalisés. En réalité, en 2005, les émeutes avaient déjà été présentées comme étant d'un genre nouveau, contrastant avec celles des années 1970 ou des années 1980.

J'ai été très surpris de voir que, ces dernières années, les événements de 2005 avaient été relégués au passé, comme une question réglée qui ne relevait plus du prisme des priorités politiques. Finalement, dans le courant de l'été, la préoccupation pour la situation des quartiers marginalisés est revenue sur le devant de la scène en raison des violences qui sont survenues.

Je veux dire, en premier point, que cette question de la violence et de la protestation violente donne une existence politique aux quartiers marginalisés. En l'absence de violences, ces quartiers n'ont pas véritablement de poids dans les débats politiques, dans la définition des politiques publiques ou dans la réflexion à propos des questions générales qui traversent la société en matière scolaire, de logement ou de transport. La violence fait exister ces quartiers et leurs habitants dans le champ politique. D'une façon négative, souvent perçue comme stigmatisante ou dévalorisante, ce qui est souvent mal vécu par de nombreux habitants. Mais l'existence de cette mission d'information et d'un certain nombre de commandes qui ont été adressées à mes collègues universitaires ou chercheurs montre bien qu'il y a un intérêt - quand il y a de la violence.

Je veux ensuite relever, comme second point, le caractère pluriel de ces phénomènes. Les émeutes de l'été 2023 ont été vues comme un ensemble homogène, alors qu'il y a une stratification de différents phénomènes : des phénomènes de réaction immédiate dans les Hauts-de-Seine et aux environs de Nanterre après la mort du jeune Nahel M. Puis une diffusion dans d'autres territoires, avec d'autres modalités d'action, interprétée par la suite comme participant du même mouvement ; mais avec des différences de nature, de pratiques, des différences de répertoire d'actions, de mots d'ordre, voire parfois d'absence de mots d'ordre qui questionnent l'unité du phénomène.

Il est vraisemblable que les personnes qui ont affronté les forces de l'ordre dans les quartiers marginalisés ont des grilles de lecture, des profils sociologiques, des motivations un peu différentes de celles qui se sont rendues dans les centres-villes pour voler des paires de baskets en cassant des vitrines. Le terme d'émeutes recouvre une diversité de situations et de configurations qu'il est difficile de bien documenter parce que nous n'avons pas de cartographie de ces événements dans les territoires. À seulement quelques mois des événements, il est trop tôt pour saisir toutes les différences de nature de l'émeute.

Le troisième enjeu essentiel concerne la dynamique durable de marginalisation de certains quartiers - frappante quand on fait l'historique de la politique de la ville sur une quarantaine d'années. On constate des tentatives renouvelées et revendiquées à chaque fois comme ambitieuses, suivies d'un constat d'échec ou de succès très limité. Une logique de marginalisation se prolonge dans le temps et l'espace, qui semble être une dynamique difficile à enrayer. Ce n'est pas pour autant la dynamique des grandes métropoles puisqu'il n'y a pas de dualisation entre des quartiers aisés et des quartiers pauvres, mais une majorité de quartiers plutôt intermédiaires, mélangés et, dans des configurations très spécifiques, des quartiers qui sont particulièrement et durablement marginalisés.

Des dispositifs qui ont vingt ans d'âge concernent encore la plupart de ces territoires aujourd'hui. Un des enjeux importants, c'est de déspécialiser le regard sur la banlieue. Il y a eu l'idée très forte après 2005 selon laquelle seuls certains quartiers ciblés par des dispositifs publics particuliers étaient les territoires et les lieux où résidaient les personnes qui concentraient le plus de difficultés, ce qui est le cas quand on objective avec des critères sociologiques. Mais nous constatons que, finalement, l'enjeu est national : il concerne des territoires au-delà des quartiers les plus marginalisés et ses conséquences résonnent à l'échelle du pays et pas seulement à l'échelle des banlieues. Je ne crois donc pas qu'il y ait une crise des banlieues en tant que telle : il y a des difficultés dans les banlieues qui provoquent une crise à l'échelle nationale des institutions, des politiques publiques et de la structure du tissu social.

Les responsables des forces de l'ordre ou des services de sécurité évoquent la préoccupation d'une montée de la violence en France que nous ne retrouvons pas, ou peu, dans la plupart des indicateurs, qu'il s'agisse des statistiques administratives ou des enquêtes de victimation. Néanmoins, cette violence est plus présente dans les conflits sociaux. Je pense aux mouvements écologistes, aux mouvements autour des conflits du travail ou contre la réforme des retraites, mais également aux gilets jaunes. Dans cette succession de mouvements sociaux, la violence était, à un moment ou un autre, une facette du rapport politique, en l'absence d'autres relais, d'autres médiations institutionnelles.

La question des banlieues est paroxystique de cette dynamique. En l'absence quasi complète de relais politiques structurés, il n'y a soit pas de confrontation, soit une confrontation qui passe par la violence. Le défi dès lors, qui ne relève pas nécessairement du seul travail des institutions, c'est de réussir à trouver des canaux de désaccord et d'affrontements politiques qui ne passent pas par la violence et qui permettent de faire émerger des enjeux de façon beaucoup plus structurelle que ces affrontements sporadiques. Car les émeutes causent beaucoup de dégâts et sont dommageables pour les auteurs - pour certains très jeunes -, dont la trajectoire sociale, scolaire, familiale sera fortement impactée par leur participation à ces émeutes et leur condamnation.

Pour finir, un enjeu également très important porte sur la réflexion autour du rôle des forces de l'ordre et la relation à la police. Il y a peut-être eu la tentation de mettre en cause uniquement la responsabilité individuelle des agents de police, puisqu'ils détiennent les moyens de répression et que l'usage de ceux-ci dépend de leur exercice personnel. Cependant, se posent aussi sans doute des questions de doctrine sur les modalités et la présence des forces de sécurité dans un certain nombre de quartiers. Il suffit de se remémorer le débat depuis une vingtaine d'années sur l'existence de la police de proximité, puis sa suppression, puis son retour : on constate une oscillation des dispositifs, sans ligne directrice structurelle sur le long terme.

Le développement de ces quartiers marginalisés et la réduction de l'écart avec le reste de la société française se feront sans doute par l'ancrage sur le long terme d'un certain nombre de dispositifs en évitant ces fluctuations des politiques, souvent peu productives. Enfin, rappelons que certains territoires sont très peu évoqués alors qu'ils méritent une attention particulière au regard des indicateurs sociodémographiques : les territoires ultramarins, dans lesquels il existe des formes de marginalité très intenses, mais qui passent souvent au second plan des politiques publiques. Leur situation est moins bien documentée, que ce soit dans les données de recensement ou dans les données d'enquêtes de victimation depuis les dernières années.

M. Denis Merklen, sociologue. - J'ai été invité à intervenir sur la question des équipements publics et des équipements culturels pris pour cible lors des manifestations, à propos desquels j'ai enquêté pendant très longtemps. Les attaques contre ces équipements provoquent souvent une perplexité que ce soit de la part des personnels des bibliothèques ou des élus, des instances ministérielles et de l'opinion publique en général.

Ma présentation est issue d'un travail de terrain de longue haleine, de nombreuses enquêtes qui se succèdent et donc d'une temporalité qui est nécessaire et précise. Les émeutes du mois de juin sont encore mal connues, mais un certain nombre d'éléments, comme la question de la nouveauté et de la continuité, peuvent être étudiés, à condition d'adopter une focale large et de considérer l'ensemble des acteurs qui sont engagés dans le conflit ou dans la conflictualité que l'émeute met en scène.

L'une des nouveautés évidentes ne se trouve nullement dans les quartiers, mais ailleurs : en 2005, on disait qu'il y avait un déficit de socialisation politique, que c'était des actes nihilistes, à l'extérieur de la citoyenneté, sans rationalité. Aujourd'hui, l'analyse est complètement différente : elle donne à voir ces manifestations comme des mouvements sociaux, des manifestations sociales, des formes de mobilisation politique qui témoigneraient d'un changement dans l'expérience de la citoyenneté et de notre vie démocratique.

Cette question est centrale dans mes objets de recherche. J'ai proposé pour cela une notion, qui est celle de la « politicité » populaire, qui essaye de rendre compte du fait que l'expérience de la citoyenneté n'est pas la même selon les groupes sociaux. Cela paraît une évidence, mais il faut le rappeler à chaque fois, et cette expérience a à voir avec le type de conflit auquel chaque groupe prend part. Par ailleurs, cette expérience de la citoyenneté ou de cette politicité évolue dans le temps.

Pour saisir ce qui se passe dans les quartiers populaires, il faut prêter une attention particulière à la relation qu'entretiennent les habitants avec les institutions. Dans des sociétés à caractère plus libéral ou dans des sociétés plus pauvres comme celle d'Amérique du Nord par exemple, ce qui caractérise un quartier populaire, c'est l'absence de l'État. En France, ce qui caractérise la vie des habitants des quartiers populaires, c'est l'omniprésence de l'État.

Il faut s'interroger très précisément sur la manière dont ces familles et ces personnes résolvent la plupart des problèmes qui concernent leur vie quotidienne : l'éducation, la santé, le logement, la culture, le sport, les transports. Tout cela est entre les mains d'institutions publiques. Cette expérience de la vie quotidienne, c'est-à-dire le fait que les problèmes ne trouvent de solution ni par la solidarité locale ni dans le marché, en payant des services ou en accédant à des biens avec son salaire par exemple, fait qu'il y a une conflictualité directement politique.

La vie quotidienne de ces personnes est directement politisée, parce qu'elles sont en conflit récurrent et quotidien avec un fonctionnaire, un agent représentant l'institution qui prend des décisions, un membre de la fonction publique, derrière lequel se trouvent les autorités, les élus, le personnel politique. Cette politisation immédiate de la conflictualité sociale est un élément central pour comprendre les attaques ciblant les équipements culturels.

Le deuxième élément sur lequel je voudrais attirer l'attention, c'est ce qu'on pourrait appeler l'historicité de l'émeute, qui est double.

D'une part, cela a été rappelé, c'est une histoire qui commence en 1979, ou au début des années 1980. De la relative unité des classes populaires en France autour de la classe ouvrière, se détache un segment, qui commence à agir collectivement autrement que par le passé. Ce n'est plus la manifestation, le vote et la grève qui sont les modes d'expression naturels ou primordiaux de ces groupes au travers des syndicats et des partis politiques qui assurent l'intégration et la socialisation politiques. C'est l'émeute et le monde associatif. En réponse aux émeutes, l'État crée les lois de décentralisation et la politique de la ville, qui fait exister une myriade d'associations dans tout le territoire et un militantisme très important. Quand on interroge aujourd'hui les membres de ces associations, qui ont 40 ou 50 ans et qui sont indispensables à la vie démocratique, on s'aperçoit que beaucoup d'entre eux étaient des émeutiers il y a vingt ans. Cette historicité est très importante.

D'autre part, il faut prendre en compte une autre dimension de l'historicité : la manière dont on découpe l'événement. Dans l'immense majorité des cas, l'émeute commence avec la mort d'un jeune dans un conflit avec la police et est suivie d'une inscription dans l'espace public. Ce n'est pas l'instauration d'un rapport de force qui est recherchée, mais la possibilité d'inscrire dans l'espace politique local ou national, en fonction des circonstances, un événement, c'est-à-dire de susciter la prise de parole. C'est le noyau de l'historicité, et il y a un moment en aval et un moment en amont de l'événement. En amont, c'est une conflictualité sourde, silencieuse et cachée, que l'émeute cherche justement à introduire dans l'espace public. En aval, c'est ce que nous faisons aujourd'hui : il s'agit de faire intervenir d'autres acteurs, la presse, les sciences sociales, les autorités qui prennent la parole et qualifient les faits et les protagonistes et, ainsi donnent son caractère politique à l'émeute, l'inscrivent dans la vie du système politique.

L'une des clés d'interprétation de l'émeute, c'est la coupure entre les espaces de parole à l'extérieur de l'institution, de l'espace du système politique, et ce qui peut venir à l'intérieur. Par exemple, les incendies de bibliothèque, que j'ai étudiés en 2005 : j'ai recensé 70 incendies de bibliothèques depuis les années 1980. Sur ce sujet, il n'y a jamais eu d'article de presse, de prise de parole ou de débat politique ! On aurait pu penser que, dans un pays comme la France, la mise à feu d'une bibliothèque aurait suscité une grande émotion. Cela n'a pas été le cas.

Aujourd'hui, il y a des articles dans la presse, et la télévision s'y intéresse. Je suis ici pour en parler. Un changement s'est opéré. Les bibliothèques font partie de cet appareil institutionnel qui fait les quartiers, qui les produit, du logement jusqu'à la bibliothèque, en passant par les terrains de sport, les écoles, etc. Le bibliothécaire fait partie d'une chaîne d'agents qui se trouvent face aux habitants, aux côtés de l'instituteur, de l'agent de la régie d'habitation à loyer modéré (HLM), de la protection maternelle et infantile (PMI) et du policier. Et il y a de ce fait un face-à-face entre des agents et des habitants, favorisé par l'État et par la situation sociale au coeur d'une conflictualité qui trouve souvent ses causes ailleurs.

Il n'est donc absolument pas étonnant que le conflit prenne les institutions comme la cible de sa manifestation, même lorsqu'un conflit avec la police en est à l'origine et qu'une bibliothèque va être brûlée. Quand nous regardons les choses de ce point de vue, la bibliothèque change de signification, ce n'est plus une bibliothèque populaire qui trouve son origine dans une organisation locale pour créer un espace de réflexion ou un lieu d'émancipation, mais elle est vue comme une implantation du service public qui a pour fonction d'aider les habitants individuellement, mais qui peine à parler au groupe. D'où la question récurrente : est-ce leur bibliothèque ou notre bibliothèque ? C'est ce que se demandent les habitants, et la pierre jetée interroge l'institution pour lui demander : « Alors tu es notre institution ou la leur ? »

C'est le sacré de l'autre que l'on essaye de bousculer parce que l'écrit, c'est le terrain de l'école, du marché du travail qui nous est escamoté, de la parole politique, de la vie institutionnelle. C'est tout cela qui est mis en question au travers de la pierre et du feu, en essayant de rendre visible cette problématique qui a du mal à être exprimée. Les habitants, les émeutiers, ont énormément de mal à transformer cette action symbolique en paroles permettant de la rendre intelligible. C'est donc à nous de le faire.

M. Bruno Domingo, politiste. - Je vous parle depuis Toulouse, une ville qui a subi depuis une vingtaine d'années ce que l'on qualifie d'émeutes ou de violences urbaines, notamment en 1998, à la suite de la mort d'un jeune surnommé Pipo, tué lors d'une altercation avec la police. Ces émeutes ont d'ailleurs favorisé la mise en place d'un dispositif émergent à l'époque, celui des contrats locaux de sécurité, avec l'idée qu'il fallait traiter ces enjeux de quartier de manière partenariale, pas seulement policière.

Ce phénomène dit émeutier ou de violence urbaine alterne entre de fortes continuités et des formes nouvelles. Les émeutes s'inscrivent en effet dans une histoire qui a au moins une quarantaine d'années, si l'on prend le début de la réflexion sur la question des quartiers avec l'émergence de la politique de la ville au début des années 1980. Nous sommes face à des événements qui se reproduisent avec une certaine régularité, souvent liés à une altercation entre la police et des jeunes, avec parfois la mort d'un jeune, laquelle met le feu aux poudres et crée une déstabilisation plus collective du quartier qui se diffuse ensuite sur le territoire national.

Malgré quarante ans de politique de la ville, un certain nombre de quartiers restent des quartiers dits sensibles, paupérisés, avec des jeunes qui font l'expérience plus ou moins conscientisée, plus ou moins politique, d'inégalités et de marginalisation sociales. Cependant, il ne faut pas oublier la dimension subjective que peuvent avoir certains jeunes de leur position sociale, des inégalités qu'ils subissent, des enjeux de reconnaissance. Ces jeunes se sentent marginalisés, victimes d'inégalités, souvent à raison, mais aussi parfois avec des formes de distorsion qui les font se sentir exclus d'un système. Cela questionne directement le lien de citoyenneté, ce lien civique que l'on invoque souvent, mais qu'il est difficile d'inscrire dans une forme de matérialité et des subjectivités plus quotidiennes.

Parmi les éléments de continuité, on trouve l'attaque contre les équipements, les incendies de véhicules, les affrontements avec les forces de l'ordre, la destruction des écoles, des bibliothèques, des équipements publics qui représentent l'État. Ou la diffusion sur le territoire national qui fait de l'émeute à la fois un phénomène local, mais aussi un phénomène national partagé.

En revanche, ce qui est nouveau en 2023, c'est d'abord la rapidité de la contagion de ces émeutes et la rapidité de leur fin, puisqu'elles ont duré finalement assez peu de temps. L'embrasement est rapide, avec une forte mobilisation de dispositifs de maintien de l'ordre et une réponse judiciaire très rapide également, face à un mouvement moins organisé qu'on ne le dit : il s'agit davantage d'une coalition de petits groupes de jeunes, rassemblés parfois par opportunisme, avec une charge politique plus faible qu'auparavant.

La question du mouvement social est toujours là en filigrane, mais la population est beaucoup plus diversifiée, avec des agendas plus hétérogènes. La violence, à la fois celle des émeutiers mais aussi celle de la réponse policière, est perçue comme plus forte. Elle est aussi mise en scène dans les médias, avec quelques événements qui peuvent questionner, l'attaque par exemple de la prison de Fresnes par des groupes, ou l'attaque directe contre certains élus.

Une des nouveautés aussi, c'est le pillage. Nous avons observé dans cette dernière séquence d'émeutes qu'elles constituent aussi un espace d'action pour piller des supermarchés, des centres-villes, des magasins, afin de bénéficier de ce qu'offre la société capitaliste, dans une logique tout à fait instrumentale.

Un autre élément nouveau est la médiatisation via les réseaux sociaux, qui permet aux jeunes de produire leurs propres images de l'émeute.

Il reste à analyser la manière dont ces différents éléments s'alimentent : la diffusion de l'émeute, le partage d'expériences chez ces jeunes, l'émulation qui peut en résulter, la spectacularisation de l'émeute, voire la jouissance de ce partage d'une expérience collective au niveau local, puis au niveau national.

Les émeutes de 2023 sont peut-être plus composites qu'on le dit. Elles ont une dimension politique pour certains jeunes, elles questionnent le rapport aux institutions et à la police. Pour certains acteurs peut-être plus organisés, comme les trafiquants de drogue, c'est une manière de mettre en difficulté les autorités publiques auxquelles ils sont confrontés au fil des jours.

S'agissant des solutions, il ne faut pas oublier de réfléchir au lien entre la jeunesse des quartiers populaires et la police. On a peu de pistes pour réinstaurer une doctrine du rôle préventif de la police dans ces quartiers. Cette doctrine est souvent renvoyée aux acteurs sociaux, avec une répartition des rôles qui n'est pas nécessairement bonne, car elle renvoie à une forme de conflictualisation entre ces jeunes et la police. Le rôle des polices municipales, qui se sont fortement structurées au cours des dernières années, est sous-estimé. Les policiers municipaux sont dans une forme de mimétisme des modes d'action de la police nationale. Cela pose la question de la formation des policiers nationaux, de la gendarmerie nationale et des polices municipales et des médiations que l'on peut organiser entre les jeunes et la police, comme les correspondants police-population ou les centres de loisirs gérés par la police nationale.

Ensuite, il faut mieux comprendre les nouvelles subjectivités juvéniles, leur transformation et leur politisation ordinaire. Nous nous sommes beaucoup intéressés aux publics adolescents et aux plus jeunes alors que, dans ces émeutes, il y avait beaucoup de personnes âgées de 18 à 25 ans, donc de jeunes adultes. Cette catégorie des jeunes adultes est souvent abordée par le biais de l'intégration socioéconomique, mais il faut peut-être reprendre le débat à partir de leurs besoins politiques et des canaux d'expression politique qui existent ou qui peuvent être mis à leur disposition. Ces jeunes sont parfois les enfants des émeutiers d'hier : il y aurait ainsi des transmissions intergénérationnelles dans les familles qu'on peine à comprendre aujourd'hui.

Pour finir, il me paraît nécessaire de travailler sur les mécanismes de prévention du phénomène. La politique de la ville est relancée, avec une politique nationale de prévention de la délinquance annoncée pour 2024. Comment intégrer la prévention des émeutes dans ces politiques publiques ? Quand nous reprenons les différents textes qui visent à définir les objectifs de prévention de la délinquance depuis une vingtaine d'années, nous observons que la question émeutière n'est jamais prise en compte par les politiques de prévention de la délinquance, et la politique de la ville apparaît plutôt comme une sorte de correctif social qui permettrait de prévenir de nouveaux mouvements. Pour que ces politiques soient efficaces, il faut en évaluer les dispositifs - pas seulement au niveau national, mais également au niveau local -et les « dé-bureaucratiser ». Il reste à faire un examen de la manière dont l'État, principalement, en lien avec les collectivités locales, définit ces politiques et les anime.

M. François Dubet, sociologue. - J'ai étudié les émeutes du début des années 1980, qui sont à la fois des révoltes quant à leur signification et des émeutes par leur mode d'action. Car, après tout, une révolte contre des injustices vécues pourrait donner lieu à des manifestations, des grèves, à autre chose qu'à des émeutes. Mais le vocabulaire lui-même nous met dans une sorte d'incertitude.

Tout d'abord, je veux souligner la répétition des mêmes éléments : le sentiment de discrimination, d'injustice, de chômage, de mise à l'écart, des choses extrêmement connues ; le déclenchement quasi automatique par une confrontation avec la police ; la disparition des acteurs locaux, un phénomène très spectaculaire qui date des années 1980 - le maire, les travailleurs sociaux, les enseignants, disparaissent : il n'y a plus rien, et un vide politique s'installe.

Nous constatons également la répétition de la répression, puis du retour au calme, avec des réactions politiques assez convenues. Les uns disent : « C'est d'abord une révolte, donc c'est un problème de justice sociale. » Les autres : « C'est d'abord un problème de maintien de l'ordre, donc un problème de police. » Je suis d'accord avec ce qui a été dit, c'est-à-dire que nous avons été plus habiles pour faire des politiques de la ville que pour réformer l'action policière depuis une quarantaine d'années.

Chaque fois qu'il y a des émeutes, nous expliquons que ce n'est pas comme la dernière fois, mais les situations sont en réalité assez proches. Ce qui a changé a déjà été souligné : par la grâce des réseaux sociaux, le phénomène de traînée de poudre a été spectaculaire lors de la dernière émeute. Des émeutes ont eu lieu dans de toutes petites villes dans lesquelles nous n'imaginions pas cela possible, avec des jeunes entrés en quelque sorte dans des jeux de concurrence avec d'autres, parce que les actions étaient accessibles en ligne.

La seule émeute qui a débouché sur un mouvement social a été la marche pour l'égalité et contre le racisme il y a quarante ans, parce qu'il y avait des acteurs locaux, des travailleurs sociaux, un curé, une oreille politique. Nous étions dans une logique démocratique, et la révolte s'est transformée en mouvement social avec des revendications.

Cet embrayage qui fait passer le sentiment d'injustice et de révolte à l'action organisée, politique, revendicative, placée au coeur des mécanismes démocratiques - car la démocratie consiste à transformer des révoltes en revendications, et donc à pacifier la vie sociale -, patine de toute évidence depuis des années.

Je crois même que la situation empire parce que ces émeutes sont de plus en plus le prétexte à des interprétations exogènes : c'est l'immigration, c'est l'envahissement, c'est le capitalisme, c'est le néocapitalisme. Mais, au fond, nous n'entendons jamais les habitants de ces quartiers : ils sont des problèmes sociaux et non des acteurs sociaux.

Que s'est-il passé ? La France est dans une situation paradoxale depuis une trentaine d'années. Les politiques de la ville n'ont pas été inefficaces. À Bordeaux, j'ai vu des quartiers se transformer, devenir plus vivables, avec des équipements, des bus, des tramways. Les journalistes étrangers qui m'ont interrogé étaient très surpris par la « qualité » du bâti d'un certain nombre de banlieues : ils ne comprennent pas pourquoi des révoltes surviennent dans des endroits qui ne sont pas du tout des taudis urbains. En fait, dans ces quartiers, ceux qui s'en sortent s'en vont, les fuient. La mobilité sociale joue contre le quartier. Dans les banlieues populaires, les grands ensembles, les banlieues rouges qui ont existé jusqu'au début des années 1980, nous trouvions des classes moyennes. Les enseignants, les travailleurs sociaux, les jeunes ménages en mobilité, y vivaient. Il y avait évidemment de la distance sociale entre les habitants, mais c'est ce que nous appelons la mixité.

Aujourd'hui, le mécanisme de peuplement des quartiers fait que tous ceux qui s'en sortent s'en vont, remplacés par des gens de plus en plus pauvres, qui viennent de plus en plus loin. Il existe en quelque sorte un paradoxe entre une action individuelle de mobilité, qui est loin d'être insignifiante, et une incapacité d'agir sur un peuplement qui s'appauvrit et qui est immigré, étranger. Ce mécanisme accentue considérablement le sentiment de marginalisation, d'exclusion, puisque de la mobilité des uns découle l'enfermement des autres. Nous avons beaucoup de mal à utiliser un mot en France, celui de ghetto. Il est évident que les quartiers français ne sont pas comparables aux grands ghettos du sud de Chicago. Mais si les quartiers ne sont pas des ghettos, il y a néanmoins des mécanismes de ghetto dans les quartiers, c'est-à-dire que ces quartiers ont été enfermés ou exclus par les mécanismes de paupérisation du peuplement.

Il suffit de regarder l'évolution des indices de position sociale des collèges pour voir que l'écart se creuse avec le reste de la ville. De nombreux travaux montrent que le ghetto devient une forme de vie collective. On est entre soi, on finit par contrôler l'espace, par contrôler les filles, par se surveiller, par être enfermé par le jeu des réputations. Le quartier est à la fois ce qui vous exclut et, en même temps, ce qui peut, en tout cas chez les jeunes, vous donner une identité par des mécanismes de renversement, de fierté.

Quand le ghetto est fortement constitué, nous pouvons observer que le développement des trafics procède du ghetto lui-même et l'organise. Des élus marseillais me faisaient remarquer que, dans les quartiers les plus ségrégués de la ville, il n'y avait pas d'émeutes. Car la logique du trafic freine les velléités d'émeutes. D'une certaine manière, on assiste à un renfermement.

J'ai beaucoup étudié le système scolaire, dans lequel les mécanismes sont similaires : pour une victime d'échec scolaire, cet échec devient à un moment son identité contre l'école. Aux États-Unis, des comparaisons ont été faites entre, d'un côté, les migrants volontaires, c'est-à-dire les gens qui venaient aux États-Unis pour y vivre et dont les enfants réussissaient assez bien à l'école et, de l'autre, les minorités involontaires, c'est-à-dire les Afro-américains installés là depuis longtemps, stigmatisés, enfermés, avec des résultats scolaires plus faibles parce qu'ils ne croyaient pas à l'école et que l'école ne croyait pas qu'ils pourraient réussir.

Il faut tenir compte de cette dynamique lorsque le quartier finit par s'enfermer sur lui-même - pas tous les habitants du quartier bien évidemment mais, dans une large mesure, les jeunes. Cela se constate à l'école. Il y a aujourd'hui, y compris dans ces quartiers, des mécanismes de fuite de l'école du quartier, du collège du quartier, par ceux qui le peuvent. Ces jeunes se sentent déjà enfermés dans le quartier, ils ne veulent pas en plus être enfermés dans le collège du quartier.

Enfin, il faut bien comprendre la force de ces mécanismes parce qu'il ne sera pas facile de les contrer. Nos politiques urbaines n'ont pas pesé sur le peuplement des quartiers, et la mobilité sociale que nous désirons tous joue plutôt contre eux. Ainsi, vous n'y trouvez plus d'enseignants, de travailleurs sociaux ou de militants qui y vivent : tous ces acteurs qui étaient les vecteurs d'une transformation de la révolte en revendication, qui avaient une capacité politique, ont disparu.

Dans de nombreux endroits, les habitants disent : « C'est le collège des Français. » Parce que les enseignants sont français de leur point de vue, ne vivent pas dans le quartier et, en dépit de leur enthousiasme et de leur bonne volonté, ils sont perçus par les jeunes comme des acteurs extérieurs. Cela a été dit sur les incendies de bibliothèque : « Ce n'est plus notre bibliothèque, c'est celle qu'on nous a imposée. »

Je me suis demandé pourquoi il y avait des émeutes en France, alors que beaucoup de nos voisins n'en avaient pas. Quand on regarde les indicateurs généraux d'inégalités sociales et d'inégalités urbaines, un grand nombre de pays qui nous entourent ont des inégalités sociales plus fortes que les nôtres et des inégalités urbaines qui ne sont pas tellement plus faibles ; or il n'y a pas vraiment d'émeutes. En juillet dernier, de nombreux journalistes américains, anglais, allemands se demandaient pourquoi il y a en France des phénomènes de révolte et d'émeutes qui n'existent pas chez eux, même si leurs pays sont évidemment confrontés à des phénomènes de violences juvéniles et de bagarres, à la délinquance at aux trafics.

Je me suis intéressé à une comparaison entre la France et l'Allemagne. Alors qu'il existe une grande communauté turque en Allemagne qui est marginalisée, exclue, victime de racisme, pourquoi n'y a-t-il pas d'émeutes comme nous en avons chez nous ? La réponse à cette question est troublante.

En France, les gens qui vivent dans ces quartiers, qui sont souvent des immigrés - pour être plus précis, immigrés depuis plusieurs générations, mais toujours vus comme des immigrés -, sont en réalité assez fortement assimilés à l'identité, à la culture française. Au fond, l'héritage colonial, c'est qu'ils doivent devenir des Français comme les autres, ce qui est très bien. L'héritage colonial moins positif, c'est qu'ils héritent aussi de vieilles traditions racistes. Mais, en tout cas, ils sont beaucoup plus assimilés par l'école, par les politiques publiques. Ils seront des Français comme les autres à un moment donné. En même temps, ces groupes sont beaucoup plus exclus économiquement que les autres.

Si l'on regarde le cas de l'Allemagne, il va de soi que les Turcs y sont beaucoup plus intégrés économiquement que ne le sont les immigrés français, par un système de formation scolaire qui est très centré sur les entreprises. Dans le même temps, la communauté turque est très largement auto-organisée et tournée vers la Turquie. Personne n'imagine qu'ils deviendront des Allemands comme les autres. D'ailleurs, ils n'ont pas le droit de vote et ils ne pourront pas devenir allemands - et eux-mêmes ne le souhaitent pas, pour la plupart d'entre eux.

Nous avons donc, d'un côté, une société qui assimile culturellement et qui exclut socialement, la société française. De l'autre, une société dont les traditions nationales font qu'il n'est pas envisagé d'assimiler les communautés turques, alors que tout sera fait pour assimiler des Allemands qui viennent du Caucase : ils sont ethniquement vus comme les Allemands, mais économiquement ils occupent une place qui était celle des travailleurs immigrés dans la France de la société industrielle - ils étaient mal traités, mais avaient une place dans les grandes usines.

Je crois que nous sommes dans ce paradoxe aujourd'hui et que la crise des banlieues est une crise sociale, mais surtout une crise démocratique. L'histoire des démocraties est marquée par la capacité de transformer des émeutes en revendications, la capacité de transformer des classes dangereuses en classes laborieuses, la capacité de faire entrer dans un système les personnes qui n'y sont pas. Or, je crois que cette capacité est aujourd'hui extrêmement faible, parce que les quartiers se sont tellement fermés sur eux-mêmes que ni les acteurs de l'État, ni les enseignants, ni les travailleurs sociaux, ni les militants n'y vivent. Ils y travaillent et sont perçus comme venant de l'extérieur tandis que, dans un mouvement opposé, les habitants de ces quartiers qui réussissent partent.

D'une certaine manière, il n'y a plus de vecteur. Des enseignants me disent qu'ils ne veulent pas vivre là pour un tas de raisons, mais en particulier parce qu'ils n'ont pas envie de rencontrer les parents d'élèves sur le marché. Alors que, traditionnellement, c'était l'inverse, ils s'en réjouissaient !

L'école ne tient pas ses promesses, et elle est l'objet d'un ressentiment considérable. Les élèves se voient dirent sans cesse que l'école est la seule manière de s'en sortir et qu'ils ils ne s'en sortiront pas puisqu'ils n'ont pas de bons résultats scolaires. Nous voyons se développer non pas simplement l'échec scolaire, ce qui est un problème aujourd'hui avec les données du rapport Pisa, mais aussi le refus scolaire, le rejet de l'école, puisque, d'une certaine manière, on sauve sa dignité en échouant à l'école.

Les habitants des quartiers qui se sont mobilisés pendant les émeutes le disent très nettement : « Nous sommes l'objet de politiques publiques, mais nous ne sommes jamais les acteurs des politiques publiques. » Les équipements sont construits, des dispositifs mis en place, sans que leur avis ne soit sollicité. D'une certaine manière, nous fabriquons des communautés exclues, mais nous ne pouvons pas entendre la parole de ces communautés au motif que cette parole revêt une dimension communautaire.

Si nous agrégeons dans un même quartier une population pauvre qui croit à la même religion et qui s'identifie à celle-ci pour sauver sa dignité, et qu'il lui est dit qu'elle ne peut pas parler au nom de cette religion parce que celle-ci brise l'universalisme républicain, cela entraîne du radicalisme. Les Allemands n'ont pas ce problème puisque les Turcs s'intéressent à la Turquie et ont des problèmes religieux liés davantage à la Turquie qu'à l'Allemagne.

L'enjeu essentiel aujourd'hui, c'est d'instaurer à nouveau un minimum de mixité sociale dans ces quartiers, de trouver des voies de mobilité sociale qui permette aux personnes qui réussissent de rester dans le quartier. C'est notre capacité politique qui est interrogée au travers de ces émeutes. Je crois évidemment, mais c'est un autre débat, qu'il faudra bien un jour redéfinir les formes d'intervention de la police dont les policiers et les jeunes sont, les uns et les autres, des victimes. La singularité française de la gestion de l'ordre public devrait nous interroger. C'est en tout cas ce que montrent les comparaisons internationales.

Mme Corinne Narassiguin- Je vous remercie pour vos réflexions et vos analyses qui sont largement convergentes. Je constate une petite contradiction entre ce que vous dites et ce que nous avons entendu lors des auditions précédentes : hormis à Nanterre, et par extension en Île-de-France, où l'élément déclencheur était la mort de Nahel M., les émeutes qui se sont propagées rapidement n'auraient, selon les personnes que nous avons auditionnées précédemment, pas de sens ou de revendication politiques. Pourtant, vos analyses montrent que, même s'il n'y a pas de revendications politiques verbalisées, d'organisation politique, ces émeutes ont des causes très politiques et ne peuvent être résumées à une forme de nihilisme ou à une simple volonté de piller des magasins pour revendre des produits dans une logique consumériste.

Les policiers et les gendarmes que nous avons entendus en audition ont décrit un niveau de violence beaucoup plus élevé qu'auparavant. Ce niveau de violence a peut-être focalisé notre attention. Mais parce qu'il y a eu de la violence au moment des gilets jaunes, lors des manifestations dans les outre-mer et lors des manifestations contre la réforme des retraites, nous pouvons aussi en déduire que cette violence n'est pas spécifique à ces quartiers populaires, elle est peut-être à lire dans un contexte plus général. Quelles seraient vos analyses sur ce point ?

M. Louis Vogel. - Antoine Jardin, vous avez dit qu'il faudrait déspécialiser et, François Dubet, vous avez parlé du ghetto qui se met en place en raison de la diminution de la mixité. Je me demande si nos politiques publiques ne sont finalement pas allées à l'encontre de l'objectif, puisque la politique de la ville conduit à spécialiser de plus en plus les quartiers. Le fait que les maires n'aient pas la main sur le peuplement rend plus difficile d'agir en faveur de la mixité sociale. Je vois en effet dans ma circonscription des quartiers qui se sont ghettoïsés.

J'ai bien compris que les institutions, les médiathèques, sont considérées comme ne venant pas des quartiers mais qu'elles y étaient en quelque sorte « jetées » et qu'elles n'étaient pas celles des habitants. Énormément d'argent a été consacré à leur réfection. Lorsque j'étais maire, j'ai fait reconstruire des quartiers entiers dans ma ville, or cela n'a pas amélioré la situation. Vous avez beaucoup parlé des médiathèques, mais les cantines scolaires des propres écoles des émeutiers ont aussi été brûlées. Vos constats conduisent à un certain nombre de conclusions institutionnelles. Que faudrait-il changer dans nos politiques publiques pour arriver à un résultat plus acceptable, plus efficace, et éviter le gaspillage d'argent public ?

M. Denis Merklen. - Nous observons en effet des contradictions. Ce qui est clair, c'est que rien n'est univoque. Pour répondre à votre question, Madame Narassiguin, nous pouvons faire une analogie : que se passerait-il si les mères se mobilisaient au lieu des jeunes ? Par exemple à Toulouse, j'ai beaucoup enquêté sur une association dans le quartier des Izards, où les mères se sont mobilisées pour défendre les adolescents à la suite des violences liées au narcotrafic. C'est une protestation d'une autre nature, avec d'autres acteurs, qui ne viennent pas sur le devant de la scène pour transformer la révolte en revendication, comme l'a dit François Dubet.

Mais, de l'autre côté, qu'avons-nous eu le 27 juin ? L'image d'un policier qui tue un jeune comme eux, avec son arme de service ; nous pouvons dire que la démocratie est malade, mais la maladie serait beaucoup plus grave si devant ces images rien ne s'était passé. La survenue d'une révolte généralisée montre une certaine santé de la citoyenneté. Ce serait beaucoup plus grave si nous étions dans des situations comme au Brésil ou au Mexique, où la violence par armes à feu est quotidienne, dans une indifférence généralisée, comme intégrée à la vie démocratique. Dans ces pays, la démocratie fonctionne avec des morts dans la rue ou dans les espaces des quartiers populaires.

En France, ce n'est pas possible. Il y a un mort et la France s'enflamme, et je dirais tant mieux, même si j'aimerais qu'il n'y ait pas d'écoles ou de commissariats pris pour cible. Que se passe-t-il avec les institutions ? Ce que François Dubet dit à propos du peuplement est exact, mais il y a une présence institutionnelle, qui est, à la fois, le salut et le problème, comme on le voit au travers de l'école : ceux qui s'en sortent à l'école s'en vont. C'est la bonne intervention de la République, de la démocratie sociale. Mais, en même temps, c'est la porte qui se ferme au nez de nombreuses personnes pour qui l'avenir sera compromis parce qu'ils ne maîtrisent pas la grammaire et l'orthographe. À ceux-là, il est dit : « Tu ne sais pas bien écrire, tu n'auras pas un travail digne d'un avenir prometteur. » L'institution cristallise cette situation. Si un logement social de qualité est octroyé, tout va bien, et la République soutient ceux qui sont dans le besoin. Mais si les ascenseurs sont en panne, la même institution qui est la solution aux problèmes de cette population devient la source des problèmes. Nous identifions le même mécanisme avec les urgences de l'hôpital, les contacts avec la police.

Les institutions de l'État social dysfonctionnent, dans leur fonctionnement interne, mais aussi parce qu'elles n'ont pas la capacité de répondre aux problèmes sociaux. L'école ne peut pas moduler le marché du travail, comme il ne peut pas être demandé aux institutions de résoudre tous les problèmes. Ces situations paradoxales ne trouveront pas de solution facile et évidente sur le plan local. Quand les bibliothécaires me demandent quoi faire de plus, la réponse est : rien. Ils ne peuvent pas mieux faire. Malheureusement, ils seront confrontés à une situation conflictuelle. La barque sera secouée par les vents qui traversent ces espaces sociaux, quoi qu'ils fassent. Ce n'est pas du pessimisme, c'est un constat d'observateur. C'est malheureux de dire cela à un élu ou au directeur d'une bibliothèque, mais je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit d'autre à faire que de continuer à faire ce qui est fait.

M. Antoine Jardin. - Pour répondre à la question des origines des émeutes et de leur nihilisme supposé, je veux dire que sans les images l'impact n'aurait pas été le même. La réaction politique au plus haut niveau de l'État a souligné l'enjeu et l'importance de ce qui s'était passé à Nanterre et les déclarations du mis en cause par la voix de son avocat ont confirmé le caractère intentionnel du tir. Nous n'étions pas dans la circonstance d'un accident, ce qui a alimenté une conflictualité qui n'aurait pas existé sinon. Si les images n'avaient pas été disponibles, il n'y aurait pas eu de protestations de cette ampleur.

Les trajectoires des quartiers diffèrent fortement. Certains territoires marginalisés se trouvent aux portes des grandes métropoles et connaissent des dynamiques d'embourgeoisement et de gentrification, parce qu'ils bénéficient d'un système socioéconomique qui permet le développement, l'arrivée des transports en commun, l'installation d'entreprises, comme en Seine-Saint-Denis. D'autres quartiers marginalisés sont dans des métropoles plus petites, dans des régions plus éloignées des grands pôles urbains : la marginalité est durable en l'absence de perspectives de développement structurel de ces territoires.

Par conséquent, il me semble qu'un des enjeux est d'agir sur le développement économique et social de ces territoires qui n'ont pas d'autres ressources que l'action publique.

Un point aveugle est la démographie de ces quartiers, qui deviennent de plus en plus vieillissants et où les enjeux de la transformation de la structure des familles et des générations sont très importants car ils vont sans doute modifier leur rapport aux institutions et à la vie politique dans un futur proche.

Enfin, il y a des entrepreneurs moraux et identitaires qui cherchent à formuler un discours politique dans ces quartiers. Cela passe parfois par des structures liées aux courants islamistes ou rigoristes qui tirent les bénéfices de cette conflictualité avec les institutions et qui disent avoir la capacité de générer des institutions locales. L'analyse que j'ai produite avec mon collègue Hugo Micheron sur les contenus en ligne des organisations salafistes en France montre que celles-ci parlent beaucoup des émeutes, qu'elles les condamnent systématiquement et qu'elles s'intéressent aux conditions de vie dans les quartiers. Il y a là des dynamiques d'implantation idéologique et politique qui s'inscrivent dans des espaces interstitiels et des vides.

En effet, ces populations ne sont plus immigrées, et ne sont plus forcément ouvrières. Le quartier ne produit pas ses propres ressources d'identification. Le rapport à l'ethnicité n'est pas reconnu comme légitime en France pour se construire une identité politique et la religion est finalement le seul support disponible pour construire une identité politique : c'est ce qui se produit dans certains territoires, pour une certaine partie de la population.

M. Bruno Domingo. - Les injonctions contradictoires de l'action publique et une parole politique qui pèse sont au coeur d'un certain nombre de nos difficultés. On est dans un écosystème médiatique qui est lui-même conflictuel. Mais nous avons aussi observé pendant ces émeutes des habitants qui se sont mobilisés pour sauver leurs écoles. Il faut reconstruire du politique par le bas, retisser du lien social, et ne pas penser seulement sur un plan purement urbanistique. Il faut réinventer des formes de lien social, parce qu'elles se sont peut-être déstructurées au fil des ans. Cela implique d'ailleurs très directement les collectivités locales, leur capacité à avoir avec l'État une logique qui aille dans le même sens, sans contradiction.

Il faut aussi intégrer un volet plus sociétal sur la parole publique, sur la manière dont nous parlons de ces quartiers, dont nous identifions les populations. Elles sont aussi réceptives à cette forme de décrochage qui produit des mobilisations alternatives, au-delà de l'émeute, qui permettent de construire du politique, sans doute plus ordinaire, mais beaucoup plus concret, et qui permet de vivre au jour le jour. Le religieux est un de ces leviers, mais la marginalisation est parfois une des conséquences. Cependant, lorsqu'il n'y a plus de dialogue et qu'il n'y a pas d'émeute, c'est aussi problématique : il y a sûrement des personnes enfermées dans des processus de très grande pauvreté, avec une incapacité à se mobiliser même par le biais de la violence.

Nous avons un problème de modèle : les populations, surtout les jeunes, voient bien que la promesse républicaine, celle de l'école notamment, n'est pas tenue. L'État fait beaucoup de choses en France, mais les actions menées dans ces quartiers sont mal perçues et il y a une forme de désajustement très fort entre ce que font les autorités publiques et la manière dont ces quartiers le perçoivent. Il faut par conséquent recréer des formes de démocratie plus ordinaires dans le cadre de cette politique de la ville. Peut-être avec moins d'argent, mais en reconstruisant le lien social qui aujourd'hui est à la peine et qui est au coeur de tous les processus qui ont pu être exposés précédemment.

M. François Dubet. - Il faut admettre que ce sont à la fois des révoltes et des émeutes. On le sait, dans les émeutes, il y a des rationalités qui sont strictement délinquantes, le bonheur de détruire - cela ne date pas d'hier. Toute l'histoire des émeutes montre qu'il y a en leur coeur une injustice, une révolte.

Cela va peut-être au-delà des banlieues : le mouvement des gilets jaunes a eu de grandes difficultés à produire une revendication. Il s'agit donc d'un mécanisme assez général, ce qui pourrait créer d'ailleurs chez beaucoup d'entre nous, la nostalgie des syndicats, des mouvements d'éducation populaire, de tous ces mécanismes d'apaisement des colères que nous avons peut-être trop maltraités.

Je précise au passage que le remplacement des mouvements d'éducation populaire par des prestataires de services n'est pas une bonne chose. Ce n'est pas un problème exclusivement français, mais nous sommes particulièrement forts dans ce domaine parce que nous sommes centralisateurs.

Ensuite, et nous sommes tous embarrassés sur ce point, si l'on veut que les habitants de ces quartiers deviennent des acteurs, il faudra bien admettre un jour qu'ils deviennent des acteurs en étant ce qu'ils sont. C'est tout notre problème avec l'islam. C'est à la fois une position dangereuse mais c'est la seule chose qui fabrique du lien et de la dignité. Personnellement, je suis très embarrassé. Nous ne pouvions pas dire au XIXe siècle aux Bretons qui étaient catholiques : « Organisez-vous, mais sans le catholicisme ». Ce n'est pas réglé et le discours médiatique de stigmatisation est tout à fait terrifiant - et je n'ai aucune naïveté par rapport à certaines formes d'islamisme.

Par ailleurs, je crois qu'il est possible d'agir sur le peuplement. On a peut-être renoncé trop rapidement à créer un peu de mixité dans les quartiers.

Enfin, dernier point, nous pourrions agir beaucoup mieux au sujet de la mixité scolaire. Il y a eu un exemple célèbre à Toulouse où on a « cassé » un collège ultraghettoïsé. Il a fallu du temps pour convaincre les collèges avec des élèves des classes moyennes d'à côté qu'avoir quelques élèves issus de l'immigration dans leurs classes ne serait pas une catastrophe. Mais cela a marché. Si nous faisions davantage confiance aux acteurs locaux, nous nous en sortirions peut-être un peu mieux. Après tout, les pays plus décentralisés que le nôtre ne s'en tirent pas plus mal sur toutes ces questions.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci pour vos interventions passionnantes. Il n'y a pas de solution facile, mais la question du peuplement est fondamentale et elle répond parfaitement à ce que vous disiez précédemment. La ghettoïsation tient beaucoup aux mécanismes qui ont été mis en place, aux règles que nous nous sommes imposées pour de multiples raisons, positives ou pas, mais qui ont fait que les élus locaux se sont retrouvés bloqués dans des situations qu'ils auraient sans doute gérées différemment, sans excès, de manière plus équilibrée.

J'ai été maire pendant vingt ans d'une commune du Rhône, un petit territoire mais dense, de 27 000 habitants, avec des quartiers compliqués. Nous avons a réussi à gérer la situation correctement, en réintroduisant une forme d'équilibre dans certains secteurs - dans d'autres, nous n'avons pas hésité à démolir. Mon inquiétude sur la reconstruction est grande, parce que la réflexion repose encore sur des mécanismes anciens. Si nous n'y prenons pas garde, ce que nous ferons dans les années qui viennent pourrait produire la même situation que celle que nous avons aujourd'hui. Il faut impérativement sortir de ces anciens schémas de pensée.

Enfin, je vous livre une petite anecdote : une école primaire de ma commune était dans une situation de ghettoïsation totale. Cette situation m'a mis en colère, c'est pourquoi j'avais obligé l'éducation nationale à détruire l'école et à réaffecter les enfants dans les autres quartiers de la ville, avec un système de bus scolaire. Je ne regrette pas du tout de l'avoir fait car, de l'avis des directions d'école comme des familles, tout s'est bien passé. Les résultats scolaires ont été satisfaisants. La situation de mon territoire est quelque peu particulière car il n'est pas très grand, mais le principe mérite d'être dupliqué lorsque les situations deviennent inextricables ; sinon, nous n'en sortirons pas.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

IV. MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2023 - AUDITION DE MM. OLIVIER ARAUJO, MAIRE DE CHARLY (MÉTROPOLE DE LYON), SERGE DE CARLI, MAIRE DE MONT-SAINT-MARTIN (MEURTHE-ET-MOSELLE), EMMANUEL FRANÇOIS, MAIRE DE SAINT-PIERRE-DES-CORPS (INDRE-ET-LOIRE) ET MME STÉPHANIE VON EUW, MAIRE DE PONTOISE (VAL-D'OISE)

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous avons mis en place une mission d'information pour comprendre ce qui s'est passé et dresser un état des lieux précis de la situation. À cette fin, nous avons souhaité entendre nos collègues maires qui ont été victimes d'agressions et ont été mêlés au fort climat de violence qui a régné.

Il est important que les maires puissent faire remonter ce qu'ils vivent au quotidien et le Sénat offre une enceinte idéale pour cet exercice, la plupart d'entre vous ayant été maires ou élus locaux.

Entre la violence chronique qui sévit dans le pays, les suites de la crise du covid et l'inflation, la situation locale n'a plus rien à voir avec celle d'il y a trois ou quatre ans.

Mme Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise. - Pontoise est une ville de bientôt 40 000 habitants, située en région parisienne. Si nos bâtiments municipaux n'ont pas été directement touchés, la violence a déferlé pendant trois nuits. Chaque soir, j'ai quitté mon bureau en me demandant si je le retrouverais le lendemain matin. Un soir, j'ai même décidé de prendre mon écharpe tricolore en me disant : « Ils ne l'auront pas ! » Mes collègues ont dû vivre la même chose : il fallait s'accrocher et défendre coûte que coûte les valeurs républicaines et la République, qui n'ont pas de prix.

Les violences ont entraîné des dégâts matériels, mais des agressions physiques ont également eu lieu. J'en ai moi-même été victime, ayant été personnellement visée en raison de mon mandat de maire. Je n'entrerai pas dans les détails...

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Il faut nous raconter, si vous le voulez bien, ce qu'il s'est passé pour que nous puissions comprendre et consigner ce que vous avez vécu.

Mme Stéphanie Von Euw. - Pontoise compte deux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), dits « quartiers prioritaires ». Je me trouvais dans l'un d'eux, où un début d'incendie avait touché le théâtre. Les pompiers ont été formidables, comme les forces de l'ordre, et je salue particulièrement la police municipale, qui a été primo-intervenante. L'incendie avait été circonscrit et nous étions en train de sécuriser le site quand nous avons été appelés pour un autre départ de feu, touchant une concession automobile qui a intégralement brûlé. Sans réfléchir, je suis montée seule dans ma voiture, suivie par celle du directeur de cabinet du préfet. Nous nous sommes retrouvés dans un guet-apens, bloqués par des barricades enflammées. Je suis sortie, ce qui constituait une erreur et montre bien à quel point je ne mesurais pas l'état de délire général et de violence désinhibée. Des jeunes se sont approchés, que j'avais l'impression de connaître, mais qui étaient intégralement masqués, avec des foulards qui leur remontaient jusqu'au nez et des capuches qui leur descendaient jusqu'aux yeux. Je sentais qu'il s'agissait de jeunes du quartier, que j'avais dû voir et tutoyer trois heures plus tôt. J'ai commis une autre erreur en les haranguant pour leur dire : « Maintenant, on arrête les conneries ! » Ils m'ont immédiatement reconnue et j'ai reçu des tirs de mortier à bout portant, ce qui m'a fait craindre que l'un de mes tympans était touché. J'ai juste eu le temps de me mettre à l'abri dans ma voiture et de m'extraire en faisant une marche arrière de près de deux cents mètres. J'ai été frappée par ces mots, que j'ai clairement entendus : « C'est la maire, on va se la faire ! » Aucun doute n'était possible quant à l'objectif des assaillants.

Des personnels municipaux, n'appartenant pas à la police municipale, ont également subi des violences. Des agents d'entretien et des agents des services techniques, qui sécurisaient les écoles, ont été pris à partie, voire agressés, parce qu'ils étaient identifiés par ces décérébrés comme étant agents municipaux et, par conséquent, agents de l'État. Ainsi, un agent de la voirie a été attaqué dans sa voiture de service à coups de marteau. Les vitres ont été brisées et un de ses collègues a juste eu le temps de l'extraire. Les dégâts physiques sont légers, mais les dégâts psychologiques sont plus importants et durables.

Je voudrais souligner le courage, la solidarité et le sens du service public qui ont animé les services municipaux, malgré le danger. J'ai éprouvé de la fierté à les avoir à mes côtés.

Les préjudices psychologiques ont touché les employés des services de la ville, mais aussi la population dans son ensemble. Aujourd'hui, quand un feu d'artifice est tiré en ville, il faut prévenir les gens longtemps à l'avance et répéter qu'il s'agit d'un événement festif.

Au-delà des budgets qu'il faut déployer pour remettre nos villes en état, je mentionnerai la question des assurances, qui pose un véritable problème. L'ensemble de nos contrats ont été dénoncés et résiliés par notre compagnie d'assurance. Nous avons réussi à conclure l'un de nos marchés, mais avec une augmentation de 200 %. En revanche, le deuxième marché a été infructueux. Nous essayerons de négocier de gré à gré, probablement avec des conséquences financières très importantes.

J'en viens au profil des émeutiers. À Pontoise, les événements sont restés localisés et ont été circonscrits aux deux quartiers prioritaires. Les émeutiers étaient donc des habitants locaux. Ils étaient très jeunes et mes agresseurs devaient avoir entre 14 et 17 ans.

Les émeutes étaient-elles organisées et servaient-elles une cause ? Oui et non. Je ne crois pas à une révolte des banlieues contre le système. Des jeunes ont trouvé une occasion de se déchaîner. Ils n'avaient aucune prise avec la réalité, comme s'ils avaient été dans un jeu vidéo. Ils n'accordaient de prix à rien, ni à la vie humaine ni aux éléments matériels. Quand j'étais réfugiée dans ma voiture, ils ont réussi à briser mon pare-brise à mains nues ; c'est dire la force et le délire qui les animaient. Il s'agissait d'un déchaînement total et je ne crois pas à une démarche défendant une idéologie.

En revanche, les points de deal et le trafic de drogue ont joué un rôle. S'il y a eu coordination, elle a été assurée par les organisateurs des réseaux de trafic, qui ont fait appel à leurs « choufs » ou à leurs revendeurs. J'en ai l'intuition profonde et, lorsque nous avons organisé, comme dans toutes les villes de France, une prise de parole sur le parvis de la mairie, j'ai identifié deux individus bien connus de nos services, réputés pour être des têtes de réseaux. Ils étaient là pour nous écouter et prendre des mesures pour tenir leur territoire.

Dans ces quartiers, le trafic de drogue constitue le seul et unique sujet. En effet, nous pouvons prendre autant de mesures que possible dans les domaines de l'éducation, de la politique de la ville ou du sport, si des trafics de drogue structurés et sans limites perdurent, nous ne parviendrons pas à reprendre pied dans ces quartiers. Ces émeutes ont démarré et cessé parce que certains ont appuyé sur un bouton, du jour au lendemain et de façon coordonnée. L'activité des points de deal ayant été interrompue pendant trois jours et trois nuits, leurs responsables ont estimé que le « commerce » avait trop souffert.

M. Olivier Araujo, maire de Charly. - Je vous remercie de cette invitation, qui témoigne de l'attention que vous portez à la problématique de la violence s'exprimant à l'égard des élus et en particulier des maires. Ce sujet récurrent se retrouve de nouveau sous les projecteurs après les épisodes de violence urbaine ayant eu lieu cet été.

Je suis maire de Charly, qui compte 5 000 habitants et se situe dans le sud-ouest de la métropole de Lyon. Cette commune a tendance à être qualifiée de village, son ADN étant plutôt agricole.

Les bâtiments de notre commune n'ont pas été touchés. Cependant, j'ai été victime d'une attaque personnelle. Le dimanche 2 juillet, une torche enflammée a été lancée sur ma maison, sans faire de dégâts. Nous étions en famille à la maison et mon voisin a découvert cette torche, consumée devant mon portail. Je n'y ai d'abord pas prêté beaucoup d'attention parce que la torche était tombée du bon côté du portail, sans toucher nos arbres et nos véhicules, qui se trouvaient de l'autre côté. J'ai contacté les gendarmes et j'ai commencé à prendre conscience de l'acte commis. On m'avait attaqué personnellement et j'ai commencé à avoir peur pour ma famille. Les gendarmes ont retrouvé des traces d'ADN, mais la personne n'est pas fichée et l'enquête se poursuit.

Il ne s'agit pas du seul acte de violence ayant eu lieu à Charly. En 2021, lorsque nous rendions hommage à Samuel Paty, j'ai reçu des menaces de mort sur internet, proférées par un groupe islamiste, qui a été identifié. Dans les jours suivants, j'ai subi des agressions verbales sur la place de la mairie, un dimanche après-midi. Des jeunes m'ont lancé : « Va te faire enculer, le maire ! »  Un de mes adjoints a été victime d'insultes homophobes devant son domicile. Par ailleurs, le mobilier urbain a subi un ensemble de dégradations, parmi lesquelles des dessins de croix gammées ou des inscriptions telles que « NTM le maire ». Ces dégradations posent question sur les relations qu'entretient une petite partie de notre population avec les institutions.

Nous avons l'impression d'être les spectateurs d'individus provocateurs, convaincus de leur impunité. Par ailleurs, certains jeunes semblent ne pas avoir conscience de la gravité de leurs actes ; s'agit-il d'un manque d'éducation, de fermeté ou de limites ? Je ressens en tout cas une disparition de la notion d'autorité, qu'elle soit scolaire, institutionnelle ou politique. Plus généralement, le respect semble disparaître dans le rapport entre les individus. De plus, j'ai l'impression d'assister à une désinhibition du comportement, dont les maires sont les cibles. N'importe qui peut être touché n'importe quand : il faut en prendre conscience.

Certains citoyens exercent de plus en plus de pressions sur les élus, en particulier sur les maires, qui forment un premier échelon politique. La pression et l'opposition peuvent être saines. Cependant, l'expression violente, la contestation et le dénigrement systématiques, ainsi que les attaques et les accusations personnelles sans fondement que nous subissons constituent un problème. J'ai également le sentiment d'une absence de limite et d'une intolérance à la frustration face aux règles que nous cherchons à faire appliquer, qui bien souvent ne sont pas de notre fait.

Ces éléments renvoient à un autre sujet, qui contribue au mal-être des maires : le sentiment d'être seuls face à cette violence, d'être aussi fragilisés et affaiblis par certaines décisions législatives, qui contribuent à réduire nos marges de manoeuvre, à diminuer nos recettes, à nous obliger à appliquer des décisions parfois impopulaires ou à complexifier notre quotidien en ajoutant des strates au millefeuille administratif et en augmentant les risques juridiques qui pèsent sur nous. La fonction de maire, pour laquelle nous ne sommes ni formés ni accompagnés, semble de plus en plus dissuasive. Notre engagement a des conséquences professionnelles sur nos métiers initiaux, des conséquences personnelles, mais aussi de plus en plus sécuritaires, les menaces individuelles se développant.

Votre travail parlementaire est important et, même si les vocations persistent, il faut enrayer ce phénomène de désaffection. Il s'agit d'un problème sociétal dépassant la seule situation des élus locaux, qui ne constitue qu'un symptôme. Il faut noter que nombre des attaques ne sont pas le fait de nos administrés, mais d'individus militants pour certaines causes, très actifs sur les réseaux sociaux et pétitionnaires. Internet et les réseaux sociaux représentent des catalyseurs de la violence s'exerçant à l'égard des élus, symptôme d'un irrespect à l'égard des figures du pouvoir. Ainsi, tous ceux qui exercent une autorité ou disposent d'une légitimité sont haïs ou combattus. Cette haine est plus vive encore quand ces figures sont associées à la République. Instituteurs, professeurs, médecins, infirmières, soignants, pompiers, policiers, gendarmes, juges ou avocats : tous sont victimes de ce dénigrement. La médiatisation de la polémique braque la lumière sur des individus considérés comme responsables, à qui l'on cherche des intérêts cachés et à qui l'on attribue des actes ou des opinions sans aucun fondement. Ces démarches malveillantes aboutissent à des actes de violence présentés comme des formes de punition.

Face à cette situation, la réponse n'est peut-être pas assez ferme, même si elle l'a été un peu plus lors des épisodes de l'été dernier. Nous devons nous montrer vigilants face à ces phénomènes de vengeance. À cet égard, nous devons faire de la prévention, qui relève de l'éducation des parents, de l'école républicaine et de la méritocratie.

En parallèle, il faut arrêter avec la « culture de l'excuse ». La tolérance à l'égard des actes d'incivilité et de violence favorise l'idée selon laquelle leurs auteurs auraient toujours une bonne raison. Cette culture de l'excuse prend différentes formes, traduit un manque de courage, ne pose pas de limites aux individus et crée un droit à la délinquance. Elle conduit à laisser persister des problèmes de harcèlement et à laisser Samuel Paty seul et vulnérable face à ses bourreaux potentiels.

Cette complaisance s'exprime aussi dans les débats médiatiques et académiques. Ainsi, au sujet des émeutes, des élus et commentateurs ont trouvé des motivations politiques et des raisons sociales légitimes aux agressions des élus comme aux dégradations des biens publics. À cet égard, j'ai écouté la sociologue Nathalie Heinich, qui s'est exprimée dans le cadre de votre mission d'information. Je la rejoins quand elle évoque la « décivilisation » ainsi que la complaisance de certains de ses collègues, qui tendent à légitimer des actes de violence et de destruction, allant jusqu'à ne pas les dénoncer. Nous avons une responsabilité individuelle et collective en la matière.

Nous avons besoin de l'État et de ses institutions pour faire respecter les principes et les valeurs qui sont les seuls à pouvoir rendre possible le vivre ensemble. Nous avons également besoin de plus de moyens financiers et humains pour nos services municipaux, pour nos polices municipales, qui ont beaucoup oeuvré l'été dernier, pour le renseignement, qui doit permettre d'agir en amont, pour la justice, qui doit être ferme et appliquée, pour l'éducation, qui reste le socle du vivre ensemble, et pour l'accompagnement social, afin de ne pas oublier nos concitoyens en difficulté. Par ailleurs, l'État doit fournir une aide importante dans le cadre de la maîtrise de la couverture assurantielle. De plus, il faut renforcer la présence des institutions sur le terrain. Des mesures pourraient être prises aussi s'agissant d'internet, or j'ai notamment constaté que les menaces de mort exprimées sur les réseaux faisaient l'objet d'un délai de prescription de seulement trois mois. Ces mesures sont nécessaires pour l'avenir de notre société.

M. Serge De Carli, maire de Mont-Saint-Martin. - Je suis un pur fruit de la République, mon arrière-grand-père ayant fui le fascisme italien pour se réfugier en Lorraine. J'ai tenté de rendre à la République ce qu'elle avait donné à ma famille en devenant instituteur, directeur d'école et professeur des écoles, carrière à laquelle je n'ai mis un terme qu'il y a quelques mois. Par ailleurs, je suis élu municipal depuis 1989 et maire depuis une vingtaine d'années. Je suis aussi conseiller départemental et président de l'agglomération du Grand Longwy, qui réunit 63 000 habitants et 21 communes.

Mont-Saint-Martin, qui compte 10 000 habitants, est appelée « la ville aux trois frontières », en raison de notre proximité avec les frontières belge et luxembourgeoise. Il s'agit d'une ville populaire, qui abrite un QPV de 4 500 habitants, un réseau d'éducation prioritaire, huit écoles, un collège et bientôt un collège neuf. Le budget annuel d'investissement et de fonctionnement s'élève à 12 millions d'euros, quand la ville voisine au Luxembourg dispose de 120 millions d'euros. La richesse moyenne annuelle par foyer est de 9 800 euros, ce qui correspond à 830 euros par mois, sachant que 30 % de nos habitants travaillent de l'autre côté de la frontière et gagnent à deux entre 8 000 et 10 000 euros par mois. L'enveloppe pour les politiques municipales de solidarité est donc énorme et atteint 1 million d'euros. Nous comptons aussi une épicerie sociale, une régie de quartier pour l'insertion professionnelle et des éducateurs de rue.

Je tiens à cette ville, dont est issu un triple champion du monde de karaté. Mais elle a été touchée comme peu l'ont été par ce que l'on a appelé « les émeutes » et neuf de ses bâtiments publics ont été saccagés, dégradés et incendiés.

Les événements ont commencé dans la nuit du 27 au 28 juin, quand le service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) « vivre avec l'autisme », outil rare, a complètement brûlé. Notre ville est la plus vidéoprotégée du département et, lorsque nous avons visionné les images, nous avons découvert trois jeunes, encapuchonnés et assis sur un banc. À un moment, l'un d'eux se lève, jette un cocktail Molotov sur le bâtiment et se rassied pour regarder, alors que 500 000 euros partent en fumée.

La nuit suivante, une école maternelle ainsi que la buvette et le club-house du club de foot ont été attaqués. La même nuit et sans que je le sache, le Raid est intervenu. Le jeune Aimène Bahouh a été touché par un tir de flash-ball et il est resté un mois dans le coma, manquant de perdre la vie. Il a été opéré à plusieurs reprises, s'en est sorti, mais reste handicapé. Je précise que ce jeune de 25 ans n'était pas un émeutier et qu'il rentrait de son travail, situé au Luxembourg. Une enquête est en cours, mais nous n'avons pas de nouvelles.

Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, l'hôtel de ville a été attaqué et saccagé. J'ai alors annoncé que la mairie était « morte » et elle ne s'en est toujours pas remise. Je vous parle d'ailleurs depuis un autre endroit. Cependant, les services de la ville ne se sont jamais arrêtés. Nous gérons l'état civil de l'agglomération et accueillons un hôpital qui couvre tout un secteur, ce qui occasionne un important travail administratif. Pendant plusieurs mois, nous avons disséminé les services de la ville dans cinq sites. Cette réorganisation a représenté un travail difficile et cette affaire a été lourde psychologiquement. Nous avons reçu l'ensemble des agents et travaillé avec un psychologue.

À titre personnel, dans la nuit du 1er au 2 juillet, mon épouse et moi avons dû être exfiltrés de notre domicile et nous avons passé la nuit dans un hôtel au Luxembourg. Le préfet de Meurthe-et-Moselle m'avait téléphoné et j'avais reçu plusieurs appels dans la journée, m'indiquant qu'il était plus prudent que je ne reste pas chez moi, car j'étais visé, certains jeunes considérant que le Raid était venu à ma demande. Évidemment, il n'en est rien, puisque la décision d'envoyer le Raid appartient au préfet.

Malgré les mises en garde, nous avons choisi de rentrer chez nous le 2 juillet, notre maison étant notre seul bien. Tout l'après-midi, les gendarmes se sont montrés très bienveillants et se sont assuré que la maison était bien sécurisée. Ils ont placé des caméras, que nous avons gardées pendant deux mois. Pendant trois ou quatre nuits, huit gendarmes en armes ont été positionnés dans deux véhicules à proximité de notre maison. Ces événements ont été traumatisants pour nous et je ne m'en suis pas encore remis sur le plan psychologique. L'idée m'a même traversé quelques instants d'abandonner mon mandat de maire.

Je partage les analyses de mes collègues. Cependant, si je ne pratique nullement la culture de l'excuse, j'essaie de comprendre. Cette période mérite notre attention, car ces événements se reproduiront si nous n'y répondons pas correctement.

Les sources du problème sont lointaines et il faut remonter les trente dernières années, qui ont vu se déliter peu à peu l'État local et les services qui assurent la cohésion des territoires et des populations. Chez nous, le Luxembourg aspire toutes les compétences formées en France, y compris les enseignants, les infirmières et les médecins. Ils travaillent de l'autre côté de la frontière puisqu'ils y gagnent deux fois et demie le salaire qu'ils toucheraient en France. Ce phénomène doit poser question à l'État, puisque nous assistons à une paupérisation à la frontière française et à un enrichissement de l'autre côté.

Depuis trop longtemps, nos services publics vont mal. Les maîtres ne sont plus remplacés à l'école publique. Par ailleurs, notre bureau de poste a été attaqué à l'explosif en mars 2022 et rouvrira en février, grâce à l'intervention de l'État déconcentré. Le plus gros bureau de poste de l'agglomération est donc fermé depuis deux ans alors qu'il assure un service de proximité et joue un rôle social auprès de populations en grande difficulté. De plus, je loue le travail fourni par la police républicaine dans le pays, mais, dans notre hôtel de police, il manque un tiers des effectifs et les renforts viennent de Nancy, située à 125 kilomètres. Nous sommes aussi dans une zone de désertification médicale. Un sentiment d'oubli et d'abandon, fondé ou infondé, habite certaines populations. À certains moments, celles-ci se saisissent de prétextes, constitués par des événements médiatisés. La violence n'apporte rien d'autre que la violence, si ce n'est des restrictions de liberté, et je ne la préconise en aucun cas. Les réponses ne peuvent pas être uniquement sécuritaires et autoritaires. On parle de la responsabilisation des familles et je n'y suis pas opposé, mais nous comptons ici de nombreuses familles monoparentales. Ainsi, de nombreuses mères partent travailler nuitamment au Luxembourg, laissant seuls leurs enfants. Il faut mener un travail d'éducation populaire et de prévention.

Il semble que Mont-Saint-Martin soit la seule ville de France à avoir vu l'un de ses bâtiments attaqué après le 5 juillet, qui marque la fin des émeutes. Dans la nuit du 13 au 14 juillet, alors que nous avions organisé dans la journée un rassemblement républicain, la plus grosse école de la ville a été attaquée et incendiée. Nous avons relevé le défi puisque nous avons immédiatement constaté les dégâts et engagé les travaux, permettant la réouverture de l'école le 4 septembre, même si les réparations ne sont pas encore achevées.

Pour toutes ces attaques, les vidéos et autres traces ont été confiées à la police. Les publics ne sont pas les mêmes à chaque fois. Dans le cas du Sessad et de l'école, il s'agit de jeunes. Concernant la mairie, nous avons eu affaire à un commando d'une cinquantaine de personnes, venues de Belgique, de Moselle et d'une ville voisine. Ces adultes, qui avaient entre 25 à 30 ans, semblent avoir été animés par des desseins d'ordre politique. Nous savons ce que ce type de violences engrange. Des vidéos l'attestent, sur lesquelles on voit des hommes torse nu ayant pris des substances, certains brandissant des sabres japonais. S'agissant de l'enquête, je suis frustré de n'avoir aucun retour. J'ai du mal à imaginer qu'on ne trouve pas un seul individu à condamner sur une ville de 10 000 habitants. Je défends la prévention, mais la sanction fait aussi partie de l'éducation.

La question assurantielle constitue un cauchemar. En France, Groupama et la SMACL sont en situation de quasi-monopole avec les collectivités territoriales. Groupama a résilié l'ensemble de nos contrats dès la première semaine du mois d'août. J'ai beaucoup oeuvré pour trouver une solution et me suis rendu à l'Élysée, à Bercy et à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). La ministre Dominique Faure est venue nous voir et l'aide financière de l'État sera importante. Néanmoins, concernant Groupama, nous comptons plus de 3 millions d'euros de dégâts. Nous avons engagé notre budget propre. De nombreuses voiries ont été abîmées et 70 véhicules de particuliers ont été brûlés. Notre fonds de roulement, qui s'élève habituellement à 1,2 million d'euros, n'atteint que 400 000 euros, alors que la ville doit rémunérer 150 agents. Nous tenons, mais ce sujet crée beaucoup d'angoisse. Nous avons obtenu une prorogation de notre contrat jusqu'au 1er juillet 2024, dans les mêmes conditions. Pour la période qui suit, Groupama propose un nouveau contrat, mais nous savons que les cotisations seront trop élevées et les services amoindris. Une collègue a reçu une proposition comprenant une franchise à 2 millions d'euros, ce qui est inacceptable et ingérable.

Si l'intercommunalité est le fruit du législateur, la commune reste le fruit de l'histoire de France. Même si elle est dévitalisée, c'est à la commune que l'on s'adresse pour tous les problèmes de la vie. Les différentes crises traversées depuis 2020 ont attesté cette réalité : en République, les communes tiennent le pays. Elles l'ont prouvé aussi bien lors de la crise du covid que lors des émeutes, pendant lesquelles nous avons tenu bon, et nous nous sommes organisés pour assurer la pérennité des services publics. Les élus locaux ont besoin d'un statut réel qui les protège et je ne pense pas nécessairement aux indemnités.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Merci pour ce témoignage qui révèle beaucoup de choses, parmi lesquelles le problème des relations avec le parquet quant au partage des informations et la question des assurances.

M. Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps. - Je suis ici, car j'ai été agressé de nombreuses fois.

Notre commune compte 16 300 habitants et deux QPV, dont l'un rassemble environ un tiers de la population et se situe en plein centre-ville. Médecin généraliste, j'étais installé au coeur de ce quartier.

J'en viens aux causes des émeutes. Je suis d'accord avec Stéphanie Von Euw sur le rôle du trafic de drogue. Cependant, pour moi, il s'agissait d'une sorte de rite initiatique pour les jeunes. Ce rite n'a pas seulement été provoqué par l'utilisation de drogues connues, mais aussi par celle du protoxyde d'azote, qui est en vente libre. Nous avons pris un arrêté à la mairie pour interdire sa vente aux mineurs. Il faut porter une attention particulière à ce problème, qui commence à s'étendre.

Je voudrais souligner la violence et la soudaineté des émeutiers ainsi que leur propension à fuir la réalité. Si l'on analyse les différentes émeutes ayant eu lieu en France, on remarque qu'en 1968 déjà, nous étions confrontés à la consommation de cannabis, qui génère des syndromes paranoïdes et peut entraîner l'expression de théories du complot.

Le trafic de drogue a joué un rôle, mais l'influence politique a aussi compté, surtout dans les milieux ruraux. Les allégations sur la manière dont tel ou tel parti aurait eu de l'influence ne m'intéressent pas, car je ne peux plus supporter les partis politiques, qui ont laissé la France dans un état pitoyable.

Je souhaiterais aussi insister sur la solidarité que nous avons observée lors de ces émeutes. Les pompiers sont venus de l'ensemble du département pour tenter de contenir les incendies qui ont touché quinze bâtiments, parmi lesquels la bibliothèque, la galerie d'exposition, des gymnases, des commerces, des pharmacies, la mairie et la salle des fêtes. La solidarité a été très importante, au niveau départemental, mais aussi dans nos services communaux ainsi que dans le milieu associatif, et cet élan nous a fait beaucoup de bien.

Je ne peux pas vous parler des émeutes sans évoquer l'historique de Saint-Pierre-des-Corps. J'y suis arrivé en tant que médecin. J'avais la possibilité de faire des consultations libres, c'est-à-dire sans rendez-vous. C'est un service énorme rendu à la population.

En tant que maire, j'essaie de rendre ce que j'ai reçu. Dans le cadre des élections, nous avons formé une équipe pour nous battre contre 99 ans et 6 mois de communisme. Nous avons rencontré de grandes difficultés, liées à des rivalités de réussite, comme cela peut arriver dans les quartiers prioritaires, pour les personnes issues de l'immigration, aussi étonnant que cela puisse paraître. Au sein de notre équipe, deux adjoints ont été touchés : Gania Bougadba, qui appartient à l'une des premières familles d'origine immigrée de Saint-Pierre-des-Corps, a eu, par deux fois, sa voiture brûlée ; une autre adjointe a eu un départ de feu devant son pas-de-porte en décembre 2021 ; et on a tenté à deux reprises de mettre le feu à mon cabinet médical. La troisième tentative a été la bonne, puisque, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2022, le cabinet médical est parti en fumée.

Nous avons subi les émeutes de plein fouet. Vous avez peut-être vu cette vidéo, qui a été visionnée plus de 10 millions de fois : ma voiture est stoppée par des poubelles et des jeunes y mettent le feu. Comme vous, Monsieur De Carli, j'ai été exfiltré. Toutefois, j'ai eu la chance de constater que, parmi ces très jeunes émeutiers, seulement sept d'entre eux voulaient me faire la peau, et quarante-trois autres leur interdisaient de me toucher.

Il y a des choses à faire. Car nous n'avons pas pris en compte les accords franco-algériens de 1968 ! En effet, nous ne pouvons pas intégrer différemment des étrangers issus d'un pays particulier ; c'est une question d'équité.

Par ailleurs, il convient de lutter contre le trafic de drogue, en particulier la cocaïne, qui envahit tous les milieux, y compris les plus aisés.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La commission des lois projette de travailler à partir du début de l'année prochaine sur les accords bilatéraux avec différents pays, notamment avec l'Algérie.

Par ailleurs, notre collègue Jérôme Durain préside à l'heure actuelle une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic. Certes, tout n'est pas parfait, mais nous arrivons à travailler collectivement ensemble sur de nombreux sujets que vous avez évoqués.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je tiens à apporter mon soutien aux quatre maires qui sont aujourd'hui devant nous. Ce qu'ils ont vécu pendant les émeutes a été monstrueusement violent, et c'est une première. Je sais pourtant que Stéphanie Von Euw n'a pas tout dit parce qu'elle discrète.

Vous l'avez tous souligné, les jeunes étaient nombreux, mais sans doute des personnes plus âgées les manipulaient-elles. Avez-vous vu des filles au cours de ces émeutes ? Avez-vous été confrontés à des scènes de pillage ?

Mme Catherine Di Folco. - Je vous remercie tous les quatre pour ces témoignages, intéressants et même émouvants. Nous avons pu mesurer la violence dont vous avez fait l'objet.

Concernant la destruction des bâtiments, nous avons été saisis en urgence, en juillet dernier, d'un projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023. Ce texte a-t-il porté ses fruits ?

M. Jérôme Durain. - Je m'interroge sur le lien entre ces émeutes et le trafic de drogue, qui est présenté soit comme un élément déstructurant la société, soit comme un élément structurant les émeutes. Certains responsables locaux des trafics ont-ils eu un rôle d'« animation » de ces émeutes ? On comprend l'intérêt qu'ils ont pu avoir à ce qu'elles s'achèvent, afin que leur commerce reparte.

Mme Corinne Narassiguin. - Je vous remercie, madame et messieurs les maires, de vos témoignages. Vous avez dit, Monsieur De Carli, que vous n'aviez pas été mis au courant de l'intervention du Raid. J'aimerais savoir comment s'est passée la coordination entre les services de la préfecture, ceux des communes, la police, la gendarmerie, et, éventuellement, la police municipale.

M. Pierre-Alain Roiron. - La question des assurances a été évoquée par l'un d'entre vous. Où en sont les propositions en la matière ?

Mme Audrey Linkenheld. - Monsieur De Carli, selon vous, ces événements reposent sur de véritables motivations politiques. Pourriez-vous vous expliquer sur ce point ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Ma première question concerne les réseaux et leur rôle éventuel. Les premiers actes de délinquance ont-ils été constatés dès les premières heures ou bien quelques jours plus tard ?

Ma deuxième question porte sur les émeutiers : s'agissait-il de personnes de la commune ou bien venaient-elles de l'extérieur de votre territoire ?

Par ailleurs, la question des assurances est absolument essentielle. Ce que vous nous direz comptera, dans la mesure où ce qui nous a été dit voilà quelques semaines par les représentants des assureurs est complètement différent.

Enfin, quelles sont vos relations avec l'institution judiciaire, plus particulièrement en ce qui concerne la circulation de l'information sur la suite donnée aux procédures engagées ? C'est un point sur lequel nous insistons depuis longtemps, et le Sénat a récemment adopté un texte visant à rendre obligatoire la communication de l'information entre le procureur de la République et les maires, dans un délai d'un mois à compter du dépôt de plainte.

M. Serge De Carli. - Il n'y avait que des garçons parmi les émeutiers.

Pour ma part, je ne peux pas dire qu'il y a eu pillage. Ainsi, dans mon bureau, étaient exposés des émaux de Longwy, d'une grande valeur, qui n'ont pas été volés, mais brisés.

S'agissant de la loi relative à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés, le bon sens voulait que nous n'attendions pas. Nous avons donc immédiatement lancé les démarches administratives visant à reconstruire.

Je ne vois pas de liens entre les émeutiers et la drogue. Je connais quelques caïds locaux de la drogue, qui essayaient plutôt de calmer le jeu.

S'agissant de la coordination entre les forces de sécurité et le maire, je me félicite des bonnes relations que j'entretiens avec le commissaire. Une fois par mois, nous organisons en mairie des réunions de sécurité, pour faire le point. La gendarmerie s'est occupée de la sécurité de ma famille. Ce sont des agents d'une immense bienveillance et très consciencieux.

Par ailleurs, nous avons une nouvelle préfète depuis le 22 août 2023, qui est déjà venue huit fois sur ma commune. Je n'ai jamais vu ça !

La question assurantielle est angoissante et constitue un enjeu considérable. Pour le moment, je ne vois pas le ciel s'éclaircir, bien que nous ayons obtenu une dérogation de six mois.

Madame Linkenheld demande que je précise mon propos s'agissant des motivations politiques de ces émeutes. J'ai 63 ans, et je suis membre du parti communiste français depuis que j'ai 17 ans. Mon père, italien, a fui le fascisme. Je suis très fier de mon histoire et suis un humaniste. Je suis enseignant, j'oeuvre au sein du Secours populaire, et j'ai toujours essayé de donner du sens à ma vie, en tendant la main à ceux qui en ont le plus besoin, en n'oubliant personne. Je ne ferai pas de commentaire sur la volonté de mettre des gens en marge ni sur ce qui s'est passé hier.

Les motivations politiques sont très claires : la seule mairie saccagée de l'agglomération est celle de Mont-Saint-Martin. J'ai eu l'occasion de le constater sur le marché dominical du 1er juillet 2023, la population était solidaire de son maire, ce qui est assez rassurant. Ces événements servent les partis d'extrême droite, comme en témoignent les « retournements de cerveaux » de personnes qui déclarent qu'elles voteront en faveur de Marine Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle.

Le saccage de la mairie était un objectif relayé par les réseaux sociaux, j'avais été alerté quelques heures plus tôt.

Concernant le profil des émeutiers, habituellement ceux-ci sont des jeunes de la ville. Pour le saccage de la mairie, ils venaient de l'extérieur. Ils étaient une cinquantaine face à quinze fonctionnaires de police.

Avec le Procureur de la République, les relations sont inexistantes.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La motivation des personnes ayant commis ces actes était-elle en lien avec la situation à Nanterre, après le décès du jeune Nahel M. ?

M. Emmanuel François. - Je partage votre constat, Monsieur De Carli. Je me demande si je pourrai exercer ma fonction, au cours d'un prochain mandat, avec le Rassemblement National (RN) au pouvoir. Je ne porte pas de jugement sur ce parti.

À Saint-Pierre-des-Corps, des pharmacies et des bureaux de tabac ont été pillés.

S'agissant des facilités prévues pour la reconstruction, nous avons d'ores et déjà l'assurance que la préfecture engagera des fonds pour le reste à charge. S'agissant des assurances, nous avons fait appel à des experts d'assurés, pour défendre au mieux nos intérêts face aux experts d'assurances.

En ce qui concerne les liens entre émeutes et trafics de drogue, depuis 1968, on observe que les accès de violence sont de plus en plus virulents et spontanés, avec une concentration de plus en plus grande de produits actifs.

Les responsables des trafics ont-ils participé aux émeutes ? Ma réponse est « non ». Ont-ils permis de sortir plus rapidement de la crise ? Non plus ! Les familles et les services de l'enfance et de la politique de la ville ont oeuvré pour que les choses s'arrêtent d'un seul coup.

Concernant nos relations avec la préfecture, le parquet et la police nationale, quelque chose me gêne : à aucun moment nous n'avons été interrogés à l'occasion des enquêtes menées par la police ou le Parquet. Or, en tant que médecin, je connais bien les jeunes de ma ville, et notamment leur silhouette, la façon dont ils bougent ; je les ai vaccinés ! J'aurais pu en reconnaître sur les vidéos qui circulaient. Il est vrai que la justice doit être absolument indépendante, mais je m'interroge sur la pertinence des enquêtes qui ne donnent pas lieu à une consultation des acteurs les plus proches du territoire et de la population...

Je considère que la préfecture a fait son travail ; à cet égard, Serge De Carli et moi-même avons vécu une situation similaire. Le préfet s'est ainsi interrogé sur la responsabilité qui lui incombe en termes d'établissement d'un diagnostic et de construction du futur contrat de ville. C'est positif !

S'agissant des réseaux sociaux, ceux-ci ont conféré au déclenchement des émeutes un caractère soudain et spontané. Ils ont aussi permis à ces jeunes de s'organiser et de se rencontrer, et ont joué un rôle en termes de compétition. Ainsi, la voiture du maire de Saint-Pierre-des-Corps ayant brûlé, les émeutiers ont décidé de « cramer la bagnole » du maire de la commune voisine, La Riche !

Mme Stéphanie Von Euw. - Le déclenchement des émeutes n'a pas de cause idéologique, comme, par exemple, la volonté de s'attaquer au système. Ce qui s'est passé à Nanterre a certes provoqué un coup de colère. Par la suite - en tout cas, dans mon territoire -, les réseaux territoriaux autour des points de deal et dans les quartiers gangrenés par le trafic de drogue ont voulu envoyer un message selon lequel l'État et les forces républicaines avaient reculé dans ces endroits, lesquels étaient désormais sous le contrôle d'autres forces.

Les forces de l'ordre nous ont dit que, durant ces trois nuits et pour la première fois de leur carrière, elles avaient reculé, cédé du territoire ; la commissaire de Pontoise m'a confirmé qu'elles n'y étaient pas revenues. Et lorsque l'on retourne dans ces quartiers, on constate que ces jeunes « ont pris la confiance ». L'été dernier, lors des rodéos urbains, ils allaient même jusqu'à provoquer les différentes forces de l'ordre, municipales ou nationales. Selon moi, ces attitudes sont en lien direct avec les émeutes : à la suite du bras de fer qui s'est engagé lors de ces dernières, ils ont eu le sentiment sinon de gagner, du moins d'enfoncer des lignes.

Je fais aussi le lien entre ces émeutes et les trafics de drogue : il s'agissait pour ces émeutiers de montrer que l'État régalien ou les collectivités locales n'avaient plus leur mot à dire sur ces territoires perdus de la République, contrôlés par les réseaux de trafiquants qui gangrènent notre pays.

Oui, Madame Eustache-Brinio, il y a eu des pillages, mais ciblés : ont été volés des denrées et des biens qui pouvaient ensuite être revendus. La logique de ces personnes est donc bien de nature mercantile. Quant aux filles, on ne les a pas vues, à l'exception de celles qui remplissaient les coffres.

Je tiens à saluer la coordination avec les services de l'État, en particulier avec la préfecture, et à remercier pour son écoute et son efficacité le préfet du Val-d'Oise, Philippe Court, auquel je téléphonais une à deux fois par jour. De manière très libre, réactive et directe, nous avons élaboré ensemble les positionnements coordonnés de nos forces réciproques. Nous avons ainsi décidé de ne plus envoyer les forces de l'ordre dans l'un des deux quartiers qui flambaient ; en effet, le brasier s'est éteint faute de « combustibles », c'est-à-dire en l'absence de forces de l'ordre ; d'aucuns souhaitaient en effet les attirer dans des traquenards pour « casser du flic ».

Les forces de police d'État ainsi que les brigades de gendarmerie du Vexin et de Beaumont-sur-Oise ont été positionnées à Pontoise, ce qui a nécessité d'ajuster les différentes techniques d'intervention. Toutes ont fait montre de leur efficacité et de leur capacité de coordination dans ces moments très compliqués.

Les relations avec le procureur de la République ont en revanche été inexistantes, ce que je trouve dommageable. Ce qui compte en effet lors de tels événements, c'est d'assurer le continuum de sécurité qui inclut tous les acteurs - notamment municipaux -, y compris les services du ministère de la justice. Il s'agit de mener une réflexion à cet égard, car il y a beaucoup à faire.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir été aussi précis et clairs. Nous avons besoin de cette clarté et de cette sincérité pour établir un diagnostic qui soit le plus exact possible et proposer des solutions.

Nous avons bien compris que le sujet était multifactoriel, l'événement de Nanterre n'étant qu'un élément parmi d'autres, les réseaux sociaux avaient encouragé la compétition entre émeutiers et le rapport à l'autorité est aussi entré en ligne de compte.

Au-delà de la réponse immédiate en termes de rétablissement de l'ordre public, il conviendra de mener un travail plus approfondi dans les mois qui viennent sur le principe de respect et sur la projection dans l'avenir d'un certain nombre de nos concitoyens.

M. Emmanuel François. - Un dernier élément : dans une société qui prône la parité, je m'étonne que nos enfants soient confiés, à l'école maternelle et à l'école élémentaire, seulement à des personnels féminins, et presque jamais à des personnels masculins. Quelle société et quel rapport à l'autorité voulons-nous construire ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - C'est en effet une question de fond.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

V. MARDI 16 JANVIER 2024 - AUDITION DE REPRÉSENTANTS DES RÉSEAUX SOCIAUX X (EX-TWITTER), META (FACEBOOK, INSTAGRAM ET WHATSAPP), TIKTOK ET SNAPCHAT

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Notre mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023 a pour objectif d'aboutir à la meilleure compréhension possible de ce qui s'est passé. La commission des lois est chargée des grands sujets régaliens et de sécurité, mais nous prenons en compte le contexte général, dans un cadre très large.

Tous nos interlocuteurs nous ont dit que les réseaux avaient joué à plein, ce qui a amplifié les événements, par mimétisme notamment, même si d'autres aspects sont bien sûr à prendre en compte, liés à la sociologie, aux quartiers, à l'urbanisme notamment. Notre rapport, qui sera publié dans les prochains mois, comportera des recommandations, législatives ou réglementaires. Au besoin, les travaux d'autres commissions prolongeront nos travaux.

Mme Élisa Borry-Estrade, responsable des affaires publiques de Meta en France. - Par nature, les réseaux sociaux sont des plateformes qui offrent des lieux d'expression et une voix à chaque individu. Chez Meta, nous sommes très attachés à cette idée : permettre aux communautés de se fédérer autour de passions et d'intérêts communs. Les réseaux sociaux sont largement utilisés dans les milieux militants, politiques et associatifs, rendant le débat public accessible en un clic.

Pour autant, la liberté d'expression - et c'est très important de le rappeler - n'est pas sans limites. Tout d'abord, le droit s'applique. Le numérique est un secteur hautement régulé en France et en Europe. On connaît bien le règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis plusieurs années. Le Digital Services Act (DSA) est plus récent. Demain, le Digital Markets Act (DMA) entrera en application, et bien d'autres régulations sont en cours d'élaboration. Nous aurons notamment l'occasion de parler du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren).

Avant ces régulations, en l'absence d'un cadre juridique universel, les plateformes avaient édicté leurs propres standards. Il s'agit de règles qui définissent ce qui peut être partagé sur les réseaux sociaux. Chaque plateforme a ses règles, et celles-ci sont riches et fournies. Sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, j'en évoquerai quelques-unes en particulier.

Tout d'abord, parmi les contenus que nous interdisons, il y a tout ce qui est relatif aux incitations à la violence. Le but est de réduire le risque de dommages potentiels hors ligne. Nous allons jusqu'à la suppression de contenus ou, dans les cas les plus extrêmes, à la désactivation du compte. Nous interdisons aussi toute forme de coordination dans le but de nuire. Nos utilisateurs n'ont pas le droit de faciliter ou de promouvoir des activités criminelles ou préjudiciables qui visent des personnes, des biens, des entreprises ou des animaux.

Nous proscrivons également les contenus violents et graphiques. Pour protéger contre les images choquantes, nous supprimons les contenus particulièrement violents : je pense surtout aux cas extrêmes, comme des images de corps de personnes décédées. Le contenu graphique peut être autorisé avec des restrictions, qui prennent la forme d'étiquettes ou d'avertissements, pour préserver les utilisateurs. C'est notamment le cas dans le cadre de conflits, pour sensibiliser ou condamner certaines actions.

Chez Meta, nous appliquons l'ensemble de nos règles grâce à une combinaison de moyens humains et technologiques. Un peu plus de 40 000 personnes travaillent chez nous sur les enjeux de sécurité et de sûreté, dont environ 15 000 modérateurs. Depuis 2016, nous avons investi plus de 20 milliards de dollars dans ce domaine. C'est plus que n'importe quelle plateforme, à la fois en valeur absolue et proportionnellement à notre taille. Des millions de contenus sont retirés chaque jour dans le monde, et nous rendons compte de cette activité dans un rapport de transparence trimestriel qui est public et accessible en ligne.

En consultant ces rapports, on constate que, sur la période de juillet à septembre 2023, qui suit immédiatement la mort du jeune Nahel, 8,5 millions de contenus incitant à la violence ont été retirés de Facebook dans le monde, dont 87,3 % avaient été détectés par nos systèmes automatiques. L'utilisation des outils proactifs est très importante dans la détection et le retrait des contenus problématiques. Si l'on regarde l'ensemble des contenus violents sur la même période, par exemple sur Instagram, plus de 4 millions ont été retirés dans le monde, dont plus de 98 % de manière proactive.

Le rapport de transparence comporte aussi des données concernant les requêtes que nous recevons des autorités, pays par pays. Celles-ci nous saisissent via un portail dédié aux forces de l'ordre, en place depuis plusieurs années, qui permet de centraliser leurs demandes, de les qualifier, d'apprécier leur validité et de veiller au respect du cadre légal : nous ne souhaitons pas divulguer des données en réponse à des demandes illégitimes. Nous veillons à traiter le plus rapidement possible chaque demande. Ce portail fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, avec des personnes d'astreinte. Pendant la période qui nous intéresse aujourd'hui, les autorités ne nous ont pas signalé de points de blocage particuliers : ces systèmes ont fonctionné normalement. En France, sur l'ensemble de l'année 2022, toutes requêtes confondues, nous avons traité plus de 25 450 demandes. Sur la période de janvier à juin 2023, le chiffre dépassait les 12 000 requêtes. Pour le second semestre 2023, nous n'avons pas encore le chiffre exact. Le taux de conformité a dépassé 94 %.

Vous nous demandez des statistiques sur les contenus partagés liés aux émeutes. Nous ne mesurons pas ce type de contenus événement par événement, ou pays par pays, car nous nous concentrons sur les violations de nos politiques mondiales. Ces chiffres sont donc englobés dans les chiffres internationaux que nous publions tous les trimestres. Nous concentrons nos efforts sur un retrait aussi efficace et rapide que possible de tels contenus.

La société Bloom, citée par Jean-Noël Barrot, a révélé que l'activité sur les réseaux sociaux liée aux violences urbaines avait représenté un peu moins de 15 % de l'activité totale pendant cette semaine-là. Dans l'interview au journal Le Monde qui mentionnait cette étude, le ministre avait ajouté que les contenus appelant au calme qui avaient alors été partagés étaient huit fois plus nombreux que les contenus incitant à la violence. Les forces de l'ordre, avec lesquelles nous échangeons au quotidien, confirment qu'il n'y a pas eu une abondance de contenus violents ou haineux pendant cette période. Cela témoigne, sans doute, de l'efficacité des processus en place.

Pour conclure, j'évoquerai la réglementation. Le DSA impose aux plateformes de prendre des mesures, et de faire preuve d'une certaine transparence dans l'application de leur politique de modération. Les catégories retenues ne vont pas dans le détail d'événements spécifiques, pays par pays, et nous veillons à rendre compte en fonction des catégories exigées. Nous sommes très vigilants sur l'application de ce règlement.

Cela m'amène à évoquer l'article 5 du projet de loi Sren, qui concerne le bannissement des services numériques. Nous avions émis des réserves sur cette mesure, qui contreviendrait au principe de spécificité du DSA. La Commission européenne s'est fait l'écho de nos réserves, dans une lettre signée par le commissaire Thierry Breton. Au niveau national, il existe des possibilités très intéressantes pour mieux lutter contre ces phénomènes. Nous étions notamment très favorables à une proposition figurant à l'article 5 bis, qui consiste à introduire une amende forfaitaire dès la première infraction.

Mme Claire Dilé, directrice des affaires publiques de X (ex-Twitter) en Europe. - Twitter, désormais appelé X, reflète ce qui se passe dans le monde et donc les événements en cours, ainsi que leur évolution. Notre mission est de promouvoir et de défendre la conversation publique, ce qui a permis une libération de la parole dans plusieurs pays, sachant que notre plateforme est accessible à peu près partout dans le monde. Toutefois, notre service peut être utilisé de manière négative, et donc comporter des risques pour les utilisateurs. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place des règles strictes, claires et publiques, et que nous avons à coeur de les faire respecter. Nous nous conformons également à la réglementation existante en France et au niveau européen.

Je souhaite aborder trois points, qui correspondent aux éléments que nous avons partagés avec Jean-Noël Barrot au cours de l'été. Je commencerai par évoquer les dynamiques d'intégration sociale que nous avons pu observer au cours de ces événements, étant entendu que nous ne pratiquons pas de surveillance généralisée de notre service. Puis, je présenterai les mesures que nous avons mises en place en tant que plateforme. Enfin, je vous donnerai quelques chiffres, afin que vous puissiez estimer nos actions, en matière de modération proactive et de réponse aux réquisitions des forces de l'ordre.

Nous avons constaté un pic de conversations au début des violences, autour du 23 et du 24 juin 2023 - surtout le vendredi 24 et au début du week-end. Puis, progressivement et de façon graduelle, nous avons observé une diminution du nombre de contenus appelant des actions de modération parce que susceptibles de violer nos règles ou la loi française. La conversation sur Twitter a évolué du commentaire sur le décès de Nahel Merzouk à des commentaires politiques, en passant par des appels à la violence et d'incitations à la haine envers les émeutiers. Il y a notamment eu des appels à des rassemblements au cours desquels les violences ont été commises.

Je rappelle que nos règles proscrivent les appels à la violence, l'incitation à la haine, les discours de haine, la vente de biens et de service illégaux - notamment d'armes - ainsi que le harcèlement. De la même manière, nous modérons les contenus sensibles, choquants pour les utilisateurs. Nous répondons aux signalements reçus de la part de nos utilisateurs.

Nous répondons également aux réquisitions des forces de l'ordre, dans le cadre d'une coopération essentielle. Il s'agit soit de demandes de retrait de contenus, soit de demandes d'information sur des comptes d'utilisateurs qui ont pu commettre des violences, avec un mandat de réquisition, soit de demandes de préservation des données pour les besoins d'une enquête. Nous mettons à disposition des autorités un portail dédié, et nous avons une coopération opérationnelle dans ce cadre, notamment pour la remontée de certains cas prioritaires.

À la suite de la réunion du 30 juin 2023 avec les ministres de l'intérieur et du numérique, nous avons sensibilisé nos équipes sur l'importance du sujet, sur la situation en France et sur les risques encourus par les personnes sur le territoire, et nous avons alerté notre direction américaine, notamment Linda Yaccarino, la directrice générale, et Elon Musk, le propriétaire. Nous avons aussi fait évoluer certaines de nos règles relatives aux appels à des rassemblements pouvant déboucher sur des violences.

Nous avons également effectué un suivi proactif et évolutif de nombreux mots dièses liés aux événements, en nous concentrant sur des mots-clés comme Nahel ou les noms des villes concernées. Nous avons octroyé à la cellule de crise du ministère de l'intérieur, à titre exceptionnel, l'accès à notre portail réservé aux forces de l'ordre. Enfin, nous nous sommes tenus à la disposition des différents ministères et de Pharos, y compris pendant le week-end, qu'il s'agisse de notre directeur général ou de moi-même, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Pendant l'été, nous avons fait un point de suivi sur notre coopération opérationnelle pendant l'épisode des violences urbaines de juin avec les différentes entités des forces de l'ordre impliquées, afin d'effectuer un retour d'expérience et de discuter de possibles points d'amélioration, tant sur le taux de réponse aux réquisitions que sur des points de coopération plus opérationnels.

Pour lutter contre la désinformation, nous avons procédé à la labellisation de médias synthétiques et manipulés. Un faux communiqué de presse du ministère de l'intérieur avait circulé sur X. Nous avons pu l'identifier, le labelliser en indiquant très clairement qu'il s'agissait d'un faux et répliquer cette identification sur 84 tweets. Nous avons également vu que notre outil « community notes », alors simplement ouvert à contribution en France, a permis de contextualiser de nombreux contenus. Je donnerai deux exemples, mais il y en a davantage.

Sur le premier contenu, on voyait un tireur embusqué, un « sniper », sur un toit de Paris, mais celui-ci n'utilisait pas un fusil à pompe, et un expert en armes a pu spécifier qu'il ne s'agissait pas d'un vrai fusil. Sur le second, une scène du film Fast and Furious avait été reprise dans le contexte des émeutes. Nous l'avons contextualisée. Enfin, nous avons certifié plusieurs comptes gouvernementaux, afin que ceux-ci puissent avoir un accès facilité à l'Application Programming Interface (API) de Twitter au cours des violences.

La modération proactive nous a conduits à intervenir sur des centaines de contenus. Si les émeutes ont été un phénomène important, nous avons constaté moins de violations des règles que ce à quoi nous aurions pu nous attendre. Nous avons suspendu 39 comptes de manière permanente, et labellisé 84 tweets comme médias synthétiques et manipulés.

Entre le 27 juin et le 7 juillet 2023, nous avons répondu à 64 demandes d'information de la part des forces de l'ordre françaises et à sept demandes d'urgence en lien direct avec les émeutes. Dans ces derniers cas, nous n'attendons pas un mandat des forces de l'ordre pour donner les informations sur un utilisateur, parce qu'il y a un risque pour l'intégrité physique ou la vie d'une personne. Le taux d'action positive en réponse à ces réquisitions est de 87,5 %, et le délai d'action est à peu près d'une semaine.

Nous n'avons pas reçu de demande de préservation des données. De telles demandes nous permettent de préserver des données pendant plus de 90 jours, dans le cadre du RGPD. Nous n'avons pas fait de communication proactive sur ce que nous avons pu observer sur notre plateforme. Enfin, nous avons reçu 485 demandes de retrait et notre taux d'action a été de 67,9 %, sachant que 68 tweets ont été retirés spontanément pas leurs auteurs. Nos délais d'intervention étaient de quelques heures.

Pour l'année 2023, nous avons reçu 2 095 demandes de retrait, et notre taux d'action a été de 62 %. Nous avons reçu 4 461 demandes d'information, avec un taux d'action de 41,8 %.

M. Éric Garandeau, directeur des affaires publiques de TikTok en France. -Sur la plateforme TikTok, qui a désormais six ans, les utilisateurs viennent se divertir, s'informer, mais aussi présenter une passion ou découvrir un métier. Nous faisons vivre de plus en plus de personnes : une étude récente montre que TikTok a contribué à la création de 12 000 emplois, pour une activité de 1,4 milliard d'euros en France.

Nos règles sont assez similaires à celles qui ont été exposées par mes collègues. Nous proscrivons tous les contenus violents, haineux, antisémites, racistes, les appels à la dégradation de biens ou à s'en prendre à autrui, en tant que personne physique, en tant que groupe d'individus, ou à s'en prendre à l'autorité publique ou à des administrations.

Nous portons aussi une attention toute particulière aux utilisateurs mineurs de la plateforme. Nous essayons d'avoir le moins possible d'utilisateurs de moins de 13 ans, qui est l'âge limite pour entrer sur la plateforme. Pour les jeunes entre 13 et 18 ans, nous filtrons ce qu'ils peuvent voir. La plateforme n'offre que des fonctionnalités réduites aux 13-16 ans. Par exemple, ils n'ont pas de messagerie et leurs comptes sont privés par défaut.

Les émeutes sont arrivées dans la rue d'abord, et ensuite sur les plateformes. Celles-ci sont simplement des miroirs de la société, ni plus ni moins. On utilisait autrefois le téléphone, la télévision, la presse. Aujourd'hui, on utilise les plateformes pour s'informer et aussi, largement, pour appeler au calme, ce qui est rassurant, même si des minorités cherchent à mettre de l'huile sur le feu.

Dès que nous avons vu survenir les difficultés, nous avons mis en place une équipe spéciale, composée de treize personnes à temps plein, chargée spécifiquement de veiller sur ce qui se passait en France. Plusieurs départements de TikTok sont intervenus, notamment notre entité Trust and Safety, qui met en oeuvre les recommandations législatives, comme le DSA, et compte environ 40 000 personnes, dont 682 modérateurs en langue française. L'équipe spéciale s'efforçait de détecter des tendances, pour anticiper, et de vérifier les faits, tout en faisant de la veille sur les autres plateformes.

Nous avons coopéré activement avec le Gouvernement et participé à toutes les réunions. Dès le 30 juin, le ministre de l'intérieur nous a demandé de porter une attention particulière sur ce qui allait arriver au cours du week-end. Nous avons eu aussi des échanges réguliers avec le cabinet de Jean-Noël Barrot, le ministre chargé du numérique.

Pour détecter ces contenus, nous appliquons d'abord nos règles générales, au moyen de la modération automatique. Une intelligence artificielle passe en revue toutes les publications en permanence pour détecter tout ce qui peut être gênant : violence, incitation à la violence, incitation à la dégradation de biens... Nous avons ainsi pu modérer les images des faits survenus entre la victime et le policier qui a été mis en accusation, déclencheurs des émeutes. Nous avons aussi vérifié tous les contenus qui pouvaient présenter des menaces envers le policier en question. Nous avons retiré tous les contenus qui montraient des pillages, et ceux qui étaient générés par de l'intelligence artificielle et représentaient la victime ou le policier accusé.

Nous avons veillé à nous coordonner à la fois sur les vidéos et sur les contenus en direct, qui peuvent poser des problèmes et auxquels nous avons porté une attention particulière. Nous surveillons certains mots-clés, mais les utilisateurs, qui se savent sous surveillance, rivalisent d'ingéniosité pour faire passer des messages. Certains insèrent le mot-clé dans leur biographie, par exemple, ou y fixent les rendez-vous. Nous nous sommes toutefois efforcés de bloquer les informations sur des lieux et des horaires de rendez-vous en vue de la réalisation d'actions violentes, grâce à une équipe supplémentaire focalisée sur ce point. Nous avons notamment empêché l'utilisation du moteur de recherche de TikTok pour chercher des événements ou des lieux précis, où se déroulaient les émeutes.

Nous avons vu émerger de nouvelles tendances après le premier week-end, qui a été très violent. Certaines vidéos affirmaient que l'état d'urgence avait été déclaré, ou montraient des actions de destruction de biens ou de vol à l'étalage qui s'étaient produites le week-end. Nous avons veillé à éliminer ces contenus. Pour lutter contre la désinformation, nous nous reposons sur des vérificateurs de faits indépendants, notamment l'Agence France Presse (AFP). Nous avons reçu des rapports d'actualité flash de l'AFP sur toutes les dernières tendances en matière de désinformation, qui nous permettaient d'être proactifs en matière de veille sur TikTok.

Nous pouvons caractériser toutes les vidéos retirées comme de l'incitation à la violence, mais il est difficile de vous donner des chiffres exacts sur le nombre de contenus concernant les émeutes par rapport à ce qui relève d'une forme de violence habituelle. Les vidéos qui ont été retirées en application de nos règles contre les défis dangereux, la désinformation, les contenus choquants ou visuellement explicites, les comportements violents ou les activités criminelles, entre le 15 juin et le 31 juillet 2023, sont au nombre de 190 841. Le nombre de contenus détectés et retirés automatiquement fut de 81 285, et le nombre de contenus détectés et retirés manuellement, après signalement, a été de 109 556.

Par ailleurs, 3 161 vidéos supplémentaires ont été repérées en dehors de la modération ordinaire et retirées. Pour 975 vidéos, les conséquences ont été, soit un avertissement à l'utilisateur, soit une non-éligibilité au fil « Pour toi », ce qui permet de freiner fortement la diffusion. Enfin, de nombreux comptes ont été interdits, notamment pour commerce illégal de mortiers d'artifice.

S'agissant de la coopération avec les forces de l'ordre et le Gouvernement, nous avons reçu 33 réquisitions, ayant bénéficié d'un traitement accéléré - 1 heure et 30 minutes - du fait du contexte.

Pour conclure, les réseaux sociaux sont les miroirs de la société : au moment des faits, tout le monde s'interrogeait ; la plupart des personnes ayant utilisé TikTok l'ont fait pour partager ou visionner des contenus à caractère informatif. C'est un rôle important des plateformes !

Mme Sarah Bouchahoua, responsable des affaires publiques de Snapchat. - Créée en 2011, Snapchat est une plateforme de communication visuelle dont l'objectif est de reproduire les interactions quotidiennes entre parents et amis. Elle a été conçue de sorte que la compétition entre utilisateurs, que ce soit par le nombre d'abonnés, de like ou la mise en avant de contenus sensationnels, ne l'emporte pas face à l'authenticité et la protection de la communauté. Vie privée et confidentialité par défaut en sont les deux principes fondamentaux. En conséquence, nous n'utilisons pas de diffusion en direct (live streaming) et ne permettons pas le partage en masse de contenus de manière incontrôlée ou non vérifiée.

Snapchat a suivi heure par heure le déroulé des événements afin de prendre toute mesure adéquate, proportionnée et nécessaire pour protéger la communauté. Nous avons mobilisé une équipe de plus de 100 personnes, issues de différents services et localisées partout dans le monde, avec deux points d'appui à Paris et Londres. Bien que l'équipe ait été multilingue, seul l'usage du français a été nécessaire pour vérifier l'ensemble des contenus signalés.

Notre approche s'est articulée autour d'une modération rapide et efficace des contenus signalés ; du maintien d'échanges fluides et continus avec les autorités publiques ; d'un traitement prioritaire des requêtes et demandes d'informations. Nous avons répondu dans les plus brefs délais aux demandes émanant des autorités françaises, et avons participé à toutes les réunions organisées par le ministère de l'intérieur, le ministère chargé du numérique ou encore le groupe de travail parlementaire transpartisan sur les émeutes.

S'agissant de la modération des contenus, comme je l'ai indiqué, notre principe de confidentialité et sécurité par défaut constitue un rempart structurel contre toute diffusion massive, virale et incontrôlée de contenus illicites. La plateforme Snapchat n'est en réalité pas adaptée aux contenus politiques ou militants. L'incitation à la violence et à la haine y est explicitement interdite par les règles communautaires, avec un mécanisme de signalement mis à disposition des utilisateurs, mais aussi des non-utilisateurs par le biais du site support.

Notre modération repose sur une approche proportionnelle, protectrice des droits fondamentaux - comme la liberté d'expression et la liberté d'information - et essentiellement humaine. Ainsi, à notre connaissance, aucun contenu lié aux émeutes n'a été détecté ou retiré de notre plateforme de manière automatique, sans intervention humaine.

J'en viens à la collaboration avec les forces de l'ordre. Un canal prioritaire a été mis en place avec les autorités françaises afin de retirer le plus rapidement possible tout contenu illégal et répondre tout aussi rapidement aux réquisitions judiciaires. Snapchat a facilité les demandes émises par Pharos, ainsi que la transmission d'informations sensibles demandées par le ministère de l'intérieur.

Sur la dynamique des émeutes, je rejoins les précédents propos : les signalements ont faibli à partir du troisième jour, le vendredi 30 juin 2023. Nous avons par ailleurs constaté que nos efforts en matière de diligence de traitement et de modération portaient leurs fruits, plusieurs manifestants ayant proposé des migrations vers d'autres réseaux sociaux plus complaisants.

En tant que plateforme en ligne, nous sommes conscients de l'impact de cette nouvelle forme de communication au sein de la société. Estimant avoir fait tout notre possible en matière de protection des droits de nos utilisateurs et des valeurs démocratiques, nous estimons que toute modération doit se faire à la lumière de nos droits fondamentaux. Pour autant, les libertés d'expression, d'information et de conscience ne sont pas absolues : nos règles communautaires reflètent ainsi les limites inscrites dans les droits nationaux et internationaux. Elles ont été mises à jour récemment, après l'entrée en vigueur du DSA.

Le phénomène des émeutes s'est essentiellement concentré sur la carte (Map) et la messagerie privée. Cette dernière relevant du domaine des conversations privées, donc du secret des correspondances, il nous est impossible d'agir en l'absence de signalement d'un utilisateur ou d'une autorité.

En revanche, sur la partie Map, nous avons renforcé notre vigilance et notre modération, notamment sur les zones sensibles comme les banlieues de Paris, Marseille ou Toulouse. Pour rappel, cette fonctionnalité présente, sur une carte du monde entier, les publications (stories) publiques de nos utilisateurs. Elle n'offre pas de possibilité de diffuser des contenus en direct. Il s'agit de comptes rendus de terrain, mettant en avant des moments de vie de notre communauté. Je vous donnerai ultérieurement les chiffres, mais la différence entre signalements et retraits de contenus tient au fait que, comme indiqué par TikTok, la majorité de ces contenus avait pour but d'informer la communauté et ne comportait aucune infraction.

Par ailleurs, conformément aux articles 34 et 35 du règlement européen DSA, Snapchat, en tant que très large plateforme, a remis son premier rapport sur les risques systémiques à la Commission européenne. Le sujet des émeutes y est abordé et, à cette occasion, nous avons constaté que nos politiques et procédures ont correctement fonctionné.

Le besoin de répondre aux crises violentes est compréhensible, mais nous veillons à éviter toute censure proactive des contenus de notre carte dans les situations de crise : cela pourrait, d'une part, mettre en danger notre communauté dans des zones qui paraîtraient sûres parce que nous aurions de nous-mêmes supprimé des contenus et, d'autre part, porter préjudice à la protection des droits fondamentaux.

En revanche, la coopération avec les parties prenantes externes nous semble essentielle pour travailler à l'atténuation des risques. C'est pourquoi notre entreprise a signé plusieurs codes volontaires aux niveaux national et international, et s'engage activement dans les discussions internationales sur le développement des bonnes pratiques. Nous poursuivons nos efforts de surveillance, de minimisation des risques et de mise en place de processus efficaces.

Quelques chiffres, pour finir, que je vous communique à titre confidentiel et avec les mêmes précautions que mes prédécesseurs, à savoir qu'il est difficile d'établir le lien direct entre les contenus violents et les émeutes. Ces chiffres sont les suivants : 17 340 signalements durant cette période ; 2 007 contenus supprimés en conséquence et près de 50 utilisateurs ayant fait l'objet d'une suspension de compte. Enfin, dans les deux semaines ayant suivi les émeutes, nous avons comptabilisé environ 95 requêtes judiciaires émanant des autorités judiciaires, que nous avons traitées dans les heures ou minutes ayant suivi.

Mme Corinne Narassiguin. - Nous comprenons votre souci de préserver votre modèle économique et de trouver l'équilibre entre liberté d'expression et respect des réglementations, celles-ci étant plus strictes en Europe par rapport au reste du monde, et en France par rapport au reste de l'Europe. Pouvez-vous vraiment, en tant qu'organisations globales, vous adapter aux demandes spécifiques françaises ?

J'entends l'argument concernant le caractère informatif des vidéos et, sur ce fondement, la difficulté pour vous de les retirer. Mais on ne peut pas non plus faire comme si la diffusion instantanée de cette information sur les réseaux sociaux n'avait pas eu d'effet de contagion, d'émulation. Cet élément nous fait passer dans une autre dimension au regard d'émeutes ayant eu lieu par le passé en France.

Au-delà, on sait aussi que de nombreuses organisations ont été mises en place au travers de messageries privées. Je pense, par exemple, à des groupes de jeunes de mon département de la Seine-Saint-Denis qui se dispersaient à l'arrivée des forces de l'ordre pour se reformer ailleurs grâce à des boucles WhatsApp. Notre protection en la matière n'est pas très bonne, avec un cadre juridique sinon inexistant, du moins peu efficace.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Pendant ces événements importants, avez-vous constaté une augmentation anormale des flux sur vos réseaux ?

Mme Audrey Linkenheld. - Ma question s'adresse à la représentante de X. Vous avez expliqué avoir reçu environ 4 000 demandes d'information, avec un « taux d'action », pour reprendre vos termes, de 41 %. Ce taux ne me paraît pas très élevé. Comment expliquez-vous sa faiblesse ?

Mme Béatrice Oeuvrard, responsable des affaires publiques de Meta France. - Nous n'avons pas recensé de pic d'activité sur nos plateformes, que ce soit Facebook ou Instagram. Cela rejoint un rapport commandé par le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur, montrant la très faible utilisation des plateformes par les auteurs de violences urbaines : le taux est de 1 % pour WhatsApp, 0,6 % pour Facebook et 2 % pour Instagram.

Par ailleurs, nous appliquons le droit français à bien des niveaux. Avant même le DSA, nous nous conformions à des dispositifs français, tels que la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) ou encore la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. En tant que plateforme globale, nous recherchons une harmonisation, mais nous savons nous adapter aux spécificités locales.

Concernant spécifiquement WhatsApp, des réglementations s'appliquent déjà : le code de la sécurité intérieure, le code des postes et communications électroniques, la directive ePrivacy du 12 juillet 2002. Parmi les 25 000 requêtes citées précédemment, une bonne partie concerne cette plateforme : nous sommes effectivement en mesure de transmettre des métadonnées et, sur cet aspect précis, WhatsApp ne diffère pas des autres. Nous avons également pris des mesures pour limiter les effets de bord, comme l'impossibilité d'avoir des groupes de plus de 1 025 utilisateurs. Toutes les plateformes ne font pas ces efforts !

Mme Élisa Borry-Estrade. - Je précise que ce nombre de 25 000 correspond au nombre de requêtes reçues sur une année, uniquement en France.

Mme Béatrice Oeuvrard. - En 2016, le nombre de réquisitions s'élevait à 9 000. Ce nombre ne cesse donc d'augmenter, pour un taux de conformité atteignant 84 %. Les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas délivrer les informations demandées sont le plus souvent une adresse erronée, une adresse située hors de France ou un compte supprimé.

Mme Claire Dilé. - Pour compléter les propos précédents, le fait d'être une entité globale avec des règles de fonctionnement s'appliquant sur l'ensemble de la plateforme ne nous empêche pas de nous conformer aux réglementations européenne et française. Un contenu considéré comme illégal en France sera retiré sur le seul territoire français. Avec l'entrée en vigueur du DSA, nous avons aussi créé un formulaire permettant de signaler un contenu contraire à la législation européenne, auquel cas la suppression s'appliquera sur la totalité de ce territoire.

Par ailleurs, nous sommes conscients du phénomène d'émulation. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons pu modifier notre façon de modérer des contenus appelant à se rassembler au moment de la crise. Considérant que de tels rassemblements, dans le contexte particulier de la France à ce moment-là, pouvaient conduire à des phénomènes de violence, nous avons fait pencher notre curseur un peu plus vers la sécurité et un peu moins vers la liberté d'expression.

Je ne reviens pas sur la question de la messagerie privée, la réponse donnée ayant été très exhaustive.

S'agissant du taux d'action de 41 %, il arrive parfois que nous manquions d'éléments de contexte pour pouvoir donner une réponse positive. Nous travaillons avec les forces de l'ordre de manière très décentralisée et elles-mêmes n'ont pas toujours des demandes parfaitement contextualisées. Par ailleurs, sur un plan opérationnel, deux éléments-clés vont déterminer notre réponse : le lien de rattachement à la sécurité nationale et le lien de rattachement au pays. Enfin, nous n'avons pas toujours les bonnes informations de compte pour nous permettre de remonter à l'utilisateur : les forces de l'ordre nous communiquent un nom affiché en ligne (displayname), par exemple, ce qui n'est pas forcément la carte d'identité sur X. Par souci de transparence, nous comptabilisons toutes les réponses négatives, même si cela réduit notre taux de conformité, et nous dialoguons avec les différents services pour améliorer nos résultats.

S'agissant du flux des événements, le sujet a été largement au centre des discussions sur X au cours de la semaine, ce qui n'est pas anormal pour une plateforme de conversation publique.

Mme Béatrice Oeuvrard. - Concernant les propositions, nous nous sommes étonné que le groupe de contact permanent mis en place à la suite des attentats de 2015 et piloté par le ministre de l'intérieur n'ait pas été réuni de nouveau. C'est dommage de ne se voir qu'en temps de crise, alors qu'un tel groupe peut permettre un sérieux travail en amont.

Mme Sarah Bouchahoua. - Effectivement, malgré l'annonce de Jean-Noël Barrot et Gérald Darmanin, le groupe de contact permanent ne s'est pas réuni. Or, il faut travailler, surtout avec l'arrivée des jeux Olympiques et Paralympiques qui suscite certaines craintes. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un travail collectif réunissant, certes, les plateformes, mais aussi les autorités, les représentants de la société civile et les citoyens eux-mêmes. Prenons l'exemple des amendes forfaitaires - projet engagé, mais non abouti. Nous pensons, au sein de Snapchat, qu'un acteur malveillant le restera jusqu'à ce qu'il soit condamné ; si nous bannissons son compte de notre plateforme, il changera simplement de réseau social, pour une plateforme plus complaisante. Pourquoi, donc, ne pas travailler sur cette idée d'amende forfaitaire pour tenter d'éduquer, de sensibiliser et, surtout, de condamner ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Merci de votre participation.

VI. MARDI 16 JANVIER 2024 - AUDITION DE MM. FABIEN JOBARD, SEBASTIAN ROCHÉ, DOCTEURS EN SCIENCE POLITIQUE ET DIRECTEURS DE RECHERCHE AU CNRS, ET MARWAN MOHAMMED, DOCTEUR EN SOCIOLOGIE ET CHARGÉ DE RECHERCHE AU CNRS

M. François-Noël Buffet, président. - La mission d'information mise en place par la commission des lois, dotée de pouvoirs d'enquête, a pour objectif d'analyser les émeutes de l'été 2023. Notre travail porte sur les fonctions régaliennes que sont la sécurité et la justice, mais nous souhaitons élargir notre compréhension des événements et, le cas échéant, aboutir à des propositions législatives ou réglementaires à partir des constats que nous dressons.

C'est la raison pour laquelle nous recevons aujourd'hui Sebastian Roché, docteur en science politique, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et enseignant à Sciences Po Grenoble, Fabien Jobard, docteur en science politique, directeur de recherche au CNRS et Marwan Mohammed, docteur en sociologie, chargé de recherche au CNRS.

M. Sebastian Roché, politiste. - Mon travail de recherches m'a conduit à étudier les émeutes de 2005, au sujet desquelles j'ai produit un rapport, avec un administrateur de l'Insee et un gendarme détaché. Aujourd'hui, j'ai choisi un angle restreint pour ma présentation : le rôle de la police dans le déclenchement des émeutes et dans leur résorption.

La France est, avec la Grande-Bretagne, le pays d'Europe qui a connu le plus d'émeutes. Elle est également la seule à connaître des émeutes nationales, qui échappent au périmètre d'une commune. Avec les États-Unis, ces pays sont les trois pays occidentaux à connaître des émeutes, bien que leurs modèles de société soient très différents. Ainsi, ce sont les pratiques, les situations d'interaction, et non pas les modèles, qui engendrent ces événements. Il existe deux grands mécanismes de déclenchement. Le premier est direct, causé par des brutalités policières ou par un décès au cours d'une opération de police, qui produit un choc moral important, avec une identification au profil de la personne tuée. On est particulièrement affecté si l'on connaît personnellement cette personne ou si l'on appartient au même groupe socio-professionnel ou ethnique qu'elle. Le second grand mécanisme est indirect : il s'agit d'une accumulation de frustrations, strain en anglais, qui engendre une diminution de la confiance dans la police, laquelle devient elle-même un facteur de déclenchement, en perdant l'autorité morale qui devrait lui permettre de freiner les émeutes.

Qu'est-ce qu'une émeute ? Les événements nationaux de 2005 ou de 2023 en France, voire de 1992 à Los Angeles, sont parfaitement repérables, mais il existe des phénomènes d'intensité moindre. J'avais proposé de définir une émeute par la concentration suffisante, dans le temps et l'espace, de destructions et de dégradations. Ainsi les émeutes, comme les marées, sont des phénomènes de type continu, les destructions et les dégradations étant permanentes. En recensant sur des graphiques le nombre de véhicules brûlés par jour dans différents départements, on retrouve le même cycle temporel : un cycle court de cinq à sept jours, probablement lié à la fatigue des émeutiers. Ce phénomène d'épuisement se retrouve dans tous les pays. En ce qui concerne les émeutes de 2005, les données ont été analysées par des chercheurs canadiens. On peut observer que les mesures exceptionnelles prises par le gouvernement de l'époque, notamment l'état d'urgence, n'ont pas eu d'effet sur la dynamique temporelle. En revanche, ces émeutes ont entraîné une augmentation durable de la délinquance, produisant des effets de long terme sur la sécurité des citoyens.

S'agissant du déclenchement des grandes émeutes, il est toujours associé aux brutalités policières ou à des actions de police agressives. Une telle régularité indique un lien de causalité : les brutalités policières sont un déclencheur, lié à la fonction symbolique de la police dans la société. Quelle que soit son ampleur, le fait que la police tue quelqu'un qui n'est pas armé et dont le prénom évoque une origine étrangère est propice au démarrage d'une émeute. La situation en France au cours des trente dernières années le démontre empiriquement. Cela nous permet de comprendre qu'il existe des variables structurelles au plan socio-économique, mais aussi au plan institutionnel, c'est-à-dire liées au fonctionnement normal des institutions.

J'en viens au second mécanisme de déclenchement des émeutes, à savoir le phénomène de frustration. Celui-ci est souvent lié aux contrôles d'identité répétitifs et discriminatoires.

En 2016, nous avons mené une enquête dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons observé que, dès 12 ans, les contrôles d'identité sont particulièrement ciblés sur les minorités, dans les zones du ressort de la police et non pas de la gendarmerie. Ces contrôles sont de nature à accroitre les tensions et à créer un climat inflammable. L'affaire Théo s'est produite au moment où était réalisée une grande enquête sociale européenne. Il a été possible de comparer l'opinion de la population les jours ayant précédé l'affaire avec leur opinion les jours suivants, et nous avons constaté que, dans la population générale, ce type d'événement réduit la confiance en la police. Ce phénomène de décrue de la confiance est encore plus fort au sein des minorités, c'est-à-dire dans les groupes qui s'identifient avec la personne qui a été gravement blessée.

Selon le modèle flash point - ou modèle éclair - proposé par un collègue britannique, il convient de combiner différents événements pour comprendre le déclenchement des émeutes, en distinguant, d'un côté, les événements liés à la marginalisation socio-politique des individus ou des territoires et, d'un autre côté, des tactiques policières agressives, sous le gouvernement de Margaret Thatcher, dans les années quatre-vingt ou de Nicolas Sarkozy, plus récemment. Je le précise, le phénomène est double : ce n'est pas la même chose d'être blanc ou noir et d'habiter un quartier où il y a beaucoup de blancs ou de noirs ou de pauvres.

Je pense que ce modèle s'applique pour les émeutes de 2023, pour lesquelles nous ne disposons pas encore de toutes les données.

M. Fabien Jobard, politiste. - J'ai travaillé sur les questions policières de manière quantitative et qualitative, notamment en participant à des équipages de police dans des zones urbaines de la grande périphérie parisienne. J'ai aussi pris part à ce qu'on appelle des observations participantes du côté de jeunes de la grande banlieue parisienne qui se disaient victimes de brutalité et d'abus d'autorité de la part de la police. S'agissant de la temporalité des émeutes et des cycles émeutiers, j'insiste sur le fait que, en 2005, il y avait eu deux déclencheurs au cours d'un même cycle d'événements : la mort de deux mineurs dans un transformateur électrique et le lancer d'une grenade lacrymogène dans un lieu de prière à Clichy-sous-Bois. Ce deuxième événement avait constitué le flash point de la diffusion nationale des émeutes. En 2023, nous avons assisté à un déclenchement simultané d'événements violents dans un plus grand nombre de villes, qui ont eu lieu dans un plus grand nombre de régions, quelques heures seulement après la diffusion d'une vidéo.

Au chapitre de la comparaison entre les émeutes de 2005 et celles de 2023, un deuxième point mérite d'être rappelé. Sebastian Roché et moi-même sommes tous deux docteurs en sciences politiques ; en tant que tels, nous sommes attentifs à ce qui se joue sur la scène politique. En l'espèce, les réactions politiques, notamment gouvernementales, auxquelles on a assisté dans les heures qui ont suivi les événements ont été radicalement différentes en 2005 et en 2023. Nicolas Sarkozy et un certain nombre de ses conseillers n'ont pas du tout joué l'apaisement après la mort des deux enfants en 2005 : le politique n'a pas eu à coeur de tempérer, même si d'autres membres du Gouvernement, à l'époque, défendaient une autre ligne, à commencer par Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances. En 2023, au contraire, l'unanimité s'est faite, au sein de la représentation parlementaire comme au Gouvernement, pour condamner le geste policier. Or cela n'a eu aucun effet sur les comportements observés. On mesure ainsi à quel point une certaine fraction de la jeunesse est particulièrement sensible aux actions des forces de l'ordre - police nationale, gendarmerie, police municipale - et ne l'est pas du tout à ce qui est dit par les représentants politiques. Ce phénomène signe la distance considérable qui sépare ces deux mondes.

J'en viens à un troisième point, relatif à la géographie européenne des émeutes. Sebastian Roché a évoqué les émeutes de dimension nationale, qui se diffusent dans plusieurs communes simultanément. Or les pays ouest-européens qui ont été touchés par des phénomènes émeutiers ces vingt dernières années ont été la France, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas, autrement dit des pays postcoloniaux, dont une partie de la population est issue des anciennes colonies. Une exception à cela : la Suède connaît des phénomènes émeutiers depuis une quinzaine d'années et n'a pas eu de territoires coloniaux. Cette dimension du problème contribue à la politisation et à la radicalité de l'expression politique des jeunes dont nous parlons dans ces pays.

En quatrième lieu, j'insisterai sur le fait que nous ne disposons que de très peu de recherches sur les émeutes de 2023. Lors d'une précédente table ronde, Antoine Jardin vous a apporté quelques éléments quantitatifs, mais ceux-ci sont encore fragiles. La variable à expliquer, l'émeute, n'est pas donnée : ce n'est pas une variable du même type que la température extérieure, par exemple, telle que la mesure Météo-France. Ce qui constitue une émeute quelque part ne l'est pas forcément ailleurs. Dans certaines communes de Seine-Saint-Denis, on peut très facilement dissimuler des feux de poubelle ou de véhicules. Dans une ville du Loiret, on le peut beaucoup plus difficilement, parce qu'il y a un intérêt à faire valoir qu'une ville est à l'écart des zones d'intervention des brigades territoriales de gendarmerie ou que le commissariat y manque d'effectifs. La presse régionale est de toute façon attentive à des phénomènes qui apparaissent dans ce genre d'endroits comme exceptionnels. En tout état de cause, la géographie des émeutes reste relativement incertaine, même si l'on sait qu'elles ont touché en priorité les villes de plus de 50 000 habitants, qui pour la plupart comprennent sur leur territoire des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), donc des quartiers pauvres, puisque le zonage QPV repose désormais sur des critères qui ont trait exclusivement au revenu.

J'en reviens à l'enjeu de l'identification des populations qui ont pris part aux émeutes. Qui sont les émeutiers ? Il s'agit généralement des populations jeunes, masculines et urbaines. Nous avons quelques sources d'information qui permettent d'affiner l'analyse. Le rapport réalisé conjointement par l'inspection générale de l'administration (IGA) et par l'inspection générale de la justice (IGJ) a néanmoins l'immense défaut de ne porter que sur les personnes qui ont été interpellées. Il existe un delta, une distorsion, entre la composition de la population interpellée et la composition de la population émeutière : on peut raisonnablement supposer que, dans les moyens qu'ils mettent en oeuvre, les participants les plus actifs aux émeutes anticipent le risque d'être interpellé, ce que fait beaucoup moins aisément le pillard opportuniste. J'ai toutefois retenu deux données majeures dans les dossiers dépouillés par l'IGJ : la part très importante de majeurs non diplômés, c'est-à-dire sortis du système scolaire sans diplôme - 30 %, un taux deux fois supérieur à celui que l'on observe en population générale -, et la proportion très importante également - 40 % - au sein de la population interpellée et diplômée, de titulaires de diplômes inférieurs au baccalauréat, certificat d'aptitude professionnelle (CAP), brevet d'études professionnelles (BEP), brevet des collèges. Il s'agit donc de populations qui sont, de ce point de vue, à la marge de notre société. Si l'on en croit les premières analyses exploratoires menées pour décrire le profil des émeutiers, celles que l'on doit notamment à Hugues Lagrange, il semble que les variables sociales, diplôme et catégorie de revenu, l'emportent sur les variables migratoires : la proportion d'immigrés sur un territoire ne semble pas corrélée avec la variable dichotomique relative à la survenue ou non d'une émeute sur le même territoire. Ces résultats sont fragiles et mériteraient d'être approfondis, mais il est clair qu'en l'espèce nous touchons à des questions qui ne peuvent être saisies que par la statistique.

Ces résultats m'amènent à la question des contrôles d'identité. Posons quelques repères temporels : la société française se saisit du problème de l'insécurité à la fin des années 1970, il y a donc plus de deux générations : le rapport Peyrefitte, Réponses à la violence, en 1977, précède la loi du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, dite Sécurité et liberté, qui consacre les contrôles d'identité ; en 1983 a lieu la marche pour l'égalité, entreprise par les enfants de l'immigration. Nous avons donc en France une histoire longue d'au moins quarante-cinq ans de problèmes urbains liés aux rapports d'une certaine jeunesse avec la police. Or, au fil du temps, cette jeunesse, sans être repérable par la statistique officielle, commence à faire corps, à former un groupe social. J'ai moi-même mené une enquête sur les contrôles d'identité à Paris, en cinq lieux différents : j'avais fait suivre des policiers sans qu'ils s'en rendent compte pour collecter les variables qui caractérisent les personnes contrôlées. Nous nous étions rendu compte que, dans les lieux où les personnes blanches sont minoritaires, elles sont sous-contrôlées par rapport à leur part dans la population disponible. Dans les lieux où elles sont très majoritaires, elles sont également sous-contrôlées. Autrement dit, la probabilité d'être contrôlé ne dépend pas du tout de la composition de la population disponible : elle dépend de la couleur de peau des individus. La couleur de peau n'est cependant pas le seul critère associé au contrôle : il faut y ajouter l'âge, le sexe et l'accoutrement vestimentaire. Quand vous cumulez les quatre variables que sont « jeune », « homme », « non-blanc » et « habillé de manière typiquement jeune » - jogging, baskets, casquette ou capuche -, vous avez un risque d'être contrôlé qui est démesuré. Lorsque pendant quarante-cinq ans un acte de la puissance publique, en l'occurrence des forces de l'ordre, s'adresse systématiquement aux mêmes populations, et que de surcroît ces populations - par les émeutes, par le rap, par tout un ensemble de pratiques - décrivent ces phénomènes et ce qu'elles perçoivent comme une non-réponse à ces phénomènes, alors un sentiment d'appartenance finit par se créer : une population invisible dans la statistique publique va prendre une réalité substantielle. C'est cette population de jeunes urbains surexposés à la tension policière qui est au coeur des émeutes.

Je veux également appeler votre attention sur la réponse des pouvoirs publics dans les mois qui ont suivi l'émeute, qui m'apparaît tout à fait singulière. Lorsqu'il y a eu une grande vague d'émeutes urbaines aux États-Unis au milieu des années 1960, le président Lyndon Johnson a réuni une commission dite Kerner, du nom de son président, qui a conclu que les émeutes étaient dues, dans l'écrasante majorité des cas, à l'abus de force par les policiers, conclusion confirmée par la commission Katzenbach. Le président Lyndon Johnson a considéré que l'organisation policière était un problème. Des centaines de millions de dollars ont été consacrés aux universités et aux centres de recherche pour travailler à l'amélioration de la police, et des approches du type problem-solving policing et community policing, ce que l'on appelle chez nous des programmes de « police de proximité », ont prospéré. On a tenté de réformer la police ; quant à savoir si l'on a réussi ou échoué, c'est une autre question. En tout cas, les actions policières ont fait l'objet, à l'époque, d'une politique publique : elles ont été considérées comme un problème public.

A contrario, dans la réaction du gouvernement français telle qu'elle s'est exprimée à la fin du mois de septembre et au début du mois d'octobre 2023, la police n'est plus à l'agenda, pas même l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, dont on pourrait estimer, sous réserve de ce qu'en diront les juges, qu'il a pu jouer un rôle déclencheur du tir policier. La politique de la ville, les structures parentales, l'école et l'autorité ont été mises à l'index ; mais la police quant à elle, a disparu de l'agenda. D'une certaine manière, c'est logique : puisque l'émeute a été la réponse majeure apportée à l'événement, la police a bien sûr été restaurée dans son rôle de rétablissement de l'ordre, ce qui a rendu d'autant plus difficile la critique de la police par le politique. Mais voilà qui renforce le sentiment, au sein de cette population particulière, que décidément les pouvoirs publics ne traitent pas la question qui la concerne et l'a conduite dans les rues lors de l'été 2023.

J'en viens à un dernier point, en commençant par rappeler que, contrairement à « destruction », à « dégradation », à « trafic de stupéfiants » ou à « atteinte à l'intégrité physique », « émeute » n'est pas une qualification pénale : sous ce terme, nous décrivons nombre de réalités différentes. Il est clair qu'ont coexisté deux modus operandi successifs : d'abord les affrontements contre l'autorité, dirigés contre les symboles de l'État, ensuite les pillages. Mais, à comparer les bâtiments publics respectivement pris pour cible en 2005 et en 2023, il apparaît, sous réserve d'une analyse plus fine, que les écoles et les bibliothèques ont été épargnées en 2023 : cette fois, les cibles se sont concentrées, de manière beaucoup plus violente et mieux équipée - des mortiers avaient été stockés en prévision du 14 juillet, phénomène bien connu en Alsace, mais aussi en Allemagne -, sur les bâtiments de police nationale, de gendarmerie et de police municipale.

C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec l'appréciation, que l'on trouve dans le rapport IGA-IGJ, selon laquelle la mort de Nahel Merzouk n'aurait qu'un poids modeste dans les motivations des émeutiers, conclusion tirée des procès-verbaux d'interrogatoire de police : les cibles des émeutiers nous renseignent suffisamment sur leurs motivations. Il faut bien admettre en effet que le rapport à la politique d'une fraction de la population française - urbaine, masculine, principalement issue des populations coloniales - est d'abord un rapport à la police et aux abus policiers. Cette question du rapport entre police et société est une des questions essentielles à traiter si l'on veut limiter la survenue de ce type d'événements à l'avenir.

M. Marwan Mohammed, sociologue. - En arrivant au Sénat, j'ai traversé la rue Monsieur-le-Prince, celle où fut assassiné Malik Oussekine. Après sa mort, de grandes manifestations, pour la plupart conventionnelles, avaient été organisées pour dénoncer les violences et les brutalités qui avaient abouti à ce décès. C'était dans les années 1980 ; nous sommes dans les années 2020, et nous nous demandons, dans le cadre de la présente mission d'information, ce qui a pu conduire au niveau d'intensité inédit observé à la fin du mois de juin. L'une des réponses est à trouver, précisément, dans le destin tragique de Malik Oussekine. Il y a deux points communs entre la mort de Malik Oussekine et celle de Nahel Merzouk : le profil racial - et non social : le premier était étudiant - de la victime ; le fait qu'elle a été tuée par un policier. J'ai moi aussi constaté que la réponse gouvernementale aux émeutes de juin, très rapide, n'avait mentionné d'aucune manière l'idée d'une éventuelle réforme de la police. Une simple réflexion sur les façons de faire qui sont les siennes dans notre pays n'a pas même été envisagée.

Je suis chargé de recherche au CNRS et au Centre Maurice Halbwachs. Je travaille essentiellement sur la rue et son fonctionnement, et plus particulièrement sur les sujets des bandes de jeunes, du trafic de stupéfiants, du grand banditisme. J'ai été amené à observer des personnes impliquées dans les émeutes de 2005, époque où je rédigeais ma thèse de doctorat. Je suis retourné sur le terrain après ce qui s'est passé en 2023, et j'ai interrogé deux types d'acteurs : tous les acteurs de l'éducation populaire, de l'intervention sociale, de la jeunesse, de la médiation et de la prévention spécialisée, c'est-à-dire tous les acteurs de terrain qui sont en proximité quotidienne avec la fraction de jeunes qui s'est engagée dans les émeutes de la fin juin ; mais également, à travers eux et via des contacts personnels, certains de ces jeunes, engagés dans un certain nombre de villes de l'Île-de-France uniquement. Cette construction de données et de connaissances est extrêmement précaire, mais ces réflexions provisoires se fondent sur une présence et sur une proximité de très long terme avec la fraction de la population dont nous parlons. De fait, la temporalité politique dans laquelle s'inscrit cette mission d'information n'est pas la temporalité scientifique, notamment dès lors que l'on s'engage dans une approche plus qualitative, voire ethnographique, pour accumuler des données. Mon propos portera surtout sur la question des émeutiers eux-mêmes et sur les rationalités qu'on leur prête dans le discours public. Il ne vous aura pas échappé que l'on plaque sur ceux que nous appelons « les émeutiers » une forme de rationalité, par inférence, en regardant les cibles, les dégradations, etc. Ce sont moins des « sujets parlés », c'est-à-dire des personnes auxquelles on va tendre le micro pour essayer de comprendre comment elles vivent ces émeutes. Il est intéressant d'observer que les rivalités qui peuvent exister entre bandes et entre quartiers sur certains territoires ont été mises entre parenthèses pendant les émeutes, avec des accords tacites entre jeunes de différents territoires pour arrêter momentanément de se faire la guerre et se concentrer sur l'affrontement avec les forces de l'ordre ou avec des représentants de l'État.

De mes recherches, mais également de la lecture d'un certain nombre de travaux, je tire le constat suivant : le fonctionnement des émeutes repose sur quatre types de rationalité, que l'on retrouve dans les motifs d'engagement. Les émeutes sont des phénomènes hybrides.

La première rationalité, qui semble absolument essentielle - celle dont parlent Sebastian Roché et Fabien Jobard -, est la dynamique de révolte. Ces phénomènes sont d'abord alimentés par une dynamique de révolte, de choc moral, d'indignation, qui repose sur un sentiment d'injustice. Je souscris aux propos de Sebastian Roché sur leurs motivations et leurs logiques de démarrage : le sentiment de révolte est la locomotive de ces émeutes. Nous n'avons jamais vu d'émeutes nationales débuter par autre chose, en tout cas pour ce qui est de ce public. Il n'est pas irrationnel - c'est au contraire tout à fait normal - que des jeunes issus des minorités ou de l'immigration se sentent le plus concernés par le contentieux politique, puisque ce sont eux qui ont le plus d'interactions avec la police : ils sont les plus exposés à des formes de contrôles d'identité répétés, de brutalité, de tutoiement, etc. Cependant, j'aimerais que l'on ne réduise pas ce sentiment d'injustice à la question des interactions avec la police. Quand on leur tend le micro, ces jeunes parlent des interactions avec la police, mais celles-ci ne sont en quelque sorte que le déclencheur d'un sentiment d'indignation, de gêne, d'injustice, qui se nourrit plus globalement du climat politique, des discours publics tenus à leur égard et à l'égard de leurs parents et, parfois, du traitement que certaines institutions réservent à leurs proches.

La deuxième logique de l'engagement dans ces mobilisations, qui n'est pas contradictoire avec la première, est une dimension ludique : la révolte, la colère, l'indignation n'empêchent pas de rendre l'exercice ludique et de l'alimenter par des formes d'excitation, de compétition honorifique, d'adrénaline, de recherche d'un sentiment d'exister. Cela est amplifié par ce que permettent les outils numériques aujourd'hui. Il est frappant que ces outils permettent de diffuser des agissements, de les rendre viraux et d'accéder à des formes de gratification importantes, tout en manifestant sa colère. J'ai été frappé par la multiplication, notamment sur les réseaux sociaux Snapchat ou TikTok, mais aussi sur d'autres vecteurs numériques, de fausses vidéos. Durant cette période, nombre de jeunes ont repris sur internet des vidéos spectaculaires, montrant des tireurs d'élite, des bazookas, des armes de guerre lourdes, et y ont accolé le nom de leur quartier ou de leur ville. Une vérification permettait de se rendre compte que ces vidéos avaient été tournées pendant la guerre civile en Syrie ou encore en Amérique latine. Cette démarche montre bien à quel point la compétition honorifique s'est greffée aux événements.

La troisième rationalité est économique, les événements ayant ouvert des possibilités de consommation. Outre les biens de consommation les plus recherchés, valorisables immédiatement, comme les téléphones, les parfums ou les vêtements, les pillages ont également concerné le lait, les couches, les pâtes ou le riz, ce qui dit quelque chose du niveau de vie de leurs auteurs. La question sociale est indissociable de ces événements. Comment interpréter le fait que certaines personnes aient profité du pillage du Lidl du coin pour récupérer des biens de consommation courants ? La rationalité économique a également pu pousser des personnes, pour d'autres raisons, à scier des caméras de vidéosurveillance. Je rappelle, par ailleurs, que, en 2005, la police judiciaire ou la direction départementale de la sécurité publique de Lille avait estimé que les arnaques aux assurances concernaient à peu près un tiers des véhicules brûlés. On associe des véhicules brûlés aux manifestations de colère, alors que certaines personnes profitent de l'émeute pour chercher à récupérer une prime...

Enfin, la quatrième rationalité de ces événements est le règlement de contentieux. Il me semble qu'il n'y a jamais eu autant d'élus, de maires, de représentants du pouvoir économique local, y compris des figures du travail social, qui ont été attaqués localement qu'à la fin juin - il faudra le vérifier. Il y a une rationalité dans les institutions qui ont été visées et celles qui ne l'ont pas été, dans les commerces qui ont été brûlés et ceux qui ont été préservés. Elle n'est pas permanente, mais il s'agit d'un point important, quand on adopte une approche ethnographique, pour comprendre les mécanismes observables.

La mise en avant de ces quatre rationalités et du caractère très hybride des engagements ne doit pas occulter le fait que la dynamique de révolte en demeure bien la locomotive. Si les opportunités qui s'ouvrent dès lors qu'une émeute se nationalise et perdure pendant plusieurs jours peuvent conduire à des comportements opportunistes, elles ne sont pas les motivations principales des révoltes.

Pour conclure, je reviendrai sur la question que j'ai soulevée en introduction. L'intensité que l'on a observée fin juin renvoie, selon moi, à une forme de surenchère. Cette intensité est en soi un message politique. J'ai comparé les données publiées par le ministère de l'intérieur en 2005 et en 2023. Il y a eu dix fois plus de bâtiments publics endommagés en 2023 qu'en 2005. Il y a eu davantage de véhicules incendiés. Il y a eu quatre fois plus de policiers et de gendarmes mobilisés. Il y a eu quatre fois plus de policiers et de gendarmes blessés. Nous n'avons pas fini d'étudier cette intensité, ce niveau de violence, cette détermination dans la confrontation et toutes les innovations tactiques que nous avons pu observer sur le terrain. Dans certaines villes, les personnes qui ont participé aux évènements étaient très bien organisées, et parfois encadrées. Je sais qu'un revendeur de contrebande de mortiers d'artifice a offert son stock à des jeunes d'une autre ville, parce qu'il partageait leur colère. Il nous faudra du temps pour creuser davantage ces questions. Quoi qu'il en soit, il me semble absolument essentiel que la question des manières de faire et des pratiques policières soit remise au coeur de l'agenda politique.

M. Jérôme Durain. - Je préside, en ce moment, une commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic. Au sujet des émeutes, la question du narcotrafic a été invoquée dans tous les sens, et parfois de manière contradictoire : tantôt les trafiquants auraient poussé aux émeutes, tantôt ils les auraient arrêtées... Disposez-vous d'éléments d'analyse sur ce sujet ?

Mme Corinne Narassiguin. - Nous avons entendu, lors d'autres auditions, que les personnes interpellées mentionnaient très peu la mort de Nahel, sauf peut-être en Île-de-France, ce qui laisse à penser qu'il n'y a pas nécessairement de revendication politique très construite. Cependant, vous évoquez une colère et un sentiment d'injustice nourris depuis longtemps, même s'ils ne sont pas verbalisés, donc une motivation politique assez forte.

Les éléments déclencheurs des émeutes à la suite de la mort de Nahel présentent une particularité : l'existence d'une vidéo, qui a pu amplifier ce sentiment d'une institution policière prête à couvrir un abus de pouvoir. Pensez-vous que cet élément puisse expliquer les événements, quand les décès d'autres jeunes - y compris issus de minorités - tués à la suite de refus d'obtempérer n'ont pas été suivis d'incidents d'une telle ampleur ?

Messieurs Roché et Jobard, vous avez aussi travaillé sur la question du rapport à la police et des méthodes délibérées des forces de maintien de l'ordre, qui privilégient aujourd'hui la confrontation avec les manifestants. Si la population désocialisée des jeunes des quartiers s'est construite dans un rapport de confrontation avec la police, on nous a dit, au cours d'autres auditions, que la carte des émeutes, en particulier en dehors de l'Île-de-France, recoupait assez nettement la carte des manifestations des « gilets jaunes ». De fait, on a vu aussi, chez une partie de ces derniers, un rapport extrêmement confrontationnel et violent avec la police, certains s'étant rendus à Paris avec des armes et une volonté de s'opposer à la police. Au-delà des discriminations spécifiques et des inégalités persistantes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ne faut-il pas, plus généralement, interroger la politique de maintien de l'ordre, qui incite à un rapport de confrontation avec la police plutôt qu'à un rapport de désescalade ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Si l'on part du principe que les violences policières sont systématiques dans notre pays et que celles-ci sont la seule explication aux événements que nous avons vécus, nous risquons de ne pas avancer. Des violences, il y en a partout ! Aujourd'hui, des élus sont attaqués, des enseignants sont menacés et toute forme d'autorité dans notre pays est contestée. Pour avoir vécu, en tant qu'élue, les émeutes de 2005 et celles de 2023, je peux dire que les causes, les événements et les conséquences ne sont pas les mêmes. Les mortiers ont commencé à être utilisés dans notre pays il y a quelques années. C'est un outil d'une violence effrayante, que l'on ne connaissait pas jusque-là. La police est menacée de mort !

Je veux évoquer certains sujets qu'aucun d'entre vous n'a encore abordés.

Il s'agit, d'abord, de l'âge des émeutiers, qui soulève la question du rôle et de la place des parents. Des enfants ont cassé, volé, pillé dans leur propre cité, mais pas ailleurs. Ils ont brûlé les écoles, les bibliothèques, de leur quartier. Quand ils les ont vus agir ainsi, leurs parents auraient peut-être dû jouer un rôle plus important.

Il s'agit, ensuite, d'un fait nouveau au sein de notre population, que nous sommes un certain nombre d'élus à avoir relevé : les habitants des quartiers qui ont subi les violences et les émeutes ne supportent plus cette situation, et ils le disent.

Ces deux phénomènes doivent être analysés par les sociologues. Les habitants qui se sont terrés chez eux en espérant que leur voiture ne soit pas brûlée en ont assez parce que les émeutes donnent une image très négative de leur quartier, dans lequel certains d'entre eux vivent calmement. Une autre catégorie de la population dit - et c'est la première fois que je l'entends - qu'elle ne supporte plus de payer pour ceux qui cassent. Notre pays risque d'être encore davantage clivé. Les Français qui, jusqu'à présent, payaient par solidarité avec ceux qui ont moins ne veulent aujourd'hui plus donner.

Mme Audrey Linkenheld. - Corinne Narassiguin a évoqué la question que je souhaitais poser sur la superposition de la cartographie des « gilets jaunes » avec celle des émeutes de juin, et sur le profil - il me semble que c'est le terme que vous avez utilisé - de ces jeunes qui sont trop souvent contrôlés par la police. Pendant ces évènements, j'étais première adjointe à la mairie de Lille et, à ce titre, je me suis rendue sur le terrain les soirs des 27, 28 et 29 juin pour comprendre ce qui se passait dans cette ville de 230 000 habitants, dont six quartiers sur dix sont des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il n'est pas nouveau d'entendre certains de leurs habitants dire qu'ils n'ont pas envie qu'on touche à leurs équipements, à leurs écoles : nous l'avions déjà entendu en 2005. En ce qui concerne Lille, la différence entre 2005 et 2023, c'est que la rénovation urbaine est passée par là : du point de vue urbain et en termes de bâti, ces quartiers vivent mieux.

Pendant les émeutes, j'ai vu différents types de personnes : il n'y avait pas que des jeunes, certaines avaient des revendications et d'autres non. Un certain nombre d'entre elles ont été arrêtées : elles ne venaient pas toutes des quartiers dans lesquels ont brûlé une école et une mairie de quartier récemment rénovées ainsi qu'un hôtel de police municipale qui venait d'ouvrir.

J'aborde les choses avec beaucoup d'humilité et de modestie. Après avoir eu des échanges sur le sujet, après avoir suivi un certain nombre d'auditions, je n'ai pas encore d'enseignement particulier à en tirer. Je tenais à le dire, car le sujet est suffisamment grave et sensible pour que nous n'en tirions pas des conclusions parfois un peu hâtives.

M. François-Noël Buffet, président. - D'où l'intérêt de notre mission !

M. Éric Kerrouche. - Je ne crois pas qu'essayer d'apporter des explications sociologiques revienne forcément à trouver des excuses : il s'agit de mettre en exergue ce qui explique les difficultés de notre pays, qui sont notamment reflétées par ces émeutes.

Vous avez fait le parallèle avec Malik Oussekine : à quarante ans d'écart, on se rend compte que notre pays a toujours un problème avec sa diversité, pour le dire de manière relativement pudique - cela s'est traduit en filigrane dans le texte sur l'immigration qui vient d'être voté.

Je souhaite vous interroger sur la corrélation entre des situations socio-économiques difficiles et les émeutes, au-delà de l'origine sociale ou ethnique des personnes concernées.

Afin d'identifier ce qui peut être amélioré dans notre police, pourriez-vous nous faire part d'expériences menées à l'étranger qui ont été concluantes ? Chercher des pistes d'amélioration ne revient pas à dire que la police est fondamentalement mauvaise. La question est celle de l'orientation donnée à l'utilisation de la force publique : est-elle meilleure ailleurs ?

Dernière question, qui relève d'une curiosité sociologique : pourriez-vous nous faire part de la trajectoire de ceux qui ont été concernés par les émeutes de 2005 ? Se sont-ils intégrés, sont-ils redevenus des citoyens français comme les autres ? Était-ce un moment ou une carrière ?

M. Guy Benarroche. - En premier lieu, pour les personnes concernées, le rapport avec la politique, c'est d'abord le rapport avec la police. Comme nous l'avons vu lors de la discussion de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) en 2023, se pose le problème du contrôle au faciès. Il est facile de dire que cela existe depuis longtemps et que ce n'est pas si grave ; en réalité, cette question revient en permanence. Je suis sénateur des Bouches-du-Rhône : le contrôle au faciès dans les rues de Marseille, y compris pendant la période du port obligatoire du masque, a été particulièrement ressenti et pratiqué. Il ne faut donc pas évacuer ce problème qui est encore bien présent. Comme l'a dit Éric Kerrouche, des solutions doivent être trouvées, car il faut modifier la relation qu'ont ces personnes avec la police, relation à l'aune de laquelle ils jugent la politique de notre société.

En second lieu, j'aborderai le lien avec la colonisation des personnes qui se trouvent au centre des émeutes. Celles-ci sont les enfants ou les petits-enfants de gens issus de territoires qui étaient des colonies françaises. Des études ont-elles établi un lien entre les générations qui ont suivi la décolonisation et les phénomènes de délinquance, en particulier les émeutes qui se produisent depuis quelques années ?

M. François-Noël Buffet, président. - Si la mort de Nahel Merzouk a déclenché le processus, le rapport de l'inspection générale de la justice et de l'inspection générale de l'administration, qui porte sur les personnes interpellées, montre que les événements qui ont suivi n'avaient plus de lien avec cette cause originelle. Avez-vous pu appréhender cela ?

M. Sebastian Roché. - En 2005 comme en 2023, les territoires qui se sont enflammés correspondent aux quartiers les plus défavorisés, et l'étincelle a été un homicide policier. On retrouve ces deux éléments structurels dans la plupart des pays concernés par les émeutes « techniques » - différentes des émeutes politiques, comme en Grèce en 2008, qui peuvent avoir d'autres motivations, ou des émeutes de la faim comme en Argentine. Les territoires concernés sont pauvres et exposés à des pratiques policières agressives, que certains pays ont renoncé à mettre en oeuvre, comme l'Allemagne, qui a une tout autre approche des quartiers défavorisés.

On constate une succession de phénomènes : un incident provoque un rassemblement qui entraîne des confrontations, lesquelles produisent une sorte de soulèvement auquel différents groupes, dont certains sont opportunistes, se mêlent. L'histoire de la sociologie des émeutes depuis les années 1960 a montré l'hétérogénéité fondamentale des foules concernées, tant dans les modes de participation - certains jettent des cocktails incendiaires sur la police, d'autres pillent, etc. - que dans leur composition. Pour autant, des formes de lien existent, comme on le constate au travers des caractéristiques structurales des zones particulièrement touchées.

J'en viens à la question, à laquelle je n'ai pas de réponse, sur la correspondance entre la géographie des « gilets jaunes » et celle des émeutes. Si l'on parle de géographie départementale, les émeutes de 2023 n'ont pas touché les départements de la diagonale du vide. Il existe peut-être des points de ressemblance, mais je ne suis pas persuadé que ce soit vraiment le cas. Si l'on faisait une géographie communale, et même infra-communale, des émeutes, on obtiendrait un résultat complètement différent : les segments de ville qui se sont mobilisés ne sont plus les mêmes.

M. Fabien Jobard. - J'ai identifié quatre éléments déclencheurs des émeutes : le tir, la vidéo du tir, l'interprétation du son de cette vidéo - avec l'idée qui se répand selon laquelle le policier aurait proféré des menaces avant de tirer et le tir n'aurait donc été ni nécessaire ni conforme au droit - et la communication policière qui a suivi. Sur ce dernier point, l'institution policière me semble être défaillante : c'est un syndicat de police - Unité SGP Police-Force ouvrière - qui a communiqué en premier sur le tir, indiquant qu'un jeune avait tenté de rouler sur un policier et avait été tué, et non le procureur, le directeur départemental de la sécurité publique des Hauts-de-Seine ou le commissaire de Nanterre. La personne qui a diffusé la vidéo a expliqué l'avoir fait en réaction à ce qu'elle a perçu comme une fausse information. Pourquoi, en zone gendarmerie, quand il se produit un drame de ce type, les gendarmes eux-mêmes communiquent-ils en premier, directement, alors qu'en zone police, ce sont les syndicats qui le font ? Cela avait déjà été le cas en août 2021, lors de la mort de Souheil après un tir de la police. Une communication des pouvoirs publics serait pourtant moins affirmative, elle appellerait à la patience. Monsieur Kerrouche, vous nous interrogiez sur les meilleures manières de faire : en voilà une.

Madame Eustache-Brinio, vous indiquez que les populations ne veulent pas payer et qu'elles n'en peuvent plus, c'est vrai, mais c'était pareil en 2005. L'angoisse de voir son véhicule brûler alors qu'on en dépend pour aller travailler était déjà présente alors. Pour autant, un sentiment n'en évacue pas un autre : certains de ceux qui affirment aujourd'hui leur exaspération étaient peut-être eux-mêmes émeutiers vingt ans auparavant. Ils sont exaspérés, parce qu'ils constatent que la même mécanique qu'en 2005 est à l'oeuvre : une action policière, ce qu'ils identifient - à tort cette fois-ci - comme une mauvaise réponse des pouvoirs publics, auxquels s'ajoutent un sentiment d'abandon, d'injustice et une révolte des jeunes. « Je n'en peux plus » n'est pas un sentiment exclusif d'autres prises de position.

Les enquêtes de victimation dans les territoires où se recrutent les populations émeutières montrent que les habitants les plus pauvres du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis se distinguent par trois caractères : le niveau d'atteinte et de délinquance le plus élevé, une très forte demande de police, mais également une très forte insatisfaction vis-à-vis de la police. Il ne s'agit donc pas d'une sécession envers l'autorité, il y a bien une demande d'État, mais une demande d'une meilleure police, d'un autre service public de sécurité. La demande de police la plus élevée en Île-de-France provient des territoires qui ont été touchés par les émeutes en premier. Il n'est pas trop tard pour ajuster l'offre à la demande ; il est trop tard quand il n'y a plus de demande, comme c'était le cas dans certaines villes des États-Unis au milieu du XIXe siècle. Alors, en effet, il s'agissait bien de sécession.

S'agissant du rôle de la colonisation et de la situation postcoloniale, tout cela fait référence à des éléments anciens qui ne font pas sens pour les policiers en exercice actuellement en Île-de-France. Madame la sénatrice Eutache-Brinio, vous avez raison, les violences ne sont pas seulement le fait de la police, mais la France présente une singularité, avec le Royaume-Uni : la décolonisation, à l'issue d'une guerre longue et violente qui s'est aussi déroulée sur notre sol, a été suivie du rapatriement de populations très diverses en provenance des pays concernés, dont on a confié la gestion aux forces de l'ordre qui avaient exercé en Afrique du Nord. De ce point de vue, la carrière de Maurice Papon est éclairante : chef de la police dans le Constantinois, il est ensuite devenu préfet de police de Paris. Il y a là une continuité postcoloniale qui ne cesse pas en 1962.

La France a, par ailleurs, choisi un modèle de développement fondé sur le tertiaire et a connu une désindustrialisation massive depuis les années 1970. Lorsque je faisais un stage ouvrier à Aulnay-sous-Bois en 1990, la ville accueillait encore 3 500 ouvriers, il n'y en a plus un seul aujourd'hui. Or les populations affectées par ce phénomène sont les populations masculines sorties du système scolaire sans qualification. La dynamique mise en place se résume donc comme suit : la police gère des populations nord-africaines dans un contexte de guerre coloniale jusqu'en 1962, puis l'installation de commissariats dans des zones gendarmerie en train de s'urbaniser. Ces commissariats sont confiés à des commissaires formés à la préfecture de police ou en Afrique du Nord, qui se retrouvent à gérer des populations oisives sans qualification. Pour l'institution policière comme pour le reste de la société, il y a là une forme de continuité depuis les années 1960, qui relève d'une trajectoire politique et économique. De ce point de vue, les violences policières ne sont en effet qu'une métonymie de l'histoire de ces quartiers.

M. Marwan Mohammed. - Je voudrais revenir sur le trafic de drogue et ses cadres locaux. Pour fonctionner correctement, ce système a besoin d'ordre, car il s'agit de garantir la sécurité de la clientèle. Or les émeutes ne permettent pas cela. Ces acteurs déclenchent ponctuellement des coups de pression pour affirmer un pouvoir, mais cela se produit en dehors du cadre des émeutes. D'un autre côté, ce secteur a beaucoup à perdre en termes de statut et de légitimité locale en s'opposant à une dynamique de colère collective ou d'émeutes. Il me semble, de ce point de vue, que l'on amplifie de manière fantasmée le pouvoir des trafiquants. En outre, certains d'entre eux comprennent et partagent les motifs de la colère. Il peut arriver qu'ils négocient éventuellement la sécurité d'un point de deal, mais guère plus.

Sur la notion d'autorité, il me semble que les rapports entre ces populations et la police indiquent au contraire que la parole de l'État est prise au sérieux, et qu'elle n'est pas rejetée comme elle le serait dans un discours anarchiste. L'autorité policière en tant que telle n'est pas remise en question, ce qui l'est, et massivement, ce sont ses pratiques. Il en va de même s'agissant des enseignants et des autres agents de l'État. La grande majorité des parents des classes populaires respectent les enseignants, sont attachés à leurs écoles et poussent leurs enfants à réussir. Il faut cesser de construire l'image d'une population qui serait hostile à l'école, ce n'est pas conforme à la réalité. En revanche, pour une partie des jeunes, l'école a été un lieu de souffrance. À ce titre, des formes de déviance scolaire, de transgression, d'opposition à l'institution se font jour, qui sont liées au rapport à l'institution d'une petite fraction des adolescents, mais absolument pas de leurs parents de manière générale.

En outre, nous nous demandions précédemment ce qui faisait que les émeutes cessaient après avoir atteint un pic dans les premiers jours. Certes, la lassitude joue un rôle. Pour autant, il faut relever également que des acteurs se mobilisent : des parents, qui gardent leurs enfants à la maison ou organisent des patrouilles jusque tard le soir, mais aussi des travailleurs sociaux, des éducateurs, des animateurs. J'en ai interrogés beaucoup : ils ont attendu quelques jours pour laisser s'exprimer cette colère, car ils la partageaient, même s'ils condamnent les dégradations. Comme parents, ils la font remonter au maire, qui est leur interlocuteur principal, mais qui n'a pas de pouvoirs sur la police nationale. Les travailleurs sociaux aussi l'on relayée auprès du préfet, des élus, parfois des ministres de passage. Des associations, des collectifs de victimes, des organisations de défense des droits humains, des institutions publiques ont fait de même. Que font les gouvernements successifs de cette parole ? La même histoire se reproduit toujours, avec les mêmes effets et les mêmes conséquences. En 2005, nous avons tous les trois écrit sur les émeutes, nous n'écrivons rien de très différent aujourd'hui.

Enfin, vous affirmez que les jeunes « brûlent leur quartier », mais ce n'est pas toujours le cas : on constate beaucoup de mobilité, sur laquelle repose le déploiement de ces violences. Celles-ci sont le fait de jeunes locaux, mais aussi de jeunes provenant d'autres territoires, notamment en Île-de-France. Les données sur le profil des émeutiers déférés, que l'on tire du rapport de l'IGA et de l'IGJ, concernent surtout les amateurs qui se sont fait attraper sur le fait. Les personnes les plus organisées sont identifiées beaucoup plus tard et se font arrêter petit à petit. Ainsi, l'étude de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) démontre que la grande majorité des mineurs déférés entre fin juin et début juillet n'ont pas d'antécédents judiciaires ni d'expérience en la matière. Il s'agit d'un public qui a participé pour de nombreuses raisons, mais qui n'a pas d'expérience de ces mobilisations.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

VII. MERCREDI 24 JANVIER 2024 - AUDITION DE M. BERTRAND CHAMOULAUD, DIRECTEUR NATIONAL DU RENSEIGNEMENT TERRITORIAL

Cette audition s'est déroulée à huis-clos. Le compte rendu ne sera pas publié.

VIII. MERCREDI 7 FÉVRIER 2024 - AUDITION DE MM. DJIGUI DIARRA, RÉALISATEUR DU COURT-MÉTRAGE MALGRÉ EUX (2017), ET DAVID DUFRESNE, RÉALISATEUR DES DOCUMENTAIRES QUAND LA FRANCE S'EMBRASE (2007) ET UN PAYS QUI SE TIENT SAGE (2020)

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous arrivons bientôt au terme des travaux de la mission d'information instituée pour comprendre les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023, l'idée étant d'y apporter un regard qui dépasse largement les matières relevant de la compétence directe de la commission des lois. Dans ce cadre, nous avons entendu une grande diversité de personnalités - des professeurs d'université, des sociologues, des maires - et nous nous sommes déplacés sur le terrain, comme à Laval et Vénissieux, des communes qui ont connu des violences importantes.

Nous recevons ce matin  Djigui Diarra et David Dufresne, qui ont réalisé des documentaires ayant pour cadre et objet d'analyse des banlieues. L'intérêt de votre audition, messieurs, est de croiser les regards, afin de mieux comprendre ce qui a occasionné les événements du mois de juin dernier et de bénéficier de votre expertise.

Il sera peut-être apporté une réponse législative ou réglementaire à ces émeutes ; dans cette perspective, nos travaux devront sans doute être prolongés. Le rapport de notre mission d'information sera rendu à la fin du mois de mars prochain.

M. David Dufresne, réalisateur des documentaires Quand la France s'embrase (2007) et Un pays qui se tient sage (2020). - À vrai dire, je suis dans l'expectative au sujet de cette mission d'information. Je trouve néanmoins formidable que le Sénat, et singulièrement la commission des lois, sonde les réalisateurs et les acteurs de la culture pour faire la lumière sur les événements de juin dernier.

En 2007, j'ai réalisé mon premier documentaire, Quand la France s'embrase, à la suite des émeutes de 2005 et des manifestations contre le contrat de première embauche (CPE) de 2006. Il s'agissait d'un premier travail sur le maintien de l'ordre dit répressif, distinct du maintien de l'ordre récréatif, question qui m'occupe encore beaucoup aujourd'hui. Ayant vécu à Saint-Denis pendant sept ans, j'ai une vision des choses qui dépasse le périphérique de Paris.

Je commencerai par citer un rapport publié le 23 novembre 2005 par la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), qui aurait très bien pu être écrit en 2023. Voici ce qu'on peut y lire, selon un résumé publié par le journal Le Monde : « "La France a connu une forme d'insurrection non organisée avec l'émergence dans le temps et l'espace d'une révolte populaire des cités, sans leader et sans proposition de programme" [...] Les policiers affirment qu'"aucune manipulation n'a été décelée permettant d'accréditer la thèse d'un soulèvement généralisé et organisé". Ainsi, les islamistes n'auraient joué "aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion". Ils auraient au contraire eu "tout intérêt à un retour rapide au calme pour éviter les amalgames" [...] "les jeunes des cités étaient habités d'un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française [...] Les jeunes des quartiers sensibles se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l'absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société française" [...] En conclusion, les policiers évoquent avec inquiétude, à propos des cités, des "ghettos urbains à caractère ethnique" [...] Il est à craindre désormais que tout nouvel incident fortuit - à savoir le décès d'un jeune - provoque une nouvelle flambée de violences généralisées" ».

Il y a de cela vingt ans, tout était déjà dit. Il se trouve que Nicolas Sarkozy a dissous les renseignements généraux pour les intégrer à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui deviendra plus tard la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

L'élément déclencheur est toujours le même : la mort d'un jeune. En 2005, les renseignements généraux évoquaient un « soulèvement populaire des quartiers ». En 2023, les acteurs des quartiers parlent eux aussi de « soulèvement », de « révolte » ou de « colère », mais ils n'emploient jamais le terme d'« émeutes » : lorsqu'on emploie ce mot qui appartient au langage courant, on pointe uniquement l'aspect délictuel et criminel et on dévitalise totalement le message exprimé. Je vous remercie d'écouter des messages qui ne sont pas ceux que la doxa politico-médiatique a relayés en 2005, comme en 2023.

M. Djigui Diarra, réalisateur du court-métrage Malgré eux (2017). - Je remercie mes aînés, dont David Dufresne, pour leurs travaux sur les violences policières. Ils m'ont fait comprendre que ces dernières constituaient un fléau minant la société française depuis bien longtemps.

Je suis cinéaste et originaire de Grigny, ville la plus pauvre de France, connue pour son côté sulfureux. J'ai grandi dans le quartier de la Grande Borne, qui a fait face à la police plus que la norme nationale. Malheureusement, les rapports entre la population et la police sont souvent conflictuels, alimentant la peur et la défiance. Quand j'avais dix ans, l'un de mes aînés s'est fait contrôler devant mes yeux à la sortie de l'école. Les choses ont vite escaladé, à la manière de l'arrestation de George Floyd aux États-Unis : genou du policier sur la tête, injures, tutoiement délibéré... Il est difficile de se construire avec ce genre de situations.

En grandissant, j'ai développé une passion pour le cinéma. En 2015, j'ai intégré la Fémis - l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son -, puis, en 2017, j'ai réalisé un court-métrage sur les violences policières, dans le contexte des « affaires » Adama Traoré et Théo Luhaka.

Je préfère employer l'expression de « violences policières », et non celle de « bavures policières », laquelle insinue qu'une simple erreur a été commise. Lorsque les faits se répètent de manière constante, voire systémique, ils constituent des violences ou des crimes policiers.

En matière de violences policières, il n'y a pas le camp des gentils et celui des méchants, il y a du mal des deux côtés. Beaucoup de personnes, y compris en banlieue, désirent la justice et la paix. Or la seule façon d'y parvenir est de respecter et d'humaniser les populations.

Comment oublier Steve Maia Caniço, décédé en 2019 lors de la fête de la musique, à la suite d'une intervention de police ? Le policier mis en cause sera promu chef de circonscription de la police nationale à Lyon quelques jours avant son procès. En 2017, à Bobigny, Théo Luhaka a été violé par un policier lors d'un contrôle - il s'agit bien d'un viol lorsqu'on introduit de force un objet dans le corps de quelqu'un. Le fait que trois des policiers mis en cause aient simplement écopé d'une peine avec sursis ne peut que susciter la défiance.

Il ne s'agit pas d'essentialiser tout le corps policier : de nombreux agents exercent leur métier par amour, par vertu, par souci de servir la population française, quelle que soit son origine. Mais ces crachats à la figure des familles de victimes que constituent les violences policières engendrent forcément de la défiance.

Au travers de mon court-métrage, j'ai tenté de proposer des hypothèses sur les raisons qui ont conduit aux émeutes. Je suis témoin du fait que, dans les banlieues, les rapports entre l'institution policière et la population peuvent être incandescents.

Mme Corinne Narassiguin. - En 2005, les émeutes étaient davantage circonscrites et moins répandues à l'échelle nationale. L'événement déclencheur, à savoir la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois, n'était contesté par personne.

Concernant les émeutes de 2023, il ressort de nos auditions et de nos déplacements que la mort de Nahel est très peu citée par les émeutiers, excepté en Île-de-France. La propagation des émeutes a été beaucoup plus large et inattendue, notamment du fait des réseaux sociaux, si bien que des violences se sont produites dans des territoires où l'on n'avait pas l'habitude d'en voir.

Quel est votre regard sur la déconnexion entre l'événement déclencheur qu'a été la mort de Nahel et les émeutes ? Un phénomène d'identification, ajouté à la colère ressentie, peut sans doute expliquer cet embrasement, même en l'absence de revendication politique construite. Il y a aussi eu des comportements opportunistes et très violents : pillages en bande organisée, usage de mortiers, etc. Des phénomènes complexes se sont entrecroisés, ce que nous n'avions pas vu en 2005.

Selon vous, quelle est l'importance de l'origine sociale des émeutiers dans ces événements ? En 2023, il est clair que nous sommes passés à un niveau de violence plus élevé, marqué par la volonté délibérée de viser des policiers, des bâtiments publics et des lieux qui profitent à la population.

Monsieur Dufresne, quel est votre avis sur la gestion très spécifique du maintien de l'ordre en France ? N'augmenterait-elle finalement pas le désordre ?

Monsieur Diarra, les discriminations et les comportements violents systématiques de la part des policiers sont-ils ressentis par tous les jeunes de ces quartiers, ou seulement par des populations restreintes ?

Mme Lauriane Josende. - Je souhaiterais tout d'abord préciser que, dans le cadre de cette mission d'information, nous avons clairement défini la mort de Nahel comme étant le fait générateur des émeutes.

Comment expliquez-vous que sa mort ait engendré des manifestations de violences dans certaines villes, mais pas dans d'autres ? Étant élue des Pyrénées-Orientales, je sais que Perpignan est, de façon générale, une place de violences et de rébellions. En 2005, la ville avait été présentée comme l'un des centres névralgiques de la violence et des difficultés sociales exprimées. Or, en 2023, nous n'avons pas observé de mouvements, et aucun des spécialistes que nous avons interrogés n'a su nous dire pourquoi.

Selon les observateurs, les émeutes de juin dernier se sont ainsi articulées : dans un premier temps, la mort de Nahel était présentée comme l'élément déclencheur des violences ; dans un second temps, il n'y était plus du tout fait référence et on invoquait d'autres raisons, notamment les difficultés sociales. Nous avons du mal à comprendre pourquoi la mort de Nahel a été quasiment oubliée...

Ces émeutes ont été caractérisées par une course aux images-chocs. L'influence des réseaux sociaux a été pointée du doigt comme ayant poussé les jeunes à capter l'image la plus forte pour la relayer sur les réseaux de communication privés et sur les chaînes d'information. Une forme d'autorité est sans doute recherchée au travers de ces images, mais pourquoi les privilégier par rapport à des témoignages qui pourraient s'avérer plus justes ? Ne pensez-vous pas que ces images-chocs étaient potentiellement contradictoires avec le message porté par ceux qui ont exprimé leur colère ?

Mme Isabelle Florennes. - En tant qu'élue des Hauts-de-Seine, je suis particulièrement intéressée par ce sujet. J'ai vu de près comment le climat dans ces quartiers a évolué depuis plusieurs années.

Nanterre a bénéficié de trois programmes de rénovation urbaine. Un rapport de la Cour des comptes révèle tout ce qui a été accompli dans ce cadre entre 2004 et 2020 : 600 quartiers ont été rénovés au profit de 4 millions d'habitants, et 12 milliards d'euros ont été versés par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) - on prévoit d'ailleurs de déployer 12 milliards supplémentaires d'ici à 2030.

Vous qui êtes des acteurs du monde culturel, comment percevez-vous la place des associations dans ces quartiers ? Quel est leur rôle, et comment l'améliorer ? Je n'ignore pas qu'un travail sincère et réel a été mené sur le terrain, mais il faut tenir compte de ce qu'il s'est passé en 2023 ; des réponses très concrètes doivent être apportées. Du reste, je crains l'influence grandissante d'un certain nombre d'associations qui ne rendent pas service à notre jeunesse.

M. Éric Kerrouche. - L'un des sociologues que nous avons entendus dans le cadre de notre mission d'information m'a renvoyé à des travaux comparatifs entre l'Allemagne et la France. En Allemagne, les capacités d'insertion des jeunes issus de l'immigration sont plus fortes, en particulier dans les filières industrielles, tandis qu'en France, la promesse d'universalité, qui se traduit par le diplôme, est sans cesse remise en cause, créant une désillusion de plus en plus forte des descendants d'immigrés vis-à-vis des institutions.

Comment percevez-vous et mesurez-vous cette désillusion ? Bien entendu, il ne s'agit pas d'excuser les débordements qui se sont produits, lesquels relèvent davantage de la délinquance que du mouvement social - même si les deux sont la plupart du temps intriqués. Comment jugez-vous le fait que la République n'ait pas tenu sa promesse d'universalité ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous avions souhaité nous rendre à Grigny, mais le maire nous a indiqué qu'il n'y avait pas eu d'événement majeur en juin dernier. Nous nous déplacerons donc à Évry-Courcouronnes.

La mort de Nahel a suscité une première réaction sur le territoire de Nanterre. En revanche, à l'échelle du territoire national, plus personne n'a revendiqué agir pour cette cause-là. Nous avions donc incontestablement affaire à l'opportunisme de certains, les conduisant à piller des magasins et à détruire des bâtiments publics, avec la volonté de contester toutes les formes d'autorité. Des violences se sont produites dans des communes où, d'ordinaire, elles ne surviennent pas. Paradoxalement, certains territoires habitués aux émeutes, à savoir les banlieues dites difficiles, n'ont pas bougé, ou très peu.

Les événements de juin dernier se caractérisent par la violence extrêmement forte des émeutiers à l'égard des policiers, leur volonté de blesser, voire de tuer, au moyen de mortiers d'artifice. Cela semble très nouveau. Regardez-vous les émeutes de cette année de la même manière que celles de 2005 ? Pensez-vous qu'elles ont les mêmes causes ?

Au demeurant, je précise que les renseignements généraux dont vous parliez ont été reconstitués après les attentats de 2015.

M. David Dufresne. - Il ne faut pas minimiser les violences de 2005 : elles ont tout de même duré trois semaines et ont concerné quatre-vingts départements. L'état d'urgence, décrété par Dominique de Villepin contre l'avis de Nicolas Sarkozy, n'avait pas été mis en place depuis 1961 en France, soit depuis la guerre d'Algérie.

Toutes les questions auxquelles nous nous efforçons de répondre aujourd'hui se posaient déjà en 2005.

La mort de deux jeunes dans un poste électrique de Clichy-sous-Bois avait bel et bien été contestée. On expliquait qu'ils avaient fui après avoir commis un cambriolage dans un cabanon de chantier. Il avait été extrêmement difficile d'établir la vérité à l'époque, d'autant qu'on ne disposait d'aucune image de la centrale électrique.

Il est vrai que les émeutes de 2023 ont été caractérisées par une violence plus intense, comme le révèlent les rapports de police et les différents témoignages. En 2005, les émeutiers n'avaient brandi une arme à feu qu'une seule fois, à Grigny. C'est en 2007, à Villiers-le-Bel, que des policiers ont, pour la première fois, essuyé des tirs de mortier d'artifice. Depuis, les policiers sont équipés de lanceurs de balles de défense (LBD), dit « flash-ball ». Cela a considérablement modifié le maintien de l'ordre et les rapports entre la police et la population.

En 2023, des armes à feu ont été brandies par certains émeutiers. Mais, de l'aveu même des services de renseignement, elles restaient en nombre très faible par rapport au volume total d'armes en circulation dans les banlieues. Le niveau de violence doit toujours être ramené au rapport de force qui existe.

J'en viens au phénomène d'identification. En 2005, comme en 2023, les émeutiers se sont dans un premier temps identifiés aux jeunes qui avaient trouvé la mort. Si, dans un second temps, les émeutiers ne font plus référence à cet élément déclencheur, c'est parce que le rapport de force n'est plus le même. L'étincelle déclenche un incendie qui, le temps de sa propagation, est entretenu par les émeutiers. Ceux-ci n'ont pas besoin d'un slogan pour exprimer leur colère : pourquoi voudriez-vous qu'ils s'arrêtent alors que le feu a pris ?

Il s'agit non pas d'amusement, mais de l'expression d'une exaspération, d'un sentiment d'injustice. Certains émeutiers ont agi en opportunistes en piquant des téléphones pour les revendre. Mais on sait aussi que des mères de famille ont volé du papier toilette : cela en dit long sur l'état social dans lequel nous sommes.

La gestion du maintien de l'ordre augmente-t-elle le désordre ? Nous l'avons vu ces derniers jours avec les manifestations des agriculteurs, la doctrine du maintien de l'ordre a changé : dès lors que le ministère de l'intérieur n'envoie pas de CRS contre des gens qui souffrent, il n'y a quasiment pas de problème de violences. Cela ressemble à la doctrine allemande de la désescalade qu'ont dû vous expliquer Fabien Jobard et Sebastian Roché, lorsque vous les avez reçus. En 2005, ni mains arrachées, ni éborgnages, ni morts ne sont à déplorer du côté des émeutiers. En 2023, des émeutiers sont morts à Marseille. Le niveau de violence dépend donc aussi du maintien de l'ordre.

Pourquoi certaines villes ont été touchées par les émeutes, mais pas d'autres ? En 2005, Marseille a été une énigme totale : aucune émeute n'est survenue, alors qu'il s'agit tout de même de la deuxième ville de France, et personne n'a su dire pourquoi. On ne se révolte pas dans les quartiers nord, comme on voit la mer, auront dit certains... S'agissant de Perpignan, il faudra sans doute consulter les travailleurs sociaux pour savoir ce qui s'est passé. La rivalité entre les quartiers et les villes peut jouer un rôle d'émulation ou, au contraire, d'annulation.

Quant au rôle des images, il a bien évidemment été central en 2023. Mais souvenez-vous des journaux télévisés de France 2 et de TF1 qui relayaient les images en boucle en 2005. À l'époque, j'étais rédacteur en chef chez iTélé ; on m'avait demandé d'arrêter de faire le palmarès, chaque soir, du nombre de voitures brûlées, de commissariats attaqués, d'arrestations. Au même moment, CNN débarquait et présentait des cartes absurdes situant Strasbourg à Varsovie ou Lille à Montpellier. On nous expliquait que les émeutes n'avaient aucune justification sociale et qu'elles étaient motivées par la soif d'images et de reconnaissance des émeutiers.

En réalité, c'est toute la société qui est traversée par cette soif d'images, des émeutiers jusqu'aux ministres. Croire que les jeux vidéo et les réseaux sociaux sont responsables des émeutes, comme l'a dit Emmanuel Macron, c'est faire acte d'irresponsabilité.

Enfin, concernant la rénovation urbaine, vous avez mille fois raison. Beaucoup de quartiers ont été rénovés après 2005 ; sur ce sujet, je vous invite à regarder le film Bâtiment 5, réalisé par Ladj Ly. Certes, 12 milliards d'euros ont été versés à ces quartiers par l'Anru - c'est toutefois moins que l'argent injecté dans les jeux Olympiques qui vont durer trois semaines. Mais on a beau avoir changé les bâtiments, on n'a pas changé la vie des gens.

Jean-Louis Borloo estime qu'on a arrêté de s'occuper des banlieues lorsque la situation a commencé à s'améliorer au milieu des années 2010. Les banlieues n'étaient alors plus considérées comme un problème. Selon un ancien préfet de Seine-Saint-Denis, la génération des 15-17 ans aura été sacrifiée : oubliée de la politique de la ville, de la rénovation urbaine et de l'égalité des chances, c'est celle qui constitue le gros des émeutiers de juin dernier.

M. Djigui Diarra. - Il est évident qu'en alliant du son et de l'image, on peut influencer et manipuler beaucoup des personnes, qu'on le fasse de manière professionnelle ou via des réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram.

Lors des émeutes, beaucoup de personnes ont agi de façon opportuniste en saccageant des magasins et en faisant beaucoup de mal à leurs propriétaires. Comme dans tout mouvement et toute revendication, il y a une minorité « de fraude » : ce sont des gens qui ne sont pas amoureux de justice et de paix. Cette minorité fait beaucoup de bruit, mais on lui tend aussi le micro, car c'est elle qui intéresse parfois le plus.

Je suis le premier à avoir été offusqué par ces saccages et ces exactions. On ne peut pas les accepter, car ils entachent la mémoire de Nahel et de tous ceux qui ont perdu la vie à cause des violences policières.

Il faut recentrer la question sur ce qui a suscité la violence chez les émeutiers, à savoir la déshumanisation d'une partie de la population, l'injustice à tout-va, la brutalité de la police, le fait de traiter certaines personnes comme des citoyens de seconde zone. Tout cela forme un cocktail explosif et ces violences regrettables ont été dénoncées par les habitants des banlieues.

Les violences policières touchent non seulement la population maghrébine et noire-africaine, mais aussi les blancs - on l'a vu lors du mouvement des gilets jaunes. Ce fléau, il faut le dénoncer et le combattre. À vrai dire, les violences policières sont uniquement l'extension d'un système lui-même très violent, raciste et parfois négrophobe, antisémite et islamophobe.

Concernant les rénovations, ce n'est pas en mettant un coup de peinture que les gens vont être heureux. Le travail mis en place par les villes peut être salué, mais il doit être beaucoup plus profond et inclure les questions de logement, de travail, et de perspectives d'émancipation.

Les brutalités policières sont cycliques et sont marquées par des pics - 2005, 2007, 2023 -, au moment où les frustrations et la colère explosent. J'insiste, ce n'est pas par joie que les émeutiers se révoltent : ces derniers expriment un ras-le-bol, qui est en réalité partagé par l'immense majorité des Français, et pas seulement par les Noirs et les Arabes. Il faut apporter une réponse aux violences policières pour sortir de la poudrière dans laquelle nous vivons en France depuis un moment.

M. David Dufresne. - Sur la question de la désillusion des descendants d'immigrés français vis-à-vis de la promesse républicaine, je vous donnerai quelques chiffres publiés par l'Insee en 2023. Dans les 1 514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), le taux de pauvreté, de l'ordre de 43 %, est trois fois plus élevé que dans le reste des unités urbaines. Le taux de chômage atteint quant à lui 18,6 %. Enfin, 57 % des enfants y vivent sous le seuil de pauvreté. Voilà ce qui fait le lit du séparatisme et de la ségrégation.

Avant même d'avoir des désillusions, comment voulez-vous avoir la moindre illusion lorsque vous vivez dans des conditions pareilles ?

M. Djigui Diarra. - La possibilité de rêver et de croire dans les institutions chez certains habitants de ces quartiers est sapée très tôt, d'où l'expression d'une défiance et d'un rejet. Dans mon cas, dès mes dix ans, il m'a été difficile de croire aveuglément en la police, et même en la France. On a toujours l'espoir de viser une vie meilleure, de pouvoir vivre comme il se doit - mon prénom signifiant « espoir » dans les langues mandingues, je ne pourrai pas dire le contraire -, mais le racisme sera toujours là.

Mme Marie Mercier. - Je partage votre analyse : la base, c'est l'éducation, et il s'agit de trouver comment élever nos enfants, nos jeunes, dans l'amour de la République.

Cela dit, je m'interroge sur un point. En Saône-et-Loire, dans la ville de Chalon-sur-Saône, où se trouvent des QPV, il n'y a rien eu. Soixante kilomètres plus au sud, à Mâcon, les émeutes ont entraîné des dégâts considérables, de même que dans le bassin minier. Les équipes municipales étaient en pleurs, alors qu'elles ont une action dans les quartiers ; personne ne comprenait...

La précarité est la même dans ces trois pôles, mais pourquoi seuls deux d'entre eux ont fait l'objet de violences considérables et non celui de Chalon-sur-Saône ?

M. Djigui Diarra. - Les relations entre la population et la police ne sont pas les mêmes partout, même s'il y a des QPV. Par exemple, en Île-de-France, Grigny n'est pas du tout dans la même situation que Nanterre. Je pense que c'est l'explication. Et il faut s'en réjouir, c'est bien qu'il n'y ait pas que des problèmes. Peut-être faudrait-il s'inspirer de ces endroits, pour savoir comment le dialogue, la confiance, peuvent s'instaurer.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Peut-on dire que la situation n'a pas varié depuis 2005 mais que l'intensité de la violence a crû ? Et pourquoi ? Est-ce lié au fait que, pour des habitants de certains quartiers, les difficultés sont telles que l'espoir n'existe pas ?

M. David Dufresne. - Je suis convaincu que l'intensité de la révolte est indexée sur l'intensité du désespoir. En outre, contrairement aux émeutiers, qui, pour la plupart, n'étaient pas nés en 2005, les quartiers ont de la mémoire. Or ils se souviennent de la démission de Jean-Louis Borloo, qui considérait qu'il n'avait pas les moyens de sa politique. C'est un moment d'exaspération forte.

En outre, on a vu en 2023 une police beaucoup plus violente qu'en 2005 et des services n'ayant rien à faire - eux-mêmes le reconnaissent à demi-mot - dans le maintien de l'ordre sont intervenus et se sont très mal comportés. Je pense en particulier au groupe Recherche, assistance, intervention, dissuasion (Raid) et au groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), dont l'action à Marseille a provoqué des morts et des blessés. L'intensité policière a été beaucoup plus forte qu'en 2005. Or, pour faire des émeutes, il faut être deux et les travaux sociologiques démontrent que, dans les démocraties, en dehors des moments révolutionnaires - ce n'était pas un moment révolutionnaire -, c'est l'État qui fixe le niveau de violence. On en a eu un exemple clair avec les agriculteurs.

Bref, je ne crois ni que les jeunes soient plus violents que naguère ni que les armes à feu soient plus disponibles, puisqu'on n'en a quasiment pas vu. Cela tient selon moi aux deux raisons que j'ai données.

M. Djigui Diarra. - J'ajoute un facteur : internet et les réseaux sociaux. Cela a été un vecteur important de l'escalade des deux côtés. Quand on voit l'intensité des répressions sur internet, dès le lendemain ou le soir même, on veut répondre.

M. David Dufresne. - Ceux qui ont eu des déclarations séditieuses, guerrières, ce sont certains syndicats de police. Rappelez-vous le communiqué ayant fait suite à la mise en détention du policier accusé d'avoir tué Nahel. Ce communiqué du Bloc syndical, comprenant notamment Alliance, n'a pas été dénoncé comme il aurait dû l'être par le ministre de l'intérieur.

Mon prénom ne signifie pas « espoir », donc je vais peut-être paraître plus désespéré que Djigui Diarra : si on laisse les syndicats de police prendre le dessus sur le pouvoir politique, si on laisse les identitaires de tous bords prendre le pouvoir sur les quartiers - je pense aux descentes de l'extrême droite comme à Crépol, en guise de revanche fasciste aux émeutes -, si les institutions ne prennent pas acte de ce qui est en train de se passer, alors je ne pourrai plus dire, dans quelques années, « 2030, c'est comme 2023 ». La base, c'est le social, le travail de fond ; cela coûte plus cher, c'est moins démonstratif que de mettre plus de bleu dans la rue, mais c'est infiniment plus profond.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je vous remercie de vos interventions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR
ET CONTRIBUTION ÉCRITE

Ministère de l'intérieur

Direction générale de la gendarmerie (DGGN)

M. le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale

M. général de brigade Philippe Leclercq, commandant du centre national des opérations

M. le colonel Antoine Lagoutte, chef du bureau de la synthèse budgétaire

Direction générale de la police nationale (DGPN)

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale

Mme Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique

Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

Direction nationale de la sécurité publique (DNSP)

Mme Virginie Brunner, directrice nationale de la sécurité publique

Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN)

M. Ghislain Réty, général de brigade, commandant

Service de recherche, assistance, intervention et dissuasion (RAID)

M. Jean-Baptiste Dulion, contrôleur général, chef du service de recherche, assistance, intervention et dissuasion

Service central des armes et explosifs (SCAE)

M. Jean-Simon Merandat, chef du service central

M. Jean-François Louaver, magistrat,

M. Bertrand Boittiaux, commandant divisionnaire de police, 

M. Antoine Meslin, attaché principal d'administration

Audition conjointe des inspections de la police et de la gendarmerie nationales

Mme Agnès Thibault-Lecuivre, directrice de l'Inspection générale de la police nationale

M. Jean-Michel Gentil, chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale

Préfet de police de Paris

M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris

Mme Juliette de Clermont-Tonnerre, conseillère stratégie

Brigade de recherche et d'intervention - Préfecture de police (BRI-PP)

Commissaire Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

Direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP)

M. Hugues Bricq, directeur du renseignement de la préfecture de police

Table ronde des Syndicats de Police

Confédération Française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Mme Christelle Jaeger, conseiller technique et représentant du corps des officiers de police de Synergie Officiers

M. Tristan Coudert, secrétaire national du syndicat indépendant des commissaires de police

Union nationale des syndicats autonomes - Fédération Autonome des Syndicats du Ministère de l'Intérieur (UNSA - FASMI) Unsa Police

M. Jean Paul Nascimento, secrétaire national du pôle CRS

FSMI-FO Unité SG Police FO

M. Grégory Joron, secrétaire général

Mme Linda Kebbab, secrétaire national

Force d'action républicaine (FAR)

M. le préfet Gilles Clavreul, coordonnateur

Défenseur des droits

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits

Mme Mireille Le Corre, Secrétaire générale

ACAT

Mme Nathalie Seff, déléguée générale

Mme Émilie Schmidt, responsable plaidoyer, programme France Sûreté-Libertés

Ligue des Droits de l'Homme

M. Arié Alimi, membre du Bureau national

Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)

Mme Alice Grunenwald, présidente, première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants au tribunal judiciaire de Saint-Etienne

Mme Muriel Eglin, vice-présidente, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny

Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

M. Jean-Baptiste Bladier, procureur de la République de Meaux

M. Damien Savarzeix, procureur de la République de Grasse

M. Frédéric Chevallier, procureur de la République de Chartres

Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

M. Michel Duée, inspecteur général de l'Insee, chef du département de l'action régionale

Mme Valérie Albouy, inspectrice générale de l'Insee, cheffe du département des ressources et conditions de vie des ménages

Table ronde sur la situation spécifique du département des Hauts-de-Seine

M. Frédéric Sarkis, universitaire, co-fondateur de "laïcité n'est pas racisme" et de "sortir du colonialisme"

M. Vincent Marchand, directeur général de l'association des maires du département des Hauts-de-Seine (AMD 92)

Mme Nadège Baptista, préfète déléguée pour l'égalité des chances du département des Hauts-de-Seine

M. Carl Garcia, délégué du Préfet des Hauts-de-Seine pour la commune de Nanterre

M. Koceila Bouhanik, délégué du Préfet des Hauts-de-Seine pour la commune de Colombes

M. Patrice Hauchard, directeur du Lycée Albert de Mun

Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, vice-président

M. Denis Mottier, conseiller sécurité et prévention de la délinquance

Association des Maires « Ville et banlieue » de France

Mme Audrey Gatian, adjointe au maire de Marseille, vice présidente

France Assureurs

Mme Florence Lustman, présidente

Mme Marie-Anne Ballotaud, directrice de cabinet

Mme Viviana Mitrache-Rimbault, responsable du département « Affaires parlementaires »

SMACL

Mme Elodie Alleau, directrice de l'indemnisation

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

M. Sebastian Roché, Directeur de recherche au CNRS, Sciences Po-Grenoble

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Jeudi 7 décembre 2023 : Vénissieux et Saint-Fons (Rhône)

· Préfecture du Rhône

- Mme Fabienne Buccio, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, préfète du Rhône

- Mme Juliette Bossart-Trignat, préfète déléguée à la défense et la sécurité

- M. Nelson Bouard, directeur interdépartemental de la police nationale

· Tribunal Judiciaire de Lyon

- M. Michael Janas, le président du tribunal judiciaire de Lyon

- M. Nicolas Jacquet, procureur de la République, parquet de Lyon

- Mme Christine Lestrade, directrice interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse

· Mairie de Vénissieux

- Mme Michèle Picard, maire de Vénissieux

- M. Jean-Maurice Gautin, adjoint à la sécurité

- M. Loic Capdevilla, directeur général adjoint à la sécurité

· Mairie de Saint-Fons

- M. Christian Duchêne, maire de Saint-Fons

Entretien avec des représentants de la police municipale, de la médiation sociale, de la CCAS (gestion du relogement des sinistrés de l'incendie), de la Coursive d'entreprises, du service jeunesse et du service politique de la ville.

Jeudi 1er février 2024 : Laval (Mayenne)

· Mairie de Laval

- M. Florian Bercault, maire de Laval

- M. Patrice Morin, adjoint au maire chargé de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance

- M. Georges Hoyaux, conseiller municipal, délégué auprès du maire sur les questions de tranquillité publique

- Mme Gaëlle Andro, directrice de cabinet

- Mme Aurélie Royer, directrice générale adjointe

- Mme Isabelle Maruejouls, directrice du département proximité,

- Mme Sophie Theveux, coordinatrice du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD)

· Société civile

Table ronde sur le thème de la délinquance juvénile en lien avec le CLSPD :

- MM Laurent Ollivier, directeur de l'association de prévention spécialisée Inalta, et Laurent Bertho, directeur adjoint

- Mmes Marine Lemoine et Laëtitia Delalande, coordinatrices de l'association de médiation sociale GLEAM

- Mme Peggy Adam, responsable de l'unité éducative de milieu ouvert de Laval

· Préfecture de la Mayenne

- Mme Marie-Aimée Gaspari, préfète de la Mayenne

- M. Samuel Gesret, sous-préfet, secrétaire général

- M. Eric Biergeon, sous-préfet, directeur de cabinet

- M. Nicolas Guerrand, commissaire divisionnaire, directeur départemental de la police nationale

- M. Bertrand Alexandre, adjoint au commandant du groupement de gendarmerie départemental de la Mayenne

· Tribunal judiciaire de Laval

- Mme Anne-Lyse Jarthon, procureure de la République.

Lundi 12 février 2024 : Évry-Courcouronnes (Essonne)

· Mairie d'Évry-Courcouronnes

- M. Medhy Zeghouf, premier adjoint

- M. Philippe Poupeau, directeur de la police municipale et de la tranquillité publique

· Société civile

- M. Abdelssalem Abdelmoumen, chef du service médiation de la Ville

- MM. Tierno Diarra, Odilon David et Mohamed Gassama, médiateurs

· Direction interdépartementale de la police nationale

- Mme Natacha Merrien, commissaire générale, directrice interdépartementale adjointe de la police nationale pour l'Essonne.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

AXE N°1 - LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DES MOYENS DU RÉTABLISSEMENT ET DU MAINTIEN DE L'ORDRE PUBLIC EN CONTEXTE ÉMEUTIER À DISPOSITION DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

1

Établir un schéma national de maintien et de rétablissement de l'ordre public en contexte émeutier, incluant une doctrine d'emploi des forces spéciales et une coordination avec les polices municipales

DGPN, DGGN, DEPSA, PP

Premier semestre 2025

Circulaire

2

Faciliter le décloisonnement et de dézonage de l'emploi des forces de sécurité intérieure, y compris quant aux chaines de commandement

DGPN, DGGN

Deuxième semestre 2024

Circulaire et instructions

3

Garantir l'adéquation de la formation des forces de l'ordre aux contextes émeutiers avant leur déploiement

DGPN, DGGN

Premier semestre 2025

Circulaires et instructions, PLF

4

Se doter des moyens matériels et des équipements permettant de faire face à des contextes émeutiers longs et protéiformes 

DGPN, DGGN, DEPSA

Premier semestre 2025

Circulaires et instructions, PLF

5

Assurer la sécurisation des bâtiments utilisés par les forces de l'ordre et des armureries pour se prémunir de toute prise d'assaut 

DGPN, DGGN, DEPAFI, DEPSA

Premier semestre 2025

Audit, PLF

6

Consolider et amplifier l'activité des services de renseignement dans le suivi et la connaissance des « quartiers sensibles » et des phénomènes de violences urbaines

SRCT, DRPP, DGSI

Deuxième semestre 2024

PLF, circulaires et instructions

7

En période d'émeutes, assurer l'analyse rapide et systématique des profils et des motivations des émeutiers afin d'adapter les stratégies de maintien de l'ordre

SRCT, DRPP, DGSI

Premier semestre 2025

Circulaires et instructions

8

Améliorer le suivi et la connaissance transdisciplinaire des phénomènes émeutiers en France

ONDRP

Premier semestre 2025

Tous moyens

AXE N°2 - UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU À ENDIGUER : L'UTILISATION DÉTOURNÉE DES MORTIERS D'ARTIFICE

9

Au plan national, entraver administrativement et pénalement l'utilisation détournée des mortiers d'artifice 

SCAE, DLPAJ

Deuxième semestre 2024

Loi, réglementaire

10

Au plan européen, éviter les contournements par des choix d'homologation et de catégorisation des mortiers d'artifices non-conformes à la réglementation européenne

SCAE, DLPAJ

Premier semestre 2025

Procédure de sanction CJUE

AXE N°3 - LA NÉCESSITÉ D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DE L'USAGE PROTÉIFORME ET DÉTERMINANT DES RÉSEAUX SOCIAUX DANS LE MODE OPÉRATOIRE DES ÉMEUTIERS

11

Réunir de façon régulière le groupe de contact permanent entre les représentants des réseaux sociaux et l'État pour mieux anticiper la coordination des acteurs en périodes de crise

Ministère de l'intérieur, entreprises réseaux sociaux

Immédiat

Réunions régulières

12

Lorsque l'état d'urgence est déclaré en application de la loi du 3 avril 1955, permettre aux préfets de solliciter, pour une durée limitée, la désactivation de certaines fonctionnalités des applications de réseaux sociaux (géolocalisation, lives) - indépendantes de l'échange de communications écrites ou orales - en contexte émeutier

DLPAJ

Premier semestre 2025

Loi

13

Au cours des émeutes, faciliter l'identification par les réseaux sociaux et les supports numériques des auteurs d'actes violents ou de dégradations 

DGSI, DRPP, DGPN, DGGN, DACG

Deuxième semestre 2024

Loi, instructions ministérielles

14

Faciliter et renforcer les poursuites contre les délinquants mobilisant les supports numériques pour participer à des émeutes urbaines

DGSI, DRPP, DGPN, DGGN, DACG

Deuxième semestre 2024

Loi, instructions ministérielles

AXE N°4 - LE RÔLE DES POLICES MUNICIPALES EN CAS D'ÉMEUTES :
UN COMPLÉMENT QUI NE DOIT PAS S'APPARENTER À UN SUBSTITUT

15

Faciliter l'emploi des polices municipales, dans le cadre de leurs prérogatives, lors des périodes d'émeutes en coordination avec les forces de sécurité intérieure

Ministère de l'intérieur, AMF

Premier semestre 2025

Circulaire ministérielle

16

Aligner les prérogatives de police judiciaire de la police municipale sur celles conférées aux gardes-champêtres

Ministère de l'intérieur, AMF

Premier semestre 2025

Loi

17

En période d'émeutes, confier aux policiers municipaux, sous l'autorité directe du procureur de la République et après accord du maire et formations adéquates, des prérogatives de saisie de biens dangereux (mortiers d'artifices, armes par destination)

Ministère de l'intérieur, AMF

Premier semestre 2025

Loi

18

Instituer une doctrine pour l'équipement et le matériel des polices municipales et des gardes champêtres

DEPSA

Deuxième semestre 2024

Loi et circulaire ministérielle

19

Faciliter le déploiement de la vidéoprotection au sein des communes, y compris rurales ou de petite taille

DEPSA

Deuxième semestre 2024

PLF, loi

AXE N°5 - LA PLACE DES ÉLUS LOCAUX DANS LA GESTION DES ÉMEUTES : UNE RELATION À CONFORTER

20

Assurer l'information systématique du maire quant aux interventions organisées sur le territoire de la commune, singulièrement celles lourdes ou à effet médiatique fort et permettre sa présence, en qualité d'officier de police judiciaire (OPJ), aux centres territoriaux de crise et aux réunions locales de sécurité

Préfets de département

Immédiat

Instruction aux préfets

21

Faciliter la formation des élus locaux à la conduite à tenir face à des jeunes violents

Ministère de l'intérieur, Associations d'élus

Immédiat

Tout moyen

AXE N°6 - LA RÉPONSE JUDICIAIRE : UNE MOBILISATION INÉDITE DE L'ENSEMBLE DE LA CHAINE PÉNALE EN DÉPIT DU MANQUE D'OUTILS MATÉRIELS ET LÉGISLATIFS
ADAPTÉS À CERTAINES ÉVOLUTIONS

22

Renforcer et adapter l'arsenal pénal aux nouveaux comportements émeutiers

DACG

Premier semestre 2025

Loi

23

Sur le modèle des dispositions votées par le Sénat en janvier 2024 dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, adapter et renforcer la palette de mesures et de sanctions applicables aux mineurs impliqués dans des émeutes urbaines, y compris s'ils sont primo-délinquants

DACG

Deuxième semestre 2024

Loi

24

Assurer un traitement judiciaire des violences urbaines efficace en contexte de crise ou d'émeutes 

DSJ

Deuxième semestre 2024

Loi et PLF

AXE N°7 - L'APRÈS-ÉMEUTES : UNE RECONSTRUCTION RAPIDE
MALGRÉ DES OUTILS INEXPLOITÉS ET DES MODIFICATIONS UNILATÉRALES ET PRÉOCCUPANTES DES CONTRATS D'ASSURANCE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

25

Renforcer la couverture assurantielle des dommages résultant d'émeutes d'ampleur nationale, notamment en s'inspirant du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles issu de la loi du 13 juillet 1982 n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles

DG Trésor

Premier semestre 2025

Loi

LE CONTRÔLE EN CLAIR

POUR CONSULTER LA PAGE DE LA MISSION D'INFORMATION

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-lois/emeutes-survenues-a-compter-du-27-juin-2023.html

ANNEXE

Liste des 672 communes dans lesquelles au moins un incident lié aux émeutes de l'été 2023 a été répertorié
(source : ministère de l'intérieur et des outre-mer)

1. Abbeville - Somme (80)

2. Achères - Yvelines (78)

3. Agen - Lot-et-Garonne (47)

4. Aigues-Mortes - Gard (30)

5. Aire-sur-l'Adour - Landes (40)

6. Aix-en-Provence - Bouches-du-Rhône (13)

7. Aix-les-Bains - Savoie (73)

8. Albertville - Savoie (73)

9. Albi - Tarn (81)

10. Alençon - Orne (61)

11. Alès - Gard (30)

12. Alfortville - Val-de-Marne (94)

13. Allaire - Morbihan (56)

14. Ambares - Gironde (33)

15. Amiens - Somme (80)

16. Amillis - Seine-et-Marne (77)

17. Amilly - Loiret (45)

18. Amnéville - Moselle (57)

19. Andrezieux - Loire (42)

20. Angers - Maine-et-Loire (49)

21. Angoulême - Charente (16)

22. Aniche - Nord (59)

23. Annecy - Haute-Savoie (74)

24. Annemasse - Haute-Savoie (74)

25. Annonay - Ardèche (07)

26. Antibes - Alpes-Maritimes (06)

27. Antony - Hauts-de-Seine (92)

28. Anzin - Nord (59)

29. Arcueil - Val-de-Marne (94)

30. Argenteuil - Val-d'Oise (95)

31. Argonne - Marne (51)

32. Armentières - Nord (59)

33. Asnières-sur-Seine - Hauts-de-Seine (92)

34. Athis-Mons - Essonne (91)

35. Auberchicourt - Nord (59)

36. Aubervilliers - Seine-Saint-Denis (93)

37. Auby - Nord (59)

38. Auch - Gers (32)

39. Audincourt - Doubs (25)

40. Aulnay-sous-Bois - Seine-Saint-Denis (93)

41. Aulnoy-lez-Valenciennes - Nord (59)

42. Auray - Morbihan (56)

43. Aurec-sur-Loire - Haute-Loire (43)

44. Aussillon - Tarn (81)

45. Auxerre - Yonne (89)

46. Avignon - Vaucluse (84)

47. Ax-les-Thermes - Ariège (09)

48. Bagneux - Hauts-de-Seine (92)

49. Bagnolet - Seine-Saint-Denis (93)

50. Bagnols-sur-Cèze - Gard (30)

51. Barbezieux - Charente (16)

52. Barby - Savoie (73)

53. Bassens - Gironde (33)

54. Baume-les-Dames - Doubs (25)

55. Bavilliers - Territoire de Belfort (90)

56. Bayonne - Pyrénées-Atlantiques (64)

57. Beaucaire - Gard (30)

58. Beaune - Côte-d'Or (21)

59. Beausemblant - Drôme (26)

60. Beausoleil - Alpes-Maritimes (06)

61. Beauvais - Oise (60)

62. Bègles - Gironde (33)

63. Belfort - Territoire de Belfort (90)

64. Bellegarde - Gard (30)

65. Belleville-en-Beaujolais - Rhône (69)

66. Belley - Ain (01)

67. Bellignat - Ain (01)

68. Bergerac - Dordogne (24)

69. Besançon - Doubs (25)

70. Bessines - Deux-Sèvres (79)

71. Bethoncourt - Doubs (25)

72. Béziers - Hérault (34)

73. Bezons - Val-d'Oise (95)

74. Bièvres - Essonne (91)

75. Biganos - Gironde (33)

76. Billère - Pyrénées-Atlantiques (64)

77. Blanzy - Saône-et-Loire (71)

78. Blois - Loir-et-Cher (41)

79. Blosne - Ille-et-Vilaine (35)

80. Bobigny - Seine-Saint-Denis (93)

81. Bois-Arnault - Eure (27)

82. Boissy-Saint-Léger - Val-de-Marne (94)

83. Bondy - Seine-Saint-Denis (93)

84. Bonneuil-sur-Marne - Val-de-Marne (94)

85. Bordeaux - Gironde (33)

86. Bouffémont - Val-d'Oise (95)

87. Boulogne - Gironde (33)

88. Boulogne-Billancourt - Hauts-de-Seine (92)

89. Bourg-Achard - Eure (27)

90. Bourg-de-Péage - Drôme (26)

91. Bourg-en-Bresse - Ain (01)

92. Bourges - Cher (18)

93. Bourg-lès-Valence - Drôme (26)

94. Bourgoin-Jallieu - Isère (38)

95. Bourg-Saint-Maurice - Savoie (73)

96. Bréhan - Morbihan (56)

97. Bressuire - Deux-Sèvres (79)

98. Brest - Finistère (29)

99. Brétigny-sur-Orge - Essonne (91)

100. Brienne-le-Château - Aube (10)

101. Brienon-sur-Armançon - Yonne (89)

102. Brignais - Rhône (69)

103. Brive-la-Gaillarde - Corrèze (19)

104. Bron - Rhône (69)

105. Bruay-la-Buissière - Pas-de-Calais (62)

106. Brunstatt-Didenheim - Haut-Rhin (68)

107. Bruz - Ille-et-Vilaine (35)

108. Bussy-Saint-Georges - Seine-et-Marne (77)

109. Cachan - Val-de-Marne (94)

110. Caen - Calvados (14)

111. Cahuzac-sur-Vère - Tarn (81)

112. Cannes - Alpes-Maritimes (06)

113. Canteleu - Seine-Maritime (76)

114. Cap-d'Ail - Alpes-Maritimes (06)

115. Carcassonne - Aude (11)

116. Carqueiranne - Var (83)

117. Carrières-sur-Seine - Yvelines (78)

118. Carvain - Nord (59)

119. Castelnaudary - Aude (11)

120. Castelsarrasin - Tarn-et-Garonne (82)

121. Castres - Tarn (81)

122. Cayenne - Guyane (973)

123. Cenon - Gironde (33)

124. Cergy - Val-d'Oise (95)

125. Cesson - Seine-et-Marne (77)

126. Châlette-sur-Loing - Loiret (45)

127. Châlons-en-Champagne - Marne (51)

128. Chalon-sur-Saône - Saône-et-Loire (71)

129. Chambéry - Savoie (73)

130. Champigny-sur-Marne - Val-de-Marne (94)

131. Champs-sur-Marne - Seine-et-Marne (77)

132. Chanteloup-les-Vignes - Yvelines (78)

133. Charleville-Mézières - Ardennes (08)

134. Charly - Rhône (69)

135. Chartres - Eure-et-Loir (28)

136. Chartres-de-Bretagne - Ille-et-Vilaine (35)

137. Charvieu-Chavagneux - Isère (38)

138. Chasse-sur-Rhône - Isère (38)

139. Château-Arnoux-Saint-Auban - Alpes-de-Haute-Provence (04)

140. Châteaudun - Eure-et-Loir (28)

141. Châteauroux - Indre (36)

142. Châtellerault - Vienne (86)

143. Châtenay-Malabry - Hauts-de-Seine (92)

144. Châtillon - Hauts-de-Seine (92)

145. Châtillon-sur-Chalaronne - Ain (01)

146. Chennevières-sur-Marne - Val-de-Marne (94)

147. Chenôve - Côte-d'Or (21)

148. Chérisy - Eure-et-Loir (28)

149. Chilly-Mazarin - Essonne (91)

150. Cholet - Maine-et-Loire (49)

151. Cinq-Mars-la-Pile - Indre-et-Loire (37)

152. Clamart - Hauts-de-Seine (92)

153. Clermont-Ferrand - Puy-de-Dôme (63)

154. Clichy-sous-Bois - Seine-Saint-Denis (93)

155. Cluses - Haute-Savoie (74)

156. Colmar - Haut-Rhin (68)

157. Colombes - Hauts-de-Seine (92)

158. Colomiers - Haute-Garonne (31)

159. Combs-la-Ville - Seine-et-Marne (77)

160. Comines - Nord (59)

161. Compiègne - Oise (60)

162. Conflans-Sainte-Honorine - Yvelines (78)

163. Corbas - Rhône (69)

164. Corbeil-Essonnes - Essonne (91)

165. Coudray - Eure-et-Loir (28)

166. Coulaines - Sarthe (72)

167. Coulounieix-Chamiers - Dordogne (24)

168. Cournon-d'Auvergne - Puy-de-Dôme (63)

169. Courrières - Pas-de-Calais (62)

170. Courville-sur-Eure - Eure-et-Loir (28)

171. Craywick - Nord (59)

172. Creil - Oise (60)

173. Crest - Drôme (26)

174. Créteil - Val-de-Marne (94)

175. Creutzwald - Moselle (57)

176. Croix - Nord (59)

177. Dammarie-les-Lys - Seine-et-Marne (77)

178. Dardilly - Rhône (69)

179. Darnétal - Seine-Maritime (76)

180. Daumazan-sur-Arize - Ariège (09)

181. Dechy - Nord (59)

182. Décines-Charpieu - Rhône (69)

183. Denain - Nord (59)

184. Déville-lès-Rouen - Seine-Maritime (76)

185. Digne-les-Bains - Alpes-de-Haute-Provence (04)

186. Dijon - Côte-d'Or (21)

187. Dinan - Côtes-d'Armor (22)

188. Dives-sur-Mer - Calvados (14)

189. Dole - Jura (39)

190. Domloup - Ille-et-Vilaine (35)

191. Douai - Nord (59)

192. Douchy-les-Mines - Nord (59)

193. Dourdan - Essonne (91)

194. Drancy - Seine-Saint-Denis (93)

195. Draveil - Essonne (91)

196. Dreux - Eure-et-Loir (28)

197. Dunkerque - Nord (59)

198. Eaubonne - Val-d'Oise (95)

199. Échirolles - Isère (38)

200. Élancourt - Yvelines (78)

201. Elbeuf - Seine-Maritime (76)

202. Emmerin - Nord (59)

203. Entrelacs - Savoie (73)

204. Épinal - Vosges (88)

205. Épinay-sous-Sénart - Essonne (91)

206. Éragny - Val-d'Oise (95)

207. Ermont - Val-d'Oise (95)

208. Étampes - Essonne (91)

209. Évreux - Eure (27)

210. Évron - Mayenne (53)

211. Évry-Courcouronnes - Essonne (91)

212. Eysines - Gironde (33)

213. Faches-Thumesnil - Nord (59)

214. Fameck - Moselle (57)

215. Fécamp - Seine-Maritime (76)

216. Feignies - Nord (59)

217. Firminy - Loire (42)

218. Fives - Nord (59)

219. Flers - Orne (61)

220. Fleury-les-Aubrais - Loiret (45)

221. Fleury-Mérogis - Essonne (91)

222. Floirac - Gironde (33)

223. Foix - Ariège (09)

224. Fontaine - Isère (38)

225. Fontenay-le-Fleury - Yvelines (78)

226. Fontenay-sous-Bois - Val-de-Marne (94)

227. Forbach - Moselle (57)

228. Fort-de-France - Martinique (972)

229. Fosses - Val-d'Oise (95)

230. Fresnes - Val-de-Marne (94)

231. Fresnes-sur-Escaut - Nord (59)

232. Fumel - Lot-et-Garonne (47)

233. Gagny - Seine-Saint-Denis (93)

234. Gaillon - Eure (27)

235. Gap - Hautes-Alpes (05)

236. Gardanne - Bouches-du-Rhône (13)

237. Gareoult - Var (83)

238. Garges-lès-Gonesse - Val-d'Oise (95)

239. Génelard - Saône-et-Loire (71)

240. Gennevilliers - Hauts-de-Seine (92)

241. Gentioux-Pigerolles - Creuse (23)

242. Gerzat - Puy-de-Dôme (63)

243. Gien - Loiret (45)

244. Givors - Rhône (69)

245. Goussainville - Val-d'Oise (95)

246. Gradignan - Gironde (33)

247. Grand-Champ - Morbihan (56)

248. Grand-Charmont - Doubs (25)

249. Grande-Synthe - Nord (59)

250. Grasse - Alpes-Maritimes (06)

251. Graulhet - Tarn (81)

252. Gray - Haute-Saône (70)

253. Grenoble - Isère (38)

254. Grigny - Essonne (91)

255. Groslay - Val-d'Oise (95)

256. Guéret - Creuse (23)

257. Guînes - Pas-de-Calais (62)

258. Guingamp - Côtes-d'Armor (22)

259. Gurgy - Yonne (89)

260. Guyancourt - Yvelines (78)

261. Hagondange - Moselle (57)

262. Hallennes-lez-Haubourdin - Nord (59)

263. Halluin - Nord (59)

264. Hazebrouck - Nord (59)

265. Hem - Nord (59)

266. Hennebont - Morbihan (56)

267. Herblay - Val-d'Oise (95)

268. Héricourt - Haute-Saône (70)

269. Hérouville - Calvados (14)

270. Heyrieux - Isère (38)

271. Hombourg-Haut - Moselle (57)

272. Île-Saint-Denis - Seine-Saint-Denis (93)

273. Illiers-Combray - Eure-et-Loir (28)

274. Illzach - Haut-Rhin (68)

275. Issy-les-Moulineaux - Hauts-de-Seine (92)

276. Jarville-la-Malgrange - Meurthe-et-Moselle (54)

277. Joigny - Yonne (89)

278. Joué-lès-Tours - Indre-et-Loire (37)

279. Jouy-le-Moutier - Val-d'Oise (95)

280. Jurançon - Pyrénées-Atlantiques (64)

281. Juvisy-sur-Orge - Essonne (91)

282. Kingersheim - Haut-Rhin (68)

283. Kourou - Guyane (973)

284. La Bastide-de-Sérou - Ariège (09)

285. La Celle-Saint-Cloud - Yvelines (78)

286. La Chapelle-sur-Erdre - Loire-Atlantique (44)

287. La Chapelle-d'Armentières - Nord (59)

288. La Chapelle-Saint-Luc - Aube (10)

289. La Courneuve - Seine-Saint-Denis (93)

290. La Couronne - Charente (16)

291. La Ferté-Macé - Orne (61)

292. La Fresnais - Ille-et-Vilaine (35)

293. La Garenne-Colombes - Hauts-de-Seine (92)

294. La Grand-Combe - Gard (30)

295. La Grand-Croix - Loire (42)

296. La Possession - La Réunion (974)

297. La Queue-en-Brie - Val-de-Marne (94)

298. La Ravoire - Savoie (73)

299. La Ricamarie - Loire (42)

300. La Riche - Indre-et-Loire (37)

301. La Rivière-de-Corps - Aube (10)

302. La Rochelle - Charente-Maritime (17)

303. La Roche-sur-Foron - Haute-Savoie (74)

304. La Roche-sur-Yon - Vendée (85)

305. La Seyne-sur-Mer - Var (83)

306. La Teste-de-Buch - Gironde (33)

307. La Tour-du-Pin - Isère (38)

308. La Verrière - Yvelines (78)

309. Lafrançaise - Tarn-et-Garonne (82)

310. Lagnieu - Ain (01)

311. L'Aigle - Orne (61)

312. Lanester - Morbihan (56)

313. Langres - Haute-Marne (52)

314. Lannion - Côtes-d'Armor (22)

315. Laval - Mayenne (53)

316. Lavelanet - Ariège (09)

317. Laxou - Meurthe-et-Moselle (54)

318. Le Blanc-Mesnil - Seine-Saint-Denis (93)

319. Le Bourget - Seine-Saint-Denis (93)

320. Le Cannet - Alpes-Maritimes (06)

321. Le Cendre - Puy-de-Dôme (63)

322. Le Chambon-Feugerolles - Loire (42)

323. Le Coudray - Eure-et-Loir (28)

324. Le Creusot - Saône-et-Loire (71)

325. Le Haillan - Gironde (33)

326. Le Havre - Seine-Maritime (76)

327. Le Mans - Sarthe (72)

328. Le Mée-sur-Seine - Seine-et-Marne (77)

329. Le Péage-de-Roussillon - Isère (38)

330. Le Pian-Médoc - Gironde (33)

331. Le Pontet - Vaucluse (84)

332. Le Port - La Réunion (974)

333. Le Tampon - La Réunion (974)

334. Le Vigan - Gard (30)

335. Lempdes - Puy-de-Dôme (63)

336. Lens - Pas-de-Calais (62)

337. Les Lilas - Seine-Saint-Denis (93)

338. Les Noës-près-Troyes - Aube (10)

339. Les Pavillons-sous-Bois - Seine-Saint-Denis (93)

340. Les Ulis - Essonne (91)

341. Levallois-Perret - Hauts-de-Seine (92)

342. Lézignan-Corbières - Aude (11)

343. Lezoux - Puy-de-Dôme (63)

344. L'Haÿ-les-Roses - Val-de-Marne (94)

345. Liffré - Ille-et-Vilaine (35)

346. Lille - Nord (59)

347. Limay - Yvelines (78)

348. Limoges - Haute-Vienne (87)

349. Lisieux - Calvados (14)

350. L'Isle-d'Abeau - Isère (38)

351. Lisses - Essonne (91)

352. Livron-sur-Drôme - Drôme (26)

353. Livry-Gargan - Seine-Saint-Denis (93)

354. Lognes - Seine-et-Marne (77)

355. Longjumeau - Essonne (91)

356. Longwy - Meurthe-et-Moselle (54)

357. Lorient - Morbihan (56)

358. Loriol-sur-Drôme - Drôme (26)

359. Lormont - Gironde (33)

360. Loudéac - Côtes-d'Armor (22)

361. Lourches - Nord (59)

362. Louviers - Eure (27)

363. Louvres - Val-d'Oise (95)

364. Loyettes - Ain (01)

365. Lucé - Eure-et-Loir (28)

366. Lure - Haute-Saône (70)

367. Lux - Savoie (73)

368. Lyon - Rhône (69)

369. Mâcon - Saône-et-Loire (71)

370. Macouria - Guyane (973)

371. Mainvilliers - Eure-et-Loir (28)

372. Malakoff - Hauts-de-Seine (92)

373. Manneville - Seine-Maritime (76)

374. Manosque - Alpes-de-Haute-Provence (04)

375. Mantes-la-Jolie - Yvelines (78)

376. Marcq-en-Baroeul - Nord (59)

377. Marguerittes - Gard (30)

378. Marly - Nord (59)

379. Marseille - Bouches-du-Rhône (13)

380. Martigues - Bouches-du-Rhône (13)

381. Massy - Essonne (91)

382. Matoury - Guyane (973)

383. Maubeuge - Nord (59)

384. Meaux - Seine-et-Marne (77)

385. Melun - Seine-et-Marne (77)

386. Mende - Lozère (48)

387. Merdrignac - Côtes-d'Armor (22)

388. Méricourt - Pas-de-Calais (62)

389. Mérignac - Gironde (33)

390. Méru - Oise (60)

391. Merville - Nord (59)

392. Metz - Moselle (57)

393. Meudon - Hauts-de-Seine (92)

394. Meynes - Gard (30)

395. Meyzieu - Rhône (69)

396. Migennes - Yonne (89)

397. Millau - Aveyron (12)

398. Miribel - Ain (01)

399. Moissac - Tarn-et-Garonne (82)

400. Moissy-Cramayel - Seine-et-Marne (77)

401. Montceau-les-Mines - Saône-et-Loire (71)

402. Mons-en-Baroeul - Nord (59)

403. Montargis - Loiret (45)

404. Montauban - Tarn-et-Garonne (82)

405. Montbéliard - Doubs (25)

406. Mont-de-Marsan - Landes (40)

407. Montélimar - Drôme (26)

408. Montereau-Fault-Yonne - Seine-et-Marne (77)

409. Montesson - Yvelines (78)

410. Montfermeil - Seine-Saint-Denis (93)

411. Montigny-le-Bretonneux - Yvelines (78)

412. Montigny-lès-Cormeilles - Val-d'Oise (95)

413. Montluçon - Allier (03)

414. Montluel - Ain (01)

415. Montmagny - Val-d'Oise (95)

416. Montpellier - Hérault (34)

417. Montréal-la-Cluse - Ain (01)

418. Mont-Saint-Martin - Meurthe-et-Moselle (54)

419. Montsinéry-Tonnegrande - Guyane (973)

420. Mormant - Seine-et-Marne (77)

421. Morteau - Doubs (25)

422. Mougins - Alpes-Maritimes (06)

423. Moyeuvre-Grande - Moselle (57)

424. Mulhouse - Haut-Rhin (68)

425. Nancy - Meurthe-et-Moselle (54)

426. Nandy - Seine-et-Marne (77)

427. Nanterre - Hauts-de-Seine (92)

428. Nantes - Loire-Atlantique (44)

429. Nanteuil-le-Haudouin - Oise (60)

430. Narbonne - Aude (11)

431. Nemours - Seine-et-Marne (77)

432. Neuilly-sur-Marne - Seine-Saint-Denis (93)

433. Neuves-Maisons - Meurthe-et-Moselle (54)

434. Nevers - Nièvre (58)

435. Nice - Alpes-Maritimes (06)

436. Nîmes - Gard (30)

437. Niort - Deux-Sèvres (79)

438. Nogent-le-Roi - Eure-et-Loir (28)

439. Nogent-le-Rotrou - Eure-et-Loir (28)

440. Nogent-sur-Marne - Val-de-Marne (94)

441. Nogent-sur-Oise - Oise (60)

442. Noisiel - Seine-et-Marne (77)

443. Noisy-le-Grand - Seine-Saint-Denis (93)

444. Noisy-le-Sec - Seine-Saint-Denis (93)

445. Nuits-Saint-Georges - Côte-d'Or (21)

446. Olivet - Loiret (45)

447. Orange - Vaucluse (84)

448. Orléans - Loiret (45)

449. Orsay - Essonne (91)

450. Orthez - Pyrénées-Atlantiques (64)

451. Outreau - Pas-de-Calais (62)

452. Oyonnax - Ain (01)

453. Paimpol - Côtes-d'Armor (22)

454. Pamiers - Ariège (09)

455. Pantin - Seine-Saint-Denis (93)

456. Parentis-en-Born - Landes (40)

457. Paris - Paris (75)

458. Pau - Pyrénées-Atlantiques (64)

459. Pérouges - Ain (01)

460. Perpignan - Pyrénées-Orientales (66)

461. Perrigny - Yonne (89)

462. Persan - Val-d'Oise (95)

463. Pessac - Gironde (33)

464. Le Petit-Quevilly - Seine-Maritime (76)

465. Pierre-Bénite - Rhône (69)

466. Pierrefitte-sur-Seine - Seine-Saint-Denis (93)

467. Pierrelatte - Drôme (26)

468. Pithiviers - Loiret (45)

469. Plaisir - Yvelines (78)

470. Podensac - Gironde (33)

471. Poissy - Yvelines (78)

472. Poitiers - Vienne (86)

473. Pontarlier - Doubs (25)

474. Pontault-Combault - Seine-et-Marne (77)

475. Pontoise - Val-d'Oise (95)

476. Pont-Sainte-Marie - Aube (10)

477. Poses - Eure (27)

478. Privas - Ardèche (07)

479. Prouvy - Nord (59)

480. Puiseaux - Loiret (45)

481. Puteaux - Hauts-de-Seine (92)

482. Quiévrechain - Nord (59)

483. Quimper - Finistère (29)

484. Quissac - Gard (30)

485. Reclesne - Saône-et-Loire (71)

486. Redon - Ille-et-Vilaine (35)

487. Reims - Marne (51)

488. Remiremont - Vosges (88)

489. Remire-Montjoly - Guyane (973)

490. Rennes - Ille-et-Vilaine (35)

491. Rezé - Loire-Atlantique (44)

492. Rillieux-la-Pape - Rhône (69)

493. Rimogne - Ardennes (08)

494. Riom - Puy-de-Dôme (63)

495. Rive-de-Gier - Loire (42)

496. Rixheim - Haut-Rhin (68)

497. Roanne - Loire (42)

498. Roissy-en-Brie - Seine-et-Marne (77)

499. Romainville - Seine-Saint-Denis (93)

500. Romans-sur-Isère - Drôme (26)

501. Romilly-sur-Seine - Aube (10)

502. Romorantin-Lanthenay - Loir-et-Cher (41)

503. Ronchin - Nord (59)

504. Roncq - Nord (59)

505. Rosny-sous-Bois - Seine-Saint-Denis (93)

506. Roubaix - Nord (59)

507. Rouen - Seine-Maritime (76)

508. Rugles - Eure (27)

509. Rumilly - Haute-Savoie (74)

510. Saint-Alban-Leysse - Savoie (73)

511. Saint-Amand-les-Eaux - Nord (59)

512. Saint-André - La Réunion (974)

513. Saint-André-de-Cubzac - Gironde (33)

514. Saint-André-les-Vergers - Aube (10)

515. Saint-Apollinaire - Côte-d'Or (21)

516. Saint-Avertin - Indre-et-Loire (37)

517. Saint-Benoît - La Réunion (974)

518. Saint-Bonnet-de-Mure - Rhône (69)

519. Saint-Brieuc - Côtes-d'Armor (22)

520. Saint-Chamas - Bouches-du-Rhône (13)

521. Saint-Chamond - Loire (42)

522. Saint-Claude - Jura (39)

523. Saint-Cyr-l'École - Yvelines (78)

524. Saint-Denis - Seine-Saint-Denis (93)

525. Saint-Denis-de-la-Réunion - La Réunion (974)

526. Saint-Dié-des-Vosges - Vosges (88)

527. Saint-Dizier - Haute-Marne (52)

528. Sainte-Geneviève-des-Bois - Essonne (91)

529. Sainte-Marie - La Réunion (974)

530. Sainte-Savine - Aube (10)

531. Saint-Étienne - Loire (42)

532. Saint-Étienne-du-Rouvray - Seine-Maritime (76)

533. Saint-Florentin - Yonne (89)

534. Saint-Fons - Rhône (69)

535. Saint-Genis-Pouilly - Ain (01)

536. Saint-Georges-de-Commiers - Isère (38)

537. Saint-Gratien - Val-d'Oise (95)

538. Saint-Herblain - Loire-Atlantique (44)

539. Saint-Jean-de-Braye - Loiret (45)

540. Saint-Jean-de-Maurienne - Savoie (73)

541. Saint-Jean-d'Illac - Gironde (33)

542. Saint-Julien-les-Villas - Aube (10)

543. Saint-Laurent-du-Maroni - Guyane (973)

544. Saint-Lô - Manche (50)

545. Saint-Loubs - Doubs (25)

546. Saint-Louis - La Réunion (974)

547. Saint-Loup-sur-Semouse - Haute-Saône (70)

548. Saint-Magne - Gironde (33)

549. Saint-Martin-de-Crau - Bouches-du-Rhône (13)

550. Saint-Martin-de-Valgalgues - Gard (30)

551. Saint-Martin-d'Hères - Isère (38)

552. Saint-Médard-en-Jalles - Gironde (33)

553. Saint-Memmie - Marne (51)

554. Saint-Michel-sur-Orge - Essonne (91)

555. Saint-Nazaire - Loire-Atlantique (44)

556. Saint-Omer - Pas-de-Calais (62)

557. Saint-Paul - La Réunion (974)

558. Saint-Pierre - La Réunion (974)

559. Saint-Pierre-des-Corps - Indre-et-Loire (37)

560. Saint-Pierre-du-Mont - Landes (40)

561. Saint-Priest - Rhône (69)

562. Saint-Quentin - Aisne (02)

563. Saint-Rambert-d'Albon - Drôme (26)

564. Saint-Rambert-en-Bugey - Ain (01)

565. Saint-Vallier - Drôme (26)

566. Sallaumines - Pas-de-Calais (62)

567. Sancé - Saône-et-Loire (71)

568. Sannois - Val-d'Oise (95)

569. Sanvignes-les-Mines - Saône-et-Loire (71)

570. Saragosse - Guyane (973)

571. Saran - Loiret (45)

572. Sarcelles - Val-d'Oise (95)

573. Sartrouville - Yvelines (78)

574. Saulnières - Yvelines (78)

575. Savigny-le-Temple - Seine-et-Marne (77)

576. Savigny-sur-Orge - Essonne (91)

577. Sceaux - Hauts-de-Seine (92)

578. Scionzier - Haute-Savoie (74)

579. Seclin - Nord (59)

580. Sedan - Ardennes (08)

581. Sénart - Seine-et-Marne (77)

582. Senlis - Oise (60)

583. Sens - Yonne (89)

584. Sevran - Seine-Saint-Denis (93)

585. Sèvres - Hauts-de-Seine (92)

586. Sezanne - Marne (51)

587. Soissons - Aisne (02)

588. Sommières - Gard (30)

589. Sorgues - Vaucluse (84)

590. Soustons - Landes (40)

591. Soyaux - Charente (16)

592. Strasbourg - Bas-Rhin (67)

593. Sucy-en-Brie - Val-de-Marne (94)

594. Sully-sur-Loire - Loiret (45)

595. Suresnes - Hauts-de-Seine (92)

596. Tarare - Rhône (69)

597. Tarbes - Hautes-Pyrénées (65)

598. Tassin-la-Demi-Lune - Rhône (69)

599. Taverny - Val-d'Oise (95)

600. Thiers - Puy-de-Dôme (63)

601. Thonon-les-Bains - Haute-Savoie (74)

602. Tignieu-Jameyzieu - Isère (38)

603. Tinqueux - Marne (51)

604. Tonnerre - Yonne (89)

605. Torcy - Seine-et-Marne (77)

606. Toulon - Var (83)

607. Toulouse - Haute-Garonne (31)

608. Tourcoing - Nord (59)

609. Tournefeuille - Haute-Garonne (31)

610. Tournon-sur-Rhône - Ardèche (07)

611. Tours - Indre-et-Loire (37)

612. Trappes - Yvelines (78)

613. Trélazé - Maine-et-Loire (49)

614. Tremblay-en-France - Seine-Saint-Denis (93)

615. Trilport - Seine-et-Marne (77)

616. Troyes - Aube (10)

617. Tulle - Corrèze (19)

618. Valdahon - Doubs (25)

619. Val-de-Reuil - Eure (27)

620. Valence - Drôme (26)

621. Valenciennes - Nord (59)

622. Valentigney - Doubs (25)

623. Valenton - Val-de-Marne (94)

624. Vallauris - Alpes-Maritimes (06)

625. Valserhône - Ain (01)

626. Vandoeuvre-lès-Nancy - Meurthe-et-Moselle (54)

627. Vannes - Morbihan (56)

628. Vanves - Hauts-de-Seine (92)

629. Vaulx-en-Velin - Rhône (69)

630. Vauvert - Gard (30)

631. Vaux-sur-Seine - Yvelines (78)

632. Vedène - Vaucluse (84)

633. Vélizy-Villacoublay - Yvelines (78)

634. Vendôme - Loir-et-Cher (41)

635. Vénissieux - Rhône (69)

636. Venoy - Yonne (89)

637. Verdun-sur-Garonne - Tarn-et-Garonne (82)

638. Vernon - Eure (27)

639. Vernouillet - Yvelines (78)

640. Verrières-en-Anjou - Maine-et-Loire (49)

641. Versailles - Yvelines (78)

642. Vesoul - Haute-Saône (70)

643. Vienne - Isère (38)

644. Vierzon - Cher (18)

645. Vigneux-sur-Seine - Essonne (91)

646. Villars-les-Dombes - Ain (01)

647. Villefontaine - Isère (38)

648. Villefranche-sur-Saône - Rhône (69)

649. Villejuif - Val-de-Marne (94)

650. Villemandeur - Loiret (45)

651. Villeneuve-les-Salines - Charente-Maritime (17)

652. Villeneuve-d'Ascq - Nord (59)

653. Villeneuve-la-Garenne - Hauts-de-Seine (92)

654. Villeneuve-le-Roi - Val-de-Marne (94)

655. Villeneuve-Saint-Georges - Val-de-Marne (94)

656. Villeneuve-sur-Lot - Lot-et-Garonne (47)

657. Villeparisis - Seine-et-Marne (77)

658. Villers-Saint-Paul - Oise (60)

659. Villeurbanne - Rhône (69)

660. Vimoutiers - Orne (61)

661. Viry-Châtillon - Essonne (91)

662. Vitry - Marne (94)

663. Vitry-le-François - Marne (51)

664. Volgelsheim - Haut-Rhin (68)

665. Wasiers - Nord (59)

666. Wattignies - Nord (59)

667. Wattrelos - Nord (59)

668. Waziers - Nord (59)

669. Wittenheim - Haut-Rhin (68)

670. Woippy - Moselle (57)

671. Yutz - Moselle (57)

672. Yvetot - Seine-Maritime (76)


* 1 Composée de François-Noël Buffet, rapporteur, Olivier Bitz, Cécile Cukierman, Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Isabelle Florennes, Corinne Narassiguin, Louis Vogel et Mélanie Vogel.

* 2 Respectivement 8 % et 10 % de l'échantillon analysé par les inspecteurs généraux, audition du 25 octobre 2023.

* 3 M. Oberti, M. Guillaume Le Gall, Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France, oct 2023.

* 4 Cette mission était composée de François-Noël Buffet, rapporteur, et d'Olivier Bitz, Cécile Cukierman, Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Isabelle Florennes, Corinne Narassiguin, Louis Vogel et Mélanie Vogel.

* 5 La mission d'information a pu exploiter les réponses de 40 communes, représentatives des 672 communes répertoriées par le ministère de l'intérieur comme ayant été affectées par les évènements des 28 juin au 5 juillet 2023, qu'elle avait sollicitées par le biais d'un questionnaire en ligne.

* 6 Centre d'Analyse stratégique, Enquêtes sur les violences urbaines - Comprendre les émeutes de novembre 2005. Les exemples d'Aulnay-sous-bois et de Saint-Denis, 1er décembre 2006. Les auteurs de cette étude soulignaient notamment le « poids des rumeurs et la reconstruction a posteriori des faits » dans le déclenchement et le déroulement des émeutes de 2005.

* 7 Audition du mercredi 8 novembre 2023.

* 8 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 9 Selon la qualification retenue par Maela Guillaume Le Gall et Marco Oberti dans leur article intitulé « Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France », publié le 10 octobre 2023.

* 10 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 11 Maela Guillaume Le Gall et Marco Oberti, Ibid.

* 12 Selon Marco Oberti, cette « mémoire collective » est portée par un tissu associatif plus structuré dans les quartiers en difficulté des grandes banlieues des métropoles dont « [la] mobilisation dans ces quartiers, [les] tentatives de donner une forme à des revendications, et une forme de conscience de l'intensité de certaines discriminations, participe aux dynamiques émeutières dans la région parisienne. Ce n'est pas le cas dans les petites et moyennes villes. Un tissu associatif impliqué dans la lutte contre les discriminations existe aussi dans les quartiers les plus paupérisés de ces petites et moyennes villes, mais il est beaucoup moins fort et il irrigue beaucoup moins ces quartiers. Cela peut expliquer la distinction entre le temps émotionnel et le temps insurrectionnel » (audition du mercredi 8 novembre 2023).

* 13 Patrick Steinmetz, inspecteur général de la justice, audition du mercredi 8 novembre 2023.

* 14 Fabien Jobard, politiste, audition du mardi 16 janvier 2024.

* 15 Par comparaison, les émeutes de 2005 avaient concerné un peu plus de 200 communes réparties sur 25 départements, dont la liste figure en annexe au décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 relatif à l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

* 16 D'après les données fournies par Maela Guillaume Le Gall et Marco Oberti, Ibid.

* 17 Patrick Steinmetz, audition du mercredi 8 novembre 2023.

* 18 Le sociologue Marwan Mohammed considère par exemple que « [s]i les opportunités qui s'ouvrent dès lors qu'une émeute se nationalise et perdure pendant plusieurs jours peuvent conduire à des comportements opportunistes, elles ne sont pas les motivations principales des révoltes » (audition du mardi 16 janvier 2024).

* 19 Maela Guillaume Le Gall et Marco Oberti, Ibid.

* 20 Audition du mercredi 6 décembre 2023.

* 21 Données recueillies par l'inspection générale de l'administration (IGA) et l'inspection générale de la justice (IGJ). 

* 22 Audition du 25 octobre 2023.

* 23 Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de la commission.

* 24 Un chiffre de 35 sapeurs-pompiers blessés a cependant été évoqué par la presse.

* 25 Ces chiffres ont été annoncés par le ministre le 4 juillet 2023 sur RTL.

* 26 Cette ventilation des sinistres est issue des chiffres provisoires de septembre 2023.

* 27 Dans un communiqué de presse publié sur le site de France Assureurs.

* 28 Environ 10 %, voir infra le développement détaillé sur la réponse assurantielle.

* 29 Ces données ont été communiquées par la DGPN lors d'une audition du rapporteur.

* 30 Sur RTL le 29 août 2023.

* 31 Sur RTL le 31 juillet 2023.

* 32 « Un milliard d'euros de dégâts pour les entreprises » : le patron du Medef fait un premier bilan des émeutes, article publié dans Le Parisien le 3 juillet 2023.

* 33 Communiqué de presse du MEDEF, publié le 3 juillet 2023.

* 34 Les comptes rendus de ces séances de questions d'actualité au Gouvernement sont disponibles le site internet de l'Assemblée nationale et celui du Sénat.

* 35 Ce chiffre a été annoncé au micro de France info le 2 juillet 2023.

* 36 Communiqué de presse du 6 juillet 2023 du parquet du procureur de la République du tribunal judiciaire de Montargis.

* 37 Source : cabinet du maire de Saint-Fons, lors du déplacement de la mission d'information le 7 décembre 2023.

* 38 Source : publication du ROF sur sa page LinkedIn, juillet 2023.

* 39 Communiqué de presse de l'Umih, publié le 3 juillet 2023.

* 40 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 41 Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice, audition du 25 octobre 2023.

* 42 75 % sont nés en France.

* 43 Plus précisément, les 18-19 ans représentent 29 % des personnes condamnées, les 20-21 ans représentent 26 %, et les 22-24 ans, 18 %.

* 44 Population totale estimée au 1er janvier 2023. Source Insee - pyramide des âges - bilan démographique 2022

* 45 À partir d'un panel de 395 personnes définitivement condamnées au 31 juillet 2023.

* 46 Audition du mercredi 20 décembre 2023.

* 47 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 48 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « Étude flash sur le profil des mineurs déférés à la suite des émeutes urbaines », 27 novembre 2023.

* 49 Seuls 1,9 % des dossiers concernent des filles, qui représentent habituellement 13 % des affaires concernant des mineurs.

* 50 Plus de 82 % sont nés en France.

* 51 Selon une étude de la Direction de protection judiciaire de la jeunesse, « Étude relative aux mineurs déférés », octobre 2020.

* 52 Selon l'enquête annuelle de recensement de 2020 de l'Insee.

* 53 Cécile Flammant, « L'orphelinage précoce continue de diminuer au début du XXIe siècle », Population & Sociétés, n° 580, août 2020. Le taux d'orphelinage augmente avec l'âge : il est de 0,9 % à 6 ans, de 2,2 % à 11, de 3,6 % à 15 et de 5,1 % à 18 ans.

* 54 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « Étude flash sur le profil des mineurs déférés à la suite des émeutes urbaines », 27 novembre 2023.

* 55 Ibid.

* 56 Audition du mercredi 5 juillet 2023.

* 57 Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « Étude flash sur le profil des mineurs déférés à la suite des émeutes urbaines », 27 novembre 2023.

* 58 Ifop - Le Point, « Émeutes : premiers éléments de diagnostic », n° 236, 17 juillet 2023.

* 59 Avec une estimation de 50 émeutiers dans les 543 villes de moins de 20 000 habitants.

* 60 Hugues Lagrange, Émeutes, deux mois après : une colère en quête de motifs, Institut Montaigne, 4 septembre 2023.

* 61 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 62 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 63 Pascal Lalle, inspecteur général de l'administration, audition du mercredi 23 octobre 2023.

* 64 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 65 Certains magistrats ont pourtant fait état, d'après l'inspection générale de la justice (IGJ), de tentatives de récupération et de mobilisation politiques de la part de militants : « Au sein de certaines salles d'audience, [...] ont été observées des personnes issues de collectifs, d'associations ou de groupes d'ultra gauche, dès les premières audiences de comparutions immédiates. Ainsi, dans un TJ de région parisienne, est noté un public constitué majoritairement par des personnes tenant des propos pouvant être associés à l'ultra gauche (...). À Lyon, alors que comparaît au cours de débats apaisés un prévenu qui ne porte aucune revendication, une personne connue de la justice pour son activisme politique, accompagnée de plusieurs militants, provoque l'évacuation de la salle d'audience puis, fait sans précédent, de celle des pas perdus. Selon les propos de la procureure de la République, à Marseille où des militants de l'ultra gauche perturbent l'audience, le renseignement territorial a observé des activistes tentant de convaincre des jeunes en sortie de plage de se rendre au TJ et de manifester. »

* 66 Audition du 25 octobre 2023.

* 67 D'après Marco Oberti et Maela Guillaume Le Gall, « ce premier temps agrège des populations hétérogènes (jeunes des quartiers militants antiracistes et associatifs, population indignée de l'acte du policier, élus locaux, parents voire black-bloks » (« Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France », publié le 10 octobre 2023).

* 68 La présence de quartiers prioritaires de la ville (QPV) multiplie par sept le risque d'émeutes (Marco Oberti et Maela Guillaume Le Gall, Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France, oct. 2023).

* 69 Audition du mercredi 7 février 2024.

* 70 L'avis du Conseil national des villes sur les émeutes urbaines de novembre 2005 (2006) évoque également « un grand sentiment d'abandon et de dégradation dans les quartiers, couplé à un sentiment d'enfermement, sentiments qui engendreraient un « ras le bol général » ».

* 71 Mucchielli, Laurent. « 1. Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère », Véronique Le Goaziou éd., Quand les banlieues brûlent...Retour sur les émeutes de novembre 2005. Édition revue et augmentée. La Découverte, 2007, pp. 11-35.

* 72 Entretien pour Le Monde, « Les relations entre les habitants des ghettos et la ville se dégradent », propos recueillis par Luc Bronner, publié le 29 décembre 2008, également cité par Luc Bronner, La loi du ghetto. Enquête dans les banlieues françaises, ed. Calmann-Lévy, 2010.

* 73 Selon l'analyse de Bruno Domingo, audition du 6 décembre 2023. Cf également : E. Maurin, Le Ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Seuil, Paris, 2004 et Mucchielli, Laurent. « 1. Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère », Véronique Le Goaziou éd., Quand les banlieues brûlent...Retour sur les émeutes de novembre 2005. Édition revue et augmentée. La Découverte, 2007, pp. 11-35.

* 74 Audition du mercredi 6 décembre 2023.

* 75 Audition du mercredi 8 novembre 2023.

* 76 Cf. l'analyse sur les émeutes de 2005 de Michel Kokoreff, « Sociologie de l'émeute. Les dimensions de l'action en question », Déviance et Société, vol. 30, no. 4, 2006, pp. 521-533.

* 77 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 78 Audition du mercredi 7 février 2024.

* 79 François Dubet, audition du mercredi 6 décembre 2023.

* 80 Marwan Mohammed, audition du mercredi 16 janvier 2024.

* 81 Audition du mercredi 6 décembre 2023.

* 82 Ibid.

* 83 Audition du mercredi 6 décembre 2023.

* 84 Audition du mercredi 8 novembre 2023. Nathalie Heinich reprend les notions développées par Norbert Elias dans son ouvrage intitulé Sur le processus de civilisation (1939) et identifie un processus de « décivilisation ».

* 85 Audition du mercredi 16 janvier 2024.

* 86 Bruno Domingo, professeur de sociologie à Sciences Po, audition du mercredi 6 décembre 2023.

* 87 Audition du mercredi 23 octobre 2023.

* 88 Audition du mercredi 20 décembre 2023.

* 89 Pascal Lalle, audition du 26 octobre 2023.

* 90 Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise, audition du 20 décembre 2023.

* 91 Voir le bilan humain établi supra.

* 92 D'après les données communiquées par le ministère de l'Intérieur en 2006, 217 policiers et gendarmes ont été blessés au cours des émeutes de 2005. Voir la réponse du ministre délégué aux collectivités territoriales à une question orale de Jean-Pierre Bel le 29 mars 2006 : https://www.senat.fr/questions/base/2006/qSEQ06020010A.html

* 93 D'après les chiffres du ministère de l'intérieur, 11 500 policiers et gendarmes ont été mobilisés en 2005, contre 45 000 en 2023.

* 94 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 95 D'après les éléments communiqués au rapporteur de la mission d'information par les représentants du syndicat Alliance Police nationale.

* 96 D'après les éléments transmis au rapporteur par les services de la direction nationale du renseignement territorial.

* 97 Selon le témoignage rapporté par Joëlle Munier, inspectrice générale de la justice (audition du mercredi 25 octobre 2023).

* 98 D'après les chiffres communiqués par le ministre de l'intérieur lors de son audition du 5 juillet 2023.

* 99 À l'inverse, alors qu'elles sont régulièrement utilisées dans le cadre de règlements de compte, l'usage des armes à feux est resté exceptionnel au cours des émeutes de 2023. 

* 100 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 101 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 102 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 103 « Des personnels municipaux, n'appartenant pas à la police municipale, ont également subi des violences. Des agents d'entretien et des agents des services techniques, qui sécurisaient les écoles, ont été pris à partie, voire agressés, parce qu'ils étaient identifiés par ces décérébrés comme étant agents municipaux et, par conséquent, agents de l'État. Ainsi, un agent de la voirie a été attaqué dans sa voiture de service à coups de marteau. Les vitres ont été brisées et un de ses collègues a juste eu le temps de l'extraire. Les dégâts physiques sont légers, mais les dégâts psychologiques sont plus importants et durables. » (Stéphanie von Euw, audition du mercredi 20 décembre 2023).

* 104 Rapport n° 7 (2023-2024) de Catherine Di Folco, déposé le 5 octobre 2023.

* 105 Marwan Mohammed, audition du mardi 16 janvier 2024.

* 106 L'IGA et l'IGJ ont recensé 1 560 faits de dégradation de biens publics en 2023, tandis que le Sénat en avait comptabilisé 233 au cours des événements de 2005 dans le rapport d'information n° 49 (2006 - 2007) de Pierre André, fait au nom de la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années, déposé le 30 octobre 2006.

* 107 IGA-IGJ, Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés à l'occasion de l'épisode de violences urbaines (27 juin - 7 juillet 2023), 14 septembre 2023.

* 108 Audition du mercredi 20 décembre 2023.

* 109 Christelle Craplet, « Émeutes urbaines de juin-juillet 2023 : une empreinte durable dans l'opinion ? », 6 décembre 2023.

* 110 Source : Rapport d'information n° 49 (2006-2007) de Pierre André, fait au nom de la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années, déposé le 30 octobre 2006.

* 111 À la date du 28 août 2023.

* 112 Idem.

* 113 Ifop, Focus n° 236 (juillet 2023), Émeutes : premiers éléments de diagnostic.

* 114 La liste de ces 672 communes est annexée au rapport.

* 115 La seule ville de plus de 100 000 habitants non recensée par le ministère de l'intérieur parmi les communes touchées par les émeutes est la ville de Montreuil. La presse locale a cependant fait état de dégradations dans cette commune.

* 116 Lors de l'audition de Ville et Banlieue de France, le 30 novembre 2023.

* 117 Lors du déplacement de la mission d'information à Lyon, le 7 décembre 2023.

* 118 Dans des déclarations des maires de ces communes à la presse régionale.

* 119 Ifop, Focus n° 236 (juillet 2023), Émeutes : premiers éléments de diagnostic.

* 120 Lors de son audition par la commission des lois, le 16 janvier 2024.

* 121 Marco Oberti, Analyse comparée et socio-territoriale des émeutes de 2023 en France, octobre 2023.

* 122 Idem.

* 123 Rapport d'information n° 49 (2006-2007) au nom de la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années, fait par M. Pierre André, tome I, déposé le 30 octobre 2006, p. 223.

* 124 Audition du mercredi 7 février 2024.

* 125 Entretien au Monde du ministre délégué chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, publié le 18 septembre 2023.

* 126 Dans l'échantillon étudié par la mission conjointe IGA/IGJ, 10 % des personnes interpellées indiquent avoir utilisé les réseaux sociaux pour poster des vidéos en relation avec les émeutes (56 % déclarent ne pas l'avoir fait, 35 % non renseigné). Or, comme le renseignent les auteurs du rapport, ces résultats sont incontestablement en-deçà de la réalité « puisque de tels aveux auraient pu inspirer aux enquêteurs des investigations complémentaires à la charge de leurs auteurs qui ont d'ailleurs, dans un certain nombre de cas, refusé de communiquer le code d'accès à leur téléphone mobile ».

* 127 Audition du 16 janvier 2024.

* 128 Entretien au Monde du ministre délégué chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, publié le 18 septembre 2023.

* 129 Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, sur les violences urbaines par la commission des lois de l'Assemblée nationale, mercredi 19 juillet 2023.

* 130 Au cours de l'audition du mardi 16 janvier 2024, X a donné les exemples d'une image montrant un sniper sur un toit de Paris qui n'utilise pas un vrai fusil à pompe ou encore la reprise trompeuse d'une scène du film Fast and Furious et de la photo d'une attaque dans le métro à Londres.

* 131 Réponse de la CNPR au questionnaire du rapporteur.

* 132 Le tribunal judiciaire de Versailles cite en exemple l'appel à l'attaque de centre commercial Parly 2 déjoué par les forces de sécurité intérieure (rapport IGJ/IGA)

* 133 Selon les termes du sociologue Marwan Mohammed, audition du 16 janvier 2024

* 134 Audition du 25 octobre 2023.

* 135 Audition du 6 décembre 2023.

* 136 Le règlement sur les services numériques (RSN), entré en vigueur le 25 août 2023, impose aux plateformes la mise en place des mesures de modération. Ce règlement exige également une prise en compte des risques systémiques par le biais d'audits annuels. En cas de non-respect, des amendes pouvant aller jusqu'à 6% du chiffre d'affaires mondial sont envisagées.

* 137 Audition du mardi 16 janvier 2024.

* 138 Comme le soulignait déjà la mission interministérielle de régulation des réseaux sociaux dans son rapport Créer un cadre français de responsabilisation des réseaux sociaux : agir en France avec une ambition européenne (2019) : « Ni les pouvoirs publics, ni la société civile ne savent quelle valeur accorder aux déclarations des réseaux sociaux (...) L'ensemble des informations rendues publiques par la plateforme concernant son action d'autorégulation ne peut être corroborée par aucun fait observable. ».

* 139 À titre d'exemple, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a appelé la plateforme TikTok à intensifier ses efforts pour répondre à ses obligations en matière de lutte contre la désinformation (rapport sénatorial n° 831, déposé le 4 juillet 2023 par M. Claude Malhuret au nom de la Commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence). Similairement, la Commission européenne a engagé, en décembre 2023, une procédure contre la plateforme X pour violation de ses obligations en matière de lutte contre les contenus illégaux.

* 140 Audition 7 février 2024.

* 141  https://www.senat.fr/rap/r22-410/r22-4107.html#toc80

* 142  https://www.ccomptes.fr/fr/documents/63856

* 143 Cass., crim. 19 juin 2018, n° 17-87.807.

* 144 Décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 202

* 145 Discours de d'Élisabeth Borne, Première ministre, Présentation aux maires des mesures du Gouvernement après les émeutes de l'été 2023, 26 octobre 2023.

* 146 Serge De Carli et Stéphanie Von Euw (audition du mercredi 20 décembre 2023).

* 147 « Une fois par mois, nous organisons en mairie des réunions de sécurité, pour faire le point. La gendarmerie s'est occupée de la sécurité de ma famille. Ce sont des agents d'une immense bienveillance et très consciencieux » (Serge De Carli, maire de Mont-Saint-Martin, audition du mercredi 20 décembre 2023).

* 148 Voir supra la partie II C, relative à l'usage des réseaux sociaux.

* 149 Proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par François-Noël Buffet. Texte n° 59 (2023-2024) adopté par le Sénat le 30 janvier 2024.

* 150 Il s'agit de chiffres actualisés par rapport aux premières estimations

* 151 Ce second chiffre ne prend en compte qu'un échantillon de 149 dossiers clôturés.

* 152 À titre d'exemple, trois questions liées à l'assurabilité des collectivités territoriales ont été posées lors des questions d'actualité au Gouvernement du mercredi 7 février 2024.

* 153 Le compte rendu de cette audition est accessible sur le site internet de la commission.

* 154 La commission des affaires économiques du Sénat, saisie au fond, a adopté le texte le 17 juillet 2023, puis le texte fut adopté en séance publique le 18 juillet. L'Assemblée nationale a voté le texte conforme le 20 juillet, après adoption en commission des affaires économiques la veille.

* 155 Selon les propos de Vincent Delahaye, rapporteur pour avis de la commission des finances. Voir l'avis n° 891 (2022-2023) de Vincent Delahaye, fait au nom de la commission des finances, sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, déposé le 17 juillet 2023.

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