MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT

Mme Marie-Danielle PIERRELEE

Principal du collège Garcia-Lorca à Saint-Denis

M. Jacques GARDEN

Proviseur à Vaulx-en-Velin

Mme Marie-Danielle PIERRELEE, principal du collège Garcia Lorca à Saint-Denis.- Principal du collège Garcia-Lorca à Saint-Denis, je vais vous parler de cet établissement, et d'une autre expérience de l'auto-école, une petite structure scolaire qui se propose de réinsérer des jeunes qui ont affaire avec la justice, qui ont eu des pratiques délinquantes et qui essaient de rompre avec.

Dans mon collège, sur 650 élèves environ une cinquantaine se situe dans l'hostilité aux institutions d'une façon générale, et dans des pratiques déviantes.

On ne peut pas dire qu'ils aient un modèle uniforme. Je les diviserai en trois catégories.

D'abord une minorité, moins de 10, tous des garçons, les plus âgés, sont en position de pouvoir de façon très étonnante et forte, par rapport aux autres élèves et aux adultes dans certains cas. Ils font la loi, ou du moins ils essaient de la faire aussi souvent que possible.

Je les qualifierai de délinquants, mais ils ne se « mouillent » pas eux-mêmes, ils utilisent très souvent d'autres élèves pour commettre leurs mauvais coups, régler leurs comptes contre un professeur, racketter de plus jeunes, pour essayer d'extorquer les devoirs aux bonnes élèves, généralement les filles.

Ils sont tout à fait invulnérables, ils ont peu à voir avec la police et le juge des enfants. Ils ne sont pas l'objet de signalement de ma part, parce que je ne les prends jamais sur le fait.

Deuxième catégorie, des jeunes qui vivent dans la cité.

Ils sont une partie de leur temps dans le collège, sous la protection de l'institution scolaire, mais la plupart de leur temps ils le passent dans la cité, et, là, les règles du jeu sont fondamentalement différentes.

La vie est particulièrement difficile pour les élèves qui n'ont pas de grand frère, car c'est de lui qu'on tient sa protection dans la cité. Sinon on est plus facilement que les autres soumis à des menaces ou des pressions. Ceux qui n'ont pas de grand frère sont en quelque sorte obligés d'acheter leur protection, parfois avec des espèces sonnantes et trébuchantes. On a vu un élève donner 20 F par jour à un autre dans le collège pour ne pas avoir d'ennuis. C'est bien réel.

Ces jeunes peuvent être amenés à remplir de menus services, et à entrer dans des pratiques plus ou moins délinquantes, à s'opposer aux enseignants, aux institutions en général, à marquer leur hostilité à la police, à faire quelques coups d'éclat comme jeter des pierres sur les îlotiers. C'est ainsi qu'ils entrent dans une attitude délinquante. C'est une personnalité qui se construit dans la durée.

La dernière catégorie est de loin la plus visible, et pose le plus de problèmes aux gens des quartiers, et à nous dans l'école. C'est celle qui fait le plus de vandalisme, la plus insupportable, la plus agressive dans ses comportements.

Ces élèves sont paumés, ils vivent dans des milieux sociaux particulièrement défavorisés, marginalisés, ils n'ont pas de repères, ils sont mal défendus par leurs parents, ils ne le sont jamais par les enseignants parce qu'ils sont toujours très mauvais, et ni par les autres élèves parce qu'ils n'ont pas de prestige et qu'on n'a pas peur d'eux.

Ils sont poussés à bout. Ils sont prêts à tout pour essayer de se refaire une image un peu positive d'eux-mêmes parce qu'ils passent leur temps à être humiliés, qu'ils ne le supportent plus, et c'est compréhensible.

Ce sont toujours eux qui trinquent dans les affaires. Ce sont eux qu'on prend, qu'on balance, parce qu'on n'a pas peur d'eux, personne ne vient les défendre.

Quand je fais des signalements au Parquet, ce sont souvent leurs noms qui ressortent parce qu'on les prend sur le fait, ils n'ont pas la tchatche, ils ne savent pas se débrouiller, ils ont des conduites suicidaires ou autodestructrices.

Le département de Seine-Saint-Denis a mis en place un partenariat particulier entre la police, la Justice et l'Éducation Nationale. Les chefs d'établissement peuvent faire des signalements directs et rapides au Parquet, à la Direction Départementale de la Sécurité Publique et à l'Inspecteur d'Académie, quand il y a un incident grave dans le collège.

Depuis le début de l'année scolaire j'ai fait 69 signalements. Ce sont essentiellement des vols, des actes de vandalisme, mais aussi trois tirs d'armes à feu, cinq cocktails Molotov -ce n'est pas anodin- et une agression très spectaculaire contre un professeur par deux jeunes de l'extérieur recrutés par des élèves.

Quel bilan en tirer ?

Quand je signale l'incident en nommant l'auteur de l'agression ou du vandalisme, il est immédiatement convoqué à la brigade des mineurs avec sa famille. Il peut y avoir une suite, il peut être convoqué au Parquet ou déféré si les faits sont suffisamment graves.

Tout cela laisse un sentiment de malaise, bien qu'il soit très utile d'arrêter les jeunes dans leurs pratiques délinquantes, de leur signifier la loi et l'interdit.

Mais comme seuls pratiquement les jeunes de la dernière catégorie relèvent de ces procédures, cela accroît leur sentiment d'injustice. Ils ont l'impression que s'ils se sont fait prendre c'est parce qu'ils ont fait des erreurs, que s'ils étaient des vrais « pros » cela ne se produirait pas. Ils se font ridiculiser par les institutions, et par les copains qui ne se font pas prendre.

Leur situation psychologique s'aggrave, les conduit éventuellement à essayer de se rattraper en faisant un coup d'éclat encore plus fort à leur retour.

Si cette politique-là est certainement utile et indispensable, je pense qu'elle ne peut pas du tout suffire.

Une politique éducative très forte est absolument indispensable. Elle consiste à cadrer les élèves de façon très ferme, à leur montrer les limites, et en même temps à leur proposer des stratégies de valorisation forte, pour qu'ils puissent se construire une image d'eux-mêmes positive, afin de ne pas aller la chercher dans d'autres réseaux ou créneaux. Et là l'école est très défaillante.

Une école qui produit aussi massivement de l'échec scolaire que la mienne n'offre pas beaucoup de stratégies aux jeunes pour se valoriser. Je pense qu'on a collectivement une responsabilité.

Avec des jeunes qui ont un passé délinquant -l'un d'entre eux se faisait une gloire d'être passé 46 fois devant le juge- quand ils se disent qu'ils sont peut-être en train de gâcher leur vie, que les enseignants leur proposent des systèmes d'alliance pour qu'ils puissent s'en sortir, alors certains peuvent changer radicalement de position, et devenir des acteurs sociaux positifs, capables éventuellement d'aller chercher un copain dans la rue et de le ramener à l'école en disant « je connais une école où tu pourras peut-être t'en sortir ».

Il faut que l'école offre aujourd'hui des stratégies de réussite et de valorisation de façon massive.

Un chiffre pour finir, que je trouve terrifiant.

Dans mon collège, sur 140 élèves entrés en sixième il y a cinq ans, seulement deux ont eu la moyenne au brevet l'année dernière.

Une telle école ne peut pas se déclarer citoyenne et ne peut pas espérer que les enfants qui la fréquentent seront des citoyens.

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