IX. SÉANCE DU MERCREDI 27 NOVEMBRE 1996

A. AUDITION DE M. JACQUES BOISSEAU, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE DU MÉDICAMENT VÉTÉRINAIRE

M. Jacques BOISSEAU.- Je dirige l'Agence nationale du médicament vétérinaire sise près de Fougères, opérationnelle depuis janvier 1995. Je limiterai bien sûr mes réponses à ce que je connais. Mon domaine de compétence a trait à l'autorisation de mise sur le marché ainsi qu'aux autorisations d'essais cliniques.

Toute procédure, tout produit qui ne relèveraient pas d'autorisation de mise sur le marché est en dehors de mon domaine de compétence.

La seule chose qui existe, à l'heure actuelle, c'est la mise sur le marché de vaccins incluant des organismes génétiquement vérifiés, des bactéries ou des virus.

M. Claude HURIET, rapporteur.- Dans quelles conditions les médicaments vétérinaires sont-ils mis sur le marché, sont-ils prescrits et, pour ce qui nous intéresse, peut-il y avoir des incidences sur la santé humaine ? Si la réponse est oui, comment des relations s'établissent-elles entre vous-même et l'Agence du Médicament, par exemple, ou bien vous-même et tous les systèmes de vigilance, en particulier pharmacovigilance ?

M. Jacques BOISSEAU.- Vous savez sans doute qu'il n'y a pas d'originalité française dans ce domaine dans la mesure où la législation pharmaceutique vétérinaire est très fortement harmonisée au niveau communautaire depuis 1982, point de départ d'une directive cadre ayant pour but d'harmoniser les législations nationales. Et depuis, l'arsenal législatif ne fait que se compléter à travers des directives cadre, directives indiquant les exigences techniques ; on a ensuite décliné cela à travers d'autres textes prenant en charge les vaccins, les produits homéopathiques.

Aujourd'hui, le système est parfaitement harmonisé au niveau communautaire. Il n'existe pas de législation nationale qui s'en soit départie.

Au niveau national, cette Agence du médicament vétérinaire est, depuis 1995, opérationnelle et fonctionne sur les mêmes bases que l'agence du médicament humain. Les autorisations de mise sur le marché sont obligatoires, il n'y a pas de dérogation. Tout produit doit, pour être mis sur le marché, recevoir une autorisation administrative préalable sur la base de critères de qualité, d'efficacité, d'innocuité.

Une fois que l'autorisation a été donnée, dans la mesure où les critères ont été satisfaits, les conditions d'utilisation du médicament vétérinaire ne sont pas de nature à porter préjudice à la santé animale ni à la santé humaine, le tout étant rassemblé sous le vocable général de santé publique.

Il faut le vérifier. C'est une chose que de l'avoir établi sur la base du dossier fourni mais un dossier est toujours limité. Comment le vérifie-t-on sur le terrain ? De deux manières : par le biais de la pharmacovigilance tout d'abord.

Pour l'instant la pharmacovigilance vétérinaire est un peu pragmatique, à l'image du monde vétérinaire, en ce sens qu'elle existe. Elle n'est pas, pour l'instant, fondée par un texte réglementaire, ce qui est le cas pour le médicament humain. Un projet de décret est en train de voir le jour à l'heure actuelle, préparé par les ministères de tutelle de la Santé et de l'Agriculture. J'en ai eu une première version. On peut penser que, pour un texte technique de cette nature, il pourrait voir le jour courant 1997, permettant de structurer ce qui existe pour l'instant par le biais d'un réseau d'écoles nationales vétérinaires.

Le système français est certainement l'un des plus opérationnels qui soit. Il est un peu en apesanteur, n'étant fondé sur aucun texte réglementaire.

Par rapport à la pharmacovigilance humaine, que peut-on dire de cette pharmacovigilance vétérinaire qui existe et de celle qui va exister ?

C'est tout le problème de la confusion générale générée par le terme médicament. Beaucoup de personnes sont fondées à penser que, quand on traite du médicament, qu'il soit humain ou vétérinaire, c'est un peu la même chose. A mes yeux c'est de moins en moins la même chose. On en a un exemple au niveau de la pharmacovigilance.

La pharmacovigilance humaine est en gros chargée d'identifier les effets adverses qui sont observés sur le terrain lorsqu'un médicament humain autorisé est utilisé conformément aux dispositions d'autorisation de mise sur le marché. Néanmoins la grande diversité de patients rencontrés fait que des cas peuvent émerger qui n'étaient pas identifiés dans le cadre du dossier.

La pharmacovigilance vétérinaire pragmatique fonctionne sur les mêmes bases, si ce n'est que cette identification se produit chez l'animal auquel les médicaments ont été destinés. C'est, à mes yeux, un peu court. Dans les recommandations que je suis en train d'adresser au ministère de tutelle, je leur ai demandé de prendre un peu plus de liberté par rapport à la pharmacovigilance humaine en prenant en compte les spécificités vétérinaires qui sont au nombre de deux.

La notion de résidu pour le médicament vétérinaire et la notion de protection de la santé humaine sont importantes, car il ne faut pas oublier que l'objectif premier de la législation pharmaceutique vétérinaire n'est pas la protection de la santé animale, mais de la santé humaine par le biais des résidus de médicaments vétérinaires.

Il y a un certain paradoxe à ce que la pharmacovigilance vétérinaire fasse fi de cet aspect, de la protection de la santé humaine exposée aux résidus susceptibles de contaminer les denrées alimentaires d'origine animale.

Ce n'est pas prévu par les textes européens. De la même manière, au niveau européen, la tendance est, beaucoup trop souvent, de partir du médicament humain parce que le marché est plus important donc en général, les textes sortent d'abord pour le médicament humain et ensuite, on note une tendance très forte à appliquer bêtement, sans réflexion, au médicament vétérinaire au motif que, dans les deux cas, il s'agit d'un médicament. C'est un peu court.

M. Claude HURIET, rapporteur.- On est vraiment au coeur de notre sujet. Ma proposition est de prendre en compte, dans la définition de la pharmacovigilance, l'identification de ces résidus qui sont susceptibles de poser des problèmes de santé publique.

M. Jacques BOISSEAU - C'est d'autant plus facile que le ministère de l'agriculture est responsable des plans de surveillance de la qualité hygiénique des denrées alimentaires. Dans ces plans de surveillance, il y a le contrôle des résidus.

Dans la procédure qui débouche sur une autorisation de mise sur le marché, on définit les conditions d'utilisation de ce médicament et les limites maximales de résidus, les teneurs qui seront à ne pas dépasser dans les diverses denrées alimentaires d'origine animale.

Les plans de surveillance pilotés par le Ministère de l'Agriculture ont pour objet de vérifier que ces limites maximales ne sont pas dépassées.

Deuxième point, la protection de l'environnement. Le médicament humain, autant que je sache, ne semble pas avoir d'impact particulier sur l'environnement. En revanche, les médicaments vétérinaires, surtout pour ceux qui font l'objet de thérapies de masse, peuvent avoir un impact sur l'environnement.

Exemple évident : les médicaments destinés à la pisciculture sont déversés dans les bassins. Une fois que les animaux sont traités, il y a un renouvellement de l'eau des bassins et cela s'écoule dans les rivières.

Il faut savoir ce que cela peut, éventuellement, donner. Vous avez également tous les pesticides externes, destinés à traiter les animaux tels que les puces. Ils sont très largement utilisés. Vous trouvez également les bains pour animaux, je pense aux moutons. Quand vous avez des troupeaux de moutons, on a une grande baignoire, les animaux passent les uns après les autres et ensuite, on vide la baignoire. Dans un écosystème, comme celui de la montagne, qui est assez fermé, le ruisseau va collecter la ou les baignoires et risque, éventuellement, d'être très fortement contaminé. Je vous donne les exemples les plus caricaturaux.

J'ai souhaité que cet aspect de la pharmacovigilance vétérinaire soit pris en compte. Il n'est, évidemment pas, identifié au niveau du médicament humain.

Voilà, au titre de la pharmacovigilance, les réflexions en cours.

M. Claude HURIET, rapporteur.- Quelles sont les conséquences possibles sur la santé humaine ?

M. Jacques BOISSEAU.- Pour les résidus, le système est bien calé. La procédure qui permet de déterminer les limites maximales de résidus est internationalement reconnue. Elle offre toute garantie vis-à-vis de la santé publique, quand ces limites maximales de résidus sont respectées.

L'intérêt de la pharmacovigilance qui intégrerait ces données erratiques qui sont au-dessus des limites acceptées serait de savoir pourquoi les données existent. Si elles sont marginales, erratiques et si, finalement, elles n'ont pas d'impact vraisemblable sur la santé publique, on peut essayer, au cas par cas, par une bonne formation, de faire en sorte que les utilisateurs respectent ce qui est inscrit sur l'étiquetage ou la prescription vétérinaire. Sinon il faut connaître les raisons de l'impact sur la santé humaine. Il faut pouvoir, le cas échéant, modifier les conditions d'AMM pour faire disparaître l'anomalie.

Le système résidu est déjà bien en place, bien calé depuis longtemps et n'est pas de nature à générer des préoccupations de santé publique.

M. Charles DESCOURS, président.- Votre domaine concerne les pollutions d'origine médicamenteuse.

M. Jacques BOISSEAU.- Oui. Pour l'environnement, l'impact sur la santé humaine est indirect. C'est une préoccupation plus récente dans l'évaluation de la sécurité du médicament vétérinaire. C'est à faire.

M. Charles DESCOURS, président.- Quand des substances d'origine médicamenteuse sont données aux animaux, pas forcément dans un but thérapeutique, je pense aux veaux aux hormones, est-ce vous qui intervenez ou la DGCCRF ?

M. Jacques BOISSEAU.- Nous n'intervenons pas ou plus. Ces produits étant interdits à des fins d'augmentation de la croissance, ils n'ont plus d'AMM.

M. Charles DESCOURS, président.- Cela n'existe pas comme médicament ?

M. Jacques BOISSEAU.- C'est très limité. Vous trouvez quatre indications thérapeutiques extrêmement limitées et, pour les hormones naturelles, il n'y a pas de problème de santé publique. En revanche, pour l'utilisation illégale, en dehors des conditions régies par l'Etat, cela nous échappe. C'est un problème de répression des fraudes.

M. François AUTAIN.- Vous avez indiqué qu'il n'y avait pas de thérapie génique en matière vétérinaire. n'y a-t-il pas des manipulations génétiques pour obtenir des veaux ou des races qui soient particulières au niveau de la fécondation ?

M. Jacques BOISSEAU.- Pas qui aient dépassé, à ma connaissance, le secret des laboratoires. Je ne dis pas qu'il n'y a pas des essais, ici et là, au niveau de ce que l'on peut appeler la recherche et développement, mais si cela existe, je n'en suis pas informé parce que ceux qui travaillent dessus ne s'en vantent peut-être pas, non pas pour des problèmes d'éthique, mais d'exploitation commerciale.

Je ne connais pas les programmes confidentiels des grandes firmes, mais on peut imaginer que plutôt d'utiliser des anabolisants, déjà marqués du sceau de l'infamie, on essaie d'avoir une approche par le biais de la manipulation génique. Si cela existe, cela ne dépasse pas le domaine du laboratoire recherche et développement.

M. François AUTAIN.- Je croyais qu'il y avait de la sélection.

M. Claude HURIET, rapporteur.- Et le clonage ?

M. Jacques BOISSEAU.- La sélection est licite. La production laitière n'arrête pas d'augmenter depuis un certain nombre d'années par le biais de la sélection génétique.

M. Claude HURIET, rapporteur.- Une question qui sort aussi de votre domaine propre de compétence. Quand vous avez parlé pisciculture, une question m'est venue portant sur le rôle des poissons dans l'alimentation humaine parce que les effluents déversés en rivière ou en mer, m'a-t-on dit, qui peuvent contenir de plus en plus des toxiques. De fait, des métaux lourds ou autres, seraient concentrés dans les poissons.

L'organisme du poisson pourrait donc avoir une charge en substances potentiellement toxiques, qui serait due à ce phénomène de concentration. Voyez-vous plus clairement que moi ce dont il s'agit et y a-t-il un risque réel ?

M. Charles DESCOURS, président.- C'est le mercure.

M. Claude HURIET, rapporteur.- On a l'impression que la mer peut recevoir tout et n'importe quoi et il y a, à travers l'organisme du poisson, des phénomènes d'amplification qu'il ne faut pas négliger. Est-ce un raisonnement d'écologiste poète ou d'écologiste scientifique ?

M. Jacques BOISSEAU.- Ce que vous avez dit est parfaitement exact et je ne pense pas que cela relève des vues éthérées d'écologiste poète. La mer est beaucoup plus fragile que l'on pourrait l'imaginer au vu des étendues d'eau.

Tout dépend du système. Si on veut comparer l'océan Pacifique et la mer Méditerranée, ce sont deux choses totalement différentes. On va prendre l'exemple de la Méditerranée, on parlait de Seveso, c'est le cas où la chaîne alimentaire qui passe du plancton au crustacé et du crustacé au poisson, est l'occasion d'une concentration. Chaque animal filtre une quantité d'eau et retient ce qui l'intéresse. Il peut y avoir des contaminants. En remontant l'échelle phylogénique de l'algue au poisson, chacun concentre.

Sur des contaminants qui ne sont pas les médicaments vétérinaires, on peut avoir des concentrations tout à fait spectaculaires. Dans ce cas, comment faire ?

Ce sont tous les problèmes de la maîtrise des contaminants de l'environnement. L'avantage du médicament est que l'on maîtrise tout : on autorise ou pas. Un médicament vétérinaire est un outil d'aide à la production. Cela s'intègre dans un ensemble. Il y a moins de problème d'éthique que pour le médicament lui-même.

Si on autorise, on définit très précisément les conditions d'utilisation. Le médicament vétérinaire n'est pas réellement une source inquiétante de pollution.

Le pesticide l'est davantage. Il est potentiellement toxique et on en met un peu partout. Pour les contaminants de l'environnement, il faut régler tous les problèmes d'effluents d'usine, des villes. Vous connaissez mieux que moi les difficultés qu'il y a à gérer ce genre de relargage dans l'atmosphère. Vous l'avez au niveau des poissons, mais aussi au niveau de certains animaux, je pense aux métaux lourds dans les abats de chevaux des pays de l'Est où l'environnement a été quelque peu malmené pendant très longtemps. Vous avez exactement le même type de concentration quand vous avez des prairies qui reçoivent les fumées d'usine. Vous avez des métaux lourds, le kalium, qui se fixent sélectivement sur certains organes consommables, d'où des quantités faramineuses de contaminants.

Comment arriver à une défense de la santé publique ? Par les plans de surveillance qui doivent, par le biais d'un échantillonnage adéquat, vérifier que ce qui est mis à la disposition de la consommation est compatible avec les normes.

M. François AUTAIN.- Qui vérifie cela ?

M. Jacques BOISSEAU.- Le ministère de l'agriculture, la DGA, Direction générale de l'alimentation. Elle est chargée de piloter et de tout vérifier.

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