M. Philippe LUTZ.- Je suis commissaire principal au Blanc-Mesnil.

Je vais parler des problèmes rencontrés en Seine-Saint-Denis, où je suis commissaire depuis cinq ans et où j'étais auparavant inspecteur. J'étais avant aux Lilas, à Bagnolet, à Noisy-le-Grand et à Gagny-Montfermeil.

Dans la Seine-Saint-Denis, le tribunal de grande instance est l'un des deux ou trois premiers en France pour le nombre de faits constatés, plus de 100.000 chaque année.

Depuis quelques années, la délinquance générale a tendance à baisser ou à se stabiliser, et la part des mineurs mis en cause a augmenté en 1995, de plus de 28 %.

Autre constat, la violence fait partie intégrante de cette délinquance spécifique. En l'occurrence dans la Seine-Saint-Denis l'année dernière, les vols à main armée, avec arme à feu notamment, représentaient 30 % des interpellations ; plus de 50 % des auteurs interpellés pour vols avec violences sont mineurs. Les faits sur la voie publique, les cambriolages, le recel, les vols d'autoradios ou de voitures concernent plus de 30 % des interpellations.

Ce qui est plus inquiétant, c'est que le phénomène de violence urbaine propre aux départements de petite et grande couronnes a tendance à s'étendre aux mineurs. Les outrages et les violences sur les fonctionnaires de police progressent, 15 % des interpellés sont mineurs, au lieu de 10 % précédemment.

Autre phénomène inquiétant, le port d'armes. Les mineurs mis en cause dans ces affaires sont en progression et représentent 23 % des personnes mises en cause.

Les incendies volontaires frappent l'opinion, ils représentent 37 % du nombre d'interpellations.

Il faut évidemment relativiser ces chiffres.

L'aspect médiatique du trafic des stupéfiants répand une idée générale selon laquelle il y aurait de gros dealers et autour des guetteurs systématiquement mineurs. Ce n'est pas du tout confirmé dans la réalité, du moins en Seine-Saint-Denis.

On peut toujours envisager des mineurs servant de guetteurs pour des gros deals, dans la majeure partie des cas ce sont des deals de survie plutôt ; les mineurs ne sont pas directement partie prenante.

Le problème de l'absence des parents a déjà été évoqué. Ceux convoqués au commissariat pour reprendre leurs enfants ne se déplacent pas. Ils envoient fréquemment un grand frère ou une grande soeur, voire personne. Les fonctionnaires de police sont obligés de ramener le mineur à son domicile dans le car Police-Secours, ce qui n'est pas toujours la meilleure formule.

La délinquance des mineurs est essentiellement celle des réitérants, d'où des conséquences pour l'ensemble du quartier, des cités dans lesquelles ils vivent.

Je reprends l'expression de mon collègue : nous sommes un peu tenus à une obligation de résultat. Dans les réunions de quartiers on nous dit « vous connaissez les auteurs, mais vous ne les interpellez pas ».

Il est très difficile d'expliquer notre attitude. Dans la plupart des cas les mineurs ressortent très rapidement, d'où un problème non pas d'action de la justice, mais de lisibilité de son action. Elle n'existe pas dans les cités. Pour la majeure partie des gens c'est le mandat d'écrou.

Il est hors de question de mettre tous les mineurs interpellés en prison. La lisibilité de la décision de justice n'existe pas dans les cités, parce qu'elle est relayée par le sentiment d'insécurité. Des halls sont squattés, des boîtes aux lettres sont dégradées.

La simple présence de groupes de jeunes le soir quand les adultes reviennent du travail, entraîne des insultes, il y a des crachats, des canettes de bière, éventuellement des dégradations. Tous ces comportements sont pénalement peu ou pas répréhensibles du tout.

L'action de la police et de la justice est complètement ignorée. Le sentiment d'insécurité est renforcé de ce fait.

En Seine-Saint-Denis nous sommes un peu en avance. Deux institutions ont été particulièrement sensibilisées au problème des mineurs, en dehors de la police : l'Éducation Nationale et la Justice.

Le partenariat engagé avec l'Éducation Nationale en 1993 est à double tranchant. D'après les chiffres, il y a une explosion de la délinquance des mineurs dans les établissements scolaires. En 1993 aucune affaire de racket n'était signalée en Seine-Saint-Denis, en 1995 il y en a eu 40.

Pourquoi ? Parce que le département, par l'intermédiaire de l'Inspecteur d'Académie, du procureur de la République et du directeur de la sécurité publique, a mis en place un partenariat avec pour objectif le signalement systématique de tout incident en milieu scolaire.

Parallèlement, quand l'action de la police est rapide, celle du Parquet l'est aussi.

Il est difficile évidemment de juger de l'efficacité d'un tel système avec les chiffres bruts, mais alors qu'il y a quelques mois de nombreux établissements scolaires hors Seine-Saint-Denis avaient de très gros problèmes de délinquance, notre département, à l'exception de l'établissement scolaire de Sevran, n'a pas connu de débordements manifestes de jeunes.

Un autre élément est la constitution de bandes. Je relativise fortement l'aspect médiatique donné au problème de stupéfiants.

Les bandes qu'on prend plaisir à filmer sur certaines chaînes sont plutôt des rassemblements ponctuels d'individus, sans obligatoirement un noyau dur. Ils existent suite à une interpellation, à un incident dans un établissement scolaire ou un commerce. La bande se forme par des regroupements dans les halls d'immeubles, les centres commerciaux.

Je ne peux qu'approuver le projet de loi puisqu'on pratique déjà en grande partie ce qu'il propose. Ce qui est important, c'est la rapidité d'action, non pas de la décision de mandat d'écrou ou de la justice, mais du signalement des incidents dans les établissements scolaires ou dans les cités, grâce au partenariat avec les bailleurs, les gardiens d'immeuble, les médecins. Il faut les signaler très vite avant que des dégradations plus importantes n'aient lieu entraînant de véritables phénomènes d'émeutes et de bandes.

Dans la Seine-Saint-Denis les mesures ont été correctement mises en place, c'est pourquoi je partage tout à fait le sentiment de mon collègue sur le projet de loi.

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