III. L'ÉVOLUTION DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES COMMENT ÉVALUER L'INCERTITUDE ?

A. L'INCERTITUDE SUR L'ARBITRAGE DES MÉNAGES ENTRE CONSOMMATION ET ÉPARGNE

Les prévisions de croissance de l'activité dépendent de manière cruciale de l'évolution de la consommation des ménages, qui représente environ 70 % du PIB. Ceci est encore plus évident pour la projection de l'économie mondiale à l'horizon 2002 réalisée à l'aide du modèle MIMOSA et présentée récemment 9 ( * ) . Celle-ci en effet décrit une reprise tirée en début de période par le redémarrage de l'investissement des entreprises. Mais au-delà de ce « cycle de l'investissement », et une fois que les entreprises auront reconstitué leurs capacités de production, la consommation pourra-t-elle constituer un moteur pour la croissance ?

La réponse dépend d'abord de l'évolution du revenu des ménages. Or, celui-ci est bridé dans la projection MIMOSA -comme dans la plupart des prévisions, tant à court terme qu'à moyen terme, actuellement disponibles- par la progression modeste de sa composante essentielle, les salaires. Dans la projection MIMOSA, le taux de croissance des salaires réels de 1994 à 2002 est ainsi limité à 0,8 % par an en France.

La projection repose toutefois sur l'hypothèse d'une forte baisse du taux d'épargne des ménages : de 11,7 % du revenu disponible en 1995 à 9 % en 2002 pour la France. Ainsi, la progression de la consommation des ménages serait-elle plus rapide (2 % par an en moyenne de 1994 à 2002) que celle de leur revenu disponible (1,5 % par an en moyenne).

L'hypothèse d'une baisse du taux d'épargne des ménages a, de plus, été retenue pour la plupart des pays industrialisés, en particulier pour le Japon - de 19,1 % en 1995 à 15,3 % en 2002, et pour le Royaume-Uni - de 9,6 % en 1995 à 7,6 % en 2002-.

C'est précisément parce qu'une hypothèse de cette nature soutient fortement l'activité dans la prévision qu'il convient d'en souligner l'incertitude .

Le taux d'épargne des ménages a connu en effet depuis le début des années 90 des évolutions atypiques et mal expliquées .

Le taux d'épargne a fortement progressé dans nombre de pays industrialisés - France, Royaume-Uni et Japon notamment - pendant la phase de ralentissement de 1990-1993 - ; il a augmenté de 2,3 points en France, contribuant à une évolution ralentie de la consommation (+ 1,3 % par an en moyenne) et de la croissance (+ 0,6 % par an en moyenne). Selon certaines estimations 1 ( * )0 , si le taux d'épargne était resté stable sur cette période, la progression du PIB aurait été le double de celle constatée.

Or l'arbitrage des ménages entre consommation et épargne s'est modifié de manière atypique dans cette période de ralentissement du revenu et de l'inflation : le taux d'épargne suit en effet généralement une évolution inverse de celle de l'activité et du revenu. En période de ralentissement, les ménages tendent à réduire leur épargne pour maintenir leur consommation. Inversement, en phase de reprise, l'accélération des revenus ne se répercute que lentement sur leur consommation, ce qui se traduit par une augmentation du taux d'épargne. L'évolution du taux d'épargne contribue ainsi à amortir les fluctuations de la conjoncture et joue un rôle « contra-cyclique ».

La rupture de comportement des ménages depuis 1990, par rapport aux années 70 et 80, n'est pas expliquée par les déterminants habituels du taux d'épargne que sont l'évolution du pouvoir d'achat du revenu et l'inflation. L'écart entre le niveau de la consommation observée et le niveau de la consommation simulée selon ces déterminants, est ainsi évalué à environ 5 % en 1994 par la Direction de la Prévision 1 ( * )1 .

Les économistes avancent ainsi plusieurs raisons à l'augmentation a priori surprenante du taux d'épargne des ménages depuis 1990 :

- les variations du taux de chômage pourraient être à l'origine du comportement d'épargne de précaution ;

- la forte augmentation de la part des revenus financiers dans le revenu des ménages depuis le milieu des années 80 expliquerait également l'augmentation du taux d'épargne ; la propension à consommer ce type de revenus serait en effet inférieure à celle des revenus non financiers 1 ( * )2 ;

- la déréglementation financière survenue au milieu des années 80 aurait accru la concurrence dans la distribution du crédit, entraînant ainsi une augmentation des crédits de trésorerie aux ménages. Ceci expliquerait dans un premier temps la baisse du taux d'épargne au cours des années 80. Par la suite, au contraire, cette évolution, conjuguée au développement des instruments de placement financier, aurait rendu les ménages plus sensibles au taux d'intérêt. Ainsi la hausse des taux d'intérêt en 1992-1993 aurait accru, d'une part la contrainte de désendettement des ménages et, d'autre part, l'attrait pour les placements financiers, les deux phénomènes concourant à une hausse du taux d'épargne.

La prise en compte de ces variables ne parvient toutefois à expliquer qu'en partie la modification du comportement des ménages et le niveau élevé du taux d'épargne. Le modèle MIMOSA intègre, dans l'équation qui détermine l'évolution de la consommation, des variables telles que la variation du chômage ou le niveau des taux d'intérêt. Pourtant, la consommation observée reste inférieure de 2,7 % en 1995 à la consommation qui résulterait du fonctionnement spontané du modèle. L'écart est de 4,3 % pour le Japon et de 4,8 % pour le Royaume-Uni.

La dernière projection à l'horizon 2002 réalisée à l'aide du modèle MIMOSA retient l'hypothèse que cet écart - ce « manque à consommer » - serait résorbé à moyen terme, de telle sorte que la consommation progresserait plus vite que ce qui résulterait du fonctionnement spontané du modèle.

Ceci suppose une baisse du taux d'épargne, qui reviendrait à un niveau « normal ».

L'incertitude qui entoure cette hypothèse est toutefois évidente : un retour du taux d'épargne vers son niveau normal paraît d'autant plus difficile à justifier que son niveau actuel n'est pas totalement expliqué.

C'est pourquoi il paraît nécessaire de présenter une variante dans laquelle les taux d'épargne seraient durablement plus élevés que dans la projection MIMOSA de référence.

Cette variante permet en quelque sorte d'évaluer l'incertitude sur l'évolution future de la consommation et de l'épargne des ménages.

* 9 Voir rapport d'information n° 411 (SÉNAT 1994-1995).

* 10 Voir Revue de l'OFCE n° 53 (Avril 1995) « Le mystère de la consommation perdue » .

* 11 Rapport sur les comptes de la Nation en 1994 (Tome 1, page 56).

* 12 Ce qui semble notamment évident pour les intérêts versés par les SICAV de capitalisation : dans ce cas, les revenus d'intérêts viennent directement abonder l'épargne des ménages et ne sont pas consommés.

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