B. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS GIRARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SANTÉ

M. Charles DESCOURS, président - Après l'audition de Bernard Serrou, il nous semble -mais nous l'avions déjà perçu- qu'il y a plusieurs vigilances. Certaines fonctionnent correctement en France, d'autres moins bien. Quel est l'avis du Directeur Général de la Santé sur la situation actuelle et à venir ?

M. Jean-François GIRARD - Je vais répondre à votre question car je crois que c'est une des plus actuelles, mais j'aurais envie de commencer par un constat qui est celui d'un besoin de clarification.

La faiblesse française ne provient pas du manque d'institutions, (il y a probablement un manque de moyens, j'y reviendrai à la fin), mais d'un manque de coordination et de mise en cohérence de tout ce qui existe déjà.

Les efforts de l'action publique doivent aller vers une meilleure cohérence, une meilleure coordination et, mais pas forcément dans tous les domaines, vers la création de nouvelles institutions. C'est une première remarque liminaire.

Deuxième remarque, il y a une règle qu'en tant que Directeur Général de la Santé, vis-à-vis de ma propre administration, j'ai cherché à appliquer de façon très déterminée. Le ministère de la Santé, dans le champ qui est celui de votre mission, doit bien distinguer les missions d'administration dite centrale, missions stratégiques de définition de politiques, d'évaluation auprès du ministre et l'expertise technique dont on a besoin.

Lorsque je dis "expertise technique", ce sont aussi les fonctions opérationnelles. Je ne crois pas qu'une administration comme la mienne est faite pour faire de l'opérationnel, c'est-à-dire des tâches répétitives. Ce n'est pas le rôle d'une administration centrale. On en a pris acte en créant l'Agence du médicament, votre assemblée a d'ailleurs joué un rôle déterminant dans cette création.

La création de l'Agence du médicament a conduit ipso facto à la suppression de la Direction de la pharmacie et du médicament, dont il est resté un petit morceau, mais cette décision a été la première, ou presque, consacrant la distinction entre les fonctions politiques et stratégiques qui sont celles d'une administration et les fonctions opérationnelles. C'est très important.

Lorsque j'ai pris la décision de proposer la création du RNSP (Réseau National de Santé Publique) cela procédait de la même logique. La surveillance des épidémies comme celles de la listériose au cours des célèbres étés 1992 et 1993 avait embolisé complètement le bureau des maladies transmissibles qui ne faisait que cela car les ministres de l'époque nous demandaient le nombre de cas de listériose tous les deux jours.

M. Charles DESCOURS, président - C'est le ministère des Finances qui, par l'intermédiaire de la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes, a un laboratoire de listériose.

M. Jean-François GIRARD - C'est un peu court, si je peux me permettre, Monsieur le Président.

M. Charles DESCOURS, président - C'est ce que l'on m'a dit.

M. Jean-François GIRARD - Il y a un centre de référence des listérioses à Paris.

M. Charles DESCOURS, président - On m'a parlé d'un laboratoire dépendant de la DGCCRF.

M. Jean-François GIRARD - Sur la traque à la listériose, je regrette que l'on n'en ait pas assez écrit l'histoire. Plusieurs composantes sont indispensables. L'administration de la concurrence et de la répression des fraudes qui s'occupe de la distribution a fait des prélèvements dans le circuit de distribution, dans les aliments et a travaillé dans ses propres laboratoires pour chercher la listériose.

C'est une mission très bien identifiée qui coexistait avec les fonctions du laboratoire de références de l'Institut Pasteur. En France, il existe une trentaine de centres de références dont plus de la moitié sont à l'Institut Pasteur. Nous avons une chance très appréciable et mondialement respectée avec ce vivier d'expertise.

En revanche, l'Institut Pasteur a été complémentaire de ce qu'a fait le laboratoire dont vous parlez puisque, dès qu'une souche humaine de listériose est découverte chez l'homme, est identifiée dans un laboratoire quel qu'il soit en France, elle est adressée à l'Institut Pasteur.

Troisième notion liminaire : il est évident que le débat ne se situe pas uniquement entre fonctions respectives de l'administration centrale et fonctions des institutions d'expertise satellites, il y a aussi les services déconcentrés.

Une réflexion, qui n'est pas simple, doit être faite pour savoir comment l'administration ou le ministre et son administration centrale, les services déconcentrés et les agences ou les institutions, voient leur point d'application exister sur le terrain ? Qui sont les relais de l'Agence du médicament, de l'Agence du sang, du RNSP ? Notre réflexion à nous tous ne serait pas complète si nous n'avions pas à la fois la réflexion au niveau central et au niveau déconcentré.

Pour répondre à votre question, j'ai envie de dire que les préoccupations de la politique de santé, de la sécurité sanitaire, de la sécurité des produits, de la veille sanitaire prennent un essor particulier.

Il y a trois fonctions essentielles complémentaires l'une de l'autre, mais il serait extrêmement dommageable qu'une seule attire toute la préoccupation publique, de votre assemblée, d'une commission, d'un ministre car elles sont toutes les trois indispensables.

La première comprend tout ce qui tourne autour de l'évaluation : évaluation des pratiques, des comportements, autour de cela, on a la qualité des soins, l'accréditation. En clair, ce premier volet concerne l'ANDEM et l'ANAES.

Par rapport à l'intitulé de votre mission, tout ce qui est évaluation des pratiques, des stratégies, diagnostics thérapeutiques, tout ce qui contribue à la qualité des soins constitue un premier bloc.

Le deuxième grand volet comprend tout ce qui contribue à la connaissance sur l'état de santé. Trois aspects y contribuent :

- l'observation,

- la surveillance,

- la vigilance.

Je reviens sur chacun de ces trois mots qui ne sont pas superposables.

L'observation, c'est le dénominateur. C'est le nombre de cas de cancer, par exemple, de pathologies cardio-vasculaires, comment cela évolue. C'est le fait de prendre acte du fait qu'en France, depuis quelques années, la pathologie cardio-vasculaire est en régression. C'est une connaissance de l'état de santé de la population française. C'est ce que font assez bien les ORS, mais d'une façon inégale, certains marchent très bien, d'autres moins bien.

Il est vrai que sur ce créneau spécifique, à l'intérieur de la connaissance dans le sous-ensemble observation, nous manquons d'une synthèse nationale, sans compter que les sources sont multiples avec l'assurance maladie, les universités, les ORS, les hôpitaux.

En résumé, l'observation manque de synthèse nationale.

Deuxièmement, la surveillance. Le mot surveillance est un mot que les anglophones nous ont pris, avec un sens très précis. Dans ce cas, c'est la détection de tout événement de santé imprévu. C'est fondamental. En clair, cela ne commence peut-être pas à un, mais cela peut commencer à deux. D'ailleurs, pour le cas de la vache folle, cela a commencé à un. La première fois qu'il y a eu un cas posant un problème de santé atypique chez l'homme, le cas de Lyon a suffit pour qu'on le repère.

Pourquoi la surveillance est-elle importante ? Parce que, quelle que soit l'ampleur du phénomène de santé imprévu, nouveau, (cela peut être deux cas de gastro-entérite dans une famille pouvant signifier qu'une glace avariée a été mangée la veille au soir ou à la cantine) cela suffit pour déclencher une enquête. Un phénomène de santé imprévu peut concerner une épidémie, exemple le sida, l'hépatite C, bref des choses que l'on appelle "problèmes de santé publique". Dans tous les cas de figure, l'important est que l'émergence d'un phénomène de santé imprévu nécessite une décision politique ou administrative adaptée. D'où le fait que l'on dise toujours surveillance/intervention.

A chaque fois que surgit un événement de santé, on doit faire quelque chose immédiatement derrière. Dimanche dernier, comme vous l'avez peut-être entrevu, (mais cela a été discret, ce n'était pas un événement national) trois cas d'une pathologie rarissime ont été constatés. Il s'agit de la maladie de Kawasaki que l'on a décrite au Japon. Au troisième cas de cette maladie chez des enfants à Lille, une enquête a été déclenchée. Le réseau s'est mis en marche. L'école a été fermée pendant la période de doute. Le fait que trois enfants soient atteints d'une maladie pas toujours bénigne, faute de savoir le pourquoi des choses, a conduit à fermer l'école, à faire un certain nombre d'investigations et à s'assurer que cela n'allait pas au-delà de trois cas.

C'est de la surveillance/intervention. C'est ce que le réseau national de santé publique fait actuellement avec des moyens insuffisants. Je vous rappelle qu'il a été créé en 1992 sous la forme d'un groupement d'intérêt public avec un effectif d'un peu plus de trente personnes. C'est une structure qui est à la fois un noyau central stratégique, localisé à Saint-Maurice près de Paris, avec des antennes dites "cellules interrégionales" qui sont en train de se constituer. Trois ont été créées en 1995, trois en 1996. La couverture du territoire français, y compris l'Outre-Mer, sera achevée en 1997. Au total, ces 11 cellules interrégionales vont constituer les bras séculiers du réseau national pour cette fonction de surveillance car encore une fois, c'est un métier que l'on fait, à la différence de l'observation, 7 jours sur 7, nuit et jour, avec une notion d'urgence qui s'impose parfois.

Troisième mission : la vigilance. Bernard Serrou a dû certainement vous en parler. C'est l'ensemble des surveillances, certes, des événements produits, déclenchés par l'action humaine en général et surtout par l'action médicale, soignante en général. Ce sont les iatrogénèses, que ce soit la pharmaco-vigilance, l'hémo-vigilance, la réacto-vigilance, la matério-vigilance. A l'époque où vous avez examiné les projets de lois sur la bio-éthique, on a même parlé de l'AMP vigilance.

Sur ces vigilances, je dirai deux choses.

Premièrement, elles sont extrêmement éclatées. Elles le sont en autant de structures qu'il y a ou qu'il devrait y avoir s'occupant du secteur. On a confié l'hémo-vigilance à l'Agence française du sang, la pharmaco-vigilance à l'Agence du médicament, etc.

On peut se poser la question -je l'avais dit en son temps à Bernard Serrou- de savoir s'il est raisonnable de confier la vigilance x à la boutique qui s'occupe du sujet ? Est-ce raisonnable de demander à l'Agence du médicament de traquer tous les effets secondaires des médicaments qu'elle a elle-même, par décision positive, mis sur le marché ?

La question mérite d'être posée. On me dit, et par certains côtés, c'est très séduisant et logique, que pour être capable de traquer les effets secondaires d'un médicament, il faut avoir une extrême compétence qui est précisément toute cette expertise que constitue le vivier des gens travaillant avec l'Agence du médicament. On me dit la même chose pour l'hémo-vigilance.

Extraire la pharmaco-vigilance de l'Agence du médicament, l'hémo-vigilance de l'Agence française du sang et toutes les vigilances à venir pour les confier à une seule institution polyforme qui s'occuperait de toutes les vigilances, je ne suis pas sûr, surtout si l'on veut être pragmatique et respecter ce qui existe déjà, que ce soit possible.

En revanche, je suis certain qu'il faut, à un endroit quelconque, rassembler toutes les informations qui proviennent de ces vigilances car, après tout, c'est un aspect de l'état de santé des Français non négligeable car la somme des vigilances, c'est l'image de la hiatrogénèse. On le sait et on le saura de plus en plus, la hiatrogénèse est une part non négligeable de ce que l'on devrait ne pas tolérer, ou réduire pour ne parler que des affections nosocomiales. Il y aura probablement toujours des infections nosocomiales, il n'y a pas de médecine sans risque, mais visiblement, nous avons besoin d'avoir une meilleure appréciation de l'ensemble des iatrogénèses et d'un rapprochement des vigilances. A un moment donné, il faut qu'il y ait une synthèse, ne serait-ce que pour rapprocher les méthodologies.

J'ai été un peu long sur la partie connaissance, mais dans l'intitulé de votre mission, vous avez "la veille sanitaire", et dans la veille sanitaire, ces trois aspects, l'observation, la surveillance et la vigilance sont indispensables.

Actuellement, il existe le Réseau National de Santé Publique. Il couvre pratiquement uniquement le volet n° 2, la surveillance. Il ne couvre pas l'observation. Il n'assure pas cette fonction de synthèse nationale dont on a besoin et il n'assure que très partiellement la synthèse de la vigilance. Il récupère, certes, l'ensemble des cas de sida post-transfusionnels, heureusement, maintenant ils sont peu nombreux. Il est utile de rapprocher la iatrogénèse transfusionnelle de l'ensemble du sida et de faire des comparaisons par rapport aux statistiques que le réseau national gère au plan français.

On a dit dans cette maison, avec tout le respect que je lui dois, que la Direction Générale de la Santé avait des envies dévorantes d'élargir son territoire. Non, j'ai sorti de la Direction Générale de la Santé de nombreuses fonctions. Moins il y aura de fonctions techniques et d'expertises opérationnelles dans l'administration centrale, plus celle-ci sera forte pour faire de la stratégie et aider à définir des politiques sous la conduite du ministre.

Je le dis avec conviction, ma longévité pathologique me le permet peut-être.

M. Charles DESCOURS, président - Vous avez cité trois points spécifiques dans la vigilance : l'évaluation, la connaissance et dans la connaissance, vous avez parlé de l'observation, de la surveillance et de la vigilance.

M. Jean-François GIRARD - Le troisième aspect concernera les produits. Je suis toujours dans le volet n° 2, connaissance. Pour l'instant, nous avons le réseau. Le réseau national a été créé en 1992. C'est un groupement d'intérêt public. Je crois qu'il a bien fait son travail jusqu'à maintenant. Il n'a pas détecté les crises du passé, c'est-à-dire l'amiante et la vache folle car ce sont des crises héritées du passé. Le problème avec ces maladies-là est qu'il faut 10, 20 ou 30 ans -c'est vrai aussi bien pour l'amiante que le prion- pour que les effets pathologiques s'en fassent ressentir.

Pour une institution qui existe depuis 1992, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir eu cette fonction d'alerte. Le réseau détecte les crises du futur. Des travaux sont faits. M. Drucker, que vous recevrez, vous expliquera l'activité et le nombre d'épidémies débutantes détectées, cela peut être deux ou trois cas. Il est vrai que nous n'avons pas l'habitude de faire un communiqué de presse à chaque fois que l'on détecte une épidémie.

M. Charles DESCOURS, président - Excusez-moi de vous interrompre, mais cela me semble un point capital. Vous dites que pour une épidémie, même si seulement trois cas sont détectés, un processus va être maintenant déclenché, mais souvenez-vous, lorsque M. Dormont a dit qu'il voulait travailler sur le prion, à l'époque, personne ne l'a soutenu. Il a travaillé dans son coin car il n'a pas trouvé de relais ni à la DGS, ni à l'INSERM ou au CNRS.

Je crois que la fonction d'alerte est très importante. Aujourd'hui, dans votre connaissance de l'état de santé, qui fait la fonction d'alerte en amont ?

C'est cela qui m'inquiète.

M. Jean-François GIRARD - Je ne sais pas si c'est de l'alerte sanitaire, j'en conviens avec vous, il y a un aspect alerte qui commence à dépister le premier cas imprévu, mais je ne sais pas prévoir l'épidémie de 2010.

M. Charles DESCOURS, président - Il ne s'agit pas de cela. On mange de la viande tous les jours, subitement, on nous a expliqué que des vaches étaient atteintes par une épidémie, pourquoi jusqu'à cette année, ne s'est-on pas posé la question du passage à l'homme ? Aviez-vous débloqué des crédits ?

M. Jean-François GIRARD - Je ne suis ni ministre de la recherche, ni Directeur Général de la recherche. Le rapport de 1992 de M. Dormont indiquait très bien les choses. Il y a eu une série de décisions. J'ai été entendu par la mission d'information de l'Assemblée Nationale. Je ne crois pas que l'on puisse dire, sauf à ce que nous n'ayons pas fait notre travail d'information, que l'on s'est réveillé en 1996.

Je suis stupéfait d'entendre cela. Je vous enverrai la chronologie des décisions prises depuis 1992, et parfois même avant, montrant le principe de précaution et le risque du passage à l'homme, alors que tout le monde disait que la spécificité d'espèce du prion était protégée puisque le mouton n'avait jamais donné de maladie depuis deux siècles alors qu'on en mangeait avec délectation dans certains pays et où il est, paraît-il, beaucoup plus honorant pour la personne reçue de manger du mouton tremblant que du mouton non tremblant. La science nous livrait ses connaissances avec la certitude qu'il y avait une spécificité d'espèce.

Ce dogme a fonctionné dans les premières années de 1990, le rapport Dormont a été suivi d'un ensemble de décisions, pardon de le dire avec détermination si ce n'est avec vigueur, qui fait que je n'ai pas attendu le 20 mars 1996. Les dispositifs médicaux contenant des extraits bovins sont soumis depuis deux ans à une commission de sécurité micro-biologique ; si l'avis est négatif, on ne met pas sur le marché. On a fini par prendre un arrêté qui a été traduit devant la Cour de justice européenne par Bruxelles.

Je suis prêt à vous apporter des informations, et en premier lieu, à vous donner la chronologie publique de 10 pages qui vous apportera tous les éléments.

Cela étant, je ne réponds qu'en partie à votre question, elle est légitime. Comment remontez le plus possible en amont pour prévoir un risque et ne pas attendre sa traduction en pathologie humaine ?

M. Charles DESCOURS, président - On a tous appris le cancer dû à l'amiante, mais personne n'a interdit l'amiante. Lorsque vous avez passé l'externat ou l'internat, moi aussi, on nous apprenait le cancer de la plèvre, le mésotéliome dû à l'amiante. Tout le monde le savait, cela n'a pas empêché de continuer à construire avec de l'amiante et subitement depuis 6 mois, on parle de détruire Jussieu.

M. Jean-François GIRARD - Pourquoi ces choses-là sont-elles apparues depuis 6 mois ? Il y a un phénomène que j'apprécie, c'est un signe de transparence et de démocratie dont je subis, plus que la moyenne, les difficultés.

Sur l'amiante, des mesures ont été prises dans les années 77, d'autres ont été reprises en 1985. Il y a eu tout un train d'études de faisabilité, de déflockage montrant que l'on n'avait pas tout à fait tort d'être prudent entre 1989 et 1994. Un décret a fini par paraître en 1996. Effectivement, on ne parle plus du décret consistant à faire l'inventaire. Il ne faut pas se précipiter car si l'on doit tout déflocker, indépendamment du coût pour la nation, c'est très dangereux car l'on risque de faire monter le nombre moyen de fibres dans l'atmosphère.

Sur tout cela, peut-être que nous ne nous exprimons pas assez, je le crains, mais je ne suis pas sûr que ce soit une raison suffisante pour expliquer la situation dans laquelle nous sommes. Mais tant pour la vache folle que pour l'amiante, l'action publique n'a pas commencé en 1996.

Sur ces deux points-là, je vous enverrai la chronologie de ces événements. Cela vous montrera qu'il s'est passé beaucoup de choses. Sur l'amiante, on peut revenir sur les risques certains et les risques évoqués, je pense que l'article de M. Allegre va contribuer au débat par rapport aux certitudes ou aux incertitudes que l'on a actuellement ; certitude sur le plan de l'exposition professionnelle, incertitude sur le plan de l'exposition dite environnementale.

M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur, je voudrais que vous nous parliez maintenant des produits.

M. Jean-François GIRARD - Oui, les produits thérapeutiques. Une première chose doit être affirmée : le modèle du médicament est probablement le plus achevé. La gestion le suivi des produits et ce qu'il faut faire pour en assurer la sécurité, tout ceci passe par trois fonctions bien décrites par les uns et les autres :

- une expertise,

- un contrôle,

- des mécanismes d'alerte.

On voit très bien ce que cela veut dire au plan des médicaments, l'expertise c'est l'AMM ; le contrôle, c'est tout le système d'inspection des établissements pharmaceutiques et les pratiques de préparation ; l'alerte, c'est la pharmaco-vigilance.

Dans l'alerte, il y a deux choses : l'alerte sur le produit défectueux à un instant donné, un comprimé qui est rouge au lieu d'être blanc, et l'alerte sur le plan des conséquences humaines du dépistage le plus tôt possible d'effets indésirables.

Ces trois fonctions, expertise, contrôle, alerte en matière de produits thérapeutiques sont indispensables pour tous les produits. Si je dis que le modèle du médicament est le plus achevé, c'est parce que la même triade n'est pas appliquée à d'autres produits thérapeutiques.

Grâce aux préoccupations du Parlement et de votre assemblée en particulier, des outils ont été mis en place pour les produits sanguins, pour les greffes, mais il reste un créneau qui doit être la priorité par rapport à cette préoccupation à l'intérieur des produits thérapeutiques, c'est le dispositif médical. Le système actuel est insuffisant à plusieurs égards.

Premièrement, j'ai quelques scrupules à en parler, mais j'estime que ce n'est pas à l'administration centrale de prendre en charge le suivi des dispositifs médicaux et de contribuer à leur mise sur le marché. En revanche, elle peut suivre tout ce qui est la vigilance, mais les décisions à prendre en trois heures pour retirer des sondes cardiaques, etc, ne sont pas de son ressort. C'est un métier à part que l'administration centrale ne sait pas faire.

Les dispositifs médicaux doivent bénéficier le plus d'un effort pour lesquels il faut faire l'expertise, le contrôle, la procédure d'alerte.

Pour l'expertise dans les dispositifs médicaux, le ministère de la Santé, et moi-même, nous étions préoccupés du fait que le marquage CE encadrant ces produits est, dans certains cas, insuffisant.

Je ne sais pas si vous partagez ce sentiment. Revenant également de Washington, nous avons eu le sentiment qu'il y avait certes une guerre économique à la clef, mais que le système y était extrêmement verrouillé, peut-être même trop verrouillé au sein des producteurs et que l'on avait au contraire un dispositif européen relativement lâche, marqué du sceau de la construction européenne avec la libre circulation, la facilitation d'échange de produits conduisant à un marquage CE insuffisant pour certains dispositifs médicaux.

Je vous ai parlé tout à l'heure de dispositifs contenant des produits bovins. Plus généralement, M. Gaymard a écrit au Président en exercice de la Communauté européenne pour attirer son attention sur le fait que les dispositifs médicaux étaient, en matière d'expertise, et dans le cadre européen s'imposant en droit français, insuffisamment contrôlés, encadrés et, pour certains d'entre eux, nous exposaient à des difficultés.

Le contrôle de tous ces produits thérapeutiques est caractérisé par une insuffisance de moyens. On ne manque pas d'interlocuteurs, pas d'institutions, j'aurais même tendance à dire qu'il y en a peut-être un peu trop, le regroupement pourrait être discuté, en revanche, on manque de moyens. Il y a 400 médecins inspecteurs, 4 000 vétérinaires. Je conviens que le secteur de l'agriculture est vaste, mais 400 médecins inspecteurs, c'est insuffisant.

Je suis très préoccupé par cette insuffisance de moyens en homme au niveau des médecins inspecteurs car depuis quelques années, ce pays a confié à l'Etat et à son administration des responsabilités croissantes en matière de santé, de surveillance, de bio-éthique, pour donner des mécanismes d'autorisation et de contrôle, idem en matière de transfusion sanguine.

Si l'administration du ministère de la Santé s'est étoffée au plan central, en revanche au plan des services déconcentrés, les moyens sont très insuffisants. La fonction de contrôle -élément essentiel de la sécurité lié au produit- est encore insuffisamment assurée.

Je voudrais redire à quel point le thème de votre mission est important, même si le temps que j'ai consacré aux trois parties, évaluation, connaissance et produits, n'a pas été égal, mais il faut bien concevoir que l'on a besoin des trois. Ne répondre que par l'un, par les produits, serait insuffisant. Si je me suis beaucoup étendu sur la connaissance, ce n'est pas parce que j'estime que c'est encore plus important que les autres, mais c'est la partie où mon administration a une responsabilité très directe d'impulsion, de contrôle et de construction.

M. Bernard SEILLIER - La Food and Drug Administration prétend qu'elle exerce sa mission d'une manière plus efficace que notre administration dans la mesure où elle serait associée très en amont dans le processus de mise au point par les laboratoires, qu'elle conseillerait au lieu de rester complètement indépendante et extérieure à la mise au point des produits. Partagez-vous cette affirmation ?

M. Jean-François GIRARD - Cette intervention en amont ne me choque pas. Je ne sais pas si la réponse américaine, qui a cinquante ans d'âge, est plus structurée, c'est possible. Vu la longueur de la procédure entre l'idée d'une molécule et son arrivée sur le marché, ou sa décision d'AMM, il y a beaucoup de phases schématisées. On peut aider le laboratoire ne serait-ce que pour que l'action de l'administration, fut-elle l'Agence du médicament ou une autre agence, n'apparaisse pas comme un chausse-trappe, une espèce de guillotine. C'est de l'intérêt de tout le monde.

M. Dominique LECLERC - Une petite réflexion par rapport à vos derniers propos. Vous dites qu'il faut bien savoir qui fait quoi en termes d'expertise, de contrôle et surtout de vigilance sur le terrain. J'ai pratiqué les organismes déconcentrés du ministère, que ce soit au niveau régional ou départemental, on constate souvent des insuffisances de moyens, ne serait-ce qu'au niveau des pharmaciens inspecteurs, que vous n'avez pas évoqués, qui ont une mission sur toute l'industrie.

M. Jean-François GIRARD - Ils sont 120.

M. Dominique LECLERC - C'est déplorable. Il résulte de tout cela que l'on ne sait pas trop qui fait quoi. Souvent les ordres professionnels sont mis à contribution en termes d'alerte. Ils ne le font pas obligatoirement avec engouement car est-ce bien dans leur compétence ? Dans tout cela, il y a beaucoup de confusion et d'insuffisance.

M. Jean-François GIRARD - Merci de revenir sur ce point-là, je crois que la confusion et l'insuffisance vont de pair. Il y a trop peu de pharmaciens inspecteurs et de médecins, mais aussi d'ingénieurs sanitaires et des inspecteurs tout court. Il y a des insuffisances dans ce domaine, d'où l'intervention désordonnée qui vient une fois d'un ordre départemental, une fois de la caisse primaire ou des praticiens conseils de la caisse intervenant, y compris sur la sécurité sanitaire. C'est là où l'on rencontre la confusion dont vous parlez, je suis d'accord.

Il me semble que l'Etat prendrait une lourde responsabilité maintenant que ces affaires se judiciarisent et que les responsabilités sont de plus en plus clairement pointées, légitimement d'ailleurs. Après tout, en termes de sécurité sanitaire, ni l'ordre des médecins, ni les caisses primaires ne sont vraiment responsables. Même si un jour, elles dénoncent une situation, elles ne le feront jamais systématiquement. Il y a intérêt à faire coller la définition des responsabilités et les moyens dont on se dote pour les assumer.

M. Charles DESCOURS, président - Je vous ai trouvé assez optimiste sur le Réseau National de Santé Publique.

M. Jean-François GIRARD - Je ne suis pas optimiste sur le RNSP. Je constate que les choses bougent et je n'aurai de cesse de m'inquiéter de la lenteur avec laquelle les choses apparaissent.

Le Réseau National de Santé Publique n'a que 4 ans, les ORS en ont 16. Ils ont été créés en 1982. Tout le monde est d'accord pour dire que c'est un réseau indispensable, certains sont très bien, d'autres fonctionnent normalement, d'autres sont encore balbutiants.

Ce réseau de 4 ans est un groupement d'intérêt public, il y a 40 personnes, là où à Londres il y en a 600. Il faut savoir ce que l'on veut. On n'a pas de chance, la santé nous explose à la figure au moment où l'argent dans ce pays fait un peu défaut et où l'Etat a décidé de restreindre ses moyens.

M. Charles DESCOURS, président - Où sont ces 600 personnes ?

M. Jean-François GIRARD - Au CDCT. Au bout de 4 ans -l'arrêté de création date du 18 juin 1992- le réseau a rempli son contrat. Il est maintenant en face de problèmes statutaires. Le groupement d'intérêt public ne peut-il bénéficier que des contributions de personnels apportées par les partenaires signataires de la convention créant le mouvement d'intérêt public ? Il n'y a pas de personnel propre en principe, nous ne créons les postes que par dérogation après une lutte acharnée pour chacun d'eux. Nous avons réussi, pour le RNSP, à avoir un taux de personnel propre dépassant ce qui était prévu dans les arrêtés, mais visiblement, on a un problème de moyens.

Se pose aussi le problème de savoir quelles seront les missions que l'on pourra donner à ce Réseau National de Santé Publique.

J'ajouterai enfin, pour vous rassurer, Monsieur le Président, que la prochaine agence de santé qui se créera dans l'Union européenne, après Lisbonne pour la toxicomanie, Londres pour le médicament, sera un CDC européen, un centre de surveillance des maladies transmissibles.

Si entre Français, on ne s'entre-tue pas, je pense que le CDC européen sera à Paris. Saint-Maurice est un pôle de santé publique où se trouvent sur le même site l'antenne francilienne de la santé publique, le centre européen du sida, le réseau national de la santé publique, des unités INSERM. On a un potentiel qui me fait dire que si l'on ne s'y prend pas trop mal, comme le Royaume-Uni a été servi avec l'Agence du médicament, on peut obtenir que le CDC européen soit à Paris.

M. Claude HURIET, rapporteur - J'ai deux questions à vous poser.

On a vu apparaître très vite dans les premières auditions, une immense lacune concernant les dispositifs et les matériaux.

J'aimerais que vous nous précisiez qui est actuellement en charge des matériaux. Est-ce la Direction des hôpitaux ?

Sur l'informatique, peut-on penser que toute la réflexion que l'on entreprend sur le renforcement de la veille sanitaire peut se poser dans des termes différents avec l'informatisation du cabinet médical ? Un médecin observant un phénomène inhabituel pourra accéder très facilement à une banque de données qui pourrait lui permettre de savoir si ce cas est isolé ou si au contraire, il peut s'agir d'un événement d'alerte. Autrement dit, les réflexions que l'on a engagées sur les structures de veille et de vigilance risquent de comporter une autre dimension lorsqu'un système d'alerte a l'avantage d'être immédiatement accessible en temps réel et très proche du praticien.

M. Jean-François GIRARD - Sur les matériaux, mon interrogation porte sur la définition des matériaux par rapport aux dispositifs médicaux.

M. Claude HURIET, rapporteur - C'est la matière première. Ce sont aussi bien les métaux utilisés pour des prothèses et aussi la façon dont ces métaux sont transformés, les phénomènes de surface, de revêtement.

M. Jean-François GIRARD - A mon sens, les matériaux sont un sous-ensemble des dispositifs médicaux. J'ai dit, avant que vous n'arriviez, que la procédure applicable aux dispositifs médicaux me paraissait insuffisante. Le marquage CE et le cahier des charge de ce marquage CE est un dispositif très léger, c'est une bonne technique de fabrication, mais qui ne donne pas les éléments qu'on exige pour le médicament sur la qualité des matières premières, la qualité du process, la procédure de fabrication et qui ne juge que le résultat fini.

Pour moi, les matériaux constituent un sous-ensemble des dispositifs médicaux. C'est l'un des arguments que j'avance pour dire que notre réponse en matière de dispositifs médicaux est insuffisante en termes de sécurité. Lorsque je dis "notre", c'est la procédure européenne qui est insuffisante.

Sur le rôle des médecins praticiens, oui, la santé publique ne deviendra adulte que si les 60 000 généralistes et 30 000 spécialistes libéraux, sans parler des médecins hospitaliers, contribuent à ces fonctions de surveillance.

Pour l'instant, cela n'existe que dans certaines expériences très précieuses. Vous savez probablement ce qu'on appelle "le réseau sentinelle". C'est un réseau de 500 médecins généralistes connectés depuis maintenant presque 10 ans à un laboratoire rattaché au réseau national de santé public et qui, chaque semaine, déclarent un certain nombre de pathologies. C'est ainsi que l'on a une connaissance relativement précise des hépatites A, de l'évolution des maladies sexuellement transmissibles.

500 médecins, ce n'est qu'un échantillon de 1 % par rapport aux 50.000. A l'avenir, on aura les moyens de permettre que tout professionnel de santé, y compris les pharmaciens d'officine, (sur le problème de la politique de santé, ils sont en train de jouer un rôle déterminant, ils vont plus vite à s'intégrer dans les politiques de santé que les médecins) ait une information qu'il n'a pas actuellement. En retour, avec les systèmes qu'il faut, on aura une décentralisation extrêmement facile.

La réponse est oui, les médecins généralistes sont les premiers médecins de santé publique.

Dernier point à propos des services déconcentrés, je me suis mal exprimé. J'ai simplement voulu dire qu'il y a au plan central, une administration et des agences. Mon souci est que dans le département ou dans la région, il n'y ait pas des tuyaux d'orgue, qu'il y ait une coordination sur le département ou la région.

C. AUDITION DE M. YVES MATILLON, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉVALUATION MÉDICALE

M. Charles DESCOURS, président - L'objet de notre mission comprend deux volets : la sécurité des produits au sens large du terme et la vigilance sanitaire. Comment voyez-vous la place de l'organisme que vous représentez aujourd'hui et, éventuellement demain, si ses compétences doivent être élargies ?

M. Yves MATILLON - Merci de m'avoir convié à votre discussion et à votre travail préparatoire.

Je prendrai volontiers position en tant que responsable de l'ANDEM et ce que j'ai pu percevoir durant les dernières années, en sachant que par rapport à la thématique générale, le rôle de l'ANDEM ou de l'ANAES -c'est le nouveau nom du nouvel organisme- me paraît être relativement limité dans les sujets importants que vous traitez qui sont plutôt du domaine de la santé publique. C'est la première réflexion que je voulais faire.

Une des missions de l'ANDEM, qui restera avec l'ANAES, est d'établir l'état des connaissances par rapport au développement de certaines technologies, en particulier ce qui ne concerne pas le médicament. Sur ce secteur-là, j'entends les stratégies diagnostiques comme les stratégies thérapeutiques non médicamenteuses. Il ressort très souvent que l'on a un petit nombre de preuves d'efficacité. Lorsque les technologies, les techniques sont récentes et nouvelles, on a très peu d'informations concernant les effets secondaires, les effets négatifs ou tout ce qui au sein de la veille sanitaire peut répertorier les incidents iatrogènes, toutes ces conséquences négatives de l'activité diagnostique et thérapeutique. Plus on a des techniques jeunes et récentes, moins on a d'informations.

Je vous donne un exemple concret avec la fameuse affaire du chauffe-prostate ou de l'hyperthermie prostatique. Cela m'avait beaucoup frappé à l'époque. On avait mis sur le marché certaines de ces machines, sans avoir véritablement de notion d'efficacité, et sans connaître les éventuels effets secondaires. Or, on a su, par démarche déductive, qu'il y avait des effets négatifs que personne n'avait répertorié.

Je vous donne cet exemple pour illustrer ce que l'on a retrouvé dans d'autres études d'évaluation technologique. Très souvent, cela s'explique par une raison simple, le recensement ou l'identification des effets négatifs n'est pas toujours facile à faire.

L'objet de votre mission paraît très important pour inciter et favoriser l'identification des effets négatifs. Ce n'est pas du tout de ma part une critique, mais il me semble que les médecins ont toujours un peu de difficulté à admettre les effets négatifs à ce qu'ils font : consciemment ou non.

Voilà schématiquement ce que j'avais en tête sur le plan de l'importance du phénomène que vous étudiez, sur la nécessité de trouver des facteurs incitatifs pour répertorier les effets secondaires des thérapeutiques non médicamenteuses et des stratégies diagnostics. Je n'ai pas de solution miracle.

M. Claude HURIET, rapporteur - Je pense qu'il serait très intéressant pour la mission que vous définissiez comment vous concevez l'évaluation par rapport à d'autres démarches avec lesquelles on la confond souvent.

Quelles sont les limites de l'évaluation à travers ce qui est appréciation de l'efficacité, de l'innocuité, des effets secondaires dont vous venez de parler. Vous venez de parler de stratégie thérapeutique. L'évaluation dans le domaine chirurgical, par exemple. Je crois qu'il y a une certaine confusion dans les esprits.

M. Yves MATILLON - Je vous remercie beaucoup de me poser cette question car effectivement, il faut que l'on s'entende sur ce qu'il y a derrière ce terme. C'est un terme générique que l'on utilise tous dans la vie de tous les jours et qui est appliqué dans la pratique professionnelle.

Lorsque je vous parle d'évaluation technologique, on entend par évaluation, l'état des connaissances sur une technique diagnostic ou thérapeutique. C'est l'état des connaissances aujourd'hui à propos des techniques de dilatation des coronaires, à propos des implants osseux, ou des greffons osseux. Que connaît-on aujourd'hui ?

Je prends le terme "évaluation" dans le sens de l'évaluation des connaissances aujourd'hui. Cela repose sur l'évaluation des connaissances publiées, connues au plan scientifique et au plan des connaissances dont les professionnels disposent.

Je fais cette remarque sur les sources de données car si la technique est récente, on a peu d'informations d'ordre scientifique ; en revanche, on en a qui sont plus liées aux pratiques professionnelles, d'où la difficulté au stade d'émergence d'une technique de faire un état objectif des connaissances. Plus la technologie, la technique est ancienne, plus on a des données scientifiques et plus l'apport des professionnels est intéressant.

Sur quoi porte l'évaluation dont on parle maintenant ? Que connaît-on en termes de sécurité de la technique, en termes d'efficacité et d'utilité pour les malades ?

Là aussi, on répond de manière variable en fonction du développement de la technologie. Que connaît-on en termes de sécurité ? Si je reprends l'exemple du chauffe-prostate ou de la dilatation coronarienne, que connaît-on aujourd'hui en termes de sécurité ?

Connaît-on au développement initial de cette technique des effets secondaires ? On peut faire la même chose sur la technique de dilatation des coronaires. Il y a deux ou trois ans, une polémique s'est installée dont la presse s'est faite l'écho à propos d'une machine appelée le "rotablator" qui tourne très vite, utilisant le même principe de percée que celui employé pour creuser le tunnel sous la Manche. Cette petite vrille tournant à x tour minute ou seconde s'était détachée et avait entraîné des perforations d'artères.

Il faut que l'on essaie de collecter de l'information, -je fais le lien avec votre mission- il faut favoriser la collecte de ce type de données qu'aujourd'hui encore, pour des raisons conscientes et inconscientes, on a tendance à mettre de côté. Ceci c'est de l'information sur la sécurité.

Ensuite, c'est l'efficacité. C'est très connu pour les médicaments. En comparant deux médicaments, A et B, on sait s'il y en a un qui est plus efficace sur des paramètres identifiés, qu'ils soient cliniques ou biologiques.

Cet effort énorme qui a été fait pour le médicament n'a pas été fait de manière aussi structurée, aussi avancée pour le reste. Pour les techniques chirurgicales, il est vrai que l'on est en retard. On incite progressivement à ce que cela soit fait. La loi qui porte votre nom favorise cette prise de conscience. On fait entrer des protocoles d'études, d'essais contrôlés afin de comparer techniquement les techniques. Si l'intervention chirurgicale par coelioscopie est plus efficace qu'une intervention chirurgicale classique pour l'appendicectomie, il faut qu'on le sache, or, il y a peu d'études sur ce type d'indication.

On peut multiplier les exemples à loisir sur toutes les thérapeutiques chirurgicales. Je reprends l'exemple qui avait défrayé la chronique l'an dernier sur les ligaments du genou. Est-il légitime d'apporter des suppléments artificiels du genou à certains traumatismes ligamentaires ? Là encore, dispose-t-on de données scientifiques valides et professionnelles permettant de dire qu'il faut le faire ?

Si je prends cet exemple, c'est parce qu'il y avait deux types de chirurgiens en France : ceux qui implantaient les ligaments et ceux qui les retiraient parce que les malades n'étaient pas satisfaits. En l'état actuel des connaissances, on manque d'essais contrôlés permettant de dire que c'est efficace. Nous devons donc favoriser le développement d'essais contrôlés en informant les patients et l'on pourra vraisemblablement répondre dans un ou deux ans à la question pour laquelle aujourd'hui on n'a pas de réponse.

Ceci c'est pour la sécurité, l'efficacité et l'utilité, on se place là du point de vue du malade. Si je reprends l'exemple de l'adénome de la prostate, le médicament est-il plus efficace que la chirurgie ? En termes de stratégie thérapeutique, est-ce utile pour le malade ? C'est tout de même la question importante.

On ne peut pas répondre à cette question si l'on n'a pas d'éléments concernant la sécurité et l'efficacité.

Un énorme effort de réflexion collective doit être fait. J'en ai souvent parlé avec Jean-François Girard, y compris avec les instituts de recherche pour qu'effectivement, on finance la recherche pour qu'elle soit utile à l'identification de gains thérapeutiques pour les malades.

M. Charles DESCOURS, président - Ne peut-on pas imaginer une évaluation a priori, c'est-à-dire avant que cela ne soit appliqué en thérapeutique courante ?

M. Yves MATILLON - Je trouve votre question très importante. Je ne voudrais pas que vous reteniez de mes propos que l'évaluation a un rôle a posteriori. L'évaluation peut avoir un rôle a priori très important en indiquant et en précisant les conditions de diffusion de cette technique. Le risque est de dire que pour toute nouvelle technologie n'ayant pas de preuve d'efficacité, ce n'est pas la peine de la développer. L'inverse serait de dire qu'on a le produit miracle ou la machine merveilleuse qui va régler tous nos problèmes.

Il faut osciller entre ces deux perspectives sans condamner ni l'une ni l'autre, en essayant de mettre en place -et c'est là où se trouve l'articulation avec votre mission et le sujet que vous développez- le maximum d'informations le plus rapidement possible, le plus tôt possible dans de bonnes conditions de fiabilité et de validité. Moyennant la connaissance de ces informations, il faut que l'on puisse mettre un cadre au développement d'une technique. Cela peut même aller jusqu'à son remboursement. Pourquoi ne pas imaginer que l'on puisse rembourser, de manière conditionnelle et pour certaines indications cliniques, une technique et la mettre sur le marché à certaines conditions, dont pourraient bénéficier les malades, dans le cadre même d'un protocole expérimental et qu'en fonction du résultat de cette approche, on puisse envisager de l'étendre, de rembourser davantage ?

M. Claude HURIET, rapporteur - Dans la démarche que vous évoquez, vous montrez bien que l'évaluation doit s'inscrire dans le temps. La position que vous proposez en tant qu'agence tient compte des connaissances acquises au jour j grâce aux pratiques, aux références biographiques.

La question que je pose est tout à fait dans l'axe de notre mission. Quelles sont les relations que vous avez établies avec d'autres instances qui sont chargées de la veille et de la vigilance ? C'est un élément qui vous concerne pour adapter votre démarche au fil du temps. Vous avez vos propres sources, y a-t-il échange au plan national ?

Autrement dit, tout ce qui est vigilance est-il branché sur l'ANDEM et réciproquement ?

M. Yves MATILLON - Cette question est très importante. J'ai tenté d'avoir des informations. Notre rôle n'était pas de collecter l'information, mais d'avoir l'information sur la notion de veille sanitaire. Je me suis retourné tantôt vers les structures ministérielles, tantôt vers les structures des organismes de sécurité sociale car ils ont un système de suivi, tantôt vers les organismes comme le Réseau National de Santé Publique dont une des fonctions est de collecter l'information.

Je dois vous faire part de mon interrogation quant à ce constat sur la difficulté d'obtenir des informations fiables.

M. Charles DESCOURS, président - Vous n'avez pas d'informations fiables de ces organismes ?

M. Yves MATILLON - Il nous est apparu difficile d'obtenir des informations. On en a, mais elles sont fragmentées. Il est nécessaire de développer et de créer des moyens incitatifs permettant à des structures, y compris chez les professionnels dans les hôpitaux, de pouvoir récupérer ces informations-là et qu'elles soient disponibles lorsqu'on en a besoin.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quels sont les organismes que vous avez interrogés ?

M. Yves MATILLON - Cela dépend du sujet que l'on traite. Sur la vascularisation coronarienne, on s'est adressé à la Direction des hôpitaux, à la Direction Générale de la Santé pour essayer d'avoir des informations même sur des données quantitatives de base. On sollicite aussi les sociétés savantes qui sont prises presque au dépourvu lorsqu'on leur pose ce genre de questions.

C'est une mission très importante, de nature de santé publique, qu'il est nécessaire de structurer pour que les responsabilités soient renforcées, confortées. Je vous dis cela en tant qu'utilisateur du système et en étant à un endroit de ce système. Je ne peux que vous répéter que l'essence de votre mission est importante.

M. Claude HURIET, rapporteur - Dans vos interventions, on voit apparaître, mais peut-être est-ce parce que je suis obnubilé par l'objet de la mission, les fonctions de l'ANDEM en termes d'évaluation et le lien avec la sécurité sanitaire qui fait l'objet de notre travail, mais l'ANDEM sera remplacé par l'ANAES.

En vous étant inscrit dans un autre système, celui de l'accréditation, la co-existence de deux missions complémentaires, mais distinctes, le risque n'existe-t-il pas -si vous n'y prenez pas garde et si ce n'était pas vous le responsable de l'ensemble- qu'il y ait une mission privilégiée, ne serait-ce que de par la charge de travail et le calendrier très contraignant, à savoir l'accréditation, et que l'évaluation soit temporairement considérée comme une mission seconde de l'ANAES ?

M. Yves MATILLON - Là encore, je vous suis gré de poser cette question car elle est importante en termes de perspectives pour l'avenir.

Dans le cadre des missions de l'ANAES, on trouve une mission classique d'évaluation dont on vient de parler, et il y a cette mission d'accréditation. Or, le texte de l'ordonnance faisait référence au fait que le domaine d'intervention d'accréditation porte sur la sécurité et la qualité des soins.

Pour la sécurité des soins, là encore on revient à la notion de sécurité qui sous-entend la nécessité d'identifier les effets négatifs des procédures diagnostiques et thérapeutiques développées dans les établissements de soins publics et privés, il me paraît intéressant de faire en sorte que l'accréditation soit un moyen incitatif fort permettant à chaque établissement de développer un système ou une organisation identifiant les effets négatifs des procédures engagées dans l'établissement.

Trouvons un bon équilibre entre l'endroit où l'on collecte les données et l'endroit où elles sont exploitées et utilisées.

Votre question cible bien sur la nécessité d'articuler la procédure d'évaluation et de veille sanitaire.

M. Claude HURIET, rapporteur - Votre réponse est très positive : cela vous paraît une démarche cohérente avec l'orientation que vous donnez à l'accréditation.

D. AUDITION DE M. MICHEL THIBIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES VÉTÉRINAIRES ET ALIMENTAIRES (CNEVA)

M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur, vous connaissez l'objet de notre mission, mais peut-être serait-il opportun que vous nous expliquiez ce qu'est votre centre d'études puisque la commission des Affaires Sociales du Sénat n'a jamais auditionné votre organisme.

Revenant des Etats-Unis où nous avons vu la Food and Drug Administration et le ministère de l'Agriculture, il serait bon que vous nous disiez comment votre organisme s'intercale dans l'objet de notre mission.

M. Michel THIBIER. - Merci. Je souhaitais en effet vous expliquer dans mon préambule ce qu'est le Centre National d'Etudes Vétérinaires et Alimentaires, plus communément désigné sous le sigle de CNEVA dont vous avez pu lire le sigle dans différents journaux au cours de ces six derniers mois puisque le CNEVA gère le problème des encéphalopathies spongiformes bovines.

Le CNEVA a une histoire et une expérience marquée en termes de veille sanitaire, y compris vis-à-vis des agents thérapeutiques administrés aux animaux. Personnellement, je ne suis pas un expert, mon champ de compétences est plutôt dans le domaine des bio-technologies de la reproduction, après avoir été professeur aux Etats-Unis en particulier. Je suis actuellement Président de la Société Mondiale de transferts embryonnaires et Directeur général du CNEVA depuis un peu plus de deux ans. Nous sommes quotidiennement préoccupés par les moyens les plus efficaces que l'on peut mettre en oeuvre et plus précisément par le souci de renforcer nos moyens de veille sanitaire et le contrôle des produits thérapeutiques.

Le CNEVA est un établissement public administratif. C'est peut-être le seul EPA qui fait à la fois de la recherche et de l'appui technique.

C'est un jeune organisme, créé par un décret de 1988, qui regroupe les anciens laboratoires vétérinaires dits "nationaux" se répartissant sur le territoire national entre Brest, Boulogne sur Mer, Sophia Antipolis, Lyon, Nancy sans oublier Paris et Fougères.

Ce centre a pour objet d'appuyer, au plan scientifique et technique, la politique du ministre chargé de l'Agriculture pour ce qui a trait aux productions animales et plus précisément de l'ensemble santé animale, médicaments vétérinaires, hygiène alimentaire.

Cet établissement public administratif comporte en gros 600 personnes regroupées en douze centres bien répartis sur le territoire national. Il comprend 200 scientifiques environ. Il est organisé par filières. C'est une de ses originalités par rapport à d'autres organismes. Ainsi le laboratoire de Lyon, celui que l'on cite le plus souvent ces derniers temps, est spécialisé dans le domaine de la filière bovine, celui-ci situé près de Caen est spécialisé dans la filière équine, celui de Brest en aquaculture, pisciculture et pathologie du poisson, Boulogne sur Mer en matière de produits de la pêche, etc.

C'est une structure intéressante et vous verrez qu'elle est tout à fait cohérente avec les principes généraux de veille sanitaire.

Il y a trois départements : le département de santé et de protection animale, le département du médicament vétérinaire et le département d'hygiène, de sécurité et de qualité alimentaire.

Notre stratégie de développement fait en ce moment l'objet de débats dans le cadre du contrat d'objectif avec l'Etat et de la réforme de l'Etat. Nous mettrons en forme notre stratégie consistant à renforcer encore plus la partie relative à l'hygiène alimentaire.

Le CNEVA comprend 200 scientifiques regroupés dans une structure qui se caractérise par ce que je qualifierai de "proximité humaine". Je connais ces 200 scientifiques un par un, je les ai déjà tous rencontrés à plusieurs reprises. La capacité de réaction du CNEVA est vive sur la veille sanitaire, et ne traduit pas les grandes inerties ou les grandes latences que l'on peut trouver à d'autres endroits.

Le point fort du CNEVA est celui de l'association bien réussie, ce n'est pas si fréquent, de la recherche et l'appui technique.

Dans mon propos liminaire, j'ai prévu de vous parler de trois points avant de répondre à vos questions.

Je voudrais vous faire part des trois principes généraux qui animent la Direction du CNEVA en matière de veille sanitaire ; trois principes généraux d'où découleront trois points de passage obligés que l'on peut appeler dès à présent : le contrôle nécessaire à la veille sanitaire, l'épidémio-surveillance indispensable pour cette même veille sanitaire et la capacité investigatrice.

Je me suis permis de vous préparer un schéma. Il vous montre le principe général n° 1 schématisé ici par un schéma classique dit en Y. C'est celui, selon nous, sur lequel doit reposer toute notre stratégie de veille sanitaire pour les produits d'origine animale puisque c'est la vocation du CNEVA pour le moment.

La première branche de l'Y, en haut à gauche, est la partie relative à la santé des animaux, l'inverse étant la non-santé ou la maladie des animaux qu'il nous faut contrôler pour protéger le cheptel national contre les effets pervers des agents pathogènes, et vis-à-vis des produits que ces animaux libèrent sur le marché qui sont ensuite consommés par le citoyen.

La deuxième branche de l'Y à droite se rapporte à l'administration des médicaments vétérinaires. C'est évidemment là un point stratégique. Non seulement ils sont administrés pour contrecarrer les effets pernicieux des agents pathogènes, mais aussi dans la production d'animaux domestiques de ferme, ils doivent entrer dans les problèmes de produits consommés, ce sur quoi nous reviendrons tout à l'heure en matière de résidus.

Naturellement, ces deux points forts initiaux relatifs aux animaux, à la santé animale et à l'administration des médicaments vétérinaires, sont très fortement liés entre eux. Ils convergent et confluent vers la branche verticale du schéma en Y en aboutissant à la sécurité du produit consommé par les citoyens, c'est-à-dire la branche intitulée "Hygiène des aliments" regroupant, dans une logique qui n'a rien de révolutionnaire, trois étapes : la production, la transformation et la distribution.

Avec ce schéma, vous concevez l'organisation du CNEVA qui comprend les trois départements mis en phase dans un ensemble regroupé sur ce schéma en Y. C'est selon nous les conditions de base pour notre réflexion et notre action en matière de veille sanitaire.

Pour le deuxième principe général, j'ai également fait un schéma. C'est le fameux schéma en triangle de l'application, de la mise en musique du concept de base énoncé il y a un instant. Ce schéma en triangle comprend les trois points clés sur lesquels l'action doit transformer le concept théorique que nous avons évoqué dans notre premier principe général.

Ce schéma expose les modalités de notre action regroupant dans le pôle en haut à gauche les contrôles de cette veille sanitaire, l'épidémio-surveillance, le rassemblement d'un certain nombre d'éléments, et troisièmement, la nécessaire investigation, lorsqu'elle s'impose, avec les moyens qui s'y rapportent.

Dans la deuxième partie de mon propos, je développerai quelques points et quelques exemples sur chacun de ces trois pôles pour illustrer notre réflexion sur la veille et les conditions de son renforcement.

Le troisième principe général est très simple, je l'ai déjà évoqué, c'est, pour être efficace, remplir notre mission avec le plus de souplesse et d'efficacité, réaliser la nécessaire intégration entre recherche et appui technique. C'est quelque chose dont je suis convaincu et en faveur duquel je me suis longuement exprimé dans d'autres instances.

On critique souvent la difficulté en France du transfert technologique en raison des hiatus ou fossés qui existent entre ce qu'on appelle les chercheurs et les développeurs. Précisément, le rôle du CNEVA, et afin d'assister le ministre dans sa politique sanitaire, est d'avoir les compétences nécessitant non seulement la compréhension, mais aussi la participation à la recherche à la frontière des connaissances actuelles tout en étant attentif aux problèmes de terrain. La pathologie et l'ensemble des problèmes sanitaires sont des ensembles variables, très mobiles, jamais statiques.

Il faut d'une part, avoir en permanence un pied sur le terrain et savoir ce qui s'y passe, je vous en donnerai quelques illustrations, y compris d'un cas qui, à quelques jours près, est tout à fait d'actualité, d'autre part, avoir les outils dans sa connaissance et ses aptitudes pour pouvoir traiter les problèmes avec compétence.

Naturellement, vous l'avez bien compris, nous nous attachons au CNEVA à avoir en permanence sur les thèmes principaux qui sont les nôtres cette intégration recherche/appui technique. Nous disons souvent que la recherche d'aujourd'hui est l'appui technique de demain, mais l'ensemble du champ ne peut pas être couvert par notre seul organisme, c'est la raison pour laquelle nous sommes en train de signer un certain nombre de conventions de collaboration.

Quelques exemples pour vous faire part de mes réflexions lorsque le problème m'a été posé lors de la réception de votre convocation.

Y a-t-il besoin de renforcer la veille sanitaire telle que nous la conduisons au CNEVA et pour ce qui nous concerne selon le principe initial énoncé et selon ces trois points d'action ?

La réponse est oui. Ce besoin de renforcement existe à la fois dans les structures et dans les moyens. Je voudrais vous en donner quelques exemples.

Premier point de cette deuxième partie : le renforcement des contrôles.

Les contrôles comprennent deux parties. La première est le contrôle de type inspection assuré par les services vétérinaires de l'Etat ou dans les services déconcentrés, ce n'est pas le rôle du CNEVA. Le CNEVA, comme ces grands organismes de recherche, a essentiellement un rôle d'appui technique, de laboratoire. Ce n'est pas lui qui va aller inspecter les carcasses des animaux ou aller voir comment est conservé le lait dans les tanks et si la température est correcte. En revanche, il va mettre au point les outils pour s'assurer que les conditions ont été respectées et que les textes objectifs pour pouvoir mettre en évidence des défaillances éventuelles ou, au contraire, leur satisfaction, soient à la fois crédibles, fiables, et impartiaux.

En matière d'appui technique et de laboratoire, le contrôle doit-il être renforcé ? Oui. De quelle manière ?

Dans ce contrôle, nous avons deux types d'activités. Le premier est celui que j'appellerai "l'appui technique planifié", c'est-à-dire celui que nous pouvons organiser depuis le début de l'année et qui correspond à la situation présente, issue elle-même de l'expérience passée. C'est toute notre surveillance en matière de rage. Vous savez que la France est exemplaire dans le monde à ce propos. Elle a réussi à faire refluer le front de la rage pratiquement deux fois plus vite que la vitesse avec laquelle la rage était arrivée sur le territoire français en 1967. C'est le cas de la détection des antibiotiques, c'est le cas de la listéria qui est un problème majeur en hygiène alimentaire. C'est le cas des différentes toxines, qu'elles soient mycosiques ou autres.

Il est important, dans l'organisation de cette activité planifiée, de bien identifier les points critiques où ces contrôles doivent se faire et d'avoir la maîtrise technique de ces points critiques. Ceci joue en particulier dans l'ensemble de la chaîne des produits alimentaires, que ce soit au niveau de la production, c'est l'exemple du lait dans les tanks de réfrigération après la traite, mais aussi de la transformation, non seulement de la première transformation par exemple des carcasses de volaille à la chaîne d'abattage, mais aussi -c'est un point sur lequel le CNEVA développe son activité- de la deuxième transformation des plats cuisinés. C'est passionnant puisqu'il y a des interactions microbiennes et que, selon que l'on met du saucisson et des rillettes en même temps, selon que l'on met des salades ou des carottes avec des steaks hachés, l'évolution microbienne est tout à fait différente. Tout cet aspect correspond à notre rôle.

Sur l'appui technique planifié, on a maintenant une bonne expérience. Ce n'est pas là où le renforcement doit s'exercer d'une façon prioritaire.

En revanche, sur l'adaptation de l'activité non planifiée, nous avons quelques progrès à faire.

De quoi s'agit-il ? Ce sont les situations d'urgence, les situations de crise, les situations non anticipées. Nous en avons un exemple typique en ce moment en matière de brucellose. Nous sommes en fin d'éradication de la brucellose. Nous avons trouvé des troupeaux dans lesquels il y a des réactions positives dans un environnement théoriquement complètement négatif. Que se passe-t-il ? Situation non prévue à l'avance, c'est donc le CNEVA qui doit traiter ce problème. Nous sommes en train de mettre en évidence des réactions croisées avec d'autres agents bactériens.

Le redéploiement interne est ce que nous pouvons faire dans une première étape. Il se trouve que l'unité de zoonose est aussi l'unité de tuberculose. Je ne peux pas demander à un chimiste qui est en train de mesurer les radionucléides pour s'assurer du niveau de contamination éventuel de l'aliment par les radiations gamma ou autres de se transformer en bactériologiste du jour au lendemain et de manipuler des micro-bactéries ou des sérologies.

Il y a un besoin de collaboration indispensable, besoin d'avoir un champ large de compétence. Le redéploiement interne est limité : c'est un des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Si par malheur, deux circonstances de crise se développaient en même temps, je ne sais pas comment nous ferions. C'est un peu la fragilité de notre système.

Deuxième point de cette deuxième partie : l'épidémio-surveillance. Vous avez vu tout à l'heure combien j'ai insisté là-dessus. Je ne reprendrai là que les termes d'un rapport d'un membre du Conseil économique et social d'il y a 6 ans, M. Buard, qui avait écrit un remarquable rapport sur l'épidémio-surveillance à la demande du ministre chargé de l'Agriculture et dans lequel il avait déjà décrit l'existant et fait un certain nombre de recommandations.

Dans son décret de constitution, le CNEVA a précisément la tâche de gérer cette épidémio-surveillance. Quelques petites difficultés de partage entre l'administration qu'on appelle classiquement centralisée et un établissement public subsistaient, mais je crois qu'avec la réforme de l'Etat, les choses vont aller dans le bon sens. Il est maintenant reconnu que les tâches des services centralisés n'étaient peut-être pas de faire de la science et de la technique, mais plutôt de définir une politique, un établissement comme le nôtre devant s'occuper d'épidémio-surveillance.

Le système fonctionne assez bien. On voit bien comment le CNEVA encadre le réseau, le mot est lâché, c'est bien de cela qu'il s'agit ; avoir un réseau comprenant les acteurs répartis sur l'ensemble du territoire, encadrés en amont par la compétence d'un organisme comme le CNEVA et en aval pour pouvoir exploiter, rendre cohérent et actif le réseau.

On a eu malheureusement un exemple célèbre au Royaume-Uni il y a une dizaine d'années avec la salmonellose dans la filière avicole. Le système français fonctionne bien à cet égard : le réseau créé s'appelle le RENESA, il est situé au sein du CNEVA.

Il y a une demande urgente de faire la même chose en termes de salmonellose bovine qui est un vrai problème de société. Nous avons réussi à monter ce réseau au cours des six derniers mois en collaboration avec les groupements d'éleveurs, de défense sanitaire, les groupements techniques vétérinaires, mais l'on voit déjà bien notre limite. On retire une activité à Pierre pour la donner à Paul. Ce n'est pas tout à fait satisfaisant.

Troisièmement dans cette partie, nous avons besoin non seulement de développer ces réseaux, mais également d'améliorer l'efficacité de l'instrument de base. Vous allez sans doute mieux encore comprendre ce que je veux dire. On a une mine d'informations et une richesse dans les laboratoires qu'on appelait autrefois départementaux, appelés maintenant laboratoires vétérinaires départementaux puisqu'ils sont gérés par les Conseils généraux, parfois aidés par les Conseils régionaux. Ils sont tout à fait efficaces, souvent parfaitement bien managés et détiennent une mine d'informations non exploitée.

C'est évidemment cette mise en réseau diverse et variée dont l'épidémio-surveillance pourrait tirer le maximum de ressources. Il y a là un besoin de renforcement des moyens du CNEVA en la matière. La salmonellose bovine nous étant apparue, c'est une des priorités que nous développons en ce moment, mais il y en a bien d'autres que nous ne pouvons pas faire faute de moyens. On sait que le potentiel est là, mais on est limité au niveau des moyens pour exploiter et utiliser intelligemment toutes ces données.

Dernier point : le renforcement de notre capacité investigatrice. Nous avons besoin de les mettre en oeuvre lorsqu'il y a des situations émergentes.

Le meilleur exemple est celui des encéphalopathies spongiformes bovines. Lorsque les premiers cas sont apparus en Angleterre il y a une dizaine d'années, une des composantes ancestrales du CNEVA, le laboratoire de Lyon, s'est mis sur la piste. Il a tout de suite réagi alors que d'autres organismes n'ont pas pu avoir cette même adaptation.

Cela nécessite bien entendu la mobilisation d'outils et surtout -c'est un des points forts du CNEVA-des installations expérimentales protégées. Vous revenez des Etats-Unis, j'y étais moi aussi il y a une dizaine de jours, vous voyez que toutes les stations expérimentales protégées, de type P 3 ou P 4 permettant l'utilisation d'agents protogènes très dangereux sans risque à l'extérieur sont toutes en train de fermer les unes après les autres parce que les maintenir en état coûte très cher. Aux Etats-Unis on ferme rapidement, mais l'on rouvre aussi très vite, en tous les cas, pour le moment, elles sont en train de fermer. J'ai parié qu'il y aurait un déficit, un manque crucial d'ici à la fin du présent millénaire. Je m'efforce de maintenir ces installations expérimentales au CNEVA.

Nous avons des installations depuis le poisson à Brest jusqu'aux abeilles à Sophia-Antipolis en passant par les renards et autres faunes sauvages à Nancy, l'étable à Fougères et à Lyon. A Lyon, nous avons un gros problème. Les étables qui accueillaient auparavant les gros bovins pour des problèmes de fièvre aphteuse devraient maintenant les accueillir pour la recherche concernant les encéphalopathies. Malheureusement, une réhabilitation totale est nécessaire et nous n'avons pas encore eu le feu vert pour les crédits. Cela se monte à près de 20 millions de francs.

Quoiqu'il en soit les installations expérimentales sont une clé du système, nous les avons, mais il est difficile de pouvoir les maintenir dans un état opérationnel.

Je voudrais vous décrire un exemple d'un cas actuel que l'on appelle le "dépérissement fatal du porcelet post-sevrage". Depuis un mois environ, on observe des porcelets qui meurent pour des raisons inexpliquées pour l'instant dans la partie orientale du département des Côtes d'Armor.

Le fait que l'on ait le contact sur le terrain nous a permis très vite de récupérer de tels animaux, de les mettre en situation protégée et d'introduire des animaux tampons, c'est-à-dire vierges et indemnes de tous agents pathogènes pour voir s'ils se contaminent à leur contact. Pour le moment, nous n'avons pas encore la réponse. Nous nous posons la question de savoir quel est l'agent éventuel, est-ce que cela peut être à terme une zoonose ? Comment l'éradiquer ? Devons-nous recommander au ministre l'abattage des animaux ?

Voilà une situation que nous vivons, peut-être que dans quinze jours, on verra que ce n'était pas grave, que c'était un virus relativement inoffensif. L'incident sera alors clos, mais les éleveurs sauront à quoi s'en tenir et nous aurons été là pour aider la filière et le consommateur aura la certitude que la progression a été repérée.

Bien évidemment, la mobilisation des partenaires dans ce réseau est importante.

Pour conclure ma présentation, je vous parlerai des cas particuliers des produits thérapeutiques.

Ceci est très important car notre problématique originale dans ce réseau d'interaction santé animale/administration est bien le problème des résidus.

Il faut en effet connaître les limites maximales de résidus tolérables.

Tout ce contexte de recherche et d'appui technique en matière de résidus ou de pharmaco-cinétique du médicament vétérinaire injecté aux animaux voit sa conclusion dans le traitement des dossiers au sein de l'Agence du Médicament Vétérinaire selon des règles bien connues, des critères d'efficacité, d'innocuité et de qualité.

Notre problématique majeure est bien celle des résidus sur laquelle un effort important a été fait ces dernières années au sein du CNEVA. Le plus gros effort a été l'initiation de cette opération il y a déjà plus d'une dizaine d'années. Je peux d'autant plus le dire que je n'y suis absolument pour rien.

Deuxièmement, il ne faut pas oublier, d'où l'importance de ce schéma en Y dont nous avons parlé initialement, que les produits d'origine animale peuvent être directement utilisés comme agent thérapeutique ou comme agents administrés à l'homme depuis les cas les plus généraux de la gélatine, sans oublier les sérums de veaux foetaux, les bovins utilisés dans la pharmacopée de façon générale et, d'une façon plus précise, dans les molécules telles que l'insuline du porcelet, et dans le cas d'actualité dans lequel nous sommes impliqués, les "xéno-greffes". En effet, il faut s'assurer que les organes issus des porcs sont indemnes pour l'homme de tout agent pathogène et que les animaux aient été élevés dans des conditions très spéciales telles que dans notre porcherie modèle de la banlieue de Saint-Brieuc.

Je crois que le système a une base solide, mais il a besoin d'être renforcé d'une part au niveau des moyens, (vous verrez peu de Directeurs généraux qui vous tiendront un autre discours) d'autre part, par une meilleure coordination des différents acteurs dans l'ensemble de ces réseaux qui doivent assurer à nos compatriotes une sécurité totale en matière de veille sanitaire.

M. Claude HURIET, rapporteur - Votre conclusion montre que vous avez parfaitement perçu la nature même du travail dont a été chargée notre mission, c'est-à-dire dresser une sorte d'inventaire des structures existantes dans les domaines qui ont des relations possibles ou certaines avec la sécurité sanitaire. Merci de votre exposé.

Partant de cette idée de coordination, j'aimerais que vous nous disiez quelles sont les relations, la coordination pouvant exister entre votre ministère de rattachement et les autres ministères ? Jusqu'à maintenant, l'inventaire que nous avons commencé à dresser montre qu'il y a au moins trois ministères concernés : l'Agriculture, la Santé et les Finances. Puisque vous avez évoqué le cas de la listériose, nous avons été surpris mes collègues et moi-même lorsque nous avions appris que la listériose faisait l'objet d'études attentives du ministère des Finances à travers la DGCCRF. Il nous importe de savoir s'il y a une optimisation des moyens de recherche dans un domaine qui vous touche de près et si la coordination est efficace, et comment elle pourrait l'être davantage.

Deuxième question : le renforcement des moyens. Sans doute pourrez-vous nous donner quelques précisions car nous sommes convaincus que la notion de réseau en termes de démarche de veille sanitaire est fondamentale. Cela rejoint notre démarche connaissance du réseau et optimisation de son fonctionnement.

La troisième question concerne l'Europe. On a vu apparaître à l'évidence la dimension européenne à travers les échanges commerciaux ; quel est le rôle de votre centre national ? Quelles relations a-t-il établi et quelles sont les prescriptions que vous pouvez être amené à recommander, les conditions dans lesquelles ces prescriptions sont ou ne sont pas retenues et reçues par les instances de l'Union Européenne ?

M. Michel THIBIER - Notre ministère de tutelle est tout d'abord le ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation. Dans le gouvernement actuel, le fait que le mot "alimentation" ait été ajouté dans le nom de ce ministère est une connotation agréable car le CNEVA porte le mot "alimentation" dans son sigle depuis son existence. Nous sommes bien en phase avec la société.

Il est vrai que pour la partie de l'Agence du médicament vétérinaire, nous avons aussi une co-tutelle avec le ministère de la Santé.

Vous avez cité, Monsieur le Sénateur, trois ministères, je vais vous en citer un quatrième car vous n'ignorez pas que compte tenu de cette malheureuse crise des encéphalopathies, l'éclairage a été mis sur le CNEVA, par conséquent, le ministère de la Recherche a été très sensible à nos actions. Monsieur le Secrétaire d'Etat, François d'Aubert, a écrit il y a quelques semaines à M. Vasseur, ministre chargé de l'Agriculture, pour lui faire part de son souhait que le ministère de la Recherche ait une co-tutelle sur le CNEVA. M. Vasseur a répondu qu'il serait très heureux que cette co-tutelle s'exerce. Si c'est bon dans l'esprit, après, il faut voir comment cela s'applique dans les modalités. Je me permets de le dire car cela correspond bien à notre souci majeur. L'expérience de la BSE l'a montré. Vous avez peut-être vu que j'ai signé vendredi le 24ème cas de BSE dans la presse du week-end. Nous avons fait les abattages comme M. le ministre nous l'a recommandé dans la nuit de samedi à dimanche. Durant cette nuit, c'était le CNEVA qui était au travail. Nous avons fait les prélèvements sur les tissus, nous avons trié les animaux, bref, nous avons fait notre investigation qui est notre mission. Certains de ces prélèvements se font précisément dans le cadre de ces recherches. L'efficacité de cette opération d'appui technique en est une bonne illustration.

De ce côté-là, je ne pense pas qu'il y ait de difficulté de notre côté. Je connais parfaitement d'autres aspects que vous avez sous-entendus dans votre question, M. le Sénateur, mais de notre côté, nous entretenons d'excellentes relations avec le Directeur général de la DGCCRF. Nous avons de bonnes relations avec nos collègues de l'Institut Pasteur. Nous avons chacun notre champ d'expertise, on doit sûrement améliorer les relations, mais il n'y a pas de blocage de la part des scientifiques. Tout le monde sait que l'on ne peut pas faire tout tout seul. Nous n'avons pas la compétence répressive de la DGCCRF. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle est de générer des normes. Comment l'Etat peut-il être sûr que, lorsque les laboratoires départementaux testent les vaches pour la brucellose, les résultats de ces tests sont fiables, sont exacts ? Parce que le CNEVA a mis au point des méthodes, il est accrédité. Il a un système de procédure qui s'assure de la validité de ces mesures et fait des tests pour s'assurer que les mesures effectuées par les autres laboratoires du réseau sont valides.

M. Claude HURIET, rapporteur - Les réactifs ?

M. Michel THIBIER - C'est un sujet complètement d'actualité. Nous avons essayé initialement de faire un groupement d'intérêt entre les fabricants, que sont les laboratoires départementaux, les éleveurs et nous pour coordonner tout cela. Les intérêts économiques ont fait que cela a un peu divergé, le consensus n'a pas été total. Je crois que la DGA est en train de reprendre le problème pour que le système fonctionne mieux. Mais notre expertise -et là aussi cela a commencé avant que je n'arrive, je peux donc le dire- pour fixer les valeurs, les critères des réactifs me semble avoir été faite dans des conditions satisfaisantes.

Avant que je ne rejoigne le CNEVA, j'étais Directeur du laboratoire d'Union nationale des coopératives d'insémination artificielle et de transferts embryonnaires. J'avais remarqué chez les taureaux, (dont vous savez qu'il faut des conditions sanitaires très sévères vu le nombre de centaine de milliers de taureaux issus d'inséminations artificielles) que pour les tests de l'IBR (qui est une bronchite infectieuse due à un herpès virus), les résultats étaient divergents selon que les taureaux aient été testés en Hollande, en Allemagne ou en France. C'était inadmissible.

J'ai été à l'initiative en 1990, à la demande de la Commission de Bruxelles, d'un groupe de travail dans lequel il y avait des collaborateurs du CNEVA. Le CNEVA était le moteur et moi en tant que président du groupe de travail de la commission, nous avons été capables en deux ans de définir parfaitement les réactifs qui pouvaient être validés en fonction de sérums étalon que nous avions réussi à établir d'une façon consensuelle. Le dernier circuit de test entre laboratoire que nous avons mis en oeuvre comprenait 46 laboratoires dans les 12 pays à l'époque de l'Union Européenne.

Nous avons réussi à faire en sorte que tous les tests soient satisfaisants. C'est faisable, c'est jouable. Après, il y a la partie professionnelle et administrative qui n'est pas exactement de mon champ de compétence sur lequel je me garderai bien de faire des commentaires.

Le principe de notre appui technique est là, il existe, il est opérationnel, il a déjà fait ses preuves.

Quant au renforcement des moyens, je vais vous faire une confidence personnelle. Au moment de la BSE, les différentes autorités politiques du pays ont félicité le CNEVA pour la façon avec laquelle le problème avait été traité. J'ai insisté auprès du ministre de l'Agriculture pour lui dire qu'il serait bon que l'on renforce nos équipes pour travailler là-dessus. J'ai donc demandé au budget civil de la recherche et du développement dans le projet de loi de Finances 1997 une augmentation du nombre de postes budgétaires à partir de redéploiements. Je sais bien que dans la conjoncture actuelle, il eut été illusoire de vouloir créer des postes. J'ai été un peu déçu de voir qu'il n'y avait pas eu de postes en plus, mais l'on m'a fait remarquer qu'il n'y avait pas eu de suppression alors que c'était le cas pour d'autres organismes. Comment développer dans ces conditions les recherches indispensables, en particulier pour la BSE ?

Une meilleure coordination, on peut sûrement faire mieux. Je vous l'ai dit, il y a un vrai problème. Le cas de la salmonellose bovine avec les groupements techniques de vétérinaires, les groupements de défense sanitaire des éleveurs, avec cet ensemble de communauté, est un bon exemple. J'ai un collaborateur qui passe en ce moment son temps à expliquer cela dans les différents départements ; pendant ce temps, il ne fait pas autre chose, mais c'est provisoire.

Mais il y a encore une mine d'informations non exploitée, ou insuffisamment, qui est celle de savoir comment cela évolue. En gros, il y a 2 ou 3 % de réactions douteuses en brucellose. Lorsque c'est 2 % et que cela fluctue plus ou moins à 0,1, c'est bon, mais si tout à coup il y a un pic, il y a un problème. Il faut qu'on puisse le détecter très vite. Pour le moment, toutes ces données sont rassemblées par les laboratoires départementaux, mais il n'existe pas cette exploitation que l'Etat doit être en mesure de faire et pour lequel je n'arrive pas à dégager les hommes.

Quant à la troisième question, les échanges commerciaux, oui, nous sommes très largement impliqués dans l'Europe, d'abord dans les structures officielles. J'ai calculé que pratiquement six chercheurs ont été utilisés à temps plein au cours de ces six derniers mois par des réunions à Bruxelles. Je me suis inquiété auprès de ma tutelle pour savoir si les crédits que l'Etat attribue au CNEVA ne sont pas détournés de leur mission lorsque j'envoie mes collaborateurs en mission à Bruxelles. On m'a répondu que je défendais les intérêts de l'Etat et que c'était donc de notre mission. Bien évidemment, pendant que mes collaborateurs sont à Bruxelles, ils ne peuvent pas faire autre chose, mais c'est important pour arriver à défendre nos positions.

Je suis très ouvert sur l'international, je pousse mes troupes et je crois que cela ne fonctionne pas mal.

En ce moment, un de mes collaborateurs est à la réunion d'un groupe pour étudier les résidus. La réunion va avoir lieu cette semaine au Costa Rica, il va être la voix de la France dans cette opération.

La semaine dernière, une autre collaboratrice était à Washington avec trois autres européens pour une réunion concernant les résidus et les toxines dans les produits laitiers. Moi-même, il y a trois semaines, j'étais à l'organisation de santé animale des Etats-Unis dans laquelle les européens présentaient leurs propositions et essayaient de la faire comprendre à leurs interlocuteurs Américains.

De ce côté-là, le CNEVA a une activité assez importante. Je ne m'en plains pas mais parfois, c'est lourd.

M. Dominique LECLERC - Je souriais par rapport à votre dernier propos, je comprends lorsque vous dites que vous avez une charge qui est sûrement très lourde. Si je regarde sur le terrain, en matière de recherche et d'appui technique, je connais une ville de cent mille habitants dans laquelle on trouve : un laboratoire de bactériologie très pointu à la faculté de médecine, un autre département vient d'ouvrir avec des vétérinaires et il y a l'INRA dont l'image est à juste titre mondialement connue. Lorsque vous évoquez, et je le comprends, le renforcement des moyens, pour moi, ce serait plutôt la coordination des moyens qui existent en termes de recherche. J'ai cité trois vitrines prestigieuses chez nous, toutes les trois ont un département vétérinaire, l'INRA en premier, mais les autres aussi.

Est-ce dans votre rôle, en tant que structure administrative et scientifique, d'avoir le recul et la coordination pour la mise en commun de tous ces moyens intellectuels fantastiques ? En termes de veille sanitaire, localement, on a toutes les armes scientifiques et humaines, même en nombre, pour qu'au plan national, vous en soyez le chef d'orchestre.

M. Charles DESCOURS, président - Vous avez terminé sur la coordination, quels sont vos rapports avec le Réseau National de Santé Publique ?

M. Bernard SEILLIER - Commencez-vous à réfléchir à ce que pourrait être une démarche de mise en évidence des caractères thérapeutiques de l'alimentation ?

M. Michel THIBIER - Je ne peux répondre d'une façon unifiée aux deux questions de l'Indre et Loire et du RNSP. Il se trouve que le RNSP avait son Conseil scientifique vendredi dernier. J'ai tenu spécialement à y participer car je voulais délivrer un message fort à Jacques Drucker en particulier et à son Conseil d'administration.

Effectivement, voilà un excellent outil auquel le CNEVA est associé et avec lequel nous avons déjà commencé à mettre en oeuvre une complémentarité depuis un an.

Nous nous sommes félicités, Jacques Drucker, le Président du Conseil scientifique et moi-même de cette approche complémentaire. Il est vrai que le RNSP travaille plus sur l'épidémie du sida, de la rubéole, de la rougeole, ou des choses comme celles-là, que sur les intoxications alimentaires. Cela correspond à votre exemple d'Indre et Loire. J'ai très vite vu de quel endroit vous parliez car c'est un très bon exemple. Effectivement avec M. Nouzille, dans le domaine de la reproduction, qui était le mien avant, ou dans celui de la pathologie, l'excellent exemple est celui des encéphalopathies spongiformes, l'INRA représente la base solide, mais pas facilement mobilisable, il travaille sur les problèmes de résistance génétique aux encéphalopathies. Dans le même temps, le CNEVA répond à l'urgence, aux suspicions de tous les jours, il y a donc une complémentarité qui fonctionne bien. Il est vrai que c'est au sein du même ministère.

Sur le cas de la listériose, les travaux faits par l'équipe de bactériologie du département sont remarquables, c'est notre rôle, mais je veux arriver, dans les années à venir, à renforcer ce réseau parce qu'il est encore sous-exploité. Il n'y a pas de secret, il faut que l'Etat accepte d'y consacrer de nouveaux moyens. C'est vraiment le rôle de l'Etat que de rassembler cette opération.

Quant au redéploiement interne, la première chose que j'ai faite lors de mon arrivée au CNEVA a été d'enlever ce qui m'apparaissait un peu superficiel. Par exemple, sur les grippes porcines, bien que nous étions le centre de référence d'Europe, tout le monde s'en moque, et de plus, il n'y a aucun effet sur la santé de l'homme. J'ai donc décidé d'arrêter le travail fait par les deux chercheurs qui se penchaient sur ce sujet. Mais maintenant, je ne peux pas enlever la fièvre aphteuse, je ne peux pas enlever la listériose, la tuberculose. Je suis arrivé à un niveau où il n'y a plus de marge. Mon plus grand souci, c'est ce qui va déterminer notre contrat d'objectifs.

Quant à votre troisième question, nous n'avons pas encore abordé ces aspects thérapeutiques de l'aliment. C'est une question qui nous est posée, on l'examinera sans doute dans le contrat d'objectifs. Pour le moment, pour être tout à fait franc avec vous, je ne suis pas convaincu que c'est notre mission. Je peux me tromper, je suis prêt à l'envisager. La technologie ne nous intéresse que lorsqu'elle est liée à la santé publique. Cela m'intéresse de savoir comment on fait les plats cuisinés parce qu'on m'a dit que la flore bactérienne qui se développe sur des steaks hachés, par exemple, est différente si vous mélangez une feuille de laitue avec le même steak haché. Les vertus thérapeutiques de la feuille de salade ou autre existent-elles ? Pour le moment, nous ne sommes pas engagés dans cette voie.

M. Bernard SEILLIER - C'est important car l'on voit se développer des productions ayant des prétentions dynamisantes, qui va vérifier que ce n'est pas de la publicité mensongère ?

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page