M. Claude LANVERS.- Je suis sous-préfet chargé de la politique de la ville dans le département du Rhône depuis deux ans, auparavant je m'occupais du même sujet au niveau de l'État.

Je travaille dans l'agglomération lyonnaise. Je rappelle quelques éléments précis d'abord.

Les grandes agglomérations urbaines sont assez criminogènes, en particulier dans certains quartiers. Même s'il y a une baisse significative de 1994 à 1995, il y a la délinquance constatée et l'incivilité au quotidien, et beaucoup de gens ne vont plus porter plainte. La peur parfois s'installe chez les habitants de ces quartiers.

Une trentaine de quartiers sont très difficiles dans le département du Rhône, dont deux assez symboliques ou emblématiques, les Minguettes à Vénissieux, et Vaulx-en-Velin. Des évènements sporadiques faisaient dire à des membres de la Direction de la Police Nationale que dans l'agglomération lyonnaise existait la palette de tous les types de délinquance, comme les rodéos, exportés malheureusement dans d'autres cités.

La part de mineurs mis en cause dans les faits est en augmentation assez significative ces dernières années. Il y a une diminution du passage à l'acte, et une augmentation ou un retard du passage à l'âge adulte ou à la socialisation. On peut commencer à 12 ou 13 ans des vols de voitures, mais on habite encore à 25 ou 30 ans chez ses parents, sans emploi. C'est comme si l'âge de l'adolescence s'élargissait à la fois vers le bas et le haut.

J'ajoute aussi une forte pression des mouvements intégristes, qu'il ne faut pas qualifier bien sûr de délinquants. Ils sont plus politiques que cultuels, notamment dans le département du Rhône. À l'automne dernier, nous avons pu mesurer son poids sur les jeunes, et ses liens avec la délinquance.

S'agissant des violences scolaires, nous n'avons pas énormément de faits de racket : 11 cas signalés l'an dernier, mais il reste à les faire émerger. Ils sont sans doute plus nombreux. La violence scolaire se concentre essentiellement sur la dégradation ou des vols commis à l'encontre des enseignants, des élèves ou de l'établissement lui-même.

C'est un panorama général que vous connaissez bien, avec des causes déjà décrites. Tout a été dit et écrit sur la sociologie de ces cités, les ruptures familiales, le marché de l'emploi et les discriminations ethniques. À qualification égale, aujourd'hui, il est plus difficile pour un jeune d'origine immigrée de trouver un emploi ; le parcours est plus dur.

Lorsqu'on a un bac + 2 et qu'on ne trouve pas d'emploi après le centième CV envoyé, l'exemple pour les petits frères et petites soeurs est tout à fait dévastateur.

Il y a également une inadaptation des réponses institutionnelles.

Les institutions présentes, par exemple la prévention spécialisée avec les éducateurs de rue, manquent d'outils et de réponses, et n'ont pas évolué en termes quantitatifs à la mesure des problèmes posés. À Bron, dans une commune de la périphérie lyonnaise, il y a trois éducateurs de prévention aujourd'hui, il y en avait trois il y a vingt ans aussi.

Le rôle des travailleurs sociaux est important. Ils ont une énergie considérable, mais il y a un glissement de l'action sociale, de l'aide à la dynamique sociale vers l'aide sociale, de plus en plus important, parce qu'il y a beaucoup de précarité, de papiers à remplir, pour caricaturer, et moins de disponibilité pour le travail social au quotidien.

II faut souligner aussi l'encombrement des tribunaux pour enfants.

La souffrance psychologique est abordée de manière extrêmement insatisfaisante. Les travailleurs sociaux disent que les jeunes ont de grands problèmes psychologiques voire psychiatriques, qu'il faudrait que les institutions de santé se mobilisent. Les psychiatres disent qu'ils ne peuvent pas traiter ces problèmes parce qu'ils sont sociaux. Donc le renvoi de la balle ne facilite pas le traitement.

Les commissaires ont parlé de l'îlotage policier. Nous avons sur ce point également quelques faiblesses dans l'agglomération lyonnaise.

Je citerai aussi le fort sentiment d'impunité. Une dame retraitée à Rillieux a eu un bras cassé à la suite d'une agression. Le jeune est revenu le lendemain dans le quartier. Quel sentiment peuvent éprouver les habitants en le voyant ?

Vous avez parlé aussi de « caïdat », il faut utiliser ce mot avec beaucoup de précaution.

Le passage en prison pendant un ou deux mois pour un jeune l'auréole parfois plus qu'il ne le dissuade. En disant cela je ne propose pas de solutions, mais je constate que cela existe sur le terrain.

On a tendance à se laisser aller à ces constatations misérabilistes ou difficiles, qui occultent le travail effectué, et l'ampleur des actions menées dans ces quartiers.

Ma mission de sous-préfet à la politique de la ville est de travailler autour de la question que vous posez aujourd'hui, à la fois en amont, dans la prévention, et en aval, parce qu'il y a une paix sociale à maintenir et il faut prévenir la récidive.

Je voudrais porter à votre connaissance quelques actions qui me paraissent significatives dans le cadre de cette politique de la ville à l'encontre des mineurs que nous avons engagés dans le département du Rhône.

D'abord la question de l'emploi et de l'insertion est essentielle. S'il n'y avait pas des millions de chômeurs, on aurait moins de difficultés.

La perspective des emplois ville donne des espoirs intéressants. On a d'ailleurs commencé un peu avant la lettre.

Je voudrais citer le cas de médiateurs employés dans les bus de l'agglomération lyonnaise et le métro. La délinquance sur ces lignes a baissé de 20 à 30 % l'année dernière. On constate au quotidien l'effort accompli à destination des jeunes sur ces lignes.

Je voudrais aussi citer des dispositifs expérimentaux que nous essayons de mettre en place, adaptés à ces publics les plus difficiles. Certains parlent de noyaux durs, de familles lourdes, tous les qualificatifs sont employés.

Très pragmatiquement on a essayé de construire dans trois secteurs, fin 1995, des parcours de resocialisation qui permettent de suivre les jeunes pendant six mois sans interruption. Au début ils ne sont pas employables, ils n'ont pas d'horaires, il faut moduler avec eux des parcours qui peuvent passer par une semaine de distribution de vivres, par exemple aux Restaurants du Coeur, ou des travaux de chantiers d'utilité sociale, un stage culturel, en espérant qu'au bout de six mois les situations puissent s'inverser.

J'ai indiqué l'importance des questions de santé du champ psychiatrique. Nous engageons des conventions avec le secteur pédopsychiatrique, en particulier avec un grand hôpital spécialisé de Lyon, mais aussi avec tous les lieux d'accueil que l'on peut développer pour la prévention de la toxicomanie ou l'accueil des toxicomanes, -il y a 3 à 4.000 héroïnomanes dans l'agglomération lyonnaise- ou des actions menées avec différentes écoles dans le domaine de la santé.

Est importante aussi la présence d'accueillants des missions locales dans les établissements pénitentiaires, permettant, dans le cadre de la prévention de la récidive des mineurs, de trouver des solutions dès leur sortie, car si l'on n'y prend garde ils peuvent être rapidement reconduits dans leur milieu d'origine.

Il y a aussi quatre maisons de justice dans les quartiers de l'agglomération lyonnaise. Elles ont entrepris l'an dernier par exemple plus de 600 dossiers de médiation réparation, avec une présence des substituts chargés des mineurs, et fonctionnant, semble-t-il, à la satisfaction de tous.

À Vaulx-en-Velin, la réparation physique et monétaire apportée aux victimes l'an dernier était de l'ordre de 300.000 F. Elle aurait été bien inférieure selon la procédure classique.

Enfin, la médiation a permis de réaliser un travail sur les transports scolaires.

L'autre jour, à Vaulx-en-Velin étaient réunies 500 femmes de l'agglomération lyonnaise qui sont dans des associations. C'est par elles que peut passer le lien social. Elles ont posé des questions sur les champs de la délinquance et de la toxicomanie.

Le seul fait qu'elles se réunissent et en parlent nous encourage beaucoup, parce que c'est une prise de conscience.

Je ne réponds pas vraiment à votre question, Monsieur le Président : le texte convient-il ?

Je pense qu'il est un outil supplémentaire dans un dispositif. C'est sur l'ensemble qu'il faut agir pour voir concrètement l'inversion de la pente sur laquelle nous sommes actuellement.

M. le Président.- Je me permettrai de vous reprendre car vous avez répondu parfaitement. Vous nous apportez en effet par votre expérience, comme vous, Messieurs les commissaires, une vue très concrète à partir de laquelle il nous appartiendra d'apporter les réponses nécessaires.

Compte tenu de l'heure, je vous propose d'entendre dès à présent Mme Pierrelee et M. Garden, et nous poserons peut-être quelques questions à la fin.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page