Section II - Deuxième partie de la session de 1995 (24-28 avril 1995).

A. - Discours de M. Jean VIDENOV, Premier ministre de Bulgarie, et question de M. Jean SEITLINGER, député (UDF). ( 24 avril 1995 .)

M. Jean VIDENOV, Premier ministre de Bulgarie, s'adressant à l'Assemblée, se dit particulièrement heureux de s'exprimer devant une Assemblée qui incarne le respect de la démocratie. Il rappelle que le Conseil de l'Europe a été la première organisation à s'ouvrir à l'Est après la chute du mur de Berlin, montrant ainsi la voie à l'unification du continent. Il y a cinq ans, chacun pensait, victime d'une illusion romantique, que toutes les difficultés seraient rapidement réglées. Il n'en a évidemment rien été et des difficultés de tous ordres demeurent, au point que de funestes divisions menacent de réapparaître. Il est impératif de parvenir à assurer la stabilité du continent en créant un nouvel espace, l'Europe des citoyens. Il s'agit là d'un objectif très séduisant qui requiert la mobilisation des États, des institutions et des individus. Mais des obstacles subsistent, comme on ne le sait que trop et comme en témoignent le carnage dans les Balkans et l'instabilité qui règne à l'est de l'Europe. En outre, de graves problèmes économiques et sociaux persistent dans les pays d'Europe centrale et orientale, problèmes que la récession économique que connaît l'Europe occidentale ne permet pas de résoudre. On constate par ailleurs la résurgence inquiétante de la xénophobie, de l'antisémitisme, de l'intolérance et du nationalisme.

La prospérité et la sécurité des peuples d'Europe dépendront des décisions politiques qui seront prises au cours des prochaines années à l'échelle du continent puisque la sécurité européenne est indivisible. Chacun souhaitera une Europe unifiée, prospère et vivant en paix.

L'intégration de la Bulgarie aux structures européennes a été l'une des tâches prioritaires des gouvernements de la Bulgarie nouvelle. Les autorités bulgares souhaitent surmonter des inimitiés séculaires et, comme leurs homologues des autres pays d'Europe centrale et orientale, redresser une économie malade et offrir à leur population la sécurité sur le plan social. Strasbourg n'est-il pas le meilleur symbole de l'Europe que Chacun souhaite ? Pomme de discorde hier, elle est aujourd'hui un lieu de rencontre pour tous les Européens et la preuve que les difficultés peuvent être surmontées.

Le Conseil de l'Europe a quant à lui joué un rôle de pionnier dans l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale et il a obtenu des résultats remarquables en matière de protection des droits de l'homme, remplissant sans faiblir sa mission de promotion de la démocratie de Gibraltar à Vladivostok. M. Videnov se dit convaincu que le Conseil de l'Europe doit devenir une institution véritablement paneuropéenne. Pour l'heure, l'élargissement est encore inachevé. Quant à la coopération avec l'O.S.C.E. et avec l'Union européenne, elle doit s'amplifier car chacune de ces organisations a sa place dans la nouvelle architecture de l'Europe.

En effet, le Conseil de l'Europe est la seule institution appelée à avoir une dimension véritablement paneuropéenne dans un avenir prévisible, et c'est donc un forum irremplaçable où débattre de tous les problèmes communs en vue d'assurer le succès du Pacte de stabilité.

L'admission de nouveaux membres crée toujours de nouvelles difficultés, déplace les priorités. Affectés par des conflits, handicapés par un niveau de vie inférieur et par des entraves à la libre circulation, les citoyens de l'Europe orientale ne se sentent pas sur un pied d'égalité avec ceux du reste du continent, ce qui alimente mécontentements et scepticisme. Il est important de remédier à cela, dans la ligne du Sommet de Vienne qui a prôné la sécurité par la démocratie.

Un des problèmes urgents réside dans les effets qu'ont, sur la Bulgarie notamment, les sanctions économiques et commerciales imposées à la Serbie, au Monténégro et à d'autres pays : les pertes qui s'élèvent à des milliards de dollars n'ont pas été compensées.

Les élections de la fin de l'an dernier ont porté au pouvoir une coalition de socialistes, d'agrariens et d'écologistes. Les citoyens bulgares ont à cette occasion manifesté leur souci de tirer leur pays de l'ornière et de poursuivre dans la voie de la démocratisation tout en prenant en compte les difficultés sociales de beaucoup. Le nouveau gouvernement agit en conséquence, cherchant à redresser l'économie, à juguler l'inflation, à limiter la délinquance et la criminalité, à établir des règles économiques claires... Il va lancer une privatisation à grande échelle et réformer les secteurs productifs. Mais il lui faut aussi rénover les infrastructures. L'intégration à l'Europe est impossible sans réseaux de communication modernes, sans liberté de circulation des capitaux et des marchandises. L'orateur insiste surtout sur le coût social de la transition qui a amené le gouvernement à donner la priorité à l'amélioration du niveau de vie des plus défavorisés et à préparer une réforme de la législation sociale. Tout sera fait pour avoir un budget en équilibre, mais les Bulgares ne doivent pas en pâtir exagérément et il serait donc bon que le Fonds de développement social leur vienne en aide.

Rendre plus efficace le système judiciaire, promouvoir l'autonomie locale, renforcer la participation au Congrès des pouvoirs locaux, assurer le respect des droits de l'homme et la coexistence pacifique des peuples, des religions et des cultures : telles sont les priorités en matière politique, avec l'intégration à un axe euro-atlantique. Les Bulgares entendent respecter toutes les dispositions du traité d'association avec l'Union européenne, entré en vigueur le 1 er février dernier. Ils sont convaincus que leurs efforts leur permettront de négocier une adhésion pleine et entière à l'Union dès le lendemain de la Conférence intergouvernementale de 1996. Parallèlement, ils renforceront leur coopération avec les autres États associés et mettront à profit les possibilités offertes par l'O.T.A.N. et par l'U.E.O., conformément à la déclaration adoptée par leur Parlement à la fin de 1993. Partisans fervents de la sécurité dans les Balkans, ils réprouvent toute revendication territoriale, toute ingérence dans les affaires d'un autre pays et ils encourageront toute initiative susceptible de corriger les déséquilibres militaires. Ils ne se laisseront entraîner dans aucun conflit, fût-ce sous l'égide d'une organisation internationale.

La Bulgarie redoute une extension de la guerre qui déchire l'ex-Yougoslavie. Elle demeure convaincue qu'une solution pacifique est encore possible dans le contexte européen et avec l'aide des Nations unies. Mais cela suppose de maintenir l'équilibre des pouvoirs dans la région et donc d'arrêter rapidement un calendrier pour la levée des sanctions qui affectent si durement les pays tiers. Cette mesure permettrait de relancer le processus d'intégration européenne ainsi que le dialogue politique dans le sud-est du continent. M. Videnov conclut donc en demandant une démarche collective des pays membres auprès du secrétaire général des Nations unies et du Conseil de sécurité.

À propos de la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales, M. VIDENOV déclare qu'il s'agit d'un des textes les plus importants du Conseil de l'Europe et affirme que tous les Bulgares savent qu'il peut contribuer à régler un des problèmes les plus aigus qui se posent actuellement à l'Europe. Le gouvernement étudie actuellement ce texte et le Parlement jouera naturellement son rôle dans le processus que M. Videnov souhaite le plus rapide possible. Il note cependant l'absence de toute définition des minorités nationales.

Il se déclare en faveur de mécanismes nouveaux permettant une meilleure compréhension entre les différentes minorités, notamment dans les Balkans. Il forme en tout cas le voeu que la convention-cadre soit ratifiée dans les meilleurs délais.

M. Jean SEITLINGER, député (UDF) , interroge M. VIDENOV en ces termes :

« À juste titre, vous avez indiqué qu'il n'y aurait pas d'Union européenne sans paix dans les Balkans. Non sans raison, vous avez évoqué les sanctions économiques décidées par les Nations unies. Les décideurs ne sont pas les payeurs, ce qui fait de votre pays une innocente victime. Vous avez subi un préjudice considérable évalué à trois milliards de dollars, sans la moindre compensation, alors qu'au lendemain de la guerre du Golfe, des pays comme l'Égypte, la Turquie, la Jordanie ont bénéficié de compensations. Indépendamment des problèmes politiques de fond sur la levée ou le maintien des sanctions des Nations unies à l'égard de la Serbie et du Monténégro, existe-t-il des perspectives favorables pour que la communauté internationale apporte une compensation aux préjudices que vous continuez de subir alors que votre ancien collègue M. Perinski, votre actuel ministre des Affaires étrangères, a déjà présenté devant notre Assemblée, en décembre 1993, un rapport dressant le bilan des pertes subies par votre pays. Telle est la question que je voulais poser sur les éventuelles perspectives en vue d'un partage du fardeau. »

M. VIDENOV répond à M. Jean SEITLINGER qu'il sait à quel point cette question des sanctions et des compensations éventuelles est difficile. Le F.M.I. a en tout cas évalué l'ensemble des pertes de la Bulgarie à deux milliards de dollars au terme de deux ans de sanctions. La Hongrie, l'Albanie, la Macédoine et même l'Autriche, l'Italie et la Grèce subissent également les conséquences de cette mesure. Le temps paraît venu pour les États des Balkans de faire avancer le processus de paix dans l'ex-Yougoslavie et de demander une juste réparation pour le préjudice subi, même si certaines instances internationales sont réticentes. Une aide permettrait d'améliorer les infrastructures, les moyens de télécommunication et favoriserait ainsi le libre accès aux marchés européens, ce qui relancerait des économies durement frappées par le conflit de l'ancienne Yougoslavie. Les pays de la région méritent que leur dossier soit examiné avec bienveillance.

B. - Discours de M. Alecos MICHAELIDES, ministre des Affaires étrangères de Chypre, Président du Comité des ministres, et question de M. Louis JUNG, sénateur (UC). ( 24 avril 1995 .)

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, c'est la seconde fois, et la dernière, au cours de la présidence chypriote du Comité des ministres, que j'ai le plaisir de présenter à votre Assemblée le rapport sur les activités du Comité des ministres. Mais permettez-moi, tout d'abord, de souligner la satisfaction que me procure l'excellente coopération qui existe entre cette auguste Assemblée et le Comité des ministres. Je sais, Monsieur le Président, à quel point vous avez personnellement contribué pendant des années à promouvoir cette ambiance très positive qui caractérise les rapports entre les deux organes du Conseil de l'Europe. Je ne voudrais pas quitter la présidence sans rendre hommage aux efforts que vous avez déployés sans relâche - et je dois le dire, avec grand succès - pour parvenir à ce résultat. Dans ce contexte, permettez-moi de me référer à la dernière réunion en date de la commission politique, accueillie à Nicosie le 3 avril 1995, et de faire état de notre satisfaction toute particulière.

« Le Comité des ministres a été très actif ces cinq derniers mois dans le suivi de notre dernière réunion ministérielle de novembre et, bien sûr, dans la préparation de la prochaine réunion, qui se tiendra le 11 mai.

« L'élargissement du Conseil de l'Europe se poursuit, et nous avons été très heureux d'accueillir parmi nous la Lettonie, le 10 février dernier. Dans ce contexte, nous sommes très attentifs aux procédures, au sein de votre Assemblée, relatives à l'admission des États candidats restants, et qui suivent, bien entendu, le rythme de leurs réformes démocratiques. Puis-je ajouter, à ce propos, que nous avons, la semaine dernière, été saisis de la demande d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine, en date du 10 avril 1995. Le Comité des ministres est en train d'examiner cette demande en vue de la transmettre à votre Assemblée pour avis, selon la procédure habituelle.

« Le principe de la poursuite de l'élargissement a été admis par le Sommet de Vienne. Ce principe a, en outre, été confirmé lors de notre dernière session ministérielle et il traduit la détermination suivante :

- tout d'abord, utiliser le Conseil de l'Europe comme structure privilégiée pour l'accueil des ex-pays communistes, notamment ceux d'entre eux qui n'ont pas de perspective, dans un proche avenir, de devenir membres d'autres institutions européennes ;

« - en second lieu, souligner la contribution de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit au renforcement de la stabilité et de la sécurité démocratique sur notre continent.

« Dans le cadre d'une stratégie globale concernant la communauté tout entière des États européens, l'objectif est de promouvoir la stabilité et de la cimenter sur les solides fondations d'un vaste espace démocratique construit sur nos valeurs et nos principes communs.

« Il s'ensuit qu'en vue de permettre aux États candidats de rejoindre le Conseil de l'Europe aussi tôt que possible, nous devons intensifier le dialogue politique et les programmes de coopération avec tous ces États, et nous devons cibler - tant avant qu'après l'adhésion - les réformes les plus importantes. Tel a été l'un des principaux objectifs du Comité des ministres et de sa présidence chypriote. C'est dans cet esprit qu'en avril nos délégués ont eu un échange de vues avec M. Nicolai Afanassievsky, vice-ministre des Affaires étrangères de Russie, et avec M. Gennadi Udovenko, ministre des Affaires étrangères d'Ukraine. Nous prévoyons également un échange de vues, en mai, avec M. Vladzimir Sianko, ministre des Affaires étrangères de la Bélarus. Naturellement, tous ces échanges de vues se situent dans le contexte de notre stratégie globale de dialogue politique et de programmes de coopération avec tous les États candidats, stratégie qui tend à leur donner les moyens de satisfaire aux normes du Conseil de l'Europe.

« Le Conseil de l'Europe peut s'élargir, mais les normes reflétées dans la Déclaration de Vienne doivent demeurer inchangées et à un niveau élevé, de manière à sauvegarder la crédibilité et la spécificité de notre Organisation qui, dans toute l'Europe, est le symbole des droits de l'homme, de la démocratie et de la prééminence du droit, et qui doit continuer à être le garant et le promoteur effectif de ces valeurs. Il est donc nécessaire que tous les États membres soient des modèles du respect de l'État de droit et des exemples du plein respect des principes des droits de l'homme et de la démocratie.

« Je n'ignore pas, Monsieur le Président, que votre Assemblée tient également beaucoup à contrôler le respect des engagements pris par les États membres.

« Des événements récents ont montré la nécessité d'un tel contrôle ; or, cette nécessité excède les possibilités offertes par le statut et les différentes conventions. C'est pourquoi nous attachons une grande importance à la mise en oeuvre de la "Déclaration sur le respect des engagements pris par les États membres du Conseil de l'Europe", que le Comité des ministres a adoptée en novembre dernier, et qui s'applique à tous les États membres sans discrimination. La semaine dernière, les délégués des ministres ont adopté les modalités par lesquelles des procédures régulières seront initiées et mises en oeuvre pour assurer le strict respect des engagements.

« Il y a un instant, j'évoquais la contribution du Conseil de l'Europe à la stabilité et à la sécurité démocratique en Europe. Dans ce contexte, nous devons continuer d'améliorer, d'une manière aussi pragmatique que possible, notre coopération avec l'Union européenne et l'O.S.C.E., notamment dans des domaines tels que l'édification d'institutions démocratiques, la réforme du droit, la protection des minorités nationales et les mesures de confiance.

« Des événements importants ont eu lieu récemment, non seulement au Conseil de l'Europe, mais aussi au sein de l'O.S.C.E., en tant que résultat du Sommet de Budapest et dans le cadre de l'Union européenne, avec la récente adoption du Pacte de stabilité. De surcroît, l'Union prépare actuellement la Conférence intergouvernementale de 1996. Eu égard à cette évolution passée et future, la présidence chypriote a souligné dans son programme la nécessité d'améliorer et d'accroître la coordination des activités du Conseil de l'Europe avec celles d'autres institutions impliquées dans la construction d'un continent démocratique, sûr et stable.

« C'est dans cet esprit que nous avons organisé, le 1 er février 1995, une réunion à haut niveau entre les présidents en exercice et les secrétaires généraux de l'O.S.C.E. et du Conseil de l'Europe, réunion à laquelle participait également M. Van der Stoel, haut-commissaire de l'O.S.C.E. pour les minorités. À cette occasion, nous avons discuté des voies et moyens d'intensifier la coopération, dans le souci de faire en sorte que l'expertise et la spécificité du Conseil de l'Europe soient reconnues, et sa contribution optimalisée - notamment sa contribution aux activités en cours de l'O.S.C.E. relatives à la protection des minorités et à la lutte contre l'intolérance, ainsi qu'à d'autres aspects de la dimension humaine, dans lesquels le Conseil de l'Europe a acquis une expérience particulière.

« C'est dans le même esprit de coopération pragmatique et de complémentarité qu'une réunion quadripartite s'est tenue le 7 avril entre M. le ministre Lamassoure, représentant la présidence de l'Union européenne, le commissaire Van den Broek, notre secrétaire général, M. Tarschys et moi-même. Grâce à la présidence française de l'Union, cette réunion a permis de relancer les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Nous sommes convenus d'intensifier les échanges entre les deux institutions et de coordonner leurs activités plus étroitement, en particulier au plan de leur coopération avec les nouvelles démocraties.

« Les discussions ont également porté sur la poursuite de l'élargissement du Conseil de l'Europe, avec une référence spéciale aux demandes d'adhésion déjà à l'examen.

« Nous avons également pris note avec le plus vif intérêt de la réunion fructueuse qui avait eu lieu, la veille, entre le Bureau de votre Assemblée et celui du Parlement européen.

« Dans le contexte de nos relations avec l'Union européenne, j'aimerais mentionner que le Pacte de stabilité a été adopté lors de la conférence qui s'est tenue à Paris, les 20 et 21 mars. Il s'agissait d'une initiative de l'Union européenne, mais le Comité des ministres a, depuis le Sommet de Vienne, suivi de près chaque phase de la préparation du Pacte. Celui-ci inclut une déclaration dans laquelle il est question de l'intensification, par les États participants, des relations de bon voisinage sous tous leurs aspects - des relations qui doivent se fonder sur la mise en oeuvre effective des principes existants et des engagements pris. Au nombre de ceux-ci figurent la Déclaration de Vienne du Sommet du Conseil de l'Europe de 1993, ainsi que les traités et conventions pertinents du Conseil de l'Europe, y compris la Convention-cadre de 1994 pour la protection des minorités nationales.

« Le pacte a été confié à l'O.S.C.E., qui en suivra la mise en oeuvre. Le Conseil de l'Europe sera associé à ce processus, ainsi qu'aux mesures d'accompagnement. Je considère que notre contribution au projet de Pacte de stabilité a été utile, et que cette utilité a été reconnue ; il y a là un parfait exemple de coopération entre les diverses institutions européennes.

« Vous ne serez pas surpris d'apprendre que nous avons choisi, pour thème de notre prochaine réunion ministérielle en mai, la place et le rôle du Conseil de l'Europe dans le paysage institutionnel européen en évolution, en particulier à la lumière des implications de l'élargissement de l'Organisation suite au Sommet de Vienne.

« Permettez-moi d'ajouter, à propos de nos relations avec les Nations unies, que nous avons étudié d'une manière approfondie votre Recommandation 1252 évoquant les diverses questions soulevées dans ce contexte et que nous partageons votre point de vue selon lequel il conviendrait de mieux exploiter les possibilités offertes au Conseil de l'Europe par son statut d'observateur auprès de l'Assemblée générale des Nations unies.

« Vous remarquerez, Monsieur le Président, que nous avons ainsi mis en oeuvre l'une des autres priorités du programme de la présidence chypriote, à savoir améliorer la coopération avec d'autres organisations et institutions internationales.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, mon pays exerce la présidence du Comité des ministres à un moment où les progrès de la paix dans plusieurs pays du Proche-Orient sont en train d'ouvrir de nouvelles opportunités. Ce phénomène concerne non seulement les pays directement intéressés, mais il entraîne également de nouvelles responsabilités pour l'Europe elle-même. Le processus de paix se conclut par la signature d'une déclaration. Mais la paix se consolide par l'établissement d'institutions solides et la création de perspectives nouvelles de niveaux de vie plus élevés et d'une meilleure qualité de la vie par le biais du développement économique. Ceci pose un défi, mais fournit également des opportunités. Le Conseil de l'Europe, en tant qu'institution européenne, doit avoir à l'esprit ces opportunités. C'est pourquoi, dans le programme de notre présidence, nous avons attaché une grande importance à la coopération dans le Bassin méditerranéen.

« La Recommandation 1249 de votre Assemblée sur la question a constitué un excellent point de départ à nos efforts, et vous aurez remarqué, dans la réponse que le Comité des ministres a d'ores et déjà donnée à cette recommandation, que nous avons créé un groupe de travail ad hoc sur la coopération dans le Bassin méditerranéen. Il lui appartiendra de suivre l'évolution des relations du Conseil de l'Europe avec les États concernés, notamment dans les secteurs suivants dans lesquels des contacts et des échanges paraissent potentiellement utiles et pourraient donc être développés : l'établissement d'institutions démocratiques, la promotion de l'État de droit et des droits de l'homme, y compris les droits des minorités et l'égalité entre les femmes et les hommes ; les migrations ; la lutte contre le trafic de stupéfiants et la toxicomanie ; la lutte contre le racisme et l'intolérance ; enfin, l'environnement et le patrimoine culturel commun.

« En outre, nous avons encouragé le Centre Nord-Sud à jouer pleinement son rôle dans la région - dans son domaine de responsabilité spécifique - et nous avons instamment invité les États qui n'ont pas encore adhéré au Centre à accomplir cette démarche.

« Le séminaire international sur "L'Europe et le Proche-Orient : interdépendance et partenariat" que nous avons accueilli à Nicosie les 7 et 8 mars, marquait une contribution concrète à la coopération dans le Bassin méditerranéen ; cette manifestation a atteint un degré marqué de succès en instaurant un climat de coopération et de confiance entre les participants venus des divers pays de la région méditerranéenne. Les délégations palestinienne et israélienne ont joué l'une et l'autre dans ce séminaire un rôle tout à fait positif, imprimant leur énergie et leur dynamisme au séminaire qui a vu la participation très active de représentants de votre Assemblée. Le séminaire a recommandé que s'engagent sans tarder les préparatifs d'une conférence à Jéricho sur la paix et la démocratie, axée sur les thèmes de la sécurité démocratique, de la protection des droits de l'homme et du processus de paix au Proche-Orient, et qui devrait avoir lieu au plus tard en décembre 1995.

« Mon pays fera le maximum pour donner suite aux conclusions de ce séminaire, tant dans le cadre du Centre Nord-Sud que dans celui du groupe de travail ad hoc des délégués des ministres.

« Enfin, Monsieur le Président - et ce point n'est pas le moins important -, je tiens à vous informer qu'en ma qualité de Président du Comité des ministres j'ai été reçu par le pape Jean-Paul II, à Rome, le

8 avril dernier. L'audience a été précédée d'une rencontre avec le secrétaire d'État, Monsieur le cardinal Angelo Sodano, et le secrétaire aux relations avec les États, monseigneur Jean-Louis Tauran. Cette visite, Monsieur le Président, ainsi que votre propre visite au Vatican il y a quelques semaines, se situe dans le contexte des excellentes relations qui existent depuis longtemps entre le Conseil de l'Europe et le Saint-Siège, lequel jouit d'un statut spécial s'agissant de notre coopération intergouvernementale et est très actif dans la plupart de nos activités. Permettez-moi d'ajouter que cette visite s'est déroulée dans un esprit oecuménique.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, la présidence du Comité des ministres ne dure que six mois, malheureusement ; c'est donc la dernière fois que je prends la parole devant votre Assemblée. Je me suis efforcé, pendant la durée de mon mandat, de m'en tenir aux priorités que j'avais annoncées lorsque j'ai pris mes fonctions le 10 novembre et qui suivent également les grandes lignes du Sommet de Vienne :

« - l'élargissement du Conseil de l'Europe et ses conséquences ;

« - le respect des engagements pris par les États membres ;

« - la complémentarité avec d'autres institutions européennes, mais aussi la coopération dans le Bassin méditerranéen.

« Je suis heureux de constater que certaines des priorités de la présidence chypriote constituent également la matière des rapports de MM. Columberg et Masseret, que votre Assemblée examinera cette semaine. Nous souhaitons à la République tchèque, qui succédera à Chypre à la présidence, un plein succès dans la poursuite de la construction d'une Europe démocratique plus large, cet objectif qui nous est commun. La présidence de Chypre est fière et ressent comme un privilège d'avoir apporté sa contribution à ce grand défi et à cette cause toujours poursuivie.

« Je voudrais dire, pour conclure, que l'appui actif de votre Assemblée a été extrêmement important dans la mise en oeuvre des priorités établies depuis que Chypre a assumé la présidence. »

M. Louis JUNG, sénateur (UC) , a posé une question ainsi rédigée au Président du Comité des ministres :

« Rappelant la demande de statut d'observateur auprès du Conseil de la coopération culturelle faite par Israël et la question posée à ce sujet par Mme Fischer en octobre de l'année dernière,

« demande au Président du Comité des ministres,

« s'il peut à présent confirmer que cette demande est en voie d'être satisfaite. »

M. MICHAELIDES répond à M. Louis JUNG que la demande faite par Israël est examinée par le Comité des ministres et qu'elle figurera à l'ordre du jour de la prochaine réunion des délégués des ministres, en mai. En sa qualité de ministre des Affaires étrangères de Chypre, M. Michaelides indique que son gouvernement appuie la demande faite par Israël, pays qui partage les idéaux européens communs.

M. Louis JUNG, Sénateur (UC) , reprend alors la parole et déclare :

« Je vous remercie, Monsieur le Président du Comité des ministres, pour votre réponse. J'espère qu'au cours de la prochaine séance dont vous venez de parler cette demande pourra être satisfaite.

« Personnellement, je n'arrive pas à comprendre les réticences que nous pouvons rencontrer puisque nous nous réjouissons qu'Israël fasse partie, en qualité d'observateur, de toutes nos commissions, tant politiques qu'économiques. J'ajoute que c'est presque un devoir pour nous de l'associer également comme observateur à nos discussions sur les questions culturelles. Lorsque je me suis rendu en Israël, j'ai été très impressionné de constater que l'ensemble des cultures européennes s'y retrouve. J'espère donc que très rapidement on pourra répondre à cette demande.

« Soyons très honnêtes, le statut d'observateur ne coûte rien, ni au Conseil de l'Europe ni à un autre organisme. C'est donc vraiment un devoir pour nous de régler ce problème le plus rapidement possible. »

M. MICHAELIDES conclut en déclarant qu'il partage cette opinion et souhaite que cette question soit définitivement et rapidement réglée.

C. - Discours de M. Lennart MERI, Président de la République d'Estonie. ( 25 avril 1995 .)

M. Lennart MERI, s'adressant à l'Assemblée, se déclare honoré d'intervenir à nouveau devant cette Assemblée, en qualité de Président de l'Estonie cette fois. Il rappelle que le Conseil de l'Europe a joué un rôle important pour l'accession à l'indépendance de son pays. L'Estonie est membre de plein droit du Conseil de l'Europe depuis mai 1993, mais entretient des relations avec le Conseil depuis 1960, date à laquelle l'Assemblée avait adopté une résolution pour le 20 e anniversaire de l'occupation de l'Estonie par l'armée rouge, qui condamnait l'annexion illégale des trois États baltes reconnus par les gouvernements démocratiques. Cette résolution a été suivie de trois autres, en 1963, 1983 et 1986. Le Conseil de l'Europe est le plus ancien et le plus estimé garant des valeurs européennes communes et l'Estonie a une haute idée de l'Assemblée parlementaire en tant que conscience collective de l'Europe. La protection des droits de l'homme n'est pas un phénomène statique : il faut combattre chaque jour pour maintenir la démocratie et le Conseil de l'Europe joue à cet égard un rôle considérable. Les conventions qu'il a adoptées ont inspiré l'Estonie dans le rétablissement de la démocratie sur les cendres du totalitarisme.

Le Conseil de l'Europe est la principale organisation de protection des droits de l'homme et des droits des minorités nationales en Europe. Le ministre des Affaires étrangères d'Estonie a signé la convention-cadre sur la protection des minorités nationales en 1995. La législation nationale de l'Estonie à l'égard des minorités ethniques dépasse d'ailleurs les principes prévus par la convention-cadre. Une loi sur l'autonomie culturelle existe depuis 1925. Le mois dernier s'est tenu le deuxième scrutin depuis l'époque postcommuniste. Le peuple estonien a voté en faveur d'une poursuite des réformes et d'une économie de marché. Il est important de constater qu'aucun groupe politique extrémiste n'a obtenu un siège au Parlement. Les Estoniens d'origine russe ont participé au scrutin. Un des partis russes siège au Parlement, ainsi que d'autres représentants de différentes minorités.

Il y a d'autres exemples de cette politique ethnique très libérale. Ainsi, les étrangers résidant en permanence en Estonie participent aux élections locales. Le mois dernier, le vice-président des États-Unis, M. Al Gore, a visité Tallin et a rendu hommage aux efforts faits par la République estonienne. Il a constaté que l'Estonie s'enracine dans la tolérance.

L'Estonie poursuit sa transformation vers une économie de marché qui permettra à chacun de réaliser son potentiel économique. Cette politique porte déjà ses fruits. Il y a quatre ans, 90 % du commerce extérieur de l'Estonie se faisait avec les pays de l'Est, alors qu'aujourd'hui les deux tiers des échanges commerciaux se font avec l'Union européenne. L'Estonie a investi les crédits étrangers qu'elle avait obtenus. Les dernières statistiques publiées montrent que le taux d'endettement de l'Estonie est l'un des plus faibles du monde. C'est qu'elle privilégie le commerce à l'assistance. Les investissements étrangers doublent tous les six mois et les exportations augmentent. La couronne estonienne suit les fluctuations du deutsche mark et les réserves en devises ont triplé depuis 1992. Le budget est en équilibre et le P.N.B. ne cesse de croître. Le faible taux d'imposition et la possibilité donnée aux étrangers de rapatrier les bénéfices attirent des investisseurs toujours plus nombreux. Le processus de privatisation est considéré comme l'un des plus radicaux en cours dans les pays d'Europe centrale et orientale. Tous ces éléments ont contribué à l'élévation du niveau de vie, ce qui a eu pour conséquence de convaincre la population qu'il n'y a pas d'alternative à la politique de réformes radicales engagée.

Le Conseil de l'Europe a accordé à l'Estonie une aide considérable. L'intégration rapide du pays dans les structures européennes a bénéficié des programmes de coopération et d'assistance mis en place à l'est de l'Europe. L'aide a été particulièrement marquée dans le domaine législatif : ainsi, les plus importants des 430 textes de lois adoptés depuis le retour à la démocratie constitutionnelle ont été soumis à l'examen des experts du Conseil de l'Europe. L'Estonie, État de droit, s'attache à harmoniser sa législation avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. M. Meri est heureux de pouvoir informer l'Assemblée que le processus de ratification de cette convention touche à sa fin.

De nombreux programmes d'assistance sont lancés conjointement par le Conseil de l'Europe et par l'Union européenne, ce dont l'Estonie se réjouit. Elle signera en effet un accord d'association avec l'Union européenne en mai.

Davantage encore pourrait être fait si le Conseil de l'Europe, l'O.S.C.E. et l'O.N.U. amélioraient leur coopération et coordonnaient mieux leurs efforts. Il faut éviter les doubles emplois : c'est particulièrement vrai pour les petits pays qui, comme l'Estonie, ont un budget limité et qui ont atteint les limites financières de la participation aux organisations internationales.

Quant à l'O.T.A.N., dont la charte fait référence aux valeurs démocratiques communes qu'elle est chargée de défendre - comme elle l'a fait pendant la guerre froide -, elle doit être élargie aux pays qui partagent les idéaux démocratiques.

M. Meri traite ensuite de l'adhésion de nouveaux membres au Conseil de l'Europe. Il se félicite que la Lettonie soit devenue membre de l'Organisation et souhaite voir bientôt l'Ukraine rejoindre la communauté des nations européennes démocratiques. Elle le doit, tant par sa situation géographique que par son héritage historique et la vitalité de sa vie politique et culturelle. Les efforts consentis par l'Ukraine doivent être reconnus. M. Meri espère aussi voir la Moldavie siéger au Conseil et il en appelle à la Russie afin qu'elle respecte l'engagement qu'elle a pris de retirer ses troupes de ce pays. Mieux que d'autres peut-être, l'Estonie sait combien la présence de troupes d'occupation freine la démocratisation et il espère que la Moldavie recevra de la communauté internationale le même soutien que celui accordé à l'Estonie dans les mêmes circonstances.

Évoquant ensuite la candidature de la Russie au Conseil de l'Europe, M. Meri se félicite que le processus d'adhésion ait été suspendu en février en réaction à la guerre non déclarée menée par ce pays contre la Tchétchénie. Il va de soi, en effet, que la Russie ne pourra devenir membre du Conseil que lorsqu'elle respectera les valeurs démocratiques exigées de tous les pays membres. Faut-il rappeler que l'adhésion de l'ancienne Yougoslavie à l'O.N.U. et à ce qui était alors la C.S.C.E. a été suspendue en raison des massacres perpétrés en Bosnie-Herzégovine ? Il est inexplicable que certains États tentent d'accélérer l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe alors qu'un plus grand nombre de civils sont déjà morts en Tchétchénie qu'il en était mort en Bosnie-Herzégovine au moment où l'ancienne Yougoslavie a été mise au ban de la communauté internationale. C'est là un exemple de la politique du « deux poids deux mesures » que le Conseil de l'Europe ne saurait tolérer. Il lui faut, au contraire, faire tout ce qui est en son pouvoir pour encourager la démocratisation de la Russie. Ce pays ne doit pouvoir adhérer au Conseil que lorsqu'il aura démontré être un État démocratique respectant les droits de l'homme.

Au cours des prochains mois, l'Estonie présidera le Comité des ministres du Conseil de l'Europe. C'est pour elle un grand défi qu'elle s'honorera de relever.

D. - Discours de M. Gyula HORN, Premier ministre de la République de Hongrie. ( 26 avril 1995 .)

« Monsieur le Président, honorables membres de l'Assemblée parlementaire, Mesdames, Messieurs, c'est pour moi et donc, en l'occurrence, pour la Hongrie, un grand honneur d'avoir la possibilité d'exposer notre position sur le fonctionnement du Conseil de l'Europe.

« Monsieur le Président, je vous remercie des paroles que vous avez eues à propos de la Hongrie.

« Je suis fermement convaincu, et je le déclare, que le Conseil de l'Europe est appelé à jouer un rôle de tout premier plan dans le processus d'intégration. Parmi les différentes organisations, c'est l'unique instance internationale qui soit capable d'intégrer tous les pays européens. Son influence est également illustrée par le fait que le Conseil de l'Europe fut parmi les premiers à soutenir véritablement les nouvelles démocraties et la transformation qui s'opère dans cette région du continent. Cela a contribué à la création des conditions sociales de cette transformation dans notre région.

« Il faut aussi savoir gré au Conseil de l'Europe d'avoir reconnu les différents stades du processus d'évolution démocratique de ces pays. Il essaie d'intégrer les aspirations et les ambitions qui caractérisent ces différentes démocraties.

« Le Conseil de l'Europe exige des États membres le respect des principes fondamentaux de la coopération. À nos yeux, ce qu'a fait jusqu'à présent le Conseil de l'Europe à propos de l'Europe centrale et orientale est capital.

« Et puisque nous parlons de cette région, permettez-moi de souligner trois éléments très importants.

« Premièrement, sur la base des expériences et des évolutions, je puis dire tranquillement qu'en Europe occidentale et orientale le système parlementaire démocratique, le pluralisme et l'État de droit sont en train de se déployer presque partout, quoique des différences subsistent d'un pays à l'autre.

« Nous collons à l'image que vous avez formée à propos de l'Europe centrale : naturellement, de graves troubles de fonctionnement interviennent dans nos pays, en ce sens que la capacité à résoudre les problèmes et les conflits dans la région est faible. Pour cette raison, il est nécessaire de recourir au soutien prolongé des organisations de l'intégration et du Conseil de l'Europe. Notre situation est plus difficile en raison de l'absence de toute tradition démocratique. La transformation en Europe centrale est rendue encore plus compliquée par la carence de fonds matériels et par le fait que la croissance n'a pas encore atteint une phase propre à accélérer et à supporter tout le poids de la transformation.

« L'Europe centrale exige le déploiement d'une coopération financière et économique plus intense avec les pays développés, avec l'Europe occidentale en particulier. En Hongrie et en Europe centrale et de l'Est, la stabilité apparaît avec toujours plus de netteté ; la résolution et la transformation nécessaires à parfaire cette transformation sont affirmées.

« De ce point de vue également, il est d'une importance décisive, à nos yeux, de resserrer nos contacts et d'accroître nos moyens avec les organisations de l'intégration, car ce processus seul est en mesure d'assurer de nouvelles ressources à l'Europe centrale et orientale, de donner une image réelle de l'avenir, d'offrir un programme concret aux peuples vivant dans la région et de créer les éléments de la stabilité et du développement européen.

« Par ailleurs, la manière de faire prévaloir la cause des minorités dans la région est une question de tout premier plan. Les normes exigées par le Conseil de l'Europe ont fondamentalement droit de cité dans la région. Je soulignerai en particulier ce que le Conseil de l'Europe a formulé en 1993 : la sécurité démocratique doit s'étendre également à la région d'Europe centrale et orientale.

« Parallèlement, s'agissant des droits de l'homme, de graves violations sont perpétrées occasionnellement dans la région. Pour cette raison, il est absolument nécessaire, selon nous, de renforcer le système de "monitoring" ainsi que d'accentuer l'application des sanctions à l'encontre de ceux qui violent ces droits.

« Je soulignerai le rôle du Conseil de l'Europe dans le domaine de la protection des minorités. Nous estimons que dans la région, le Conseil de l'Europe se doit de jouer un rôle de contrôle.

« Nous considérons à sa juste valeur le début de la mise en application pratique du principe de la discrimination positive. Globalement parlant, le renforcement de la protection des minorités est une question clé de la stabilité européenne et en constitue une condition primordiale.

« L'une des particularités du rôle du Conseil de l'Europe, ce qui le distingue de toutes les autres organisations, de l'O.N.U. et de l'O.S.C.E. entre autres, est de formuler des normes de protection des minorités qui ont valeur internationale dans toute l'Europe, notamment pour les pays membres du Conseil de l'Europe et, plus spécifiquement, pour la région d'Europe centrale et orientale. Cela ne contredit nullement le fait que l'O.N.U., l'O.S.C.E. et le Conseil de l'Europe formulent des recommandations qu'il convient de traiter comme un tout organique.

« Dans le cadre du renforcement de la protection des minorités, le Conseil de l'Europe doit continuer à jouer un rôle moteur et un rôle de promoteur en ce qui concerne ses relations avec la Hongrie. Je puis déclarer avec satisfaction que nous sommes fiers que la Hongrie ait été le premier pays à rejoindre le Conseil de l'Europe, à avoir été le premier pays à prendre des contacts avec l'Organisation. À cet égard, permettez-moi de rapporter les propos d'un ancien secrétaire général du Conseil de l'Europe en visite en Hongrie, à Budapest, en 1987. Je cite : "L'Europe de l'Est est une mosaïque et non pas un bloc. Les Hongrois avaient été parmi les premiers à reconnaître l'importance des nouvelles idées grâce à leur attachement historiquement intense à l'Europe. Même par les temps les plus durs, la Hongrie était appliquée à maintenir des relations avec le Conseil de l'Europe. Pour le moment, elle est la seule à manifester cette intention comme la première hirondelle qui annonce les prochains changements."

« Ces paroles ont été prononcées en 1987 et si, au cours des huit années qui se sont écoulées depuis, d'immenses changements sont intervenus dans les relations entre l'Europe centrale et de l'Est et du Conseil de l'Europe, cette déclaration n'a pas perdu de son actualité. À partir de 1988, des relations plus étroites ont été établies entre la Hongrie et le Conseil de l'Europe. Ces contacts furent d'un grand renfort pour la constitution des bases juridiques du déploiement de la démocratie parlementaire et de l'État de droit. En 1989, il fut très agréable de constater que nous étions devenus membres de plein droit de l'Organisation qui était, selon nous, une reconnaissance des institutions d'une démocratie effective, fonctionnelle, et de ses institutions. Il est très réconfortant pour nous que le système démocratique parlementaire, la séparation des branches du pouvoir et leur indépendance, de même que le système parlementaire et des collectivités locales, puissent s'ouvrir un créneau indépendant.

« Dans le cadre de la protection des minorités nationales, la Hongrie n'a pas seulement accompli ce qu'elle s'était imposée en termes d'obligations au sein du Conseil de l'Europe ; elle a réalisé un progrès sans précédent, unique en ce domaine.

« À ce titre, je citerai quelques exemples.

« Une loi a été votée par le Parlement hongrois. C'est un fait sans précédent, unique dans la région, voire dans toute l'Europe. La loi que nous avons votée récemment porte sur un système de collectivités autogérées, indépendantes les unes des autres.

« Je ne pécherai pas par manque de modestie en disant que depuis cinq ans, depuis que la Hongrie est membre du Conseil de l'Europe, personne n'a formulé de grief à notre encontre. Nous avons accompli et nous accomplirons tout ce dont nous sommes chargés.

« Il m'est très agréable de constater que les dignitaires, l'Assemblée parlementaire et les membres des commissions du Conseil de l'Europe entérinent avec satisfaction la contribution hongroise en faveur du bon fonctionnement de votre institution. Nous avons adhéré à 47 conventions parmi les 150 élaborées par le Conseil de l'Europe. Il s'agit, je crois, d'un record pour un pays de l'Europe centrale et orientale. Adhérer à une convention nécessite un long travail préparatoire. En effet, nous devons, au niveau national, tenir compte des conditions et des exigences formulées par cette convention. Les précédents gouvernements hongrois méritent toute notre reconnaissance pour leur travail préparatoire en vue de notre adhésion à différentes conventions du Conseil de l'Europe. Actuellement, le gouvernement travaille sur l'adhésion de la Hongrie à de futures conventions.

« La Convention européenne des droits de l'homme est particulièrement importante à nos yeux car elle a une longue histoire. Elle faisait d'ailleurs partie des conditions de notre adhésion.

« Je voudrais également souligner l'importance de la Recommandation 1201 concernant un protocole sur les minorités. Après son adoption le 1 er février 1993, l'Assemblée parlementaire, le 31 janvier 1995, a confirmé et même renforcé la validité de cette recommandation. La commission ministérielle, lors de sa séance du 21 février 1995, a pris acte de cette recommandation mais l'a recommandé à l'attention des gouvernements. À cet égard, il est important de noter que la convention-cadre sur la protection des droits des minorités ne rend pas caduque la Recommandation 1201. En effet, elle stipule, en ce qui concerne les affaires internes des pays, que les constatations faites sur les droits des minorités ne rendent pas caduques les clauses y afférentes. Il est de notoriété publique que l'adoption des clauses sur les droits et la protection des minorités nationales par certains pays conditionnait leur adhésion au Conseil de l'Europe. C'est sur la base de ces acceptations que le conseil ministériel a pris des décisions en faveur de l'adhésion de ces pays.

« La charte des langues minoritaires est le premier document qui a une valeur contraignante pour les signataires. C'est la raison pour laquelle, lors de son adhésion, la Hongrie s'est engagée envers les minorités allemandes, roumaines, slovaques, slovènes et serbes, afin de permettre la continuité de l'usage de leurs langues minoritaires.

« La charte sociale européenne s'occupe de questions clés étroitement liées à la transformation sociale et économique qui est en train de s'opérer en Hongrie. Nous sommes en train d'élaborer une nouvelle constitution car il est vital, dans les conditions de l'économie de marché qui est en train de s'établir, de reformuler les droits sociaux. Il faut, en effet, déterminer les liens et les normes qui existent entre salarié et employeur - élément fondamental qu'il faut redéfinir. Un grand nombre d'éléments de la charte sociale européenne sont présents dans la législation, dans les régulateurs et dans la politique du Gouvernement hongrois.

« La charte des collectivités locales est pour nous de toute première importance car la coopération régionale renforce les liens du gouvernement et de la législation ainsi que de l'autonomie locale.

« Nous estimons que tous ces facteurs, toutes ces normes, toutes ces exigences résumés par les différentes chartes et les différents documents doivent non seulement prévaloir dans la législation nationale mais qu'il faut également les considérer comme des normes importantes en vue de la signature des documents de coopérations bilatérales. Je suis très heureux des propos tenus par M. Martinez sur le rôle actif que joue la Hongrie à cet égard. En effet, les demandes qui nous ont été adressées et que nous avons réussi à honorer avec le Conseil de l'Europe ont été de nature à renforcer nos liens avec lui.

« Le deuxième Centre européen de la jeunesse, qui est en train de se construire à Budapest, fonctionnera dès le mois d'octobre.

« Je tiens maintenant à parler brièvement de la politique que mène le Gouvernement de la République de Hongrie. Nous avons deux ambitions principales. Tout d'abord, de créer de bonnes relations de voisinage avec les pays voisins, puis de rejoindre les organisations de la délégation euro-atlantique.

« En ce qui concerne nos relations avec nos voisins, le nouveau gouvernement, entré en fonction l'été dernier, a proclamé la réconciliation historique. Nous estimons que dans la région d'Europe centrale et orientale presque toutes les nations, tous les peuples ont des griefs historiques à faire valoir et personne n'a le droit de contester la légitimité de ces griefs. De plus, personne n'a le droit de dire qu'il est impossible de trouver des remèdes, dans les conditions actuelles, à certains griefs existants depuis des décennies ou des siècles. On doit, quoi qu'il en soit, créer des rapports de bon voisinage. Avec l'Ukraine, la Slovaquie et la Slovénie, la Hongrie a d'ores et déjà signé des accords de base. Lors de la signature d'un accord avec la Roumanie, nous avons eu la volonté de trouver la solution aux questions en litige, même au prix de compromis.

« Je tiens à souligner également que notre adhésion aux organisations en vue d'une intégration euro-atlantique est une tâche primordiale pour la Hongrie. La transformation de l'architecture interne doit être subordonnée aux exigences de l'harmonisation européenne.

« En ce qui concerne notre politique étrangère, dans nos activités et dans la formulation de nos principes, nous bénéficions d'une souveraineté et d'une indépendance pratiquement pleines et entières.

« Pour la première fois de son histoire, depuis plusieurs décennies, la Hongrie à la libre décision pour ce qui est de la structure, de la transformation interne de la société et plus particulièrement pour les questions fondamentales de politique étrangère. Nous souhaitons bénéficier pleinement de cette possibilité historique qui nous est offerte.

« C'est pourquoi nous estimons que l'adhésion de la Hongrie et d'autres pays de l'Europe centrale et orientale à l'Union européenne et à d'autres organisations, notamment l'O.T.A.N., est devenue irréversible. La question est de savoir quelles sont les conditions de l'adhésion et à quelle date elle deviendra possible. La Hongrie, pour ce qui la concerne, ne voit pas d'alternative.

« Pour nous, il est de la plus haute importance de préserver la stabilité, tout en poursuivant la transformation économique et sociale dans notre pays. La Hongrie, comme les autres pays d'Europe centrale et orientale, a des difficultés à mettre en place la démocratie. Mais il est encourageant de constater que celle-ci existe. Il faut la préserver et la renforcer. Cependant, dans aucun pays d'Europe centrale et orientale n'existe le bien-être. Les tensions sociales sont très grandes et il existe de nombreuses carences, des manques dans le domaine économique et social. Il est donc très important que, pour la consolidation de la stabilité politique, tout gouvernement s'abstienne de mener une politique de discrimination à l'égard de ses concitoyens, de s'immiscer dans l'opinion des citoyens, de pratiquer une discrimination entre les différents groupes sociaux. Et il est fondamental à nos yeux, pour le bon fonctionnement des institutions, que le gouvernement ne viole en aucune manière la liberté de la presse.

« Nous estimons que toutes ces questions inhérentes à la transformation économique et sociale requièrent des efforts permanents non seulement de la part du gouvernement, mais aussi des autres acteurs du pouvoir et doivent faire l'objet d'une coopération plus forte avec les pays développés.

« Pour conclure, je voudrais en venir à des questions en suspens devant le Conseil de l'Europe.

« Il est de l'intérêt de la Hongrie que tous les pays qui le souhaitent puissent devenir, tôt ou tard, membres du Conseil de l'Europe. Quant à l'adhésion de la Russie et de l'Ukraine, nous pensons qu'il faudrait faire prévaloir le principe de la confiance, anticiper sur leur volonté. Cela devrait coïncider avec un contrôle accru des engagements pris. L'adhésion de tous les pays devrait dépendre des résultats quant à leurs engagements.

« S'agissant des relations entre le Conseil de l'Europe et l'O.S.C.E., nous sommes d'accord, dans le cadre de la gestion des crises, pour augmenter les moyens des missions humanitaires, de monitoring, de suivi. Un nombre plus important d'experts du Conseil de l'Europe devraient participer à ces missions. Pour ce faire, il est nécessaire de renforcer l'information réciproque entre les deux organisations et rechercher la possibilité de prendre des initiatives en commun.

« Concrètement, je pense que l'O.S.C.E. et le Conseil de l'Europe devraient examiner en commun quelle est la situation exacte de l'État de droit et des droits de l'homme en « petite Yougoslavie ». Les deux organisations devront examiner quelles initiatives devraient être prises en vue de la suspension des sanctions. D'après nous, un progrès peut être constaté dans cette direction. Si nous pouvons évoluer dans ce sens, il en résultera un effet bénéfique et l'équipe dirigeante de la « petite Yougoslavie » pourra prendre des mesures énergiques contre les visées agressives, en vue d'isoler les agresseurs. Nous serions très heureux que de part et d'autre, tant le Conseil de l'Europe que l'O.S.C.E., cette question soit examinée et que soit prise une initiative en ce sens.

« Pour ce qui concerne les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, nous saluons le dialogue politique, régulier et structuré, qui s'est instauré entre les deux organisations. Et nous apprécions tout particulièrement toute initiative qui concerne les pays de notre région. La politique suivie par le Conseil de l'Europe à notre égard ne peut qu'aider le processus d'adhésion de notre pays à l'Union européenne. Nos politiques relatives aux deux organisations sont inséparables.

« Puisque les programmes ne peuvent être que communs, l'Union européenne devra examiner les possibilités d'un financement des programmes proposés par le Conseil de l'Europe.

« Soyez assurés qu'une fois membre de l'Union européenne, la Hongrie soutiendra les projets et avis du Conseil de l'Europe.

« Mesdames, Messieurs, j'estime que tout ce que vous faites, que tout ce que nous faisons en commun a pour finalité la constitution d'une Europe unie. C'est la seule solution pour les peuples vivant en Europe. Merci de votre attention. »

E. - Communication de M. Daniel TARSCHYS, secrétaire général du Conseil de l'Europe. ( 27 avril 1995 .)

« Deux semaines nous séparent des cérémonies qui marqueront, dans toute l'Europe, le cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

« Cet anniversaire doit nous inciter à réfléchir au passé et à l'avenir.

« Le demi-siècle qui vient de s'écouler nous a permis de restaurer la paix et d'accéder à la prospérité, mais ces cinquante années se sont caractérisées aussi par l'oppression et la division de l'Europe - elles ont été une époque de suspicion mutuelle, d'espérances illusoires et d'erreurs de jugement dans le choix des orientations.

« Il y a cinquante ans, à la fin de la guerre et, une nouvelle fois, il y a cinq ans, lors de l'effondrement des régimes communistes, nous avons discerné les contours d'une Europe unie autour des mêmes valeurs : la démocratie, le respect de l'individu et une paix durable. Mais, sans cesse, les événements nous ont rappelé les obstacles qui se dressent sur notre chemin. Le drame de l'ex-Yougoslavie et les événements tragiques de Tchétchénie en sont les exemples récents les plus frappants.

« Aujourd'hui, si nous examinons le projet européen, nous constatons qu'aucune structure unique ne peut répondre à tous nos besoins. L'édification d'un avenir commun demande de nombreux liens et réseaux. La coopération doit aller bien au-delà des États, elle doit impliquer les régions, un large cercle d'experts, les jeunes et toutes les composantes de la société civile.

« Le Palais de l'Europe, où nous nous réunissons aujourd'hui, a vu se dérouler bien des rencontres et se développer bien des réflexions. Quand nous nous rassemblons ici pour comparer nos expériences, faire le point sur nos problèmes communs et débattre des risques et des avantages de différentes mesures, nous recherchons sans aucun doute des résultats politiques. Nous voulons agir. Mais nous recherchons également des perspectives communes : nous venons ici pour nous rencontrer et pour apprendre davantage sur la grande diversité qui fait l'Europe.

« L'apprentissage mutuel et les actions communes ont constitué l'image de marque du Conseil de l'Europe depuis sa fondation il y a près de quarante-six ans. Les résultats obtenus au cours de ces années sont impressionnants :

- la Convention européenne des droits de l'homme et de très nombreuses autres conventions ont établi un espace juridique européen commun qui s'étend constamment ;

- le programme intergouvernemental a largement contribué à l'élaboration des politiques tant nationales qu'européennes dans divers domaines ;

- l'Assemblée parlementaire a été un puissant moteur de changement et a ouvert la voie à un développement graduel de la coopération européenne.

« Aujourd'hui, le projet européen est l'entreprise commune de plusieurs organisations. L'Union européenne a réalisé de grands progrès et a désormais instauré le cadre intégré d'une prospérité européenne commune. L'O.S.C.E. (précédemment la C.S.C.E.) a fait oeuvre de pionnier en s'efforçant d'établir la confiance et de créer une sécurité commune en Europe, par des approches basées sur la coopération dans différents conflits régionaux.

« Après avoir édifié peu à peu ce réseau d'institutions européennes, nous nous trouvons aujourd'hui confrontés à de nouveaux défis. Avec l'effondrement des régimes totalitaires d'Europe centrale et orientale, la construction européenne est entrée dans une phase nouvelle. Notre coopération peut enfin prendre une dimension véritablement paneuropéenne.

« La liberté ne suffit pas - les Européens de l'Est veulent la prospérité ; ils veulent aussi la sécurité. Ils souhaitent la garantie d'un niveau élevé de protection sociale. Nous possédons de tels dispositifs en Europe occidentale, mais ils ont grand besoin d'être revus et réformés, notamment en raison d'un chômage persistant. Il existe bien d'autres préoccupations communes, comme les menaces de plus en plus graves qui pèsent sur notre environnement et l'expansion de la criminalité internationale.

« Ces problèmes demandent à la fois une vision et une action communes. L'ouverture de nos structures européennes à des partenaires nouveaux doit être l'un des principaux objectifs des années à venir. Si nous désirons plus de liberté, plus de démocratie, plus de sécurité et plus de prospérité sur notre continent, nous ne pouvons les rechercher à l'intérieur de frontières artificielles. Nous avons besoin d'une coopération européenne à la fois plus large et plus intense.

« C'est pourquoi l'élargissement occupe une place aussi importante sur notre ordre du jour, comme sur celui d'autres organisations européennes. Mais il n'est pas si facile de prendre à bord de nouveaux passagers, pour des navires construits à l'intention d'un équipage bien plus restreint.

« Les dix pays d'Europe centrale et orientale qui nous ont rejoints au cours des cinq dernières années ont tous manifesté quelque peu d'impatience à l'égard de la procédure, et il en est de même pour les huit pays candidats aujourd'hui à l'adhésion.

« Pourtant, en comparaison à d'autres organisations, nous avons été relativement rapides et flexibles et nous avons tout mis en oeuvre pour traduire dans la pratique les termes de la Déclaration de Vienne, d'après laquelle le Conseil de l'Europe « est l'institution politique européenne par excellence qui est en mesure d'accueillir, sur un pied d'égalité et dans des structures permanentes, les démocraties d'Europe libérées de l'oppression communiste ».

« L'Assemblée parlementaire a eu une réaction particulièrement rapide en imaginant le statut d'invité spécial, qui a permis au cours des dernières années à des parlementaires de quelque vingt États différents de préparer l'adhésion de plein droit de leur pays.

« L'élargissement ne doit pas conduire à la dilution. Les nouveaux membres sont les bienvenus mais nous ne voulons pas nous développer aux dépens des valeurs essentielles qui sont la raison d'être du Conseil de l'Europe : la démocratie pluraliste, le respect des droits de l'homme, la primauté du droit et une plus grande unité européenne.

« En fait, l'objectif principal de l'élargissement est précisément de défendre et de promouvoir ces valeurs. Mais pour des pays où les traditions démocratiques sont faibles et où nous discernons encore bien des ombres du passé, il s'agit là d'un grand défi. En affrontant ce défi, nous disposons d'un nombre considérable d'atouts. Après quarante-cinq ans d'activités, le Conseil de l'Europe a des contacts étendus dans tous ses États membres - avec des parlementaires, avec des ministres, avec des instances académiques et des O.N.G. - et nous pouvons nous appuyer sur un personnel expérimenté, motivé et hautement qualifié. Mais la tâche est énorme. Pour bien l'accomplir, nous n'avons pas seulement besoin d'énergie et de dévouement, mais aussi de stratégies nouvelles. Je voudrais souligner en particulier la nécessité du suivi du respect des engagements (« monitoring » ) et d'un soutien accru.

« Le contrôle est indispensable. En adhérant au Conseil de l'Europe et en ratifiant un grand nombre de ses conventions, les États membres ont accepté des obligations considérables. Surtout, ils ont pris des engagements importants vis-à-vis de leurs propres ressortissants. Nous devons disposer des instruments voulus pour vérifier comment ces engagements sont respectés, comment ces promesses sont tenues. De tels instruments existent, puisque nous avons à notre disposition :

- le mécanisme de contrôle de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui, par sa jurisprudence, a fait de la Convention un ensemble de normes juridiques dynamique et en évolution, qui élargit graduellement la sphère des droits civiques ;

- le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants qui peut inspecter tout lieu de détention dans les États parties à la Convention ;

- le Comité des experts indépendants qui contrôle l'application de la charte sociale ;

- la procédure Halonen, créée par l'Assemblée, qui s'est révélée très utile et a soumis les gouvernements à une pression amicale mais ferme ; grâce à l'adoption hier du rapport Columberg, ce mécanisme a été développé davantage ;

- et la décision récente du Comité des ministres tendant à renforcer ses propres efforts pour suivre le respect par tous les États membres de leurs engagements.

« Tous ces éléments sont satisfaisants mais, aussi longtemps qu'il y aura des violations graves des droits de l'homme et des principes démocratiques dans nos États membres, nous ne pourrons guère nous féliciter des réalisations passées et présentes. Le mécanisme de contrôle doit être renforcé et développé pour répondre à des nécessités et des pressions nouvelles, venant non seulement des anciens États membres mais aussi des nouveaux, dont les citoyens découvrent peu à peu leurs droits en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme.

« Par ailleurs, le contrôle ne suffit pas. Le Conseil de l'Europe doit faire davantage que de rendre des verdicts et montrer du doigt, il doit également apporter un soutien constructif aux processus de réformes en cours dans les États membres nouveaux et futurs. Nous avons déjà lancé des programmes de soutien, partiellement en coopération avec l'Union européenne, et il s'agit là d'un domaine d'activité que nous avons toutes raisons de développer. Des propositions concrètes à cet égard sont actuellement en préparation.

« Dans ce contexte, je voudrais souligner le rôle considérable que les pays d'Europe centrale peuvent jouer dans notre coopération avec les États situés plus à l'est. Pionniers de la transition du communisme vers la démocratie pluraliste et de l'économie planifiée vers l'économie de marché, ils ont acquis une précieuse expérience, dont pourraient maintenant bénéficier d'autres pays s'engageant dans la même voie.

« Hier, lors de l'examen du rapport Masseret, l'Assemblée est revenue sur un thème classique depuis la fondation du Conseil de l'Europe : celui de l'avenir de l'architecture européenne.

« L'attention se porte actuellement sur les préparatifs de la Conférence intergouvernementale de 1996 de l'Union européenne. En quoi cette question intéresse-t-elle l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ? Je voudrais citer quatre raisons essentielles.

« Tout d'abord, l'Assemblée représente une Europe démocratique élargie - non seulement les quinze États qui sont maintenant membres de l'Union, mais, en outre, un nombre à peu près équivalent de pays qui souhaitent y adhérer. La structure qu'adoptera l'Union à l'avenir intéresse au plus haut point tous ces États.

« En second lieu, l'Assemblée plonge ses racines dans les parlements nationaux, lesquels seront directement concernés par les résultats de la conférence intergouvernementale. Si l'on veut que le projet européen recueille le soutien de nos concitoyens et conserve, à leurs yeux, sa légitimité, il faut trouver un équilibre satisfaisant entre les niveaux de décision nationaux et supranationaux.

« Troisièmement, les questions les plus importantes concernant l'organisation institutionnelle de l'Europe ont toujours été traitées au Conseil de l'Europe, que ce soit au cours des débats généraux périodiques à ce sujet ou à l'occasion des débats sur des organisations particulières (l'OCDE tout d'abord, et maintenant la BERD et la CEE/ONU) qui ont lieu régulièrement à l'Assemblée parlementaire. Des échanges de vues réguliers se sont également tenus sur les évolutions importantes de la Communauté européenne, par exemple sur le Traité de Maastricht.

« Enfin, cette conférence exercera également une influence directe sur le Conseil de l'Europe. Lorsqu'elle définira ses compétences et ses attributions futures, l'Union européenne prendra également en compte des responsabilités incombant aux États membres eux-mêmes et aux autres institutions européennes. C'est pourquoi tous les participants à ce débat devraient avoir à l'esprit les contributions originales - passées, présentes et futures - du Conseil de l'Europe, à savoir :

« - son rôle de gardien des valeurs fondamentales que sont la démocratie pluraliste, la prééminence du droit et le respect des droits de l'Homme ;

« - sa fonction de coordination de projets et de programmes conjoints à l'échelon européen, dans des domaines où les États membres veulent conserver leur souveraineté et préfèrent une coopération intergouvernementale à des solutions supranationales ;

« - son caractère, enfin, d'organisation paneuropéenne, qui lui permet d'étendre à tous les États de l'Europe démocratique des programmes et des projets nécessitant une large assise européenne.

« Pour que son action soit efficace, le Conseil de l'Europe doit travailler en étroite collaboration avec les autres organisations européennes. Ces relations, je suis heureux de vous en informer, se développent de manière tout à fait satisfaisante :

« - après quatre années d'interruption, les réunions « quadripartites » entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont repris, et les deux organisations sont convenues de renforcer leur coopération, notamment à l'égard de l'Europe centrale et orientale ;

« - pour illustrer ce propos, je mentionnerai notre participation active aux travaux de l'Union, qui se sont conclus par le Pacte de stabilité et auxquels le Conseil de l'Europe a apporté une contribution précieuse, basée à la fois sur les résolutions adoptées par l'Assemblée parlementaire et sur la Convention-Cadre pour la protection des minorités nationales ;

« - la coopération concrète et quotidienne avec l'Union européenne a progressé de manière satisfaisante. Cela ne signifie pas que l'on ne puisse encore l'améliorer. Des projets communs plus nombreux pourraient être développés, par exemple dans le domaine de la culture et de la promotion de l'identité européenne. Nous devons par ailleurs éviter les chevauchements, par exemple dans le domaine de la lutte contre le racisme, l'intolérance et la xénophobie ;

« - nous sommes, en outre, en train de développer de bonnes relations de travail avec l'O.S.C.E., qui assume désormais la responsabilité principale pour le Pacte de stabilité. Une première réunion de type "quadripartite" avec l'O.S.C.E. s'est tenue en février 1995, et la coopération pratique sur des sujets spécifiques devient de plus en plus importante.

« Le Conseil de l'Europe comporte deux organes statutaires : le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire. Il est essentiel que ces instances coopèrent étroitement, et je crois qu'ici encore des progrès notables sont en cours. On pourrait même parier d'une certaine "infiltration" : depuis que j'ai pris mes fonctions en juin dernier, un membre de l'Assemblée est devenu ambassadeur auprès du Conseil de l'Europe ; deux autres sont maintenant vice-ministres des Affaires étrangères ; six membres de l'Assemblée, enfin, ont été nommés ministres des Affaires étrangères, et sont donc membres du Comité des ministres. Si cette tendance se maintient, le Conseil sera, dans quelques années, entièrement sous le contrôle de l'Assemblée parlementaire.

« Mais je terminerai sur une note plus sérieuse : les relations entre les deux instances sont de plus en plus nécessaires, car nous sommes confrontés à d'extraordinaires défis.

« Les valeurs que nous défendons sont encore gravement menacées. Elles le sont dans certains de nos États membres ; elles le sont aussi dans des États candidats à l'adhésion, comme l'ont montré à l'évidence les débats d'urgence que vous avez tenus sur la Tchétchénie, en janvier, et sur la Turquie, lors de la présente session. Permettez-moi de mentionner un seul autre domaine spécifique : celui de la liberté d'expression.

« Dans un bien trop grand nombre d'États européens, l'attitude des gouvernements vis-à-vis des médias continue encore de refléter celle des anciens apparatchiks. Beaucoup trop fréquemment, ils cherchent à museler les médias par des contraintes fiscales, par l'exclusion des journalistes trop critiques et par une ingérence abusive dans l'administration des sociétés de radiodiffusion. Certains médias sont soumis à un harcèlement systématique, sous prétexte qu'ils offensent de hauts responsables ou soutiennent des terroristes ou des sécessionnistes, ou, tout simplement, parce qu'ils déplaisent à ceux qui détiennent le pouvoir.

« Ce n'est pas à un ou deux de nos gouvernements, mais à un grand nombre d'entre eux, qu'il faut rappeler que ce n'est pas ainsi que l'on traite les médias dans une société libre, pas plus que les opposants politiques. On dit parfois qu'un pays où la presse est libre est au moins à moitié démocratique, même s'il ne tient pas d'élections, alors qu'un pays qui organise des élections mais n'a pas de presse libre n'a absolument rien d'une démocratie. Il s'en faut de beaucoup que la liberté d'expression soit garantie dans chacun des trente-quatre États membres.

« Les valeurs fondamentales sont menacées ; les valeurs fondamentales doivent être défendues.

« Ensemble, nous devons veiller à ce que le Conseil de l'Europe rassemble assez d'énergie, d'imagination et de ressources pour agir puissamment en faveur des réformes institutionnelles, des droits de l'Homme et du renforcement des structures démocratiques, dans tous les pays et toutes les situations où ces valeurs sont encore fragiles et en butte aux attaques. »

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