B. AUDITION DE M. DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR GENERAL DE L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DES GREFFES

M. Claude HURIET - La commission des Affaires sociales m'a demandé de réfléchir aux problèmes que pouvaient poser au législateur les thérapies géniques et cellulaires et sur la place qu'il fallait leur attribuer dans notre législation. Pour mener à bien cette mission, je suis entouré par des experts de plusieurs ministères et d'organismes divers concernés.

Nous aimerions que vous nous indiquiez le rôle et la place de l'établissement français des greffes (EFG) dans les dispositifs qui permettront le développement de ces thérapies. Nous voyons qu'il pourrait y avoir partage, harmonisation, conflit, selon la définition qu'on leur donnerait, entre différentes instances.

Si elles étaient assimilées à un médicament, l'Agence du médicament pourrait être l'interlocuteur de base. Si l'aspect cellule l'emportait, on considérerait l'Agence française du sang. Si l'on retenait la relation entre les cellules et l'organe, l'EFG s'imposerait.

M. Didier HOUSSIN - De par la loi de janvier 1994 et du décret d'octobre 1994 pris pour son application, l'EFG s'occupe du prélèvement et des greffes des éléments du corps humain (les organes, la moëlle osseuse, les tissus, les cellules).

La thérapie cellulaire (et la thérapie génique lorsqu'elle comporte l'utilisation de cellules humaines), en bref, tout ce qui s'appuie sur la cellule d'origine humaine comme moyen thérapeutique, est dans le champ des préoccupations de l'EFG.

Quelles sont les missions de l'EFG ?

- Tout d'abord la gestion des listes d'attente. A l'heure actuelle, en matière de thérapie génique et de thérapie cellulaire, ces préoccupations ne sont pas à l'ordre du jour. Nous ne sommes pas dans ce domaine en situation de déséquilibre entre une demande forte et de faibles moyens thérapeutiques.

- Nous avons également une mission d'évaluation des activités thérapeutiques afin de définir une meilleure organisation sur le plan territorial et fonctionnel. Il faudra s'interroger sur l'évaluation de la thérapie cellulaire et de la thérapie génique.

- Nous menons enfin quelques missions d'appoint en matière de recherche, de formation et d'enseignement. L'EFG n'est cependant ni une université ni un établissement public à caractère scientifique et technique.

Où en est l'EFG ?

L'EFG est opérationnel. Son conseil d'administration s'est réuni quatre fois, son conseil médical et scientifique trois fois. Des visites ont eu lieu dans plusieurs régions. Pour la thérapie cellulaire, j'ai eu connaissance du rapport que déposera M. Maraninchi. Avec l'AFS et l'Agence du Médicament, nous nous sommes déjà réunis à la DGS. Un travail en commun est engagé.

La thérapeutique établie est la thérapie cellulaire. La thérapeutique d'avenir dont l'efficacité n'est pas démontrée est la thérapie génique. Aujourd'hui, une toute petite partie de la thérapie cellulaire est susceptible d'être associée à une modification du patrimoine génétique.

Vous m'avez interrogé sur la législation.

La cellule est aux confins de plusieurs mondes :

- le monde du sang,

- le monde du médicament,

- le monde de la greffe.

Peut-on pour autant diviser la cellule pour identifier les territoires ? Ce n'est pas la bonne manière de procéder. Il s'agit d'un problème global et, du point de vue de la législation, j'identifie actuellement trois difficultés :

- une de nature éthique : je pense en particulier aux res nullius, ces pièces opératoires qui sont retirées par une opération chirurgicale. L'utilisation de ces res nullius dans un but scientifique et thérapeutique n'est pas soumise à consentement. On peut isoler des cellules infiltrant la tumeur, pour les extraire, les expandre, les multiplier, les trier et aboutir à un élément à usage thérapeutique. A la base, il n'y aura eu aucun recueil de consentement du donneur. Une affaire de ce type a d'ailleurs éclaté en Californie, celle de l'homme aux cellules d'or. Compte tenu du développement de la thérapie cellulaire et de la thérapie génique, il faut envisager la pratique de ces prélèvements du point de vue du consentement en sachant que cela aura une certaine lourdeur.

- une liée au prélèvement des cellules . Le prélèvement d'éléments cellulaires est souvent pratiqué dans les établissements de transfusion sanguine. De manière croissante, ces prélèvements sont faits dans les établissements de santé. Le prélèvement de cellules est un acte long, qui peut avoir un certain risque et doit être fait par des personnels ayant eu la formation nécessaire. Comment concilier ce souci, qui pousse vers le prélèvement dans un établissement de santé, et le désir de préserver la compétence acquise par certains Etablissements de Transfusion Sanguine ?

- la réglementation européenne : nous devrions avoir une vision plus claire du dispositif européen, car toute réflexion doit se placer dans cette perspective.

La répartition des tâches entre les agences.

Je comprends que vous soyez préoccupé à l'idée que ce champ soit partagé entre des établissements publics qui pourraient ne pas s'entendre.

La thérapie génique est ou sera proche du médicament. L'Agence du médicament me semble une voie de passage naturelle pour des raisons de sécurité. Il faudra toutefois que soient pris en compte les aspects éthiques (consentement). J'imagine que le groupe qui s'occupera de la thérapie génique au sein de l'Agence du médicament pourra faire appel aux autres structures lorsque des cellules humaines seront en jeu.

Aujourd'hui, la thérapie cellulaire est beaucoup plus lointaine du monde du médicament, même si j'imagine qu'à l'avenir on puisse expandre des lignées d'origine humaine, parfaitement reproductibles.

Aujourd'hui, il faut cependant que la thérapie cellulaire atteigne un niveau de sécurité analogue à celui du médicament. C'est la mission de l'Agence française du sang et de l'EFG de participer à cela.

M. Claude HURIET - Quelles sont les instances européennes qui s'intéressent à la thérapie cellulaire et à la thérapie génique ?

M. Marie-Paule SERRE - Il s'agit de la DG12 qui travaille avec l'Agence du Médicament de Londres.

M. Claude HURIET - Je m'interroge sur les res nullius et songe au placenta. Si on demande le consentement, on reconnaît l'existence d'un droit de propriété sur quelque chose qui a appartenu au corps et qui ne lui appartient plus. Je voudrais être convaincu de la nécessité de légiférer. Pour moi, le placenta est un déchet.

Vous avez évoqué le cas de l'homme aux cellules d'or. Un malade souffrant d'une leucémie à trico-leucocytes avait subi une splénectomie.

Ce n'est pas pareil. Des cellules d'un type très rare avaient été transformées pour obtenir une production semi-industrielle.

M. Didier HOUSSIN - A partir de cellules de la rate, mises en culture, un facteur a été produit et vendu. A partir d'un élément du corps humain qui n'est pas objet de marché on a abouti à un médicament, objet de commerce. On se trouve aux confins du don et du marché. Je n'ai pas de compétence juridique pour aborder clairement le problème. Un jour, un industriel mettant en culture des cellules humaines, obtenues de cette manière subreptice, et produisant un médicament, ne peut-il pas être en situation délicate devant la loi ?

On tourne autour de la notion du corps humain, objet de commerce. Les res nullius n'apparaissent dans la loi au titre des prélèvements à fin scientifique. Avec la thérapie cellulaire et la thérapie génique on peut se trouver dans le domaine des prélèvements qui, au bout du compte, auront une fin thérapeutique.

Mme Marie-Paule SERRE - L'industrie du vaccin a été construite autour du placenta. Pour leur exploitation, on n'a jamais demandé une autorisation à une femme.

Ce sont des problèmes de sécurité sanitaire qui ont mis un frein à ces pratiques. C'est un sujet important.

M. Didier HOUSSIN - A côté de l'aspect consentement, se pose effectivement aussi le problème de la sélection à visée de sécurité.

M. Claude HURIET - Le don de sang relève du consentement. Quand on retire au malade son estomac, il ne sait pas ce qu'il devient.

Lors des débats sur la réforme de la transfusion, l'idée du profit nous avait été opposée. Pour les produits sanguins stables, j'avais proposé que les profits soient destinés à la recherche avec comme objectif de se passer le plus rapidement possible des produits d'origine humaine.

Le res nullius est considéré comme n'appartenant plus à la personne. Il n'y a pas de raison d'en faire don. Le consentement serait d'une complexité effarante. Un chirurGiens pratiquant une intervention d'excérèse sur un malade porteur d'une tumeur qui peut être intéressante pour produire tel ou tel dérivé devrait lui demander l'autorisation de prendre cette pièce opératoire.

M. Didier HOUSSIN - Et s'il accepte que des examens soient faits, qui permettent d'assurer une certaine sécurité des produits. Extrayons d'une tumeur des lymphocites, expandons-les, immortalisons-les ; on arrive à une lignée qui peut avoir un intérêt thérapeutique considérable. Quelque chose du corps humain peut devenir un médicament et aucune sélection n'est pratiquée. C'est peut-être de la fiction mais c'est un point important qu'il faut examiner.

M. Claude HURIET - Ce point a-t-il été envisagé ?

Mme Pascale BRIAND - Il y a deux difficultés :

- le problème éthique de la demande du consentement,

- le problème de sécurité lié à l'anonymat du don. Il faudrait en effet pouvoir « suivre » les prélèvements, ce qui par exemple dans le cas de prélèvements osseux que l'on retrouve mêlés, après pulvérisés, n'est pas simple. Ce « suivi » est, sur le plan de la sécurité, très important.

M. Claude HURIET - C'est un argument incontournable. Ce n'est pas seulement un droit patrimonial (on ne reviendra pas sur le principe, les pièces opératoires sont des déchets), mais il y a des obligations de sécurité, et là, comment ne pas informer la personne sur qui va être fait le prélèvement ? Par là même, elle peut refuser.

Vous souhaitez que les prélèvements de cellules puissent également être pratiqués par les établissements de santé.

M. Didier HOUSSIN - C'est un domaine que je ne maîtrise pas parfaitement. Les prélèvements des cellules souches hématopoïétiques sont faits par les établissements de transfusion sanguine avec des séparateurs de cellules.

Pratiquement, ils sont aussi réalisés dans les services d'hématologie. Il y a eu un glissement : les cellules ne sont plus prélevées uniquement dans la moëlle osseuse mais également dans le sang périphérique.

Aujourd'hui, il n'est pas certain que les prélèvements faits dans les établissements de santé soient légaux et en revanche, c'est peut-être là qu'ils sont les plus sûrs. Ne faudrait-il pas une disposition législative pour coller à la réalité ?

M. Pierre BOTREAU-ROUSSEL - Ce point mérite une expertise juridique. M. Marimbert a évoqué récemment cette question.

Il existe déjà des dispositions législatives pour permettre aux établissements de santé de développer ces activités. A l'origine, il y avait trois catégories de produits :

- les produits sanguins stables (qui sont des médicaments comme les produits de coagulation),

- les produits sanguins labiles (comme les concentrés de globules rouges),

- les réactifs de laboratoire.

Une quatrième catégorie a été introduite récemment pour les cellules souches hématopoïétiques.

MME Pascale BRIAND - En prospective, la thérapie génique relève du médicament. Actuellement, les thérapies géniques qui se mettent en place sont le plus souvent de type cellulaire. Dans l'avenir, on peut penser que le transfert direct de gènes dans l'organisme, à l'aide de vecteurs non viraux sera plus large et que le rattachement au médicament ne soulèvera aucune contestation.

M. Claude HURIET - Vous vous situez en état stable.

Les vecteurs peuvent être considérés comme des médicaments quant à leurs conditions de fabrication mais pour tout ce qui n'est pas vecteur, la procédure de la thérapie génique est une thérapeutique dont tel ou tel élément peut être plus ou moins rapproché d'un médicament mais pas l'ensemble. Etes-vous d'accord avec la vision prospective de Mme. Briand ?

M. Didier HOUSSIN - Les projets de recherche de thérapie génique font appel aux cellules d'un individu. Elles sont modifiées in-vitro par la suite et réintroduites dans cet individu. On est très loin du médicament.

Si nous considérons que nous sommes dans une phase transitoire et qu'à terme le vecteur ne sera pas une cellule mais un produit chimique (un liposome, un virus), on sera dans le médicament.

La réflexion du législateur doit-elle coller à la réalité -qui est la réalité d'une inefficacité thérapeutique- ou se placer en perspective ?

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