B. UNE POLITIQUE COMMUNAUTAIRE COHÉRENTE TANT VIS-À-VIS DES PAYS TIERS QUE DES ÉTATS MEMBRES ET RESPECTUEUSE DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

Si l'objectif de stabilisation des émissions de CO 2 puis de réduction, ne saurait être remis en cause, tant à l'égard de la Communauté que des autres États européens, encore faut-il établir des priorités rationnelles et privilégier les moyens les plus efficaces.

Cette efficacité de l'action communautaire exige un double effort de cohérence, tant à l'intérieur de l'Union, que dans la conduite de ses relations extérieures. L'expérience démontre en effet l'efficacité de mesures nationales de réduction des émissions de CO 2 dans le respect des objectifs communs. L'existence d'un mécanisme communautaire de contrôle permet en outre de veiller, par des bilans périodiques, à la réalisation des engagements souscrits.

Enfin, aux impératifs d'efficacité économique dans le choix des moyens, s'ajoutent des considérations d'équilibre institutionnel pour justifier les préventions persistantes à l'égard d'une Taxe communautaire harmonisée.

1. L'impératif de cohérence de l'action communautaire extérieure : priorité à l'efficacité énergétique en Europe centrale

Sans doute peut-on, et même doit-on, s'inquiéter de pareil foisonnement d'initiatives communautaires concourant au même but : aider les pays d'Europe centrale et orientale à préserver l'environnement, et tout particulièrement à améliorer la sûreté et le rendement de leur secteur énergétique. Il y a certainement de nombreux chevauchements entre les « volets environnement » des programmes communautaires ouverts aux pays tiers, ceux qui leur sont spécifiquement destinés, mais regroupant des actions très diverses et ceux, enfin, qui visent plus spécialement l'amélioration de la production d'énergie dans les pays tiers éligibles.

Sans doute convient-il, et de toute urgence, de demander à la Cour des Comptes des Communautés européennes (et non aux « Cabinets d'audit » peuplés d'« experts indépendants » abonnés à la manne communautaire, qui concluent, sans surprise, à l'insuffisance des moyens logistiques de la Commission pour gérer une dizaine de programmes concurrents....) la préparation d'un rapport spécial sur la rationalisation de l'action de la Communauté.

On ne peut en effet que souscrire aux observations tant de la proposition de résolution de M. Robert PANDRAUD, au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale (n° 2380 du 22 novembre 1995) que du rapport de M. Robert GALLEY au nom de la commission de la production et des échanges et de la résolution finalement adoptée (n° 2505 du 24 janvier 1996), portant sur les programmes SYNERGY (E-506) et SAVE II (E-511).

Néanmoins, si une remise en ordre s'impose, il convient de ne pas perdre de vue l'absolue priorité qui doit être accordée à l'amélioration de l'efficacité énergétique dans les pays hors O.C.D.E. : c'est d'eux que sont attendus les 90 % d'augmentation d'émissions de CO 2 au siècle prochain.

Plutôt que d'imposer aux constructeurs automobiles européens des mesures chaque jour plus draconiennes, à l'effet de plus en plus incertain, il convient de toute urgence de mobiliser des crédits en faveur de la réduction des émissions de CO 2 en faveur d'abord de nos voisins, les pays d'Europe centrale et orientale.

Sait-on assez que 25 % des émissions mondiales de CO 2 proviennent de cette zone, contre 23 % du sous-continent Nord-Américain, et 13 % de l'ensemble des pays de la C.E.E. dont les performances économiques sont pourtant peu comparables à celles de l'Europe de l'Est ! Les taux constatés traduisent en effet l'archaïsme des processus de production d'énergie et de produits industriels, gaspillages thermiques, sources très polluantes comme le lignite, absence de dispositifs anti-rejets, équipements et méthodes archaïques... Plutôt que de handicaper encore l'industrie communautaire par des normes sans cesse renforcées pour des gains infimes en termes de pollution, il faut investir massivement en faveur de l'efficacité énergétique dans les P.E.C.O. Il y a là, à l'évidence, un « gisement » d'économies majeures, que la technologie européenne, sans doute la plus performante dans le domaine des économies d'énergie, peut aider à valoriser rapidement.

Encore faudrait-il écarter le « tabou » largement présent dans les instances communautaires, du développement de l'énergie nucléaire (selon les normes occidentales, cela va sans dire).

Enfin, s'agissant de la cohérence de l'action communautaire extérieure en faveur de la réduction de la pollution atmosphérique, il faudrait sans doute affirmer, clairement et constamment, cet objectif dans les mandats de négociation d'accords commerciaux, bilatéraux ou multilatéraux.... et ne pas menacer les États-Unis d'un contentieux au G.A.T.T. pour obtenir le démantèlement des taxes américaines sur les voitures à forte consommation de carburant (« gaz guzzler tax ») et sur les voitures importées dont la moyenne de consommation est supérieure à 8,6 litres/100 km (CAFE) au prétexte qu'elles pèsent principalement sur les véhicules de luxe produits en Angleterre et en Allemagne.... (cf. demande de « Panel » du 13.05.1993).

Mais au contraire plaider que, si la taxe américaine sur les produits chimiques importés est compatible avec l'O.M.C, comme le soutiennent les U.S.A., mieux vaudrait intégrer peu à peu une prise en compte globale des impératifs de protection de l'environnement dans les échanges, de façon neutre et multilatérale.

2. Cohérence intra-communautaire

La prise en compte des aspects environnementaux de toutes les politiques de l'Union est désormais prescrite par le Traité lui-même (art. 130 S). On voudrait cependant appeler également l'attention du Gouvernement français sur la nécessité de recommander aux autorités bruxelloises compétentes en matière de concurrence, une certaine prudence dans la dérégulation de certains secteurs dont les règles de fonctionnement contribuent précisément à la protection de l'environnement.

Ainsi, en attendant une hypothétique « internalisation » des effets induits sur l'environnement par les différents modes de transport au moyen d'une « tarification équitable » (cf. Communication de la Commission « Pour des prix plus efficaces et plus justes » 20.12.1995), ne convient-il pas de préserver l'équilibre actuel du transport par voie ferrée, cet « équilibre » fût-il obtenu grâce à des subventions ?

Plutôt qu'une nouvelle taxe communautaire à l'assiette mal ajustée, ne convient-il pas d'harmoniser les taxes sur les transports routiers, selon une progression assez lente pour permettre les ré-allocations d'investissements en faveur du rail ou du transport combiné (et de ne pas imposer de recul de leur législation à l'Autriche et à la Suisse qui supportent un trafic de passage disproportionné).

Il convient sans doute de favoriser peu à peu le report de l'usage des moyens de transport les plus polluants vers d'autres plus économes d'énergie, sachant que le secteur des transports est le seul, en Europe, à augmenter ses émissions de CO 2 ; elles ont ainsi augmenté de 7 % de 1990 à 1993 et, selon les prévisions sur les dix prochaines années, cette augmentation devrait atteindre près de 25 % (cf. Avis de la commission des transports du Parlement européen - PE-214-446/95 du 12 septembre 1995).

Néanmoins, cet infléchissement ne peut être que progressif, sauf à provoquer des désordres graves dans le marché intérieur et dans la compétitivité extérieure de l'Union, l'objectif pouvant être de revenir aux proportions observées il y a vingt ans : 50 % des transports effectués par la route, contre 75 % en 1990 » (sous l'effet, notamment de « la déréglementation européenne qui est à l'origine d'une baisse des tarifs de fret routier de 15 % entre 1985 et 1990, selon les observations de M. Michel BARNIER lui-même, dans le rapport d'information sur la première proposition d'Ecotaxe - Doc. A.N. n° 2755 du 3 juin 1992).

Il conviendrait également d'appeler l'attention de la Commission sur le développement des « bio-carburants » que, certes, la Communauté soutient via le programme JOULE (qui comporte une aide à des actions de démonstration d'énergies renouvelables comme la production combinée de chaleur et d'électricité par la gazéification de la biomasse), mais oppose l'harmonisation de la fiscalité indirecte au projet français d'incitation à l'usage des bio-carburants. Qu'il nous soit permis de rappeler notre proposition (n° 403, 2 e session ordinaire de 1993-1994), déposée sur le Bureau du Sénat le 6 mai 1994, avec nos collègues MM. DEBAVELAERE, MACHET, PLUCHET, de RAINCOURT et SOUPLET, et dans laquelle nous exposions tous les avantages environnementaux et économiques de cette source d'énergie.

3. Les mesures françaises en faveur des réductions de la pollution atmosphérique

Pour accréditer la proposition que suggère le présent Rapport d'un simple contrôle par les autorités communautaires de la réalisation des objectifs, définis par elles, au moyen des mesures nationales de limitation des émissions de CO 2 , encore faut-il établir que les États membres s'engagent dans des politiques résolues, même si les instruments choisis peuvent différer d'un État membre à l'autre.

Il existe d'ores et déjà en effet de nombreuses dispositions réglementaires ou fiscales dans les États membres pour inciter à la limitation des émissions de CO 2 , notamment en France. Si ce n'est pas le lieu ici de les décrire toutes, on mentionnera le poids déjà considérable des taxes sur les carburants, ou encore la taxe sur les véhicules automobiles dont la progressivité très accentuée vise à « pénaliser » les véhicules aux consommations les plus élevées (taxe dont la Cour de justice des Communautés européennes vient d'ailleurs, dans un Arrêt du 6 décembre 1995, de reconnaître la compatibilité avec les règles du Marché commun).

Enfin, on mentionnera la « taxe sur la pollution atmosphérique », perçue au profit de l'Agence des Économies d'Énergie », dont le produit s'est monté, en 1995, à près de 150 millions de francs, tandis que celle sur les « huiles de base » rapportait, quant à elle, près de 110 millions de francs.

Quant aux dispositions fiscales favorisant les économies d'énergie. M. Alain LAMBERT, Rapporteur Général du Budget, dans son Rapport au nom de la Commission des finances du Sénat (n° 77 - T. III - Rapport sur le Projet de loi de finances pour 1996), estime la « dépense fiscale », correspondant à cet avantage, à plus de 2 milliards de F.

On ajoutera qu'en cas d'institution d'une taxe communautaire harmonisée, comme il n'est pas prévu qu'elle ait un caractère différentiel mais bien qu'elle s'ajoute aux taxes existantes, quelles que soient les différences de montant de ces taxes entre les États membres, les carburants et les énergies déjà lourdement taxés en France atteindraient des coûts complètement prohibitifs, tandis que les États « en retard » bénéficieraient d'un avantage comparatif, source de nouvelles distorsions.

Ces taxes, combinées avec les diverses mesures d'incitation fiscale aux économies d'énergie, ont d'ailleurs permis à notre pays d'obtenir des performances remarquables qui plaident pour la poursuite de cette politique efficace, de préférence à l'instauration d'une taxation harmonisée aux effets incertains.

En ce qui concerne le gaz carbonique, l'un des principaux responsables de l'effet de serre, la France a réduit ses émissions totales de carbone d'environ 30 % entre 1980 et 1990, alors que les autres pays européens ont connu, dans leur majorité, une stagnation ou une augmentation de ces émissions. Cette réduction des émissions françaises de carbone est imputable pour 60 % au programme électronucléaire, et pour 30 % aux économies d'énergies réalisées. Le niveau d'émission de la France par habitant (1,8 tonne de carbone par an) est l'un des plus faibles d'Europe, puisqu'il est de 3 en Allemagne, de 2,7 en Grande-Bretagne, de 1,8 en Italie, et de 2,3 pour la moyenne de l'Europe des Douze.

Pour le dioxyde de soufre, l'un des facteurs majeurs des pluies acides, la réduction globale des émissions est encore plus spectaculaire. Elle atteint 60 % depuis 1980, conduisant à un des résultats les meilleurs d'Europe de l'ordre de 670 milliers de tonnes de soufre par an en 1990, légèrement supérieur à celui de l'ex-R.F.A. (530 t), mais largement inférieur au Royaume-Uni (1.916 t) et à l'Italie (1.205 t), pays d'importance comparable, à l'Espagne (1.095 t) malgré son importance économique et démographique moindre et bien sûr à l'Allemagne réunifiée (3.151 t).

En ce qui concerne les oxydes d'azote (NOX), la France enregistre une augmentation de ses émissions entre 1988 et 1990 (de 1.615 à 1.772 t d'équivalent NO 2 par an) principalement à cause du développement des consommations de carburants dans le secteur des transports. Elle occupe une position médiane en Europe, meilleure que celle de l'Allemagne (2.860 t) et du Royaume-Uni (2.573 t), comparable à celle de l'Italie (1.700 t), mais sensiblement moins favorable que pour l'Espagne (950 t).

C'est dans ce contexte que s'inscrira la future loi sur la qualité de l'air, qui accentuera l'effort de lutte contre les pollutions atmosphériques, déjà largement engagé, comme on l'a vu.

Enfin, la baisse de la production de charbon, en France surtout, entraînera une baisse des émissions de CO 2 , d'autant plus qu'elle s'accompagne d'une baisse (de 5 % en un an) des importations à cause de l'amélioration du rendement des procédés de production électrique ou de la conversion à d'autres sources d'énergie (gaz au Danemark par exemple).

Évolution de la production de charbon des États membres ( en millions de tonnes )

1994

1995

1996

Allemagne

Espagne

France

Irlande

Portugal

Royaume-Uni

57,6

18,2

7,5

3,0

1,5

48,0

59,3

17,8

7,4

3,0

-

53,0

56,7

17,6

7,1

3,0

-

47,0

Total

135,8

140,5

131,4

Sans doute y aurait-il lieu d'inviter la Grande-Bretagne et l'Allemagne (qui subventionne l'usage du charbon par ses entreprises), si promptes à recommander les dérégulations les plus radicales à leur partenaire français, de laisser jouer pleinement les lois du marché à l'égard de l'extraction du charbon national, à l'instar des choix français pourtant politiquement très difficiles...

Aussi, en raison même des situations différentes des États membres à l'égard de la disponibilité des diverses ressources, de leurs options énergétiques, des choix fiscaux et des traditions réglementaires, comme de la limite, à peu près partout atteinte, de l'acceptabilité de nouveaux prélèvements fiscaux, il convient de laisser à chaque État membre le choix des voies et moyens pour parvenir à la réalisation des objectifs fixés au niveau communautaire.

Cela est parfaitement possible puisque, précisément, un instrument juridique a été institué pour procéder à ce contrôle.

4. Le contrôle communautaire des réductions de rejet de CO2

En effet, institué par une Décision du conseil du 24 juin 1993 (J.O.C.E. L du 9.07.93) un « mécanisme de surveillance des émissions de CO 2 et des autres gaz à effet de serre dans la Communauté » permet de contrôler l'efficacité des mesures prises par les États pour réaliser l'objectif de stabilisation des émissions en l'an 2000 par rapport aux valeurs observées en 1990, objectif d'ailleurs rappelé dans le préambule de la Décision.

Selon son dispositif, les États membres établissent et publient des « programmes nationaux de limitation des émissions anthropogéniques de CO 2 » et prévoient l'élimination de ces émissions par dépôts selon la meilleure méthodologie disponible, mise au point par un groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, et arrêtée par la Commission, assistée d'un comité de gestion.

Des évaluations périodiques sont faites par la Commission qui présente des observations aux États membres et un rapport au Parlement européen et au Conseil (le premier a été publié le 10 mars 1994 - Corn. 67 final).

Ce mécanisme de surveillance est déjà opérationnel et s'appuie sur les programmes nationaux qui comportent les engagements suivants (modulés selon les situations respectives) :

Plans concernant les émissions de CO2 au niveau national

1990
(en millions de tonnes
de CO 2 )

Plans nationaux
(2000 sauf indication contraire)

B

112,0

- 5 %

DK

53,01

- 20 % par rapport à 1988 d'ici à 2005

D

1.005,0

- 25 % par rapport à 1987 d'ici à 2005

GR

73,7

+ 25 %

ES

210,7

+ 25 %

F

365,7

+ 13 %

IRL

30,8

+ 20 %

IT

402,4

0 %

L

12,5

- 20 % d'ici à 2005

NL

157,3

- 3,5 %

P

39,9

+ 30 à 40 %

UK

579,2

0 %

(Source : Commission CEE-30.03.94)

Il convient dès lors de laisser ce mécanisme fonctionner afin de vérifier si, effectivement, les programmes nationaux permettent ou non de réaliser les engagements communs de maîtrise des émissions nocives.

De même, il existe un mécanisme communautaire de surveillance de l'application des directives concernant la qualité de l'air ambiant.

Actuellement, il existe cinq directives principales concernant la qualité de l'air ambiant, à savoir : la directive 80/779/CEE, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l'anhydride sulfureux et les particules en suspension (JO 1980 ; L 229 : 30-80), modifiée par la directive 89/427/CEE (JO 1989 ; L 201 : 53-55) ; la directive 82/884/CEE, concernant une valeur limite pour le plomb contenu dans l'atmosphère (JO 1983 ; L 378 : 15-18) ; la directive 88/609 relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l'atmosphère en provenance des grandes installations de combustion (par ailleurs soumises à étude d'impact selon le droit communautaire) ; la directive 85/203/CEE, concernant les normes de qualité de l'air pour le dioxyde d'azote (JO 1985 ; L 87 : 1-7) ; la directive 92/72/CEE, concernant la pollution atmosphérique par l'ozone (JO 1992 ; 1297 : 1-7).

La mise en oeuvre de ces directives vient de faire l'objet d'un rapport très détaillé publié par la Commission le 26 juillet 1995.

En outre, récemment, la Commission a adopté deux nouvelles propositions relatives à la qualité de l'air ambiant. Il s'agit d'une proposition de directive du Conseil concernant l'évaluation et la gestion de la qualité de l'air ambiant, adoptée le 4 juillet 1994 (COM (94) 109 final 94/0106 SYN), qui a fait l'objet d'une « position commune du Conseil » le 30 novembre 1995, et d'une proposition de décision du Conseil établissant un échange réciproque d'informations et de données provenant des réseaux et des stations de mesure de la pollution de l'air ambiant dans les États membres, adoptée le 7 septembre 1994 (COM (94) 345 def. 94/104) qui a fait l'objet d'un « accord » politique au Conseil du 6 octobre 1995.

Comme on le voit, les instruments communautaires de contrôles des rejets nocifs dans l'atmosphère ne manquent pas, et ils sont tous soumis à la fixation de valeurs limites au niveau communautaire et à la surveillance de la Commission.

Pourquoi ne pas faire l'hypothèse de l'efficacité de cet appareil normatif très complet et dûment surveillé par la Commission ?

En tout état de cause, il convient d'abord d'établir un bilan indiscutable des effets des mesures nationales d'application des multiples directives, avant de s'aventurer à établir une taxe communautaire harmonisée dont les effets économiques et environnementaux demeurent largement incertains, mais dont les conséquences institutionnelles pourraient se révéler de grande portée.

5. L'institution d'une taxe communautaire : des difficultés rémanentes

En regard de l'efficacité des mesures nationales de réduction des émissions de CO 2 , d'une part, et des mesures communautaires non fiscales, d'autre part (normes techniques, mesures incitatives, promotion de la recherche), quels seraient les avantages d'une taxe communautaire harmonisée ?

Il semble bien que les inconvénients l'emportent aux yeux de la plupart des États membres, en raison de sa douteuse efficacité environnementale et de son impact financier tout d'abord, de ses conséquences institutionnelles éventuelles enfin.

- Une efficacité environnementale insuffisamment démontrée

Si la taxe devait en effet épargner largement les entreprises consommant le plus d'énergie et exposées à la concurrence pour peser essentiellement sur les transports et les consommations des ménages, se pose alors la question des biens et services de substitution et de l'élasticité aux prix de la demande de ces biens et services.

Le Comité économique et social de la Communauté avait déjà souligné ces interrogations, dans son avis du 24 février 1993 :

« Pour atteindre l'objectif visé, différentes mesures s'imposent. Le Comité considère que les instruments de l'économie de marché, tels que les taxes affectées et des impôts, les incitations fiscales et les aides d'États, sont des outils importants, complémentaires des mesures réglementaires. Il ne faut néanmoins pas surestimer l'efficacité de ces instruments. Elle est d'autant plus grande que l'opérateur bénéficiant de subventions ou assujetti à des taxes (affectées ou non) dispose de solutions de rechange pour atteindre l'objectif visé. »

Dans son avis, le Comité économique et social exprime encore des doutes sur les effets à long terme de la taxe communautaire harmonisée comme instrument de protection de l'environnement :

« La fraction « CO 2 » de la taxe proposée vise principalement à modifier la répartition entre les différentes sources d'énergie (priorité donnée au gaz naturel, recul du charbon). À long terme toutefois, les réserves de toutes les énergies fossiles sont limitées et il faudra également faire appel au charbon. La fraction « CO 2 » de la taxe n'aura finalement pour effet à long terme que de modifier l'ordre de consommation mais n'entraînera pas d'amélioration définitive des conditions atmosphériques (politique énergétique en dents de scie impliquant des coûts d'adaptation élevés pour l'économie générale). De plus, au cours de la première moitié du prochain siècle au plus tard, les situations de pénurie (durée de vie variable des différentes sources d'énergie) feront sentir leur effet sur les prix, indépendamment des excédents d'énergie actuels à court terme. Il en résultera, étant donné la durée de vie plus limitée du pétrole et du gaz naturel, que les pénuries relatives de ces deux sources d'énergie s'aggraveront plus vite que celle du charbon, ce qui entraînera également une augmentation plus rapide de leur prix. Il n'est pas exclu que cette augmentation des prix du pétrole et du gaz naturel imposée par le marché fasse plus que compenser en quelques décennies les charges fiscales supplémentaires supportées par le charbon. Il y a lieu de se demander dans ce contexte si l'utilisation de charbon d'importation, qui tendra sans doute à s'accroître, n'est pas en totale contradiction en termes de politique énergétique (sécurité d'approvisionnement) avec les mesures antérieures de réduction des capacités charbonnières européennes.

« C'est pourquoi le comité exprime certains doutes quant à la fraction « CO 2 » de la taxe telle qu'elle est proposée par la Commission. »

- Un impact économique majeur

Le même avis du Comité économique et social évaluait ainsi l'impact de la taxe : « l'effet macro-économique de la seule taxe sur les émissions de dioxyde de carbone pourrait réduire le produit national brut de 0,5 % à 3 % d'ici à l'an 2000 ». À cela s'ajouterait l'impact de la taxe sur les autres sources d'énergie, y compris l'énergie nucléaire et celle produite par les grands barrages (en raison de leur impact sur le paysage et le régime des eaux, sans doute : on voit que les critères retenus sont autant idéologiques que scientifiques, puisque, pour moitié, la taxe pèserait sur des sources d'énergie qui ne contribuent nullement aux émissions de CO 2 ).

On soulignera encore que, selon une toute récente évaluation de l'impact économique de la taxe par le Centre européen des entreprises publiques - C.E.E.P., le produit de la taxe communautaire harmonisée atteindrait, à son taux plein, de 50 à 60 milliards d'Écus, soit au moins 325 milliards de francs.

Encore cet impact est-il calculé en ne prenant en compte que les douze États membres avant le dernier élargissement (cf. Avis du C.E.E.P. du 11 décembre 1995).

Enfin, selon le groupe des sociétés qui consomment le plus d'énergie, ENERG-G 8, le coût du gaz et de l'électricité en Europe serait d'ores et déjà supérieur de 80 % à celui constaté aux États-Unis. Ce groupe met donc en garde contre tout relèvement supplémentaire des prix européens qui ne manquerait pas d'aggraver la perte de compétitivité européenne et l'aggravation du chômage.

Sans doute, ces données sont-elles présentées de façon quelque peu alarmiste. Il n'en reste pas moins que le Comité économique et social de la Communauté a également souligné l'extrême prudence qui sied dans la mise en oeuvre d'une taxe qui peut perturber l'allocation d'investissements à long terme : « pour mener à bien l'adaptation de l'économie européenne, il faudrait disposer de délais à moyen terme », assurer la prévisibilité des mesures à moyen terme, et prévoir, « dans les secteurs économiques à forte consommation d'énergie, des actions de soutien ciblées » que le C.E.S. estime « indispensables ». S'il faut subventionner les secteurs taxés, on doit alors s'interroger sur la pertinence de l'instauration d'une taxe aux effets redoutables en terme de compétitivité...

- L'introuvable neutralité fiscale

Sans doute, la Commission préconise-t-elle que l'instauration de la taxe communautaire harmonisée s'accompagne de réductions concomitantes d'autres prélèvements, et à concurrence de son produit.

Louable souci, d'ailleurs conforme aux recommandations du récent Livre Blanc de la Commission sur la compétitivité de l'économie européenne qui préconise précisément la stabilisation, voire l'abaissement des prélèvements obligatoires dans la Communauté, en privilégiant les allégements portant sur les coûts indirects du travail.

À cela, cependant, deux obstacles : d'une part, la Commission n'est pas compétente pour fixer les orientations des systèmes fiscaux nationaux,et plusieurs États membres semblent peu disposés à accepter un déplacement de la répartition des compétences dans un domaine sensible entre tous ( cf. ci-dessus, p. 14 et 15, extraits du rapport de M. Michel Barnier) ; d'autre part, l'exercice portant sur 350 milliards de francs, il est peut-être plus difficile à pratiquer qu'à recommander...

Il était sans doute réservé à un membre du Parlement européen de qualifier ce souci d'« argument spécieux sur la subsidiarité » (cf. Projet de rapport de la commission de l'environnement du 18 septembre 1995).

Outre la difficulté tenant à la répartition des compétences, on doit faire état de l'observation d'un commentateur particulièrement qualifié :

« En vue de limiter les effets défavorables sur la compétitivité internationale des autres secteurs productifs, la Commission propose de neutraliser cette taxe par une réduction équivalente d'autres prélèvements fiscaux.

« Ces propositions ne vont pas sans soulever des objections majeures, qui tiennent d'abord à ce que cette taxation affecterait défavorablement non seulement la compétitivité de l'économie communautaire mais aussi la croissance et l'emploi dans la C.E.E., car les réductions fiscales qui devraient compenser cette taxe ne pourront respecter le principe de neutralité qu'invoque la Commission. Si celui-ci a une signification macro-économique, il apparaît à l'examen très difficile de l'appliquer sur le plan sectoriel et a fortiori à l'échelon de l'entreprise. Il est d'ailleurs notable que le projet de la Commission ne s'accompagne d'aucune proposition concrète à cet égard.

« Le prélèvement fiscal envisagé entraînerait à la fois des pertes de compétitivité internationale, génératrices de délocalisations importantes, et des restructurations à l'intérieur des divers secteurs productifs, en conséquence des modifications des prix relatifs des produits que cette taxation induirait. Il ne fait aucun doute que ces mouvements se traduiraient finalement par un freinage de la croissance et par des difficultés pour l'emploi. » ( cf. exposé de M. Armand LEPAS, Directeur des Affaires économiques générales au C.N.P.F. - 2.01.1992).

6. Une proposition de grande portée institutionnelle

Si l'efficacité environnementale de la taxe est douteuse par rapport aux mesures communautaires non fiscales et aux mesures nationales, si l'impact en termes de compétitivité doit être, selon toute vraisemblance, majeur, si la « neutralité fiscale » souhaitée par la Commission est peu réaliste, l'effet de la proposition de la Commission ne serait-il pas d'établir les premiers éléments d'une future fiscalité communautaire d'abord perçue par les États, mais limitant en fait leur autonomie, puis, tôt ou tard, transférée à la Communauté, par une « rationalisation » qui ne manquera pas, alors d'arguments ?

L'attribution du pouvoir de gérer l'écotaxe harmonisée à l'échelon communautaire lors de sa pleine entrée en vigueur, soit dès l'an 2000, présente en effet un double risque : celui de restreindre indirectement l'autonomie des États membres dans leurs choix de politiques énergétiques, celui également de s'engager sur la voie d'une communautarisation fiscale dont on devine la portée en termes d'équilibre des pouvoirs.

- Orientation des choix de politique énergétique

On doit rappeler que la « gestion » de la taxe communautaire harmonisée serait, aux termes de la proposition modifiée, confiée au « Comité des accises ».

Or ce comité statue à la majorité qualifiée définie à l'article 148 du traité. Selon la « pondération » des voix qu'il fixe, la France compte pour 10 sur un total de 87.

En raison même des dissymétries considérables qui existent dans les choix de politique énergétique entre les États membres (et qui ne tendent nullement à se réduire) on doit faire l'hypothèse d'un isolement français dans l'option privilégiant le recours à l'énergie nucléaire.

Qu'arriverait-il alors si le Comité des accises décidait d'accroître la part de la taxe reposant sur cette énergie pour alléger celle pesant sur d'autres sources, considérées par la majorité de nos partenaires européens comme plus innocentes ?

Et cette hypothèse doit-elle être également formulée en tenant compte des futures adhésions qui risquent de minorer encore le poids relatif de l'opinion française dans l'expression des majorités au Conseil...

Si la modulation des taux, décidée contre notre opinion, devait pénaliser la structure des approvisionnements énergétiques français, nous n'aurions plus le choix qu'entre accepter des distorsions de concurrence qui handicaperaient notre économie, sur le marché intérieur comme vis-à-vis des États tiers, ou nous résoudre, avec les coûts d'adaptation que cela impliquerait, à nous ranger à notre tour aux orientations de politique énergétique tenues pour bonnes par la majorité du Comité des accises, selon ses pondérations quelque peu arbitraires...

Outre l'orientation des choix énergétiques nationaux, au moyen de la modulation des taux, la contrainte économique indirecte met en jeu une question institutionnelle de grande portée, celle de la compétence fiscale... Quand on rappelle, au surplus, que cette taxe produirait quelque 325 milliards de francs, dont plus de 50 milliards de francs en France, l'enjeu institutionnel prend un certain relief...

- La question institutionnelle : quelles compétences en matière fiscale ?

Les réactions négatives à la première proposition étaient, pour beaucoup, dirigées contre l'injonction adressée aux États d'établir la taxe communautaire en l'accompagnant d'un réaménagement de la structure de leur fiscalité afin de parvenir à la « neutralité fiscale » de la nouvelle taxe.

Sans doute la formulation de la proposition modifiée est-elle plus précautionneuse puisque l'invitation s'adresserait désormais à la Commission dont « les propositions... devront notamment tenir compte de la nécessité de maintenir la compétitivité des industries communautaires et veiller à ce que la taxe ne se traduise pas par une augmentation de la charge fiscale dans son ensemble ». Étrange recommandation adressée à sa propre initiative, à une autorité incompétente, du moins pour le moment...

Sans qu'il soit besoin même d'évoquer le spectre d'une attribution de la compétence fiscale à la Commission (la démocratie, et nos Parlements, ne sont-ils pas nés avec le « consentement à l'impôt ? »), on pourrait être tenté de rappeler les origines intellectuelles de l'éco-taxe, primitivement conçue comme un impôt fixé et directement perçu au niveau communautaire, tout paré de la légitimité du parallélisme entre le caractère transfrontalier de la pollution atmosphérique et le caractère supranational de la taxation.

Il n'y aurait en effet que quelques mots à changer dans le texte proposé, pour bouleverser la répartition des compétences en matière fiscale : à l'article premier, § 2, il est dit que « les États membres prennent les mesures nécessaires en vue de la perception à leur profit de la taxe... ».

Si la recommandation de neutralité peut bien être considérée comme un excès de pouvoir, on peut aussi estimer qu'il ne tire guère à conséquence tant il s'apparente à un voeu pieux ou plutôt à un propos rassurant : « et d'ailleurs l'opération sera indolore... ».

En revanche, la gestion de la taxe harmonisée par un comité statuant à la majorité qualifiée ainsi que la mise en place d'une structure de taxe communautarisée, à l'exception, pour le moment, de sa distination, invitent à réfléchir sur l'importance du moyen proposé pour lutter contre les émissions de dioxyde de carbone, objectif encore un fois consensuel, mais qui peut sans doute être atteint par des moyens moins lourds de conséquences économiques et politiques.

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