G. AUDITION DE M. HERVÉ GAYMARD, SECRÉTAIRE D'ETAT À LA SANTÉ ET À LA SÉCURITÉ SOCIALE

M. Claude HURIET, rapporteur. - Monsieur le ministre, je pense qu'il n'est pas nécessaire de développer longuement les conditions dans lesquelles la Commission des affaires sociales a décidé de créer cette mission.

Le point de départ, et vous êtes parfaitement bien placé pour le connaître, c'est le travail que nous avions mené -dans un climat de coopération que j'ai beaucoup apprécié- sur les thérapies géniques et cellulaires. On avait vu apparaître à la fois la performance des outils tels qu'ils avaient été créés, le Sénat ayant apporté une large contribution, mais aussi quelles pouvaient être les superpositions dans les attributions de chacun et éventuellement les lacunes, d'où cette réflexion qui peut comporter trois étapes, simultanées d'ailleurs : la définition du champ de notre travail, l'inventaire des structures existantes, quel que soit leur statut juridique, quelles que soient leurs tutelles, les relations existant entre ces différents organismes et, ayant procédé à cet état des lieux, faire une analyse critique des structures et de leur fonctionnement et voir si cette analyse critique pourrait aboutir à des propositions visant à optimiser le système.

M. Charles DESCOURS, président. - Je rebondis sur ce qu'a dit que Claude Huriet à la fin. Nous nous intéressons aux relations entre différents organismes dont certains ont des fonctions plus ou moins de santé publique, même si ce n'est pas affiché comme cela, et qui n'ont aucunes relations officielles avec le ministère de la santé.

On a l'impression aujourd'hui d'un éparpillement de beaucoup d'organismes dont on ne voit pas bien la coordination.

Monsieur le ministre, vous, à votre poste, que percevez-vous ?

M. Hervé GAYMARD. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de m'accueillir pour que nous évoquions le plus franchement possible les questions liées à la sécurité sanitaire. Il n'est pas inhabituel que l'on parle de ces questions au Sénat puisque, comme l'a rappelé Claude Huriet à l'instant, c'est effectivement ici qu'un certain nombre d'initiatives ont été prises au cours des années écoulées pour créer certaines agences ou institutions dont une des fonctions est la sécurité sanitaire. Nous avons encore travaillé l'hiver dernier sur la sécurité sanitaire des thérapies géniques et cellulaires. Je voudrais remercier le Sénat d'avoir pris l'initiative de créer cette mission d'information puisqu'il est vrai que, sur ce sujet important, nous avons besoin de réfléchir et, après la réflexion, me semble-t-il, d'agir pour mieux organiser l'action des pouvoirs publics en la matière.

Je voudrais en quelques minutes faire devant vous d'abord un état des lieux institutionnels, puis vous dire, selon nous, avec Jacques Barrot, quels doivent être les principes directeurs qui doivent guider une meilleure organisation de l'Etat en la matière.

Tout d'abord, il faut opérer une première distinction entre les différents types de produits ou de milieux dont on parle, puisque l'intitulé de votre mission d'information, si je ne me trompe pas, concerne les produits biologiques et médicaux et qu'à l'instant le président Descours vient d'élargir un peu le spectre...

M. Charles DESCOURS, président. - Monsieur le ministre, si je peux vous interrompre, la sécurité, ce sont les produits thérapeutiques, mais la veille sanitaire ne porte pas seulement sur les produits thérapeutiques.

M. Hervé GAYMARD. - Puisque le Sénat a une vision large qui me semble la bonne en ce domaine, je voudrais faire un point d'information sur les choses telles qu'elles existent actuellement.

Nous avons d'abord les produits biologiques et médicaux qui dépendent du ministère de la santé. Nous avons ensuite les cosmétiques qui dépendent conjointement du ministère de la santé et du ministère des finances avec la DGCCRF. Enfin, nous avons les produits alimentaires dont je dirai, en étant peut-être caricatural, qu'en gros, avant transformation, ils dépendent du ministère de l'agriculture et, après transformation, du ministère de l'économie et des finances, toujours la DGCCRF. Voilà pour les produits.

Ensuite, nous avons les milieux, notamment l'air et l'eau. L'air dépend d'un peu tous les ministères et notamment de celui de l'environnement qui finance en partie et en particulier les réseaux d'alerte sur la pollution atmosphérique. Quant à l'eau, elle dépend de beaucoup d'administrations dont le ministère de la santé pour les eaux thermales ou les eaux à consommer. Je signale d'ailleurs que le ministère de la santé délivre un agrément sur les bouteilles qui contiennent l'eau minérale. Quant aux autres aspects de la gestion de l'eau, ils dépendent de beaucoup d'autres ministères tels le ministère de l'environnement, le ministère de l'agriculture, le ministère de l'industrie à des titres divers. Donc notre paysage administratif se caractérise par un assez grand émiettement.

Cet émiettement, qui est indubitable, doit d'ailleurs être relativisé dans la mesure, d'une part, où il y a un excellent travail interministériel en continu et où, d'autre part, dans nos départements, ce sont bien évidemment les préfets qui sont les patrons de tous les services qui travaillent sur les sujets considérés.

Je reviens en deux mots sur la coopération interministérielle. Nous n'avons pas -comme vous l'avez souligné, monsieur le président- de travail institutionnalisé entre les services de la consommation, la DGCCRF et le ministère de la santé.

Dans le décret de répartition de compétences, les services de la DGCCRF ne sont pas mis à la disposition du ministre de la santé. Je n'ai absolument aucune autorité sur les services de la DGCCRF, mais au quotidien -tout ceci est empirique, j'en conviens volontiers-, il y a quand même de bonnes relations de travail entre l'administration de la santé et l'administration de la consommation et de la répression des fraudes. Le professeur Girard, qui est ici, pourrait le dire.

Voilà l'état des lieux. Donc une très grande diversité administrative, avec des tutelles différentes, éclatement des tutelles qui est partiellement compensé par un travail interministériel au niveau national ou départemental.

Je pense, ceci étant, qu'on ne peut pas se satisfaire de la situation telle qu'elle existe aujourd'hui. C'est pourquoi j'accueille avec faveur la mission d'information qui est la vôtre et le gouvernement tiendra compte avec beaucoup d'intérêt des conclusions qui seront les vôtres. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a engagé une réflexion interministérielle sur ce sujet. Avec Jacques Barrot, nous sommes en train de faire des propositions au Premier ministre. Le travail interministériel se déroulera dans les semaines et les mois qui viennent et il donnera lieu à des décisions.

Je voudrais vous dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, l'état d'esprit dans lequel nous travaillons sur ce dossier.

Je voudrais d'abord cerner ce que l'on entend par sécurité sanitaire, car je crois que c'est une notion qu'il convient d'affiner et de délimiter. C'est un mot générique qui regroupe plusieurs problématiques.

Première problématique : la surveillance de l'état de santé de la population. Vous venez d'auditionner le directeur du Réseau National de Santé Publique. Je n'ai pas besoin de m'étendre là-dessus. C'est la fonction surveillance, veille sanitaire qui est exercée à la fois par le Réseau National de Santé Publique et par la sous-direction de la veille sanitaire de la direction générale de la santé.

Deuxième problématique : la sécurité des produits. Je m'étendrai plus particulièrement sur ce sujet devant vous ce soir.

Troisième problématique : la sécurité des installations. Dans le cadre de la réforme de l'hôpital, en particulier, nous réfléchissons également sur les procédures et les moyens de renforcer la sécurité des installations sanitaires. En effet, là aussi nous avons de quoi faire en matière de meilleure organisation.

Quatrième champ de la sécurité sanitaire : l'évaluation des pratiques, qui sera dévolue à la future Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.

Les termes "sécurité sanitaire" recouvrent en réalité ces quatre thèmes.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur l'approche globale et unifiée de la sécurité des produits, parce que l'on constate actuellement que le médicament dépend de l'Agence du médicament, le sang de l'Agence française du sang, les greffons de l'Etablissement français des greffes, les dispositifs médicaux de la Direction des hôpitaux, donc de l'administration centrale, mais que cette organisation j'allais dire verticale, un peu en tuyaux d'orgue, a le désavantage de laisser des angles morts.

Notamment grâce à la proposition de loi de Claude Huriet, nous avons comblé un angle mort sur les thérapies géniques et cellulaires en matière de réglementation et de sécurité sanitaire, en confiant pour l'essentiel à l'Agence du médicament la mission de traiter ces nouvelles thérapies géniques et cellulaires.

Il me semble donc que, à tout le moins, il faut introduire davantage de visibilité et de lisibilité par une conception globale de la sécurité sanitaire pour les produits biologiques et médicaux qui sont sous la responsabilité du ministère de la santé.

Différentes agences ont été créées. Chacune d'elles a son histoire. D'ailleurs, l'existence de certaines d'entre elles est extrêmement liée à l'histoire du Sénat, puisque pour l'Agence du médicament c'est ici que les choses se sont passées. Mais je voudrais ici parler de l'Agence française du sang. Comme vous le savez, l'AFS est issue d'une loi récente, qui a trois ans, sur la réorganisation de la transfusion sanguine. La structure qui a été retenue à l'époque correspondait à certaines préoccupations du moment, mais sans avoir à ce stade d'idée définitive, j'avoue que je m'interroge sur la façon dont les choses sont organisées actuellement.

En réalité l'Agence française du sang exerce deux missions : une mission qui est l'organisation, le financement du réseau de transfusion sanguine et une fonction de contrôle. Je me demande à la faveur de cette réflexion sur la sécurité sanitaire dans notre pays, s'il n'est pas opportun de distinguer la fonction de financement, d'animation, d'organisation territoriale de notre transfusion sanguine de la fonction de contrôle sanitaire.

Notre pays a beaucoup progressé depuis quelques années dans l'approche de la sécurité sanitaire. La création des agences, à laquelle le Sénat n'est pas étranger, l'amélioration des conditions de sécurité des produits sont à saluer, mais il me semble que nous sommes à un moment où il faut peut-être revisiter cette organisation, y introduire plus de cohérence et notamment introduire, là où ce n'est pas le cas, la distinction entre la fonction de contrôle et la fonction de gestion. Je crois que c'est un point extrêmement important, le premier que je voulais souligner.

Je voudrais souligner également d'autres considérations qui sont le fruit de la courte expérience que j'ai dans ce ministère, mais, si j'ose dire, nous avons été " servis ", avec le directeur général de la santé ici présent, en termes de crises sanitaires. Nous avons connu la vache folle, l'amiante, le problème de tests Abbott défectueux sur le sida, pour m'en tenir aux incidents majeurs les plus connus auxquels nous avons eu à faire face depuis un an.

Ce qui me frappe dans les situations de crise sanitaire, c'est qu'il faut que nous ayons une parole scientifique institutionnellement établie avec, à la fois, une légitimité interne et une légitimité externe, notamment vis-à-vis de la communauté scientifique, de la presse, de l'opinion publique, pour que ces questions liées à la sécurité sanitaire soient traitées de manière incontestable et incontestée et que nous puissions avoir ainsi un pôle référent stable et reconnu dans notre paysage institutionnel.

Les questions de santé publique, à juste titre, prennent de plus en plus d'importance ; elles sont au premier rang des préoccupations de nos compatriotes. Aussi je crois que, dans le cadre des fonctions régaliennes qu'il exerce dans ce domaine, l'Etat doit avoir plusieurs obsessions, la première étant évidemment la sécurité sanitaire maximale, la deuxième que la gestion de cette sécurité sanitaire soit impeccable et que, dans les situations de crise, il existe un pôle référent stable et reconnu.

Je crois que ce pôle fait actuellement défaut dans notre pays et j'ai bon espoir qu'avec le travail de votre mission d'information et le travail interministériel qui va débuter, nous puissions avoir une meilleure organisation sanitaire dans notre pays.

M. Claude HURIET, rapporteur. - Monsieur le ministre, ce qui est tout à fait précieux pour les membres de la mission, en tout cas pour leur rapporteur, c'est de voir, à la suite de l'analyse que vous venez de nous présenter, la convergence, qui ne me surprend pas, entre nos préoccupations respectives.

Dans l'analyse que vous faites -d'ailleurs, nous utilisons quelquefois les mêmes termes puisque vous avez parlé d'une structure verticale, je n'avais pas jusqu'à maintenant utilisé l'image des tuyaux d'orgue, mais je la reprendrai-, vous considérez que chacune de ces structures verticales semble bien fonctionner, mais qu'on ne peut pas les assimiler les unes aux autres parce qu'elles ont des fonctions, des attributions quelque peu différentes.

C'est vrai, on ne peut pas rapprocher dans cette organisation verticale l'Agence du médicament et l'Agence française du sang, bien qu'elles soient nées dans les mêmes circonstances et que le texte du projet gouvernemental était initialement intitulé "projet de loi relatif à la sécurité transfusionnelle et à l'Agence française du sang" et que c'est à l'occasion de ce projet que le Sénat avait raccroché la sécurité du médicament à l'Agence du médicament.

La gestation a été plus longue pour l'Agence du médicament que pour l'Agence de française du sang, mais les conditions dans lesquelles elles sont nées sont très comparables du point de vue du législateur. Or les attributions, de fait, sont quelque peu différentes. Nous avons auditionné cet après-midi le président de l'Agence française du sang et le président de l'Etablissement français des greffes. Il était très intéressant de voir par exemple qu'en matière de contrôle, les conditions dans lesquelles ils envisagent d'exercer cette mission sont notablement divergentes de celles de l'Agence du médicament.

M. Charles DESCOURS, président. - Totalement.

M. Claude HURIET, rapporteur. - Pour des raisons qu'on peut comprendre. En particulier pour les greffes, imaginez qu'un même établissement, les mêmes hommes auraient pour attribution première le développement du don et la promotion et une mission de contrôle.

M. Charles DESCOURS, président. - En tout cas, il répondait clairement qu'il manquait un contrôle.

M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est tout à fait intéressant.

Ma première question concerne les limites du champ de votre réflexion.

Se pose, par exemple, la très grande difficulté de l'alimentaire, difficulté du fait non pas seulement de la matière, mais de la multiplicité des intervenants et, permettez-moi de le dire, des ministres ou des ministères concernés.

M. Dominique LECLERC. - Je voudrais simplement faire référence aux articles de presse qui paraissent actuellement sur les premiers sojas transgéniques. Quel est l'organisme de référence qui va rassurer aujourd'hui la population alertée par rapport à une nourriture de bétail, et donc à l'alimentaire ?

M. Charles DESCOURS, président. - Dominique Leclerc a posé une très bonne question. Aujourd'hui, la sensibilité du public est extrême dans toutes ces questions, la vache folle n'est pas faite pour les rassurer et voilà qu'apparaît un soja transgénique ! Et "transgénique", dans l'esprit du public, c'est inquiétant. Aujourd'hui, qui peut rassurer la population sur ce soja transgénique avec une compétence scientifique indiscutable ?

M. Hervé GAYMARD. - Sur la question qui est posée, je vais vous répondre très franchement, je n'ai pas l'habitude de parler la langue de bois.

A la question de Claude Huriet -et les interventions de Charles Descours, Dominique Leclerc et Bernard Seillier vont dans le même sens-, "Quel champ ?", je fais une réponse politique, au sens noble du terme. Je considère que la santé publique, c'est un bloc, à l'instar de Clémenceau qui disait que la Révolution est un bloc et que cela ne se saucissonne pas.

Je constate que, compte tenu de l'histoire de notre organisation administrative, pour beaucoup de questions qui touchent à la santé publique, on se retourne vers un ministre ou un secrétaire d'Etat à la santé qui, sur certains des sujets, n'est pas juridiquement et administrativement compétent. Il y a un hiatus entre la fonction d'évocation générale et l'étendard ou l'emblème qui est la notion de santé publique et la compétence réelle du ministre de la santé dans l'organisation administrative actuelle.

Sur la vache folle : nous avons eu un travail interministériel impeccable, sous l'autorité du Premier ministre avec le ministre de l'agriculture. Bien entendu, il était de bonne guerre de la part de certains organes de presse, dans un premier temps d'avoir voulu tenter de nous opposer : "Mais quoi ? On entend beaucoup le ministre de l'agriculture. On n'entend pas beaucoup le ministre de la santé", etc. Je tiens à dire que nous avons travaillé en étroite relation avec le ministère de l'agriculture, le ministère de la recherche et le ministère chargé de la concurrence et de la consommation, que la décision d'embargo a été prise immédiatement après concertation entre les ministres et que, dans le concert interministériel sur toute la postérité de la gestion de cette crise -et le directeur général de la santé peut en témoigner lui-même-, nous avons mis au coeur les préoccupations de santé publique pour fonder les décisions qui ont été prises suite aux résultats des expertises que nous avons demandées tout au long de la gestion de cette crise.

On a su le faire parce qu'on a fait un travail interministériel extrêmement précis, et non seulement au niveau des ministres, mais à celui des directions générales et de nos cabinets.

Mais quand on s'adressait à moi pour évoquer, par exemple, la question des farines animales, je n'étais pas compétent. Avais-je vocation à m'exprimer sur les farines animales ? Juridiquement, non. Mais politiquement, on ne comprend pas que le ministre de la santé ne s'exprime pas sur ce sujet.

Voilà pourquoi je disais que nous avons la nécessité d'avoir une approche globale de la santé et que le ministère de la santé doit connaître, d'une manière ou d'une autre, de l'ensemble des déterminants de la santé. Car lorsqu'il y a un problème, quand il y a doute, quand il y a interrogation, on se tourne naturellement vers lui. Cela, c'est la réponse politique que je fais à cette question. Je dis : oui, il faut avoir une approche globale de ces questions et, en tout cas au stade de la réflexion, ne pas segmenter à l'excès la réflexion. C'est la première réponse que je fais.

Je ferai une deuxième réponse : à l'évidence, on a une ligne de partage qui passe, en gros, entre l'alimentaire et le non-alimentaire. Dans le non-alimentaire, je mets les produits biologiques et médicaux, plus les cosmétiques qui y ressemblent dans une certaine mesure. A côté, il y a l'alimentaire.

A ce stade, je ne suis pas capable de vous dire ce que le Premier ministre retiendra dans le cadre du travail interministériel qui est en cours. Je ne vous apprendrai pas que bien évidemment, quand on raisonne sur ces problèmes, on ne raisonne pas en état d'apesanteur et qu'il y a des administrations qui ont leur identité et qui y tiennent.

Je peux d'ailleurs faire un retour en arrière sur mes six premiers mois au gouvernement, de mai à novembre 1995, où j'étais secrétaire d'Etat aux finances et où j'avais la DGCCRF sous ma tutelle puisque c'était une de mes attributions principales. Il y a eu un débat intéressant au moment de la rédaction des décrets de répartition de compétences entre le secrétaire d'Etat aux finances de l'époque et le ministre de l'agriculture de l'époque, qui n'a pas changé d'ailleurs, puisque, comme vous le savez, la répression des fraudes agricoles en 1985 a été rebasculée du ministère de l'agriculture vers Bercy et qu'il y a eu un débat au printemps 1995, dix ans après, pour la refaire basculer au ministère de l'agriculture.

Finalement, les choses sont restées en l'état et j'avais à l'époque signé, avec Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, un mois ou un mois et demi après la constitution du gouvernement, une sorte de protocole d'accord entre les deux administrations pour que la collaboration se passe bien sur le terrain au quotidien entre les services de l'agriculture et la DGCCRF. J'ai vu aussi le sujet de l'autre côté, donc j'ai fait ce retour en arrière.

De même, quand j'étais secrétaire d'Etat aux finances, il n'était pas de mois ou même de semaine que la DGCCRF n'alerte la Direction Générale de la Santé. J'ai un souvenir précis d'avoir appelé ma collègue de l'époque -sans savoir qu'un jour je succéderais à Mme Hubert- sur une affaire de prothèses mammaires. Les inspecteurs de la DGCCRF avaient trouvé des prothèses mammaires qui n'étaient pas valables, et même dangereuses pour la santé.

Tout ceci pour vous dire qu'il faut avoir une vision globale de l'organisation de notre sécurité sanitaire. Je crois qu'il ne faut pas limiter le champ de la réflexion et, dans le cadre du travail interministériel auquel je participe, je n'ai pas limité le champ de ma réflexion. Après, il faut voir les modus operandi . Je ne suis pas apte à m'exprimer sur ce sujet aujourd'hui puisque le Premier ministre n'a pas rendu ses arbitrages et que le travail interministériel se poursuit.

Quand on regarde les modus operandi -et je sais que vous avez fait une mission aux Etats-Unis où je suis moi-même allé quelques semaines avant vous- on constate que la Food & Drug Administration a une omnicompétence, à l'exception de la volaille et de la viande, avec une structure assez verticale à l'intérieur de ce regroupement fonctionnel des questions de sécurité sanitaire ; les Américains ont opté pour une approche intégrée de la sécurité sanitaire. D'autres pays, notamment nos voisins européens, n'ont pas cette approche d'une sécurité sanitaire intégrée.

Puisqu'on parle d'Europe, j'en profite pour dire que la Communauté européenne est bien timide en matière de sécurité sanitaire. De ce point de vue, le dernier Conseil des ministres de la santé à Bruxelles a été assez affligeant, je le dis comme je le pense, et j'ai été frappé de la pudeur, de la retenue, non seulement de la Commission, mais de beaucoup de mes collègues ministres de la santé d'Etats européens, j'ai le regret de le dire, sur les questions de sécurité sanitaire.

Il y a notamment une question en plein dans le sujet, celle des dispositifs médicaux. Je crois pouvoir dire, sous le contrôle du Professeur Girard, que la France est un pays d'Europe des plus sévères en matière de dispositifs médicaux, même si on ne l'est peut-être pas encore assez et que l'on peut mieux faire sur le sujet, c'est ma conviction profonde.

On a une échéance en 1998 avec le marquage CE, lequel est parfois uniquement fondé sur un test de résistance aux matériaux, sans essais cliniques. En 1998, je ne sais pas ce que mon successeur fera quand la question se posera, mais -je le dis de manière très libre devant vous et je n'use pas d'un langage diplomatique- je crois qu'en matière de sécurité sanitaire, il ne faut pas baisser la garde. Il faut que notre pays garde ses normes, ses dispositifs de protection surtout s'ils sont plus élevés que le marquage CE. Un des objectifs de politique européenne serait que, pour les dispositifs médicaux, par le marquage CE ou tout autre procédé à inventer, il y ait un renforcement du niveau de la sécurité sanitaire.

Voilà les quelques éléments de réflexion que je voulais vous livrer.

M. Charles DESCOURS, président. - C'est très intéressant.

M. Hervé GAYMARD. - Sur les produits, il me semble que le clivage, ce sont les produits qui peuvent être absorbés, ingérés ou utilisés dans le corps humain. Je fais allusion aux dispositifs médicaux. Dans ce cas, les aliments sont des produits qui sont ingérés et qui peuvent poser un problème en matière de santé. On peut se retourner vers l'administration de la santé et lui demander des explications. Et l'administration de la santé se tourne et dit : c'est pas moi, c'est derrière. Là est le problème.

Si on tourne autour de ce sujet complexe, ce n'est pas par hasard. Je ne suis animé ni par la volonté de faire du mécano administratif, de grandes machines ingérables et contre-productives, ni par la volonté de "puissance pour la puissance " du ministère de la santé. Ce serait stupide.

Je pars d'un constat qui est celui de l'importance des questions de santé publique en cette fin de siècle, de la nécessité d'avoir une sécurité sanitaire impeccable et d'avoir la vision globale qui fait défaut.

On voit assez bien -après, il faut l'organiser et se donner les moyens de le faire- ce que cela peut donner sur les produits biologiques et médicaux et sur les cosmétiques. Je ne pense pas que ce soit hors de portée, j'ai même la faiblesse de croire que c'est assez facilement faisable et que cela ne demande pas un chamboulement de notre organisation tel qu'on recule devant la prise en charge du problème. Au contraire, nous voulons prolonger, parachever ce qui s'est fait depuis maintenant cinq ans -et je voudrais saluer encore une fois le Sénat pour son travail et ce qu'ont fait mes prédécesseurs en mettant en place les différentes institutions auxquelles nous avons fait allusion. Il nous faut faire oeuvre de parachèvement, de rationalisation et de distinction intellectuelle entre la gestion et le contrôle, comme on l'a dit tout à l'heure à propos de deux établissements publics qui sont concernés par cette problématique.

S'agissant de l'alimentation, je ne suis pas aujourd'hui, comme je vous l'ai dit, en mesure d'inférer sur les conclusions qui seront celles du Premier ministre sur ce sujet, sur les modes organisationnels que nous aurons, mais je suis convaincu que la situation actuelle n'est pas satisfaisante car en matière d'alimentation -c'est le secrétaire d'Etat à la santé qui s'exprime-, nous n'avons pas une parole scientifique incontestable sur qui ne pèse pas le soupçon de connivence, parce que c'est aussi de cela qu'il s'agit.

Dans la réflexion du Sénat au sein de la Mission d'information et dans celle, parallèle, du gouvernement, les deux se nourrissant mutuellement, il nous faut trouver le mode opératoire. Je ne suis pas un faiseur de systèmes et je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui ce que le gouvernement fera ou ne fera pas sur le sujet, mais je sais que le mode d'organisation actuel n'est pas le bon parce qu'il n'est pas labélisé "santé publique". Le raisonnement est peut-être un peu court, mais il faut partir de choses simples d'évidences. Pour avoir rencontré beaucoup d'organisations de producteurs agricoles depuis maintenant trois mois, je crois que l'ensemble de mes interlocuteurs, à une exception près, étaient tout à fait favorables à une meilleure lisibilité et à une meilleure identification de la sécurité sanitaire pour les produits alimentaires.

M. François AUTAIN. - J'ai bien compris et suis tout à fait d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut bien dissocier la mission de gestion de la mission de contrôle. Dans ce domaine, je vois assez bien, par exemple, l'extension des compétences de l'Agence du médicament qui pourrait assurer ce contrôle tant en ce qui concerne les greffes que le sang et les cosmétiques. C'est assez simple à concevoir, je crois.

Par contre, en ce qui concerne les aliments -en particulier, vous avez pu le constater comme nous, même aux Etats-Unis où tout est bien intégré, il reste la viande et la volaille-, peut-être pourrions-nous faire ce que n'ont pas pu faire les Américains, mais j'ai quand même quelques doutes car il y a des " pesanteurs ", voire plus. Il y a donc une difficulté.

En ce qui concerne la veille sanitaire, il existe actuellement quelques structures qui m'ont l'air de fonctionner. Malheureusement, chacune est dans son coin et, tout à l'heure, M. Drucker insistait sur le manque de coordination qui existe entre ceux qui assurent la toxicovigilance et la pharmacovigilance. Il y a là des éléments qui existent, qu'il serait sans doute nécessaire de rassembler pour former une structure susceptible de vous donner les moyens, à vous, de répondre lorsque des questions se trouveraient posées.

Le champ n'est pas dévasté, au contraire...

M. Hervé GAYMARD. - Non, non, non.

M. François AUTAIN. - ... des structures existent. Il s'agirait de formaliser cette coordination qui quelquefois existe, mais qui souvent fait défaut.

M. Hervé GAYMARD. - La création, en 1992, du Réseau National de Santé Publique a été un très grand progrès en matière de veille sanitaire. Il faut dire qu'on revenait de loin. Nous allons dégager des moyens budgétaires supplémentaires en 1997 pour le renforcer. Au-delà du renforcement du RNSP, nous devons, me semble-t-il, mener une réflexion plus large en matière de veille sanitaire et de veille épidémiologique, car il faut que tout ceci soit mis en cohérence avec notamment un dossier qu'on a peu abordé sous cet angle, mais que j'aborde toujours sous cet angle, qui est celui de l'informatisation des médecins.

Avec Jacques Barrot, l'an dernier, sur ce dossier de l'informatique médicale, nous avons voulu avoir une approche plus large. D'ailleurs, on ne parle pas d'informatique médicale mais d'information de santé. L'aspect transmission électronique de la feuille de soins et suivi de l'activité est indispensable, mais existe une troisième fonction, tout aussi importante, qui est l'aspect épidémiologique, veille sanitaire, interactivité. Ainsi, nous avons confié à M. Rozmaryn cette mission de préfiguration globale sur les systèmes d'information de santé, pour que ce troisième pilier -la veille sanitaire et l'épidémiologie- soit pris en compte dans l'information de santé.

Actuellement, en matière d'épidémiologie, notre pays a beaucoup de retard -même s'il ne faut pas toujours battre sa coulpe car on a fait des progrès dans ce domaine-, malgré des efforts publics -et privés- je pense aux laboratoires Mérieux qui font beaucoup en matière d'épidémiologie. On ne sait pas trop ce qui se passe dans tous les cabinets de médecins libéraux de France et de Navarre et un peu mieux, mais à peine, ce qui se passe à l'hôpital.

Je rebondis sur ce que vous dites : nous devons avoir une approche globale en matière de veille sanitaire et d'épidémiosurveillance. On y travaille beaucoup actuellement et on aura sûrement l'occasion d'en reparler parce que je voudrais que, l'année prochaine, on prenne également des initiatives sur ce terrain.

M. Claude HURIET, rapporteur. - On voit bien que la globalisation de la veille ne se compartimente pas.

M. Charles DESCOURS, président. - Nous avons une réflexion parallèle.

M. Bernard SEILLIER. - A l'occasion -ce n'est pas dans le domaine de la sécurité alimentaire- d'une rencontre que j'avais provoquée entre les services de recherche du laboratoire Fabre et la Société des caves de Roquefort, car j'essaie de faire germer des idées de création d'entreprises dans le Sud-Ouest, est venu en débat le problème de la digestibilité du lait de vache par rapport au lait de brebis. On a une expérience d'enfants qui digèrent beaucoup plus facilement le lait de brebis que le lait de vache.

Je vois apparaître, à un moment où nous cherchons à différencier nos produits alimentaires les uns par rapport aux autres afin de dépasser la notion d'AOC et d'aller jusqu'à des certifications de qualité ou de digestibilité, par exemple, que le jour où l'on mettra sur la bouteille de lait "digestibilité supérieure", on posera la question à des médecins de savoir si c'est vrai ou faux. Je crois qu'il y aura une évolution naturelle, parce que les industries alimentaires essayeront de prétendre que leurs produits ont des qualités thérapeutiques ou curatives. Il y aura une évolution dans ce sens je crois assez spontanée et naturelle.

Ce qui me préoccupe beaucoup plus, c'est le problème que le ministre vient de soulever : dans le cadre européen, il y a une approche de méthodologie tout à fait différente. Si j'ai bien compris, nous sommes assez calés, et cela me réjouit, sur une exigence scientifique classique qui consiste à dire que quand on n'est pas sûr, on ne permet pas, tandis que, de l'autre côté, on a une culture économique ou juridique qui consiste à dire : si l'erreur n'est pas prouvée, c'est autorisé.

M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est ce que l'on nous a dit ce matin.

M. Charles DESCOURS, président. - Ce qu'a dit la Direction des hôpitaux était impressionnant.

M. Bernard SEILLIER. - Cela suscite un effort important et qui doit être fait par l'autorité la plus compétente. En la matière, l'expérience acquise par le ministère de la santé avec les agences impose de faire développer en Europe cette culture scientifique, cette exigence scientifique. Il faut constituer un réseau de référence, parce que je retiens de l'expérience américaine le souci d'avoir développé l'authenticité -cela a été rappelé tout à l'heure-, l'authentification, l'expertise incontestable.

M. Charles DESCOURS, président. - Je voudrais encore dire un mot. Ce matin, quand on a auditionné le Pr Le Heuzey, qui est membre de la Commission d'AMM, il a mis l'accent, quasiment en termes mathématiques, sur le rapport efficacité/risque, l'un étant au dénominateur et l'autre au numérateur en déclarant : le marquage CE veut dire qu'il n'y a pas de grands risques, mais comme le risque zéro n'existe pas, si le dispositif est inefficace, il y aura un risque considérable. Or le marquage CE ne juge pas l'efficacité.

Si on ne juge pas l'efficacité, tout est un risque. Un risque qu'on ne doit pas courir si un matériel n'est pas efficace. Par contre, si on fait une greffe de foie, ce n'est pas le moment de se demander si le patient ne fera pas une cirrhose dans vingt-trois ans parce que, en l'absence de greffe, le patient sera mort dans trois jours.

M. Hervé GAYMARD. - Ce que nous disons montre la nécessité d'avoir une politique globale, une vision globale, mais que les sujets sont à géométrie variable. On ne traite pas un médicament comme on traite un cosmétique, c'est évident.

Sous le bénéfice de cette géométrie variable, trois fonctions me semblent devoir, en toute hypothèse, être prises en charge par cette institution quelle qu'elle soit et quel que soit son spectre de compétence : tout d'abord l'alerte, ensuite le contrôle et/où l'autorisation, le cas échéant, et enfin -je rebondis sur ce que disait le président Descours à l'instant - l'évaluation du bénéfice/risques. Il faut bien que ces trois fonctions soient assumées par l'institution en question. C'est en tout cas dans cette optique que nous travaillons.

M. Charles DESCOURS, président. - Très bien, monsieur le ministre, merci beaucoup.

M. François AUTAIN. - Je constate que vous voulez mettre dans la même institution la veille et le contrôle.

M. Hervé GAYMARD. - Pas forcément la même institution. Mais j'ai identifié les fonctions.

Dans cette affaire, je suis parti dans une démarche non pas institutionnelle mais fonctionnelle. Ma langue a peut-être fourché. Ensuite, on adapte les institutions et l'organisation administrative en fonction des objectifs que l'on veut poursuivre. C'est parce que ces questions sont extrêmement sensibles qu'il faut être extrêmement minutieux. On est plein d'humilité sur un sujet comme celui-là parce qu'on se rend compte de la difficulté dès qu'on entre dans les détails. Le diable se niche toujours dans les détails. Il faut bien visiter le sujet dans tous ses prolongements.

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