Section VI - La quatrième et dernière partie de la session ordinaire de 1995
(STRASBOURG - 25 au 29 septembre 1995)

A. - Introduction.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est réunie à Strasbourg du 25 au 29 septembre 1995 (quatrième partie de sa session de 1995).

Après avoir adopté le rapport d'activité du Bureau de la commission permanente, l'Assemblée a entendu un discours de Sa Majesté le roi HUSSEIN de JORDANIE - questions de MM. Jacques BAUMEL et Jean de LIPKOWSKI, députés (RPR).

Ont également prononcé des allocutions :

- Son Éminence le Cardinal SODANO, secrétaire d'État du Saint-Siège, question de M. Jean VALLEIX, député (RPR) ;

- M. Mircea SNEGUR, Président de la République de Moldova ;

- M. Helmut KOHL, Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, question de M. Jean SEITLINGER, député (UDF) ;

- Mme Birgitta DAHL, Président du Riksdag de Suède ;

- M. Zoltari GAL, Président de l'Assemblée nationale hongroise ;

- M. Blagovest SENDOV, Président de l'Assemblée nationale bulgare ;

- M. Oleksander MOROZ, Président du Parlement d'Ukraine ;

- M. Oliviu GHERMAN, Président du Parlement roumain.

L'Assemblée parlementaire a donné un avis favorable à l'adhésion de deux nouveaux États :

- la République d'Ukraine (Rapport 7370 de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur [S] ; intervention de M. Bernard SCHREINER, député (RPR) ; avis n° 190 ;

- l'ex-République yougoslave de Macédoine (rapport 7371) ; avis n° 191.

Après les cérémonies formelles d'adhésion sous l'égide du Comité des ministres, le Conseil de l'Europe devait compter trente-huit États membres.

L'Assemblée a également entendu la communication du Comité des ministres, présentée par son président en exercice, M. Joseph ZIELENIEK, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque (Communication 7393 et Rapport 7399).

S'agissant de la Russie, l'Assemblée parlementaire a décidé de reprendre la procédure relative à un avis sur la demande d'adhésion qui avait été suspendue en raison de la crise tchétchène. (Rapport 7372.) Interventions de MM. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), et Jean SEITLINGER, député (UDF), Président de la commission pour les relations avec les pays européens non membres. Résolution n° 1065.

L'Assemblée parlementaire a débattu de la Conférence intergouvernementale de 1996 de l'Union européenne sur le rapport 7373 de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (S.). M. Carlos WESTENDORP, secrétaire d'État espagnol aux affaires européennes, Président du groupe de réflexion pour la préparation de la Conférence intergouvernementale de 1996, a pris la parole au cours du débat, ainsi que M. Rovl RYSSDAL, Président de la Cour européenne des droits de l'homme. MM. Jean VALLEIX, député (RPR), Président de la Délégation française, Jean de LIPKOWSKI et Jean-Claude MIGNON, députés (RPR), sont intervenus. L'Assemblée a conclu le débat par l'adoption d'une recommandation n° 1279 et des résolutions n° 1068 et 1069.

Un débat d'urgence sur la situation en ex-Yougoslavie s'est déroulé sur le rapport 7395. Un avis oral a été présenté par M. Jean SEITLINGER, député (RPR), au nom de la commission pour les relations avec les pays européens non membres. Adoption de la résolution n° 1066.

Comme chaque année à la session d'automne, l'Assemblée parlementaire a tenu un débat élargi sur les activités de l'O.C.D.E. auquel ont participé des délégations des Parlements nationaux d'Australie, du Canada, du Japon et du Mexique, ainsi que des membres du Parlement européen.

Introduit par Mme Josette DURRIEU, sénateur (S.), rapporteur de la commission des questions économiques, le débat a été l'occasion pour M. Jean-Claude PAYE, secrétaire général de l'O.C.D.E., de s'exprimer devant les parlementaires et de répondre à leurs questions. MM. Jean VALLEIX, député (RPR) et Jean-Pierre MASSERET, sénateur (C) sont intervenus dans le débat qui s'est conclu par l'adoption d'une résolution (n° 1069).

L'Assemblée parlementaire a également adopté des recommandations sur les points suivants :

- Réfugiés et demandeurs d'asile en Europe centrale et orientale (rapport 7368) ; intervention de M. Bernard SCHREINER, député (RPR) ; recommandation n° 1278.

- Technologies stratégiques : (rapport 7379) ; interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), vice-président de la Com mission de la science et de la technologie et Jean-Pierre MASSERET, sénateur (S.) : résolution n° 1070.

L'Assemblée parlementaire a repoussé le projet de recommandations sur la durée du travail (Rapport 7360 et Avis 7381).

Au cours de cette même partie de session, le 27 septembre, M. Bruno HALLER, greffier adjoint, seul candidat, a été élu au poste de greffier de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Enfin, M. Louis JUNG, au terme de son mandat de sénateur (UDC, Bas-Rhin), et ancien Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a offert une réception à laquelle ont assisté de nombreuses personnalités, parmi lesquelles le Président en exercice, M. Miguel Angel MARTINEZ, et plusieurs anciens présidents de l'Assemblée de Strasbourg.

B. - Le rapport d'activité du Bureau et de la commission permanente .

L'Assemblée, après avoir entendu la récapitulation des décisions prises, depuis sa dernière réunion plénière, par le Bureau et la commission permanente, leur a donné acte de cette activité et des décisions prises, retracées dans le Rapport 7369 et les addenda I, II et III.

C. - La situation en Bosnie-Herzégovine. ( Lundi 25 septembre 1995. )

Le vote sur la proposition de Résolution contenu dans le Rapport 7336 ayant été renvoyé faute de quorum, lors de la troisième partie de la session ordinaire ( cf. Section V ci-dessus), l'Assemblée, à nouveau saisie, décide, à la demande même du Président de la commission politique le renvoi en commission de cette proposition pour tenir compte de l'évolution d'une crise qui semblerait s'acheminer vers une solution politique.

D. - Les réfugiés et demandeurs d'asile en Europe centrale et orientale. Intervention de M. Bernard Schreiner, député (RPR). ( Lundi 25 septembre 1995. )

Des mesures restrictives visant à réduire le nombre de demandeurs d'asile ainsi que des traités multilatéraux du type Schengen ou la Convention de Dublin sont susceptibles de se traduire par une augmentation du nombre de réfugiés dans les pays limitrophes de l'Union européenne souligne le Rapport.

En Bulgarie, Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et dans les États baltes, le transit des demandeurs d'asile se chiffre aujourd'hui à plusieurs dizaines de milliers tandis que le nombre de demandes d'asile atteint, au maximum, quelques milliers de personnes contre des centaines de milliers pour l'Europe occidentale. Selon le Rapporteur, le nombre de personnes vivant en clandestinité a, lui, augmenté considérablement (il est estimé, par exemple, à 100 000 personnes en République Tchèque).

Afin de répartir équitablement la « charge des réfugiés » et d'introduire les mêmes standards de protection, le Rapporteur invite les pays qui n'ont pas encore ratifié la Convention de Genève relative au statut de réfugié et son Protocole de 1967 à le faire, et à rendre conformes à ces textes leur législation et leurs pratiques en matière d'asile. Il recommande l'insertion du droit d'asile dans la Convention européenne des droits de l'homme ou l'élaboration d'un accord sur le droit d'asile. De même, il propose la création d'un Fonds d'assistance multilatérale qui fournirait une aide aux pays d'Europe centrale et orientale leur permettant de mieux faire face à leurs engagements vis-à-vis des réfugiés.

Dans le débat qui suit la présentation de ce Rapport M. Bernard SCHREINER, député (RPR) a pris la parole en ces termes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, ayant pris connaissance du projet de recommandation contenu dans le Rapport, j'ai le regret de ne pas pouvoir apporter mon suffrage aux orientations qui nous sont proposées.

« Tout d'abord, l'inscription dans la Convention européenne des droits de l'homme de dispositions sur le droit d'asile aboutirait à transférer à la Cour européenne des droits de l'homme tout le contentieux sur les refus d'admission, les rejets des demandes abusives ou encore les expulsions.

« Malgré tout le respect que j'ai pour cette Cour, nous devons être attentifs à ne pas abandonner à une organisation détachée de toute responsabilité politique et économique l'examen d'une question aussi sensible que celle de la régulation des flux migratoires, dont nous savons bien qu'aujourd'hui ils empruntent souvent le chemin des demandes d'asile, au mépris des critères initialement fixés.

« Bien entendu, je souscris à l'invitation adressée à tous les États du Conseil de l'Europe d'adhérer à la Convention de Genève et à son protocole. Mais, dans une Europe en proie au chômage, alors même que les pays d'Europe centrale essaient, non sans difficultés, de rattraper leur retard économique, il convient, au contraire, d'inviter les États de l'Est de l'Europe à assumer pleinement leurs responsabilités en s'opposant aux détournements des règles internationales du droit d'asile, lesquels ne peuvent que fragiliser le statut reconnu par la Convention de Genève, au détriment des personnes persécutées.

« Chacun sait que certains circuits d'acheminement d'immigrants irréguliers transitent aujourd'hui par l'Europe orientale, transit qui alimente les circuits financiers illicites et leurs profiteurs.

« Je sais que ces observations détonnent quelque peu par rapport aux positions de plusieurs d'entre nous et, en particulier, par rapport à la recommandation qui nous est soumise. Mais je vous interroge : si nous abolissons la distinction entre les vrais réfugiés politiques et les candidats à l'immigration pour cause économique, dans une Europe occidentale comptant vingt millions de chômeurs ou dans une Europe orientale en quête de bien-être après cinquante ans de privations, qui donc va loger, donner du travail, intégrer culturellement autant qu'économiquement les millions et les millions de candidats à l'immigration économique ?

« "Qui veut faire l'ange fait la bête", a dit un penseur français. Ne nous leurrons pas : ouvrir largement les portes à l'immigration économique est le plus sûr moyen d'aggraver la situation déjà précaire de nos banlieues et, dès lors, de multiplier les votes de nos concitoyens en faveur des partis protestataires d'extrême droite.

« La solution des problèmes économiques du Sud, et pour nous Français, en particulier, de l'Afrique et du Maghreb, se trouve non pas dans une migration massive vers nos contrées déjà affaiblies, mais bien dans des réformes dont les pays du Sud ne pourront pas éternellement faire l'économie.

« Je pense, en particulier, à la lutte contre la corruption, au népotisme, à l'ostentation somptuaire de despotes remettant toujours à demain la démocratisation de la vie politique. Je pense surtout à l'acceptation d'une remise en cause de traditions qui bloquent tout progrès, à savoir des structures familiales fondées sur l'infériorité des femmes.

« La Conférence du Caire et, tout récemment, la Conférence de Pékin ont très justement mis l'accent sur le lien de causalité entre, d'une part, la reconnaissance de la dignité des femmes avec, en particulier, l'urgence de l'investissement éducatif en leur faveur et, d'autre part, le décollage économique.

« Aussi, mes chers collègues, ne voterai-je pas pour un projet de recommandation qui, à mon avis, élude l'analyse lucide de la situation et propose des remèdes erronés. La solution des difficultés économiques du tiers-monde ne passe nullement par la facilitation des migrations vers une Europe elle-même en proie au chômage et à la montée des votes protestataires. Nous devons, au contraire, appeler clairement les pays d'émigration à s'engager hardiment dans une démocratisation réelle - et non pas seulement verbale - de leurs institutions, à modifier, enfin, leurs priorités éducatives et sociales en faveur des femmes, investissement le plus porteur d'avenir, puisqu'il diffusera, à travers les familles, l'éducation et les soins de santé.

« Vous voyez, mes chers collègues, que mon propos n'est nullement réactionnaire, puisque je pars du principe que les peuples du tiers-monde peuvent connaître le progrès sur le sol natal, sans être obligés de venir grossir les flots de malheureux déracinés qui peuplent déjà les banlieues de toutes nos villes, Francfort, Paris ou Rome et, désormais, Prague ou Budapest.

« Oui, nous devons coordonner nos politiques : d'une part, appliquer généreusement la Convention de Genève, mais refuser fermement de la dénaturer, dans l'intérêt même des véritables réfugiés ; d'autre part, inviter les gouvernements des États d'émigration à agir sur les causes de la misère et, en premier lieu, sur la non-maîtrise de leur fécondité par les femmes, et sur l'oppression de tous les citoyens, causes qui, seules, poussent leur peuple à l'exil, dont chacun sait, et les émigrés les premiers, qu'il est d'abord une souffrance. »

À la suite de ce débat, l'Assemblée, statuant sur le Rapport 7368, a adopté la Recommandation 1278.

E. - La durée du travail. ( Lundi 25 septembre 1995. )

Dans certains pays européens, le chômage atteint jusqu'à 20 % de la population active. La simple création d'emplois ne suffit plus pour diminuer le chômage. Le Rapporteur dresse un tableau sombre des conséquences de cette situation : ségrégation sociale, pauvreté généralisée, cassure entre générations.

Pour faire face à cette situation de crise, le Rapporteur (socialiste autrichien) propose des mesures telles que les horaires souples, la diminution progressive de la durée de travail tout au long de la vie active, et les congés sabbatiques et parentaux plus longs. La réduction de la durée du travail peut s'accompagner de négociations salariales, mais les salaires se situant au-dessous du revenu moyen ne doivent pas être diminués.

Le Rapporteur conclut que la réduction du temps de travail est inévitable. Si elle n'est pas réglementée et surveillée, elle interviendra de manière chaotique et aux dépens des plus faibles.

Après un débat qui fait apparaître des oppositions marquées aux propositions du Rapporteur, l'Assemblée est appelée à statuer sur le projet de Recommandation contenu dans le Rapport 7360, mais le vote faisant apparaître que le projet ne réunit pas la majorité des deux tiers réglementairement nécessaire, la Recommandation est considérée comme repoussée.

F. - Demande d'adhésion de l'Ukraine au conseil de l'Europe. Rapport de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.). ( Mardi 26 septembre 1995. )

En présentant son Rapport écrit au nom de la commission des questions politiques (Rapport 7370 et addendum ), M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) l'a complété des observations suivantes : « Monsieur le Président, mes chers collègues, je souhaite d'abord rappeler quelques dates, car, à travers l'énumération à laquelle je vais procéder, vous verrez que votre commission des questions politiques, appelée à donner son avis sur la demande d'adhésion de l'Ukraine, a parfaitement respecté la procédure du Conseil de l'Europe, et a agi sans précipitation. Les dates que je vais citer marquent les progrès réalisés par l'Ukraine dans tous les domaines pour respecter les standards du Conseil de l'Europe.

« Le 16 juillet 1990, le Parlement ukrainien adopte une déclaration sur la souveraineté étatique. Pour la première fois depuis plusieurs siècles, l'Ukraine existe.

« Un an plus tard, le 24 août 1991, l'indépendance est proclamée, et confirmée par voie référendaire le 1 er décembre 1991. À cette même date, l'Ukraine procède à l'élection de son Président de la République.

« Le 14 juillet 1992, il y a plus de trois ans, l'Ukraine demande à adhérer au Conseil de l'Europe.

« Le 16 septembre 1992, le Conseil de l'Europe accorde le statut d'invité spécial à l'Ukraine.

« Au printemps de 1994, des élections législatives se déroulent. Le jugement des experts qui se sont rendus sur place pour les contrôler est positif : bon déroulement, élections libres et équitables. Bien sûr, ont été relevées çà et là quelques erreurs dans les décomptes, mais cela est le lot commun de toute démocratie.

« En juillet 1994 ont lieu de nouvelles élections présidentielles.

« Entre février 1994 et décembre 1994 des experts, éminents juristes désignés par l'Assemblée du Conseil de l'Europe, se rendent sur place pour procéder aux vérifications utiles et nécessaires. Le rapport qu'ils ont remis le 6 avril 1995 a servi aux trois Rapporteurs ici présents, Mme Severinsen pour les relations avec les pays européens non membres, M. Németh pour la commission des questions juridiques et des droits de l'homme et moi-même pour la commission des questions politiques. Ce Rapport nous a été très utile lors de notre visite sur place, du 12 au 14 avril 1995, et nous avons travaillé en étroite collaboration.

« Suite à l'intervention de vos Rapporteurs sur place - car nous avions indiqué aux autorités ukrainiennes qu'il fallait procéder à un certain nombre de modifications urgentes -, le Parlement ukrainien a adopté le 18 mai 1995 la loi sur les pouvoirs publics et l'autonomie locale.

« Le 8 juin 1995, dans l'accord constitutionnel, dit « mini-constitution » - sa première partie reprend la loi sur l'autonomie locale et les pouvoirs publics, et la seconde est consacrée à la coopération entre les organes exécutifs et législatifs - priorité est donnée aux droits de l'Homme.

« La Constitution de 1978 reste en vigueur tant que ses dispositions ne sont pas contraires aux droits de l'Homme et à l'accord constitutionnel du 8 juin 1995.

« Le 21 juillet 1995, une délégation de l'assemblée des pouvoirs locaux et régionaux se rend en Ukraine pour apprécier le dispositif touchant l'autonomie locale et son jugement est positif.

« Le 27 juillet 1995, les plus hautes autorités ukrainiennes, le Président de la République, le Président du Parlement, qui est présent dans cette salle et que je salue, le Premier ministre, ont répondu par écrit aux questions élaborées ensemble par les trois Rapporteurs. Ces autorités s'engagent sur la base des réponses à ces questions.

« Le 15 septembre 1995, le Conseil de l'Europe ouvre un centre d'information et de documentation à Kiev. À la même date, à Strasbourg, l'Ukraine signe notamment la convention-cadre sur les minorités.

« En ce qui concerne des questions comme la Crimée, la sûreté nucléaire ou la politique étrangère, la fréquentation du Conseil de l'Europe a fait progresser les solutions. Après un certain nombre de difficultés, grâce aux interventions de M. Németh et de Mme Severinsen, l'accord constitutionnel du 8 juin 1995 a confirmé le statut spécial de la République autonome de Crimée. Ainsi, les représentants de cette république autonome participent aujourd'hui aux travaux de la commission constitutionnelle chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution.

« S'agissant de la sûreté nucléaire - une question importante - en janvier 1994, l'Ukraine renonce à son arsenal militaire stratégique. Le 5 décembre 1994, l'Ukraine adhère au traité de non-prolifération des armes nucléaires et, en avril 1995, accepte de fermer la centrale nucléaire de Tchernobyl.

« En politique étrangère, l'Ukraine est guidée par l'objectif de créer un environnement international coopératif. Ainsi, l'Ukraine n'a pas signé la Convention des droits de l'Homme et des libertés fondamentales de la C.E.I. En revanche, ce pays a paraphé le texte provisoire d'un traité avec la Russie au mois de février 1995.

« Le 9 juin 1995, après trois ans de négociations, un accord est passé avec la Russie sur le partage de la flotte, anciennement soviétique, de la mer Noire.

« Auparavant, il faut également le savoir, le 14 juin 1994, un accord de partenariat et de coopération est signé avec l'Union européenne.

« En 1994 toujours, l'Ukraine est le premier pays de la C.E.I. à adhérer au partenariat pour la paix de l'O.T.A.N.

« En 1994 enfin, une mission permanente de l'O.S.C.E. est installée en Ukraine.

« Cette longue liste montre que, dans cette affaire, nous avons parfaitement et à tout moment respecté notre procédure. Nous avons agi sans précipitation, et nous avons constaté régulièrement les progrès réalisés dans tous les domaines.

« La proposition qui vous est faite d'accepter l'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe tient compte de nos principes, ainsi que de l'adaptation que nous avons su donner à nos procédures, adaptation rendue nécessaire compte tenu des difficultés auxquelles ont été confrontés et sont toujours confrontés les États qui, depuis l'effondrement du bloc soviétique, se sont engagés dans la voie de la démocratie.

« La proposition d'avis qui conduit à l'acceptation de la demande d'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe respecte ces principes, principes éclairés par la procédure engagée dans les années 1992 et 1993 par la directive n° 488 appelée à l'époque procédure Halonen, modifiée en 1994-1995.

« La commission des questions politiques vous propose l'adhésion sur la base des observations faites sur place. Vos rapporteurs ne se sont d'ailleurs pas limités à rencontrer les autorités politiques traditionnelles dont on connaît souvent d'avance les réponses. Ils ont aussi discuté avec les organisations de défense des droits de l'homme, avec les représentants d'Églises, avec des juristes, des avocats, des journalistes et, finalement, avec des hommes et des femmes de la rue qui pouvaient témoigner de l'évolution sur le chemin de la démocratie.

« La commission des questions politiques pense que l'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe est le meilleur garant que les engagements pris seront tenus. Ils constituent un acte de confiance. L'accompagnement du Conseil de l'Europe à l'Ukraine sur le chemin de la démocratie, a déjà montré son utilité. Cette confiance est exprimée dans l'avis qui vous est soumis.

« Certes, tout ne va pas parfaitement bien en Ukraine. Des modifications importantes doivent être apportées dans les domaines du droit, des procédures, de la Prokuratura , du statut du Barreau des avocats, mais ces conditions sont posées dans l'avis et les autorités ukrainiennes se sont engagées sur ces points.

« Le passé témoigne de l'utilité de l'intervention du Conseil de l'Europe. Tous les différents pays et États que nous avons accueillis jusqu'à présent connaissaient encore des difficultés. Leur adhésion au Conseil de l'Europe a renforcé leur capacité à agir rapidement sur la voie de la démocratie.

« Nous proposons donc tout simplement de confirmer la confiance que nous avons établie avec l'Ukraine au cours de ces dernières années et de lui donner les moyens, grâce à son adhésion au Conseil de l'Europe, de parfaire la démocratie qui est le lot commun de pays membres de notre Assemblée du Conseil de l'Europe.

« Je ne rappelle pas les conditions que j'ai posées dans l'avis puisque vous les avez sous les yeux, cependant je précise qu'il s'agit de conditions traditionnelles, mais importantes, concernant la Constitution et certains problèmes juridiques. Je suis certain cependant que, eu égard au passé, nous pouvons faire confiance pour l'avenir aux engagements que les plus hautes autorités de l'Ukraine ont pris.

« Au nom de la commission des questions politiques, je souhaite qu'un vote favorable intervienne tout à l'heure pour accueillir un nouveau membre au sein de notre Assemblée. Ce nouveau membre sera l'Ukraine, ce qui n'est pas rien et constitue, effectivement, pour nous un rendez-vous supplémentaire avec l'histoire.

Dans le débat qui suit l'exposé de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), M. Bernard SCHREINER, député (RPR) a pris la parole en ces termes :

« Dans cet important débat, je souhaite apporter le soutien de la France à l'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe.

« En effet, depuis le dépôt de sa demande officielle d'adhésion le 14 juillet 1992, l'Ukraine a fait des progrès significatifs sur la voie de la démocratisation et de l'État de droit.

« L'excellent Rapport de notre collègue M. Masseret donne à cet égard toutes indications utiles. Les élections législatives et présidentielles du printemps et de l'été 1994 se sont déroulées dans de bonnes conditions. Toutes les visites sur le terrain effectuées par les juristes se sont avérées positives et par ailleurs, la situation institutionnelle est clarifiée avec la signature de l'accord constitutionnel du 8 juin 1995.

« L'Ukraine a également développé par différents accords ses relations avec la Fédération de Russie.

« Enfin, un « Accord de partenariat et de coopération » a été signé avec l'Union européenne.

Quant aux relations entre l'Ukraine et le Conseil de l'Europe, elles n'ont cessé de se renforcer, comme en témoigne le dialogue politique engagé depuis juillet 1994 avec le Comité des ministres.

« Dans ces conditions, nous soutenons la candidature de l'Ukraine, conformément à l'article 4 du statut du Conseil de l'Europe. La France a d'ailleurs oeuvré pour faciliter la coopération entre l'Ukraine et le Conseil de l'Europe en soutenant :

« - son adhésion aux conventions ouvertes aux États européens non membres (Convention culturelle, Convention pour la coopération transfrontalière, Accord partiel sur les risques majeurs naturels et technologiques) ;

« - sa participation aux travaux de l'Organisation ;

« - les programmes de coopération pour la mise en oeuvre de l'État de droit.

« Nous souhaitons voir les critères d'adhésion au Conseil de l'Europe maintenus sans dilution ni durcissement. Rien ne serait plus préjudiciable à l'organisation que l'établissement de doubles standards. Il n'est pas souhaitable d'ajouter des engagements supplémentaires aux obligations contenues dans le statut de 1949.

« Il serait anormal, à mon sens, qu'un traitement discriminatoire soit appliqué aux républiques issues des régimes communistes, qui conduirait à imposer à ces nouveaux États des obligations que les membres fondateurs n'ont pas eu à remplir à l'origine.

« L'adhésion de l'Ukraine marque une nouvelle étape, particulièrement importante, dans l'élargissement du Conseil de l'Europe, qui s'étend progressivement à l'ensemble du continent.

« Nous mesurons ainsi le chemin parcouru depuis 1989.

« Cette nouvelle dimension du Conseil de l'Europe accroît la responsabilité de notre Organisation dans la mise en oeuvre d'une politique de coopération à l'échelle du continent tout entier.

« Je suis convaincu que l'Ukraine sera au Conseil de l'Europe un partenaire précieux pour la réalisation de ces objectifs.

« C'est pourquoi, sous le bénéfice de ces observations, je voterai en faveur de l'adhésion au Conseil de l'Europe de ce grand pays européen qu'est l'Ukraine.

À l'issue du débat, M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur, a répondu aux orateurs en ces termes :

« Tous les intervenants ont été favorables à la proposition d'adhésion de l'Ukraine, même notre collègue M. Holovatiy, du Parlement ukrainien !

« Trêve de plaisanterie : cela signifie tout simplement que les travaux menés par les trois Rapporteurs étaient significatifs et correspondaient à la réalité du terrain puisque aucune opposition ne s'est élevée.

« Une intervention qui résume peut-être toutes les autres, celle de notre collègue M. Schwimmer, qui nous a indiqué que l'Ukraine devait prendre sa place au sein du Conseil de l'Europe. Pour cela, nous avions posé un certain nombre de conditions - elles figurent précisément dans l'avis - portant nécessité d'engager des réformes sur un certain nombre de sujets.

« Je n'ai pas de doute, et les Rapporteurs non plus, sur ces engagements puisque nous avons posé ensemble les questions et obtenu les réponses dans une lettre du 27 juillet 1995, signée par le Président de la République, par le Président du Rada suprême et par le Premier ministre. Ces engagements figurent dans l'addendum 7370, remis dans le dossier à chacun de nos collègues.

« Je n'ai rien d'autre à ajouter. Dès lors que les choses ont été clarifiées et les engagements précisés, je souhaite que le vote de notre Assemblée soit positif. Les engagements pris ont fait l'objet de lettres précises des plus hautes autorités de l'Ukraine.

« La confiance que nous avons témoignée à l'Ukraine au cours des dernières années doit se prolonger dans un acte d'adhésion dont je souhaite qu'il devienne réalité. »

M. Jean-Pierre MASSERET fait encore adopter des amendements soulignant les conventions du Conseil de l'Europe auxquelles l'Ukraine a déjà souscrit.

Au terme de ce débat, l'Assemblée, statuant sur la demande d'Avis 7370, le Rapport de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) (Rapport 7398), et sur l'Avis 7396, a adopté, à l'adresse du Comité des ministres, un Avis 190, favorable à l'adhésion de l'Ukraine au Conseil de l'Europe, le Parlement de ce pays étant appelé à être représenté à l'Assemblée parlementaire par 12 délégués titulaires et autant de suppléants.

G. - Communication du Comité des ministres. Question de M. Jean BRIANE, député (UDF). ( Mardi 26 septembre 1996. )

La communication du Comité des ministres (Documents 7393 et 7399) a été présentée par M. Josef ZIELENIEC, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque et président en exercice du Comité des ministres. Au terme de son exposé, il a notamment répondu à une question de M. Jean BRIANE, député (UDF), qui l'a interrogé sur « les problèmes posés par le système des "heures d'été" et des "heures d'hiver". Considérant que de nombreux inconvénients en résultent, entraînant de multiples perturbations qui affectent la vie économique, les catégories de population les plus fragiles : enfants, personnes âgées, malades et le monde agricole, particulièrement dans les régions d'élevage. » Aussi, M. Jean BRIANE lui demande « s'il compte appeler les États membres à décliner rapidement pour l'ensemble de l'Europe un ensemble de fuseaux horaires à partir du temps universel coordonné, tenant compte des particularités dimensionnelles de chaque pays et de sa situation géographique par rapport au méridien zéro ».

Au nom du Comité des Ministres, M. ZIELENIEC répond en ces termes :

« L'honorable parlementaire se réfère, dans sa question, aux problèmes causés par l'introduction de l'heure d'été dans un grand nombre d'États de l'Europe. Il est communément admis que cette mesure, en vigueur dans bien des États depuis une trentaine d'années, permet de réduire la consommation d'électricité et favorise donc les économies d'énergie. Par contre, les avis divergent quant à l'ampleur de ces économies et aux inconvénients que le changement d'heure occasionnerait au rythme biologique des êtres humains, notamment des enfants, et des animaux.

« Le Conseil de l'Europe a eu l'occasion de se pencher sur ces questions en 1977, suite à l'adoption, par l'Assemblée, de la Recommandation 801. Les conclusions du comité ad hoc créé à cet effet, entérinées par le Comité des ministres en 1979, étaient qu'une action au niveau des experts gouvernementaux ne serait pas utile. Par ailleurs, l'harmonisation de l'heure d'été au niveau de l'Union européenne relève depuis 1980 de directives du Conseil, dont la plus récente, adoptée le 30 mai 1994, fixe les dates de début et de fin de l'heure d'été jusqu'en 1997.

« Quant à la redéfinition des fuseaux horaires actuellement utilisés pour fixer l'heure par rapport au temps universel coordonné, le Comité des ministres n'est pas au courant d'éventuelles difficultés majeures éprouvées par les États membres à l'égard de la répartition actuelle, qui tient déjà compte de la dimension et de la situation particulières de chaque pays. »

M. Jean BRIANE, député (UDF), a alors repris la parole en ces termes :

« Monsieur le Président du Comité des ministres, votre réponse ne me satisfait pas pleinement. Je m'interroge toujours. Pourquoi vouloir modifier, par des dispositions artificielles, qui engendrent plus d'inconvénients qu'elles n'apportent de solutions, le bon fonctionnement de l'horloge du monde, de tout temps réglée et fonctionnant sur le système solaire ?

« Je le répète, le changement d'heure pose, parmi les peuples, beaucoup plus de problèmes qu'on ne le pense. À mon sens, l'argument de l'économie d'énergie est fallacieux. »

H. - Adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. Intervention de M. Jean de LIPKOVSKI, député (RPR) et amendements de M. Jean SEITLINGER, député (UDF). ( Mardi 26 septembre 1995. )

L'Assemblée avait suspendu la procédure concernant la demande d'adhésion de la Russie le 2 février 1995, en raison de la situation en Tchétchénie, en application de la Résolution 1055 (1995).

À la suite de diverses missions d'enquête sur le terrain, la commission des questions politiques considère que la Russie recherche maintenant une solution politique. Un processus de désarmement et de retrait des forces militaires a été engagé. Les Rapporteurs ont reçu des assurances au plus haut niveau (Moscou et Grozny, 21-24 août), selon lesquelles les allégations concernant des atteintes aux droits de l'Homme, qui avaient été signalées à la Sous-commission des droits de l'Homme (Moscou, Tchétchénie et républiques voisines, 5-11 juin) fort l'objet d'enquêtes. La commission recommande la reprise de la procédure pour un avis.

Dans le débat qui suit la présentation de ce Rapport, M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR) a pris la parole :

« Dans ce débat capital, il me semble que nous devons refuser de partir d'éléments passionnels. Que l'on ait des sympathies pour la Russie ou qu'on lui soit hostile pour des raisons qui tiennent au passé ne doit pas entrer en ligne de compte. Il nous faut juger en toute impartialité selon les critères qui fondent notre Organisation.

« Nous avons suspendu la procédure d'adhésion en raison de l'affaire tchétchène. Je fais confiance à l'excellent Rapporteur, M. Muehlemann, ainsi qu'aux Rapporteurs de la commission des questions juridiques et de la commission des relations avec les pays européens non membres : ils constatent que l'accord de paix du 30 juillet est le résultat d'un changement politique évident et que, même si cet accord est fragile, les forces constructives se manifestent.

« D'autre part, nos Rapporteurs indiquent que le processus démocratique continue en Russie : des élections législatives se tiendront en décembre et les présidentielles au printemps, sous le contrôle d'observateurs internationaux.

« Même si de grands progrès ont été réalisés, il reste du chemin à faire et la route est longue pour arriver à la démocratie. Mais le cap est le bon. C'est d'ailleurs ce qu'ont constaté les chefs d'État et de Gouvernement des Quinze qui, lors du Sommet de Cannes, ont signé l'accord intérimaire avec Moscou, compte tenu de l'évolution positive des critères que l'Union européenne s'était fixés, notamment dans l'affaire tchétchène.

« Nous souhaitons certes voir maintenus ces critères d'adhésion, sans dilution mais sans durcissement. Le problème est maintenant de savoir si nous voulons désormais nous efforcer d'étendre vers l'Est l'espace démocratique européen sans trahir nos valeurs.

« J'ai entendu certains orateurs s'interroger : pourquoi se presser ? Ils pensent qu'il convient d'être prudent et, dans le cas de la Russie, d'attendre que ce pays, qui est encore trop loin de nos normes, nous rejoigne. À ce sujet, j'ai entendu la réponse très intéressante du chef de la délégation finlandaise, selon lequel un tel raisonnement signifierait qu'en matière d'adhésion il y a deux poids deux mesures, ce qui serait très préjudiciable.

« Ce matin, quelle a été la position de notre Assemblée ? Nous avons fait quelque chose de très utile : nous avons accueilli l'Ukraine, et je m'en félicite. Mais tous les orateurs - les Ukrainiens eux-mêmes - ont souligné que des réformes très importantes dans des domaines essentiels étaient nécessaires pour se rapprocher de nos exigences démocratiques. Pourtant, nous avons tous dit que l'Ukraine n'était pas à niveau mais que nous lui faisions confiance.

« Or il faut savoir que la Russie a, dans beaucoup de domaines, fait davantage de progrès que l'Ukraine. Allons-nous établir une espèce de hiérarchie dans la confiance et refuser à la Russie la confiance que nous prodiguons à l'Ukraine ? Une telle attitude créerait un sentiment de frustration extrêmement dangereux en Russie, sentiment qui la mènerait aux pires dérives, vers un populisme agressif.

« En tout cas, je tiens à souligner qu'il me paraît très sage, comme le pense la commission des questions politiques, que notre Assemblée établisse, dès cette session, un calendrier concernant le débat sur l'adhésion de la Russie. Peut-être pouvons-nous l'instaurer dès notre session de janvier ?

« Je veux souligner aussi, pour conclure, que le Gouvernement français apporte, pour sa part, son ferme soutien à cette adhésion, convaincu qu'elle renforcera la tradition démocratique de la Russie. Celle-ci devra en effet souscrire à des engagements l'obligeant à observer les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe. Il nous appartiendra de la conseiller dans cette évolution et aussi d'établir des mécanismes de contrôle, pour vérifier qu'elle respecte bien ces normes.

« Mes chers collègues, nous sommes convaincus que faire partie du forum privilégié qui est le nôtre évitera le repli de la Russie sur elle-même dans un nationalisme hargneux. Si nous ne voulons pas revoir l'Europe coupée en deux, le devoir de notre génération est d'encourager la venue d'une Russie stable et démocratique dans la seule institution paneuropéenne, qui sera la nôtre, où pourra se nouer un dialogue politique constant, facteur de paix et de compréhension mutuelle dans notre vieux continent. »

M. Jean SEITLINGER, député (UDF), avait pour sa part déposé une proposition de Directive (7400) fixant une procédure pour le réexamen de la demande d'adhésion et « dégageant une voie moyenne entre deux solutions extrêmes : soit déléguer la décision d'admission à la commission permanente, soit décider un report sine die.

Selon M. Jean SEITLINGER, député (UDF), la Directive qu'il propose a pour objet d'être un signal fort. Il est clair qu'il ne saurait s'agir d'un calendrier contraignant car l'ordre du jour de l'Assemblée est fixé par le Bureau et par l'Assemblée elle-même, à l'ouverture de la session : « De toute façon, en janvier, nous aurons à examiner un rapport sur les élections en Russie qui se seront déroulées en décembre et nous aurons donc un débat.

« C'est ce que dit cette proposition de directive qui est tout simplement l'expression d'une volonté politique tendant à préciser que, sans précipitation, à pas mesurés, nous entendons examiner et débattre de la demande d'adhésion de la Russie, pendante depuis trois ans.

« La proposition de Directive dispose que :

« 1. L'Assemblée se réfère à sa résolution sur la procédure d'élaboration d'un avis concernant la demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe.

« 2. L'Assemblée charge ses commissions des questions politiques, des questions juridiques et des droits de l'homme, et des relations avec les pays européens non membres de terminer leur examen de la demande d'adhésion de la Russie à temps pour que l'Assemblée débatte de cette question à sa partie de session de janvier 1996. »

Si la Directive elle-même n'est pas adoptée, c'est néanmoins la voie moyenne qu'elle proposait qui sera retenue puisque, délibérant sur le Rapport 7372 et addendum et l'Avis 7384, l'Assemblée a adopté une Résolution 1095, décidant la reprise de la procédure d'examen de la demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. De fait, cette procédure allait déboucher sur l'adhésion formelle de la Russie au début de 1996 ( cf. Rapport 1996).

I. - La situation en ex-Yougoslavie. Rapport pour avis de M. Jean SEITLINGER, député (UDF). ( Mercredi 27 septembre 1996. )

Reprenant des débats antérieurement suspendus, M. Jean SEITLINGER, député (UDF), Rapporteurs pour avis, a complété son Rapport par les observations suivantes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, les événements s'accélèrent. Nous devons nous en féliciter après trois ans de guerre qui ont fait rage dans le pays dont nous parlons. La communauté internationale est restée trop longtemps silencieuse, comme si elle semblait attendre le résultat.

« Certes, les arrière-pensées géopolitiques, les conflits d'intérêts ont neutralisé les États. On avait aussi le sentiment que les démocraties étaient comme paralysées face à la barbarie. Fort heureusement, ces dernières semaines, le ton a changé. Il y a eu ensuite l'engagement américain.

« Le règlement intervient par la force des armes. Ce qui est regrettable. Il eût bien sûr été préférable qu'il intervienne par des ententes politiques. C'est l'échec des professionnels de la paix comme celui des professionnels de la guerre. Et c'est un camouflet pour la communauté internationale. Nous avons tous perdu dans l'ex-Yougoslavie !

« La communauté internationale a poussé du bout des lèvres un lâche soupir de soulagement quand les armes ont, semble-t-il, sinon réglé la situation, du moins amorcé un règlement de paix. Elle a pratiquement rendu hommage à ceux qui ont provoqué ce genre de situation là où elle-même avait échoué.

« Arrêtons là les considérations d'ordre général pour examiner brièvement la situation des différentes républiques de ce qui fut naguère la Yougoslavie, dont notre président, en tant que Rapporteur des questions politiques, et moi-même avions le dossier en charge. Nous avions déjà progressé dans son examen en vue d'une adhésion de la Yougoslavie lorsque sont survenus les événements que vous connaissez. Nous avons maintenant en face de nous cinq ou six situations différentes.

« La Slovénie est membre à part entière de notre Assemblée depuis mai 1993.

« La Macédoine a le statut d'invité spécial depuis mai 1993. Elle sera très vraisemblablement -je ne voudrais pas anticiper mais c'est une quasi-certitude, d'autant qu'un accord a pu intervenir avec la Grèce - membre à part entière de notre Assemblée dans les meilleurs délais.

« La Croatie a le statut d'invité spécial depuis mai 1992.

« Les actions militaires, en mai dernier en Slavonie occidentale, en août dernier en Krajina, ont, chaque fois, contraint la commission des relations avec les pays européens non membres à ajourner sa visite sur place, à Zagreb et dans les autres régions, notamment en Slavonie.

« Il reste - notre collègue Van der Linden l'a souligné - le problème de la Slavonie orientale et de Vukovar qui n'a pas été réglé hier à New York. Certes, il est indiqué dans le communiqué que ce problème de haute priorité est l'un des éléments clés avant un règlement final. C'est effectivement encore une difficulté. Nous devons formuler le voeu que cette affaire puisse se régler, non pas, comme pour la Krajina et la Slavonie occidentale, par les armes, mais par la négociation. Des élections interviendront dans les semaines qui viennent en Croatie. Le Parlement a été dissous et la Constitution prévoit un délai de soixante jours pour la tenue d'élections.

« En ce qui concerne la Serbie-Monténégro - ce qui reste de cette fédération de l'ancienne Yougoslavie - nous n'avons pas et nous ne pouvons pas avoir, pour l'instant, en raison des sanctions internationales, de relations avec cette république ; mais il est clair que si nous allons vers la paix dans cette région d'Europe, une première mesure de confiance s'imposera : la levée des sanctions.

« Il faudra ensuite - c'est un avis personnel - que nos collègues de Belgrade sachent qu'ils ne pourront pas, comme certains le pensent, revendiquer l'héritage automatique du statut d'invité spécial de l'ancienne Yougoslavie. Ils devront, me semble-t-il, refaire une nouvelle demande que nous examinerons, sans préjugé mais avec soin. En particulier, nous porterons un regard attentif sur la situation au Kosovo et en Vojvodine.

« La Bosnie, enfin, est évidemment le cas le plus sensible, puisque y cohabitent trois communautés : musulmane, croate et serbe. L'accord de Genève du 8 septembre dernier prévoit notamment le désenclavement de Sarajevo et le retrait des armes lourdes à plus de vingt kilomètres. Hier, à New York, est intervenu un accord sur un processus plus politique : élections libres, réaffirmation du non-dépeçage de la Bosnie mais maintien d'un État unitaire internationalement reconnu, présidence collégiale - un peu la formule ancienne de cette république multiethnique - un parlement aux deux tiers croato-musulman et un tiers serbe.

« De nombreuses questions restent en suspens. On a signalé celle du jugement des criminels de guerre qui est encore un obstacle. Ce n'est pas encore la paix, ce qui est bien sûr regrettable, mais cela est trop souvent le cas dans les Balkans. Il s'agira sans doute d'une paix imposée de l'extérieur. Il nous faut souhaiter qu'ensuite, le temps aidant, cette paix imposée de l'extérieur devienne une paix reconnue par les peuples qui habitent cette région. »

Au terme de ce débat, appelée à statuer sur le Rapport 7395, les Avis 7397 et 7401, l'Assemblée a finalement adopté la Résolution 1066.

J. - La Conférence intergouvernementale de 19 % de l'Union européenne. Rapport de M. Jean MASSERET, sénateur (Soc.). Intervention de MM. Jean VALLEIX, Jean de LIPKOWSKI et Jean-Claude MIGNON, députés (RPR).

Il revient à M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) d'ouvrir cet important débat en présentant son Rapport écrit, au nom de la commission des questions politiques (Rapport 7373), rapport qu'il complète des observations orales suivantes :

« - Monsieur le Président, mes chers collègues, je pense qu'il convient d'abord d'expliquer pourquoi nous devons débattre dans cette enceinte de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne, d'indiquer aussi quel esprit nous anime même s'il apparaît dans l'introduction du rapport qui vous a été distribué.

« Il convient enfin de préciser, d'expliquer, de justifier les propositions contenues dans le projet de recommandation ou dans le projet de résolution.

« Pourquoi débattre ici de la Conférence intergouvernementale ? Parce qu'elle aura nécessairement des incidences sur la construction de l'Europe. Or, l'Europe ne s'arrête pas aux frontières de l'Union. Ce que décidera cette dernière aura des conséquences sur tout le continent, et d'abord sur les pays membres du Conseil de l'Europe.

« Dans ce domaine, nous avons, nous, une responsabilité particulière. Nous sommes plutôt bien placés. Le Conseil de l'Europe est devenu une organisation importante de la construction européenne. Nous ne sommes plus voués à un second rôle. Nous ne sommes plus des figurants de la construction européenne. Cela heurte sans doute certaines personnes, mais le Conseil de l'Europe a pris une très grande dimension politique nouvelle depuis le début des années 90.

« Sans être excessif, Monsieur le Président, mes chers collègues, on peut affirmer que notre Assemblée est devenue le creuset démocratique de la nouvelle société politique européenne. Ce rôle important restera longtemps d'actualité parce que la démocratie est toujours une construction fragile, un enjeu quotidien. C'est pourquoi notre rôle est appelé à se poursuivre.

« Dans quel esprit ? En priorité, pour garantir la cohérence politique, la cohérence institutionnelle de l'édifice européen. Nous voulons tous que notre continent connaisse la paix, la démocratie, le progrès social et économique. Pour cela, il faut que l'Union européenne et le Conseil de l'Europe coopèrent, agissent de concert, chacun avec sa spécificité, chacun avec sa méthode, chacun avec son savoir-faire. Nous devons rechercher cette coopération qui est nécessaire, une coopération intelligente, lucide et sans arrière-pensée. Parfois, il faudrait que nous bousculions un peu nos Gouvernements qui sont relativement frileux en ce domaine.

« La question de la suprématie d'une institution sur l'autre n'est pas posée. Par conséquent, nous devons écarter cette préoccupation. L'importance des enjeux auxquels le continent européen est confronté exige que nous soyons tous - que l'on soit membre du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne - au service des intérêts des citoyens européens.

« C'est dans cet esprit que la commission des questions politiques vous présente des propositions, reprises dans deux projets : un projet de recommandation qui s'adresse par conséquent aux gouvernements des pays membres du Conseil de l'Europe et un projet de résolution qui s'adresse à nous-mêmes, Assemblée parlementaire.

« Le premier comporte un certain nombre d'éléments, mais le point central, celui qui devra nous préoccuper, nous dynamiser dans nos actions, est la révision de l'article 230 du Traité de Rome, lequel indique seulement que la Communauté européenne peut avoir des relations avec le Conseil de l'Europe. Cela est désormais insuffisant parce que nous devons obtenir des gouvernements de l'Union - des négociateurs de la CIG - la reconnaissance du rôle éminent du Conseil de l'Europe. Ce serait lui garantir les moyens de poursuivre son action tant au plan politique qu'au plan fonctionnel.

« Le nouvel article 230 devrait définir clairement les domaines de compétence du Conseil de l'Europe et de l'Union ainsi que les domaines à compétence partagée. C'est pourquoi je propose, au nom de la commission des questions politiques, une rédaction qui reconnaisse au Conseil de l'Europe non seulement son importance dans le domaine des droits de l'homme, des normes juridiques, mais également la définition et le suivi de l'État de droit, des normes juridiques et démocratiques de la société paneuropéenne. Effectivement, ce serait préciser sa mission que de ne pas contenir notre Assemblée dans les droits de l'homme. Notre vocation est aussi la société démocratique avec ses normes juridiques, leur définition et leur suivi.

« Dans le projet de recommandation, quelques propositions appellent des discussions. On le verra tout à l'heure avec les amendements et sous-amendements.

« Il est un point délicat : je souhaitais inviter la commission européenne à ouvrir une délégation à Strasbourg - elle en a déjà auprès de nombreux d'organismes - mais cela a soulevé quelques difficultés. En conséquence, certains préféreraient que l'on remplace le terme "Commission" par "Communauté".

« Le projet de résolution s'adresse à nous-mêmes. Il ne contient rien de sorcier, rien qui puisse "décoiffer" - selon l'expression qu'utilisent parfois nos enfants en France - sauf le paragraphe 3.

« Il s'agit bien de favoriser la recherche d'une meilleure coopération entre l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le Parlement européen. Plusieurs propositions sont présentées. Si elles ne sont pas très importantes, elles sont très pratiques, très pragmatiques. C'est à petits pas que l'on construit ce genre de proposition.

« S'agissant du point un peu plus délicat de la seconde chambre, au paragraphe 3, il est indiqué que "l'Assemblée devrait rapidement préparer les arguments à présenter à la Conférence intergouvernementale pour lui permettre de devenir, le moment venu, la seconde chambre de l'Union européenne".

« Pour ma part, j'avais initialement proposé une rédaction plus légère, considérant que ce débat allait focaliser l'attention des parlementaires, au risque de les détourner de sujets plus importants comme la modification de l'article 230. La commission des questions politiques a jugé que cela devait figurer dans le projet de résolution. Il est donc normal que j'évoque cette question en raison de ma fonction et par loyauté envers cette commission.

« L'instauration d'une seconde chambre va faire hurler nombre de nos collègues, et hérisser le poil d'autres. Il s'agit d'une question et il appartient à chacun d'y répondre en fonction de ses réflexions, de ses intentions quant à la construction de l'Europe. Notre débat nous donnera des réponses concernant notre Assemblée sur ce sujet, mais j'ai bien conscience que, je le répète, cette question est particulièrement délicate.

« Monsieur le Président, mes chers collègues, j'en terminerai en rappelant qu'il est normal de tenir un débat sur la Conférence intergouvernementale au sein de notre Assemblée parlementaire. Nous sommes animés par un esprit de coopération. Nous la voulons constructive avec l'Union européenne. Nous la voulons efficace, utile et sans arrière-pensée avec le Parlement européen, parce que nous sommes conscients d'être, d'abord, au service de l'intérêt des citoyens européens et non de telle assemblée par rapport à telle autre.

« Toutefois, il faut aussi que l'Union européenne et les négociateurs de la Conférence intergouvernementale aient à l'esprit le rôle éminent joué par le Conseil de l'Europe et par l'Assemblée parlementaire depuis 1990, car nous avons su accueillir les nouvelles démocraties qui se sont libérées du système soviétique.

« Nous l'avons fait avec intelligence, pragmatisme et efficacité.

« Tout ce savoir-faire ne doit pas être perdu ni absorbé par l'Union. Au contraire : cette vocation portant sur les droits de l'homme, la définition de la démocratie et le suivi des principes démocratiques doit nous être reconnue. C'est ainsi que nous servirons au mieux, Monsieur le Président, mes chers collègues, les intérêts de nos concitoyens en Europe. »

Au terme de la présentation de son Rapport par M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), M. Carlos WESTENDORP, secrétaire d'État espagnol aux Affaires européennes, prend la parole en qualité de Président du « groupe de réflexion pour le préparation de la Conférence intergouvernementale ». Il s'adresse à l'Assemblée en ces termes :

« Le continent se trouve à un tournant historique : le moment est venu de travailler à une réunification politique, de jeter les bases d'une réconciliation de tous les peuples. Ce défi est aussi un défi qualitatif. Il faut d'abord se concentrer sur les problèmes qui intéressent le citoyen européen : problèmes de sécurité, de chômage, d'insertion sociale, d'atteinte à l'environnement. L'Europe est la proie de maux comme le trafic organisé, le terrorisme ou le trafic de drogue, qui ne peuvent être combattus à la seule échelle nationale. Il faut une coopération à l'échelle du continent, sinon du monde.

« Ce monde est peut-être devenu plus sûr aujourd'hui, mais il est aussi plus instable. L'Union européenne, qui a été jusqu'ici un facteur de prospérité et de stabilité sur le continent, doit travailler à le rester. Elle doit se doter d'une véritable politique extérieure et de sécurité, afin de faire face aux défis extérieurs.

« Le groupe de réflexion s'est attelé à ces diverses tâches afin de préparer la conférence qui doit s'ouvrir au cours du premier semestre de 1996. Les chefs d'État et de gouvernement ont pris des dispositions pour qu'il n'en aille pas pour celle-ci comme il en a été pour le Traité de l'Union, expliqué à l'opinion trop tard et trop mal. La mission du groupe de réflexion est précisément de cerner les problèmes de l'Europe et d'essayer de proposer des solutions. Dans cet esprit, il s'est attaché à ce que le citoyen européen soit mieux respecté par les institutions. Pour ce faire, il a envisagé deux possibilités.

« La première consisterait pour l'Union à établir une liste de droits fondamentaux qui lui seraient propres tout en reprenant dans un article les droits de l'homme tels que définis par le Conseil : tout cela figurerait ensuite dans le traité. La seconde possibilité serait que l'Union adhère directement à la Convention européenne des Droits de l'Homme. L'Union a demandé son avis à la Cour de justice de Luxembourg et attend maintenant sa réponse, mais il est clair que la majorité des membres du groupe de réflexion sont en faveur de cette seconde solution, sans que cela préjuge d'ailleurs de la position de leur Gouvernement. Ils estiment en effet que les risques de conflit entre la juridiction de la Cour de Luxembourg et celle de la Cour de Strasbourg sont minimes.

« Le groupe de réflexion s'est attaqué à d'autres dossiers encore : celui de la protection des minorités ; celui des discriminations fondées sur le sexe, l'âge, la religion ou le handicap ; celui de la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme. Dans tous ces domaines, l'Union a naturellement beaucoup à apprendre du Conseil et c'est pourquoi la présidence espagnole souhaite la tenue, sous la présidence tchèque, d'une réunion quadripartite chargée de jeter les bases d'une coopération plus étroite. Celle-ci est indispensable à la réunification du continent. »

En conclusion, l'orateur s'est dit disposé à répondre aux questions des parlementaires mais ajoute qu'il est surtout venu à Strasbourg pour apprendre d'eux. Il préside en effet un groupe de réflexion et l'on réfléchit toujours mieux à plusieurs.

Dans le débat qui suit, M. Jean VALLEIX, député (RPR) s'est exprimé en ces termes :

« Dans son rapport aussi bien que dans la présentation qu'il en a faite tout à l'heure, notre collègue Masseret a parfaitement donné la mesure de ce débat, et d'autres rapporteurs tout autant.

« Ce grand débat ne s'ouvre pas, malheureusement, dans des conditions extrêmement favorables. Un certain désenchantement se fait jour à l'égard de la construction européenne. Il suffit de rappeler les positions de la Norvège, de la Suisse plus récemment, et de la Suède tout dernièrement.

« En ayant choisi la fuite en avant, la Communauté européenne a, ces derniers temps, repoussé pas mal de problèmes, y compris des problèmes institutionnels. Par ailleurs, des divergences de fond sont apparues au cours des derniers mois, singulièrement sur la conception même de la défense européenne.

« En Bosnie, l'impuissance de l'Europe n'a fait que mettre en valeur la nécessité et le rôle de l'intervention américaine. La France elle-même s'est trouvée relativement isolée à propos de la création de la force de réaction rapide.

« Quant à ce vaste espace économique euro-atlantique dont il est question, on ne peut que s'inquiéter des risques de dilution de l'idée européenne que de telles initiatives peuvent éventuellement provoquer.

« L'heure est donc plus au réalisme qu'aux utopies.

« Dans ce contexte, le Conseil de l'Europe doit avoir à coeur d'affirmer sa personnalité et de développer sa coopération avec les autres institutions européennes. Dans le rapport qu'il a présenté en avril dernier au Gouvernement français, notre collègue Jean-Claude Mignon a parlé de "partenariat" avec l'Union européenne. Je crois que l'expression est bonne. À cet égard, d'ailleurs, l'amendement de notre collègue Mignon mérite intérêt.

« Alors que chacun déplore le déficit démocratique dans l'Union européenne, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a l'avantage d'être composée de représentants des parlements nationaux. Notre collègue Seitlinger a lancé l'idée de "Seconde Chambre de l'Union". C'est sans doute l'un des remèdes au "déficit démocratique".

« Mais quelle que soit la formule retenue - car on parle aussi de la création d'un haut Conseil parlementaire - l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe n'en demeure pas moins l'irremplaçable dimension parlementaire de l'Europe continentale.

« Notre collègue M. Masseret présente sa démarche de façon très réaliste et pragmatique. Je crois qu'il a raison. Toutefois, je ferai quelques observations.

«S'il me paraît judicieux de suggérer une modification de l'article 230 du Traité de Rome afin que le rôle et les missions spécifiques du Conseil de l'Europe soient reconnus par l'Union européenne, doit-on pour autant s'engager dans la voie d'une adhésion et d'une participation aussi complètes de l'Union aux structures du Conseil de l'Europe ? J'y vois bien des difficultés et pas toujours très clairement les avantages.

« Chacune des deux institutions a ses objectifs propres. Coopération, oui ; intégration, je ne pense pas. La disparité des moyens financiers, d'ailleurs, ajouterait encore certainement à la confusion et au déséquilibre.

« Plus constructive paraît la voie de la coopération entre nos deux instances. Je pense à des cas concrets comme les programmes Phare et Tacis. Quant à l'ouverture par la commission européenne d'un bureau d'information, pourquoi pas ? mais seulement si le Conseil de l'Europe disposait à Bruxelles d'une antenne diffusant en priorité des informations le concernant au lieu de se faire seulement l'écho de décisions communautaires. Là-aussi, l'équilibre s'impose.

« En revanche, mes chers collègues, la question de l'adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme, tout comme à la Charte sociale ou à la Convention culturelle, pose bien des problèmes politiques et juridiques. La signature d'un traité par la Communauté européenne n'est en effet possible que lorsque le traité relève du domaine de la compétence exclusive de la Communauté.

« Mes chers collègues, notre objectif doit être d'utiliser au mieux le grand forum paneuropéen que constitue le Conseil de l'Europe, en évitant de soulever de nouvelles difficultés. Il est certain - et on l'a vu récemment encore - qu'il existe un lien évident entre l'État de droit, les libertés publiques et le développement économique. À cet égard, le Conseil de l'Europe est particulièrement bien placé pour soutenir les pays d'Europe centrale et orientale dans leurs réformes en ce sens et pour être le notaire des droits de l'homme. Nous jouons d'ailleurs un rôle au-delà même de l'Europe puisque, demain encore, nous dialoguerons avec nos partenaires de l'OCDE.

« Pour conclure, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire doivent être en mesure de faire entendre leur voix dans cette période décisive qui s'amorce pour l'avenir de l'Europe.

« À cet égard, j'estime que notre Organisation devrait produire un document de synthèse exprimant les vues du Conseil de l'Europe sur son avenir et sur la manière dont il conçoit ses relations et sa coopération avec les autres institutions, et notamment avec l'Union européenne. »

M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), est à son tour intervenu dans le débat en ces termes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues,

« Le référendum français de ratification du Traité de Maastricht a révélé l'inquiétant déclin de l'adhésion populaire à l'idée européenne. Ce même rejet de l'opinion publique s'est produit au Danemark, en Norvège, en Suisse et, d'une certaine façon, tout récemment en Suède... Il nous appartient à nous, élus, de répondre aux doutes de nos concitoyens et de rebâtir une Europe plus proche d'eux et conforme à leurs attentes.

« Je me réjouis que notre Assemblée prenne sa part dans le débat sur la réforme des institutions européennes. Je félicite notre Rapporteur, M. Jean-Pierre Masseret, pour un rapport qui manifeste son souci de remédier à ce déficit démocratique.

« Je centrerai, pour ma part, mon intervention sur les relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, et spécialement l'extension de la garantie des droits de l'homme aux actes communautaires et leur contrôle juridictionnel.

« Croyons-nous vraiment répondre au sentiment qui se répand du déficit démocratique en invitant la commission européenne à devenir une sorte de supermembre du Conseil de l'Europe ?

« Dois-je rappeler que les quinze membres de l'Union sont tous membres de notre. Organisation et que l'Union européenne n'est pas, jusqu'à plus ample informé, un État ? La commission n'est pas davantage un Gouvernement.

« Dans ces conditions, il est inadmissible de lui proposer d'établir une représentation propre auprès du Conseil de l'Europe et de lui demander de participer aux travaux de notre Comité des ministres. Avec l'accord du Rapporteur, notre commission politique avait tout à l'heure modifié cette rédaction et avait indiqué que cette invitation ne devrait nullement s'adresser à la commission, mais bien au Conseil des ministres et à sa présidence. Je regrette que, pour des questions de procédure, l'on n'ait pas accepté, à la demande de Lord Finsberg, cette modification essentielle.

« En tout cas, il est exclu que nous acceptions qu'un représentant de la commission siège au Conseil des ministres car qu'arriverait-il en effet si ce représentant, dépourvu de toute légitimité démocratique, prenait une position en contradiction avec celles des États de l'Union participant au Conseil de l'Europe ? Les conflits de compétences seraient inévitables et ne pourraient qu'alimenter le sentiment général d'institutions au fonctionnement incompréhensible et étranger aux préoccupations de tous les citoyens européens.

« Une autre proposition me semble à la fois irréaliste et inopportune : celle de soumettre l'Union européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme et à son mécanisme de contrôle.

« Je rappelle tout d'abord que les quinze membres de l'Union ont bien entendu adhéré à cette Convention ainsi qu'à tous ses protocoles et, notamment, celui qui ouvre le recours individuel contre tous les actes des autorités nationales.

« L'adhésion de l'Union, qui ne porterait donc que sur les actes de l'Union proprement dite, me semble irréaliste et inopportune. Elle aboutirait en effet à soumettre tous les actes communautaires à un double contrôle :

« - celui de la Cour de justice des Communautés européennes à Luxembourg qui, je le rappelle, fait largement référence, dans sa jurisprudence, aux principes fondamentaux des États membres comme aux garanties de la Convention européenne des Droits de l'Homme, d'ailleurs visée dans les préambules des traités européens ;

« - puis, ce premier recours épuisé, un acte communautaire devrait être déféré ensuite à la Cour européenne des Droits de l'Homme de Strasbourg.

« Et là, mes chers collègues, on touche à l'absurde, puisque cet échafaudage conduit à instituer la Cour de Strasbourg en juridiction d'appel de la Cour de Luxembourg qui n'est sûrement pas prête à reconnaître une telle subordination.

« Enfin, il y aurait quelque extravagance à soumettre les actes intrinsèquement communautaires à l'appréciation d'une Cour européenne des Droits de l'Homme dont la majorité des juges viennent d'États qui ne sont pas membres de l'Union européenne et ignorent par conséquent tout droit communautaire.

« Je n'insisterai pas sur les risques de développement d'un système absurde et d'une sorte de gouvernement supranational des juges, donc doublement privé de légitimité démocratique. Il faut bien mesurer les conséquences auxquelles nous mènera un pareil mécanisme. En effet, qui veut en Europe d'un droit civil, d'un droit pénal uniformes et définis non plus dans nos parlements mais dans le secret des délibérations de juges sans responsabilité politique ?

« Voici, mes chers collègues, pourquoi je n'apporterai pas mon suffrage au projet de recommandation et de résolution, tout en approuvant l'objectif de coopération entre les différentes institutions européennes et, en particulier, l'ardente obligation de supprimer les doubles emplois. »

M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR), a, quant à lui, formulé les observations suivantes :

« Monsieur le Président, chers collègues,

« Notre débat d'aujourd'hui sur la Conférence intergouvernementale de 1996 se situe à un moment particulièrement important pour l'avenir de l'Europe.

« Force nous est de constater que le contexte dans lequel il s engage n'est pas des plus favorables. Les événements des derniers mois ont révélé de profondes divergences entre les pays membres de l'Union européenne, et l'incertitude demeure sur la possibilité réelle de mettre en oeuvre dans les délais prévus les dispositions du Traité de Maastricht, en particulier la création de la monnaie unique.

«La réunion des chefs d'État et de gouvernement des Quinze, qui s'est tenue aux Baléares, a au moins fixé le début de la Conférence intergouvernementale au printemps 1996.

« Quels en seront les résultats ? Nul ne peut le prévoir tant les points de vue sont différents au sein même du groupe de réflexion qui vient de publier son rapport d'étape.

« Mon propos n'est pas d'entrer dans un processus de négociation qui, de toute façon, nous échappe mais de rappeler un certain nombre de priorités qui sont celles du Conseil de l'Europe et que la préparation de la CIG ne doit pas nous faire perdre de vue.

« Quant à la conférence intergouvernementale elle-même, l'excellent rapport de notre collègue Masseret définit bien les voies qui s'ouvrent pour le Conseil de l'Europe dans une coopération renforcée avec l'Union européenne. C'est l'idée maîtresse du rapport et elle conduit à faire des propositions concrètes qui concernent pratiquement tous les niveaux de l'Organisation.

« Je vois personnellement dans ces conclusions un utile prolongement à la réflexion que j'avais déjà engagée il y a quelques mois dans un rapport au Premier ministre français.

« Les propositions que nous serons amenés à formuler doivent à mon sens reposer sur quelques principes.

« Le premier est que le Conseil de l'Europe est désormais un grand forum de dialogue politique à l'échelle du continent. C'est en outre le seul forum véritablement paneuropéen, puisque les États-Unis et le Canada confèrent à l'OSCE un caractère transatlantique.

« En second lieu, nous devons avoir conscience que le Conseil de l'Europe ne pourra remplir les missions de plus en plus nombreuses qui lui sont confiées que s'il dispose des moyens financiers indispensables. Il est donc urgent de sortir de la croissance zéro et de donner au Fonds social les moyens d'action indispensables.

« En troisième lieu, j'estime que la qualité des expertises du Conseil de l'Europe, unanimement reconnue, doit l'inciter à renforcer sa coopération interinstitutionnelle.

« Un nouveau partenariat doit s'instaurer entre le Conseil de l'Europe et les autres institutions (Union européenne, Berd, FMI, etc.), en particulier pour la mise en oeuvre des programmes d'assistance à l'Est.

« Le projet de recommandation qui nous est soumis se réfère à une modification de l'article 230 du Traité de Rome qui pourrait en effet être le cadre de cette redéfinition des rapports entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.

« À tout le moins, il est temps que l'Union européenne reconnaisse le rôle privilégié joué par le Conseil de l'Europe dans les relations avec les pays de l'Europe centrale et orientale.

« L'Union européenne, quelle que soit sa capacité financière, ne peut tout faire à elle seule et il me paraît important que des discussions s'engagent afin d'éviter les gaspillages et les doubles emplois.

« Quant au projet de résolution, il reprend une idée chère à notre collègue Jean Seitlinger, celle de faire de notre Assemblée la Seconde Chambre de l'Union européenne.

« C'est une idée séduisante que j'avais moi-même reprise dans mon rapport. Pour aller plus avant dans notre réflexion sur cette proposition, au moins devrions-nous pouvoir disposer d'une étude sérieuse sur la mise en oeuvre pratique de ce projet.

« Cette proposition a-t-elle quelque chance d'aboutir ? C'est en tout cas un élément pour la discussion que notre Assemblée est en mesure de présenter. Le débat sur la CIG, aussi utile et intéressant soit-il, ne doit pas occulter les grandes priorités du Conseil de l'Europe en tant qu'organisation paneuropéenne ayant ses objectifs propres.

« C'est ainsi que je renouvelle mon appel en vue de la tenue d'un second sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe, qui pourrait utilement se tenir à l'issue de la Conférence intergouvernementale de 1996, pour engager une étape nouvelle de l'Organisation à la lumière de la nouvelle donne institutionnelle.

« Qu'il s'agisse de l'Union européenne ou de l'OSCE, ce sont les sommets des chefs d'État qui donnent à intervalles réguliers l'impulsion politique nécessaire.

« Le Sommet de Vienne sera-t-il sans lendemain ? Il me paraît anormal que le Conseil de l'Europe ne bénéficie pas de ces réunions tous les deux ans et en alternance avec les sommets de l'OSCE, comme cela avait d'ailleurs été prévu.

« Sans méconnaître l'importance de nos relations avec l'Union européenne, nous ne devons pas perdre de vue notre vocation propre et la nécessité de renforcer nos structures pour les rendre plus performantes.

« Il faudra que la question de la réforme du Statut de 1949 soit abordée, afin de renforcer le rôle du Secrétaire Général, qui devrait être responsable devant l'Assemblée parlementaire, cette dernière retrouvant un rôle politique accru.

« Le réaménagement institutionnel de l'Union européenne, auquel devrait aboutir la CIG, devrait être pour le Conseil de l'Europe l'occasion d'une réflexion et d'un nouveau départ que consacrerait d'ailleurs avec éclat l'adhésion de la Fédération de Russie.

« L'adhésion de la Russie donnera à notre Organisation une dimension politique nouvelle et ne manquera pas d'influer sur le dialogue entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.

« Le débat sera long et difficile et il conviendra d'assurer le suivi des propositions.

« À cet effet, j'ai présenté avec notre collègue M. de Puig un amendement au projet de résolution.

« Je pense que cette initiative, si elle était retenue par l'Assemblée, nous permettrait de disposer d'une cellule de réflexion pour la période à venir, au cours de laquelle seront prises des décisions qui détermineront la future architecture institutionnelle de l'Europe. »

Au terme de ce débat, l'Assemblée, appelée à statuer sur le Rapport 7373 et les Avis 7378 et 7404, a adopté la Recommandation 1279, modifiée par deux amendements de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), ainsi que la Résolution 1067.

K. - L'adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne des Droits de l'Homme. ( Mercredi 27 septembre 1996. )

Le Rapporteur insiste sur la nécessité de rendre plus efficace la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Europe et partage la préoccupation du Parlement Européen au sujet des lacunes qui existent dans le système de protection des droits, lacunes aggravés avec l'élargissement des compétences de la Communauté.

À présent, la Convention européenne des Droits de l'Homme ne s'applique pas aux organes de la Communauté européenne, ni à leurs actes juridiques. L'adhésion renforcerait, selon le Rapporteur, la cohésion du système en évitant tout risque d'interprétation divergente des dispositions de la CEDH par la Cour européenne des Droits de l'Homme et par la Cour de Justice des Communautés européennes.

En 1981 et 1985, l'Assemblée avait exprimé son souhait de voir la Communauté adhérer à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Ce dernier rapport encourage le Parlement européen à continuer de plaider en faveur d'une telle initiative. Il invite les parlements des États membres de l'Union européenne à promouvoir une telle adhésion et insiste tout spécialement pour que ces parlements incitent leurs Gouvernements à soutenir, au sein du Conseil des ministres, toute proposition formelle d'adhésion présentée par la commission européenne.

Après la présentation du Rapport, l'Assemblée a entendu une allocution du Président de la Cour européenne des Droits de l'Homme, M. Rovl RYSSDAL, qui s'est dit sensible à l'honneur qui lui était fait de s'adresser à l'Assemblée : le rapport de Mme Wohlwend a détaillé de manière excellente les raisons qui militent en faveur de l'adhésion de l'Union à la Convention. Tout au plus peut-on ajouter que cette adhésion serait le moyen le plus évident de combler un fossé de plus en plus béant dans l'Union. Cette « omission », qui pouvait n'être que peu surprenante par le passé, devient incompréhensible maintenant que les pouvoirs de l'Union s'étendent à des domaines qui touchent aux droits fondamentaux, même si, jusqu'à présent, on n'a eu à déplorer aucune violation flagrante de ces droits.

Dès 1969, la Cour de Luxembourg a reconnu que les droits fondamentaux de la personne humaine faisaient partie des principes généraux du droit qu'elle avait la charge d'appliquer et, en 1977, par une déclaration conjointe, les institutions européennes ont affirmé qu'elles respectaient les droits fondamentaux tels qu'ils ont été explicités dans les constitutions nationales et dans la Convention européenne des Droits de l'Homme. Le préambule de l'Acte unique et le Traité de l'Union font en outre explicitement référence à la Convention.

Il n'en reste pas moins que les citoyens européens ne peuvent pas contester les décisions de la Communauté devant la Cour de Strasbourg et que cette absence de voie de recours est une faiblesse reconnue de l'édifice juridique communautaire. Pour y remédier, il est possible d'envisager trois solutions : la Cour de Luxembourg continue dans sa pratique actuelle qui consiste à reconnaître de facto les normes de la Convention, ou bien l'Union élabore son propre catalogue de droits fondamentaux, ou bien la Communauté adhère à la Convention.

Il est possible de s'en tenir au statu quo puisque la Cour fait déjà référence dans ses arrêts aux droits inscrits dans la Convention. Mais, quelle que soit sa bonne volonté, rien ne l'y oblige et il y a une différence considérable entre l'application de facto de normes et une application de jure. Il est même à craindre que la jurisprudence des deux cours ne Finisse par diverger. La Cour de Strasbourg peut viser les droits de l'Homme tandis que la Cour de Luxembourg ne fait référence qu'au fonctionnement du marché commun. Il existe déjà des exemples d'une telle divergence dans les motivations puisque, dans différentes affaires qui mettaient en cause l'information sur les possibilités d'avortement au Royaume-Uni, la Cour de Strasbourg a tranché au nom de la liberté d'expression tandis que celle de Luxembourg s'est appuyée sur la liberté de fourniture des services prévue par l'article 59 du Traité de Rome.

Comme le droit communautaire ne cesse de s'étendre à des domaines où de pareilles difficultés peuvent apparaître, l'approche pragmatique de la Cour de Luxembourg ne peut plus apporter une protection efficace aux droits individuels face aux décisions de la Communauté.

Serait-il judicieux que l'Union élabore son propre catalogue de droits fondamentaux ? Cette solution, au demeurant difficile à mettre en oeuvre, ne pourrait qu'affaiblir la protection des droits et dresser des barrières invisibles entre les États qui seraient soumis à des jurisprudences et à des normes divergentes.

La meilleure solution pour éviter une Europe juridique à deux vitesses est l'adhésion de la Communauté en tant que telle à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Cette adhésion donnerait une base constitutionnelle à la protection des droits au sein de l'Union et contraindrait les autorités communautaires à tenir compte des droits de l'homme dans leurs décisions, comme le font déjà les États membres qui ont signé la Convention. Les citoyens pourraient s'adresser à Strasbourg pour défendre leurs droits vis-à-vis de la Communauté et celle-ci prouverait son engagement en faveur de la protection des droits de l'homme.

Les objections d'ordre technique qui sont formulées à rencontre de cette adhésion ne sont pas insurmontables depuis l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 et la création d'une Cour à temps plein. Quant aux réserves de fond qui ont été formulées, elles découlent d'une mauvaise compréhension du système, et notamment de son caractère subsidiaire. Le mécanisme de la Cour ne serait pas un mécanisme d'appel des décisions prises par les institutions communautaires qui auraient les mêmes marges de manoeuvre que les autorités nationales.

En cette fin de siècle il faut donner une ampleur nouvelle à la protection des droits, et l'adhésion de la Communauté, qui paraît tout à fait possible, serait d'autant plus utile que la Convention a fait la preuve, par ses protocoles, de sa capacité d'adaptation. L'orateur invite l'Assemblée à reprendre cette idée et à la défendre dans le cadre de la préparation de la Conférence intergouvernementale de 1996. La résolution qu'elle va prendre aujourd'hui sera d'une grande importance. L'orateur souligne en conclusion le travail que l'Assemblée a accompli pour assurer une protection plus efficace des droits sur le continent européen.

Au terme du débat (commun avec celui portant sur la Conférence intergouvernementale), l'Assemblée, appelée à statuer sur le Rapport 7383, a adopté la Résolution 1068.

L. - La demande d'adhésion de l'ex-République yougoslave de Macédoine. ( Mercredi 27 septembre 1995. )

Le Rapporteur principal décrit la situation de cet État candidat à l'adhésion en ces termes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, nous avons eu un très long débat sur la situation dans l'ex-Yougoslavie. Nous sommes maintenant saisis de la demande d'adhésion de la Macédoine, pays de l'ancienne Yougoslavie qui, tout comme la Slovénie, a réussi à accéder à la souveraineté sans violence ni effusion de sang. Dès le début du changement politique en Yougoslavie, les Macédoniens ont affiché une aspiration résolue pour la démocratie et le pluralisme. Face au conflit en Bosnie, la paix macédonienne est souvent citée en exemple.

« La Macédoine compte environ deux millions d'habitants dont la majorité - 66 % - sont des Macédoniens. Il y a environ 23 % d'Albanais, 4 % de Turcs, plus de 2 % de Rom et 0,4 % de Valaques, selon le dernier recensement, celui de 1994.

« Le peuple appartient en majorité à la religion chrétienne orthodoxe. Les Albanais et les Turcs sont en majorité musulmans, tandis qu'il existe une très faible minorité chrétienne catholique.

« La Macédoine est entourée par la Serbie au nord, la Bulgarie à l'est, la Grèce au sud, et l'Albanie à l'ouest. On y parle quatre langues : le macédonien, l'albanais, le turc, le serbe. Les quelques milliers de Valaques parlent le valaque.

« Malgré cette bigarrure ethnique et religieuse, malgré l'embargo sur la Serbie, autrefois son principal partenaire économique, malgré le blocus infligé par la Grèce depuis février 1994, la Macédoine a réussi à ne pas être impliquée dans des luttes internes ou externes.

« Bien au contraire, l'évolution récente de la géopolitique balkanique prouve que la Macédoine a réussi à pactiser avec l'Albanie et la Bulgarie et à faire ouvrir un accès à la mer à travers ces deux voisins de l'Est et de l'Ouest tant que l'accès traditionnel à l'Adriatique via Salonique était bloqué.

« Comme les Macédoniens, nous sommes soulagés par la conclusion de l'accord intérimaire avec la Grèce du 13 septembre dernier prévoyant l'ouverture de la frontière sud du pays et, de ce fait, instauration de relations politiques et économiques entre les deux pays.

« La période passée était parsemée d'obstacles, mais la Macédoine a poursuivi sans fléchir dans sa voie vers la démocratie. La dynamique du changement a dominé les facteurs d'instabilité externes et internes. Bien sûr - et il serait miraculeux qu'il n'en soit pas ainsi - restent encore à régler des questions d'ordre juridique. Sir Peter Fry entrera plus dans les détails, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme.

« Dès la dissolution en 1991 de la République socialiste fédéra- tive de Yougoslavie, la Macédoine a déclaré son indépendance - trois mois après la Slovénie et la Croatie. Un référendum et une nouvelle constitution, précédés d'élections législatives, marquèrent l'évolution rapide vers la démocratie.

« Le statut d'invité spécial de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a été octroyé au Parlement de Macédoine le 13 mai 1993. Nous remercions la délégation des invités spéciaux pour sa collaboration au sein de notre Assemblée et pour sa participation aux programmes intergouvernementaux.

« Des élections présidentielles et législatives ont eu lieu en octobre 1994. Au sein du Parlement, on compte dix-huit députés albanais, deux députés serbes, un député turc, un député rom sur un total de 120 députés. Au Gouvernement, qui compte vingt membres, se trouvent quatre ministres albanais.

« Le Conseil des relations interethniques institué par la Constitution comprend deux personnes par ethnie et il est présidé par le président du Parlement.

« Le Parlement a institué une commission des relations interethniques où tous les partis parlementaires sont représentés. Dans cette commission sont traitées les questions des minorités nationales.

« Des commissions des relations ethniques au sein des conseils communaux, en cours d'installation avec le conseil précité, devraient contribuer à favoriser le dialogue et à régler à l'amiable les différends à tous les niveaux, cause d'une méfiance mutuelle.

« La Constitution garantit la liberté d'information. Il existe trois quotidiens, deux en macédonien, un en albanais, et des émissions de radio et de télévision en albanais, en turc, en serbe, en rom et en valaque.

« Depuis le début de 1994, deux éminents juristes ont été chargés par le Bureau de l'Assemblée de nous fournir, par leur rapport, une excellente base de référence sur les réformes législatives, les droits de l'homme et l'État de droit pour la confection du rapport de nos trois rapporteurs.

« Nous sommes persuadés que la Macédoine va tenir les engagements pris pour la signature et la ratification des conventions et chartes énoncées sous le point 6.

« Nous sommes convaincus qu'elle respectera les obligations et les engagements contractés, soumis au contrôle de la mise en oeuvre de la Directive n° 508.

« Nous sommes d'avis que, par l'adhésion de la Macédoine au Conseil de l'Europe, nous pourrons améliorer les perspectives de stabilité dans cette région troublée de l'Europe.

« La Macédoine aura trois sièges au sein de l'Assemblée : leurs détenteurs ainsi que leurs suppléants seront les bienvenus parmi nous, dans l'espoir d'une collaboration fructueuse et collégiale. »

Délibérant de la demande d'Avis 7371, du Rapport 7402 et du Rapport pour Avis 7403, l'Assemblée a adopté, à l'adresse du Comité des ministres, un Avis 191, favorable à l'adhésion plénière de l'ex-République yougoslave de Macédoine, dont le Parlement sera représenté à l'Assemblée par trois délégués titulaires et trois suppléants.

M. - Le débat élargi sur les activités de l'OCDE. Rapport de Mme Josette DURRIEU, sénateur (soc.). Interventions de MM. Jean VALLEIX, député (RPR), et Jean-Pierre MASSERET, sénateur (soc.). Exposé de M. Jean-Claude PAYE, secrétaire général de l'OCDE. ( Jeudi 28 septembre 1995. )

Comme chaque année, lors de la réunion d'automne, l'Assemblée a tenu un débat sur l'activité de l'Organisation de coopération et de développement économique, élargi à des délégations des Parlements du Canada, du Mexique, de l'Australie et du Japon, les délégués australiens faisant même adopter quatre amendements à la proposition de Résolution.

Le débat s'ouvre sur les observations de Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.), Rapporteur principal qui complète son Rapport écrit (7348) en ces termes :

« Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général de OCDE, chers collègues parlementaires, le rapport dont nous avons à débattre aujourd'hui a connu une longue et fructueuse élaboration au sein de la commission des questions économiques et du développement et, hier, au sein de cette même commission dans sa forme élargi, c'est-à-dire avec la participation de plusieurs délégations parlementaires des pays non membres de l'OCDE.

« Je tiens à les remercier très chaleureusement de leur contribution importante au rapport et au projet de résolution, ainsi que les rapporteurs des autres commissions de l'Assemblée qui ont fourni des contributions, écrites ou orales, à ce débat. Merci à chacun de vous, merci à tous !

« Puis-je également, Monsieur le Président, exprimer ma gratitude particulière à Mme Guirado, sénateur espagnol, à laquelle j'ai succédé en tant que rapporteuse et qui a élaboré les premières versions de ce rapport au cours du printemps dernier. Elle s'est investie dans cette tâche et, sans elle, je n'aurais certainement pas pu mener à son terme mon propre travail.

« Enfin, je tiens à remercier M. Jean-Claude PAYE, secrétaire général de l'OCDE, pour son hospitalité et la générosité dont il a fait montre, en partageant avec nous la très grande expérience qu'il a acquise au cours de ces onze dernières années passées en tant que Secrétaire général de l'OCDE. La commission se joint à moi, Monsieur le Président, pour lui souhaiter tout le succès possible dans le nouveau registre de sa vie professionnelle qui s'ouvre.

« Je dispose de peu de temps. Par conséquent, je me bornerai à indiquer les quelques messages principaux contenus dans le projet de résolution, ainsi que dans la note explicative dont je porte la responsabilité principale.

« Cette dernière traite de quatre questions essentielles : premièrement, la situation économique mondiale eu égard en particulier à la zone de l'OCDE ; deuxièmement, le chômage ; troisièmement, le nouvel ordre du jour du commerce international suite à l'Uruguay Round et à la création de l'Organisation mondiale du commerce ; quatrièmement, l'OCDE dans ce contexte global, notamment du point de vue de l'élargissement futur de l'Organisation et de ses relations avec des pays non membres.

« Il est vrai que l'économie de la plupart des pays membres de l'OCDE est sortie ou est en train de sortir de ce qui aura été une récession particulièrement longue et sévère. Dans certains de ces pays, la reprise a été plus rapide et soutenue. Pour eux, l'OCDE prévoit une croissance régulière pour les années à venir sans retour d'une inflation notable.

« Néanmoins - cela est un message important dans notre rapport - notre réussite dépendra des politiques économiques que nous sommes prêts à mener dès aujourd'hui dans nos pays respectifs. Par exemple, un taux de chômage de plus de 10 %, voire de plus de 12 %, est non pas un « mal mystérieux », mais le résultat d'une politique nationale spécifique.

« Je retiens les recommandations de l'OCDE, qui peuvent se résumer en trois formules : d'abord, la stabilité des prix, c'est-à-dire une lutte acharnée contre toute réapparition de l'inflation ; ensuite, la consolidation fiscale, c'est-à-dire l'assainissement de nos finances ; enfin, les réformes structurelles sans lesquelles toute croissance risque de devenir temporaire.

« Si l'OCDE prévoit un taux d'inflation historiquement bas pour les années à venir, l'organisation tire la sonnette d'alarme en ce qui concerne l'état de nos finances publiques. La dette publique brute en pourcentage du produit national pourrait, selon l'organisation, passer de 68 % en 1993 à près de 75 % en 1996. Une dette à ce niveau rendra toute stimulation de l'économie par le moyen de l'expansion budgétaire extrêmement difficile.

« Le chapitre III de mon rapport traite du chômage, ce drame qui frappe chacun de nos pays.

« Nous comptons à présent trente-six millions de chômeurs dans la zone de l'OCDE et les prévisions pour la fin du siècle ne sont guère encourageantes. Or il existe de grandes différences entre les taux de chômage dans les divers pays membres de l'OCDE. Ainsi, aux Etats-Unis, il représente à peu près la moitié de celui enregistré en Europe occidentale, où la situation varie considérablement d'un pays à l'autre, avec des taux de plus de 20 % dans certains pays et de moins de 3 % dans d'autres. Nous devons examiner ces différences de plus près, afin d'essayer d'en expliquer l'origine.

« En outre, la commission économique élargie note avec inquiétude que le chômage augmente à chaque récession mais ne diminue pas pour autant de manière significative en cas de reprise de l'économie, laquelle se ferait sans création d'emplois. Il est donc grand temps de chercher de nouveaux remèdes. À cet égard, plusieurs propositions sont faites dans le rapport.

« Ce faisant, il faut toutefois se garder de sacrifier l'essentiel de nos systèmes de protection sociale que nous avons bâtis avec tant d efforts pendant tant de décennies. Réformer est une chose, détruire en est une autre.

« L'OCDE, dans son effort pour expliquer comment lutter avec succès contre le chômage - je me réfère tout particulièrement à l'étude sur l'emploi que l'Organisation a publiée en 1994 - a inventé Plusieurs expressions clés : "piège du chômage", "piège de la pauvreté", "goulets d'étranglement fiscal". Elles sont expliquées aux paragraphes 27, 28 et 29 de mon rapport. Je me contente donc de tirer comme conclusion que l'OCDE est persuadée que nos systèmes de protection sociale ont besoin d'être repensés - soit ! - non pas dans la direction d'une société dénuée de solidarité ou de cohésion sociale mais vers une société où l'assistance irait à ceux qui en ont le plus besoin, une société où ceux qui peuvent et veulent travailler sont encouragés à le faire.

« Le chapitre IV de mon rapport est consacré au nouvel ordre du jour du commerce mondial créé suite à la conclusion de l'Uruguay Round et à l'établissement de l'Organisation mondiale du commerce.

« La commission élargie des questions économiques et du développement est convaincue que l'OCDE peut jouer un rôle extrêmement important quand il s'agit de signaler et de corriger certains déséquilibres, d'explorer et de formuler des thèmes qui seront ultérieurement négociés au sein de l'Organisation mondiale du commerce et des autres institutions de Bretton Woods. Je pense, bien sûr, à des sujets tels que la main-d'oeuvre et les normes sociales, la protection de l'environnement ou encore la concurrence et l'investissement.

« Le chapitre V est consacré au rôle de l'OCDE dans une économie mondiale en mutation. Suite à l'adhésion bienvenue du Mexique à l'OCDE, l'année dernière -je me félicite, bien entendu, de voir également parmi nous une délégation importante de ce pays - l'organisation se prépare à recevoir dans les prochains mois la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la République slovaque et la Corée. Nous en sommes heureux, tout comme nous notons avec satisfaction les contacts toujours plus rapprochés entre l'OCDE et de nombreux autres pays non membres dans le monde. Nous espérons que l'organisation accueillera à terme toutes les démocraties économiquement avancées, ou qu'elle établira ou conservera au moins des contacts étroits avec celles-ci.

« Mon exposé ne serait pas complet s'il ne mentionnait pas les travaux menés par l'OCDE en faveur non seulement des pays en transition en Europe centrale et orientale mais aussi avec les nouveaux Etats indépendants, surtout au travers de son centre pour la coopération avec les économies en transition. D'ailleurs, un nombre toujours croissant de ces pays est devenu ou va devenir membre du Conseil de l'Europe et de cette Assemblée, ce qui facilitera encore, j'en suis persuadée, les relations entre l'OCDE et les pays en question.

« Il faut bien entendu citer également le rôle que joue l'OCDE en tant que forum de coordination pour l'aide aux pays en voie de développement. La fin de la guerre froide et la mondialisation du commerce, des finances et des communications offrent une occasion sans précédent d'intégrer les pays en développement dans l'économie mondiale. L'OCDE se montre par conséquent optimiste en ce qui concerne l'évolution économique de la plupart de ces pays pour les années à venir et nous encourage tous à ne pas réduire notre assistance à ces pays, au moment même où nous observons de réels progrès chez eux.

« Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, le monde change plus vite qu'à toute autre époque de l'histoire. De nouvelles puissances économiques apparaissent, qui entrent en concurrence avec les anciennes, et ces dernières doivent faire attention si elles ne veulent pas être dépassées. Des économies autrefois étatiques adoptent les principes du marché et entrent dans l'économie mondiale. Des groupements économiques régionaux se forment ou se développent au moment même où s'achève l' Uruguay Round , négociation commerciale mondiale à la fois ambitieuse et complexe.

« L'OCDE doit faire face à tous ces faits nouveaux pour le compte de ses pays membres mais aussi pour le reste du monde. Nous verrons sans doute la tâche classique de l'organisation, c'est-à-dire la coopération entre ses pays membres, se développer, s'ouvrir et jeter d'autres ponts vers le reste du monde. Il est important, ce faisant, qu'elle insiste autant que par le passé, et même plus que jamais, sur les valeurs et les principes qui sont les nôtres, à savoir la démocratie, le respect de l'Etat de droit et des droits de la personne, la volonté de voir le progrès social accompagner toujours le développement économique. »

M. Jean-Claude PAYE, secrétaire général de l'OCDE, s'est à son tour adressé à l'Assemblée parlementaire en ces termes :

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, je voudrais avant tout remercier le Président pour ses aimables paroles d'accueil et féliciter Mme le Rapporteur pour la qualité du rapport élaboré sous sa direction.

« Les pays de l'OCDE sont tous, à l'exception notable du Japon, engagés dans une phase de croissance économique. Commencée selon les pays depuis deux, trois, voire quatre ans, cette expansion semble devoir se poursuivre sans pression inflationniste significative. Pourtant, l'atmosphère n'est nulle part à l'euphorie et dans les pays de l'OCDE on envie les taux de croissance élevés que connaissent, notamment en Asie, beaucoup d'économies naguère sous-développées. C'est sur cette conjonction assez paradoxale d'une situation économique au total plutôt bonne et d'une ambiance plutôt morose que je voudrais aujourd'hui vous présenter quelques remarques, avant de brosser à grands traits un bref tableau des activités de l'OCDE.

« La situation économique de la plupart de nos pays est assez satisfaisante, beaucoup d'indicateurs le prouvent. Mais le Japon n'est pas encore vraiment sorti d'un marasme auquel les excès bancaires et financiers de la deuxième moitié des années 80 ont beaucoup contribué. La bulle financière artificiellement gonflée par la spéculation immobilière et par l'imprudence des banques est longue à résorber car l'on veut à juste titre écarter le risque d'un effondrement du système bancaire. L'appréciation du yen au cours des premiers mois de l'année, reflet de l'affaiblissement du dollar pendant cette période a également affecté la confiance des agents économiques. On peut espérer que la combinaison de taux d'intérêt historiquement bas, d'un nouveau et massif programme de relance budgétaire et de réformes structurelles plus vigoureuses, saura sortir l'économie japonaise de l'ornière où elle s'est quelque peu enlisée.

« La bonne conjoncture qui prévaut dans le reste du monde y contribuera certainement. Les autres pays asiatiques connaissent, en effet, une croissance soutenue et ce, depuis plusieurs années pour la plupart d'entre eux. D'après les statistiques de la Banque mondiale, le taux de croissance du PIB a été en 1994 de 11,8 % en Chine, de 5,3 % en Inde, de 7% dans les pays de l'ASEAN. L'Amérique du Sud fait également bonne figure avec des taux de 5,7 % au Brésil, 6,5 % en Argentine et 4,4 % au Chili. Quant aux pays de l'Est européen, beaucoup sortent de la crise née du choc de la transition et ont, en 1994, renoué avec la croissance.

« Pour leur part, les pays de l'OCDE affichent des performances, certes moins brillantes, mais honorables. En dépit de la quasi-stagnation japonaise et de la crise mexicaine, le taux de croissance pour la zone OCDE s'établit à presque 3 % pour 1994 et à 2,25 % pour l'année 1995 et l'on s'attend à 2,5 % en 19 %, avec relativement peu de différences entre les pays. L'inflation semble actuellement à peu près partout maîtrisée et l'emploi est en hausse.

« Pourtant, dans aucun de nos pays, l'atmosphère n'est particulièrement euphorique. Plusieurs causes se combinent dans des proportions qui varient selon les pays, pour alimenter cette relative morosité. Certaines de ces causes sont politiques. Sur le plan international, la fin de la Guerre froide n'a pas tout réglé et l'on s'inquiète des conflits locaux et de la difficulté que la communauté des nations éprouve à les prévenir et à les régler. Sur le plan national, les systèmes politiques, les partis, les corps intermédiaires et les personnalités sont à des titres divers et de diverses manières remis en cause. C'est sans doute l'effet naturel d'une relève de générations. Mais cette relève se trouve coïncider avec d'autres changements profonds.

« Du côté de l'économie, en effet, tout bouge et vite. Ce que l'on appelle la globalisation progresse à grands pas. Elle se fonde sur la puissante interaction entre, d'une part, la concurrence que nourrissent l'ouverture des frontières et la déréglementation et, d'autre part, le progrès technique dont le rythme paraît, à tort ou à raison, s'accélérer.

« Les effets de la globalisation sont multiformes. Je me bornerai à mentionner ceux auxquels l'opinion publique paraît le plus sensible.

« Dans le domaine financier - et l'on vient d'en avoir une nouvelle illustration ces jours-ci - l'existence d'un marché global où les capitaux se meuvent en masse à la vitesse de la lumière soumet à un jugement permanent et sans complaisance la crédibilité économique des pays, le sérieux de leurs politiques, l'efficacité de leurs entreprises et la qualité de leur main-d'oeuvre. La sanction est brutale et l'opinion publique a souvent l'impression qu'elle est injuste. La vérité est sans doute que le thermomètre est excessivement sensible, mais que les sautes qu'il connaît sont rarement dépourvues de toute justification. Il n'empêche, l'opinion a le sentiment qu'un orage est à tout moment possible, d'où une impression d'insécurité.

« Autre impression largement répandue, celle d'une insécurité de l'emploi où l'on a souvent tendance à voir l'une des conséquences de la globalisation de l'économie. Dans beaucoup de pays de l'OCDE, essentiellement en Europe continentale, le chômage se situe à des niveaux nettement plus élevés que lors des précédents cycles économiques. Dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, le taux de chômage est comparable à celui des précédents cycles, mais l'éventail des rémunérations s'est élargi, y compris vers le bas, et la stabilité dans l'emploi est perçue comme en déclin.

« L'organisation de la société dans nos pays est très largement fondée sur l'emploi. Avoir un métier, avoir un emploi stable avec de bonnes perspectives de progression, est un élément fondamental du statut social, de la considération dont on jouit, de l'accès au logement, aux prêts des banques et à l'éducation. L'espoir pour chaque individu de faire son chemin dans la société et, pour chaque génération, de mieux vivre que la précédente était devenu une caractéristique des pays développés. Beaucoup ont aujourd'hui l'impression que cet espoir est remis en cause et que notre société est en régression.

« Du coup, on cherche à trouver des coupables ; de préférence à l'étranger. Si nos bons emplois stables et rémunérateurs sont menacés, la faute en incombe, dit-on, à la concurrence déloyale des pays à bas salaires, au protectionnisme spontané ou délibéré des partenaires commerciaux, à la recherche permanente par les entreprises des compressions d'effectifs, des réductions de salaires et des délocalisations d'activités.

« J'ai volontairement poussé cette description vers la caricature. Vous savez bien, vous qui êtes au contact quotidien des électeurs, que nombreux sont ceux qui voient de cette façon le monde d'aujourd'hui et qui, par une réaction naturelle, idéalisent le passé et rêvent de le retrouver. Cette tendance est d'autant plus forte que s'aggravent les inquiétudes que suscite la conviction d'une dégradation rapide de l'environnement. La nostalgie d'un âge d'or est aussi écologique.

« Il est temps de ramener tout cela à de plus justes proportions et de substituer à des émotions compréhensibles mais mauvaises conseillères une vue plus équilibrée de la réalité. Loin de moi ; bien sûr, l'idée de nier les difficultés auxquelles tant de nos concitoyens se trouvent confrontés. Je n'ai eu de cesse, vous le savez, d'appeler l'attention des gouvernements de nos pays sur la nécessité de prendre garde au risque de déchirure du tissu social et sur les graves conséquences non seulement humaines mais aussi économiques et politiques qui pourraient en résulter. Mais il faut raison garder. On ne remonte pas le torrent de l'Histoire. Voyons plutôt les chances et les possibilités qu'offre ce changement du monde et mettons-nous en mesure d'en profiter au mieux.

« Même s'il compte encore trop de poches de sous-développement et de pauvreté, le monde est, pour la première fois de son histoire, largement engagé dans le développement économique. Il faut s'en réjouir. Mieux vaut pour nos pays avoir dans ce que l'on appelait naguère l'Est et le Sud, des partenaires prospères avec qui commercer profitablement. La globalisation de l'économie, c'est l'assurance, pour le monde pris dans son ensemble, d'une productivité en hausse. Pour les consommateurs, cela signifie à la fois prix plus bas et qualité constamment améliorée des biens et des services, et hausse régulière des rémunérations, que seule autorise une productivité en croissance continue.

« Mais cette vérité d'évidence au niveau planétaire peut cacher, cache des disparités locales, voire des évolutions en sens contraire.

J'évoquais devant vous, ici même, voici deux ans, l'opinion de nombreux pessimistes selon lesquels, dans une économie mondiale intégrée, le rattrapage des pays développés par les pays en développement se traduirait chez les premiers par une stagnation, voire une régression du niveau de vie. L'étude de l'OCDE sur l'emploi a, je crois, jeté une lumière définitive sur cette question.

« Cette étude aboutit, sur la base d'une analyse approfondie, à une conclusion que le bon sens et l'expérience suggéraient de toute façon : dans un espace économique donné, la concurrence et le progrès technique conduisent à la recherche constante d'une productivité accrue. Cela se traduit par la disparition progressive des activités moins productives et donc moins rémunératrices, que remplacent des activités plus productives et donc plus rémunératrices. Ce processus de destruction-création, pour reprendre les termes de Joseph Schumpeter, se déroule maintenant à l'échelle du monde. C'est un changement de dimension et c'est en même temps un changement d'intensité.

« Quand, en effet, les travailleurs les moins qualifiés des pays développés se trouvent en concurrence avec ceux, beaucoup moins payés, des pays en développement, il est évident qu'ils ont peu de chance de triompher. Encore que, pour les entreprises, le niveau de rémunération ne soit qu'un élément parmi d'autres pour déterminer la localisation de leur activité. Les entreprises attachent souvent - et à juste titre - beaucoup plus d'importance à l'environnement dans lequel elles opèrent : cadre juridique, sécurité des transactions, qualité des transports et communications, proximité de marchés porteurs, agrément de vie, etc. Et l'arrivée de nouveaux acteurs sur la scène économique mondiale ne doit pas faire perdre de vue le fait qu'aujourd'hui encore l'essentiel de la concurrence est celle que se font entre eux les pays développés.

« Il demeure néanmoins certain que les emplois les moins qualifiés sont, en général, dans nos pays, les plus exposés. Ils l'ont toujours été, et le progrès économique et social a largement consisté dans nos pays à réduire le nombre de manoeuvres et à augmenter le nombre d'ingénieurs.

« La vraie question est de savoir si nous sommes capables de créer suffisamment vite suffisamment d'emplois, de doter les travailleurs des compétences nouvelles requises pour occuper ces emplois et de faire en sorte que la cohésion sociale ne soit pas mise en péril. C'est là le défi central auquel se trouvent confrontés nos pays. C'est très largement en fonction de ce défi que s'orientent les activités de l'OCDE, que je souhaiterais maintenant vous décrire à grands traits, avec l'espoir que vous serez sensibles à leur cohérence en même temps qu'à leur ambition.

« Les postulats sur lesquels se fondent ces activités sont simples et demeurent en vérité les mêmes qu'au jour où fut signée la convention créant l'OCDE : l'échange international est source de prospérité ; il faut donc le développer aussi vite que possible et y faire participer le plus possible d'agents économiques ; des règles du jeu et une étroite coopération intergouvernementale sont nécessaires pour que ne règne pas la loi de la jungle. À ces postulats de toujours s'en ajoute un plus récent : nous sommes dans une période de globalisation rapide de l'économie, qui réclame une grande capacité d'adaptation et soumet à de fortes tensions les structures et les individus. Les politiques à mener doivent par conséquent viser à augmenter la capacité d'adaptation et à prévenir les tensions, faute de quoi pourraient être compromis les bénéfices à attendre de la globalisation.

« En fonction de ces postulats, l'action de l'OCDE se développe selon deux grands axes complémentaires, en exploitant les qualités propres de l'organisation, notamment son caractère multidisciplinaire.

« Premier grand axe, l'interaction entre développement économique et évolution de la société. Il est banal de dire que l'on ne peut pas construire une économie durablement prospère sur une société en crise. Et c'est vrai. Ce que les pays membres attendent par priorité de l'OCDE, c'est qu'elle mette à contribution sa capacité d'analyse, de proposition et de surveillance pour les aider à saisir toutes les chances qui s'offrent à eux dans un monde qui se transforme fondamentalement.

« L'illustration la plus évidente de cette mission confiée à l'OCDE est la suite donnée à l'étude sur l'emploi. Cette étude n'était en effet qu'un préalable - certes nécessaire - au véritable objectif, qui est de définir et de mettre en oeuvre des politiques adéquates et d'en surveiller l'application. Cela implique d'une part la réalisation d'études complémentaires dans les domaines où nos connaissances doivent encore être approfondies, d'autre part l'identification, pays par pays, des actions nécessaires.

« Sur le premier point, nous avons en cours des études sur les relations entre technologie, productivité et emploi, sur l'interaction entre systèmes fiscaux et allocations sociales, sur l'expérience acquise en matière de politiques actives de l'emploi et sur l'interaction entre politiques macroéconomiques et structurelles. D'autres études suivront, notamment sur l'entreprenariat.

« Sur le deuxième point, les recommandations pays par pays, nous mettons en pratique, à compter de ce mois-ci, la décision récemment prise d'introduire dans les examens annuels de la situation économique de nos pays membres une partie relative à l'emploi.

« Il s'agit en fin de compte d'analyser sous l'angle de leurs effets en matière d'emploi pratiquement toutes les politiques des pays membres. À mesure en effet que les économies deviennent plus complexes et plus interdépendantes, leur succès dépend davantage de la capacité d'adaptation et d'innovation des agents économiques et de la capacité des autorités publiques à mener des politiques macroéconomiques stables et des politiques structurelles qui favorisent l'efficience économique. Alors, et alors seulement, se trouvent réunies les conditions favorables à la création durable d'emplois, car c'est alors, et alors seulement, que la confiance des agents économiques les incite à aller de l'avant en investissant, en consommant, en innovant, en prenant des risques.

« L'étude sur l'emploi indiquait les principales lignes de l'action à suivre, tant dans le domaine macro-économique que dans le domaine structurel. Le travail mené depuis lors permet d'approfondir et de préciser l'analyse, afin d'identifier pour chaque pays membre les actions qu'appellent sa situation et ses caractéristiques particulières. C'est un processus de longue haleine qui est engagé, dans lequel sont mises à contribution les différentes fonctions de l'OCDE : collecte de données, analyse des problèmes, dialogue sur les politiques à mener et surveillance collective de leur mise en oeuvre.

« L'analyse par l'OCDE des interactions entre économie et société est appelée à déborder le domaine de l'emploi. Le vieillissement des populations et la nécessaire réforme de beaucoup de systèmes de protection sociale posent en effet des problèmes de grande ampleur et font peser de lourdes menaces sur les finances publiques. Mais cet aspect financier n'est qu'un révélateur. Plus profondément, se posent des questions de solidarité au sein de la société et entre générations, des questions d'organisation de la société. En demandant à l'OCDE de se pencher sur ces domaines, le conseil ministériel de mai dernier a bien montré l'ambition qu'il nourrit pour l'organisation.

« Bien entendu, les recommandations qui émanent de tous les travaux de l'organisation - qu'ils portent sur les politiques macroéconomiques ou sur les politiques structurelles - appellent des mesures qui relèvent de la compétence nationale. Augmenter un taux d'escompte, réduire un déficit budgétaire, réformer un système éducatif, modifier un régime de protection sociale, tout cela demande une action au niveau national. Mais, dans une économie mondiale désormais marquée par l'interdépendance, il est de plus en plus nécessaire de s'assurer de la compatibilité au niveau international des actions menées par les différents pays, et ce dans un nombre croissant de domaines. En d'autres termes, il faut étendre le champ de la coopération intergouvernementale et les règles du jeu internationales. C'est depuis l'origine la vocation de l'OCDE. C'est une mission que l'interdépendance des économies rend chaque jour plus utile.

« Cette semaine, vient de démarrer au sein de l'OCDE la négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement. L'objectif en est ambitieux : il s'agit de libéraliser et de protéger mieux encore les investissements directs et de mettre en place des procédures de règlement des différends. Il n'est pas de meilleure illustration du besoin ressenti par tous de faciliter l'investissement pour tirer le meilleur parti de la globalisation. Négocié entre pays de l'OCDE, cet accord sera ouvert à des pays non membres et l'on a bon espoir qu'il suscitera tellement d'intérêt qu'il deviendra rapidement un instrument quasi universel.

« Cela me conduit, et j'en terminerai par là, à décrire le second grand axe d'évolution de l'OCDE. Le premier était l'interaction entre l'économie et la société, le second est l'ouverture sur le reste du monde.

« Ici aussi, nous retrouvons le phénomène de globalisation. Pratiquement tous les pays du monde ont maintenant fait le choix de l'économie de marché. Faute de tirer les conséquences de cette évolution historique, l'OCDE eût assez rapidement perdu de son utilité. Dès lors en effet que s'estompait ce qui faisait le caractère quelque peu exclusif de ce club, à savoir le niveau de développement et le type d'économie de ses membres, ainsi que leur conception de la démocratie, l'OCDE se serait rapidement trouvée, si elle n'avait pas évolué, inconfortablement assise entre un multilatéralisme, désormais universel, et un régionalisme fondé sur des proximités géographiques.

« L'OCDE, vous le savez, a évolué et vite : dialogue amorcé dès 1988 avec les économies dynamiques d'Asie et ouvert, voici bientôt trois ans, avec quatre pays d'Amérique latine ; coopération engagée dès 1989 avec les pays de l'ancien bloc communiste en transition vers l'économie de marché ; contacts établis et normalement appelés à s'intensifier avec la Chine et l'Inde ; premières approches vers l'Indonésie ; approfondissement et diversification de l'analyse par l'OCDE des problèmes du développement et des interactions entre pays en développement et pays de l'OCDE.

« Tout cela montre que l'OCDE a su comprendre la nécessité de l'ouverture et prendre les dispositions nécessaires à cette fin. Comment va se poursuivre cette évolution ? Quels en seront le rythme et les modalités ? À multiplier ses rapports avec les pays non membres, l'organisation ne risque-t-elle pas de perdre de son homogénéité, donc de son efficience? Quelles seraient ses chances de survie s'il apparaissait qu'en s'élargissant à l'excès, elle devenait un lieu d'affrontement plutôt que de dialogue ? Toutes ces questions sont très présentes à l'esprit de tous les responsables de nos pays. L'avenir de l'OCDE n'est qu'un élément d'une problématique plus vaste, celle de l'architecture du système des organisations internationales. La réflexion est en cours un peu partout à ce sujet, notamment au sein du G7.

« S'agissant de l'OCDE, ma conviction est que cette organisation peut être encore plus utile à l'avenir que dans le passé. L'intégration rapide et multiforme des économies demande de l'analyse, du dialogue, des politiques concertées et des règles du jeu ; et cela de manière interdisciplinaire. L'OCDE est parfaitement équipée pour cela. Qu'elle n'ait pas de pouvoirs supranationaux et qu'elle soit avant tout un lieu de concertation constitue plutôt un avantage quand il s'agit de faire face à des évolutions rapides et à des problèmes complexes, quand il s'agit de prévenir par l'analyse et le dialogue, l'apparition de malentendus, de frictions et de tensions.

« Pour continuer de faire oeuvre utile dans un environnement international profondément changé, l'organisation doit garder ce que l'on pourrait appeler sa culture de confiance mutuelle, faite de communauté d'intérêts, de similitude de valeurs, et de volontés de coopération. Cela implique, à mon sens, qu'elle se montre exigeante en même temps que désireuse de dialogue.

« Exigeante lorsqu'il s'agit d'inviter un pays à devenir membre de l'organisation. Il faut être sûr qu'il est désireux et capable d'être des nôtres. C'est ce qui a été fait pour le Mexique, devenu membre en 1994. C'est ce qui est en cours d'examen pour la Corée et les quatre pays d'Europe centrale avec lesquels ont été conclus voici plusieurs années des accords de partenariat pour la transition. Devenir membre de l'OCDE ne doit pas être vu comme l'acquisition d'un brevet de respectabilité mais comme un engagement à coopérer sérieusement et de bonne foi. Les discussions préalables à l'adhésion sont chose sérieuse et vues comme telles par les pays candidats. Il est encore trop tôt pour faire un pronostic assuré sur l'aboutissement des discussions en cours, mais il y a des raisons de penser que, pour plusieurs candidats, on peut raisonner en termes de mois plutôt que d'années.

« Exigeante pour l'adhésion, l'OCDE doit l'être aussi pour décider quels pays elle invite à prendre part comme observateurs, voire comme membres, aux travaux de tel ou tel comité. Les critères mis en oeuvre jusqu'ici sont ceux que dicte le bon sens : que le pays invité soit un acteur important au niveau mondial et qu'existe un intérêt mutuel à l'associer au travail du comité. Il est évident qu'il faut appliquer ces critères avec sérieux, faute de quoi, les discussions au sein des comités, qui sont le vrai creuset du travail de l'organisation, risqueraient fort de tourner à la cacophonie.

« Si, comme on doit le souhaiter, un nombre croissant de pays non membres deviennent des candidats possibles, se posera inévitablement le problème de l'orientation à long terme de l'organisation. Veut-on qu'elle soit à tout moment le lieu de dialogue et de concertation des principales économies du monde ? Il faut alors se préparer à l'entrée possible, un jour ou l'autre, de la Russie, de la Chine, de l'Inde, du Brésil. Ou bien veut-on qu'à tout moment tout pays, quel que soit son poids économique, ait en quelque sorte un droit à devenir membre de l'organisation dès lors qu'il a une économie de marché ouverte et une démocratie pluraliste respectueuse des droits de l'homme ? Il faut alors réfléchir aux moyens de faire fonctionner efficacement une organisation qui pourrait compter rapidement un nombre élevé de membres.

« Entre ces deux lignes le choix n'est pas formellement arrêté. Mais ce qui importe, et qui se réalise, c'est que soient explorées activement et sur la base de l'intérêt mutuel, les possibilités de contacts et de coopération avec des pays non membres, notamment ceux auxquels leurs dimensions et leurs perspectives de développement donnent un potentiel important d'influence sur l'évolution économique et Politique du monde.

« L'attention croissante portée aux pays qui se développent rapidement ne saurait détourner l'OCDE du devoir que lui assigne la convention de contribuer par tous les moyens au décollage économique et au progrès social des pays encore sous-développés. La récente réunion à haut niveau du comité d'aide au développement a permis de constater combien cette préoccupation reste présente à l'esprit des responsables dans nos pays membres. Certes, les clés du développement sont d'abord et avant tout dans les mains des pays en développement eux-mêmes. Mais il est de multiples moyens de les aider à s'aider eux-mêmes, notamment en nous ouvrant largement à leurs exportations et en appuyant leurs efforts pour mettre en oeuvre des institutions politiques efficaces et un cadre juridique solide pour l'activité économique, et pour élever rapidement le niveau d'éducation de leur population.

« Notre intérêt bien compris est que ces pays ne restent pas sur les berges du grand fleuve du développement économique mondial. Avec eux, comme avec ceux qui sont déjà bien engagés sur ce fleuve, nos pays ont à partager la responsabilité du bien-être de la planète, c'est-à-dire de l'espèce humaine et d'un environnement dont on mesure aujourd'hui combien il est fragile et menacé.

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, dans ce discours qui est, comme l'a rappelé le Président, le dernier que je prononce devant vous en ma qualité de Secrétaire général de l' OCDE, j'espère avoir réussi à vous communiquer ma conviction que cette organisation mérite plus que jamais qu'on l'encourage et qu'on l'appuie car plus sans doute que toute autre elle correspond à un besoin du monde d'aujourd'hui. Il serait profondément regrettable que ce soit précisément le moment choisi pour réduire ses moyens d'action. La remise en ordre des finances publiques de nos pays est sans nul doute une priorité, mais il est, j'en suis convaincu, beaucoup d'autres usages de leurs fonds qui procurent beaucoup moins de « value for money » que leur contribution au budget de l'organisation.

« Je ne saurais terminer sans remercier cette Assemblée de l'intérêt croissant qu'elle a, au fil des ans, porté aux activités de l'OCDE. Vous avez su prendre les initiatives politiques et institutionnelles nécessaires pour que cette Assemblée porte, sur le travail d'une organisation par nature intergouvernementale, le regard critique et stimulant des élus de nos peuples. C'est une fort bonne chose. »

Dans le débat qui suit la présentation du Rapport de Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) et l'exposé de M. Jean-Claude PAYE, M. Jean VALLEIX, député (RPR) a pris la parole en ces termes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, rendez-vous de l'économie au service des droits de l'homme, notre rencontre annuelle est maintenant solidement établie comme tradition, mais une tradition assez peu commune. En effet, notre débat avec nos partenaires d'au-delà des océans s'est ouvert dernièrement à l'Union européenne. Nous sommes heureux de saluer ses représentants, d'autant qu'aujourd'hui, nous accueillons pour la première fois le Mexique. Bienvenue donc à nos partenaires mexicains !

« Débat peu commun aussi puisque, Monsieur le Secrétaire général Jean-Claude Paye, c'est le dernier que vous conduisez avec nous ès qualité. Nous le notons avec une certaine émotion. En effet, nous avons vécu ensemble la fin de la guerre froide et l'éveil de l'Europe démocratique.

« Nous avons vécu également les débats difficiles relatifs à la lutte contre la crise et retrouvé un début de croissance.

« Nous avons enfin découvert, en même temps que la globalisation des problèmes, le risque pour la « cohésion sociale » et le fait que reprise et emploi ne sont pas forcément liés. Face au chômage, quelle adéquation nouvelle trouver entre travail, emploi et productivité dans la dimension mondiale ? Merci, Monsieur Jean-Claude Paye, de votre riche contribution, hier et aujourd'hui. Et tous nos voeux d'avenir !

« Traditionnel, notre débat, mais peu commun : je le dis en raison de la qualité des rapports qui nous ont été présentés ce matin. Vous me permettrez de citer plus particulièrement Mme Durrieu. Ses analyses et ses synthèses posent les vrais problèmes : comment réformer sans détruire, comment dépasser les pièges du chômage et de l'économie moderne ?

« Parlant au nom du Groupe des démocrates européens, mes propos se référeront à l'Europe, à toute l'Europe, bien sûr, et aussi à l'Europe dans le monde, mais en insistant sur l'aspect humain des choses : la dignité de l'homme et son bonheur sont la finalité de toutes nos actions.

« Je veux évoquer à nouveau dans ce débat le problème du chômage, le concept de la productivité à notre époque, la nécessité d'instaurer un certain ordre dans nos priorités et, si mon temps de parole le permet, la dimension des solidarités au niveau mondial.

« Le chômage, ce travers, cette caricature de l'économie, entre dans nos sociétés modernes comme un phénomène permanent et dramatique. Nous découvrons, en effet, dans nos pays les premiers "enfants de chômeurs", les enfants de générations de chômeurs. Aujourd'hui, des jeunes retardent le moment de leur entrée dans le monde du travail pour être plus sûrs d'éviter le moment où ils buteront sur le chômage. Tout cela, il est vrai, est humainement insupportable. Simultanément, nos États développent des formes multiples d'aide. Par conséquent, certains en viennent à s'accommoder de cette assistance permanente.

« A contrario , émergent du même coup de nouveaux aspects de la dignité humaine. La notion de travail faisait "rétro" hier. Elle apparaît à nouveau valorisante. Au côté "productif" du travail s'ajoute la prise de conscience de l'"insertion" qu'il favorise aussi bien dans la famille que dans la société. Collectivement, c'est la cohésion sociale qui est en cause. Ce point a été très largement développé.

« Mais comment réagir aux phénomènes insupportables du chômage et de la fracture sociale ? Je veux à ce sujet vous livrer quelques réflexions sur la notion de productivité.

« La productivité est une litanie chantée toutes ces dernières années, comme réponse aux exigences de progrès et comme réponse à une concurrence effrénée. Oui, mais voici quinze ans, nous avions, dans cette enceinte, à l'initiative de la commission économique, débattu d'un autre problème, lourd de conséquences, à savoir l'introduction généralisée de l'ordinateur, du traitement de texte. Nous avions prédit - nos rapports et nos débats dans différentes villes d'Europe en font foi - quinze millions de chômeurs. Nous les avons !

Il n'y a pas lieu de s'en flatter.

« Aujourd'hui, mes chers collègues, j'appelle votre attention sur des notions, pas particulièrement développées dans les discussions d'hier - je me tourne là vers nos partenaires d'outre-Océans - mais qui sont d'actualité et, à combien, préoccupantes : les "autoroutes de l'information", toutes les techniques de la numérisation qui annoncent de fantastiques évolutions, les meilleures et les pires. Sans doute les unes, certainement les autres !

« Confrontés à ces nouveaux problèmes, je me permets de vous y sensibiliser davantage en vous posant, Monsieur le Secrétaire général, à mon tour, une question sur cet aspect qui ne vous a sans doute pas échappé : quelle maîtrise préparons-nous face à cet avènement ? Le bloquer paraît une utopie. Le laisser s'épanouir me paraît un danger fou. Cependant, c'est par là que la culture, demain, va s'exprimer. C'est pourquoi la France, mon pays, a été l'un des premiers à plaider "l'exception" dans le domaine culturel, notamment à cette fin.

« Monsieur le Secrétaire général, mes chers collègues, à ce point de ma réflexion, je vous soumets l'idée suivante, peut-être singulière ou simplement anticipée : de même que nous nous appliquons à favoriser le "libre échange", mais aussi à en dominer les excès, n'allons-nous pas devoir, dans les temps qui viennent, essayer d'humaniser la "libre production" ? Il est entendu - c'est évident - qu'aucune réponse nationale ne pourra être trouvée, car ce serait mettre son pays à la porte de la concurrence. On ne peut donc rechercher que des solutions approchées communément, collectivement, ce qui n'est pas simple. C'est aussi le débat entre l'Europe et le sud-est asiatique. À propos de ces "autoroutes de l'information", nous avons matière à méditation.

« Je demandais aussi : quelles priorités dans nos choix économiques ?

« Nous avons chacun nos réflexions à propos du Traité de Maastricht, de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne qui se prépare. On privilégie, me semble-t-il, trop souvent la monnaie, la finance et la banque par rapport à l'économie, et trop souvent l'économie par rapport à l'homme. En matière de déficits, par exemple, il est des "déficits secs" - que l'on fait entrer dans cette approche économique et financière. En effet, les indemnités de chômage contribuent à un déficit public sec, alors qu'il y a des déficits qui sont, si je puis dire, des avances de crédit qui peuvent déboucher sur des investissements productifs - infrastructures, équipements, etc. - et constituent des investissements "à crédit" mais qui produiront néanmoins de la richesse.

« Étant donné le court temps de parole qui nous est imparti - sept minutes - je conclus rapidement.

« Le général de Gaulle disait : "La seule querelle qui vaille, c'est celle de l'homme". Vaclav Havel, à cette tribune, nous a rappelé qu'il choisissait "l'économie de marché parce que c'est la seule qui rend son sens au travail de l'homme". Je souhaite que nous nous inspirions de telles réflexions. Mes chers collègues, nous sommes là, en effet, avec des responsabilités qui débouchent sur une ambition passionnante : aider toujours à plus de dignité pour l'homme, pour tous les hommes. »

M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) est intervenu à son tour en ces termes :

« Monsieur le Président, mes chers collègues,

« Je voudrais tout d'abord féliciter notre rapporteur, Mme Durrieu, sur les activités de l'OCDE en 1994.

« Ce rapport nous permet de développer ce qui est l'une des plus importantes missions, à mes yeux, de notre Assemblée : celle de la dimension parlementaire, c'est-à-dire du débat démocratique sur l'activité d'organisations influentes, sans doute, mais qui, sans le dialogue avec notre Assemblée, demeureraient strictement technocratiques.

« L'OCDE fait autorité en matière d'orientations de l'économie des pays développés. Elle a consacré de très importants travaux à l'analyse des causes du chômage persistant et dévastateur en termes de cohésion sociale, qui touche en particulier l'Europe occidentale.

« Mais les luttes mêmes qui ont entouré le renouvellement de son secrétariat général indiquent assez que les hypothèses qui fondent cette analyse du chômage et orientent par conséquent les remèdes proposés sont loin d'être étrangères aux débats politiques qui nous intéressent.

« C'est bien dans cet esprit que je me félicite de trouver dans notre rapport une proposition de résolution équilibrée, et qui ne nous Promet pas, comme naguère, le plein emploi et le bien-être de tous au terme d'une dérégulation générale et précipitée, présentée comme la seule conduite à suivre.

« Ainsi, j'approuve sans réserve l'invitation à la stabilisation des termes monétaires qui perturbent actuellement les échanges commerciaux.

« Je voudrais seulement ajouter à cette recommandation l'invitation à respecter toutes les conditions d'une concurrence loyale sur le marché international, et je pense en particulier à des règles minimales de protection des travailleurs, ainsi qu'à la préservation des ressources non renouvelables.

« En tout premier lieu donc, il me semble qu'on ne peut parler d'ouverture des marchés et, par conséquent, de concurrence internationale loyale, qu'entre des partenaires qui respectent au moins un minimum de règles communes : l'OCDE doit promouvoir le respect des normes de l'Organisation internationale du travail, c'est-à-dire notamment l'interdiction du travail forcé, l'interdiction du travail des enfants, la garantie de la liberté syndicale, et un socle de droits reconnus à tous les travailleurs (durée du travail limitée, droit de grève, etc.).

« En second lieu, la concurrence internationale ne saurait être regardée comme loyale si le tiers-monde devait devenir l'objet d'une nouvelle exploitation plus insidieuse que les précédentes, avec ce que les économistes appellent "l'externalisation de certains coûts". Nos pays - et le Conseil de l'Europe y apporte son heureuse contribution - tendent à renforcer les règles de protection de l'environnement. Mais alors, il faut veiller à ce que cet objectif, valable pour toute notre planète, ne soit pas mis à néant par la délocalisation des industries les plus polluantes ou la surexploitation incontrôlée des ressources naturelles dans les pays les moins exigeants en termes d'environnement.

« Sans doute les pays du tiers-monde peuvent-ils espérer un gain à court terme en retardant l'adoption des garanties minimales du droit du travail.

« De même, ils peuvent espérer des gains rapides également de la surexploitation de leurs ressources naturelles ou de l'accueil des industries polluantes. Mais nous savons que l'exploitation des hommes et des richesses naturelles entraîne des dégâts humains et environnementaux irréversibles.

« Nous ne devons pas permettre que les lois aveugles du marché poussent les plus faibles à considérer comme un avantage comparatif la moindre protection de la santé et de la dignité de leurs populations.

« Il s'agit donc, mes chers collègues, non seulement d'inviter les États de l'OCDE à prendre en considération toutes les conditions d'une concurrence internationale réellement loyale, mais également de demeurer cohérents avec les messages de dignité que nous adressons à tous nos partenaires politiques, et d'abord aux pays en voie de développement. »

M. Jean-Claude PAYE a repris la parole au terme du débat pour répondre aux orateurs, soulignant que le débat avait montré que, malgré la diversité des situations et des points de vue, les pays développés sont face à un même défi, un changement rapide et en profondeur des règles du jeu économique. Dans cette période difficile, il est essentiel de se garder du péché d'arrogance.

Il a rappelé une anecdote : lorsqu'il a demandé à ses collaborateurs d'étudier le problème du chômage de longue durée, M. Paye leur a demandé de se replacer dans la situation de l'homme de la rue et de se poser les questions que celui-ci formulerait, par exemple celle du lien entre les échanges, la concurrence, le progrès technologique et le chômage. Or, lors d'une réunion, le délégué d'un pays a dit qu'il ne voulait pas qu'on étudie le lien entre commerce et chômage, entre concurrence et chômage parce que - a-t-il dit - « vous pourriez aboutir à des conclusions dont nous savons par avance qu'elles seront erronées ». Si un organisme comme l'OCDE s'interdit de se poser les questions de l'homme de la rue, la situation est, en effet, difficile !

Le débat d'aujourd'hui a montré que les parlementaires, comme leurs électeurs, expriment un espoir auquel il ne peut être répondu que si l'on analyse les problèmes en dehors de tout préjugé et sans arrogance. Nous trouverons les solutions, dit M. Paye, si nous faisons preuve d'honnêteté intellectuelle et si, corrélativement, nous évitons de regarder constamment en arrière.

Le Secrétaire général de l'OCDE se dit enfin, comme les pays membres, persuadé qu'il faut travailler en commun et qu'une rencontre comme celle d'aujourd'hui est toujours utile car elle établit des passerelles entre l'économie et la société.

Enfin, Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) a conclu le débat élargi en ces termes :

« Si j'avais à faire la synthèse des interventions tout au long de cette journée de débats, je ferais des choix :

« Nous sortons de la récession et le monde est engagé dans la croissance économique, mais une croissance sans euphorie, dans une "ambiance morose", a dit M. Paye. Le chancelier Kohl a parlé d"`Eurosclérose" et de "pessimisme culturel en Europe". Ces deux hommes éminents ont voulu réveiller les énergies. Je les en remercie personnellement.

« Ils nous ont aussi rappelé qu'à la veille du troisième millénaire, il n'y avait pas de menace générale réellement identifiée. Par contre, il y a un immense défi économique pour l'homme, pour les États, pour l'Europe, pour les pays de l'OCDE, pour le monde. Et un défi politique pour l'Europe !

« Un avertissement nous a été adressé par le Chancelier Kohl. L'heure de vérité est venue, je le crains, je le crois, je le souhaite. J'espère qu'ici il aura été entendu. »

Puis, appelée à statuer sur le Rapport 7348 de Mme Josette DURRIEU, ainsi que sur les Avis 7377,7392 et 7406, l'Assemblée a adopté, modifiée par quatre amendements de la Délégation australienne, la Résolution 1069.

N. - Les technologies stratégiques. Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), et Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.). ( Vendredi 29 septembre 1995. )

Selon le Rapport, les innovations scientifiques et technologiques seront les moteurs de la croissance économique dans les prochaines décennies. Les futurs progrès des technologies « stratégiques » telles que les technologies de l'information, la biotechnologie, les fibres optiques et la supraconductivité vont modifier radicalement nos modes de vie.

Mais les pays européens accusent un retard dans ce domaine. L'Europe doit relever ce défi, en incitant les gouvernements à soutenir l'innovation, à lutter contre les excès de la bureaucratie et à encourager les investissements de recherche-développement. Il faut promouvoir le partenariat d'entreprises, la coopération université-industrie et le développement de compétences professionnelles multidisciplinaires. Des projets comme l'Agence spatiale européenne, le consortium Airbus et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire sont des exemples porteurs d'espoir pour l'avenir.

L'Europe a besoin d'une nouvelle stratégie pour combler son déficit d'innovation et se placer en tête de la course en matière de technologies stratégiques.

Dans le débat qui s'est instauré sur ces propositions, M. Claude BIRRAUX, député (UDF), est intervenu en ces termes :

« Permettez-moi d'abord de féliciter notre collègue Christian Lenzer pour la qualité de son rapport qui, en peu de pages, dresse un panorama complet et compréhensible des technologies stratégiques et de leur impact dans la vie de nos concitoyens.

« Cet impact est très grand et c'est une véritable révolution qui est en marche : "révolution" est bien le terme approprié, compte tenu de la rupture brutale avec tous les schémas et mécanismes habituels qui permettaient de caractériser le développement scientifique et technologique. Il n'y a pas ou peu d'absolue nouveauté, et la base de ces technologies repose le plus souvent sur des technologies existantes et bien connues. Elles sont souvent en marge de technologies éprouvées, mais elles sont le fruit d'une "hybridation", si vous me permettez cette expression.

« Si je devais caractériser ces mutations d'un seul mot, je parlerais d'interface et de gestion optimale de l'interface : interface entre les différentes technologies, interface entre les acteurs publics et privés, interface entre les laboratoires de recherche et les entreprises, interface entre les entreprises et les financeurs, en particulier pour l'accès au capital-risque des P.M.E. et P.M.I., interface avec le monde de l'éducation et de la formation qui doit s'adapter et former à des compétences multidisciplinaires.

« Qu'on le veuille ou non, ces transformations technologiques sont en marche et vont bouleverser le paysage économique, social et humain de notre société.

« Quelles en sont les conséquences pour les responsables politiques que nous sommes ?

« Nos méthodes d'action et de gestion politiques doivent se transformer pour tenter d'organiser ce processus d'innovation plutôt que de le subir en se contentant de laisser faire le marché.

« Quelles conséquences pour l'emploi ? L'exemple japonais montre que les progrès scientifiques et techniques ne sont pas destructeurs d'emploi si les mutations qu'ils provoquent sont correctement préparées.

« Il nous faut une prospective qui permette d'anticiper les effets de l'offre de nouvelles technologies, de les ajuster aux besoins du marché. Pour cela, il faut disposer d'un instrument stratégique qui permette aux pouvoirs publics et aux entreprises de s'organiser pour se servir de l'évolution de ces technologies plutôt que de les subir de plein fouet.

« Cela implique un changement radical des mentalités et des processus de pensée, une autre culture qui est celle de la prospective, de l'adaptation et de l'ajustement permanents. Dès lors, quel rôle pour nos États - différencié, catalyseur, fédérateur - donnant les impulsions à la recherche-développement et aux coopérations internationales, en particulier européennes ?

« Enfin, l'homme politique est, lui aussi, situé à une interface doublement stratégique : d'une part, l'interface avec le monde scientifique et technologique qu'il doit comprendre pour décider des choix stratégiques, budgétaires ou législatifs judicieux, d'autre part, l'interface avec les citoyens pour que l'homme politique soit en mesure de répondre à leurs aspirations, à leurs interrogations, d'expliquer et de faire comprendre ces mutations.

« Notre Assemblée, par sa vocation première, se doit d'être attentive à cet aspect : dans ces processus de mutations technologiques et aussi sociologiques, il convient de veiller à préserver la liberté des citoyens, leurs droits, les valeurs communes qui forment le socle de la société, et leur égalité devant l'accès à ces technologies.

« Dans une société en mutation technologique rapide, les citoyens ont du mal à trouver leurs points de repère habituels, je dirais même culturels. Ne croyez pas que cela ne concerne que les pays en développement. Dans cette enceinte, nous sommes, pour la plupart d'entre nous, des "handicapés" devant les technologies de l'informatique et de l'information. L'incompréhension nourrit la peur qui, elle-même, alimente le refus, lequel développe, à son tour, une certaine forme d'autisme, l'intégrisme, quelle qu'en soit la forme.

« La vocation normale et traditionnelle de l'action politique, qui est de façonner et de codifier la vie des citoyens, s'en trouve considérablement modifiée.

« Nos choix budgétaires et législatifs avaient pour objet d'adapter notre société aux évolutions constatées ou prévisibles et souhaitées dans une perspective à peu près connue et stable avec des certitudes bien établies ; d'où la rigidité de nos lois et règlements.

« Désormais, il s'agira d'anticiper, de donner dans le nouveau, l'inédit, l'inconnu, avec des incertitudes grandes et, pour cela, de faire preuve de souplesse et de capacité d'adaptation permanente.

« C'est bien une révolution culturelle autant que scientifique qui est en marche avec des conséquences économiques et sociales.

« L'évaluation scientifique et technologique devient un impératif pour jeter une lumière nouvelle sur les stratégies de planification de la recherche et du développement et pour donner les bases claires d'une nouvelle ambition et d'une nouvelle volonté politique réaffirmée de nos États européens. »

M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc), a formulé quant à lui les observations suivantes :

« Monsieur le Président, je tiens tout d'abord à féliciter notre Rapporteur pour son excellent rapport, qui constitue un document de nature à favoriser les débats sur des questions vitales pour notre avenir.

« J'ai cependant quelques observations à formuler sur le projet de résolution, les premières portant sur le paragraphe A, alinéas 2 et 3, qui incite nos gouvernements à procéder à des politiques de déréglementation. Sur ce point, nous devons être relativement prudents et attentifs à ce que les nouvelles technologies ne développent pas des inégalités inacceptables pour nous.

« Les activités concernées peuvent être, Monsieur le Rapporteur, des activités d'ordre privé, mais ces technologies ont nécessairement des incidences sur des activités aujourd'hui exploitées ou commandées par des services publics. Dans ce domaine, nous devons respecter les principes du service public, en premier lieu celui d'universalité, c'est-à-dire qu'il doit être un service rendu de façon juste pour l'ensemble des citoyens : un traitement égal de tous.

« Or, ces technologies s'appliqueront dans les télécommunications, les transports, l'enseignement, la médecine, dans différent systèmes de gestion relevant, me semble-t-il, du service public. Par conséquent, la proposition tendant à dire qu'il faut absolument que tous les gouvernements procèdent à des déréglementations actives et rapides me paraît appeler quelques réserves. Une éventuelle déréglementation des infrastructures ne doit en effet pas interdire aux États de faire prévaloir l'intérêt général par une réglementation des contenus.

« Ce rapport évoque, notamment une question capitale, les "autoroutes de l'information". Dans ce domaine particulièrement, il convient d'affirmer que la distribution de l'information ne peut pas avoir lieu dans une telle anarchie. D'ailleurs, aujourd'hui, même un pays libéral comme les États-Unis se préoccupe de ce qui se passe sur le réseau Internet, de la qualité et de la nature de l'information. Aussi, inciter à la déréglementation n'est-il pas sans conséquence sur le fonctionnement de la société.

« La commission des relations parlementaires et publiques avait débattu, lors d'un colloque, de ce qu'elle avait appelé la "démocratie électronique". Elle avait, à cette occasion, fixé un certain nombre de limites à l'exercice d'une liberté, qui ne peut être totale dans un système qui est celui de la distribution de l'information,

« Certes, bien des choses positives pourront être réalisées, et cependant, il existe des risques de détournement d'usage au détriment du fonctionnement de la démocratie. La seule loi de l'argent ne peut pas régir ce qui devrait être demain le principal moyen d'information de nos concitoyens, voire leur principal lien social.

« Dans le paragraphe B, alinéa 3, du projet de résolution, portant sur une réflexion qui devrait être menée en matière de propriété intellectuelle et industrielle, vous suggérez de nouvelles réglementations qui s'adapteraient mieux au nouveau concept de coordination de la recherche, de liaisons technologiques et de "marketing créatif. Je ne sais pas trop ce que recouvre cette expression, et cette proposition me paraît être rédigée en termes quelque peu obscurs. Demander que l'on renonce à toutes les formes de propriété intellectuelle et industrielle, c'est-à-dire aux droits d'auteur, à la protection des dessins et des modèle et aux brevets d'invention de produits industriels, sous prétexte de faciliter les échanges dans une économie dont la globalisation s'accélère à travers les réseaux d'information, me semble être une proposition à manier avec beaucoup de prudence et sur laquelle on peut émettre, là encore, quelques réserves. Le progrès technique ne doit pas légitimer la loi de la jungle ou le pillage généralisé des inventions et des créations intellectuelles.

« Sous le bénéfice de ces quelques remarques, Monsieur le Rapporteur, je dirais que votre Rapport a le mérite de faire le point sur un sujet essentiel pour nos sociétés. Il nous incite à débattre et je souhaite que notre Assemblée poursuive sa réflexion sur des questions aussi capitales. »

À l'issue de ce débat, l'Assemblée, examinant les propositions contenues dans le Rapport 7379, a adopté la Résolution 1070.

O. - L'élection du greffier du Conseil de l'Europe. ( Mercredi 27 septembre 1995. )

Au cours de cette dernière partie de session, l'Assemblée a élu, par 143 voix sur 144 suffrages exprimés, M. Bruno HALLER au poste de greffier du Conseil de l'Europe, fonctions qu'il a prises le 1 er février 1996 pour un mandat de cinq ans.

P. - Cérémonie en l'honneur de M. Louis JUNG, ancien sénateur (UC). - Allocution de M. Jean VALLEIX, député (RPR) ( Strasbourg - Jeudi 25 janvier 1996 ) .

Afin de marquer solennellement la fin du mandat de sénateur de M. Louis JUNG, qui ne s'est pas représenté lors du renouvellement du Sénat à l'automne 1995, la délégation française a organisé en son honneur une brillante réception au Palais Rohan à Strasbourg où, parmi les nombreux amis de celui qui fut le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, on a pu voir Mme Leni FISCHER, député au Bundestag (CDU), elle-même élue à la Présidence de l'Assemblée à l'ouverture de la session de 1996 ( cf. Rapport de la Délégation pour 1996 ) . Mme Leni FISCHER a d'ailleurs tenu à prendre la parole après M. Jean VALLEIX pour féliciter à son tour M. Louis JUNG et rappeler son oeuvre au Conseil de l'Europe et au service de l'entente franco-allemande.

Dans ce cadre, M. Jean VALLEIX a prononcé l'allocution suivante :

« Monsieur le Président et Cher Ami,

« C'est un plaisir pour moi que nous nous retrouvions tous autour de vous, vos collègues, vos amis, vos collaborateurs. L'estime et l'amitié nous invitent à évoquer votre contribution éminente à la cause européenne, des engagements pionniers de votre jeunesse jusqu'au couronnement qu'a constitué votre élection à la présidence de notre Assemblée.

« Je voudrais retracer, trop brièvement, hélas ! cette oeuvre de fidélité, qui vous vaut tant d'amis, ici à Strasbourg, et en Alsace, au Sénat bien sûr, mais aussi dans tous les États représentés au Conseil de l'Europe, où vous comptez, là encore, nombre d'amis, dont le moins illustre n'est pas le Chancelier KOHL.

« Brillante carrière donc, mais dans la logique de convictions enracinées dans le sol natal.

« Fils de cette terre alsacienne, vous avez pu mesurer mieux que personne le prix des luttes fratricides qui déchirèrent l'Europe.

« Familier de deux cultures, comme l'était Robert Schuman, vous savez aussi la richesse multiple de l'héritage commun.

« De vos premières orientations professionnelles vous avez d'ailleurs toujours gardé une sollicitude toute particulière pour les questions de formation, et c'est tout naturellement que vous vous êtes fait le défenseur du bilinguisme. Que ce soit dans le cadre de vos mandats locaux, au Sénat et au Conseil de l'Europe, vous avez inlassablement popularisé la formule si juste : "Apprenons la langue du voisin". Nous devons tous faire nôtre ce principe d'action. Si l'Alsace est en avance, grâce à vous, il y a encore beaucoup à faire dans nos départements.

« Vous démontrez que les caractéristiques régionales ne doivent pas être niées, encore moins écrasées ; mais que, de la connaissance des spécificités des uns et des autres, naît le respect et, finalement, un enrichissement mutuel. Et cette compréhension entre les hommes est le meilleur ciment de la paix entre les nations.

« Je voudrais évoquer également votre engagement de chrétien. Les différentes confessions présentes en Alsace ont donné les meilleurs artisans de la construction européenne, partageant une même foi en l'Homme, foi nécessaire et presque téméraire au lendemain du désastre de 1945 où notre civilisation a failli sombrer, sous les coups de l'antihumanisme nazi.

« On ne saurait comprendre votre engagement, votre inlassable dévouement, j'allais dire votre entêtement, si courageux et si fécond, sans rappeler cet idéal qui fut aussi celui des pères de l'Europe communautaire. Chrétien évangélique, vous avez su, avec la plus exceptionnelle ouverture d'esprit, mettre toute votre foi au service de l'idéal de réconciliation.

« Lors de votre brillante élection à la Présidence de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le 21 avril 1986, vous avez rappelé le mot du Duc de Levis :

« La plus commune des inconséquences est de ne pas vouloir les moyens de ce que l'on veut. »

« Et votre vie est bien l'illustration de cet équilibre indissociable entre le cap choisi et la mise en oeuvre des moyens nécessaires.

« Travailleur acharné, contribuant au développement économique d'une région réputée pour ses traditions d'efficacité, vous avez très tôt cherché les moyens de concrétiser l'idéal qui vous animait.

« Tout naturellement, vous vous engagez alors au service de vos concitoyens, qui vous élisent dès 1953, il y aura quelque quarante-trois ans, maire de HARSKIRCHEN, puis, six ans plus tard, vous désignent pour les représenter au Sénat, où vous aviez tout juste l'âge de siéger.

« Vous me permettrez, Cher Ami, de m'arrêter un instant sur votre rôle au Palais du Luxembourg, où vous avez siégé à la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées.

« Non pas pour faire de notre réunion une affaire franco-française, comme on dit aujourd'hui, mais pour souligner que, bien loin de s'opposer, l'attachement à sa région, j'allais dire à son terroir, la fidélité à des traditions, voire à des particularismes affirmés, peuvent tout à fait se concilier avec des responsabilités nationales et avec des solidarités internationales.

« Ainsi, vous apparaissez souvent au Luxembourg comme l'avocat de l'Alsace, ou plutôt l'un de ses avocats, car elle en compte beaucoup, et notamment votre ami Daniel HOEFFEL, réélu à notre Assemblée du Conseil de l'Europe. Et, en même temps, vous vous êtes fait également l'inlassable pionnier de la cause européenne.

« Parallèlement, à Strasbourg, vous êtes le promoteur d'une Europe des régions développant non seulement des rapports entre les États, mais offrant le cadre privilégié d'une coopération transfrontalière entre régions voisines.

« Vous avez eu un rôle de fondateur en cette matière, qui vous valut d'être désigné comme Président du Groupe des élus d'Alsace et du Bade-Würtemberg qui unit désormais les deux rives du Rhin.

« Développant une coopération concrète, vous vous êtes ainsi attaché à promouvoir la lutte contre la pollution du Rhin et, après la catastrophe de Tchernobyl, vous avez souligné l'urgence de la concertation entre autorités responsables.

« Nul doute que votre message ne soit appelé à de nouveaux échos car, à l'évidence, la pollution ignore les frontières et, dès lors, la réponse des politiques doit être, elle aussi, transfrontalière.

« Cette coopération n'a pas que des occasions aussi alarmantes de s'exercer, et je rappellerai vos efforts pour promouvoir un développement de la télévision, qui peut être un merveilleux instrument de communication, de compréhension et d'enrichissement mutuel.

« Exemplaires, toujours, les travaux menés à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, avec un sérieux sans tapage, pour définir une charte sociale commune, ou pour affirmer les droits de l'Homme, qu'il s'agisse des garanties de la vie démocratique ou de la protection des personnes, et d'abord des plus faibles, les enfants, les minorités, les oubliés du progrès économique.

« Je n'aurais garde d'oublier votre détermination pour lutter aussi contre les poisons de la xénophobie et de l'antisémitisme, dans une fidélité intransigeante à vos convictions humanistes.

« En vous consacrant à toutes ces questions, vous avez apporté dans l'exercice de vos fonctions, tant au Sénat qu'à l'Assemblée de Strasbourg, une contribution décisive à la construction d'une Europe des hommes...

« Vos collègues ne s'y sont pas trompés en vous portant à la présidence de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en 1986 et en vous renouvelant leur confiance par deux fois.

« Non content d'oeuvrer pour le développement des valeurs humanistes dans le cadre du traité de 1949, vous vous êtes attaché à promouvoir le plus large rayonnement du message démocratique, au-delà de l'Europe, lors des conférences de Strasbourg que vous avez présidées. De même, la création du Centre Nord-Sud de Lisbonne vous doit une impulsion décisive.

« Pourtant, le meilleur de votre effort a été consacré à la réconciliation européenne dont la base est, sans doute, la réconciliation franco-allemande, mais qui ne pouvait s'arrêter là.

« Vous ne vous êtes jamais satisfait d'une Europe occidentale égoïstement repliée sur elle-même, ses valeurs, sa prospérité relative. Confiant dans la portée universelle de l'idéal démocratique, vous vous en êtes fait le messager inlassable et, je dirais même, visionnaire auprès de l'« autre Europe ».

« Vous avez su tendre une main fraternelle aux États qui s'émancipaient du joug communiste, quand beaucoup, presque tous, méconnaissaient l'ampleur de la révolution démocratique à l'oeuvre.

« C'est grâce à votre audace que s'est mis en place le statut d'observateur qui permit aux premiers pays de l'Est de l'Europe d'envoyer des parlementaires à l'Assemblée de Strasbourg.

« C'est à votre impulsion initiale que le Conseil de l'Europe doit d'avoir presque doublé le nombre des États membres, permettant en moins de dix ans à la plupart des États d'Europe centrale et orientale de rejoindre le concert des nations démocratiques et de retrouver tout leur rôle dans notre vieux continent presque complètement réconcilié avec lui-même.

« Enfin, je voudrais rappeler votre rôle au service de Strasbourg. Non pour célébrer entre Français quelque esprit de clocher décidément bien passéiste. En effet, né sur cette terre alsacienne, vous avez appris comme d'autres grands européens, issus eux aussi des marches de l'Est, et, au premier chef, Robert Schuman, le prix des nationalismes dévoyés. Mais, précisément parce que vous êtes Alsacien, l'Europe n'est pas pour vous ce que les économistes appellent un optimum, ce n'est pas seulement un ensemble de directives et de contraintes monétaires ; même si c'est aussi cela, nous le savons, c'est d'abord et toujours la grande oeuvre de réconciliation entre des peuples qui ont risqué leurs civilisations et leurs destins dans des affrontements parmi les plus meurtriers de l'Histoire.

« Je sais que, à la tête de la Fondation Robert Schuman, vous poursuivrez cette oeuvre, envoyant des livres en Lituanie, favorisant les voyages de jeunes Polonais ; enfin partout vous mettrez tout en oeuvre pour concrétiser l'idéal qu'énonçait Robert Schuman dans "Pour l'Europe" : "Servir l'humanité enfin affranchie de la haine et de la peur , et qui réapprend , après de trop longs déchirements , la fraternité."

« Puisse ce message remplacer l'écho des armes en Bosnie, et en Russie, afin que se réalise pleinement votre idéal, que nous faisons nôtre : réconcilier tous les Européens pour rebâtir une civilisation riche de ses traditions, de sa diversité, de ses solidarités, de ses savoirs et d'un avenir enfin pacifique.

« Aux voeux que je forme pour la continuation de votre oeuvre, vous ne vous étonnerez pas, Monsieur le Président et Cher Ami, que j'associe votre épouse, si discrète et si présente à la fois, et la belle famille dont vous êtes aujourd'hui entouré. »

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