II. L'IMPACT DES FLUCTUATIONS MONÉTAIRES EN EUROPE

A. LES FLUCTUATIONS MONÉTAIRES EN EUROPE : DESCRIPTION

L'Union européenne a connu à partir de l'été 1992 des fluctuations monétaires importantes, Entre 1992 et 1995, plusieurs monnaies - lire, livres anglaise et irlandaise, peseta, escudo, drachme, markka finlandais, couronnes suédoise et norvégienne - se sont fortement dépréciées par rapport au mark. Cette dépréciation a été particulièrement forte pour la lire (51 %), la drachme (59 %), la peseta (42 %) ou la couronne suédoise (39 %). Ces évolutions sont synthétisées dans le tableau ci-dessous.

Dépréciation par rapport au mark (1992-1995)

L'origine de ces dévaluations réside dans la situation économique propre de chacun de ces pays : dégradation de la compétitivité, déséquilibre de la balance courante, difficulté à poursuivre des politiques de convergence - notamment budgétaire --dans un contexte de chômage élevé.

La réunification allemande a toutefois constitué un élément décisif de ces évolutions. La nécessité pour l'Allemagne de soutenir la convergence tant économique que sociale des nouveaux Läinder, s'est traduite par une politique budgétaire expansionniste. Ainsi la politique monétaire allemande a-t-elle dû supporter exclusivement le poids du réglage de la conjoncture, et en particulier celui de la lutte contre l'inflation. L'excès de demande par rapport aux capacités de production de l'économie allemande (en raison de la hausse de l'investissement privé et des dépenses d'infrastructures à l'Est) a ainsi entraîné le resserrement de la politique monétaire menée par la Bundesbank et une hausse des taux d'intérêt allemands à court terme.

En changes flexibles, ceci aurait entraîné une réévaluation du mark, de telle sorte que le surcroît de demande aurait pu être satisfait par les producteurs étrangers en raison de l'amélioration de leur compétitivité.

Par le biais du SME, « système de changes fixes mais ajustables », la politique monétaire restrictive allemande a été « exportée » vers les autres pays d'Europe, alors que leur situation conjoncturelle n'était précisément pas celle de l'Allemagne, dont l'activité était dynamisée par la réunification. Dès lors, un certain nombre de pays ne pouvaient supporter les coûts que cette situation entraînait pour leur économie et ont soit laissé fluctuer leur monnaie - comme l'Italie et le Royaume-Uni -, soit procédé à des réalignements répétés - comme l'Espagne -.

Les conséquences théoriques d'une dévaluation peuvent, en première analyse, être décrites comme suit :

- pour les pays dont la monnaie s'est dépréciée, le surcroît de compétitivité qui en résulte entraîne une augmentation de l'activité et de la production ; pour les pays dont la monnaie s'est dépréciée, les conséquences sont inverses ;

- une dépréciation de la monnaie se traduit par un renchérissement des importations, donc un « choc inflationniste ». Mais l'ampleur de celui-ci dépend non seulement de l'importance de cette dépréciation - il faut avoir à l'esprit qu'une dépréciation de la lire par rapport au mark de 50 % se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par un doublement du prix des importations en provenance d'Allemagne -, mais aussi du comportement des agents intérieurs et en particulier des modalités d'indexation des salaires à la hausse des prix. L'effet positif pour la compétitivité de la dévaluation sera plus ou moins fort, et plus ou moins durable, selon la rapidité et l'importance de l'indexation des salaires sur les prix ;

- une dévaluation a, à court terme, un effet négatif sur la balance courante : celle-ci est transitoirement dégradée en raison du renchérissement des importations. Par la suite, les gains de compétitivité permettent un redressement du solde courant. Cette séquence est généralement résumée par l'expression de « courbe en J » qui décrit l'évolution du solde extérieur d'un pays dont la monnaie s'est dévaluée ;

- enfin, le surcroît de production engendré par la dévaluation devrait normalement se traduire par une augmentation de l'emploi et une baisse du chômage.

L'analyse des expériences de dévaluations en Europe 8 ( * ) met toutefois en évidence des évolutions assez différentes de ces schémas théoriques et sensiblement divergentes entre elles , en particulier pour ce qui concerne les économies les plus importantes : Royaume-Uni, Italie et Espagne.


• La première surprise suscitée par cette analyse concerne l'inflation. Celle-ci a ainsi baissé en 1993 et 1994 dans la plupart des pays qui ont connu une dévaluation, et notamment au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne. Ce n'est qu'en 1995 que des tensions sur les prix ont commencé à se manifester, mais celles-ci demeurent limitées, surtout eu égard aux effets généralement pronostiqués. Ainsi, la dépréciation nominale du taux de change s'est-elle accompagnée durablement d'une dépréciation réelle, alors que les expériences des années 70 et 80 tendaient à montrer, au contraire, qu'en raison des conséquences inflationnistes d'une dévaluation, la dépréciation réelle du change n'était pas durable.


• Les déficits extérieurs des pays qui ont dévalué se sont réduits. L'Italie connaît même un excédent extérieur et on n'y retrouve pas la « courbe en J » qui décrit l'évolution du solde extérieur caractéristique d'une dévaluation : le redressement du solde extérieur y est en effet immédiat.


• Le rétablissement du solde extérieur dans les pays dont la monnaie s'est dépréciée, a permis de soutenir la demande et l'activité.


• Paradoxalement, malgré cet impact positif sur la demande et l'activité, ces pays ont connu des évolutions de l'emploi plus défavorables que les pays à monnaie forte (Allemagne et France).


• Mais l'analyse des expériences de dévaluations met également en évidence des divergences très nettes.

En Italie et en Espagne, les taux d'intérêt ont augmenté, ce qui a ralenti l'investissement. Cette augmentation s'est traduite en Italie par une politique budgétaire restrictive, afin de compenser l'effet négatif sur la dette publique de la hausse des taux d'intérêt. Enfin, la consommation des ménages s'est fortement contractée en Italie. Au Royaume-Uni au contraire, les taux d'intérêt ont baissé, ce qui, combiné à une politique budgétaire expansionniste, a stimulé l'investissement.

De même, les évolutions de taux de change ont-elles été très différentes, autant dans leur ampleur que dans leur dynamique. Les entreprises britanniques ont profité de la dévaluation pour augmenter leurs marges à l'exportation, ce qui a eu des effets positifs sur leurs investissements. Au contraire, les entreprises italiennes et espagnoles ont profité des dévaluations pour gagner des parts de marché à l'exportation et limiter ainsi les effets négatifs de la contraction de la demande intérieure. Ceci peut expliquer le caractère plus « incontrôlé » de la baisse du taux de change en Italie et en Espagne, alors qu'au Royaume-Uni, celui-ci s'est au contraire stabilisé après la sortie du Système Monétaire Européen.

* 8 La revue du CEPII n° 63, 3 ème trimestre 1995) est consacrée à une analyse de ces dévaluations

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