M. Jacques GARDEN, proviseur à Vaulx-en-Velin.- Après le propos de ma collègue je me demande si je suis bien à ma place. J'ai presque le sentiment, tout en étant pourtant proviseur du lycée de Vaulx-en-Velin, d'être le chef d'un établissement de Neuilly.

Je ne veux pas tenir un discours angélique sur mon expérience, mais j'ose vous avouer que je suis dans une situation quand même un peu particulière.

Le lycée de Vaulx-en-Velin est neuf. Il a ouvert ses portes en septembre 1995.

Il a l'avantage d'accueillir seulement des élèves de seconde, il a pour mission de les préparer au baccalauréat d'enseignement général. Depuis la rentrée, nous avons 165 élèves, et 40 adultes. Donc, le contexte n'est pas le même.

Un message d'espoir peut-être. Même à Vaulx-en-Velin on peut vivre une scolarité dans des conditions tout à fait normales. J'espère que l'avenir ne me contredira pas.

Depuis la rentrée nous n'avons connu aucune dégradation, aucun incident, même mineur, entre les adultes et les élèves.

La création de cet établissement dans une ville aussi emblématique, comme l'a dit le sous-préfet, a été un grand message d'espoir pour la population jeune de la ville.

J'aurais tendance à dire que rien n'est désespéré. Il ne s'agit évidemment pas d'ériger dans tous les quartiers difficiles des bâtiments neufs pour répondre au problème posé.

Mais avec un certain nombre d'atouts mis entre les mains des élèves, ils sont capables de les respecter et de prendre conscience de l'effort consenti à leur égard.

Ce qui nous parait important depuis que nous avons ouvert, c'est qu'en cas de déviance il y ait sanction. La notion de droit doit être présente bien sûr, mais avec le souci d'une aide à l'amendement pour le fautif.

Il nous semble essentiel que ceci soit toujours présent dans notre esprit lorsque nous sommes amenés à sanctionner.

À une époque, « pacare » voulait dire pacifier en latin, puis maintenant payer. Selon moi la paix implique de payer, soit en cédant une parcelle de ses biens, soit par rapport aux élèves délinquants céder une partie de son capital narcissique.

Lorsque dans une sanction il n'y a pas cette notion de paiement, on passe à côté du résultat escompté, surtout pour les jeunes.

Ma collègue a beaucoup plus d'expérience que moi. Je préfère lui laisser la parole sur ce terrain.

Je suis assez attaché à l'adage canadien qui dit : « quant les derrières s'échauffent les oreilles se ferment ». Je vais essayer d'être court.

Par rapport à votre texte de loi, la notion de temps nous paraît très importante. Le jeune n'a pas du tout la même gestion du temps qu'un adulte. Dans toute décision il faut rapidité, quelle que soit sa nature.

M. Christian BONNET. - Quelle est la composition de l'établissement de Mme Pierrelee ? Combien y a-t-il de Français de souche, d'immigrés et de nationalités ?

Mme Marie-Danielle PIERRELEE.- Les nationalités n'ont pas beaucoup de sens, certaines sont représentées par de très petits nombres.

Il y a environ 20 % de Français d'origine métropolitaine, 50 % d'enfants d'origine maghrébine, qui vont devenir français, puisque leurs familles sont installées là depuis assez longtemps.

Il y a une immigration plus récente d'Afrique noire, avec des jeunes qui ont du mal à trouver leurs marques dans la société, et aussi des jeunes Français d'origine antillaise, qui ne vont pas très bien non plus et qui posent des problèmes spécifiques, les garçons en particulier.

Cinquante élèves posent de gros problèmes, six cents ont envie de travailler et sont empêchés de le faire, qu'ils soient d'origine française ou immigrée. Il ne faut pas l'oublier.

M. Robert PAGES .- Est-ce que le personnel enseignant de votre établissement est stable ou très mobile ?

Mme Marie-Danielle PIERRELEE. - Il est forcément assez mobile. Pour beaucoup ce sont des enseignants en début de carrière.

Ils arrivent avec de l'enthousiasme et l'envie d'agir. Il ne faut pas systématiquement penser que c'est mauvais, cela peut être bon s'ils sont épaulés ou encadrés.

Mais malheureusement, la tendance chez les enseignants dans les conditions actuelles est au repli sur l'instruction.

J'entends beaucoup dire « on n'est pas la mère, l'assistante sociale, l'éducateur, on est là pour faire le programme ».

C'est vrai, mais à ne pas vouloir se donner les moyens de faire passer un message, on arrive à un discours qui tourne à vide puisque les enfants n'apprennent pas, et les adultes ne veulent pas se sentir responsables d'eux, mais seulement du programme.

M. le Président.- D'autres questions ?

M. Michel RUFIN.- Je voudrais m'adresser à messieurs les commissaires de police.

Un rapport récent d'un syndicat de policiers laissait apparaître que la délinquance juvénile augmente notablement.

Je crois me souvenir qu'entre 1993 et 1994 il s'agissait de 15 %, et entre 1994 et 1995 de 20 %.

Certains de mes interlocuteurs, sans les contester, m'ont dit que ces chiffres étaient dus au fait que vous aviez augmenté votre activité, autrement dit le nombre des plaintes portées devant les Parquets.

Est-ce exact ? Ou au contraire les faits portés devant les Parquets sont-ils sensiblement les mêmes, ou est-ce uniquement la délinquance qui augmente ?

M. Roland MAUCOURANT. - Effectivement une partie des statistiques peut être engendrée par une activité plus grande de la part des services de police. C'est ainsi qu'on peut arrêter, si on met en place des dispositifs adaptés, un plus grand nombre de dealers dans certains quartiers.

C'est le cas dans le XVIIIème arrondissement en ce moment, mais cela correspond à une volonté d'éradiquer un phénomène pour rendre la vie supportable pour les habitants.

On n'est pas esclave des statistiques, mais elles reflètent le travail fourni et traduisent une importance grandissante de la mise en cause des mineurs délinquants.

Les policiers, lorsqu'ils font une police d'intervention et agissent dans les quartiers, sont confrontés à des mineurs auteurs qu'ils interpellent.

Les habitants nous demandent d'intervenir sous le sceau de l'urgence, et là nous mettons au jour des mises en cause de délinquants mineurs.

Une autre part est celle de la police d'investigation, qui correspond à la mise en oeuvre d'une police plus élaborée, qui cherche à confondre des délinquants en faisant des surveillances plus difficiles, délicates.

Je voudrais aussi répondre à la question de la pratique policière tendant à évincer le plaignant pour avoir des statistiques minorées et ainsi une meilleure image auprès de la hiérarchie.

Ce fut longtemps le reproche fait à l'Éducation Nationale, on fait l'autruche, on dissimule un bilan qui serait négatif.

Or je vous assure que les instructions données tendent à inciter les victimes à se signaler.

Les violences avec arme donnent lieu, à de rares exceptions près, à des plaintes en bonne et due forme, et à une réaction policière qui réside en une enquête permettant de confondre les auteurs.

M. Michel RUFIN.- Je voudrais m'adresser à Mme Pierrelee.

Ce qui m'a le plus scandalisé, c'est quand vous avez dit que les élèves étaient obligés d'acheter leur protection. Il s'agit d'un acte de banditisme. Je suis absolument horrifié que des enfants soient contraints d'acheter leur liberté et leur tranquillité.

Mme Marie-Danielle PIERRELEE.- On n'accepte pas, mais ce sont des phénomènes très peu visibles, ils sont cachés aussi bien par les auteurs que par les victimes. Celles-ci se sentent particulièrement humiliées.

Il faut arriver à créer un climat de confiance suffisant pour que cela émerge. Bien sûr quand c'est le cas cela s'arrête.

M. Michel RUFIN.- Je comprends mal que les aînés ne réagissent pas contre ce phénomène.

M. Charles de CUTTOLI. - C'est la loi de la jungle.

M. le Président.- Il nous reste à remercier les intervenants.

Les contraintes d'horaires nous obligent à mettre fin à notre échange.

(La séance est suspendue à 13 h 20.)

(La séance reprend à 16 heures 15 en présence de M. René MONORY, Président du Sénat).

M. Jacques LARCHÉ, président.- Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Garde des sceaux, je vous remercie de votre présence.

Nous avons jugé nécessaire de consacrer le maximum de temps possible à un certain nombre d'auditions sur le problème de la délinquance juvénile. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous allons beaucoup discuter sur la base du rapport que le Premier ministre avait demandé à notre collègue Michel Rufin de bien vouloir préparer, sur la base du texte que vous soumettez, Monsieur le Garde des sceaux, à la délibération du Parlement.

Il y a d'abord une sorte d'accord général sur la gravité croissante de la délinquance juvénile. Ceux que nous avons entendus ce matin -et qui étaient des hommes et des femmes de terrain- nous ont dit toute l'ampleur du problème.

Au-delà de cette constatation, la nécessité apparaît d'apporter une réponse judiciaire, l'idée étant qu'il ne peut y avoir de délit ni d'atteinte à la loi qui ne déclenche, d'une manière ou d'une autre, une réponse de la justice.

Comment cette réponse judiciaire doit-elle être apportée ? Une idée intéressante, qui dépasse le droit, a été notée : cette réponse n'est évidemment pas simplement destinée à protéger l'ordre social. Elle est avant tout, destinée à aider le mineur dans la restructuration qu'il doit rechercher, à le rééduquer.

Nous avons entendu des avocats, des juges des enfants, des magistrats du parquet, des fonctionnaires de police, des membres du corps préfectoral et du corps enseignant, qui nous ont donné un aperçu inquiétant des situations auxquelles ils sont confrontés.

Reste à examiner la loi qui nous vient de l'Assemblée nationale, et à apporter les quelques corrections qui nous paraîtront nécessaires, car autant il est apparu souhaitable d'accroître la rapidité de la réponse judiciaire, autant il nous est apparu nécessaire d'éviter que la rapidité de cette réponse ne revienne sur ce que l'ordonnance de 1945 avait de prémonitoire -et ce n'est certes pas le but du projet de loi qui nous est soumis. On a parlé d'une vieille dame, mais dont la jeunesse a été dans le même temps soulignée.

Voilà les quelques lignes directrices qui se sont dégagées. Peut-être M. le président du Sénat souhaite-t-il intervenir dans l'immédiat...

M. René MONORY, Président du Sénat - Monsieur le Président, je n'ai pas à intervenir dans le débat. Je ne suis pas suffisamment juriste pour le faire. Juste un mot pour vous remercier de votre initiative d'auditions publiques. Nous sommes maintenant remarquablement bien installés au Sénat pour le faire, et je crois que votre commission des Lois et vous-même avez toujours témoigné, dans le domaine juridique, d'une certaine avance, qui a souvent placé le Sénat en première ligne sur des sujets difficiles.

Une fois de plus, vous démontrez vos qualités et votre ambition de faire un bon travail. C'est ce que je voulais dire, en vous remerciant, ainsi que M. Toubon, qui va apporter sa contribution à ce débat, et en remerciant également les gens qui participent à ces auditions. Je ne voulais pas passer sous silence le travail que vous faites dans cette maison, qui est important et remarquable d'imagination et de prospective !

M. le Président - Monsieur le Président, je vous remercie de ces paroles, auxquelles la commission tout entière sera extrêmement sensible.

Je salue la présence parmi nous de notre ami Léon Jozeau-Marigné, qui a si longtemps présidé à nos travaux. Je tenais à lui dire le plaisir que nous éprouvons à le retrouver à cet instant parmi nous !

Monsieur le Ministre, vous avez la parole...

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