CHAPITRE II

PRINCIPALES ALLOCUTIONS PRONONCÉES
PENDANT LA SESSION DE 1995 ET QUESTIONS
DES DÉLÉGUÉS FRANÇAIS

(1 re à 4 e parties)

Comme à l'habitude, la session de 1995 a fourni à l'Assemblée l'occasion d'accueillir les principaux responsables européens : outre M. Édouard BALLADUR, en qualité de Premier ministre du gouvernement français, de nombreux dirigeants des États nouvellement indépendants de l'Europe centrale et orientale, ayant récemment adhéré à l'Organisation, ou admis au statut "d'invité spécial" à l'Assemblée parlementaire ou candidats à l'adhésion plénière du Moyen-Orient. Certaines des allocutions prononcées devant l'Assemblée ont été suivies de questions permettant notamment aux membres de la Délégation française de faire préciser des orientations importantes pour le développement de la Grande Europe.

Section I - Première partie de la session de 1995. (Strasbourg, 30 janvier - 3 février 1995.)

Au cours de la première séance de sa session ordinaire de 1995, l'Assemblée a réélu à sa présidence, le lundi 30 janvier 1995, pour un troisième mandat de un an, M. Miguel Angel MARTINEZ (Espagne-Soc), qui a prononcé l'allocution suivante :

« Mes chers collègues, comme deux fois déjà dans le passé, et peut-être plus encore que dans le passé, je vis cette élection - cadeau que vous me faites en ce jour de mon cinquante-cinquième anniversaire - avec des sentiments où s'entremêlent la joie, l'émotion, la gratitude, la responsabilité, et même déjà une pointe de nostalgie, puisque c'est là la dernière étape de mon mandat que j'entame à la tête de notre Assemblée.

« J'aimerais tout de même prendre un instant de votre temps, bien sûr pour vous remercier, mais surtout pour dresser ce que j'estime avoir été le bilan de l'année 1994 et pour vous donner un aperçu de ce que pourrait être, de ce que devrait être l'année 1995 que nous venons de mettre en route.

« Je pense que 1994 restera l'année où la relance du projet de construction européenne, prévue, annoncée, amorcée depuis 1992, sera entrée dans le chapitre des réalisations concrètes et précises.

« Autour de nous, on a vécu cela de façon particulièrement intense.

« L'Union européenne a vu le Traité de Maastricht faire ses premiers pas et, en même temps, trois des quatre candidats dont l'adhésion avait été négociée sont venus élargir l'espace communautaire. C'est dire que des six États qui avaient pris le départ à Rome il y a vingt-huit ans, on est passé à quinze, et le processus avance, imparable, tant dans sa consolidation que dans sa préparation à des élargissements ultérieurs, par tout un tissu d'associations avec des États candidats de droit ou d'intention ; un tissu que nous souhaitons être généreux et efficace.

« La relève de M. Delors par M. Santer à la présidence de la commission européenne et les élections en juin dernier d'un Parlement européen, dont les compétences et, par conséquent, la responsabilité devraient augmenter considérablement, constituent aussi des éléments importants pour cette étape de relance du projet européen que nous partageons.

« L'Union de l'Europe occidentale a elle aussi vécu en 1994 une réactivation très considérable, y compris l'élection d'un nouveau secrétaire général de cette institution. Son rôle, précisé par le Traité de Maastricht, qui fait de l'U.E.O. la plate-forme où l'on doit discuter, décider et même articuler la politique commune en matière de sécurité et de défense, a beaucoup avancé sur le plan politique, mais aussi sur un certain nombre d'actions précises, comme le contrôle de l'embargo imposé à la Serbie. Là aussi, l'une des questions les plus pressantes est la formulation et la mise en oeuvre des mécanismes permettant la participation des nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale dans ces schémas de sécurité et de défense européenne. Et des progrès se font, même s'ils sont parfois moins rapides et moins larges qu'on ne le souhaiterait.

« Enfin, last but not least , la C.S.C.E., en quête de fonctions plus en ligne avec le nouveau panorama européen et mondial, semble s'affirmer après le Sommet de Budapest - et cela, nous l'espérons, au-delà du changement de sigle - qui en a fait une organisation plus stable et permanente.

« Quant à nous. Conseil de l'Europe et Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, 1994 aura été une année non dépourvue de tensions et d'instabilités, une année cependant dont le bilan me paraît, à l'heure qu'il est, raisonnablement positif.

« Certes, notre espace dans le spectre institutionnel de la construction européenne a pu paraître parfois quelque peu coincé, rétréci précisément, entre, d'une part, une Union européenne qui aurait tendance à vivre son élargissement bien au-delà du territorial et des textes des traités - à vivre cet élargissement, si j'ose dire, de façon "tous azimuts" - et, d'autre part, une O.S.C.E. qui, se cherchant, risque fort, et souvent, de venir empiéter sur les plates-formes que d'autres cultivent avec succès.

« J'ai l'impression que, dans ce contexte, pas toujours facile, et toujours mouvementé, et malgré des difficultés certaines - y compris la digestion du processus électoral et de la transition à la suite de l'élection d'un nouveau secrétaire général -, nous avons tout de même réussi à tenir le coup. En tout cas, grâce à une stratégie conduite de façon sereine et ferme et grâce à la collaboration de beaucoup de monde, on a pu maintenir notre espace et notre rôle dans la construction européenne. J'aimerais vous dire ma conviction à ce sujet : si cela vaut pour le Conseil de l'Europe dans son ensemble, l'action de notre Assemblée a été pour beaucoup dans un succès qui revient à l'Institution en tant que telle.

« Je voudrais à ce propos indiquer cinq éléments qui ont été sans doute déterminants pour nous permettre d'avancer, et qui resteront d'ailleurs aussi importants en 1995.

« Je pense, en premier lieu, à la coopération exceptionnellement étroite que nous avons établie avec le secrétaire général.

« Et je pense aussi aux relations - plus que cordiales - qui se développent avec notre Comité des ministres, où d'ailleurs sont venus siéger, après telle ou telle élection, un nombre croissant d'anciens membres de l'Assemblée.

« La coopération étroite avec le Comité des délégués n'est pas moins essentielle à l'heure où l'esprit "entreprise commune" s'impose, ainsi que l'exigence d'apparaître, toutes circonstances confondues, sur la même longueur d'onde. Sur ce point, je voudrais rendre hommage encore à l'ami, au collègue, au démocrate et à l'Européen que fut M. Andrej Novak, ambassadeur de la Slovénie, dont la mort nous frappe et nous consterne.

« Un gros effort a été entrepris pour contacter les Présidents de nos parlements nationaux, pour leur rendre visite, pour les inviter à s'exprimer parmi nous. Leur meilleure connaissance de nos travaux - comme celle d'autres dirigeants politiques de nos pays - a sans doute contribué à ce que le Conseil de l'Europe maintienne son crédit et retienne l'attention de nombreux collègues sur le rôle que nous jouons et que nous devons jouer dans le projet de construction continentale.

« Une participation de plus en plus active de nos commissions, des groupes politiques - en particulier des présidents des commissions et des présidents des groupes - dans la définition et dans l'exécution de notre politique a été aussi un facteur important à l'heure du maintien de l'impact du Conseil de l'Europe et de son Assemblée.

« Et certainement le dévouement et l'efficacité de notre personnel se doivent d'être cités à l'heure de ce bilan, avec un accent tout particulier pour le greffe de l'Assemblée parlementaire, où nos collaborateurs sont le plus souvent, de plus en plus, nos amis et certainement nos complices.

« Pour résumer le bilan dont je vous parle, il faut rappeler ce qui a été fait dans les deux domaines qui sont ceux que le Conseil de l'Europe retient pour lui dans le processus d'articulation continentale : être la plate-forme pour la coopération politique paneuropéenne, y compris en ce qui concerne l'élargissement de l'Institution, et rester le centre pour la protection des droits de l'homme et des valeurs qui identifient justement notre projet de construction européenne.

« Pour ce qui est de l'élargissement, l'augmentation du nombre des pays membres, l'année 1994 peut paraître maigre. Une délégation seulement, en plus d'Andorre. Mais une dizaine d'autres dossiers ont beaucoup avancé, et pris de notre temps. Certains, comme celui de la Lettonie, sont pratiquement prêts. D'autres, en cours, sont plus compliqués et, pour une raison ou une autre, ils restent sur notre table et dans nos ordres du jour. On a d'ailleurs fait bien des progrès dans la mise au point de mécanismes de contrôle, de monitoring , des engagements pris et des niveaux de respect des valeurs et des normes dans tous nos pays membres. Enfin, une réflexion essentielle s'est développée ces derniers mois, rejetant une certaine obsession de l'élargissement pour l'élargissement. Nous voulons l'élargissement pour apporter la liberté, la démocratie, les droits de l'homme à d'autres femmes, à d'autres hommes, à d'autres compatriotes du projet européen.

« Nous voulons l'élargissement pour une Europe plus influente, plus prospère, plus solidaire, plus démocratique et non pas, bien sûr, à peine pour une Europe dont la carte deviendrait plus étendue.

« Pour ce qui est du domaine des droits de l'homme, bien des choses ont été faites au long de 1994, non sans tensions, non sans quelques déceptions, mais avec certes des progrès importants, encourageants en tout cas, pour continuer sur les voies qui sont les nôtres.

« Progrès pour ce qui est du Protocole n° 11 à la Convention des droits de l'homme, enfin signé par tous les États membres et qui ouvre définitivement les portes à la réforme de notre système de protection.

« Progrès en ce sens que la convention même, et ses principaux protocoles, ont été signés et ratifiés par la plupart des nouveaux États membres. Cela vaut aussi pour la Convention contre la torture et pour d'autres instruments importants dans ce domaine.

« Progrès aussi, déjà cité, pour ce qui est des procédures de monitoring , où d'ailleurs le Comité des ministres emboîte le pas de l'Assemblée, et il y a de quoi s'en féliciter puisqu'une telle procédure s'affine et se généralise.

« Progrès enfin pour ce qui concerne la protection des droits des minorités nationales, tellement voulue par notre Assemblée. Enfin, la convention-cadre est prête, même si son texte est loin de celui que nous avions proposé. C'est en tout cas un remarquable pas en avant et il faudra le consolider, l'étendre, le préciser.

« Progrès enfin en ce qui représente le lancement de la campagne de nos organisations de jeunesse pour la tolérance, contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme.

« Des progrès, vous dis-je, mais aussi des raisons de déception : la guerre qui continue en Bosnie-Herzégovine ; la Croatie qui reste occupée sur une bonne part de son territoire ; le Protocole additionnel à la Convention des droits de l'homme pour régler les droits culturels et éducatifs des minorités nationales, protocole qui prend du retard inexplicablement ; la Turquie, où la législation non conforme aux normes du Conseil de l'Europe est mise en évidence, où les réformes prévues n'arrivent vraiment pas à démarrer malgré les efforts de nombreux amis. Nous y reviendrons dans un instant, lorsque nous établirons le catalogue de nos espoirs, de nos objectifs, de nos priorités pour 1995.

« Un bilan somme toute acceptable, encourageant, à un point noir près, qui me permet d'ailleurs de faire le lien avec la nouvelle année que nous avons devant nous. Ce point noir, synonyme d'incohérence, de déroutement, est celui du budget 1995, que les États membres ont approuvé avec une croissance zéro. Je ne serais pas à l'aise envers vous tous, envers nos gouvernements, envers moi-même, si je ne dénonçais pas ce contresens, à l'heure de tous les élargissements, n'est-ce-pas ? Je dénonce d'ailleurs, en assumant la part qui me revient, celle qui revient à chacun d'entre nous en tant que membres responsables de nos parlements nationaux et responsables donc aussi des mesures qu'adoptent nos gouvernements respectifs.

« C'est donc avec des ressources étriquées, insuffisantes en tout cas, que nous devons faire face à une année pleine de défis. Une année surtout où des millions et des millions de citoyennes et de citoyens de l'Europe veulent le devenir à part entière et comptent pour cela beaucoup sur notre Conseil. Des Européennes et des Européens que nous ne devons pas décevoir. Les lignes essentielles de notre action sont désormais tracées : il faut y aller avec beaucoup de courage, avec beaucoup de conviction, avec beaucoup d'intelligence aussi. Pour cela, on a besoin de l'effort de tout un chacun au sein de notre Institution. Je compte bien sûr maintenir et même renforcer l'entente qui nous unit au Comité des ministres et plus encore au Comité de leurs délégués. Comme je compte sur l'efficacité et le dévouement de nos collaborateurs, les fonctionnaires du Conseil de l'Europe. Et naturellement sur une coopération maintenue avec le secrétaire général et son équipe.

« Pour ce qui est de la philosophie que nous essayons d'insuffler au projet : on doit tenir dans nos efforts visant à la complémentarité, à la coordination des diverses organisations qui constituent la charpente institutionnelle de l'Europe unie que nous essayons de construire. Peut-être un effort encore un peu plus appuyé sera-t-il nécessaire pour accentuer la synchronisation du projet entre les diverses assemblées parlementaires : le Parlement européen, l'Assemblée de l'U.E.O., celle de l'O.S.C.E. et la nôtre bien sûr.

« Pour ce qui est de la coopération paneuropéenne et de l'élargissement du Conseil de l'Europe, il faudra préciser davantage les objectifs et agir dans le but de faire accepter le rôle politique qui nous revient mais que surtout nul autre ne peut assumer ni jouer mieux que le Conseil de l'Europe.

« Les relations avec le monde qui nous entoure - qui entoure principalement le territoire de notre projet - restent importantes : c'est la voix du Conseil de l'Europe qui pourra représenter et interpréter le point de vue de tous les Européens, que ce soit devant les instances mondiales ou devant des partenaires - pays ou ensembles de pays - dans la communauté internationale.

« Il faudra persévérer et redoubler l'efficacité de notre action de suivi parlementaire de l'O.C.D.E. mais aussi de la B.E.R.D. dans un exercice qui finit son rodage et se trouve de plus en plus au point.

« Et puis, il y a l'élargissement qui continue. Je suis d'avis qu'avec la Lettonie un cycle est complété : celui des pays où nulle discussion, nul désaccord n'était possible quant à leur appartenance et quant à leur vocation d'appartenance au projet européen. Au-delà, chaque candidature est compliquée et, cependant, il faut faire face aux difficultés et faire avancer les dossiers. Le conflit de Tchétchénie a mis en évidence des carences graves en Russie et soulevé de graves inconnues autour de ce grand pays : son processus d'adhésion en est perturbé, il ne pourrait pas en être autrement. Toutefois, j'espère que la perturbation ne touchera que le calendrier, pas l'objectif ni la stratégie que nous avions établis. La chance est trop importante, trop historique pour la rater par manque de courage ou de vision, ou même d'imagination. Il serait encore plus grave et plus injuste que le blocage du dossier russe puisse retomber sur d'autres dossiers d'adhésion comme si soudain nous étions frappés de quelque paralysie, aussi temporaire fût-elle. Il faudrait finir l'année au moins à trois ou quatre membres de plus. En tout cas, pour notre part, il faudrait tout mettre en oeuvre, ne rien négliger, n'épargner aucun effort pour qu'il en soit ainsi.

« Et puis, il y a les droits de l'homme.

« Il faut que la nouvelle procédure établie par le Protocole n° 11 avance rapidement : l'inauguration du nouveau Palais devrait y contribuer, une inauguration que nous souhaitons d'ailleurs, Monsieur le Secrétaire général, aussi solennelle et relevée que possible, avec la plus grande présence de notre Assemblée, en juin 1995.

« Et il faut que le monitoring des engagements souscrits par des pays membres se poursuive avec de plus en plus d'efficacité, surtout pour leurs peuples, pour nos concitoyens, mais aussi pour la crédibilité de notre Institution.

« Important aussi que les nouveaux pays membres signent et ratifient ce qui constitue notre "acquis" juridique essentiel, nos conventions essentielles : la torture, la charte sociale, la charte sur l'autonomie locale et régionale...

« Deux grands défis apparaissent devant nous pour ce qui est des droits de l'homme et en ce qui concerne 1995. Il faut, d'une part, que la convention-cadre - le droit des minorités nationales - soit signée et ratifiée par tous les États membres dignes de ce nom. Et il faut que le Protocole additionnel pour les droits culturels et éducatifs des minorités soit prêt au plus tard en automne, pour que nos États puissent commencer à y souscrire, déjà avant la fin de l'année.

« Un mot sur la Turquie : je crois que notre stratégie reste la seule valable. Malgré les lenteurs, les déceptions, il faut garder espoir et continuer à soutenir les démocrates turcs, nos compatriotes turcs, pour que s'instaure la réforme démocratique dans leurs pays et le respect des droits de l'homme dans leur quotidien. Le fait que la presse la plus réactionnaire accuse le Conseil de l'Europe, son Assemblée et le Président de l'Assemblée d'être à la base des réformes démocratiques et constitutionnelles qui sont sur le point d'apparaître ne peut que nous renforcer dans nos convictions et nos choix. Mais il faut vraiment que cela démarre et que cela porte loin, une fois pour toutes.

« Quand nous préparerons nos actions pour 1995, il ne faut pas oublier deux dimensions fondamentales qui rejoignent des valeurs ou des préoccupations prioritaires de notre Conseil.

« Il s'agit, bien sûr, de la campagne liée à l'Année européenne de la protection de la nature à laquelle l'Assemblée devrait être intimement associée.

« Il s'agit également de la Campagne de la jeunesse contre l'intolérance, le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, que nous devons suivre, soutenir, à laquelle nous devons participer, tant au niveau européen que dans chacun de nos pays respectifs.

« L'inauguration du second Centre européen de la jeunesse à Budapest - qui fut au départ, encore une initiative de notre Assemblée - devrait constituer un événement important de l'année en cours, un défi que l'Assemblée devrait relever en vue d'en assurer les ressources et l'appui nécessaire pour en tirer tout le bénéfice qu'il peut donner à notre projet et aux valeurs qui l'identifient.

« Nous n'oublierons pas la guerre, les guerres, les territoires que des armées non voulues occupent sur nos cartes en Europe, à Chypre, en Bosnie, en Croatie, en Moldova ou ailleurs. Et nous nous battrons pour leur retrait et pour que les conflits et les contentieux soient réglés selon les normes du dialogue et du droit. Du respect aussi.

« Je voudrais finir en adressant mes remerciements et en souhaitant bien du bonheur à de nombreux collègues dont les mandats ont touché à leur fin, et qui furent essentiels pour les travaux de notre Assemblée. Je n'ose citer leurs noms, de peur d'en oublier. Les nouveaux ont la tâche de faire aussi bien, de réussir encore mieux.

« Ce sera là le meilleur des hommages rendus à ceux qui ont tenu la barre dans les groupes politiques, dans les commissions, dans les missions les plus compliquées, dans les débats les plus tendus, au fil des ans, pour le meilleur de notre Assemblée et du Conseil de l'Europe.

« Enfin, mes chers collègues, 1995 est aussi une année lourde en souvenirs et en célébrations : voici cinquante ans que la Seconde Guerre mondiale prit fin, même si pour beaucoup d'entre nous, à l'Est et à l'Ouest, la liberté et la démocratie allaient devoir attendre encore longtemps.

« Il faudrait à l'heure qu'il est, et en ce cinquantième anniversaire, que la paix se fasse réalité partout et pour tous dans notre continent. Il faudrait que nous n'oubliions jamais que notre projet est né essentiellement pour étendre des valeurs et rendre impossible à tout jamais que se reproduisent les horreurs vécues par la quasi-totalité de nos peuples voilà à peine un demi-siècle.

« C'est dans la responsabilité et dans le serment de tout mettre en oeuvre à la tête de notre Assemblée pour que soit une réalité de plus en plus solide le never again qui se trouve à la base du Conseil de l'Europe que je vous remercie de m'avoir réélu et vous demande d'observer quelques instants de silence en pensant à Auschwitz et à ceux qui y furent assassinés parce qu'ils étaient juifs, démocrates ou tout simplement différents. À Auschwitz et ailleurs, pour l'Europe d'aujourd'hui et de demain. »

A. - Discours de M. Vaclav KLAUS, Premier ministre de la République tchèque, et question de M. Jean VALLEIX, député (RPR). ( 30 janvier 1995. )

S'adressant à l'Assemblée, M. Vaclav KLAUS, Premier ministre de la République tchèque, déclare que c'est un grand honneur pour lui que de prendre la parole devant l'Assemblée, quelques mois avant que ne débute la présidence tchèque du Comité des ministres. Il sait que les parlementaires rassemblés ont entendu un grand nombre de discours passionnants et qu'il lui sera difficile de les surprendre. Tous les orateurs qui l'ont précédé se sont efforcés de convaincre l'Assemblée de ce qu'était leur vérité.

Il est indéniable que les convergences comme les divergences qui ont été exprimées dans cette enceinte représentent l'Europe d'aujourd'hui dans toute sa diversité, celle-là même qui rend son équilibre très fragile. Mais l'Europe est bien davantage que la somme des pays qui la composent et elle est sous la protection de tous : c'est le devoir de tous les démocrates que de contribuer à la synergie la plus entière possible.

Quelles idées intéressantes peut exposer un Premier ministre tchèque dans une période passionnante de transformations historiques, économiques et sociales ? Il a beaucoup à dire ! En premier lieu, que la République tchèque, après des décennies d'isolement, souhaite à nouveau participer activement aux affaires européennes, comme l'y incite sa situation géographique. Ensuite, que son caractère européen fait obligation à la République tchèque de préserver ce qui lui est particulier puisque c'est précisément ce qu'elle peut offrir à l'Europe, où chacun donne et chacun reçoit : quiconque n'aurait rien à donner n'aurait rien à recevoir, et l'Europe ne serait alors qu'une addition de sommes nulles, ce qui ne pourrait que l'affaiblir.

Le Premier ministre tchèque expose encore que l'expérience des malheurs traversés pendant le régime communiste, définitivement révolu, a rendu les Tchèques particulièrement sensibles à l'exigence de liberté. Il souligne aussi que leur approche de l'Europe est fondée sur l'ouverture aux autres, sur la liberté et, d'une manière générale, sur les échanges volontaires plutôt que sur la contrainte, l'interventionnisme et l'excès de réglementation.

Le Premier ministre poursuit en disant que les Tchèques croient à l'Europe en raison de l'attrait authentique de celle-ci. Il ne s'agit pas de construire des institutions. Il ne s'agit pas d'avoir une Europe forte dans le but de concurrencer les États-Unis et le Japon. Il faut tenir compte de la nécessité de compléter le progrès technique par la créativité.

Il poursuit en disant que depuis la « révolution de velours » la Tchéquie a accumulé des expériences uniques en matière d'évolution vers l'économie de marché. Il estime que les problèmes posés par la transition du communisme à l'économie de marché sont assez similaires à ceux qui sont impliqués par la logique de l'intégration européenne. En effet, les deux processus en question présupposent les mêmes conditions préalables.

Il faut d'abord, déclare M. KLAUS, avoir une vision claire de la liberté, du pluralisme et de l'économie de marché. La liberté est cruciale. Il est très dangereux d'opposer l'idée d'une société « bonne et morale » à une société libre. Au niveau de l'intégration européenne, les notions de base doivent être tout aussi nettes. Il ne faut pas créer d'institutions qui contrôlent tout en imposant des idées préconçues. Les institutions européennes doivent être conçues comme des instruments et non pas comme des objectifs.

Après avoir déclaré qu'à son avis une stratégie crédible doit être fondée sur un équilibre entre le politique, le social et l'économique, il poursuit en estimant que les difficultés qu'ont connues les sociétés postcommunistes ont souvent tenu au manque de carrure des hommes politiques. Il s'estime toutefois heureux du bilan de la République tchèque et espère que celle-ci pourra continuer dans la voie actuelle. De même, l'Europe a besoin d'une vision et d'un stratégie crédibles. Il ne faut pas espérer que le sentiment européen devienne plus fort que les identités nationales, mais se baser sur l'unité dans la diversité. Il ne faut pas croire que l'on pourra réduire facilement les États-nations.

L'intégration européenne ne doit pas être fondée sur des modes idéologiques.

Elle doit se fonder sur des idées incontestées, sur les affinités naturelles des Européens, sur une appartenance à une culture et une histoire communes, sur des intérêts partagés et des proximités géographiques. Il faut défendre l'intérêt général européen sans pour autant négliger ce qui relève du domaine privé ou de l'action publique nationale. M. le Premier ministre ne croit pas à un élargissement des compétences de l'Europe. Biens et services ont leur cadre naturel au niveau de la nation.

Il s'agit là d'un débat que nous aurions dû avoir depuis fort longtemps, dit M. le Premier ministre, mais la République tchèque, qui est entrée dans une phase postérieure à la transition, va compléter sa transformation et constitue dès à présent un partenaire stable, pacifique et démocratique. Malgré les doutes, les interrogations et même les objections, elle veut participer pleinement à l'intégration européenne en devenant membre de l'Union.

Question de M. Jean VALLEIX, député (RPR).

« Monsieur le Premier ministre, je souhaite également vous poser une question de nature économique mais, reprenant Tocqueville, je dirai que pour la liberté et la démocratie les problèmes économiques ne sont pas du tout indifférents.

« Vous avez évoqué l'évolution de la première phase de progrès économique dans votre pays et la zone de libre-échange. Vous n'avez pas parlé de l'axe fluvial, maintenant continu de bout en bout, Rhin-Main-Danube qui, partant de la mer Noire, va jusqu'à la mer du Nord, permettant un trafic fluvial à bon marché, intense et de très bonne rentabilité, quoique un peu handicapé par des problèmes de frontières et le drame slave.

« Monsieur le Premier ministre, cet axe est-il de nature à conforter l'économie de votre République tchèque ? Est-il également de nature à favoriser une cohésion économique et politique de l'Europe centrale ? »

Réponse de M. KLAUS (République tchèque).

Il répond que la création d'infrastructures et de réseaux nouveaux est toujours utile. Il a pu s'en rendre compte par lui-même en Égypte, où l'approvisionnement en électricité et le passage des pipelines font l'objet de projets intercommunaux. Cependant, il regrette de devoir dire que la République tchèque n'a aucune possibilité d'intervention sur le Danube..., mais qu'il lui reste l'Elbe... N'étant pas partie prenante, la République tchèque se contente d'être observateur dans ce cas.

B. - Discours de M. Édouard BALLADUR, Premier ministre du gouvernement français, et question de M. Louis JUNG, sénateur (UC). ( 31 janvier 1995. )

« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, c'est avec grand plaisir que j'ai accepté l'invitation que vous m'avez adressée de venir m'exprimer devant votre Assemblée.

« J'ai conscience que le faire en ce jour où vous accueillez en votre sein un nouveau membre, la Lettonie, revêt un caractère particulièrement symbolique. Je salue le Président Gorbunovs qui représente son pays : avec lui, tous les pays baltes auront désormais intégré le Conseil de l'Europe. Tous ces pays ont réalisé de remarquables efforts dans les domaines économique et politique, ainsi que dans celui des droits de l'homme, pour regagner la famille européenne. Leur place est parmi nous et j'en suis heureux.

« L'occasion m'a été offerte de me rendre au sein de l'une des premières institutions européennes de l'après-guerre, celle-là même qui a aussitôt symbolisé ce à quoi la France attache le plus de prix : la protection des droits de l'homme et de la démocratie. En effet, le 18 août 1948, le Mouvement européen proposait de convoquer une "Assemblée représentative européenne" pour étudier les problèmes constitutionnels, politiques, économiques et sociaux de l'Europe, dont le Congrès de La Haye venait de dresser l'inventaire. C'est de cette toute première proposition que résulte votre Assemblée parlementaire qui a su asseoir sa légitimité et dont les travaux sont de grande qualité. Cela mérite un hommage particulier.

« Je tiens, par dessus tout, à souligner l'oeuvre irremplaçable que le Conseil de l'Europe accomplit notamment en faveur des pays qui s'ouvrent à la démocratie. Je souhaiterais également vous faire part de quelques réflexions sur la place que le Conseil de l'Europe doit tenir parmi les institutions de notre continent et sur la contribution qu'il doit apporter à la stabilité de ce dernier.

« Tout d'abord, la vocation du Conseil de l'Europe.

« Peut-on vivre ensemble dans une société organisée sans partager des valeurs communes ? Je ne connais, pour ma part, aucun type d'organisation internationale qui ait réussi dans la durée sans s'appuyer sur quelques principes incontestés. Il ne me paraîtrait pas plus concevable que l'Europe ne s'inspire pas d'un idéal de liberté et de dignité qui définisse les droits mêmes de l'homme et qui, finalement, sont le fond de ce que la civilisation européenne a apporté au reste du monde. C'est pourquoi, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notre continent a entrepris de se réconcilier et de se réunir autour de ces valeurs que le Conseil de l'Europe a su constamment exprimer, garder et enrichir. C'est ce qui est votre vocation.

« Malgré le dynamisme de la construction communautaire européenne, vous avez préservé votre rôle parce que, depuis votre création, aucune autre institution ne pouvait le remplir. La Convention européenne des droits de l'homme a été pour vous le point de départ d'un travail considérable de codification qui a permis d'en élargir la portée et donc d'améliorer sans cesse la protection de la dignité humaine en Europe. Il s'agit, notamment, de la Charte sociale européenne. Aucune autre institution ne prévoit de dispositions aussi généreuses. Il s'agit de la convention sur la protection des données personnelles informatisées, de la convention sur la torture et les traitements inhumains ou dégradants, ou encore de la convention sur la bioéthique que vos contributions permettront de parachever bientôt.

« Ces textes n'ont pas d'équivalents sur les autres continents. À ce titre, ils fondent plus qu'une identité européenne : ils sont les dépositaires et la source d'un humanisme universel. C'est en cela que le Conseil de l'Europe est irremplaçable. Si l'Europe est devenue une référence en matière de protection des droits de l'homme, c'est au Conseil de l'Europe qu'elle le doit en grande partie. Il ne s'agit pas seulement de s'accorder sur quelques grands principes, mais de les faire entrer dans la réalité quotidienne.

« Le mécanisme de protection des droits individuels de la Convention européenne des droits de l'homme est exemplaire. Non seulement il fixe une norme internationale particulièrement exigeante, mais il donne aussi à chaque citoyen la possibilité de saisir les instances responsables de son application. Victimes du succès de cette procédure, la Cour et la commission européennes des droits de l'homme sont menacées d'engorgement. C'est pourquoi le Sommet de Vienne a décidé de fusionner ces organes, en instaurant une Cour permanente, et de rendre obligatoire l'acceptation, par les États, du droit de recours individuel.

« Au moment où l'on cherche à rapprocher l'Europe des citoyens et à faire percevoir à chaque citoyen le profit qu'il peut individuellement tirer de la construction européenne, les procédures que vous avez instituées montrent l'exemple.

« Quel autre continent peut s'enorgueillir de donner aux individus le droit de saisir une instance supranationale pour se prémunir des excès de pouvoir des États ? En 1994, la commission européenne des droits de l'homme a ainsi enregistré plus de deux nulle requêtes.

« Mais le Conseil de l'Europe n'a pas limité son rôle aux droits de l'homme au sens traditionnel du terme. Il a étendu son action à tout ce qui contribue à la dignité de l'homme et au respect de son environnement.

« Dans cet éveil d'une prise de conscience proprement européenne, on doit au Conseil de l'Europe les premiers efforts organisés de la société pour préserver la nature.

« De même, votre Conseil a mesuré l'importance de la culture dans la définition d'une identité européenne. Nos amis de l'Europe de l'Est, y compris la Russie, qui tous ont souscrit à la Convention culturelle européenne de votre Conseil, savent les bénéfices qu'ils peuvent tirer de la mise en oeuvre du "fonds culturel" du Conseil de l'Europe, de la convention sur la protection du patrimoine, de l'accord partiel créant Eurimages, qui est le seul fonds international d'aide à la production et à la diffusion des oeuvres cinématographiques européennes. En matière d'"exception culturelle européenne", concept qui, vous le savez, est cher à la France, et je l'espère, à bien d'autres en Europe, le Conseil de l'Europe a été un précurseur.

« Sans vouloir être exhaustif, je souhaite également mentionner l'action du Conseil de l'Europe dans la lutte contre le trafic et l'usage de stupéfiants, dans le combat contre l'intolérance et le racisme. Je citerai, enfin, le "Plan d'action" de 1983, la lutte contre le sida et, dès le 18 juin 1983, la Recommandation, exemplaire, sur la prévention de la transmission possible du virus aux receveurs de sang et de produits sanguins...

« Ce faisant, l'action du Conseil de l'Europe rejoint, ou parfois précède, l'action de l'Union européenne ou de l'O.S.C.E. Mais nous ne devons pas penser en termes de compétition ou de concurrence entre les organisations. Il est naturel que les activités de ces organisations européennes se rejoignent pour leur bien commun même s'il leur arrive parfois de s'enchevêtrer quelque peu. En matière de droits de l'homme, de protection du citoyen vis-à-vis de l'État ou de définition de l'identité culturelle de notre continent, le Conseil de l'Europe a souvent montré la voie. Plutôt que de prendre ombrage de ce que son exemple soit suivi, il doit - permettez-moi de le recommander - se féliciter d'avoir incité à tant de mises en oeuvres concrètes de principes ou de projets qu'il a été le premier à formuler.

« Quelle doit être la place du Conseil de l'Europe sur notre continent ?

« Un grand effort vers une meilleure organisation de l'Europe a été engagé pour tenir compte des profonds changements intervenus depuis 1989.

« Le Conseil de l'Europe y participe pleinement et sa spécificité réside dans le fait que ses frontières ont vocation à s'étendre jusqu'à l'horizon de la démocratie sur notre continent. Dès lors que reculait en Europe Tordre communiste, le Conseil de l'Europe devait s'élargir aux nouvelles démocraties. Puisque vous venez de donner un avis favorable à l'adhésion de la Lettonie, le Conseil de l'Europe compte aujourd'hui trente-quatre membres. Il en comptait vingt-trois en 1989. Il y a six ans à peine.

« Au fur et à mesure que la démocratie progresse sur notre continent, le Conseil de l'Europe a vocation à s'étendre à l'ensemble des pays européens, ce qui deviendra à terme un atout particulier : car les institutions européennes - telles l'Union européenne et l'U.E.O. - qui ont un projet politique très ambitieux et sont engagées dans un processus d'élargissement ne sont pas quant à elles destinées à s'étendre à toute l'Europe. Chacun voit bien que la Russie et la C.E.I. ont leur projet propre, d'une nature différente. L'O.S.C.E., pour sa part, n'est pas dans la même situation puisqu'elle s'étend à l'est jusqu'à Vladivostok, mais aussi à l'ouest jusqu'à Vancouver.

« Le Conseil de l'Europe sera ainsi la seule organisation purement européenne, intégrant tous les pays européens. Certes, ce n'est pas un mérite particulier d'exclure par principe tel ou tel pays, a fortiori , lorsqu'il s'agit d'un allié ou d'un ami. D'autres organisations telles que l'O.T.A.N., l'O.S.C.E. ou l'O.C.D.E. sont autant d'enceintes où nous pouvons développer la coopération avec nos partenaires d'outre-Atlantique. Cependant, il est précieux de disposer d'une enceinte où les Européens se retrouvent entre eux, ensemble, pour partager les valeurs communes de leur histoire et de leur culture. Il est important que cette organisation soit spécialement vouée à la protection des droits de l'homme car c'est bien là la contribution essentielle de l'Europe à l'histoire du monde.

« Malheureusement, la perspective d'un élargissement du Conseil de l'Europe jusqu'à la frontière des républiques européennes et caucasiennes de la Communauté des États indépendants n'est malheureusement pas encore claire.

« La Fédération de Russie connaît une situation difficile. Nous comprenons qu'elle veuille préserver son intégrité territoriale. C'est un principe essentiel à la stabilité de notre continent. Nous sommes également bien conscients que la responsabilité de l'ordre public en Tchétchénie incombe au gouvernement de la Fédération de Russie.

« Mais la mise en oeuvre de ces principes ne doit pas se faire au détriment des droits de l'homme et du droit humanitaire international. La violence des combats et des destructions, le nombre élevé de victimes et des souffrances subies par les populations civiles suscitent dans tous nos pays de graves inquiétudes. Nul ne peut l'ignorer et j'ai moi-même, au nom de l'Union européenne et de la France qui la préside, fait part de notre préoccupation au Premier ministre de Russie. À ma démarche était associée celle du Premier ministre de Hongrie, qui préside l'O.S.C.E. pendant cette période.

« Cette préoccupation trouve à s'exprimer ici plus qu'ailleurs, ici où l'exigence morale du respect de la personne humaine se transforme en obligation juridique. Le Conseil de l'Europe ne doit montrer aucune complaisance à l'égard des violations des droits de l'homme auxquelles ont conduit récemment les affrontements en Tchétchénie, si contraires au code de conduite de l'O.S.C.E. auquel la Russie a souscrit.

« Votre Assemblée a la légitimité et la compétence requises pour se montrer exigeante. Dans la mesure où un pays aurait clairement montré la volonté de se réformer et aurait, à cette fin, présenté des plans assortis d'un calendrier, le Conseil de l'Europe devrait mobiliser ses efforts pour que ces plans soient mis en oeuvre.

« Je souhaite, pour ma part, qu'entourée conjointement de l'Union européenne, de l'OSCE et, bien entendu, du Conseil de l'Europe, la Russie poursuive dans la voie de la réforme démocratique dans laquelle elle s'est engagée depuis quelques années.

« Ce pays, que sa culture et son histoire rattachent à notre Europe, vit une période éprouvante de transition politique et économique. Souhaitons que la Russie puisse rapidement trouver la place qui lui revient au sein du Conseil de l'Europe, et d'abord qu'elle fasse elle-même ce qu'il faut pour la trouver.

« Nous pouvons le souhaiter pour ce grand pays, car nous connaissons l'effort de tous ceux qui, à Saint-Pétersbourg, à Moscou et dans l'ensemble de son territoire, se sont totalement investis dans l'élan de la réforme démocratique.

« Nous pouvons le souhaiter pour le Conseil lui-même, car il est clair que son évolution et son expression resteraient inachevées si elles devaient s'arrêter aux frontières de la Russie.

« Ce serait une forme d'échec pour l'idéal de la démocratie qui nous anime. Ce serait aussi un échec pour l'identité européenne, l'identité paneuropéenne qui, de l'Atlantique aux frontières de la Russie, devrait trouver dans cette enceinte le lieu privilégié de son expression.

« Quelle doit être la contribution du Conseil de l'Europe à la stabilité sur notre continent ?

« Fort de ces élargissements, le Conseil de l'Europe doit, à mes yeux, jouer un rôle important dans le renforcement de la stabilité en Europe. Les chefs d'État et de gouvernement réunis à Vienne en octobre 1993 ont salué cette responsabilité de votre institution.

« Agir en faveur de la stabilité, c'est, bien entendu, traiter la crise ouverte qui a éclaté dans l'ex-Yougoslavie ; tous nos gouvernements ne cessent de s'y employer. Mais la difficulté de cette tâche montre combien il est important de prévenir de telles situations. C'est pourquoi j'ai souhaité que nos pays aient le courage et la maturité de poser les vraies questions et, dans un climat de confiance, de favoriser le règlement des principaux problèmes de minorités et de frontières des candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Ces difficultés, qui sont un héritage d'une histoire parfois fort complexe, divisent certains d'entre eux et doivent trouver une solution par des accords de bon voisinage.

« L'Union européenne a décidé de faire du projet de Conférence sur le Pacte de stabilité que j'avais lancé une de ses actions communes. Elle a mesuré tout l'intérêt du Conseil de l'Europe pour faire progresser cette démarche.

« Dans la conférence d'ouverture, qui s'est tenue au mois de mai dernier à Paris, les pays participants se sont référés aux textes du Conseil de l'Europe et aux mesures de confiance qu'il a mises en oeuvre et qui constituent des points de référence nécessaires pour tous ceux qui aspirent à la stabilité durable de notre continent.

« Nous avons pu compter sur la coopération du Conseil de l'Europe et de ses experts dont l'expérience est souvent inégalée dans les domaines des minorités et de l'État de droit qui sont au coeur du projet de Pacte de stabilité.

« Mais la contribution du Conseil de l'Europe peut aller au-delà des moyens politiques et juridiques. Le Fonds de développement social du Conseil de l'Europe, créé en 1956 pour financer l'accueil des réfugiés, peut donner là une nouvelle dimension à sa vocation.

« Accordant, chaque année, près d'un milliard d'ECU de prêt, le Fonds est devenu une véritable organisation financière multilatérale qui, dans le respect de ses objectifs, pourrait jouer un rôle dans le financement de projet de bon voisinage aux côtés des mécanismes Phare de l'Union européenne ou des interventions de la B.E.I.

« La réforme du Fonds, qui a été engagée en 1991, et l'assainissement de ses procédures réalisé depuis devraient lui permettre de jouer un rôle significatif dans un effort qui, conformément à sa mission originelle, vise à assurer la paix et la stabilité par une action concrète, répondant aux besoins directs des États et de leurs citoyens.

« Par l'importance des normes qu'il a édictées, par les mécanismes d'application qu'il a mis en oeuvre, par le dialogue politique qu'il peut promouvoir, par les ressources financières qu'il peut mobiliser par tous ces moyens, le Conseil de l'Europe pourra jouer un rôle important, favoriser la conclusion du Pacte de stabilité et contribuer à son suivi dans les prochaines années.

« La conférence de clôture du Pacte doit se tenir à Paris le 21 mars 1995. Des tables de négociations régionales sont régulièrement tenues et ont beaucoup progressé. Un effort important a été entrepris par de nombreux pays d'Europe centrale et orientale pour conclure des accords de bon voisinage. Certains sont encore en suspens. Sans aucune volonté d'ingérence dans les affaires intérieures des États, dans un domaine qui relève de leur souveraineté, je formule le voeu qu'une nouvelle impulsion soit donnée à ces négociations afin qu'elles puissent être conclues dans la conférence de clôture. Je lance un appel à ces pays en leur disant : "Quel meilleur signal de votre volonté de paix et de stabilité pourriez-vous adresser à la communauté internationale que la conclusion d'accords de bon voisinage avec vos voisins et quel meilleur signe que vous êtes prêts à entrer dans l'Union européenne ? ". Pour ma part, je ne doute pas de leur détermination à agir en ce sens.

« Je voudrais aussi regarder plus loin et imaginer que demain, dans l'ex-Yougoslavie, des peuples aujourd'hui encore déchirés choisiront à nouveau de vivre en paix. Je suis convaincu qu'il faudra alors lancer avec eux et avec le soutien de l'Union européenne et le vôtre un nouveau volet du Pacte de stabilité. Ces pays devront être réunis autour de tables de négociations et s'appuyer sur les principes dont vous êtes les gardiens pour définir ensemble les règles de bon voisinage dans cette région tellement complexe.

« Mesdames, Messieurs les parlementaires, vous me permettrez de conclure, en quelques mots, sur l'organisation de notre continent.

« J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ma conception de notre Europe future. L'Union européenne devra constituer à mes yeux le socle de la construction européenne. Il s'agit du lieu où l'idée européenne s'exprime dans toutes ses dimensions, où elle se transforme en une force au profit de tous ses États membres. L'Union européenne devra dans les prochaines années relever trois défis majeurs : tout d'abord, réussir sa réforme interne, ensuite réussir son élargissement, et enfin affirmer sa place politique sur la scène internationale. C'est en relevant les deux premiers défis de manière satisfaisante qu'elle pourra atteindre son objectif politique.

« Ce renforcement de l'Union européenne ne doit pas empêcher ceux qui souhaitent et qui peuvent faire davantage d'aller de l'avant, en demeurant accueillants aux autres au sein de cercles plus restreints. Il est, d'ores et déjà, possible d'imaginer quelques domaines dans lesquels une telle coopération renforcée pourrait se développer ; chacun pense à la monnaie et à la défense.

« La place de l'individu en Europe sera également l'une des questions essentielles qui se posera aux gouvernements dans les prochaines années. Comment le citoyen de nos pays perçoit-il la démarche européenne ? S'agit-il pour lui d'une contrainte ou d'un atout et d'un espoir ? Y trouve-t-il le reflet de ses ambitions ou une image lointaine et étrangère à ses préoccupations directes ?

« Je souhaite pour ma part que chaque Français voie dans la construction européenne un atout et une ambition pour une vie meilleure. Les pays de l'Union européenne devront faire preuve de volonté et d'imagination pour satisfaire cette exigence.

« Le Conseil de l'Europe apporte également une contribution importante en ce domaine, en donnant - et il est seul à pouvoir le faire aussi bien - un sens concret à la notion de citoyen européen, en donnant à chacun le droit, sans précédent, de traduire son État devant une cour de justice européenne, lorsque ses droits fondamentaux sont bafoués.

« L'histoire des dernières années et les bouleversements heureux de notre continent, qui a connu le recul du totalitarisme sur son sol, a tracé un cercle plus large que l'Union européenne, celui qui définit l'espace de la démocratie en Europe. Il importe de garder à ce cercle toute sa signification et toute sa force. Il trouve ici, chez vous à Strasbourg, Mesdames, Messieurs les parlementaires, sa traduction institutionnelle au sein du Conseil de l'Europe.

« L'expression de "sécurité démocratique" retenue par le Sommet du Conseil de l'Europe en octobre 1993 illustre, mieux que toute autre, l'ambition qui nous réunit ici. Il s'agit bien de concevoir la démocratie et les droits de l'homme, non seulement comme un principe de fonctionnement interne des États, mais comme la meilleure garantie de la paix dans le monde. L'histoire nous enseigne que les démocraties, celles qui méritent réellement de porter ce titre, ne se font pas la guerre entre elles, même lorsque leurs intérêts divergent. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe, son Assemblée parlementaire comme ses instances intergouvernementales ou son secrétariat général permettent d'affermir la paix sur notre continent. Leur rôle est irremplaçable et je tiens à les en remercier. Je tiens aussi, Mesdames, Messieurs, à vous en remercier. »

À une question sur le Pacte de stabilité, M. Édouard BALLADUR a répondu ceci :

« S'agissant du point sur la situation et des travaux en cours, d'abord, les deux tables de négociations, États baltes et Europe centrale, sont désormais bien constituées et poursuivent leurs travaux. L'Union européenne a mis en place un programme de coopération transfrontalière. La conférence de clôture sera constituée d'une déclaration politique rappelant les principes fondamentaux de la stabilité en Europe - le texte se négocie actuellement - et d'une liste des accords de bon voisinage conclus entre les États participants.

« Les discussions entre la Russie et les États baltes évoluent d'une façon qui paraît satisfaisante. Entre la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie, des négociations sont nouées, ce qui est en soi déjà un progrès par rapport à l'époque antérieure. Elles se poursuivent. J'observe que les principaux problèmes concernant le respect des droits des minorités et l'inviolabilité des frontières devraient trouver une solution sur la base des textes du Conseil de l'Europe.

« Comment les minorités contribueront-elles à la stabilité en Europe ?

« L'objectif du Pacte de stabilité est justement que les minorités ne contribuent pas à l'instabilité en Europe ! C'est pour garantir à chacun les droits légitimes qui sont les siens que le Pacte est fondé sur l'idée que chacun doit apporter dans la corbeille les accords qu'il a pu passer.

« Comme toujours lorsqu'il s'agit d'affaires politiques ou d'affaires humaines, nous sommes toujours entre deux écueils : ne pas respecter les droits d'une minorité d'une part, ce qui représente un échec de la démocratie et des droits de l'homme, avoir une conception "allant trop loin des droits des minorités" et qui démantèlerait les États et les unités nationales.

« Je pense que tout ne peut pas être résolu dans le Pacte. Celui-ci pose un certain nombre de principes par référence aux textes du Conseil de l'Europe mais, dans la mesure où il repose sur le respect des frontières - et c'est l'un des deux objectifs -, il va de soi que l'action des minorités ne peut pas avoir pour effet de remettre en cause la stabilité des frontières.

« Il faut donc considérer l'exercice du Pacte de stabilité avec ces deux objectifs : stabilité des frontières et respect des minorités, l'un s'emboîtant dans l'autre et donnant une partie de son sens à l'autre. Il ne pourrait pas y avoir de stabilité des frontières dans la négation totale ou même partielle des droits des minorités, cela va de soi, mais il ne pourrait pas non plus y avoir un respect assuré des droits des minorités dans une Europe qui serait instable. Il n'y a donc pas de réponse a priori sur le plan juridique à la question posée. Le Pacte fournit les bases nécessaires et il s'agira ensuite d'un problème d'application. »

À une question portant sur le calendrier de la procédure d'adhésion des pays d'Europe centrale, de Chypre et de Malte et les projets de la France quant aux modifications institutionnelles rendues nécessaires par l'élargissement, M. Édouard BALLADUR a apporté la réponse suivante :

« En l'état actuel des choses, je pense qu'on ne peut pas s'enfermer dans un calendrier précis. La première chose que nous ayons à faire, nous Français, sous la présidence française, est d'élaborer une liste des questions qui vont être soumises à la conférence intergouvernementale et d'avoir une idée quant à nos propres réponses. Bien entendu, nous ne pouvons pas, nous Français, avoir la prétention de faire adopter nos réponses dans les mois qui viennent sur des sujets ô combien compliqués ! Ce qui est de notre responsabilité, c'est de préparer cette conférence par l'élaboration d'un questionnaire.

« En second lieu, en ce qui concerne l'élargissement, notre position est claire. Nous sommes favorables à celui-ci, mais il faut bien considérer que l'élargissement opéré jusqu'à présent a eu pour conséquence de rendre assez lourde et complexe l'application du traité et des mécanismes institutionnels prévus par celui-ci. Il faut donc que la conférence intergouvernementale permette l'adaptation de ces mécanismes institutionnels avant que de nouveaux élargissements ne soient rendus possibles.

« J'observe d'ailleurs également qu'une réflexion devra être engagée sur la question de savoir si l'Europe encore élargie aura les mêmes politiques - économique, commerciale, agricole ou autre - qu'une Europe avec un nombre de membres plus limité. C'est une question qui se pose à tous les pays, et pas uniquement aux pays d'Europe de l'Ouest, supposés être plus riches que les autres. Il faut bien voir qu'il n'existe pas de solution simple ni aux problèmes agricoles ni aux problèmes commerciaux.

« Dernière observation : la suggestion que j'ai faite de ne pas avoir à l'esprit de conception trop rigide et de voir l'Europe évoluer progressivement avec un système de cercles concentriques permet de résoudre une bonne partie des problèmes des candidats à l'élargissement. D'ailleurs, l'Europe a d'ores et déjà signé des accords avec ces candidats, notamment en matière commerciale, pour préparer leur adhésion future. Cela nous montre la voie. »

Enfin, M. Louis JUNG, sénateur (UC), a posé la question suivante :

« Monsieur le Premier ministre, je voudrais d'abord, au nom de mes collègues du Parti populaire européen et en mon nom personnel, vous dire notre satisfaction - en vous remerciant - devant votre présence aujourd'hui à Strasbourg. Ici, nous savons que la paix sur le Rhin est la chance de la France.

« Vous venez de nous décrire le rôle du Conseil de l'Europe dans l'ensemble de la construction européenne. Pourriez-vous nous dire si vous partagez notre analyse selon laquelle, à terme, il faudrait une articulation institutionnelle entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe afin de parvenir à une rationalisation et à une coordination effective ? »

M. Édouard BALLADUR a répondu à M. Louis JUNG en ces termes :

« Comme je le disais tout à l'heure, la question de savoir comment organiser l'Europe et mettre un peu d'ordre et de clarté dans ce foisonnement d'institutions politiques, économiques, militaires, diplomatiques, commerciales et culturelles est désormais posée. Un grand nombre de pays européens font partie de tout - ils sont à la fois dans l'Union européenne, au Conseil de l'Europe, à l'U.E.O., dans l'Alliance atlantique, à l'O.S.C.E. Mais ce n'est pas le cas de tous les pays.

« La France souhaite contribuer, je crois pouvoir le dire, à mieux organiser la complémentarité entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. C'est pourquoi, au titre de la présidence de l'Union européenne, nous ferons en sorte que la coordination soit renforcée. Une réunion quadripartite se tiendra à nouveau entre le secrétaire général du Conseil de l'Europe, le Président de la commission européenne, le Président du Conseil des ministres du Conseil de l'Europe et le Président du Conseil de l'Union européenne. Il y a de nombreuses années que cette réunion ne s'est pas tenue. Nous ferons en sorte qu'elle puisse avoir lieu sous la présidence française.

« Faut-il aller plus loin et poser en principe, comme une sorte de règle juridique, qu'elle doit se tenir, par exemple, une ou deux fois par an ? On peut en discuter. En ce qui nous concerne, nous sommes tout à fait prêts à en discuter.

« J'ajoute qu'il me paraîtrait utile que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne développent le plus possible des actions communes sur le continent européen. Je l'ai dit, le Pacte de stabilité, qui est désormais une initiative de l'Union européenne, s'inspire des principes et des méthodes mis en place par le Conseil de l'Europe.

« La mise en oeuvre du Pacte de stabilité supposera une aide économique aux pays qui y souscriront, aide économique dans laquelle le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle important.

« Je crois qu'ainsi il nous faut préparer l'avenir, car nous n'arriverons jamais, j'en suis certain, à une homogénéité complète, les pays européens n'étant pas nécessairement tous dans toutes les organisations européennes - car si c'était le cas, il ne resterait plus qu'à fusionner toutes les organisations européennes ! Je crois que nous n'y parviendrons pas, en tous cas dans un avenir prévisible. Donc, notre effort, dans les années qui viennent, doit tendre à renforcer la coopération, entre, notamment, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. »

C. - Discours de M. Mario SOARES, Président de la République portugaise. ( 1 er février 1995. )

« Monsieur le Président, Messieurs les parlementaires, c'est pour moi un grand honneur de pouvoir aujourd'hui, au nom du Portugal, adresser la parole à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur l'invitation de son illustre président et mon cher ami, Miguel Angel Martínez.

« De vieux souvenirs qui ont trait à l'histoire récente de mon pays et à mon propre parcours politique me rattachent au Conseil de l'Europe. J'eus mon premier contact direct avec le Conseil en avril 1970, sur l'invitation du groupe socialiste dirigé par le regretté président Czernetz, lorsque le Portugal vivait encore sous la dictature. J'ai eu alors l'occasion d'informer le groupe et ensuite d'assister, en tant que résistant antifasciste et exilé, au débat sur la situation portugaise et les atteintes aux droits de l'homme pratiquées au Portugal et dans les colonies d'alors. Cette participation au Conseil de l'Europe a entraîné l'organisation, par la dictature, d'un procès criminel qui demandait contre moi une peine de deux à cinq ans de prison ferme.

« Environ quatre ans plus tard - après la Révolution des oeillets, en septembre 1974, en ma qualité de ministre des Affaires étrangères du premier gouvernement provisoire -, j'ai pu m'adresser à l'Assemblée parlementaire de ce Conseil pour demander la concession immédiat au Portugal du statut d'observateur, premier pas vers une adhésion de plein droit qui ne se matérialisera qu'en 1976.

« Lors de cette séance, qui s'est tenue le 28 septembre 1974, Pendant le débat qui suivit mon intervention, je me souviens qu'un député m'a interpellé et demandé si j'étais encore ministre au moment précis où j'usais de la parole.

« En effet, ce jour-là, à Lisbonne, se déroulait la première crise sérieuse de la révolution, qui mettait en cause son cours démocratique et ouvrait une période politique particulièrement troublée, dont l'épilogue ne surviendrait qu'avec la votation de la Constitution de la République, le 2 avril 1976.

« J'ai à nouveau usé de la parole au Conseil de l'Europe en avril 1977, alors déjà en pleine normalité constitutionnelle, comme Premier ministre de mon pays.

« Les circonstances dans lesquelles je m'adresse aujourd'hui à cette illustre Assemblée sont heureusement bien plus agréables pour le Portugal. Au cours des vingt dernières années, les Portugais ont conclu un processus de décolonisation difficile et traumatisant, construit un État démocratique de droit, qui fonctionne avec régularité, et initié une nouvelle phase de leurs relations avec l'Europe et avec le monde par leur adhésion de plein droit à la Communauté européenne, aujourd'hui Union européenne.

« Les problèmes et les vicissitudes qu'il nous a fallu supporter sont bien connus, ainsi que les crises graves qu'il nous a fallu surmonter tant au niveau politique que sur les plans économico-financier et social. Face à de si nombreux représentants d'États qui ont récemment débuté leur parcours démocratique, avec les difficultés et les contradictions qui lui sont inhérents, il me semble opportun de rappeler ici les contingences de la voie portugaise et le rôle irremplaçable que des institutions comme le Conseil de l'Europe ont joué dans la préparation du nouveau cadre d'insertion internationale de mon pays, et, en particulier, dans son processus d'intégration européenne.

« Je suis bien placé pour comprendre ce qu'attendent de nous aujourd'hui les pays qui vivent le complexe ajustement du post communisme, et j'ai la conscience précise de la contribution qui est exigée de nous, en tant qu'Européens, pour la définition d'un cadre politique réaliste - mais d'ouverture et d'effective solidarité - qui leur permette de retrouver leur place dans une Europe qui n'est plus réglée par la logique des blocs et par l'équilibre de la terreur, constamment au bord de l'abîme.

« On serait amené à dire, dans une première approche simpliste, que la chute du mur de Berlin en 1989 - et le changement profond qu'il a symbolisé et stimulé dans l'ordre politique mondial - rendrait plus aisé le processus d'intégration paneuropéenne. Or, nous savons maintenant qu'il n'en est rien.

« En premier lieu, parce que la disparition de la logique des blocs n'a malheureusement pas éliminé les prétentions des grandes puissances - et de leurs intérêts - sur l'administration de leurs espaces d'influence et de leur pouvoir relatif.

« En deuxième lieu, parce que la nécessaire restructuration d'institutions multilatérales, qui comptent des dizaines d'années d'histoire et ont une intervention simultanée, directe ou indirecte, sur les plans politique, économique et de sécurité, a été lente, soulevant des problèmes délicats, surtout à un moment tel que celui-ci, où certains États dotés de responsabilités accrues sont confrontés, intérieurement, à des défis de grande complexité.

« En troisième lieu, parce que l'engagement dans le processus de réforme de pays aux situations très diverses, en matière d'histoire récente, de rythme de changement et d'ampleur de leurs ressources et ambitions, empêche dès le départ la définition de solutions uniformes.

« Comme d'autres chefs d'États et de gouvernement l'ont déjà affirmé devant cette Assemblée, je pense que nous avons un besoin urgent d'idées claires et d'un projet concret pour la restructuration de l'Europe. Qui ne passe pas forcément par la création de nouveaux espaces d'organisation multilatérale : il y en a déjà trop. L'Union européenne, l'O.T.A.N., le Conseil de l'Europe, l'O.S.C.E., et l'U.E.O. - voire, sur un plan plus vaste, l'O.C.D.E. elle-même - nous confèrent un encadrement institutionnel suffisamment riche, parfois même superposé, pour que nous puissions répondre aux attentes de solidarité et d'intégration des nouveaux pays démocratiques, sans pour autant mettre en cause la stabilité et l'efficacité de ces organisations.

« Il est aujourd'hui manifeste que l'Union européenne ou l'O.T.A.N. ne peuvent ignorer, dans leur développement futur, les nouvelles réalités de l'Europe centrale et orientale. Mais il est également clair qu'il ne sera guère aisé de fixer les conditions d'intégration dans ces espaces de maints États potentiellement candidats soit par l'exigence des conditions d'entrée, soit par l'inhérent et difficile processus de restructuration interne. Le réalisme nous conseille donc une politique de rapprochements progressifs, de pas éventuellement limités mais sûrs, insistants et continus. Ce qui implique, à mon avis, le développement de deux lignes simultanées d'action :

- d'une part, le renforcement des mécanismes de coopération entre ces États et l'Union européenne, sur les plans politique et économique, au travers des schémas d'associations déjà existants ou d'autres dont la création se justifierait ;

- d'autre part, l'approfondissement de l'intégration et des fonctions des institutions de concertation multilatérale élargie, telles que le Conseil de l'Europe et l'O.S.C.E., en tirant parti de leur plus grande flexibilité institutionnelle pour consolider différents cercles d'intégration - non nécessairement concentriques - et lancer de nouvelles initiatives qui n'excluraient personne.

« Organiser l'Europe implique, dans ma perspective, d'envisager globalement la réforme de chacune de ses institutions, en articulant leurs fonctions et en créant des opportunités de coopération mutuelle. Je considère cette coopération comme un facteur important du processus de la construction européenne, particulièrement en ce qui concerne une préoccupation essentielle qui, j'en suis certain, occupe vos esprits : définir et organiser une nouvelle politique de sécurité susceptible d'engager le continent tout entier, bien qu'en respectant les engagements de chaque État.

« Monsieur le Président, Messieurs les parlementaires, le Conseil de l'Europe est la plus ancienne institution politique multilatérale de matérialisation du processus de reconstruction de l'Europe dans l'après-guerre. Il dispose d'un patrimoine véritablement unique en matière de défense de la liberté, de droit à la différence, de tolérance et de dialogue. C'est l'institution qui représente, plus que toute autre, ce que nous pourrions appeler "l'Europe des principes et des valeurs", si bien exprimée dans la charte fondatrice de la Convention européenne des droits de l'homme.

« Je crois fermement à ces principes et à ces valeurs, qui ont toujours inspiré l'action du Conseil de l'Europe : liberté, droits de l'homme, empire de la loi ; et à leurs corollaires : démocratie, solidarité, tolérance, lutte contre l'exclusion et protection des minorités. J'aimerais, dans ce sens, vous exprimer ma satisfaction de pouvoir assister, dans quelques instants, à la cérémonie de signature de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, qui définit un vaste ensemble d'engagements assumés par les États en la matière. Cette convention est d'autant plus importante qu'en Europe ressurgissent des conflits et des signes d'intolérance que nous croyions dépassés. La contribution du Conseil de l'Europe est, dans ce domaine, irremplaçable, et l'adoption de cet instrument constitue un pas important pour le renforcement de la stabilité si nécessaire à notre continent.

« Je me suis toujours prononcé contre les pièges d'une illusion technocratique qui prétend garder le généreux projet européen à l'intérieur des limites d'un économisme étroit. C'est pourquoi j'insiste sur la destinée irremplaçable qui est celle qui doit incomber au Conseil de l'Europe, dans la construction d'une grande Europe unie, profitant d'un cadre institutionnel qui accueille la diversité - culturelle, géographique et politique -, qui respecte l'égalité des États et qui a développé une vocation particulière pour la concertation de quelques grandes questions de notre temps, y compris celle de la défense du patrimoine culturel et de l'environnement, de la sécurité sociale et de la bioéthique, pour ne citer que quelques exemples, parfois peu valorisées dans d'autres aréopages.

« Nous ne devons cependant pas répondre à un projet encore quelque peu illusoire par la création d'autres illusions. Pour exercer cette fonction, qui s'inscrit dans sa nature et dans son objectif, le Conseil de l'Europe a besoin de l'engagement de ses États membres pour obtenir l'énergie et la capacité opérationnelle requises pour cette fonction qui vise à développer de nouvelles initiatives d'intégration et des formes pratiques, concrètes, d'articulation entre les différentes institutions de coopération européenne.

« Ce qui veut dire, très simplement, qu'il faut nous mettre d'accord quant à la vision politique de la construction européenne ; qu'il faut savoir quel est le cadre et quelles sont les fonctions de chacune des organisations qui la constituent ; quelles sont les limites et la composition des fameux cercles d'intégration que nous invoquons tous aujourd'hui, mais qui comportent d'énormes différences et imprécisions ; quelles sont les formes d'articulation entre les pouvoirs nationaux et supranationaux ; quels sont les mécanismes d'expression de la citoyenneté et du contrôle démocratique des institutions ; et, enfin, quelles sont les limites imposées par la géographie européenne et les termes de leurs rapports avec l'extérieur, sans oublier le cas particulier de la Russie, face à laquelle l'Europe doit essayer de se définir clairement ?

« 11 serait certainement utile - comme tant de voix responsables l'ont défendu que - l'Europe puisse se faire avec la Russie. Et son adhésion à ce Conseil pourrait constituer, justement, un premier pas très significatif dans le sens de cet objectif. Mais toute éventuelle adhésion de la Russie devra se faire dans le respect intégral des principes et des valeurs qui représentent précisément, comme nous l'avons vu, le patrimoine nucléaire du Conseil de l'Europe et les fondements essentiels de son action. Dans cette perspective, c'est à la Russie et non au Conseil qu'il incombe de créer les conditions d'une future intégration ; c'est la Russie et non le Conseil qui peut, en bonne vérité, faciliter ou empêcher l'accomplissement de ce propos fondamental, par une pratique politique qui confirme en termes crédibles son engagement vis-à-vis des valeurs de la paix et des principes démocratiques de cette organisation.

« Monsieur le Président, Messieurs les parlementaires, il est impossible de réfléchir à l'avenir de l'Europe sans nous référer à la situation et aux problèmes de l'Union européenne, qui constitue le noyau central du processus d'intégration dans le continent. Malgré la renonciation de la Norvège - qui confirme simultanément les fondements démocratiques de l'Union et la nécessité d'un débat profond sur sa nature -, la conclusion du premier élargissement après la ratification du Traité de Maastricht doit être considérée comme un succès politique et un signe de vitalité.

« Ainsi se termine, positivement, un cycle particulièrement riche de la vie communautaire, marqué par la fin vertigineuse de l'après-guerre et par la vision d'un Européen exceptionnel, Jacques Delors, au travail duquel je rends hommage. La nouvelle phase qui s'initie maintenant, symboliquement inaugurée par l'entrée en fonctions d'une nouvelle commission, à laquelle je formule les meilleurs voeux de succès, implique immédiatement un important défi : préparer et mettre sur pied la Conférence intergouvernementale de 1996, qui aura la difficile responsabilité de procéder à la première révision du Traité sur l'Union.

« C'est une opportunité décisive - peut-être même unique avant la fin du siècle - pour que nous nous entendions sur les conditions de réalisation d'une Europe forte, unie et cohérente sur les plans politique, économique et institutionnel. Pour ce faire, il faut absolument que nous dépassions la vision d'une Europe exclusivement organisée autour des libertés économiques fondamentales, concentrée sur l'unification des marchés et sur l'uniformisation des politiques financières.

« Comprenez-moi bien : je n'ignore ni ne minimise l'importance de l'unification du marché intérieur et de l'Union économique et monétaire pour la réalisation pleine du projet européen ; je sais également combien il a été difficile de parvenir aux résultats déjà atteints dans ces domaines et suis conscient des sacrifices exigés, face à ce qui reste encore à faire. Mais je ne doute pas non plus que l'Europe économique n'est guère suffisante, ni même faisable, sans que lui corresponde une forte dimension politique, institutionnellement assumée et démocratiquement légitimée par un contrôle parlementaire effectif des décisions de Bruxelles.

« Je n'ai jamais caché ma position en la matière : l'Union européenne sera toujours, de par ses origines historiques et ses objectifs essentiels, une construction politique originale, distincte des modèles du passé. Mais je ne vois guère comment elle pourra renoncer à des composantes fédérales et confédérales, de nos jours encore si peu expressives - malgré la forte agitation du spectre de la supranationalité - et si loin de la concrétisation, puisque le budget commun lui-même n'atteint pas 2 % du produit intérieur des Douze.

« Je crois fermement que le principal danger, en cette phase de la construction européenne, ne réside pas dans l'approfondissement politique et institutionnel de l'Union, mais plutôt dans son incapacité à réaliser cet approfondissement, en l'éloignant des citoyens, en affaiblissant leur légitimité et en abandonnant à l'inertie du mouvement de globalisation économique la responsabilité de façonner les processus du changement social et les rapports de force entre les États.

« Je ne crois guère que ce soit là la bonne voie pour une Europe intérieurement unie et solidaire et extérieurement intervenante, politiquement adulte et autonome, dont la réalisation devrait tous nous intéresser. Une Europe disposée à conclure, maintenant sur le plan politique, le long cycle de la reconstruction débuté dans l'après-guerre.

« Cette dimension politique ne correspond pas, comme beaucoup le prétendent, à la création d'un super État continental, peut-être - et heureusement - irréalisable. Le propos est tout autre : faire respecter la diversité des nations, ce qui est une des richesses de l'Europe, dans un contexte de concertation politique et de sécurité européenne effectives. Pour ce faire, il y a lieu d'accorder un contenu au principe de subsidiarité, qui devra être le premier fondement de l'Union européenne et sa première ligne de défense contre toute perversion hégémonique, centraliste et bureaucratisante.

« Il nous faut rééquilibrer la construction européenne. La nouvelle réalité créée par la globalisation des marchés et par les élargissements progressifs rendra de plus en plus évidente la justesse des critiques qui contestent l'excessive intervention réglementaire de l'Europe appliquée uniformément aux réalités nationales absolument distinctes, dans les différent domaines de l'activité de production. Et fera aussi apparaître, simultanément, un déficit de l'Europe dans des domaines tels que la citoyenneté, la politique de défense et de sécurité, la science, la culture, la solidarité sociale où le faible degré de concertation multilatérale représente une grave contrainte aux possibilités de développement de l'ensemble.

« J'espère que le débat sur la révision du Traité de l'Union aidera à trouver des réponses positives à ces préoccupations. Et j'espère, surtout, qu'il permettra d'éloigner l'inéluctable tentation de détruire l'équilibre des relations entre petits et grands États au nom de la nécessité de comptabiliser l'approfondissement de l'intégration européenne et le progressif élargissement de l'Union à tout le continent. Cette voie-là serait inacceptable et mettrait en cause le trait le plus original du projet européen, qui est, et doit continuer d'être, une alliance de liberté, une communauté d'égaux où le poids de chaque État ne représente pas une simple proportion de son pouvoir relatif et ne se traduit guère en termes absolus dans la dimension de son statut institutionnel.

« L'équilibre des relations entre petits et grands États a été l'un des facteurs qui ont le plus décisivement contribué au lancement, à la défense et au développement du projet européen au cours des quarante dernières années. Mais on comprend aussi que la présente structure institutionnelle, qui conserve dans ses grandes lignes les caractéristiques du modèle original, ne puisse facilement comporter une communauté intégrant vingt membres - dans une prochaine phase - et dont l'objectif est de réaliser une union économique et monétaire et des élargissements successifs, sans une profonde réforme institutionnelle.

« Néanmoins, la réforme institutionnelle, tout en étant une exigence, se niera elle-même si elle est réalisée au détriment des principes fondateurs de l'Union européenne, qui constituent donc des paramètres à ne pas oublier dans le changement qu'il faut entreprendre. Il ne s'agit guère ici, à mon avis, du fameux débat sur l'Europe à plusieurs vitesses, de géométrie variable, en cercles concentriques ou superposés. L'existence de plusieurs rythmes d'intégration, qui est en fait inévitable, sera toujours, tout au moins en partie, le réflexe de la marge de liberté que chaque État voudra bien préserver dans sa stratégie d'intégration. Ce qui est en cause - et doit être évité, quant à moi - est que les différentes vitesses soient prétexte à une différenciation de statuts et finissent par ne répercuter qu'un pouvoir relatif directement déterminé par la dimension des États ou par leur richesse et développement.

« Monsieur le Président, Messieurs les parlementaires, j'aimerais conclure ces brèves considérations en faisant un appel véhément au refus du conformisme et à l'esprit d'innovation, à la créativité et à la confiance dans les idéaux européens, qui ont permis, il y a presque cinq décennies, de débuter la reconstruction d'une Europe déchirée par la guerre, divisée et dépendante.

« Le défi qui nous est lancé aujourd'hui n'est peut-être guère moins exigeant et n'en requiert pas moins d'énergie. Mais les conditions sont, malgré tout, bien plus favorables. Je vous propose de rechercher dans l'approfondissement des valeurs de l'humanisme, qui ont inspiré la génération des fondateurs, les nouvelles solutions exigées par les nouveaux problèmes de cette fin de siècle.

« Je vous propose d'essayer de construire une Europe plus proche des citoyens et de leurs préoccupations, tout en respectant leur opinion, leurs résistances et leur pouvoir de décision, même si cela implique, parfois, une progression plus lente. L'Europe sera aux citoyens ou ne le sera pas. Je vous propose de secouer l'europessimisme et les égoïsmes nationaux qui ne voient que les intérêts immédiats. Afin de construire une Europe de la solidarité - entre nations et entre personnes au sein des nations -, une Europe de la science, de la culture et de la défense de l'environnement, ouverte sur l'extérieur, capable de jouer, dans le concert international, le rôle auquel elle a droit, pour le bien de l'empire du droit, de la justice et de la paix. »

D. - Discours de M. Alecos MICHAELIDES, ministre des Affaires étrangères de Chypre, Président du Comité des Ministres. (1er février 1995 . )

« Monsieur le Président, c'est un grand honneur pour moi que de présenter aujourd'hui à votre Assemblée une communication sur les activités du Comité des ministres depuis la très récente partie de session de l'Assemblée en octobre dernier. Mais permettez-moi tout d'abord de vous féliciter de votre réélection à la présidence de cet éminent organe.

« Au sein du Comité des ministres, nous sommes pleinement conscients de ce que vous ne ménagez pas vos efforts pour maintenir des relations saines et constructives entre votre Assemblée et le Comité des ministres. L'excellent climat qui caractérise aujourd'hui ces relations facilite grandement la recherche de solutions aux divers problèmes difficiles et délicats qu'il nous faut régler en cette période d'élargissement considérable du Conseil de l'Europe.

« Durant les trois derniers mois, notre action a surtout porté sur la mise en oeuvre des importantes décisions prises lors de notre dernière réunion ministérielle le 10 novembre 1994, à laquelle Andorre est devenue le 33 e membre du Conseil de l'Europe. Cette session fut essentiellement consacrée à l'élargissement et au rôle futur du Conseil de l'Europe, notamment à la lumière des suites données au Sommet de Vienne.

« Notre Organisation traverse une phase cruciale ; les cinq dernières années ont été marquées par une ouverture de plus en plus grande vers l'est de notre continent, processus qui se poursuit avec la perspective d'adhésion des huit États candidats de cette partie de l'Europe.

« Je note avec grand intérêt qu'hier votre Assemblée a émis un avis favorable sur l'adhésion de la Lettonie. Cet avis sera examiné par le Comité des ministres la semaine prochaine et je suis persuadé que ce pays deviendra dans quelques jours le 34 e membre du Conseil de l'Europe.

« Lors de sa réunion de novembre, le Comité des ministres a réaffirmé le principe de l'application de critères d'adhésion identiques et a souligné sa volonté politique d'admettre des candidats le plus tôt possible, suivant, naturellement, le rythme de leur développement démocratique. Dans le but de permettre à ces pays d'adhérer au Conseil de l'Europe aussitôt que possible - et même pour les plus avancés d'entre eux au courant de cette année -, les ministres ont décidé d'intensifier le dialogue politique et les programmes de coopération avec tous les candidats et de cibler - tant avant qu'après l'adhésion - les réformes les plus importantes.

« Dans le cadre de ce dialogue politique, mon prédécesseur à la présidence et le secrétaire général se sont rendus dans les capitales de plusieurs pays candidats. J'entends poursuivre cet exercice et, prochainement, nous nous rendrons à Zagreb.

« En outre, les délégués des ministres ont tenu un échange de vues avec des personnalités politiques de "l'ex-République yougoslave de Macédoine" et, la semaine dernière, de l'Albanie.

« Durant les discussions des ministres au mois de novembre, et plus particulièrement au cours de notre réunion informelle, la candidature de la Russie a été examinée avec une attention spéciale. Nous avions également eu sur ce sujet une discussion très fructueuse et stimulante avec une délégation de votre Assemblée dans le cadre du Comité mixte élargi. Considérant l'évolution favorable en Russie, l'an dernier, les événements survenus récemment en Tchétchénie sont d'autant plus regrettables. Je sais, Monsieur le Président, que vous tiendrez demain un débat d'urgence sur ces événements et je puis vous donner l'assurance que nous suivrons avec le plus grand intérêt, non seulement vos délibérations, mais aussi leurs conclusions. L'audition à laquelle vos commissions compétentes ont procédé avec M. Kovalev contribuera, j'en suis sûr, à enrichir votre débat. Nous avons débattu de ces événements tragiques au Comité des ministres, et, suite à ces discussions, le secrétaire général a publié un communiqué de presse sur le caractère disproportionné et aveugle de l'usage de la force en Tchétchénie, qui est une violation flagrante des droits élémentaires de l'homme. Nous espérons fermement qu'il sera mis fin immédiatement à toute action militaire et que tout effort sera fait pour atteindre un règlement pacifique du conflit. La fourniture et l'acheminement de l'aide humanitaire doivent être assurés pour soulager les souffrances humaines dans la région.

« Permettez-moi aussi de souligner combien il importe de respecter la liberté des médias ; il faut résister à toute tentative de restaurer la censure. Nous appuyons fermement les mesures prises par l'O.S.C.E. visant à trouver une solution pacifique.

« Tout en suivant l'évolution de la situation et, bien sûr, en gardant à l'esprit la teneur des débats au sein de votre Assemblée, nous poursuivons notre dialogue politique avec la Russie et nos programmes de soutien à la démocratie, aux droits de l'homme et à la primauté du droit dans l'ensemble de la Fédération de Russie. Je suis personnellement convaincu que nous devons faire tout notre possible pour aider et maintenir ce pays sur la voie des réformes démocratiques qui sont indispensables, comme le montrent les événements récents. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour accélérer ces réformes.

« La première priorité du Conseil de l'Europe est, certes, de s'occuper de l'élargissement et de ses incidences, mais nos gouvernements doivent être attentifs aux nouvelles perspectives qui se profilent autour de la Méditerranée, à mesure que la paix gagne du terrain dans un certain nombre de pays du Proche-Orient. La présidence attache en conséquence beaucoup d'importance à la Recommandation 1249 (1994) de votre Assemblée relative à la coopération dans le Bassin méditerranéen, que les délégués des ministres sont en train d'examiner en détail. Je souhaite vous informer, à ce propos, que le Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe, dans le cadre des suites données au Symposium de Rome, prévoit de tenir à Chypre les 7 et 8 mars prochains une réunion du Comité ad hoc du programme Trans-Med. L'un des points de l'ordre du jour sera la préparation d'une conférence à Jéricho sur le thème "La sécurité démocratique, la protection des droits de l'homme et le processus de paix", qui a été proposé au Symposium de Rome par la délégation palestinienne avec l'appui des représentants israéliens.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

« Le Sommet de Vienne, tout en pavant la voie de l'ouverture à l'Est, a souligné l'importance du respect des valeurs et des principes qui sont le fondement du Conseil de l'Europe. C'est pourquoi les ministres, ayant à l'esprit la mission du Conseil de l'Europe de favoriser le renforcement de la sécurité démocratique du continent et l'importance du plein respect des engagements pris par tous les États membres concernant la démocratie, les droits de l'homme, la protection des minorités nationales et la primauté du droit, ont adopté le 10 novembre une "Déclaration sur le respect des engagements pris par les États membres du Conseil de l'Europe". Cette déclaration témoigne de l'importance que nous attachons au strict respect de ces engagements par chacun des États membres et reconnaît la responsabilité qui leur incombe individuellement à cet égard.

« Comme suite à cette déclaration, le groupe de travail compétent des délégués des ministres a été chargé de poursuivre ses travaux visant à rechercher une plus grande efficacité des procédures du Comité des ministres en vue d'assurer le respect de ces engagements. Le groupe de travail s'efforce actuellement de définir les modalités par le biais desquelles des procédures régulières pour assurer le respect de ces engagements pourraient être initiées et mises en oeuvre.

« Il y a un instant, j'ai mentionné la protection des minorités nationales, qui était l'un des principaux points de la Déclaration de Vienne ; comme vous le savez, le Comité des ministres a obtenu un résultat important en décidant, le 10 novembre 1994, d'ouvrir à la signature, au cours de la présente session, la convention-cadre pour la protection des minorités nationales, qui, à ce jour, a été signée par 21 pays. Permettez-moi d'exprimer le ferme espoir que les signatures seront rapidement suivies de ratifications et que la convention entrera en vigueur aussitôt que possible. J'en appelle à vous, membres des parlements nationaux, pour encourager la ratification de cet instrument juridique.

« Après ce premier résultat concret, nous sommes déterminés à voir poursuivre et achever l'élaboration d'un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dans le domaine culturel contenant des dispositions garantissant des droits individuels, notamment pour des personnes appartenant aux minorités nationales. Les travaux ont maintenant effectivement commencé. Nous avons naturellement suivi avec le plus vif intérêt le débat d'urgence que vous avez tenu hier sur la question des droits des minorités, mais je puis d'ores et déjà vous informer que nous avons chargé les experts de poursuivre et d'achever leurs travaux sur le projet de protocole avant la fin de cette année.

« J'aimerais aussi lancer un appel pour la ratification du Protocole n° 11 instituant une Cour unique des droits de l'homme qui, je suis heureux de l'annoncer, a, à présent, été signé par tous les États membres ! J'ai aussi le plaisir de vous informer que le nouveau bâtiment des droits de l'homme est maintenant prêt et sera inauguré le 29 juin.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, une autre grande priorité a émergé du Sommet de Vienne : il s'agit du plan d'action sur la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance. L'ouverture de la campagne, le 10 décembre dernier, à laquelle j'ai pris part avec vous-même, Monsieur le Président, avec le secrétaire général, diverses autres personnalités et de nombreux jeunes, a donné une forte impulsion aux activités dans ce domaine. La multiplication, ces temps derniers, des agressions à caractère racial témoigne du besoin urgent de cette campagne et je pense que nous devons tous faire tout notre possible, dans nos pays respectifs, pour que cette campagne soit un succès et que son importance soit ressentie dans tous les secteurs de la société.

« Mon pays a versé une contribution volontaire de 25 000 $ US à la campagne et j'aimerais saisir cette occasion pour inviter instamment les États membres qui ne l'ont pas encore fait à agir de même dans un futur proche et à donner le maximum de poids au message de la campagne "Tous différents, tous égaux", qui entre dans sa phase la plus active. Comme il est dit dans la Déclaration de Vienne : "Cette Europe est porteuse d'un immense espoir qui, à aucun prix, ne doit être détruit par l'intolérance ou les idéologies totalitaires".

« Monsieur le Président, la présidence chypriote du Comité des ministres attache la plus haute importance aux relations avec d'autres institutions. C'est pourquoi nous avons fait tout notre possible pour que notre Organisation apporte sa contribution au Sommet de la C.S.C.E. à Budapest, en décembre dernier. Résultat concret de nos efforts, une première réunion aura lieu ce soir entre les présidents et les secrétaires généraux de l'O.S.C.E. et du Conseil de l'Europe. Au cours de cette réunion, les participants des deux institutions discuteront du renforcement de la coopération afin d'assurer que l'expertise et la spécificité du Conseil de l'Europe soient reconnues et sa contribution optimisée, notamment à l'égard des travaux en cours à l'O.S.C.E. sur la protection des minorités et la lutte contre l'intolérance, mais aussi dans d'autres domaines de la dimension humaine dans lesquels le Conseil de l'Europe est particulièrement compétent.

« Dans le même esprit, nous essayons d'organiser une réunion quadripartite avec l'Union européenne pour coordonner, au plus haut niveau, l'action des deux institutions européennes, en vue de l'élargissement futur, non seulement du Conseil de l'Europe, mais aussi de l'Union, et dans la perspective de la Conférence intergouvernementale de l'Union en 1996.

« Les progrès de l'approche fondée sur le partenariat entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne nous encourage dans cette voie. Ce partenariat a déjà pris la forme de programmes conjoints de coopération et d'assistance en Albanie et dans les pays baltes. De nouvelles propositions sont à l'étude en vue de la conclusion d'un accord global aux termes duquel des ressources des programmes PHARE et TACIS de la commission européenne pourraient être affectées à des projets de renforcement des institutions démocratiques en Europe centrale et orientale, qui seraient gérés par le Conseil de l'Europe.

« J'ajoute que nous sommes associés aux travaux de l'Union européenne relatifs au Pacte de stabilité en Europe au sujet duquel nos délégués ont tenu un échange de vues en novembre avec les représentants de la "Troïka" de l'Union. En outre, le secrétariat a contribué aux tables rondes sur l'Europe centrale et orientale et les États baltes.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, nous essayons d'adapter le Conseil de l'Europe à ses tâches nouvelles et très stimulantes. Lors de notre dernière réunion ministérielle, nous avons examiné le premier rapport de nos délégués sur les incidences politiques et institutionnelles de l'élargissement que le Conseil de l'Europe doit prendre en compte, ainsi que de l'implication croissante de celui-ci dans l'établissement d'une Europe démocratique plus stable. D'importants résultats ont déjà été obtenus, par exemple la limitation des cas où l'unanimité est requise pour les décisions des délégués, notamment pour les réponses à votre Assemblée.

« En outre, de nouvelles méthodes de calcul du barème des contributions budgétaires ont été mises en place et des mesures adoptées pour assurer une plus grande transparence des travaux du Comité des ministres.

« Les délégués poursuivent leurs travaux, notamment sur les aspects politiques de l'élargissement, et ils présenteront un rapport sur ces aspects à notre prochaine réunion ministérielle. Dans le même esprit, le programme d'activités pour 1995 a été conçu en fonction du nouveau rôle de l'Organisation dans la Grande Europe, afin de tenir les promesses de l'élargissement.

*

* *

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, la présidence chypriote du Comité des ministres aura à coeur de promouvoir pleinement la mise en oeuvre des décisions du Sommet de Vienne. Nous déploierons tous nos efforts pour promouvoir le processus d'élargissement tout en veillant à ce que l'Organisation stimule la sécurité démocratique et la stabilité du confinent et offre à tous les pays européens un cadre dans lequel ils puissent forger entre eux une union de plus en plus étroite, une véritable coopération et un vrai dialogue politique. Dans cette entreprise, nous agirons en pleine collaboration avec votre Assemblée, dont l'importance a été pleinement démontrée cette semaine par les personnalités politiques éminentes qui sont venues parler de cette tribune. »

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