PERSONNELS DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

M. Max LONGERON

Directeur régional de la protection judiciaire de la jeunesse
de la région Ile-de-France

M. Bernard CASSAGNABERE

Éducateur au Havre

Mme Marie-Claude DAUPHANT

Éducatrice à Grenoble

M. Bernard CASSAGNABÈRE, éducateur au Havre - Tout d'abord, c'est avec surprise que j'ai appris que j'allais, en compagnie d'autres collègues, m'exprimer devant vous en tant que personnel de la PJJ.

Cela dit, le poids risque d'être lourd, puisque j'arrive d'un gros SEAT, celui du Havre, où nous n'avons pratiquement que des mesures pénales, c'est-à-dire presque tout le champ pénal relatif à l'ordonnance de 1945...

De plus, j'ai la particularité d'être un éducateur qui se pique d'aimer le droit, d'y passer beaucoup de temps et de l'étudier pour le plaisir à l'université. En outre, je ne suis pas un pur produit de la PJJ, puisque j'ai longtemps exercé au sein de l'éducation nationale, dans une zone d'éducation prioritaire, en tant qu'instituteur spécialisé. Ne soyez donc pas surpris si, dans mes propos, se mêlent des bribes de droit et des rappels à mes souvenirs pédagogiques...

Au Havre comme ailleurs, la délinquance a changé, tout comme a évolué le regard porté sur elle. Effectivement, il n'est qu'à lire la presse ces derniers temps pour s'apercevoir que le constat de ce matin est valable au Havre, puisqu'on y brûle des voitures, on y attaque des professeurs, des pompiers, etc.

Cela dit, si je suis d'accord avec ce constat, je voudrais préciser que les éducateurs, au Havre, ont le plus souvent face à eux des mineurs qui ne se posent pas en termes de refus de l'orthodoxie des normes, mais des jeunes tellement « non-intégrés » qu'ils méconnaissent toute autorité, fût-elle morale, politique, religieuse, familiale ou symbolique.

Un éducateur a fait une étude très précise sur les mineurs suivis par le SEAT du Havre et a noté que 80 % vivaient dans des familles dont le père était absent -divorce, enfant naturel, décès- ou manquant -statut de père déchu, à cause du chômage, de l'alcoolisme, ou du conflit de culture pour les enfants d'origine maghrébine et, de plus en plus, noire africaine...

Il est aussi notable que le plus grand nombre de mineurs que l'on suit ont un très faible niveau scolaire. Pour la première fois depuis quatre ans, nous suivons deux mineurs qui ont le niveau bac. La plupart sont à peine du niveau du CE 2-CM 1, et sont souvent à la limite de l'illettrisme. Quand on travaille avec eux, c'est pour leur faire passer le CFG, certificat de fin d'études générales qui reconnaît aux jeunes une qualification minimum -savoir à peu près lire, s'exprimer et faire trois des quatre opérations...

En même temps, la perception a changé, puisqu'on est directement passé de l'adolescence et de l'enfance à un nouveau statut, mal défini, celui de "jeunes", concept flou qui semble se confondre avec l'adolescence, mais recouvre un groupe social qui s'étendrait au-delà de la majorité, jusqu'à 25 ans environ.

C'est ce qu'on a pu constater lors de la consultation "Faites agir vos idées !", où il était accordé aux jeunes un pouvoir réel, puisqu'il était écrit : "Le Gouvernement tiendra compte de vos réponses"... Une frontière symbolique a donc été abolie, puisqu'on passe directement du statut d'enfance qui se tait à celui de jeunes qui semblent avoir une certaine forme de responsabilité reconnue.

L'adolescence étant moins balisée, les éléments symboliques qui marquaient le passage de la rupture avec les parents ont disparu. C'est pour cela, selon moi, que beaucoup de jeunes sont perdus et organisent de nouveaux rites de passage, face à des parents de plus en plus absents ou manquants.

De plus, il faut reconnaître que, dans ce contexte, l'avènement d'instruments juridiques nouveaux, comme la Convention Internationale pour les Droits de l'Enfant, troublent l'image. Même si la CIDE n'est prise en compte que partiellement mais néanmoins dans une large mesure par le droit français, je ne trouve pas choquant, mais plutôt lucide, lorsque plus de 30 % des enfants sont issus de familles monoparentales et que le taux de chômage y est supérieur à 45 %, d'envisager que certains parents et adultes considèrent que les droits des enfants les libèrent de certaines de leurs obligations.

C'est peut-être pour cela que je ne vais pas toujours aller dans le sens des éducateurs... Le mineur délinquant est alors considéré comme ayant de plus en plus de droits, mais aussi de plus en plus de responsabilités, face à la société et face au juge. Dans la relation triangulaire "enfants-famille-État", le mineur délinquant risque d'être une victime des avancées de ses droits et d'être mis très rapidement en face de la contradiction "protection-responsabilité", contenue dans la CIDE.

Face à cela, beaucoup exigent une réponse ferme et que le rappel des contraintes soit fort. Cette aspiration n'est pas sans ambiguïté, puisqu'elle consacre une demande de transfert de la responsabilité de l'entourage éducatif -parents, enseignants, éducateurs- vers le droit et le juge, exprimant ainsi une grande inquiétude de la part de l'ensemble de la société.

Il était envisageable de traiter une délinquance liée à des troubles graves, pathologiques. Il était facile d'accepter une délinquance classique et initiatique liée à l'adolescence. Il est plus délicat de traiter une délinquance que l'on a qualifiée "d'exclusion", finalement plus effrayante, que de faire face à des jeunes qui n'ont plus aucun repère et qui mettent à mal tous les nôtres !

Le projet de loi qui nous est présenté peut-il répondre aux questions que les éducateurs se posent, au Havre comme ailleurs ? L'exposé des motifs cerne bien la situation. Pourtant, pour une grande part, le projet peut sembler inutile au regard des buts poursuivis et peut avoir également des conséquences néfastes...

S'il existe une partie intéressante dans ce projet, c'est bien pour moi la césure pénale. Au regard de la convocation par OPJ, elle constitue un progrès. Cependant, étant aussi un ancien pédagogue, il me semble regrettable que le parquet n'y soit pas associé. En effet, il faut que les jeunes comprennent que la fonction du juge n'est pas la même que celle du procureur. À vouloir tout confondre, on est en train de passer à côté de quelque chose de symbolique, et donc d'important au vu des repères dont manquent ces jeunes...

Par ailleurs, pour moi, l'impunité est mythifiée. Comment ne pas noter que le chiffre des mineurs incarcérés est en augmentation depuis trois ans ? 2.744 en 1993, contre 3.199 en 1995... Pourquoi ne pas dire que depuis le début de l'année, dans certaines cours d'appel, il y a eu pratiquement autant de mineurs incarcérés que pour toute l'année 1995 ? Pourquoi ne pas dire non plus que les circulaires de 1991 et de 1994 concernant les mineurs détenus sont très rarement appliquées ? Les prisons deviennent des États de non-droit, et ce n'est pas concevable ! L'incarcération existe, mais dans des conditions qui la rendent inacceptable !

Au Havre, les mineurs incarcérés sont parfois davantage punis que les majeurs incarcérés, puisque ces derniers peuvent voir leur famille, l'incarcération se faisant au Havre, alors que l'incarcération des mineurs se faisant à Rouen, les jeunes Havrais ne voient que très rarement leur famille ! Pourtant, la volonté de créer des quartiers de mineurs est intéressante...

Que dire encore de la durée des détentions provisoires, qui s'allonge ? Pourquoi ne pas signaler que l'application conjuguée des articles 9 et 11 de l'ordonnance de 1945, d'une part, et des articles 179 et 181 du code de procédure pénale, d'autre part, permettent de rallonger la détention provisoire d'un mineur dont le dossier est renvoyé par un juge d'instruction devant le tribunal pour enfants ? Le mineur peut ainsi rester incarcéré deux mois supplémentaires !

Ces pratiques s'étendent et le mineur se trouve de plus en plus confronté à des détentions longues. Il serait d'ailleurs intéressant que l'on rende inapplicables aux mineurs en détention provisoire les articles 179 et 181 du code de procédure pénale.

Le mythe est pourtant parfois encouragé par d'autres pratiques. Je ne pense pas que l'impunité doive être la règle. Il faut savoir que plus de 54 % des dossiers concernant des mineurs sont classés sans suite, alors que nous sommes nombreux à être persuadés que les actes commis sont révélateurs d'un malaise et, souvent, d'une nécessité de prise en charge. De même, il nous faut nous battre sur le terrain -au Havre comme ailleurs- pour persuader les enseignants de porter plainte en cas de délit à l'intérieur des collèges, et pour les convaincre que la loi et son application sont le signe des valeurs républicaines et démocratiques que l'enseignement est chargé de transmettre ! Cela évolue très rapidement, mais il a fallu se battre...

On peut aussi dire que dans certains quartiers, le refus de la prise de plainte dans certains commissariats complètement débordés existe aussi. C'est d'autant plus dramatique que, dans ces quartiers, c'est un véritable acte de courage que de porter plainte !

Il faut dire aussi -bien que ce soit rare- qu'il existe encore des endroits où la dynamique de 1958 a fait oublier le pénal. Parfois, les juges des enfants ont du mal à prendre en compte l'ordonnance de 1945...

Cependant, la rédaction actuelle de l'ordonnance du 2 février 1945 contient pour moi des éléments de réponse au problème. À son arrivée à la Chancellerie, M. Toubon avait déclaré qu'il fallait utiliser toute la palette des textes existant avant d'envisager une quelconque modification législative. Je suis persuadé qu'il avait raison ! Pourquoi n'utilise-t-on pas plus souvent les déferrements au parquet ? Cette présentation marque une rupture de la dérive délinquante. C'est un acte symbolique et un rappel de la loi ! C'est actuellement possible dans l'ordonnance de 1945... Pourquoi ne l'utilise-t-on plus que lorsque cela se traduit par une détention provisoire ?

Or, la répression semble s'accroître. On sait pourtant que la prison n'est pas curative et qu'elle n'empêche pas la récidive.

À l'inverse, la non-application de la présentation au parquet ou la non-application rapide de la présentation par OPJ donne au mineur, qui peut être conduit à la récidive, le sentiment de l'impunité.

Tout cela pourrait être évité par l'application des articles 5 et 12 de l'ordonnance de 1945. Si ce n'est pas le cas, c'est par lassitude et par manque de moyens. Il est vrai que cela nécessite une mise en place au niveau des parquets, des juges des enfants et des SEAT, ainsi qu'un investissement extraordinaire, d'autant que les placements imposés fonctionnent de moins en moins... Toutefois, quand les juges sont là depuis un certain temps, les délais sont bons ! Là encore, je pense que l'ordonnance de 1945 contient en elle-même des possibilités de régler le problème de l'impunité.

Par ailleurs, pour moi, éducateur, la loi doit être un outil pédagogique avant d'être un outil répressif. La loi est un moyen de normalisation sociale : elle aide à la construction de l'individu. Beaucoup de philosophes l'ont écrit, des psychologues et des psychanalystes l'ont répété depuis longtemps, et l'ordonnance du 2 février 1945 le permet. Le Doyen Carbonnier a écrit en 1979, dans son « Essai sur les lois » : "La loi a vocation à s'adresser aux usagers plutôt qu'aux techniciens de justice". En fait, il semble que les réformes proposées s'adressent plus aux techniciens de justice -juges et procureurs- qu'aux mineurs.

Les promoteurs de l'ordonnance de 1945 n'avaient pas pensé un seul moment que l'ordonnance pouvait résorber le phénomène de la délinquance juvénile. Il s'agissait d'individualiser la réponse éducative aux mineurs délinquants. Or, si on accroit le rôle du parquet, on va transformer la loi en en faisant un outil de politique pénale. Je ne suis pas contre la politique pénale, mais il faut bien dire qu'on prend le chemin d'un retournement de l'ordonnance de 1945 !

Cela a aussi ses nécessités, cependant on risque de connaître un accroissement de l'incarcération des mineurs, dont le nombre est déjà en augmentation. Si on rapproche le délai de jugement, de plus en plus de mineurs n'auront pas le temps de prouver qu'ils ont été capables d'évoluer. À plus forte raison s'ils sont détenus, on les mettra dans les plus mauvaises conditions lorsqu'ils passeront devant le tribunal.

Je crois donc qu'il faut supprimer l'application des prolongements possibles de la détention des mineurs lorsque le dossier est transmis par un juge d'instruction. Je trouve affligeant qu'un mineur ne sache pas quel droit lui est donné. Est-ce le droit des majeurs ? Si son dossier est chez un juge des enfants, cela représente un mois plus un mois, ou quatre mois plus quatre mois ; si son dossier est chez un juge d'instruction, c'est le droit des majeurs, avec un risque de rester deux mois de plus. C'est un cri du coeur....

M. le président - Je vous remercie. La parole est à Mme Marie-Claude Dauphant, éducatrice à Grenoble...

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page