VII. SÉANCE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 1996

A. AUDITION DE M. DIDIER LOMBART, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES STRATÉGIES INDUSTRIELLES

M. Charles DESCOURS, président - Vous connaissez les termes de notre mission. En fait, nous avons eu deux démarches parallèles qui se rejoignent. M. Huriet a travaillé beaucoup sur les nouvelles thérapeutiques comme la thérapie génique et cellulaire. Ensuite, l'apparition de phénomènes comme la maladie de la vache folle ou la panique qui a entouré le problème de l'amiante (alors qu'on connaissait bien ses aspects depuis longtemps) nous a fait réfléchir à la question suivante : est-ce que, dans notre pays, la sécurité des produits thérapeutiques est convenablement assurée tout au long de la chaîne, et, en cas d'épidémies ou de pathologies nouvelles, y a-t-il quelqu'un qui est susceptible de dire que c'est une pathologie qui peut devenir humaine ? Est-ce qu'il y a quelqu'un ou une structure disposant d'une ouverture d'esprit permanente en se disant : "voilà une nouvelle affaire qui va apparaître" ?

Voilà le cadre de notre travail. Maintenant, en ce qui concerne la Direction générale des stratégies industrielles, Claude Huriet va vous expliquer ce que nous attendons de vous.

M. Claude HURIET, rapporteur - Comme vient de le dire Charles Descours, il y a une logique et une continuité dans la démarche de la Commission des affaires sociales du Sénat, puisque, au départ, la Commission s'était particulièrement impliquée dans la mise en place d'un certain nombre de structures qui avaient pour vocation première la sécurité des produits. Je citerai comme points de repère, car ce sont les premiers dans la chronologie, l'Agence française du sang, qui nous a amené, nous, sénateurs, à faire sortir du tiroir le projet de création de l'Agence du médicament (sécurité transfusionnelle et sécurité du médicament), puis l'Etablissement français des greffes et, dans un laps de temps très court le Laboratoire français du fractionnement.

Quand on évoque ces quatre institutions, on voit qu'il y a une dimension industrielle et qu'il s'agit d'assurer la sécurité non seulement en amont (encore qu'on puisse se demander où est l'amont et où est l'aval) mais également au départ, en ce qui concerne les conditions d'expérimentation et de fabrication. Il y a ainsi un lien continu jusqu'au moment où on passe à la phase d'industrialisation des produits.

Nous avons donc cette approche linéaire qui nous a amenés, à partir des thérapies géniques et cellulaires (qui sont loin de passer à la phase industrielle), à nous rendre compte que cette réflexion sur la sécurité sanitaire des produits ne pouvait pas faire l'économie d'un inventaire des structures existantes avec cette finalité de la sécurité des produits, non pas tant pour voir les conditions dans lesquelles elles fonctionnent mais pour savoir s'il existe, entre ces différents secteurs bien ciblés, des domaines dans lesquels ces considérations en matière de sécurité sanitaire ne sont pas satisfaites.

Notre deuxième démarche consiste à savoir si, entre ce qui existe et ce qu'il faudra sans doute mettre en place, la coordination et les échanges se font bien ou s'ils se font insuffisamment, avec le risque d'avoir des doublons qu'on avait vu apparaître à propos de la thérapie génique et de la thérapie cellulaire. Donc la deuxième démarche, après l'analyse par fonction et par structure, est celle de la cohérence et des liens.

Enfin, la troisième et dernière démarche est celle de la veille sanitaire. Pour le moment, je m'implique personnellement parce que la Mission ne s'est pas prononcée sur ce point, mais il me semble que la réflexion sur la veille sanitaire doit être nécessairement une réflexion globale.

Voilà le schéma général, le point de départ de la mission et les orientations actuelles. Je pense que maintenant, vous pourrez trouver plus facilement votre place et que votre audition peut nous apprendre bien des choses.

M. Didier LOMBARD - La naïveté de la question liminaire que je vous ai posée dans le couloir tient au fait que nous ne sommes pas vraiment centraux dans le dispositif mais que nous sommes effectivement amenés à intervenir dans différentes choses.

Tout d'abord, pour clarifier les choses par rapport à certains éléments du passé, quels que soient nos objectifs de politique industrielle, il est évident que les problèmes de santé de l'individu sont au premier rang de nos préoccupations et que la politique industrielle passe au deuxième rang par rapport à ce qui concerne la santé de la personne humaine.

Je rappelle donc ce principe qui va sans dire mais pour lequel j'ai souvent des petites affaires qui arrivent. Il y a toujours des choix qui ne sont pas aussi typiques que dans des affaires qui défrayent le chronique, mais il ne faut pas l'oublier.

Cela dit, nous participons activement aux délibérations de l'Agence du médicament, puisque nous sommes au conseil de cet établissement, qui est en fait une première du dispositif que vous avez mis en place il y a trois ans.

Nous l'avons perçu comme un élément assez positif, parce que le débat entre les industriels et les professionnels de la santé se passait à l'intérieur au lieu d'être à l'extérieur du dispositif. Au lieu d'avoir une petite opération avec l'ensemble de la procédure d'autorisation de mise sur le marché, qui se passait un peu en dehors de nous (sachant qu'ensuite, les industriels expliquaient pourquoi cela ne les arrangeait pas), les préoccupations sont prises en compte dès ce stade et finalement, je trouve que cela permet de donner à l'aspect industriel sa juste mesure dans les discussions au moment où cela va bien.

Cela a donc été une amélioration du système, surtout en ajoutant l'élément économique, même si son existence n'a pas un support de texte très fort.

M. Claude HURIET, rapporteur - Depuis quelques mois. C'est différent.

M. Didier LOMBARD - C'est vrai, mais il y a eu une période un peu difficile. Avoir un comité qui ne dépend que de la qualité d'un homme, même si elle est grande, cela pose problème... (rires). Le système a donc été bien amélioré.

Ensuite, je crois que là où les choses se compliquent énormément, c'est quand on passe du stade du contrôle des produits qu'on met sur le marché, ce qui est un sujet relativement cadré et organisé, au stade plus compliqué de la veille sanitaire, c'est-à-dire le contrôle de tout ce qui peut arriver sur le marché qui environne nos concitoyens et qui peut impliquer leur santé. On s'aperçoit (et vous avez donné quelques exemples dans votre introduction) qu'il peut se passer à tout moment, sur des créneaux qu'on n'attend pas, des phénomènes absolument imprévisibles.

Maintenant, par rapport à ce que vous avez dit dans votre introduction, je me permets d'ajouter une dimension : le fait que nous ne sommes pas seuls sur cette planète et que nous sommes dans le système OMC (Organisation mondiale du commerce). Je vous parle de l'OMC, parce que je vois poindre à l'horizon un certain nombre de problèmes concrets qui vont être exactement à la frontière, voire dans les travaux de l'Organisation mondiale du commerce.

En ce qui concerne par exemple les produits biotechnologiques qui sont à nos frontières, l'industrie de notre pays ne s'est pas vraiment développée sur ces créneaux alors qu'elle s'est développée de façon intense aux Etats-Unis. Il y a donc un certain nombre de produits de consommation courante qui sont à nos frontières et pour lesquels on peut se retrouver dans une période d'interrogation profonde car premièrement, on ne sait pas vraiment si cela a le moindre effet sur la santé de nos concitoyens et deuxièmement, si on venait à se poser des questions et à y mettre des freins, on se retrouverait certainement mis en accusation devant l'OMC.

Cela paraît un petit sujet, mais il me semble que par rapport à une conception un peu " organisationnelle " de la République dans laquelle on se dit qu'en matière de veille sanitaire, on va essayer de mettre tous les systèmes en cohérence, il ne faut pas oublier cette direction internationale, parce qu'on n'a pas le degré de liberté qui convient, à moins de faire préalablement toutes les vérifications qui conviennent avec les organismes internationaux ou d'utiliser une procédure d'alerte avec des arguments suffisamment étayés.

A contrario , il y a évidemment l'argument industriel. Si on en fait trop, c'est-à-dire si on se met à prendre des précautions sur des produits du genre de ceux que j'ai cités parce qu'on ne sait pas bien ce qui va se passer, on peut aussi handicaper une partie importante de notre industrie. Sur le sujet dont je viens de parler, Rhône-Poulenc est l'un des acteurs possibles. Que va-t-il se passer dans ce secteur et comment cela va-t-il se jouer sur le plan réglementaire ici, à Bruxelles ou aux Etats-Unis ? Je n'en sais rien, mais c'est un sujet que l'on voit poindre à très court terme.

Voilà la dimension internationale que j'ajoute à vos préoccupations pour compliquer vos réflexions.

En ce qui concerne le sujet de la veille sanitaire, en dehors de la partie "autorisation de mise sur le marché", on a actuellement une multiplicité d'organismes qui interviennent, dont une modeste partie dépend de nous (vous en avez trouvé effectivement quelques-uns), d'autres du ministère de l'Economie et d'autres encore du ministère de la Santé ainsi que quelques-uns du ministère de l'Agriculture.

M. Charles DESCOURS, président - Vous avez une liste de tous ces organismes ?

Mme Anne ROUBAN, chargée de mission pour la réglementation à la sous-direction des produits de santé - On peut vous la communiquer.

M. Didier LOMBARD - Nous pouvons vous communiquer ceux que nous connaissons. Si vous posez la question à d'autres interlocuteurs, vous aurez peut-être une liste complète.

M. Charles DESCOURS, président - C'est bien notre volonté.

M. Didier LOMBARD - Ce qui est positif, c'est que, sauf vraiment des failles accidentelles, sur pratiquement tous les secteurs possibles, il y a toujours en face un organisme quelque part qui fait quelque chose. Je crois que notre République est finalement mieux organisée qu'on ne le pense, ou plutôt qu'elle est plus complète qu'on ne le pense.

Ce qui, en revanche, ne fonctionne pas ou n'existe pas, c'est la mise en réseau de tout cela. A l'heure actuelle, quand le L.N.E. détecte quelque chose sur tel ou tel produit, je ne suis pas sûr qu'il diffuse l'information à l'ensemble du système.

M. Charles DESCOURS, président - Même pas au réseau de la Santé publique ?

M. Didier LOMBARD - Cela dépend du type d'information, mais je pense que pour des informations qu'il juge bénignes, il ne doit pas faire une édition spécifique.

M. Gérard MATHIEU, chargé de la sous-direction des produits de santé, chimie fine et bio-industries - Sur l'exemple du préservatif, il l'a fait, quand même.

M. Didier LOMBARD - Sur les préservatifs, compte tenu de l'attention qu'il y a sur le sujet du sida, il n'y a pas de problème.

M. Charles DESCOURS, président - De toute façon, même si le laboratoire ne le faisait pas, Libération le ferait !

M. Didier LOMBARD - Pour les sujets à la mode, cela fonctionne forcément, parce que les gens ont l'attention très polarisée. Ce qui est dangereux, c'est le sujet apparemment anodin, comme l'étaient les affaires de sang contaminé avant qu'on les découvre. Ces malheureuses affaires du sang contaminé sont aussi liées au fait que, dans une certaine phase, les gens n'ont pas alerté et ne pensaient pas que cela avait une telle gravité. Il s'agit d'une présentation atténuée des choses, mais pour la plupart des acteurs, c'est ainsi que cela s'est passé. Le danger que nous avons, c'est que s'il se produit un phénomène que nous ne pouvons pas imaginer aujourd'hui d'apparence bénigne, le fait qu'il ne soit pas répercuté sur l'ensemble du réseau est une chose qui peut être handicapante. A l'inverse, la mise sur le réseau peut accélérer la procédure d'alerte de façon exceptionnelle.

Il me semble que dans la société dans laquelle nous sommes, à l'heure actuelle, où, effectivement, la création de banques de données et de réseaux et les échanges d'informations instantanées sont des choses qui sont vécues tous les jours, c'est probablement l'une des voies permettant d'améliorer le fonctionnement du système de façon importante. C'est une chose qui a besoin d'être organisée et qui n'est ni compliquée en ce qui concerne les structures, ni traumatisante en ce qui concerne les organisations. En effet, personne ne perd ses prérogatives, et la mise en commun des informations est une chose qui peut être considérée comme valorisante pour tel ou tel organisme. Il me semble que c'est une direction vers laquelle il faudrait regarder.

A l'autre extrémité (mais je ne sais pas si c'est ce que vous avez en tête), on pourrait imaginer qu'on fabrique un organisme qui soit responsable de l'ensemble. Le problème, c'est qu'on entrerait alors dans une lutte de chapelle sans fin au moment de la création de cet organisme. J'en parle en étant très à l'aise, puisque je suis un peu marginal par rapport à l'ensemble et que je ne serai pas dans la mêlée, mais je vois bien qu'en ce moment, entre nos collègues de l'Agriculture et ceux des Finances, pour la simple partie du contrôle des produits alimentaires, il y a une lutte qui est déjà assez homérique.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quand vous dites "déjà", c'est parce que c'est la Mission sénatoriale qui l'a déclenchée ou parce qu'elle existait avant ?

M. Didier LOMBARD - Elle existait avant. Elle existe à chaque fois que se met en place un nouveau gouvernement. Je vis à chaque fois au niveau interministériel les décrets d'attribution et il y a à chaque fois des tentatives de perdre l'un ou l'autre...

Historiquement, le contrôle des produits alimentaires était à l'Agriculture, puis il est passé à la DGCCRF. Au début du premier gouvernement de M. JUPPE, il y avait une ambiguïté dans l'intitulé du ministère qui faisait qu'il y avait une tendance à rapatrier les choses au ministère de l'Agriculture. Si j'ai bien compris, à la DGCCRF, il y a eu quelques mouvements de foule, parce que les gens préféraient être au ministère de l'Economie qu'au ministère de l'Agriculture. Je dis cela bien que ce ne soit pas à la hauteur de vos réflexions... (rires). Mon expérience dans les réorganisations de ministères, c'est que je préfère travailler par fonction, donner à différents sous-ensembles des missions et les mettre en cohérence par tous les systèmes que je peux imaginer pour les faire travailler ensemble plutôt que de casser les structures, parce qu'à chaque fois que vous le faites, vous perdez six mois. Vous pouvez éventuellement avoir un gain à faire en organisation, parce que vous dites : "il y a 200 personnes et je vais en mettre 150", mais si ce n'est pas le cas, je suis plus pour une gestion par fonction que pour une modification des frontières des services.

En fait, la discussion est bien entre les trois pôles que sont la Santé, l'Agriculture et l'Economie. En ce qui concerne la partie qui est faite dans nos laboratoires, nous sommes un peu sous-traitants dans ce système, parce que lorsque nous contrôlons tel ou tel matériel ou tel ou tel équipement qui vise la santé, on le fait sur des spécifications sur la santé.

Dans la salle - Le L.N.E., par exemple, travaille sur commande ?

M. Didier LOMBARD - Il est sous-traitant.

M. Gérard MATHIEU - Les essais sont en partie commandés par ces organismes et en partie faits par lui et d'autres organismes aussi.

M. Didier LOMBARD - Le LNE a un savoir-faire en matière de tests et au point de vue de la fiabilité et du coût du test, il a une grande réputation. Donc il est sous-traitant pour effectuer ces tests dans les meilleures conditions, parce que ce genre d'opération peut être très coûteux et ne pas être fiable. En fait, il répond à ces deux questions.

M. Charles DESCOURS, président - Dans les dispositifs médicaux, c'est le LNE qui fait les essais, par exemple en pacemakers ou valves cardiaques ?

M. Didier LOMBARD - Il regarde les aspects techniques des choses. Pour tester un pacemaker, il vérifie qu'il résiste à des milliards d'oscillations, il fait des tests par rapport à la composition chimique, etc.

M. Claude HURIET, rapporteur - Et cela se fait sur la commande ou la demande de qui ?

M. Gérard MATHIEU - Sur ce type de produits, c'est-à-dire les pacemakers, cela passe par le ministère de la Santé. C'est la procédure d'homologation.

M. Claude HURIET, rapporteur - Santé et Direction des hôpitaux, si je comprends bien.

Comme je le disais tout à l'heure, on a découvert des insuffisances concernant les biomatériaux. Donc ce que vous dites à propos des dispositifs est un élément qui confirme qu'il y a une recherche de la sécurité. On a parlé hier, et également dans d'autres circonstances, du marquage "CE". Or je percevais davantage ce marquage comme une garantie de bonne fabrication et pour moi, la sécurité et la viabilité n'étaient pas la finalité première. Depuis, on m'a dit que c'était le cas.

M. Gérard MATHIEU - Il y a les deux. Il y a à la fois une assurance qualité de type industriel normale à laquelle s'ajoute des qualités de sécurité d'objectif médical.

M. Claude HURIET, rapporteur - Si nous en avions parlé avant, c'était à propos de la loi du 20 décembre 1988, au sujet de laquelle on m'avait dit que pour les dispositifs, il n'y avait pas d'équivalent pour ce qui est des essais opérés en différentes phases pour les médicaments et que finalement, les essais pratiqués chez l'homme, avant l'homologation, n'étaient pas soumis à des conditions aussi rigoureuses et contrôlées.

C'est ce qui m'a amené à m'interroger sur les conditions dans lesquelles on pouvait, par le marquage CE, garantir la sécurité s'il n'y a pas une phase d'essai chez l'homme correspondant à des conditions très strictes. Que pouvez-vous me répondre sur ce point ?

M. Gérard MATHIEU - Je vous répondrai que les choses évoluent, parce que les préoccupations qui sont exprimées ici sont partagées en définitive au niveau à la fois européen et français. Donc il est vrai qu'il y a déjà une dizaine d'années, les produits étaient homologués, ce qui est à peu près équivalent à l'autorisation de mise sur le marché, mais cela se faisait avec une démarche technique d'assurance et de vérification des qualités de matériaux et des matériels qui répondait à une réglementation incomplète.

Maintenant, on s'est aperçu que des problèmes se posaient à cet égard et que cela nécessitait des essais. Donc les exigences vis-à-vis des produits et des industriels qui les mettent sur le marché se sont mises pratiquement au niveau. L'apport du marquage CE par rapport à l'homologation, c'est que les essais ont été améliorés avec comme objectif la sécurité pour l'homme des produits quels qu'ils soient, et qu'en même temps, puisque c'était l'objectif de la nouvelle approche, on jumelait cela à une sorte d'assurance qualité dans le cadre de la fabrication dont l'industriel était responsable, sans que ce soit contrôlé de l'extérieur par un organisme étatique. C'est contrôlé maintenant par un organisme tiers qui dit : "oui, l'entreprise vérifie bien les différents cahiers des charges qui permettent de dire qu'ils fabriquent correctement" et, en même temps, les essais sont assurés pour que le produit soit compatible avec une utilisation humaine.

M. Claude HURIET, rapporteur - Je termine ma question. Quand nous avons auditionné à propos des biomatériaux, on nous a donné quelques exemples qui montrent qu'on peut fabriquer une prothèse, par exemple, avec une substance dont on pense qu'elle est inerte et qu'avec le temps, on se rend compte qu'elle ne l'est pas. Cela pose un vrai problème qui prouve qu'au moins sur les dernières années, cette sécurité n'était pas correctement assurée.

L'autre critique que l'on nous a faite, c'est qu'on peut fabriquer avec des matériaux inertes des pièces qui, du point de vue de leur conception mécanique, ne sont pas acceptables. Nous avons auditionné un ingénieur qui fait partie de l'équipe du centre de recherche sur les biomatériaux à Nancy, et il nous a dit qu'il y avait eu par exemple des ruptures de pièces dont il aurait pu dire, en tant qu'ingénieur, qu'il y aurait des problèmes à tous les coups. Il nous a dit qu'on prenait parfois plus de précautions pour réaliser des pièces mécaniques ou industrielles, comme dans le secteur automobile, que pour concevoir et réaliser des prothèses.

Est-ce que c'est dans votre champ et est-ce qu'il y a une réponse ? Il y a les deux éléments : la matière première, d'une part, et la conception et l'utilisation qu'on en fait, d'autre part.

M. Charles DESCOURS, président - Pour moi, c'est une découverte aussi, car dans la mission que m'avait confiée le Premier ministre sur les problèmes de radioactivité chez les personnels travaillant dans les hôpitaux, le marquage CE, pour le matériel de radiologie, était une garantie au moment de la vente (ensuite, cela se dégrade). Donc j'avoue que ce que nous avons découvert là m'a surpris.

M. Claude HURIET, rapporteur - Actuellement, de qui cela dépend-il théoriquement ?

M. Gérard MATHIEU - Encore maintenant, les dispositifs médicaux peuvent être homologués. Le marquage CE ne date que d'un an et demi. En ce qui concerne l'homologation, normalement, l'aptitude du produit à satisfaire la fonction qu'on lui demande est une chose qui doit être prouvée. Donc il y a des essais. Il n'y a pas vraiment d'équivalent des essais cliniques pour le médicament, mais il y a des essais de type physique qui ont été faits. Donc en ce qui concerne des problèmes de rupture comme ce que vous citiez, je suis vraiment étonné que cela puisse se produire.

M. Claude HURIET, rapporteur - On nous a parlé des électrodes des stimulateurs cardiaques. Il y a eu des incidents et même des accidents avec des ruptures de certains éléments, et cet ingénieur nous a dit qu'en tant que connaisseur des matériaux, il aurait pu très bien dire que le choix du matériau n'avait pas été bon et que dans les conditions d'utilisation chez l'homme, on risquait des pépins. C'est quand même un point assez grave.

M. Gérard MATHIEU - J'ai essayé de répondre à vos préoccupations. Nous avons les mêmes soucis, et nous essayons justement, d'une part, d'aider à préparer la réalisation d'essais cliniques en liaison avec le ministère de la Santé, non pas seulement sur les produits implantables mais aussi sur les produits médico-chirurgicaux. Il y a toute une procédure de tests industriels et scientifiques avec l'ANVAR qui ont été mis au point depuis de nombreuses années.

Nous essayons également, dans le cadre du programme d'essais cliniques du ministère de la Santé, d'introduire de plus en plus des essais cliniques sur les matériaux et sur les dispositif médicaux. Donc nous avons aussi cette préoccupation. Mais je suis étonné par les exemples que vous citez. En ce qui concerne les électrodes, je reconnais qu'il y a eu des problèmes, mais théoriquement, l'assurance qualité y répond.

M. Charles DESCOURS, président - Sur certains pacemakers, j'ai rencontré des problèmes d'électrodes, mais c'était à une époque où le risque zéro n'était pas considéré comme atteignable.

M. Didier LOMBARD - Je ne crois toujours pas au risque zéro. Scientifiquement, il est impossible

M. Charles DESCOURS, président - Tout à fait. Nos concitoyens sont dans une douce rêverie à cet égard.

M. Didier LOMBARD - Il faut tout faire pour améliorer les choses, mais au fur et à mesure qu'on va vers zéro, c'est de plus en plus compliqué.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Cet ingénieur de l'Ecole des Mines disait que l'analyse du produit était peut-être un autre volet du problème mais que ce qui était fort inquiétant, c'était l'essaimage incroyable de petites entreprises qui travaillaient autour des prothèses et des éléments implantables et qui n'avaient pas du tout de contrôle de fabrication pour ce type de matériel spécifique.

M. Didier LOMBARD - C'est l'élément auquel je pensais pendant que le sénateur parlait tout à l'heure. Effectivement, c'est un domaine dans lequel on a favorisé beaucoup de start-up.

M. Charles DESCOURS, président - Il faut le faire.

M. Didier LOMBARD - Ce sont en effet les petites entreprises qui font des pacemakers. Donc effectivement, derrière cela, il y a la difficulté que dans une petite structure, on n'a pas forcément tous les éléments nécessaires pour vérifier tous les aspects. Pour avoir un chimiste, un spécialiste de mécanique et tous les spécialistes présents, c'est pratiquement impossible et c'est économiquement peu viable. En revanche, on doit pouvoir, en ce qui concerne les essais obligatoires et la filière qui est derrière, les aiguiller sur les experts qui conviennent pour vérifier certains aspects de la chose.

M. Charles DESCOURS, président - Est-ce que les conservateurs, les colorants et tous les adjuvants aux aliments dépendent de vous ?

Mme Anne ROUBAN - Absolument pas. Cela ne dépend pas de nous. Les initiatives dépendent du ministère de l'Economie et des Finances, à la DGCCRF. Nous sommes dans un système totalement harmonisé de droit communautaire, dans lequel un certain nombre de directives communautaires fixent de longues listes positives de molécules ayant fonction d'additifs, de colorants, édulcorants etc., avec la déclinaison des catégories de molécules, de leur emploi et des catégories d'aliments dans lesquelles elles peuvent entrer ainsi que des quantités compensatrices ou non, selon une évaluation toxicologique qui en est faite.

M. Charles DESCOURS, président - C'est une directive européenne qui est fondée sur les travaux de quels laboratoires ?

Mme Anne ROUBAN - C'est toute une filiation d'expertises. Il y a toute une harmonisation du droit alimentaire qui est en train de se faire. Il y a bien entendu le Conseil supérieur de l'alimentation humaine (C.S.A.H.), auprès de la Commission européenne, qui émet des directives toxicologiques ; les Etats-membres y sont représentés et la France y est représentée par M. Pascal et M. Rey (M. Pascal étant le Président du C.S.A.H.), et bien entendu, chez les Français, il y a le Conseil supérieur qui statue sur le rapport d'expert et l'évaluation toxicologique. Je ne donne pas tous les détails techniques, mais cela va très loin, pour le simple motif qu'un additif alimentaire est susceptible de rentrer dans la ration alimentaire et de concerner l'ensemble de la population. De ce fait, les négligences sont très importantes, parce que l'alimentation peut concerner un nourrisson, une femme enceinte, une personne malade, etc. Il faut donc faire très attention à la ration alimentaire et à la quantité précise qui peut être ajoutée. Sur ce plan, il y a donc des recommandations multilatérales et de très nombreux travaux d'harmonisation.

M. Charles DESCOURS, président - Comment expliquez-vous que tous ces remarquables organismes internationaux aient laissé se développer sans bouger l'épidémie de la vache folle, sans se poser la question de savoir si elle était transmissible ou non ? Il y a quand même dix ans que cela existe en Angleterre. Tous les jours, pour la plupart d'entre nous, nous mangeons de la viande et la libre circulation des bovins est une religion absolue jusqu'à ces derniers mois. Donc pourquoi tous ces gens n'ont pas dit : "c'est peut-être transmissible à l'homme ; on va mettre 500 millions d'écus là-dedans" ?

Mme Anne ROUBAN - Je ne peux que vous répondre d'après les éléments scientifiques dont je dispose, parce que la recherche fondamentale est sur plusieurs scénarios.

Dans un premier temps, nous entendions les experts nous dire qu'a priori, la barrière des espèces devrait marcher. Ce qu'il faut savoir, c'est que la recherche fondamentale est en cours là-dessus. C'est un point qu'il faut bien avoir dans l'esprit. Nous ne sommes pas sur des acquis scientifiques établis et confirmés. Nous sommes sur une construction liée totalement à l'avancée de la recherche fondamentale. Evidemment, elle avance d'autant plus vite que des efforts considérables ont été faits en la matière, mais on ne peut pas refaire l'histoire. A un moment donné, l'état de la science était tel qu'une fois de plus, les experts concernés ne pouvaient pas apporter des réponses très avancées.

M. Charles DESCOURS, président - En ce qui concerne l'état de la science, on nous a expliqué cela pour le sang contaminé. Mais sur cette affaire, s'il n'y avait pas eu M. Dormont , personne n'aurait travaillé. On n'a pas donné d'argent au CNRS ni à l'INSERM. C'est cela que je ne comprends pas. Nous allons les auditionner dans les jours à venir.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quand nous aurons réfléchi à l'harmonisation du système de vieille, il faudra aussi avoir quelques idées quant aux conditions dans lesquelles on sonne l'alerte. Il y a le feu rouge et le feu orange, et le problème qui se pose, c'est de savoir à quel moment on a une suspicion suffisante pour passer du feu orange au feu rouge. Même si cela va être très difficile, je ne crois pas qu'on pourra en faire l'économie.

On nous a dit hier que le contrôle des préservatifs effectué par le LNE allait disparaître à partir de 1998.

M. Didier LOMBARD - Tiens. Je ne le savais pas. Vous m'inquiétez. J'apprends des choses en venant ici...

M. Claude HURIET, rapporteur - C'est l'INC qui nous l'a dit. Cela ne m'inquiète plus, mais si vous pouviez nous donner un élément là-dessus, ce serait intéressant, car c'est l'un des points qui est apparu et qui va évidemment en sens contraire de nos préoccupations.

M. Didier LOMBARD - Je le ferai vérifier et on vous communiquera la réponse.

M. Claude HURIET, rapporteur - Il reste un autre point par rapport au CDC. La Commission a envoyé une mission aux Etats-Unis, notamment pour aller voir le CDC, et nous avons eu hier, Charles Descours et moi, le rapport de nos collègues qui y étaient. Or, d'après ce qu'ils ont pu apprendre, le CDC apparaît comme une sorte non pas de mini OMS mais de substitut. Puisque vous parliez tout à l'heure de l'Organisation générale du commerce, je voudrais savoir si vous estimez que le CDC peut apparaître aux yeux des partenaires commerciaux comme un élément qui va à l'encontre de la libre circulation. On ne peut pas nous faire grief si nous avons une organisation qui, au nom de la sécurité, peut édicter certaines normes ou certaines interdictions alors que le CDC, semble-t-il, jouerait ce rôle pour le marché américain.

M. Gérard MATHIEU - Il édicte des choses ou il alerte ?

M. Charles DESCOURS, président - Il alerte. On nous a expliqué qu'il était tellement indiscutable que dès qu'il alerte, tout le monde suit.

M. Didier LOMBARD - Nous pourrons vous donner des éléments plus précis. L'image que j'en ai, c'est que c'est un outil de politique commerciale. Je l'ai vu alerter sur des sujets où il n'y avait rien alors qu'il s'agissait de produits venant d'Europe. J'ai des exemples à ce sujet.

M. Charles DESCOURS, président - C'est très intéressant.

M. Didier LOMBARD - On vous fera une petite note là-dessus.

M. Charles DESCOURS, président - Tout à l'heure, vous avez parlé de la F.D.A. sans la nommer. Cela ne vous fait pas vibrer, si j'ai bien compris... (rires).

M. Didier LOMBARD - Je n'ai pas été clair ? La FDA règne y compris dans nos laboratoires ici. Il est intéressant d'aller dans une usine pharmaceutique française pour voir ce qui s'y passe : les gens y sont beaucoup plus terrorisés par les contrôles de la FDA que par ceux de l'Agence du médicament.

La FDA ne correspond pas à notre Agence du médicament. Elle a compétence sur beaucoup de choses. Dans les habitudes de notre pays et dans le cadre juridique français et européen, c'est le genre de chose auquel on aura du mal à s'accoutumer facilement. Le système qui se déplacerait vers un système de type FDA aurait du mal à fonctionner. Je suis plus dans une FDA virtuelle ou un réseau que sur la fabrication d'un gros "machin".

M. Charles DESCOURS, président - Disons une FDA sur Internet.

M. Didier LOMBARD - Ou plutôt sur intranet pour que cela ne sorte pas.

M. Gérard MATHIEU - Et avec un noyau central d'intelligence sanitaire, qui coordonne et qui joue ce rôle de décider d'alerter ou non.

M. Didier LOMBARD - Dans le débat que vous avez eu il y a un instant sur la vache folle, le problème du risque zéro et du point à partir duquel vous devez alerter est difficile à déterminer. Aujourd'hui, on a peut-être des phénomènes sur lesquels on doit alerter, mais on ne le sait pas toujours. Donc si le petit noyau central du réseau jouait ce rôle, ce serait intéressant.

C'est là qu'est le problème. En fait, ce n'est pas la toile d'araignée qu'il faut tisser : on a les noeuds de la toile d'araignée, mais il faut mettre les fils et surtout le coeur, qui est une chose très difficile à définir parce qu'on est entre le risque zéro et l'alerte sans cause.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Le coeur est en fait un concentré de tout ce qui vient de ce maillage et de tout ce réseau. On peut parler des agences, par exemple.

M. Didier LOMBARD - On pourra remonter des agences.

M. Claude HURIET, rapporteur - Nous allons devoir nous arrêter pour passer à l'audition suivante. Vous vous demandiez ce que vous alliez pouvoir nous dire et vous nous avez beaucoup dit. Merci madame et merci messieurs.

B. AUDITION DE M. GUÉNAËL RODIER, ÉPIDÉMIOLOGISTE, SPÉCIALISTE DES MALADIES INFECTIEUSES (ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ)

M. Charles DESCOURS, président - Merci de venir à notre rendez-vous .

Quelles sont vos méthodes à l'OMS, particulièrement en ce qui concerne la veille sanitaire (nous ne parlons pas de la diffusion des thérapeutiques) ? Pour les nouvelles maladies infectieuses, comment remplissez-vous votre rôle de veille sanitaire ?

M. Claude HURIET, rapporteur - Comme vient de le dire Charles Descours, le volet que nous souhaitons surtout aborder avec vous (sachant que celui de la sécurité thérapeutique nous intéresse aussi) est celui de la veille sanitaire. Nous nous intéressons à la fois aux structures qui sont censées assurer la veille sanitaire et à la coordination qui peut exister entre ces structures, pour savoir si elles sont efficaces ou non.

De même, en matière d'épidémiologie et de méthodologie, quelles sont les conditions dans lesquelles on doit déclencher l'alerte ? Est-ce que vous avez une idée à ce sujet, sachant que si on la déclenche trop tôt, on affole les populations et que si on la déclenche trop tard, on voit les dégâts que cela peut produire ? Est-ce qu'en tant qu'épidémiologiste, vous avez des idées là-dessus ?

M. Guénaël RODIER - C'est un vaste sujet. Je tiens à préciser mon domaine : je m'occupe de la surveillance des maladies infectieuses, qui est un sous-ensemble de la veille sanitaire. J'ai également une perspective internationale, ce qui cadre bien avec le sujet puisque, en ce qui concerne les maladies infectieuses en particulier, ce qui se passe ailleurs concerne en fait tout le monde.

Ce que vous appelez "veille sanitaire" est appelé "surveillance" dans le monde anglo-saxon. Donc nous essayons de ne pas séparer cette surveillance du contrôle, c'est-à-dire de la lutte contre les maladies. Dans une perspective internationale, au niveau de l'OMS, nous jouons un rôle d'information et de législation dans le cadre du règlement sanitaire international.

L'OMS s'est intéressée à ce problème parallèlement au retour des maladies émergentes bien connues. L'une de ses tâches est bien entendu de beaucoup s'intéresser à ce qui se passe dans les pays en développement, puisque c'est là qu'il existe le plus de problèmes.

Le rôle de l'OMS, qui n'a pas de laboratoire, contrairement au CDC, c'est tout l'aspect réglementaire. Pour cela, la législation sanitaire internationale est en train d'être précisée pour essayer d'englober le problème des nouvelles maladies. Elle ne gère que trois maladies : le choléra, la peste et la fièvre jaune, qui sont des maladies à déclaration obligatoire au plan international. Nous essayons maintenant de modifier cela pour prendre en compte d'autres maladies avec une approche par symptôme.

Quant à la surveillance au plan international, c'est un problème de partenaires. Vous avez mentionné le CDC qui en fait partie (nous avons des personnes du CDC qui travaillent chez nous dans le cadre des maladies émergentes), mais ce n'est pas le seul, bien sûr. Nous avons beaucoup d'autres partenaires. Je répète que l'OMS n'a pas de laboratoires en propre et qu'elle travaille avec des centres collaborateurs qui ont les expertises requises dans les domaines concernés : le CDC, mais aussi le PHLS à Londres, qui est très bon en matière de maladies infectieuses, notamment pour la surveillance de la salmonelle, l'Institut Pasteur, en France, et beaucoup d'autres. Rien que dans le domaine de l'infectieux, il y en a plus de 200.

Notre effort, vis-à-vis de ces centres, sachant que certains sont assez anciens, est de les réexaminer vis-à-vis de leurs infrastructures et de leurs savoir-faire, afin de les remettre à jour, si je puis dire, et de développer de nouveaux centres collaborateurs, notamment dans le domaine de l'épidémiologie (c'est le cas d'Epicentre, à Paris, qui est une émanation de Médecins sans Frontière). Je précise que MSF, en ce qui concerne la surveillance des maladies infectieuses, joue de plus en plus un rôle important dans le cadre des Organisations non gouvernementales humanitaires. La structure de beaucoup de pays s'étant de plus en plus dégradée, les ONG sont devenues des partenaires. Tous les jours, je suis en contact avec des gens de MSF ou des autres ONG.

Il faut savoir aussi qu'en ce qui concerne la surveillance (et je parle surtout des pays de l'Afrique sub-saharienne), les missions jouent un rôle important à chaque fois qu'il se passe un événement important.

Voilà ce que je peux dire sur les grandes lignes. Je vous apporté une plaquette qui vous présente notre division, qui est relativement jeune encore. Cela vous permettra d'avoir plus de détails sur la manière dont nous sommes structurés. Je suis moi-même responsable de l'unité qui s'occupe de la surveillance des maladies infectieuses, maisil faut savoir que notre division n'est pas la seule à s'occuper des maladies infectieuses, puisque dans l'OMS, traditionnellement, il y a un programme de lutte contre les maladies infectieuses (par exemple la tuberculose).

M. Charles DESCOURS, président - Vous nous avez parlé de maladies dans les pays en voie de développement. Mais quel est le rôle de l'OMS dans les pays développés dans le domaine des maladies infectieuses ?

M. Guénaël RODIER - Elle a principalement un rôle d'information, notamment entre ce qui se passe dans les pays en développement et les pays développés. Nous sommes par exemple en lien direct avec l'Agence internationale pour les transports aériens, dont les activités viennent pour l'essentiel des pays développés qui ont des contacts avec les pays en développement et qui s'intéresse, dans le domaine des maladies infectieuses, au problème qui consiste à faire passer des produits d'un point à un autre.

Le rôle de l'OMS concerne donc beaucoup l'information. Il y a également tout un aspect normatif pour lequel il y a toujours un très gros travail à faire. L'OMS a développé la classification internationale des maladies, qui vient d'avoir sa dixième révision : il y a des éléments de souplesse qui permettent d'intégrer de nouvelles maladies sans avoir à tout réviser (c'est ce qui s'est passé pour le VIH). On n'avait pas prévu dans les premières révisions qu'il y aurait de nouveaux agents infectieux, mais c'est fait maintenant.

Pour l'essentiel, cette classification est prise en compte par beaucoup de gens. Vous connaissez sans doute les initiatives qui sont prises en matière de surveillance du côté des pays développés, du G 7, de la Communauté européenne, des Etats-Unis et du Japon. Ce sont des projets en formation.

Cela dit, la classification internationale des maladies ne répond pas forcément aux besoins de tout le monde. Les pays développés produisent beaucoup en matière de classifications, et il y a un vrai problème de terminologie pour que tout le monde se comprenne. Il faut savoir qu'au niveau national, il y a des classifications de maladies, mais que ce n'est pas le cas partout : les Etats-Unis, par exemple, n'ont pas de classification fédérale mais certains Etats en ont une. Celle des Anglais existe par ailleurs et les Espagnols en ont une également, mais elles ne sont pas forcément les mêmes.

En fait, nous n'avons quasiment plus de difficultés, parce que nous avons des solutions sur la partie système. Grâce à l'informatique, il y a énormément de solutions qui sont mises sur pied. Nous n'avons pas beaucoup de problèmes majeurs sur l'aspect technique pour communiquer entre la France, les Etats-Unis, le Canada ou l'Angleterre. Simplement, il se pose un problème de terminologie.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quelle relation établissez-vous entre le Réseau national de santé publique, qui commence à se mettre en place, et la méthodologie appliquée par l'OMS ?

M. Guénaël RODIER - Vous parlez du RNSP, qui est assez nouveau en France mais qui fait partie d'une tradition plus ancienne. L'OMS est en avance par rapport à cela, en ce sens qu'elle a depuis longtemps des bureaux régionaux et des bureaux nationaux pour tous les pays en développement ainsi qu'un réseau de centres collaborateurs. Donc il est difficile de comparer, en ce sens que nous ne faisons pas de choses concrètes au niveau national en France, puisque la France se débrouille très bien avec le RNSP. Simplement, nous pouvons repérer des initiatives qui marchent bien dans un pays pour les promouvoir dans un autre.

Par exemple, les pays d'Europe de l'Est récemment indépendants ont des besoins et cherchent à faire des choses. Parallèlement, il y a des choses en France qui marchent bien, comme le réseau "Sentinelle", pour la grippe, qui utilise beaucoup des généralistes du secteur privé, et il s'agit de savoir comment un système comme celui-ci, qui a le mérite d'être simple et peu coûteux et de fournir des informations de grande utilité, peut être promu ailleurs. Il s'agit de mettre en contact les Géorgiens ou les Arméniens, par exemple, avec les gens de l'INSERM qui ont développé cela. C'est un peu ce rôle que nous jouons.

Il est évident que l'OMS n'a pas les moyens financiers de faire des choses à la place des pays et qu'elle est obligée de tenir compte des infrastructures de chaque pays. Il y a actuellement beaucoup d'initiatives qui sont prises sur l'Afrique : il y a eu récemment une conférence au Burkina-Fasso, à Ouagadougou, qui a été organisée par le bureau régional de l'OMS à Brazzaville et à laquelle ont participé le Siège, le CDC, etc. Cela bouge beaucoup de ce côté-là et on va vers des choses très pratiques qui concernent surtout la formation. En effet, en matière d'épidémiologie, il y a un état d'esprit, que tout le monde n'a pas, et il y a beaucoup de formation à faire, pays par pays et district par district. Tout cela prend du temps. L'OMS n'a pas de baguette magique pour le faire et l'idéal est que les pays le fassent eux-mêmes.

Il faut savoir aussi que la surveillance des maladies infectieuses dépend beaucoup des infrastructures sur place.

M. Charles DESCOURS, président - Dans la structure de l'OMS, si le start-up n'est pas dans un pays, j'ai l'impression que l'OMS peut difficilement agir. Si je prends l'exemple du sang contaminé, l'exemple de la vache folle ou un troisième exemple qui n'est pas une maladie infectieuse, l'amiante, dans ces trois domaines, quelle a été l'attitude de l'OMS non pas dans votre département mais en général ? L'amiante a été utilisée dans beaucoup de pays. Or l'OMS n'a jamais fait de recommandations particulières.

M. Guénaël RODIER - Cela m'étonnerait, en effet, mais je n'en sais rien en ce qui concerne l'amiante.

M. Charles DESCOURS, président - Sur la vache folle ou le sang contaminé, je suppose que vous avez suivi le CDC, qui a été l'un des premiers laboratoires à alerter la communauté internationale.

M. Guénaël RODIER - Je reviens sur un point important : l'OMS n'a pas de laboratoire. Nous sommes donc dépendants de Pasteur, par exemple, en France, qui découvre le VIH, et nous le faisons savoir à la communauté internationale, c'est-à-dire qu'à travers des réunions d'experts venant de différents pays, on met sur pied des directives.

Pour la vache folle, par exemple, l'OMS, dès 1991, a organisé une réunion sur ce sujet. A l'époque, nous n'avions pas encore les variantes de l'ESB, mais il y a eu une réunion en 1991 sur le sujet pour alerter la communauté scientifique. Il faut savoir qu'on n'en parlait pas dans les médias. Depuis, il y a eu trois ou quatre réunions d'experts...

M. Charles DESCOURS, président - ..qui n'ont pas été suivies de prises de conscience suffisantes.

M. Guénaël RODIER - L'OMS émet des recommandations mais n'a aucun pouvoir de les mettre en oeuvre. Elle est au service de ses Etats-membres. Elle ne va pas dire à la France demain de faire quelque chose ; elle va simplement lui dire : "voilà nos recommandations vis-à-vis des maladies à déclarer, que ce soit l'amiante ou autres". C'est tout ce qu'on peut faire. De ce point de vue, l'OMS ne se substitue pas aux gouvernements ou aux ministères de la Santé des pays.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Est-ce que l'OMS, avec son organisation et ses compétences, aujourd'hui (c'est peut-être une question qui va vous paraître ingénue), serait en capacité d'intervenir valablement en termes d'alerte ? A un moment où on pressent qu'il peut y avoir problème, est-ce que l'OMS serait qualifiée ou aurait compétence pour le faire ? Ce que je ressens à travers ce que vous dites, c'est qu'il s'agit plus d'une OMS "observatoire" qui intervient en matière d'alerte une fois que sont développés un certain nombre d'éléments de maladies et d'épidémies. Par exemple, en ce qui concerne la vache folle ou le sang contaminé, est-ce que l'OMS aurait été qualifiée pour dire avant même que les problèmes se manifestent : "attention, il peut y avoir problème" ?

M. Guénaël RODIER - Tout à fait. Il faut d'abord savoir que l'OMS n'est pas aussi grande que cela. Son siège est à Genève et son budget équivaut à celui de l'hôpital communal de Genève. Donc nous ne sommes pas une énorme organisation en nombre, compte tenu de la vaste palette des problèmes de santé dans le monde. Si elle voulait s'intéresser à tous les problèmes, il faudrait beaucoup plus de monde. Le CDC est beaucoup plus gros, il a l'avantage d'avoir des laboratoires et ses décisions sont forcément efficaces. C'est plus compliqué quand on est un organisme international.

En revanche, nous avons des atouts qui sont liés au fait que nous ayons un niveau international, qui nous permet d'intervenir à droite et à gauche, c'est-à-dire que nous sommes une autorité neutre. Quand le CDC change sa définition du HIV ou veut faire une enquête sur une maladie émergente, il peut ne pas être le bienvenu parce qu'il est américain. Pour cela, l'OMS est unique et on ne pourra pas la remplacer.

Maintenant, en ce qui concerne nos capacités d'intervention, nous avons une équipe capable d'intervenir, c'est-à-dire de faire le pompier, comme nous venons de le faire au Gabon il y a trois ou quatre semaines. Mais si nous utilisons nos ressources propres, nous ne pouvons pas intervenir sur d'énormes problèmes. Pour cela, nous devons faire appel aux Etats qui ont des ressources propres. En revanche, nous jouons souvent un rôle de coordination entre ces Etats.

En termes de maladies infectieuses, la plus grande menace, même si cela peut paraître curieux, c'est la grippe. Ce n'est pas très exotique (encore que cela vienne du sud-est asiatique), mais les gens n'ont pas toujours conscience que c'est la plus grande menace du fait de la pénétration du virus qui peut changer très rapidement, vu les références historiques dont on dispose. Quand on regarde la courbe démographique américaine, on s'aperçoit que la grippe espagnole a fait entre 20 et 25 millions de morts en moins d'un an, vers 1919, c'est-à-dire beaucoup plus que tous les cas de sida connus jusqu'à maintenant.

Dans ce domaine, nous travaillons à un plan et nous nous demandons ce que la communauté internationale va faire demain si on a - ce qui ne manquera pas d'arriver - une épidémie de grippe avec un virus très pathogène. Il est bien évident que ce n'est pas nous, OMS, petit organisme, qui allons vacciner tous les gens susceptibles de l'être ou prendre les mesures qui s'imposent. Simplement, nous préparons un plan qui est approuvé par tous les experts de la communauté scientifique internationale et qu'on peut sortir des tiroirs au moment où il le faut, c'est-à-dire un élément de référence.

Mais c'est une action complètement différente du fait d'envoyer une petite équipe sur l'épidémie d'Ebola limitée au fin fond de la planète. Ce sont deux types d'intervention tout à fait différents. Et encore une fois, le rôle du règlement sanitaire international sera très important. Nous travaillons beaucoup à réviser ce règlement sanitaire international en liaison très proche avec les gens qui s'occupent de voyages, les compagnies d'aviation, de nombreux experts, des gouvernements, des juristes, etc. Le jour où il y a un problème, il n'est pas souvent technique.

Si vous regardez bien ce qui se passe, même dans les épidémies (et vous parliez des alertes), le problème n'est pas celui de l'alerte. Je me suis occupé de la peste en Inde et je peux vous dire qu'il y avait eu une alerte : six mois avant, des gens qui s'occupaient des rongeurs sauvages et qui avaient vu une augmentation de l'activité de la peste chez ces animaux s'étaient réunis pour dénoncer le problème, et la réunion avait conclu que des cas humains étaient à prévoir. C'est une petite alerte qui n'a pas été du tout prise en compte.

Au moment de l'épidémie d'Ebola, il y a eu aussi un médecin sur place qui a fait un beau rapport qu'il a envoyé à Kinshasa un mois avant la grosse épidémie hospitalière, mais personne n'en a tenu compte. Or cela n'est pas envoyé à l'OMS mais aux Etats membres. Tout ce que peut faire l'OMS, c'est encourager les Etats à s'intéresser à ce qui se passe chez eux en matière de santé, parce que ce sont eux qui font le retour de l'information ensuite.

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir vos propres collaborateurs ?

M. Guénaël RODIER - Personnellement, oui. Je travaillais auparavant dans la marine et j'avais des laboratoires et des gens du terrain, parce que les équipes sont multidisciplinaires et parce qu'on maîtrise toute la chaîne des événements. Donc le fait de ne pas avoir des laboratoires est un peu une gêne, mais nous avons les centres collaborateurs. Cela dit, pour reprendre l'exemple précédemment cité, le CDC était loin du Gabon alors que Pasteur était beaucoup plus proche, de même que le Centre des maladies infectieuses au Gabon même, qui est sur place. Donc nous souhaitons plutôt renforcer ce genre de centre ou l'Institut Pasteur ici, qui n'a pas de vrai P4. Il est en effet question que Pasteur ait ici, sur le plan technique, un laboratoire qui permette de manipuler des agents infectieux comme ceux d'Ebola...

M. Charles DESCOURS, président - On en revient aux films d'épouvante.

M. Guénaël RODIER - Pour le moment, on n'a pas de vrai P4. La grippe est très transmissible car il s'agit d'un virus qui bouge très vite, et si on a une souche comme celle de la grippe espagnole, il faut un laboratoire P4 pour le manipuler de façon correcte. Nous n'avons pas ce genre de structure en France. Nous n'avons que des boîtes en plastique dans lesquelles on met des éléments, mais ce n'est pas un vrai laboratoire, comme ceux dont dispose le CDC et dans lesquels on entre avec un scaphandre. Les Anglais sont un peu mieux équipés. Nous sommes donc un peu limités. Je sais que Grenoble devrait s'y mettre... Il est vrai que de ce côté-là, l'Europe est en retard par rapport aux Etats-Unis quant à ce genre d'infrastructure.

De notre côté, nous essayons donc d'améliorer, à travers un grand nombre de projets plus ou moins importants, sur la base de la la formation, les laboratoires qui sont au plus près des zones qui posent classiquement problème. Mais encore une fois, nous sommes dépendants de l'infrastructure du pays. Ce n'est pas la peine d'avoir une bulle technique qui va bien marcher si, tout autour, les infrastructures sont limitées.

M. Charles DESCOURS, président - Merci beaucoup, Monsieur Rodier. Tout ce que vous avez dit est très intéressant. Malheureusement, nous sommes pris par le temps car nous avons d'autres auditions après vous. Nous avons mieux compris comment fonctionnait l'OMS, dont je connaissais peu de choses.

M. Claude HURIET, rapporteur - Ce qui est très intéressant, c'est de voir, en termes de méthode et d'efficacité, les satisfactions que vous pouvez avoir en matière de réseaux. Il s'agit pour nous de réfléchir sur cette question, mais au fond, nous nous apercevons que la qualité d'un réseau ne vaut que par les possibilités d'exécution.

M. Guénaël RODIER - Tout à fait.

M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a un décalage entre la satisfaction d'avoir détecté un problème et d'agir tout à fait à temps et le fait de se rendre compte qu'au moment fatidique, la décision ne vient pas ou les moyens de l'appliquer ne sont pas réunis. Le cas de la peste en Inde est intéressant à cet égard.

M. Guénaël RODIER - Il ne se pose pas tellement de problèmes techniques. En fait, tous ces petits signes d'alarme existent ; ils sont dans la communauté scientifique mais personne ne les attrape. Un médecin, à Ebola, fait un rapport sur ce qu'on appelle la diarrhée rouge en faisant état de 60 % de mortalité et sur la base de son rapport, il demande de l'aide, mais personne ne vient parce qu'en fait, il envoie cela à très peu de gens. Il l'envoie à son ministère et à des gens sur place, c'est-à-dire à très peu de gens. En fait, avec des systèmes de réseaux d'information, on pourrait diffuser cette information à beaucoup de gens. Pour la majorité de ces gens, ce ne serait pas important, mais la personne qui sait, qui a du flair, pourrait dire : "c'est assez important ; c'est peut-être de l'Ebola, parce que je sais que cela s'est présenté comme cela la fois d'avant".

Le seul moyen que la bonne personne capte l'information, c'est en fait d'avoir une diffusion. Les systèmes d'information le permettent maintenant, même si, avec l'Afrique, il est vrai que c'est toujours compliqué.

Je viens de passer quinze jours à Brazzaville pour connecter tous les professionnels du bureau OMS, et ils ont maintenant le courrier électronique. Quand on travaille avec d'autres régions, par exemple pour la Méditerranée orientale, on a des problèmes régionaux entre le bureau d'Alexandrie, l'Ethiopie, le Soudan, la Somalie, etc., mais quand le bureau d'Alexandrie tient quelque chose, les autres sont systématiquement au courant. Le courrier électronique s'y prête très bien. Donc l'information en matière de surveillance est l'élément clé de l'infrastructure aujourd'hui.

Je termine simplement en disant que le problème de la lutte contre les maladies infectieuses qui émergent est lié évidemment à la surveillance, mais aussi à la recherche appliquée. Chaque maladie est très spécifique et il n'y a pas une solution qui peut s'appliquer partout. Enfin, il y a la prévention, avec les problèmes de résistance aux médicaments. Tout peut se prévenir.

M. Charles DESCOURS, président - Merci, monsieur.

C. AUDITION DE M. FERNAND PELLERIN, PRÉSIDENT ET DE M. FRANÇOIS BOURILLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ACADÉMIE DE PHARMACIE

M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Président. Vous connaissez les deux objets de la mission que notre Commission des affaires sociales a mise en place : la veille sanitaire et la sécurité des produits thérapeutiques. Je vais laisser notre ami Claude Huriet, rapporteur, vous expliquer cela. Compte tenu de vos compétences qui sont multiples à l'Académie de pharmacie, il s'agit surtout de parler de médicaments, et c'est évidemment Claude Huriet qui connaît le mieux ce domaine.

M. Claude HURIET, rapporteur - Si je les connaissais bien, nous n'aurions pas vu la nécessité de mettre en place une mission dont je vais vous donner les origines. Le Sénat a largement contribué à la mise en place, de 1991 à 1993, d'un certain nombre de structures qui visent à assurer la sécurité sanitaire dans des domaines aussi sensibles que celui du sang, des médicaments ou des greffes. Donc à la suite de ces travaux parlementaires, nous nous sommes engagés plus récemment dans un travail concernant les thérapies géniques et cellulaires et à l'occasion de ce travail, nous avons mieux perçu à la fois les avantages de l'organisation actuelle en France, mais aussi les insuffisances, soit parce qu'il peut y avoir des superpositions de compétences, soit parce qu'il peut y avoir des lacunes entre les compétences de chacune de ces structures.

Donc le point de départ de la mission est d'établir un inventaire de ce qui existe et de ce qui devrait exister et de voir à partir de là comment améliorer ou établir des liaisons, qui sont sans doute parfois insuffisantes, entre ces organisations qui ont des champs d'attribution bien limités. Il s'agit donc de savoir comment améliorer les relations entre les organisations et les structures existantes, quel que soit leur statut juridique.

Il s'agit enfin de voir comment fonctionne le système de veille sanitaire qui peut être lié à ces structures spécifiques (veille sanitaire concernant le sang ou le médicament), mais avec une dimension plus large, parce que lorsqu'un incident ou un accident survient, on peut rarement connaître immédiatement son origine. Donc on peut là aussi établir un inventaire de ce qui se fait dans notre pays, voir les conditions dans lesquelles le système actuel fonctionne et voir dans quelles conditions il peut être amélioré.

Voilà le point de départ de la mission qui a été mise en place par la Commission des affaires sociales et dont on espère qu'elle pourra rendre son rapport avant la fin de l'année. Tout ce que vous pourrez nous dire sur ces deux aspects nous intéressera, notamment quant à l'appréciation que porte l'Académie sur l'organisation existante et quant aux possibilités d'améliorer son efficacité.

M. Fernand PELLERIN - Je suis actuellement Président de l'Académie de pharmacie et j'étais pharmacien des hôpitaux et professeur de chimie analytique à la faculté. Par conséquent, j'ai ce profil purement pharmaceutique, sachant que la position de l'Académie est à la fois scientifique et technique. Cela ne veut pas dire que nous sommes des sages, mais nous avons une certaine réflexion avec des jeunes ou des moins jeunes, bien sûr, et nous avons surtout pour but de considérer les problèmes sur leur plan scientifique, technique et éthique.

Nous ne sommes pas des économistes et nous sommes différents en cela à la fois des instances ordinales ou syndicales. Ce qui nous préoccupe surtout, sur le plan sanitaire, ce sont un peu les trois volets du médicament qui sont repris dans les directives européennes, c'est-à-dire la qualité, qui concerne les matières premières, la fabrication, tous les problèmes liés à la sécurité et à la toxicologie et l'efficacité, c'est-à-dire l'aspect clinique. L'aspect clinique dans la pharmacie n'intervient que sous un angle secondaire parce que l'efficacité est un problème de clinicien, mais nous pouvons intervenir particulièrement sur le plan de la qualité et sur le plan de la sécurité, et donc de la toxicité. Vous connaissez aussi bien que nous les problèmes qui peuvent se poser actuellement : je veux parler des thérapies géniques et d'un autre problème qui a fait couler beaucoup d'encre, celui des médicaments génériques, sur lequel nous avons été consultés par les deux ministres de tutelle, M. Barrot et M. Gaymard, et nous avons fourni une opinion.

Il y a actuellement une chose dont on n'a pas toujours conscience dans l'administration et les instances réglementaires, c'est le problème qui se pose quant à la qualité des médicaments et des matières premières. Nous avons maintenant une circulation des produits qui est telle qu'ils peuvent venir de n'importe où mais qu'en fait, ce sont des matières premières pour médicaments (soit principes actifs, soit excipients) qui peuvent servir dans d'autres domaines et d'autres usages. Ces produits ont des qualités valables pour leur usage mais pas pour autant pour un médicament sur le plan de la qualité physique, chimique etc. C'est une chose que nous voyons parfois parce qu'on nous dit que cela passe directement à la commission de l'AMM.

Ce problème des matières premières, comme celui des additifs, conservateurs, colorants ou même polyvitamines, dont on ne sait pas trop si c'est un aliment, un nutriment ou un médicament (c'est une question de doses), sont des problèmes pour lesquels les instances pharmaceutiques, dont l'Académie de pharmacie, sont concernées.

Nous avons eu en particulier (cela va paraître dans un mois ou deux) une séance commune avec l'Académie de l'agriculture et l'Académie vétérinaire sur le plan de la qualité des matières premières. C'est un problème qui se joue sur les médicaments en général et sur les médicaments génériques.

Il y a un autre problème que les instances réglementaires, à notre avis, peuvent prendre en compte, c'est celui de la bio-équivalence, lorsque vous utilisez des matières premières et des médicaments différents.

Enfin, il y a le problème de la traçabilité. Lorsque vous avez un produit ou un médicament, qu'il s'agisse d'un produit du sang ou d'un produit quelconque à usage thérapeutique, la question de la traçabilité est primordiale, depuis son origine jusqu'à sa dispensation. Cela fait partie des choses qui sont particulièrement importantes.

Il y a un deuxième point que l'on peut peut-être envisager, c'est celui qui jouxte la thérapie cellulaire et également, sous une autre forme, les dispositifs médicaux. La thérapie cellulaire est un problème (M. Bourillet vous en parlera mieux que moi tout à l'heure parce qu'il est particulièrement versé dans ce sujet) qui joue à la fois sur les Académies de médecine et de pharmacie. On peut dire qu'il est très bien d'utiliser des substances vivantes telles que des ovocytes ou des spermatozoïdes, mais il ne faut pas oublier que ces produits sont dilués avant d'être injectés dans des produits secondaires et, là aussi, dans des excipients. Il y a donc des précautions particulières à prendre. Je ne dis pas que ce sont des médicaments (ce n'est pas mon rôle), mais ils doivent être traités comme tels avec une réglementation dans ce sens.

Nous avons un peu la même chose dans ce qu'on appelle les dispositifs médicaux. Autrefois, le matériel médico-chirurgical dépendait principalement de la pharmacopée et il a été repris, en quelque sorte, du fait de nombreux problèmes de fabrication, par l'AFNOR et l'ISO international, parce qu'il y avait des questions technologiques à régler qui dépassaient le cadre de la pharmacopée. Il faut dire qu'on ne fabrique pas une tubulure intracardiaque comme on fait des tuyaux d'arrosage. Il y a une qualité pour l'usage médical qu'il faut absolument maîtriser et qui doit faire l'objet d'essais.

On en arrive à des dérives. Lorsque vous avez une poche pour dialyse dans un matériau à base de polychlorure de vinyle (c'est aussi du polychlorure de vinyle qui sert pour le sang), il ne faut pas oublier qu'il renferme des solutions. Pour le dispositif médical, il faut un traitement analogue à celui du médicament si on ne veut pas qu'il soit mis n'importe quelle solution dans le produit. Il y a peut-être une définition plus précise du dispositif médical à donner afin de garantir la sécurité de l'emploi.

M. Charles DESCOURS, président - Est-ce qu'elle est garantie, cette sécurité de l'emploi ? C'est la question que nous nous posons. Sur le plan du principe actif, nous comprenons bien le problème mais nous suivons aussi tout à fait votre réflexion sur les excipients, les adjuvants et les matériaux. Il nous semble que ce sont des domaines sur lesquels on est moins sûr de la qualité. Je voudrais avoir votre sentiment là-dessus.

M. Fernand PELLERIN - C'est exact. Pour ce qui est des excipients, des additifs ou des matériaux plastiques à usage pharmaceutique et médico-chirurgical, il faut un contrôle rigoureux calqué sur le même type qu'une matière première à usage pharmaceutique.

M. Charles DESCOURS, président - Actuellement, il vous semble que ce n'est pas le cas ?

M. Fernand PELLERIN - Non, ce n'est pas le cas. Sur ces additifs, nous en avons beaucoup qui sont utilisés dans l'alimentation, dans le cadre de listes positives. Ces listes positives sont déjà une chose importante, mais quand il s'agit de médicaments, on ne peut pas dire : "c'est sur la liste positive, donc je l'emploie". Pour l'alimentation, ils sont interchangeables, mais il n'est pas question de le faire dans nos domaines parce qu'ils peuvent être à la source d'incompatibilités. Donc sur le plan de l'utilisation en général (et ne parlons pas de pharmacie), nous avons besoin d'avoir des règles beaucoup plus strictes qu'actuellement.

Je connais un peu le problème parce que j'ai fait partie fort longtemps d'un groupe à la FAO où on étudiait les additifs. Or on s'aperçoit que ces produits qui sont utilisés pour des usages très variés, très souvent, ne répondent pas. On a été obligé de définir des qualités très rigoureuses pour éviter des pépins. Sur les matières premières, il y a une définition qui doit être d'autant plus vérifiée que souvent, on n'en est plus à l'époque où, lorsqu'on faisait une monographie pour la pharmacopée française, on demandait à Roussel ou à Rhône-Poulenc de nous donner leurs normes. Maintenant, on ne le sait plus, car il y a plusieurs firmes dans le monde, et notamment en Europe. Bien sûr, si cela vient de chez Euxte ou de chez Bayer, il n'y a pas de problème, mais vous avez ce qu'on appelle des revendeurs, ou des "brokers", comme diraient nos collègues anglais, qui achètent le produit à moindre prix et qui le revendent après sans savoir comment il a été fait ni à quoi il va servir.

Vous voyez que la qualité des matières premières est une chose absolument rigoureuse. Elle est définie par la directive européenne sur le médicament, mais je pense qu'il serait nécessaire pour tous ces produits d'avoir le même suivi.

Vous en avez un autre pour les excipients. La pharmacopée ne peut pas tout traiter. Il y a une instance internationale sur les excipients qui fournit la FAO ou l'OMS, qui étudie les produits et qui peut donner des normes, mais il faut que ce contrôle soit effectué. Je crois donc que ce problème des matières premières est absolument primordial actuellement.

M. Charles DESCOURS, président - Très bien. Monsieur Bourillet, voulez-vous ajouter quelque chose ?

M. François BOURILLET - Sur le plan réglementaire, les problèmes de vigilance et de sécurité des produits à l'échelon thérapeutique, dans le cas du médicament, sont très encadrés. Nous avons une réglementation extrêmement précise qui, dans la mesure où elle est totalement respectée, doit apporter toute sécurité dans la conception, la production et l'utilisation, ce qui rejoint la vigilance. Cette structure a fait ses preuves. Nous avons ce souci et c'est une question que tout professionnel a en tête.

Sur le plan de la sécurité, il y a deux aspects. Le premier est celui de la conception des produits (la qualité des matières premières, la qualité des excipients, l'efficacité du principe actif), qui est matérialisée par le dossier de l'AMM qui fait la preuve que tout est bien surveillé.

Le deuxième aspect est celui de la sécurité de production de chaque lot : il s'agit de vérifier que les conditions de fabrication et la pureté des lots de matières premières reçues correspondent tout à fait à ce qui a été précisé dans le dossier d'AMM. Il y a donc l'aspect de la qualité sur le plan du concept du médicament et la qualité de chaque lot fabriqué, qui est pour nous le problème le plus grave. Tous les ennuis qui surviennent sur des médicaments sont des problèmes de lots ; il y a rarement des ennuis de molécules : on les voit à long terme.

Il y a donc ces deux aspects qui ont chacun leur responsabilité dans la sécurité d'un produit livré au public.

En ce qui concerne la vigilance et la veille, là aussi, sur le plan pharmaceutique, il y a tout un réseau de pharmaco-vigilance que vous devez bien connaître et qui fonctionne, du moins sur le plan réglementaire. L'inspection pharmaceutique a été coupée en deux et pour nous, c'est une très mauvaise chose, et même une erreur, car il y avait cette vigilance de l'inspection pharmaceutique sur le plan du médicament qui permettait de détecter un problème en moins de 24 heures. Il y avait un inspecteur sur place, on relevait tous les indices si on était dans un hôpital, on prenait contact avec le fabricant, etc. Il y avait tout un réseau organisé via l'inspection.

M. Charles DESCOURS, président - L'Institut national de la consommation nous disait hier qu'il y avait de plus en plus de lots rappelés et il ne savait pas pourquoi.

M. François BOURILLET - Je ne pense pas qu'il y en a de plus en plus. Les rappels de lots peuvent avoir deux origines (et il y a une structure organisée pour le rappel des lots) : ou bien c'est un pépin d'utilisation (soit en clinique de ville, soit à l'hôpital), ou bien c'est un pépin qui est détecté après coup chez le fabricant qui, lui, rappelle son lot. Mais je pense que ce rappel de lots est une sagesse de sécurité.

M. Charles DESCOURS, président.- Bien sûr, mais l'INC dit qu'il ne sait pas pourquoi.

M. François BOURILLET - On sait toujours pourquoi.

M. Fernand PELLERIN - Maintenant, les médicaments sont de plus en plus actifs, mais les effets secondaires sont aussi de plus en plus actifs. Les rappels de lots proviennent parfois d'intolérances ou d'allergies beaucoup plus que de problèmes directs.

M. François BOURILLET - Au départ, sur le plan pharmaceutique, pour ce qui est des rappels de lots, il y a toujours un facteur déclenchant qui vient d'un service hospitalier ou du fabricant lui même par le réseau de pharmaco-vigilance.

Je pense que sur le plan du médicament lui-même, toute la structure en place, si elle est bien respectée, apporte une sécurité quand on a fait la preuve de cette sécurité. Le grand problème qui se pose concerne des produits à la limite, des produits qui se situent dans les lacunes de la réglementation. Il y en a un certain nombre, et je ne vous cache pas que cela nous préoccupe. Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur la thérapie génique et cellulaire. Nous avons créé un groupe de travail bi-académique, en commun avec l'Académie de médecine, qui va proposer un voeu d'ici quelques jours concernant les substances, matières premières et préparations utilisées lors de la fécondation assistée. C'est un tout petit marché, bien sûr, mais il y a quelque chose d'ahurissant dans la phase de procréation médicalement assistée.

Il y a une phase médicale pour le prélèvement des cellules germinales, il y a une phase médicale, à la fin, de réintroduction de l'oeuf, mais entre ces deux phases, il y a une phase biologique in vitro au cours de laquelle les biologistes, bien qu'étant des gens compétents et sérieux, font encore un peu de la cuisine (ils le reconnaissent eux-mêmes). Ils peuvent acheter un réactif aux Etats-Unis ou ailleurs alors que les fabricants de ces réactifs, pour ne pas être ennuyés, mettent : "ne pas employer à usage humain". Or ces produits qui servent à favoriser des milieux de conservation des spermatozoïdes ou de l'oeuf donnent lieu à des milieux de cultures et il y a des réactifs qui sont ajoutés.

M. Claude HURIET, rapporteur - Cela m'intéresse beaucoup, parce qu'en tant que Président de l'association CECOS à Nancy, lors de la dernière réunion, il y a quinze jours, j'avais été très alerté, en tant que rapporteur de la mission, sur les garanties de sécurité des CECOS.

Mme Marie-Madelaine DIEULANGARD - Pourriez-vous nous donner d'autres produits que vous estimez à la marge ?

M. François BOURILLET - Il y a donc ce problème que nous avons appelé "substances et préparations utilisés en Assistance médicale de procréation (AMP)".

Nous avons d'autres produits qui sont à la limite. M. le Président Pellerin a évoqué tout à l'heure la question des poches de perfusion et de dialyse. Ce sont des dispositifs médicaux qui ont leur réglementation, mais nous estimons que cette réglementation n'offre pas la sécurité qu'offrait la sécurité du médicament.

M. Charles DESCOURS, président - C'est ce que nous cherchons. Ce qui nous intéresse, ce sont les failles du système, parce que c'est nous qui avons fait l'Agence du médicament, en essayant de la faire aussi sérieusement que possible. Donc avez-vous une liste de produits ?

M. François BOURILLET - Tout à fait. Il y a une chose que je trouve inacceptable et qui vient un peu de l'Europe, du fait de l'ISO et du (CEN) : les solutions concentrées pour hémodialyse, dont le problème de la pureté est extrêmement important. Or ces solutions pour hémodialyse, qui étaient inscrites à la pharmacopée, ont été mises dans les dispositifs médicaux du fait qu'on employait un dispositif pour les utiliser. Une solution concentrée pour hémodialyse n'est pas un dispositif médical. Je trouve cela inepte !

M. Charles DESCOURS, président - Vous avez fait des communications à l'Académie de pharmacie sur ces choses-là ?

M. François BOURILLET - Sur les dispositifs médicaux, oui, mais nous pourrions vous donner une liste là-dessus.

M. Charles DESCOURS, président - La faille est là. Claude Huriet a montré qu'en matière de thérapie génique, on n'était pas sûr que les sérums de veaux utilisés n'étaient pas indemnes de prions.

M. François BOURILLET - Vous êtes tout à fait dans le problème, et nous y sommes extrêmement sensibles étant donné nos habitudes professionnelles déjà très anciennes sur le plan de la qualité. Nous avons été les premiers, parmi toutes les activités professionnelles, à respecter cela. Nous avons une culture de cela.

M. Fernand PELLERIN - L'Académie peut vous aider sur les thérapies géniques et cellulaires, les médicaments génériques et les dispositifs médicaux que nous avons tous étudiés à chaque fois qu'il y a un problème de frontières.

Il y a aussi un autre problème sur lequel on peut vous aider et sur lequel on travaille en liaison avec l'Académie de l'agriculture, c'est le problème de ces produits dont on ne sait pas trop si c'est un aliment, un nutriment ou un médicament.

M. Charles DESCOURS, président - Nous sommes tous les trois médecins. Donc pour nous, le problème pratique est de savoir où s'arrête notre mission.

M. Fernand PELLERIN - Quand on vous dit qu'un supplément nutritif est à base de 800 milligrammes de vitamine C par jour et qu'on doit le prendre pendant trois mois, alors qu'une vitamine se joue au niveau du centigramme et qu'il y a des effets toxiques à craindre -il faut savoir que maintenant, on prend de la vitamine A alors qu'on sait que c'est toxique-, on se dit qu'il y a quelque chose à faire et des frontières à déterminer. C'est là-dessus que, sur le plan technique, nous pouvons vous aider.

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