N° 370

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 19951996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 mai 1996

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) ,

sur

les activités de la délégation ; suivi de la Conférence

intergouvernementale, examen des propositions d'acte

communautaire (mars-avril 1996).

Par M. Jacques GENTON,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de MM Jacques Genton, président ; James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Philippe François, vice-présidents ; Nicolas About, Michel Caldaguès, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, François Lesein, Paul Loridant, Charles Metzinger, secrétaires ; Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, MM Charles Descours, Ambroise Dupont, Jean François-Poncet, Yves Guéna, Christian de La Malène, Pierre Lagourgue, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Guy Penne, Mme Daniele Pourtaud, MM Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière. René Trégouët, Marcel Vidal, Xavier de Villepin

Union européenne

INTRODUCTION

En mars et avril 1996, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a poursuivi ses travaux concernant la Conférence intergouvernementale chargée de réviser le traité de Maastricht, qui a officiellement débuté le 29 mars à l'issue du Conseil européen de Turin.

Elle a par ailleurs continué son examen systématique des propositions d'acte communautaire soumises au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Afin de permettre une meilleure connaissance de ces travaux, ce rapport retrace ces diverses activités qui rentrent dans la mission assignée à la délégation de « suivre les travaux conduits par les institutions de l'Union européenne ».

I. LA PRÉPARATION DE LA CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE

La délégation a mené depuis 1994 une réflexion continue sur la préparation de la Conférence intergouvemementale, au sujet de laquelle elle s'est exprimée à trois reprises, en 1994 et 1995, par l'adoption de rapports. En mars et avril 1996, la délégation a poursuivi cette démarche par plusieurs auditions.

A. AUDITION DE M. JACQUES DELORS

Le mercredi 6 mars 1996, la délégation, réunie conjointement avec la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, a entendu M. Jacques Delors, ancien Président de la Commission européenne.

M. Jacques Delors souhaite d'abord évoquer les grandes échéances qui se présentent pour l'Union européenne d'ici l'an 2000. Il rappelle en premier lieu que les résultats de la Conférence intergouvernementale (CIG) peuvent être affectés par le contexte politique de certains États membres et, notamment, les élections en Grande-Bretagne.

M. Jacques Delors souligne que, sauf à compromettre ses chances de succès, la CIG ne doit pas ouvrir prématurément le débat sur la constitution financière de l'Union européenne, les conditions de financement des politiques communes étant réglées jusqu'en 1999.

Comme l'indique l'ancien président de la Commission européenne, l'élargissement constitue pour l'Union une autre échéance majeure. A cet égard, il souligne que la promesse d'ouvrir des négociations en priorité avec Chypre et Malte dans les six mois qui suivront la clôture de la CIG a pu décevoir les pays candidats d'Europe centrale et orientale. S'agissant de ces derniers, il rappelle que la question d'examiner au cas par cas ou globalement leur candidature n'a pas été tranchée.

Enfin, le passage à l'Union économique et monétaire représente une autre échéance essentielle avant la fin du siècle. Il rappelle à cet égard que, dans un cycle de croissance économique, les pays les plus vertueux connaissent aujourd'hui, paradoxalement, un ralentissement conjoncturel. Cette situation s'explique, aux yeux de M. Jacques Delors, d'une part par l'absence de mise en oeuvre effective du Livre blanc sur la compétitivité, la croissance et l'emploi proposé par la Commission et, d'autre part, par le défaut de coopération dans les politiques macro-économiques conduites par les différents États membres.

Selon l'ancien président de la Commission européenne, la mise en oeuvre d'un gouvernement économique européen face à la Banque centrale indépendante, la réduction des marges de fluctuations monétaires et une politique de soutien de l'emploi constituent les trois conditions indispensables pour assurer la pérennité de l'Union économique et monétaire.

L'ancien président de la Commission européenne dresse alors un bilan du Traité de Maastricht dont il souligne les cinq principales faiblesses. Il regrette d'abord l'impuissance de la politique étrangère commune liée au processus de décision à l'unanimité et, également, à la dichotomie entre la politique conduite sur un mode intergouvernemental et la politique économique extérieure communautaire.

Par ailleurs, M. Jacques Delors rappelle les retards de mise en oeuvre d'une défense commune, faute d'une évaluation convergente des risques auxquels l'Europe se trouve dans son ensemble confrontée et de l'insuffisance de capacités logistiques, de renseignement et de transport communes, placées actuellement sous le contrôle de l'Alliance atlantique.

M. Jacques Delors relève également la complexité du « triangle institutionnel » que composent le Conseil, la Commission et le Parlement européen, et appelle à une plus grande transparence et une plus grande simplicité dans les procédures. Il évoque ensuite les problèmes liés à la responsabilité démocratique des institutions européennes, en soulignant qu'une bonne application de la subsidiarité ne peut résulter que d'une analyse politique des objectifs poursuivis par la construction européenne. La conciliation de deux légitimités, celles qu'incarnent les parlements nationaux, d'une part, et le Parlement européen, d'autre part, reste, pour M. Jacques Delors, la question décisive.

Ln outre, l'ancien président de la Commission européenne rappelle les inconvénients que présente, d'après lui, une conception du traité fondée sur trois piliers, et marque sa préférence pour un « tronc commun » permettant une plus grande cohérence et donc une plus grande efficacité de l'Union européenne.

M. Jacques Delors insiste sur les défis que poserait à l'Union européenne son prochain élargissement. Défi du nombre, en premier lieu, qui imposerait un changement des méthodes de travail au sein de l'Union. Défi de la différenciation qui doit permettre à l'Union européenne de ne pas s'aligner sur les plus réticents de ses membres. Défi du financement ensuite, puisque d'après certaines estimations, l'élargissement pourrait supposer d'accroître de 40 à 50 milliards d'Ecus le budget communautaire. Défi institutionnel également, dans la mesure où les modalités de préparation et de prise de décision devront sans doute être revues. Défi politique enfin, le plus important dans la mesure où il invite à mieux définir les finalités de la construction européenne.

Concluant son propos. M. Jacques Delors évoque cinq scénarios Possibles de sortie de la Conférence intergouvernementale. Le premier, qu'il juge désastreux, serait un élargissement sans aucun approfondissement de la construction européenne. Le second, sous la forme d'une Europe à la carte, constitue, selon l'ancien président de la Commission européenne, qui le déplore, la pente naturelle de l'évolution communautaire. En troisième lieu. une Europe élargie mais avec un socle commun réduit, témoignerait de l'importance accrue accordée à la compétitivité, au détriment de la solidarité et de la coopération. Le maintien d'un socle commun, avec la possibilité pour une avant-garde d'aller plus loin, constituerait un quatrième scénario. Toutefois. M. Jacques Delors souligne sa préférence pour une cinquième hypothèse, celle où une grande Europe continuerait à favoriser le développement des échanges entre ses membres ainsi que les indispensables solidarités, mais où une Communauté plus réduite, grâce à un réel partage de certains éléments de la souveraineté, regagnerait en marges de manoeuvre et en influence dans le monde.

M. Jacques Delors répond ensuite aux questions des commissaires.

Après avoir évoqué avec M. Emmanuel Hamel la politique qu'il a conduite lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances. M. Jacques Delors aborde, en réponse à M. Yves Guéna la perspective d'une défense commune européenne telle qu'elle est prévue dans le traité de Maastricht.

Pour l'ancien président de la Commission européenne, la France devrait s'interroger sur sa capacité à assurer, seule, sa sécurité intérieure et extérieure. Si elle n'estime pas disposer, à elle seule, d'une telle capacité, il lui faut agir au sein de l'Alliance atlantique, dans laquelle les États-Unis Pèsent d'un poids toujours plus fort, afin d'y développer, en son sein, avec ses Partenaires, un pilier européen de défense. Cela permettrait d'éviter certaines humiliations rencontrées récemment par l'Union européenne dans son action diplomatique.

En réponse à M. Michel Caldaguès, M. Jacques Delors souligne la nécessité de plaider à la fois pour la monnaie unique et pour l'emploi. Cette stratégie impose une forte relation de confiance entre la France et l'Allemagne.

Évoquant avec M. Jacques Oudin le défi de la différenciation entre pays européens, singulièrement dans le cadre du futur élargissement. M. Jacques Delors souhaite que cette notion figure dans le traité modifié afin que les pays qui ne souhaitent pas certaines avancées n'empêchent pas les autres de les réaliser. Il se déclare toutefois hostile à la notion de « cercles différenciés de solidarité », estimant nécessaire l'existence d'un noyau dur.

En réponse à une question de M. Denis Badré concernant les problèmes budgétaires de l'Union européenne, M. Jacques Delors estime que l'Union économique et monétaire nécessite un accroissement du budget européen pour être à même d'assurer un développement économique et social durable. À défaut, l'UEM pécherait par excès de monétarisme.

Revenant avec M. Jean François-Poncet et le président Jacques Genton sur le scénario d'une petite et d'une grande Europe, M. Jacques Delors précise les conditions d'une telle stratégie ; d'abord la possibilité pour tout pays d'intégrer la « petite Europe » et ensuite la nécessité de hiérarchiser, entre chacune de ces deux configurations, des compétences respectives, en confiant par exemple à la « grande Europe » les principes du grand marché, et à la « petite Europe » la possibilité de politiques économiques et monétaires étroitement concertées.

Avec M. Xavier de Villepin, président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, M. Jacques Delors reconnaît qu'en matière de PESC, le Traité de Maastricht a péché par souci « d'effet d'annonce ». Il eût mieux valu se borner à évoquer la possibilité d'actions communes lorsque des intérêts communs étaient en jeu. Par ailleurs, aux yeux de l'ancien président de la commission, on est allé trop vite en matière d'affaires intérieures et de sécurité. Par ailleurs, il juge souhaitable que le futur traité énumère les compétences qui demeurent exclusivement nationales.

M. Jacques Delors reconnaît que la situation des communautés autonomes d'Espagne à l'égard de l'Union européenne n'est pas comparable aux relations établies par les États fédéraux européens, où une hiérarchie est admise entre les niveaux communautaire, national et régional. Après avoir évoqué la spécificité de la position britannique dans l'Union européenne, il souligne la nécessité, pour la France, d'entretenir un dialogue de confiance qui n'exclut pas la fermeté, sur certains sujets, avec nos partenaires allemands. Il estime que la RFA a un réel besoin de ce dialogue avec la France et que notre pays, ayant tenu une place essentielle dans les avancées européennes, doit retrouver cette capacité d'initiative.

Concluant son propos, M. Jacques Delors déclare ne pas se résigner au déclin de l'Europe, perceptible depuis la fin du premier conflit mondial. Il avance des raisons d'espérer; l'influence des valeurs européennes, et l'exemplarité du modèle européen de société, fondé sur la combinaison des mécanismes du marché, des interventions de la puissance politique et de la concertation sociale, assurant, à la fois, l'efficacité économique et la cohésion sociale.

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