PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON, PRÉSIDENT : SÉANCE DU MERCREDI 29 JANVIER 1997

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I. M. DANIEL LAURENT
ANCIEN PRÉSIDENT DE L'UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE

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M. le Président - Nous allons commencer en saluant M. Daniel Laurent, que nous avons déjà auditionné dans le cadre de la mission d'information sur l'orientation des étudiants des premiers cycles universitaires. Nous n'avons pas oublié sa contribution.

Il va donc ouvrir une série d'auditions consacrées aux stages que je ne sais pas qualifier : faut-il les appeler "stages diplômants", "stages de découverte de la vie de l'entreprise ou de la vie professionnelle" ? Peut-être M. Daniel Laurent nous le dira-t-il.

Je rappellerai qu'il a été président de l'Université de Marne-la-Vallée et il y a peu il l'était encore ; il a à ce titre une expérience, mais également parce qu'il a travaillé sur ce dossier avec M. Pineau-Valencienne, que nous entendrons d'ailleurs la semaine prochaine.

Je vais donc lui passer tout de suite la parole, et nous lui poserons ensuite nos questions.

M. Laurent - Merci M. le Président.

Je voudrais tout d'abord donner une précision : quand nous avons établi ce projet avec Didier Pineau-Valencienne, en liaison avec le ministère de l'éducation nationale, nous l'avons appelé "première expérience professionnelle", et non pas "stage diplômant" ; "stage diplômant" est venu ensuite, et ce sont les médias qui ont assimilé première expérience professionnelle et stage diplômant.

Je vais d'une façon relativement schématique vous présenter à la fois les motivations et la mise en oeuvre de ce projet.

Il s'agit de proposer pour le CNPF, à travers Didier Pineau-Valencienne, une expérience à grande échelle pour accueillir en entreprise des étudiants engagés dans des formations générales. L'idée est de faire en sorte que ce passage en entreprise puisse être diplômant, c'est-à-dire soit sanctionné par une unité de valeur, ou un diplôme, de manière à ce que ces étudiants puissent ultérieurement se prévaloir d'une première expérience en entreprise, car très souvent quand ils se présentent sur le marché de l'emploi on leur répond : vous êtes diplômés mais vous n'avez pas d'expérience professionnelle.

Nous sommes tout à fait conscients de ce que, dans certains cas, c'est un élément de réponse facile pour les directions des ressources humaines, qui utilisent cet argument, ce qui leur évite de dire qu'il n'y a pas d'emplois. Je dirai en préambule et Didier Pineau-Valencienne vous le confirmera, il en est parfaitement conscient, que cette proposition ne vise pas à créer des emplois. C'est une proposition beaucoup plus structurelle pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes, mais qui suppose un préalable, à savoir qu'il y ait une croissance telle qu'il puisse y avoir des créations d'emplois. Cette mesure en elle-même n'est pas suffisante : il y a une condition nécessaire préalable, à savoir l'expansion.

Pourquoi les formations générales sont-elles seules visées ? Parce qu'au niveau des formations professionnelles, il y a des stages qui existent et qui sont reconnus au sein du monde universitaire.

On l'oublie trop souvent, mais 30% des diplômes d'ingénieur sont délivrés aujourd'hui au sein des universités à travers des instituts, et la formation professionnelle qui existe, notamment en IUP, IUT, BTS, intègre des stages adaptés à la formation reçue par les étudiants.

Nous proposons une formule différente qui vise à systématiser une participation réelle en entreprise pour - j'insiste là-dessus - que ces jeunes puissent se prévaloir d'une expérience professionnelle. Il est clair qu'en complément d'une formation générale, une présence réelle en entreprise est quelque chose d'extrêmement positif, car on reproche souvent à nos jeunes étudiants issus des formations générales de ne pas maîtriser un certain nombre de savoir-faire et de comportements que l'on acquiert en entreprise. Il est prouvé par un certain nombre de sociologues et de spécialistes qui ont fait des études sur l'insertion des jeunes que ce qu'il faut aujourd'hui c'est un bon niveau de formation générale pour les diplômés, et là les formations universitaires y répondent. Mais il faut aussi une expérience de l'entreprise et la maîtrise d'un certain nombre d'outils de base, par exemple l'informatique ou une langue étrangère.

Or dans de nombreuses formations il y a peu d'enseignement informatique, notamment pour les littéraires, et ce sont des éléments que l'on acquiert plus facilement en entreprise.

Donc voilà le contexte général.

Le souci de Didier Pineau-Valencienne et c'est aussi mon souci personnel en tant qu'universitaire, était de veiller à ce qu'il n'y ait pas de dérives dans une telle opération. Nous ne sommes pas naïfs, aucun système ne peut reposer exclusivement sur la vertu, et donc des dérives ne sont pas exclues.

Quels sont ces dérives, notamment de la part des entreprises ? C'est l'utilisation de cette première expérience professionnelle comme un effet d'aubaine consistant à utiliser ces jeunes étudiants comme main d'oeuvre et par conséquent à écarter des recrutements : moi-même en tant qu'universitaire et Didier Pineau-Valencienne en tant que chef d'entreprise, nous souhaitons éviter ce genre d'effet pervers.

C'est pour cela que nous avons insisté dès le départ, en préalable pour que cette première expérience professionnelle soit réalisée sous statut universitaire.

Il ne s'agit donc pas du CIP qui visait les jeunes sortis de la scolarité ou de l'université et qui reposait sur un contrat de travail assorti de certaines modalités qui faisaient qu'ils étaient moins payés que ce qu'ils auraient pu l'être, ce qui entraînait un certain nombre d'effets pervers, pour les étudiants d'IUT et de STS en particulier.

Nous souhaitons qu'il y ait une régulation par l'éducation nationale. Régulation comment ? Par un double tutorat, un tutorat de l'entreprise et un tutorat de l'université.

Nous demandons également que cette première expérience professionnelle en entreprise corresponde à une unité de valeur, et donc qu'il y ait un jury mixte qui délivre cette unité de valeur, jury mixte constitué d'employeurs et d'universitaires.

Nous pensons que ce sont là des éléments de régulation qui éviteraient tout effet d'aubaine. Il faudrait également qu'une convention très précise entre l'établissement d'enseignement et l'entreprise concernée définisse clairement le parcours de l'étudiant dans l'entreprise, l'objectif de cette première expérience professionnelle, ce que le stagiaire devra acquérir comme connaissances supplémentaires, cette convention valant engagement contractuel entre l'entreprise, l'étudiant et l'établissement d'enseignement supérieur.

Voilà le contexte général.

Pourquoi les formations générales ? Nous avons pensé, comme je l'ai indiqué, que les formations professionnelles devraient être exclues de ce dispositif, bien que le CNPF mette l'accent, et ceci est passé relativement sous silence, sur l'effort en faveur de l'apprentissage.

L'ambition du patronat est de passer de 280.000 apprentis aujourd'hui à 350.000, voire d'atteindre les 400.000.

Je vous signale que, y compris dans l'université, il y a des expériences qui se font, expériences qui sont un peu embryonnaires puisque 7000 étudiants apprentis sont actuellement dénombrés dans l'enseignement supérieur, et surtout engagés dans des formations d'ingénieur.

J'ai moi-même dans mon université poussé au développement des formations par apprentissage, mais c'est un autre sujet, et à titre personnel je pense qu'un certain nombre de formations à finalité professionnelle universitaires gagneraient beaucoup à miser sur l'apprentissage.

Je pense en particulier aux IUP, qui ont été créés il y a quelques années et dont la dernière année devrait être organisée systématiquement par apprentissage ; à titre tout à fait personnel, je pense également que l'on redonnerait un souffle nouveau aux IUT si systématiquement, également, la deuxième année était organisée par apprentissage.

Je reviens sur les modalités d'application de ces stages qui devraient pouvoir intervenir en premier cycle comme en deuxième cycle, et dans mon université quelques enseignants m'ont déjà fait des propositions originales en ce domaine.

Je voudrais également insister sur le volontariat : les étudiants pourront suivre ou ne pas suivre cette première expérience professionnelle, ce qui est quand même très important, mais les établissements pourront aussi ne pas l'organiser.

Il y a également un point qui est relativement passé sous silence actuellement par les médias, à savoir la mise en oeuvre réelle d'un principe d'égalité en matière de stages.

Aujourd'hui - je suis accompagné par la collaboratrice qui à Marne-la-Vallée s'occupe des stages depuis la création de l'université, et cela pourra être confirmé par les autres intervenants - il y a une véritable anarchie en matière de stages.

Je parle pour les formations générales, parce que pour les formations professionnelles, je l'ai déjà dit, la formule est bien rodée.

Pour ce qui concerne les formations générales le ministère a tendance aujourd'hui, quand il les habilite, à prévoir systématiquement tant de semaines de stage, mais ce sont les étudiants qui doivent se débrouiller tout seuls pour trouver les stages, et croyez-moi, il y a une très grande inégalité -Didier Pineau-Valencienne vous le confirmera avec des exemples concrets- dans la façon dont les étudiants peuvent les trouver.

En gros, il y a ceux qui ont des relations et ceux qui n'en ont pas.

Ceux qui ont des relations, de natures très diverses, trouvent des stages, parfois même rémunérés convenablement, et les autres, comme ils le disent, "galèrent".

Didier Pineau-Valencienne vous le dira : dans les grands groupes, actuellement, ce sont les enfants du personnel et ce sont les clients qui obtiennent des stages.

Moi-même dans mon université j'ai découvert -nous avons organisé quelques stages en été dans les services de comptabilité et de secrétariat- que c'étaient les enfants du personnel qui obtenaient ces stages, et c'est humain.

Donc il y a donc une très grande anarchie, ce n'est pas systématisé, et il y a un vrai problème d'égalité entre les étudiants.

Dans le système préconisé il y a une offre des entreprises, et Didier Pineau-Valencienne pense arriver à les mobiliser pour offrir entre 70.000 et 100.000 premières expériences professionnelles. Cette offre des entreprises devra être gérée par les établissements d'enseignement supérieur, c'est-à-dire que c'est à eux, à partir de cette offre, à s'organiser pour faire des propositions aux étudiants. Cela devrait contribuer à assainir, de ce point de vue, la situation en matière de stages.

On a également tendance à demander des stages aux entreprises quand celles-ci sont en vacances ou en période de moindre activité -c'est généralement d'avril à septembre- et cela pose des problèmes aux entreprises et aux étudiants. Il faut par ailleurs reconnaître qu'il y a beaucoup de stages de complaisance qui n'apportent rien aux étudiants et rien aux entreprises ; ce sont ces stages dits "café-photocopie".

Notre souci est donc d'intégrer cette première expérience professionnelle comme une véritable unité de valeur : nous souhaitons que ces stages soient intégrés - et cela a d'ailleurs été dit dès le départ - dans le cursus universitaire, mais à charge pour les universités de les prendre en compte au sein de leurs cursus, ce qui pose le problème de leur durée.

C'est une opération qui a été surtout initiée par les responsables de grandes entreprises françaises : M. François Bayrou est venu " plancher " au CNPF devant les trente directeurs des relations humaines des plus grands groupes français sur cette opération en novembre dernier.

Au départ il y a déjà eu un compromis. En effet les entreprises demandaient que les stages soient aussi longs que possible, car ils nécessiteront des investissements très lourds en matière de tutorat, d'encadrement et d'aménagement des postes de travail. Si on ne veut pas que ce soient des stages "bidon" il faut prévoir un encadrement.

Beaucoup de chefs d'entreprise demandaient 12 mois. Nous n'avons pas retenu cette durée, car celle-ci posait trop de problèmes. Au delà d'une certaine durée, on peut en effet concevoir qu'il s'agit d'un véritable contrat de travail.

En revanche nous nous étions alignés sur 9 mois, qui est la durée d'une année scolaire ou universitaire, et le CNPF aujourd'hui, Jean Gandois l'a affirmé au cours d'une émission sur Europe 1 et Didier Pineau-Valencienne est également intervenu en ce sens, accepterait une formule très souple en prenant comme unité le semestre universitaire, puisque l'évolution en cours au ministère de l'éducation nationale va dans ce sens. Nous avons initié cette formule à Marne-la-Vallée puisque dès la création de notre université nous avons, alors que ce n'était d'ailleurs pas légal, organisé l'année universitaire en semestres.

C'est une véritable révolution d'organiser l'année universitaire par semestres, mais c'est absolument nécessaire. Les systèmes étrangers, en général, sont organisés par semestres et la semestrialisation devient un standard international.

L'idée est donc d'aligner le module minimum de cette première expérience professionnelle sur un semestre universitaire, soit en gros quatre mois et demi.

Didier Pineau-Valencienne a évoqué ce point avec le premier vice-président de la Conférence des présidents d'université, M. Monteil, qui est président de l'université de Clermont-Ferrand.

C'est une formule qui doit s'appliquer au niveau des universités : on peut très bien concevoir une première expérience professionnelle ouverte aux étudiants en premier cycle et une autre en deuxième cycle, de quatre mois et demi chacune. Cela veut dire que pour les étudiants intéressés par ce type de formation, l'université doit s'organiser afin de leur permettre de suivre un cursus normal, par exemple en deuxième cycle, en licence et en maîtrise. En lettres, sciences humaines et droit, trois semestres au lieu de quatre pourraient ainsi être consacrés à l'enseignement traditionnel et un semestre à l'expérience professionnelle.

C'est quelque chose qui peut se gérer à l'intérieur d'une université et les premiers cycles pourraient également être concernés.

Ce qu'il faut bien comprendre, et je l'ai vécu, c'est que dès qu'on passe aux semestres, on désynchronise tous les rythmes, c'est-à-dire qu'à Marne-la-Vallée nous avons des étudiants qui entrent en premier cycle au mois de février.

Vous avez des étudiants qui échouent à un module, ce qui n'est pas catastrophique, mais au lieu de finir leur année universitaire en juin, ils la poursuivent en février de l'année d'après.

Si un étudiant finit son premier cycle en février, la licence ne démarre pas immédiatement en février, et il est alors en mesure d'effectuer une première expérience professionnelle.

La semestrialisation désynchronise donc tous les rythmes universitaires, et il ne faut pas penser ce dossier par référence à ce qui existe actuellement mais par rapport à ce qui va se faire dans un futur proche.

Quels sont les points d'achoppement concernant la durée de ces stages ?

Du côté du CNPF la durée semble être un problème important, parce qu'en dessous d'un semestre universitaire, c'est-à-dire quatre mois et demi, on retombe sur les stages courts existants, qui sont souvent, comme je le disais, des stages de complaisance, gérés un peu anarchiquement.

Pour les entreprises il y a des investissements importants en matière de tutorat, d'encadrement, et si on veut que l'étudiant puisse avoir un réel parcours dans l'entreprise, quatre mois et demi semblent un minimum.

Une organisation étudiante, l'UNEF-ID, faisait de la durée de trois mois une question de principe. Maintenant il semblerait que l'on s'accorde sur un minimum de trois mois et un maximum de quatre mois et demi, mais tout cela est assez peu lisible pour l'étudiant de base.

Trois mois ne correspondent en effet à rien au niveau universitaire.

La FAGE, que vous recevrez peut-être, a exprimé son accord sur un semestre et sur la formule du contrat à durée déterminée en cas de prolongation du stage ; cette formule me paraît personnellement tout à fait raisonnable.

Les autres organisations semblent adopter également le semestre.

Du côté du ministère de l'éducation nationale, actuellement il y a une concertation engagée avec les organisations étudiantes et les syndicats d'enseignants.

L'accueil semble favorable également du côté des présidents d'université puisque ce projet a été présenté à la Conférence des présidents d'université qui se réunissait la semaine dernière. D'après ce que m'a dit le directeur général de l'enseignement supérieur, qui participait aux débats, l'attitude des présidents d'université est de dire qu'on ne peut pas refuser une offre de ce genre, d'autant que c'est la première fois que le CNPF prend une telle initiative à grande échelle.

Pour résumer, avant de conclure, voyons ce qu'apporte cette formule.

Tout d'abord, elle est ciblée sur les formations générales - il ne s'agit pas de déstabiliser ce qui marche - et elle apporte un "plus" aux étudiants en développant un contact avec l'entreprise.

Ensuite, j'ai constaté que lorsque des étudiants de maîtrise de lettres ou d'histoire, par exemple, arrivent sur le marché de l'emploi, les directeurs des ressources humaines, bien souvent, n'examinent même pas leur candidature, alors que ces étudiants, avec une première expérience en entreprise, seraient tout à fait remarquables.

Ce sont des jeunes qui ont une grande culture, qui savent rédiger, analyser. La présence en entreprise d'étudiants ayant cette formation sensibiliserait également les entreprises à l'intérêt de recruter de tels diplômés.

Il y a également une évolution culturelle à entreprendre au sein des entreprises pour sortir des stéréotypes : quand celles-ci prennent un littéraire c'est si possible un normalien, ou un inspecteur des finances, mais l'expérience montre qu'il y a des littéraires qui se placent très bien.

L'an dernier nous avons essayé de créer à Marne-la-Vallée une maîtrise de lettres par apprentissage. Nous avons différé ce projet parce qu'une maîtrise n'est pas considérée comme une formation professionnelle, donc cela ne peut pas relever de l'apprentissage.

Nous avons rencontré des problèmes bureaucratiques, mais il n'empêche que pour cette maîtrise de lettres par apprentissage, nous avions l'accord de groupes comme Danone, LVMH, Strafor, Axa pour accueillir des étudiants, ce qui constituait un bon début.

Par exemple chez Danone la personne qui était à l'époque directeur des ressources humaines, et qui est aujourd'hui directeur de l'emploi chez Jacques Barrot, est une normalienne, littéraire elle-même et énarque en plus, qui a vu d'entrée de jeu l'intérêt d'avoir des étudiants littéraires. Si nous avions pu réaliser cette opération, ces étudiants auraient obtenu leur maîtrise de lettres et ils auraient été acceptés chez Danone, où ils auraient d'abord suivi l'école de ventes, puis auraient pu devenir cadres commerciaux.

Il est donc possible d'ouvrir le jeu, et ceci est vrai également pour les étudiants en sociologie ou en psychologie. Lorsqu'ils parviennent au niveau de la licence ou de la maîtrise, ces étudiants ont un bon niveau culturel de base mais il leur manque cette première expérience professionnelle.

Principe d'égalité, ensuite sur lequel j'insisterai. Aujourd'hui c'est l'anarchie dans les stages, il vaut mieux avoir des relations que de ne pas en avoir pour trouver de bons stages. Notre projet permettrait d'assainir la situation.

Il est également fondé sur la liberté : liberté pour les étudiants, liberté pour les établissements d'organiser ces expériences, et également liberté pour les entreprises.

Reste un point d'achoppement, la durée : si l'on s'aligne sur le semestre universitaire je pense que la formule pourrait être mise en oeuvre.

Je vous remercie de votre attention et je serai très heureux de répondre à vos questions.

M. le Président - C'est nous qui vous remercions. Voilà une bonne base de discussion. Vous avez bien indiqué quel était le public actuellement envisagé, vous avez parlé de la durée des stages, vous avez bien défini les points qui sont encore en discussion.

Je vais donc passer la parole à mes collègues.

Je vous pose une question très générale : est-ce que, vous qui avez bien suivi ce dossier, vous pensez qu'on a des chances d'aboutir ou que le projet va être enterré ? Etes-vous optimiste ou pessimiste ?

M. Ivan Renar - Cela dépendra du mouvement des masses !

M. Laurent - Du mouvement virtuel des masses !

J'ai été associé par Didier Pineau-Valencienne à certains contacts avec les organisations étudiantes et avec les organisations représentatives des salariés.

Je dois dire qu'en privé, avec les organisations représentatives des salariés, l'accueil est plutôt favorable sur le principe.

Il y a un certain blocage chez l'UNEF-ID sur la durée de trois mois.

En ce qui concerne les syndicats d'enseignants, la FSU est contre, mais l'accueil des présidents d'université est plutôt favorable. Je pense que si ce projet aboutit, cela se fera directement entre les entreprises et les universités, et peut-être en laissant un peu à l'écart le ministère de l'éducation nationale.

Une remarque : si nous étions dans un pays où les universités sont autonomes, ce problème n'aurait même pas à être évoqué, ni par le ministre de l'éducation nationale et, a fortiori, pas du tout par le président de la République.

M. Ivan Renar - Il y a effectivement des questions de principe et des questions très concrètes qui se posent. Ce qu'il ne faut pas cacher c'est que la situation réelle de l'emploi, et donc les difficultés que les jeunes connaissent dans ce domaine, est telle que l'on a parfois du mal à voir dans ce genre de proposition ce qui relève de l'innovation et de la "ficelle".

C'est une question réelle et nous sommes dans un lieu où l'on peut en débattre très librement.

Sur le principe des stages, je ne suis ni pour ni contre, j'essaie de voir ce qui peut permettre à des jeunes de se situer dans la vie et de pouvoir ensuite trouver rapidement un travail, et si possible un bon travail.

Est-ce qu'il n'y a pas malgré tout un danger de voir notre système universitaire et scolaire remis en cause à court terme par ce genre de mesure ? Parce qu'en l'occurrence le CNPF intervient quand même sur tout ce qui touche aux diplômes, puisque le stage s'appelle lui-même "diplômant".

Ensuite, on peut comprendre les réactions des jeunes, compte tenu des éléments imprécis dont nous disposons concernant notamment la durée des stages, les horaires hebdomadaires, le niveau de leur indemnisation... La question très concrète qui peut se poser est la suivante : est-ce que l'arrivée en entreprise de stagiaires de ce type ne va pas empêcher l'embauche de jeunes diplômés ?

M. Franck Sérusclat - Je vais dire pourquoi je suis un peu perdu dans ce que je viens d'entendre : la formation professionnelle a par nature un contenu "professionnel", c'est-à-dire technique, matériel, et je citerai en exemple la formation des étudiants en pharmacie qui suivent un stage, correspondant à leur formation initiale.

Or j'entends dire que les étudiants en maîtrise de lettres ou en maîtrise d'histoire, iraient chez Danone, par exemple, - je ne comprends pas ce qu'ils iraient faire dans ces entreprises - où on les formerait davantage aux langues étrangères. S'ils n'ont pas appris les langues étrangères en cours d'études, ce n'est pas les trois ou six mois qu'ils passeront en entreprise qui leur permettront de les maîtriser. De même, si l'on doit apprendre l'informatique au cours de ces stages, c'est que l'université, et l'école bien en amont, n'ont pas fait leur travail.

Par conséquent je ne comprends pas vos arguments.

Je suis un peu "déboussolé" par cette proposition, qui ne me paraît pas s'inscrire logiquement dans la formation de quelqu'un qui va se diriger ensuite vers tel ou tel secteur industriel. Il y a pour moi un décalage entre les formations suivies et les stages proposés.

M. le Président - Ces auditions, M. Sérusclat, ont d'abord pour but de nous donner à tous une boussole !

M. André Maman - Je voudrais poser quelques questions pratiques.

A qui les jeunes, qui souhaitent effectuer un stage diplômant devront-ils fournir un dossier et qui décidera s'ils sont qualifiés pour suivre ce stage ?

Nous avons fait une expérience aux Etats-Unis, mais c'était différent parce que les entreprises disaient : je voudrais ce candidat car son dossier me convient. Ces étudiants suivaient des cours à l'université de New-York et ils avaient tous des diplômes très avancés. Ils ont réussi et ils sont entrés dans des banques ou dans des grandes entreprises.

Une fois que le dossier est établi, au bout de combien de temps va-t-on dire à l'étudiant qu'il est qualifié pour commencer le stage ? Est-ce que les stages peuvent commencer à n'importe quel moment de l'année ou bien est-ce qu'ils commencent tous à la même date ?

Supposons que ce jeune homme, pour diverses raisons, ne fasse pas l'affaire et que l'entreprise ne soit pas contente de lui et dise : non, cela ne peut pas continuer ! Est-ce qu'on peut arrêter le stage et déplacer le stagiaire ? Est-ce qu'on peut lui redonner une deuxième chance en cours de route ?

Une fois que le stage est terminé, je suppose que l'étudiant reçoit une appréciation disant qu'il a été excellent. Est-ce qu'on le remet sur le marché du travail ou est-ce que l'entreprise va le garder plus longtemps ?

M. Daniel Eckenspieller - Je pense que votre initiative est extrêmement intéressante et j'ai été très intéressé par l'exposé qui en a été fait. Je dois dire qu'il y a là une approche réaliste, et je pense qu'il serait dommage de rater une telle occasion pour des questions de principe.

Il y a eu de nombreuses occasions ratées dans beaucoup de domaines parce qu'on a posé un certain nombre de principes qui allaient parfois à l'encontre des objectifs recherchés.

Je dois dire que tous les étudiants que j'ai reçus tout au long de ces dernières années, des jeunes qui étaient dans des formation diverses et à des niveaux différents de formation, ont toujours dit qu'un stage en entreprise était quelque chose d'extrêmement enrichissant ; j'en ai rarement vu qui pensaient que cela ne leur avait rien apporté, même quand ce n'était pas dans le strict domaine de leur compétence.

Nous sommes en train de faire la même expérience avec les jeunes qui font leur service national dans le cadre de la politique de la ville, parfois dans des domaines qui sont éloignés de leur cursus étudiant. Ceci leur apporte au niveau même de la culture, dont ils ont en tout état de cause besoin, et de leur formation universitaire, un grand " plus ".

Une interrogation subsiste pour moi, quand même, quant au postulat selon lequel il y aurait des sites d'accueil en nombre suffisant : on part en effet du principe que les sites d'accueil seront en adéquation avec l'attente de formation des étudiants.

Nous avons tous été très souvent sollicités par des jeunes qui étaient en cours de cursus universitaire, pour qu'on les aide à trouver une place de stage. Je ne doute pas des intentions des organisations patronales, mais que l'on puisse espérer trouver 70 000 ou 100 000 points de chute pour ces étudiants, et que ces points de chute soient adaptés au cursus qu'ils sont en train de suivre, cela me paraît d'une certaine façon un peu utopique.

Je souhaiterais qu'il n'en soit pas ainsi mais je sais que l'on a très souvent pris des mesures en disant : cela devra toucher tant de personnes, et quand on fait le bilan de ces mesures, on est très souvent déçus.

M. Robert Castaing - J'appartiens, vu mon grand âge, à la période où l'université et le monde de l'entreprise étaient diamétralement opposés. On considérait que l'université avait le devoir de former et l'entreprise de recruter.

Les temps ont changé, et à mon avis c'est un mieux, mais pour ma part, ce que j'apprécie surtout, c'est cette espèce de réhabilitation des littéraires, parce que pendant très longtemps, hormis les concours de recrutement de l'éducation nationale, il n'y avait pas grand chose pour eux.

Exposé "pro domo", sans nul doute puisqu'étant de ceux-là, même si, pour un littéraire, quand on est un historien ou un géographe, on est toujours un peu un "faux" de quelque chose. Mais je me suis aussi rendu compte que les géographes avaient été à un certain moment très recherchés par les entreprises pétrolières, pour prendre cet exemple qui n'est pas isolé.

Donc je considère que c'est une piste à encourager dans la mesure où, et je retrouve ce que vient de dire mon collègue, au moins pour les zones rurales comme celle que je représente, il y aura suffisamment de sites de proximité pour répondre à la demande de l'université.

M. Jacques Valade - J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'exposé du Président Laurent. Je voudrais faire deux observations et vous faire part d'une incertitude en ce qui me concerne.

La première observation, c'est qu'il me semble que le temps est passé où il y avait des incompréhensions à l'égard des littéraires. Ils possèdent sans doute par définition - il faut le vérifier - la qualité de savoir écrire, et cette qualité, qui se perd de plus en plus, notamment dans le domaine scientifique, est je crois très recherchée.

C'est ainsi qu'on peut engager des jeunes gens et des jeunes filles n'ayant peut-être pas une formation technique par rapport à l'entreprise qui les embauche mais qui ont une bonne formation, et cela rejoint ce qu'André Maman disait. J'ai toujours présent à l'esprit que le directeur du marketing de la firme Apple aux Etats-Unis est une jeune femme diplômée d'archéologie, c'est-à-dire que l'on a recherché davantage la qualité de la formation de base. Même s'il n'y a pas adéquation totale entre les études, et éventuellement les recherches faites, et le métier exercé, au moins on est sûr qu'il y a une base à la fois intellectuelle et de formation convenable, et je crois que nos grandes écoles en sont un témoignage constant.

La deuxième observation, et je suis tout à fait de l'avis qui a été formulé par le président Laurent, concerne le rythme universitaire et scolaire : il lui faut s'adapter, on le dit depuis des années, au régime semestriel. C'est une souplesse indispensable qui permet justement, dans une époque où la formation en alternance est une solution qui s'impose, d'aller dans l'entreprise pendant six mois et de revenir ensuite à l'université, éventuellement de commencer un cursus universitaire à un moment décalé par rapport au sacro-saint démarrage de l'année universitaire en septembre, octobre ou novembre.

Mon interrogation, qui rejoint celle de mon excellent collègue et ami Ivan Renar, est de savoir où nous allons, parce que cette initiative, qui a été présentée, par ceux qui veulent en être les détracteurs, comme une initiative patronale, doit s'intégrer dans une philosophie générale qui devrait être - je ne suis pas jacobin, je suis plutôt girondin ! - organisée par l'éducation nationale.

Il y a une forte initiative prise par le CNPF, disons par les responsables des grandes entreprises ; elle est excellente mais cela ne doit pas être une initiative sectorielle et fractionnée.

J'attends donc un signe de cohérence. S'il n'y en a pas ce sera une excellente initiative à laquelle j'adhèrerai totalement, mais elle me semblerait, une fois encore, ou sectorielle ou, ce qui serait pire, élitiste.

M. Jean-Pierre Camoin - Une question très courte : est-ce qu'il s'agit d'une formule tout à fait originale ou est-ce qu'une formule semblable a déjà été appliquée en Europe et dans le monde ?

M. le Président - Nous arrivons donc au terme des questions. Je vais ajouter les miennes.

M. le Président, est-ce que vous pouvez développer un peu ce que vous avez commencé à nous indiquer, à savoir comment ces stages vont s'insérer dans le cursus universitaire.

Je précise ma question : comment l'étudiant, qui pendant quatre mois sera allé, si j'ai bien compris, à temps plein dans une entreprise, pourra-t-il reprendre ses études de lettres ou d'histoire sans dommage et sans avoir perdu de temps par rapport à ses condisciples ? Est-ce possible et comment ?

Vous nous avez parlé de prise en compte de ces stages sous la forme d'unités de valeur délivrées par un jury mixte. Tous ces étudiants préparent un diplôme. Est-ce que le stage, s'il est validé par une unité de valeur, donnera lieu à la délivrance d'une attestation ou d'une mention particulière qui s'ajoutera au diplôme ?

Enfin une question sur le public que vous visez : vous avez bien indiqué les formations générales, les autres étant, en quelque sorte, déjà pourvues de stages. Qu'en est-il des formations de sciences économiques ? Est-ce que ce sont des formations générales ?

M. Daniel Laurent - Oui.

M. le Président - Donc leurs étudiants vont bénéficier du dispositif.

M. Daniel Laurent - Je voudrais vous remercier parce que vos interventions ont balayé tous les problèmes qui se posent.

Je vais essayer de répondre dans l'ordre des questions, mais d'abord, en préambule, je voudrais vous lire une phrase : "Tout jeune doit se voir offrir avant sa sortie du système éducatif et quel que soit le niveau qu'il a atteint, une formation professionnelle". Cela a été voté par le Parlement, c'est l'article 54 de la loi quinquennale pour l'emploi.

Donc on peut considérer que ces stages constituent une modeste contribution à la mise en application de cette loi pour un certain type de formation.

M. Renar, vous vous inquiétez de la durée hebdomadaire et totale des stages, de leur rémunération, et disons des "ficelles" d'un tel dispositif : vous avez raison, parce que dans les débats que j'ai avec les étudiants, je vois bien qu'ils cherchent "l'arnaque" dans cette affaire-là. Ils sont d'accord sur le principe mais ils se disent : il doit y avoir quelque chose de biaisé derrière.

C'est pour cela que j'ai dit tout à l'heure que nous avions tenu à placer ces stages sous statut scolaire avec un contrôle de l'éducation nationale.

Les 39 heures, il n'en a jamais été question. C'est un parcours personnalisé pour les étudiants, et dans la convention qui liera l'établissement, l'étudiant et l'entreprise, il sera précisé le rythme de présence en entreprise et éventuellement, si nécessaire, les plages horaires disponibles pour des enseignements de complément qui peuvent être décidés par l'université.

Il faut que le jeu soit très ouvert.

La rémunération : le stage s'effectuera d'abord sous statut étudiant dans le cursus universitaire, et on ne l'envisage pas - c'était un peu le problème du CIP - pour des diplômes terminaux. Ce n'est pas quelque chose qui va se mettre en oeuvre pour des diplômés de DESS, par exemple, encore qu'il faut savoir que dans notre cursus universitaire un étudiant est toujours entre deux diplômes.

La rémunération devra être établie par référence à ce qui existe, et il existe un arrêté qui précise le montant des indemnités de stage.

Dans les stages anarchiques que j'évoquais tout à l'heure - on a fait un sondage ces derniers jours dans ma propre université - nombreux sont ceux qui ne sont absolument pas indemnisés par les entreprises. Il y a un très grand désordre qui règne, certains étant très bien indemnisés et d'autres pas du tout.

Notre formule a le mérite de se référer à quelque chose qui existe, et les entreprises sont prêtes à défrayer les étudiants des frais engagés, et d'ailleurs elles le font dans certains stages, pour le transport et l'hébergement. L'étudiant garde son statut universitaire, c'est-à-dire qu'il conserve sa bourse, l'aide au logement social s'il en bénéficie etc ...

Risque d'effet d'aubaine : nous pensons que la meilleure régulation en ce domaine résulte du statut scolaire du stagiaire.

Il y a un tuteur universitaire et un jury mixte. On doit définir au préalable très précisément le parcours et les fonctions qui sont assignés à l'étudiant au sein de l'entreprise, et nous sommes - Didier Pineau-Valencienne vous le précisera mieux que moi - très vigilants sur ce point : il ne faut pas que le poste occupé par l'étudiant se substitue à une embauche potentielle.

Il y aura certainement des effets pervers, toute mesure en entraîne, et nous ne sommes pas dans un monde totalement angélique, mais nous avons essayé de mettre des garde-fous parce que, et là je vais être un peu cynique, si Didier Pineau-Valencienne avait voulu ne pas s'embêter, qu'est-ce qu'il faisait ? D'abord il ne demandait rien aux universitaires et disait : le CNPF offre 100.000 stages, présentez-vous à tel endroit !

Cela aurait été l'anarchie, la prolongation du système actuel, il n'y aurait pas eu de débat public et les choses auraient été très simples : les employeurs auraient eu le beau rôle et les jeunes seraient allés vers ces stages, même à très bas prix et dans des conditions relativement peu pédagogiques.

Donc voilà ce que je peux répondre à ces différentes préoccupations.

M. le Président - Je voudrais insister un peu sur une des questions d'Ivan Renar : est-ce que cela peut réduire l'embauche des chefs d'entreprise ?

M. Daniel Laurent - L'engagement que prendra Didier Pineau-Valencienne sera, en définissant précisément le contenu du stage et le poste de travail au sein de l'entreprise, de ne pas substituer ces stages à une embauche potentielle, mais je reconnais que la situation que vous décrivez existe dans certaines entreprises où l'on prend en stage des bacs + 5 et où on les fait " tourner ".

Ce n'est pas parce que cela existe que l'on doit bloquer tout le projet. Qu'il y ait des effets pervers, certainement il y en aura.

En outre, j'ai oublié de le dire, nous souhaitons que ce soit une expérience et qu'il y ait une évaluation à grande échelle à la fin de l'expérience, que l'on fasse vraiment ce que l'on fait peu dans l'université française, à savoir qu'on lance une expérience, et qu'au bout d'un an, il y ait une véritable évaluation, que des personnalités totalement indépendantes du monde de l'entreprise et du monde de l'université fassent un bilan de l'opération, que l'on sonde les jeunes qui seront passés en entreprise, les enseignants qui les ont encadrés et les entreprises qui les ont accueillis.

Je crois que c'est là une façon pragmatique de faire avancer les choses.

M. Sérusclat, vous avez évoqué un problème qui est un problème central, effectivement, et qui surprend parfois nos interlocuteurs étrangers mais qui dénote, finalement, une tradition du système français, c'est-à-dire celui d'une distinction traditionnelle entre formation professionnelle, formation technologique et formation générale.

Aujourd'hui tout cela évolue, notamment avec l'évolution du secteur tertiaire.

Pour ma part je suis scientifique en informatique, et je n'ai pas tellement de problèmes avec mes étudiants qui ont une formation générale.

Prenons le cas des étudiants en lettres : nous avons fait des expériences, et les grandes entreprises, quand elles sont sensibilisées au problème, sont demandeurs de littéraires.

Ce qu'apporte une formation littéraire, vous l'avez dit mieux que moi tout à l'heure, comme une formation en psychologie ou en sociologie, si elle est bien conduite, c'est une capacité d'abstraction, de maniement de concepts, d'analyse, de prise de distance critique par rapport à un dossier ou un projet. Honnêtement, cela vaut Sciences Po ou certaines recettes de l'ENA au niveau de la formation générale.

J'ai même un exemple cette semaine dans mon université, où l'on a fait suivre à des étudiants en histoire un cours sur les systèmes de gestion de bases de données. Il s'agit d'étalonner une situation, d'être capable, avant de passer à la partie informatisation, d'abstraire une situation, d'en dégager les éléments essentiels. Le professeur d'informatique qui enseignait à ces historiens me disait encore hier qu'il avait été très surpris : les étudiants d'histoire réagissent mieux que les étudiants d'informatique à ce niveau-là, parce qu'ils sont habitués à analyser des textes, à décrire une situation et à être très critiques, parce que le problème avec nos étudiants aujourd'hui, c'est qu'ils sont très passifs. Les organisations étudiantes sont très revendicatives mais les étudiants que nous avons sont très conformistes et très passifs.

Je pense par ailleurs que les étudiants qui auront passé un semestre en entreprise seront, quand ils reviendront à l'université, beaucoup moins passifs à l'égard de l'enseignement qu'ils reçoivent et seront également beaucoup plus exigeants à l'égard de leurs enseignants.

Donc c'est une conviction qui s'appuie sur la réalité, à savoir que les étudiants en lettres, en sociologie, en géographie acquièrent au cours de leurs études d'excellentes méthodes d'analyse qui peuvent être transposées parfaitement dans d'autres domaines. La preuve en est que les étudiants normaliens réussissent très bien à l'ENA ; il y a même un normalien de lettres -quelqu'un que je connais- qui a été admis dans le corps des Mines.

M. le Président - Oui, mais cela dénote quand même une certaine évolution de la culture générale.

Prenez l'exemple d'un Français qui a très bien réussi en Allemagne, l'ancien directeur général de Volkswagen : c'était un littéraire, et en France il n'aurait pas fait la carrière qu'il a faite en Allemagne.

M. Ivan Renar - L'agrégation de lettres mène même à la présidence de la République !

M. le Président - Oui, c'est arrivé, mais en passant quand même par le suffrage universel !

M. Daniel Laurent - Pour répondre à la question de la prise de décision dans cette affaire : c'est vraiment l'université qui décide à partir de l'offre des entreprises, et il y aura sûrement -les universités sont quand même un peu autonomes- des dispositifs mixtes qui se mettront en place, mais ce n'est pas exclusivement l'entreprise.

Aujourd'hui il y a dans certaines entreprises -là nous sommes entre nous- délit de faciès pour les stages, ce qui pose quand même des problèmes d'éthique et de laïcité de l'enseignement.

C'est l'université, dans notre esprit, qui sera maître du jeu.

Il faut répéter, contrairement au système américain que j'évoquais, qu'il ne s'agit pas d'une formation qui vient après un diplôme et qui serait préliminaire à un recrutement mais d'une formation qui se fait avant le diplôme.

Ce qu'on peut espérer c'est que des liens s'établiront entre l'étudiant et l'entreprise dans laquelle il aura passé un ou deux semestres, et que s'il a laissé un bon souvenir, cela pourra éventuellement faciliter son insertion.

Sur les recours, il y aura effectivement des cas où cela ne marchera pas, c'est quelque chose qui existe déjà à l'université, c'est-à-dire qu'on a des étudiants qui " s'évaporent " en cours de route. On a prévu des recours pour les étudiants lorsqu'il y aura un conflit avec l'entreprise.

J'évoquerai une expérience menée chez Strafor en Alsace, où a été lancée une opération remarquable avec les chambres de commerce : elle montre qu'il est beaucoup plus difficile de trouver des jeunes pour aller sur des postes d'apprentissage que de trouver des entreprises.

Donc je pense que la difficulté que l'on aura au départ ce sera de trouver des jeunes volontaires.

M. André Maman - Est-ce que cela peut concerner des stages éloignés ? Est-ce qu'on peut dire à un étudiant vous allez suivre un stage en Bretagne ?

M. Daniel Laurent - Il y aura sûrement des cas de ce genre, avec une prise en charge des déplacements par les entreprises.

Il y a un autre sujet qui est peu évoqué aujourd'hui, mais quand on avait conçu le projet, on souhaitait qu'il s'impose également aux administrations et aux collectivités locales. Il serait très important que les collectivités locales et les administrations puissent accueillir les jeunes en première expérience professionnelle.

M. Robert Castaing - Est-ce qu'elles pourront les rémunérer ?

M. Daniel Laurent - C'est une autre affaire, mais on rémunère bien des CES actuellement.

Nous souhaiterions également mettre en application la loi quinquennale pour l'emploi, et cet objectif a été rappelé par le ministre de l'éducation nationale dans son discours à la Sorbonne, où il a précisé que la professionnalisation doit s'imposer à toutes les formations, qu'elles soient technologiques, générales ou dites à finalité professionnelle.

C'est un concept intéressant, effectivement il faut le mettre en oeuvre, et cela peut être un facteur de cohérence.

C'est un moyen de faire progresser la filière technologique, en donnant une très grande souplesse pour l'alternance entre entreprise et université au delà des seuls secteurs industriels. C'est très important pour le secteur tertiaire où il n'y a pas une tradition d'apprentissage et d'échanges école/entreprise.

Vous m'avez demandé, M. Camoin, s'il y avait des formules analogues à travers le monde. Beaucoup d'universités anglo-saxonnes organisent des stages.

Aux Etats-Unis c'est un peu compliqué parce qu'il y a parfois une confusion avec les "petits boulots" - il y a une tradition de travail des étudiants pour payer leurs études - qui ne sont pas pris en compte nécessairement dans les cursus.

Cela existe d'ailleurs en France dans certaines universités, qui ont mis en oeuvre des formules de ce genre.

Je répondrais maintenant aux questions soulevées par le président Gouteyron. Je vais vous donner mon sentiment personnel si j'avais à prendre en compte ces stages dans mon université, parce que les universités sont quand même autonomes.

Ces stages devraient prendre la forme d'unités de valeur. Il existe déjà de nombreuses unités de valeur en option dans les universités, et souvent plus exotiques que celles qui nous occupent.

Il est important politiquement -je pense que là il y aura une petite bataille- qu'il y ait vraiment un jury mixte pour délivrer cette unité de valeur, justement pour éviter les déviations que vous avez évoquées tout à l'heure.

Où ces stages peuvent-ils se situer ? Ils peuvent se situer en premier cycle ou en deuxième cycle. Ce qui est nécessaire, c'est de faire en sorte que les étudiants qui veulent s'engager dans cette unité de valeur puissent effectuer le reste du cursus d'une manière plus intensive. La semestrialisation va permettre de réaliser cet objectif.

A Marne-la-Vallée nous avons même institué un système pour le premier cycle de trois fois 14 semaines, c'est-à-dire qu'un étudiant brillant peut faire son DEUG en un an et trois mois. Il le termine en décembre, ce qui lui permet d'accomplir un semestre pré-professionnel.

Cela peut prendre la forme d'une unité de valeur à option. L'étudiant aura le choix entre N unités de valeur et il pourra choisir une unité de valeur en option comme une unité de valeur dans un domaine différent. Certaines universités pourront préciser -c'est leur autonomie- qu'il s'agira d'une mention particulière de licence. Pour ma part cela ne me choquerait pas qu'il y ait des maîtrises d'histoire comportant une première expérience professionnelle.

On ne peut pas anticiper toutes les situations, et donc le jeu est extrêmement ouvert.

M. le Président - Non pas pour répondre à Jacques Valade mais pour aller dans le même sens que lui, j'ai constaté que le ministre de l'éducation nationale avait annoncé qu'il pourrait inclure ses propositions en ce domaine-là dans l'ensemble de la réforme issue des états généraux de l'université.

Qu'en pensez-vous, M. le Président ?

M. Daniel Laurent - Je pense que c'est tout à fait concevable.

M. le Président - Cela apporterait la cohérence souhaitée par Jacques Valade, parce qu'effectivement, soit cela reste une initiative limitée, qui peut avoir certains effets, soit c'est une chance nouvelle et un élément d'une véritable politique.

M. Jacques Valade - Je crois qu'il faut l'authentifier, sinon cette initiative restera limitée.

M. le Président - Il me semble que c'est au ministre de l'éducation nationale à le faire.

M. le Président, merci de nous avoir apporté votre expérience, votre compétence et aussi votre conviction. Nous y sommes sensibles.

M. Laurent - Merci de votre accueil.

II. M. JEAN-JACQUES BRIOUZE
SECRÉTAIRE NATIONAL CHARGÉ DE LA FORMATION À
LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DE L'ENCADREMENT CGC

________

M. le Président - J'accueille maintenant M. Jean-Jacques Briouze, qui est secrétaire national chargé de la formation à la Confédération française de l'encadrement CGC, et à ce titre je pense qu'il a suivi et qu'il continue à suivre, le dossier dont nous nous occupons.

M. le Secrétaire national, nous venons de recevoir M. Daniel Laurent.

Je vais donc vous passer la parole.

M. Jean-Jacques Briouze - Merci M. le Président. Je salue l'ensemble des sénateurs ici présents.

Il s'agit donc du stage diplômant, c'est bien cela ?

M. le Président - Oui, dit stage diplômant.

M. Jean-Jacques Briouze - Je pense que l'intitulé connaîtra peut-être quelques changements ultérieurement, si cette formule venait à se mettre en place.

Pour notre organisation, il y a un principe auquel nous tenons, c'est de permettre au maximum pendant le temps de la formation universitaire le contact avec le monde de l'entreprise, c'est-à-dire que nous souhaitons que puisse se développer, dans le cadre de l'ensemble des formations, la possibilité pour les étudiants de rencontrer le monde économique et de ne pas être complètement coupés de celui-ci au moment où ils quittent l'université avec un diplôme en poche.

Le point qui nous préoccupe aujourd'hui ne concerne pas les formations professionnelles, c'est-à-dire que je n'évoquerai pas dans mon propos les BTS, les IUT, les IUP et les DESS, puisque là existent déjà un certain nombre de dispositions permettant la rencontre effective avec le monde du travail et de l'entreprise.

Ceci dit, je ne les évoque pas, mais nous devons, par rapport à ce qui nous préoccupe aujourd'hui, les avoir en tête, parce que si nous voulons mettre en place une rencontre au niveau des formations générales et des entreprises, il ne faut pas oublier que cela peut avoir des incidences sur les possibilités de stages pour les autres formations supérieures.

Donc je crois qu'il faut que dans cette affaire nous soyons prudents, et c'est pour cela que j'évoquerai tout à l'heure, plutôt que de lancer cette opération tous azimuts, l'idée d'une expérimentation.

Quel intérêt voyons-nous à la proposition que je qualifierai de "proposition de M. Didier Pineau-Valencienne", proposition qui se limite aujourd'hui aux quatre premières années de l'université, puisqu'il semble que le champ d'intervention se soit restreint au fur et à mesure que les discussions avançaient. Il s'agit bien de stages dans les cursus universitaires, qui sont toujours conduits sous la responsabilité de l'université. Il serait possible, pour atteindre la durée à laquelle tient le patronat, à savoir neuf mois, de faire éventuellement un semestre de stage pendant les deux premières années d'université, et un semestre pendant les années licence-maîtrise, ce qui représente deux fois quatre mois et demi dans l'état actuel du dispositif.

Vous savez que pour les partenaires sociaux, et en particulier notre organisation, il convenait ne pas établir un sas supplémentaire entre le diplôme et la mise en emploi dans une entreprise, c'est-à-dire qu'on ne voulait pas renouveler l'expérience du CIP qui était un contrat de travail.

Il ne s'agit pas là de contrat de travail, mais d'un stage. Il y aura une convention passée entre l'université, l'entreprise et l'étudiant, portant sur un projet défini, avec un tutorat en entreprise et un suivi ou une " guidance " assuré(e) par les enseignants de l'université.

Validation partagée entre l'université et les professionnels : je sais que cette question soulève un certain nombre de critiques et d'interrogations, mais je dirai qu'elle se pratique fréquemment.

Je suis, pour ma part, issu du milieu social, et je citerai l'exemple des formations d'éducateur spécialisé qui comportent des jurys composés à parité d'enseignants, d'universitaires, de formateurs, et de professionnels, le diplôme étant délivré par l'enseignement supérieur.

Donc cela fonctionne déjà et il n'y a rien de scandaleux à l'adapter et à le mettre en place éventuellement pour la validation des stages semestriels.

La question de la rémunération ensuite : selon le patronat il n'y a pas de rémunération, et en ce qui nous concerne nous préférons aussi cette approche, parce qu'il ne s'agit pas de contrat de travail mais de stage intégré dans la formation universitaire.

En revanche, qu'il y ait une indemnisation correcte des stagiaires me paraît normal. Reste à en déterminer le montant. Il faut que cela puisse au moins couvrir tous les frais inhérents à cette mise en situation particulière, qui éloigne l'étudiant de son milieu habituel.

Nous avons eu l'impression que le patronat était prêt à faire un effort dans ce domaine-là.

Cela dit, je parle du patronat mais dans notre esprit, en tout cas en ce qui concerne la CGC, nous ne limiterions pas ces stages au monde de l'entreprise concurrentielle. Il faut savoir que les jeunes peuvent aller travailler aussi dans des administrations, dans des associations à but non lucratif, et je crois qu'il faut aussi leur permettre la rencontre de ce monde-là lors de leurs études.

Au niveau des PME/PMI, un certain nombre de régions, trois à ma connaissance - quand je parle de régions il s'agit des conseils régionaux - Champagne-Ardenne, Pays de Loire et Franche-Comté, semblent vouloir s'engager dans une aide à la mise en place de ce dispositif, en particulier une aide sous forme de soutien aux PME/PMI qui voudraient bien accueillir de jeunes étudiants.

Compte tenu de ces éléments, de ce que j'évoquais comme difficultés par rapport aux autres formations professionnelles de l'enseignement supérieur, de la "révolution culturelle" que constituerait en particulier une " covalidation " avec les professionnels et l'université d'un temps de formation universitaire, je crois que dans ce domaine nous devons avancer avec prudence ; c'est pour cela que nous ne sommes pas favorables à une formule contraignante : nous préférons nettement la formule du volontariat au niveau des partenaires, c'est-à-dire université, entreprise, voire conseil régional, et l'expérimentation de ces possibilités, tout en sachant qu'un certain nombre de problèmes d'ordre pédagogique sont posés qu'il convient de creuser.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je tenais à vous dire d'emblée.

M. le Président - Nous vous en remercions et nous allons vous poser des questions.

M. André Maman - J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de M. Briouze.

Vous dites : on se limitera aux quatre premières années universitaires, mais est-ce qu'il y a un moment privilégié ? Qui va décider du moment où le stage diplômant peut être fait par l'étudiant ?

Neuf mois séparés en deux, cela me semble très bien.

Il ne s'agit pas d'un contrat de travail. Je suppose que vous dites cela pour éviter les réactions du monde du travail, mais c'est peut-être jouer sur les mots : ce n'est pas un contrat de travail, mais il y a une convention.

La formule du double tutorat me paraît intéressante. Est-ce que ces tuteurs vont se concerter ? Est-ce que les tuteurs en entreprise et les enseignants vont se consulter en disant : ce jeune homme ou cette jeune fille travaille bien, ou ne correspond pas tout à fait ce que nous attendons ? J'aimerais avoir des précisions sur ce point.

L'évaluation partagée m'apparaît souhaitable, quant au fait qu'il n'y ait pas rémunération mais indemnisation, là encore, je crois qu'on joue un peu sur les mots.

Sur l'aide apportée aux PME par les trois conseils régionaux évoqués, je n'ai pas très bien compris en quoi elle consistait. J'aimerais une précision à ce sujet.

M. Ivan Renar - Je voudrais savoir si la CGC a élaboré, pour prendre un terme générique, une plate-forme sur l'ensemble de ces questions.

Pourriez-vous aussi nous donner des précisions sur les réactions de l'encadrement à ce projet ? Vous les avez rapportées pour une part, puisque vous avez émis des appréciations prudentes, mais comment réagit l'encadrement sur ces stages qui seront à l'origine d'un surcroît de travail ?

Je vous demanderai également si le fait d'accueillir des stagiaires de longue durée de cette façon-là ne constitue pas un danger pour le recrutement de jeunes diplômés ; je vais même plus loin, étant donné qu'on aura des jeunes qui seront là pour une longue durée : est-ce qu'il n'y aura pas une tentation permanente de les utiliser à autre chose qu'un stage dans le cadre du cursus universitaire, et donc, de freiner l'embauche de jeunes diplômés ?

Au niveau de l'indemnisation, est-ce que vous ne pensez pas que le montant évoqué, c'est-à-dire moins de 2 000 F, n'est pas non plus une bonne formule d'entrée dans la vie active, en particulier pour des jeunes qui vont devenir des responsables de l'encadrement ? Est-ce que ce n'est pas aussi, de façon indirecte, exercer une pression sur l'avenir des salaires, c'est-à-dire qu'on "lime les dents" aux jeunes dès le départ ?

Je dis cela parce que je suis obligé de constater que le problème des jeunes à notre époque est quand même celui de la précarisation de l'emploi sous des formules diverses.

En ce qui concerne les conseils régionaux, là aussi se pose un problème, parce que s'ils ont compétence dans le domaine de la formation professionnelle, ils ne l'ont pas dans le domaine de l'enseignement supérieur.

Est-ce qu'il n'est donc pas opportun d'expérimenter ces stages avec toutes les précautions qui s'imposent ?

M. Robert Castaing - Je pose une simple question pour reprendre ce que vient de dire Ivan Renar : qui va déterminer les programmes de ces stages ? Est-ce que cela va être le ministère ou les jurys mixtes ? Puisque tout le monde s'interroge, justement, sur ce qu'on va demander aux stagiaires, quand et comment seront définis les programmes ?

M. Ambroise Dupont - En complément de tout ce qui vient d'être excellemment dit, ma question est de savoir quelle est l'efficacité de stages de quatre mois et demi au regard d'une véritable insertion dans la vie professionnelle. Est-ce que cela se fera dans la même entreprise et comment insèrera-t-on ces stages dans le cours des années universitaires ?

Si on propose deux fois quatre mois et demi, je l'imagine bien, c'est pour mieux les insérer dans les cursus universitaires, mais ce fractionnement des stages me paraît peu crédible pour les entreprises.

M. Daniel Eckenspieller - Ma question sera très brève, mais je pense que la fonction que vous occupez au sein de votre organisation vous permet d'y répondre : puisque les stages existent pour toutes les filières universitaires professionnelles, est-ce qu'on a une idée du nombre de personnes qui ont trouvé un emploi dans l'entreprise dans laquelle ils étaient stagiaires grâce aux contacts qui se sont noués au cours du stage ?

On peut penser, lorsque quelqu'un a été accueilli dans une entreprise -c'est déjà un signe favorable- que cela peut déboucher sur une embauche pérenne.

M. Jean-Pierre Camoin - J'ai l'impression que lorsque l'on parle de ces stages validants, vous avez d'ailleurs employé les termes de "projet de Didier Pineau-Valencienne", on parle surtout des grandes entreprises.

Est-ce qu'il est possible d'envisager que des PME/PMI offrent des stages de même type et est-ce qu'il existe un courant favorable dans ce type d'entreprise pour de tels stages ? Est-ce que vous avez l'expérience d'une telle demande ?

Enfin, et ma deuxième question rejoint la première, est-ce qu'on a évalué le nombre d'étudiants qui seront concernés par ces stages et la capacité qu'ont les entreprises de les accueillir ?

M. le Président - Je vais vous passer la parole mais je souhaiterais ajouter deux questions.

Tout d'abord, vous avez insisté sur une prudence nécessaire et vous avez parlé d'expérimentation. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous entendez par là et sur le contenu que vous donneriez à ce mot ?

Tout à l'heure un de nos collègues a parlé d'insertion dans les entreprises. Est-ce que les stages tels qu'ils sont envisagés sont des stages d'insertion ? Ne sont-ils pas plutôt autre chose ?

M. Jean-Jacques Briouze - Je vais essayer de répondre aussi précisément que possible à vos questions.

Il se peut qu'en répondant à certains points je réponde à plusieurs personnes en même temps.

Je commencerai par la question du Président, parce qu'elle me paraît être une question qui englobe l'ensemble du problème, à savoir celle de la prudence et de l'expérimentation.

L'ensemble des questions que vous vous posez, nous nous les posons aussi.

Effectivement, à partir du moment où ce projet est apparu dans la presse, puisque c'est par la presse que nous avons été informés du projet de celui qui allait devenir président de la commission sociale du CNPF, nous nous sommes beaucoup interrogés ; au fur et à mesure que nous imaginons ce que peut être ce dispositif, il s'avère qu'il faut effectivement être prudents, d'abord pour des raisons culturelles ou d'habitudes, parce que l'université a un certain type de traditions de fonctionnement qu'il serait mauvais, me semble-t-il, de brutaliser.

Que cela évolue, c'est nécessaire, mais de là à vouloir brutaliser notre enseignement supérieur, cela ne nous paraît pas une bonne méthode. Je crois que cette formule doit être expérimentale pour attirer des volontaires, à partir d'un projet clairement défini et en mettant en place une structure d'évaluation ; ce n'est pas le tout de faire l'expérimentation, encore faut-il se donner les moyens d'apprécier ce qu'a été cette expérimentation ...

M. le Président - Et l'évaluation pourrait être faite au terme d'une année, par exemple ?

M. Jean-Jacques Briouze - D'une année ou de deux ou trois ans, parce que je crois que dans ce domaine de l'éducation ou de la formation, il est quand même risqué d'avoir des périodes trop courtes, ce qui conduit parfois à des changements de dispositifs successifs.

Je crois que nous en souffrons beaucoup, et nous ne tenons pas à ce que cela se reproduise dans ce type d'essai, sinon on risque, par manque de durée suffisante, d'obtenir une évaluation erronée de l'expérience.

Il ne s'agit pas de stages d'insertion dans l'entreprise, ces stages-là sont ailleurs ; il s'agit de permettre, au moment de la formation universitaire, une rencontre avec le monde économique qui s'intègre dans le cursus universitaire.

Je vais donner un exemple qui est un peu théorique : si nous avions un DEUG social, c'est-à-dire un DEUG qui prépare les futurs assistants sociaux, les futurs éducateurs spécialisés, les futures conseillères en économie sociale et familiale, les futurs animateurs socio-culturels, il m'apparaîtrait judicieux que pendant les deux premières années, nous puissions avoir à la fois des enseignements qui permettent d'acquérir les concepts et la méthodologie des champs théoriques, commencer un travail sur la méthodologie de recherche et d'analyse des pratiques ; ceci permettrait aux étudiants qui se destinent à ces professions diverses d'être en contact avec des entreprises qui utilisent des éducateurs spécialisés, qui utilisent des assistantes sociales, et même parfois avec des entreprises où il n'y en pas, pour qu'ils puissent utiliser un semestre universitaire à mieux élaborer, par exemple, leur futur projet professionnel.

Le problème de fond qui se pose aujourd'hui c'est de bien savoir qui a la maîtrise de ces stages.

Il y a eu un certain nombre de questions sur ce thème.

Pour ma part, je crois que les modalités de tutorat interne et externe, interne c'est-à-dire dans l'entreprise -on commence à avoir l'habitude de ce qu'est le tutorat d'entreprise puisqu'il y a plusieurs systèmes qui l'utilisent- et le tutorat-guidance de l'universitaire, doivent être définies dans la convention qui va lier l'université, les entreprises recevant les jeunes et l'étudiant.

Cette convention définit le projet, c'est-à-dire ce que va faire cet étudiant dans cette entreprise afin de se former, afin de pouvoir acquérir des connaissances dans le monde économique qui puissent être validées dans son cursus universitaire ; dans cette même convention on va définir les modalités concrètes et pratiques d'aide à cet étudiant.

Selon nous il vaut mieux que cela reste sous la responsabilité de l'université. Puisqu'il s'agit d'un temps de formation c'est l'université qui doit rester maître du jeu, mais en partenariat avec les entreprises, en partenariat avec le tuteur dans l'entreprise.

Dans cette convention seront définies également les modalités d'indemnisation du stage ; là dessus, l'un de vos collègues a dit qu'on jouait sur les mots entre "rémunération" et "indemnisation" et entre "stage" et contrat", mais je crois que pour nous c'est clair, on ne peut pas parler de rémunération. Pourquoi ? Il s'agit bien là d'un jeune qui reste sous statut étudiant.

En revanche, le fait qu'on " externalise " cet étudiant du site universitaire entraîne un certain nombre de conséquences d'ordre économique qu'il me paraît judicieux de couvrir, et tout cela doit être défini, là aussi, dans le cadre de la convention, de manière à ce que le jeune ne soit pas pénalisé.

M. le Président - Je voudrais sur ce point vous poser une question que me suggère votre propos : est-ce que vous considérez que l'indemnisation doit être forfaitaire, et la même pour tous, ou est-ce qu'elle peut tenir compte de la situation réelle du jeune, peut-être sa situation sociale mais surtout les difficultés que crée cette externalisation dont vous parlez, qui ne sont pas les mêmes si l'étudiant habite à 300 mètres de l'entreprise que s'il habite à 50 km ?

M. Jean-Jacques Briouze - Pour notre part, nous souhaiterions qu'elle soit variable en fonction des contraintes réellement rencontrées, ce qui pose peut-être des problèmes, mais cela nous paraît plus judicieux, et c'est aussi l'occasion pour un étudiant de commencer à négocier avec des partenaires un certain nombre d'éléments.

Sur l'évaluation, je crois que le système doit être suffisamment cadré, d'une manière connue de tous, et presque réglementé ; les critères doivent au moins être définis dans le cadre du fonctionnement de l'université, parce qu'on ne peut pas se permettre d'avoir des évaluations variables, qui risqueraient d'être mises en cause ensuite.

A mon avis le processus d'évaluation et de certification doit être suffisamment transparent, bien établi, officiellement affiché et porteur en soi de valeurs. Il ne faut pas un système d'évaluation à géométrie variable, ce qui conduirait à hypothéquer sa valeur.

Je ne peux pas aujourd'hui vous répondre dans le détail parce que je crois que nous avons encore à travailler avec les universitaires et avec les associations étudiantes sur ce thème. Je ne réponds là que sur des options et des grandes lignes.

L'efficacité de la durée des stages, de quatre mois et demi : c'est vrai que ce sont des périodes courtes, mais tout dépend de l'objectif recherché, parce qu'en quatre mois et demi on peut faire beaucoup de choses.

Est-ce que cela va être quatre mois et demi totalement en entreprise ? Pas nécessairement, c'est-à-dire que les quatre mois et demi de stage pourront inclure peut-être, une semaine de regroupement à l'université pour faire le point, et pour assurer le suivi par l'université de ce qui se passe pendant cette période de formation.

Ce n'est effectivement pas la même chose qu'une expérience professionnelle de longue durée.

Sur la crédibilité de ce dispositif auprès des employeurs. Ce sont eux qui nous ont proposé ce dispositif, et donc j'ose espérer que leurs responsables, au moins le CNPF, et je pense que là il faut faire confiance aux propos de M. Didier Pineau-Valencienne, pensent que cela peut au moins constituer une "carte de visite" pour l'étudiant. Lorsqu'on a fait une maîtrise avec deux semestres de stage, bien évidemment on n'est pas prêt à aller travailler dans l'entreprise, cela ne remplacera jamais la formation professionnelle, mais c'est un "plus" qui apparaîtra sur la "carte de visite" de la personne qui ira chercher un emploi. Au moins on pourra apprécier si, dans sa rencontre avec le monde de l'entreprise, l'étudiant a pu orienter sa formation et prendre en charge cette formation, et ce sont là des données qui nous paraissent intéressantes.

M. Ambroise Dupont - S'agira-t-il de la même entreprise pour la totalité du stage ?

M. Jean-Jacques Briouze - Avec un semestre, il est difficile de multiplier les entreprises ; pour nous c'est la même entreprise pendant quatre mois et demi.

Pour le semestre suivant, ce ne serait nécessairement la même entreprise, mais cela pourrait être la même ; tout dépend du projet et de ce qu'il apporte au jeune dans sa formation universitaire. Je pense que les conseils des universitaires sont importants en ce domaine, et peuvent susciter une discussion entre les enseignants et les étudiants qui parfois n'a pas lieu.

Les conseils régionaux : c'est dans le cadre de notre entretien avec M. Didier Pineau-Valencienne qu'a été évoqué l'engagement futur des trois conseils régionaux que j'évoquais tout à l'heure, à savoir Champagne-Ardenne, Franche-Comté et Pays de Loire.

Je crois que l'objectif de ces conseils régionaux est de permettre l'expérimentation des stages justement, dans le cadre des PME, parce que les grandes entreprises prennent déjà beaucoup de stagiaires ; c'est vrai que certaines PME voudraient le faire mais n'en ont pas les moyens, parce que l'encadrement y est réduit, qu'il faut répondre aux commandes, aux nécessités de la production, et que dans certaines entreprises, consacrer du temps à la formation, ce n'est pas possible.

C'est la même chose pour le développement de la formation professionnelle continue dans les PME.

Si l'on veut que 80% ou 90% du tissu économique puissent participer à cette expérimentation, il faut qu'il y ait une aide particulière pour les PME. Cela me paraît indispensable et c'est l'intérêt que je voyais à l'initiative des conseils régionaux en la matière, qui n'interviendraient pas directement dans la formation des étudiants mais qui aideraient les entreprises à participer à cette expérimentation.

M. le Président - M. Renar voudrait intervenir.

M. Ivan Renar - Oui, parce qu'en vous entendant les questions me viennent.

Est-ce que la durée des stages ne risque pas d'avoir des conséquences perverses sur l'embauche de diplômés ?

D'autre part, est-ce que cela ne poussera pas les entreprises - autre effet pervers - à recruter éventuellement directement chez les jeunes stagiaires ?

M. Jean-Jacques Briouze - Sur le dernier point, aujourd'hui si quelqu'un arrête ses études à un moment donné parce qu'il estime qu'il a un emploi et que cet emploi l'intéresse, je crois qu'il fait un bon choix.

M. Ivan Renar - Votre réponse renvoie à la situation de l'emploi, mais il est vrai qu'à 20 ans, on accepte plus facilement certaines offres qu'à 22, 23 ou 24 ans, et c'est pour cela que je parle d'effet pervers.

M. Jean-Jacques Briouze - Il y a un autre chantier que l'on n'a pas évoqué aujourd'hui, parce que ce n'est pas dans notre propos, c'est celui de la formation tout au long de la vie, sur lequel se penche le ministre du travail.

Au lieu d'études longues ne garantissant pas une embauche, je préférerais qu'on ait un un bac + 2, un bac + 4, un bac + 5, avec une garantie d'emploi au bout et que l'on permette à ces diplômés de retourner en formation ultérieurement pour pouvoir accroître leurs compétences et améliorer leur statut socio-économique.

Je crois que c'est beaucoup plus dans ce sens-là qu'il faut que nous allions, c'est-à-dire ne pas allonger à l'excès la première période de formation de la vie, avec ensuite l'impossibilité de continuer à se former dans le cadre du travail et puis d'arriver au temps de la retraite, le temps en entreprise se réduisant de plus en plus.

Est-ce qu'on ne pourrait pas introduire un peu plus de souplesse dans cette organisation et faire en sorte que les curseurs puissent évoluer de chaque côté ?

Pour répondre précisément à votre question concernant le risque de concurrence entre les stagiaires étudiants et les jeunes diplômés, je pense que ce risque est limité, parce que les stages concernent des étudiants qui ne sont pas encore en mesure d'exercer une activité professionnelle avec un diplôme reconnu, et que les entreprises ont envie d'avoir des gens performants.

Certaines seront peut-être tentées de " limiter la performance " et d'enfermer les stagiaires sur un créneau donné ; c'est effectivement un risque, mais il est à mon avis mineur par rapport à l'intérêt que peut présenter l'expérimentation de la formule.

M. Ivan Renar - Vous utilisez le terme "performance", mais tout dépend du contenu que l'on donne à ce terme, parce que ce qui me frappe dans les entreprises, mais cela n'échappe pas aux employeurs, c'est quand même l'impasse qui est faite sur le potentiel en matière grise d'un certain nombre d'entreprises, avec les conséquences qui en résultent à long terme pour l'emploi des jeunes.

M. Robert Castaing - Quels seront les critères d'évaluation ? Je me souviens que dans les IUFM, on a fait les premières années tout et son contraire, et que cela a même failli déstabiliser ces nouvelles structures.

Comme je suis un pragmatique, je me demande s'il va y avoir quelques règles pour définir le contenu de ces stages, sinon, comme vient de le dire Ivan Renar, on risque de faire faire n'importe quoi.

C'est pour cela que je soulève la question des programmes.

M. Jean-Jacques Briouze - Je n'ai effectivement pas répondu à la question des programmes.

Je pense que la convention qui va définir le projet doit s'inscrire dans une conception globale de la formation définie par l'université, parce qu'il ne s'agit pas, effectivement, de partir tous azimuts. Il ne s'agit pas non plus de bouleverser le fonctionnement de l'université.

Je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément puisque nous n'avons pas encore suffisamment travaillé avec l'enseignement supérieur sur ce sujet.

M. le Président - Est-ce que vous accepteriez que ces stages soient ouverts à des jeunes qui sont en deuxième cycle universitaire ?

M. Jean-Jacques Briouze - En licence et en maîtrise ?

M. le Président - Oui.

M. Jean-Jacques Briouze - Oui.

M. le Président - C'est ou le premier cycle ou le deuxième cycle ?

M. Jean-Jacques Briouze - L'idée c'était qu'il y avait un semestre en premier cycle et un semestre en deuxième cycle.

M. le Président - C'est-à-dire que les deux semestres dont vous parlez, c'est un en premier cycle et un en deuxième cycle ?

M. Jean-Jacques Briouze - Oui, parce qu'il est difficile d'avoir deux semestres sur un seul cycle.

M. le Président - Pour vous, quel doit être le ministre responsable de ce dossier ?

M. Jean-Jacques Briouze - Dans ce contexte, pour nous le ministre responsable est le ministre en charge de l'université.

M. le Président - Mais il n'empêche, vous l'avez souligné vous-même, que ce dossier a des liens avec un autre dossier, celui de la formation tout au long de la vie, que Jacques Barrot a en charge.

M. Jean-Jacques Briouze - J'espère qu'au niveau du gouvernement les ministres se parlent !

M. le Président - On peut l'espérer en effet !

M. André Maman - Je n'avais pas compris que les deux semestres ne se succédaient pas nécessairement. Est-ce que le candidat devra déposer à nouveau sa candidature ?

S'il commence son stage à l'issue d'un an et demi d'université, pourra-t-il continuer son stage au bout de trois ans et demi d'études ?

M. Jean-Jacques Briouze - Si quelqu'un a un DEUG, il a souvent plusieurs options après son diplôme, et donc on ne peut pas a priori avoir le même type de stage et la même organisation en fonction des choix des étudiants. Nous préférons leur laisser une certaine liberté.

De toute façon, cela doit être organisé avec l'université en prenant en compte à chaque fois deux années ; il y a des cycles universitaires et c'est bien à l'intérieur de ces cycles que doit être conçu ce stage en entreprise.

M. André Maman - Cela multiplie les difficultés. Cela veut-il dire que le candidat va être obligé de se remettre en question et de retrouver un tuteur ?

M. Jean-Jacques Briouze - Non. A partir du moment où l'université s'engage, l'étudiant dispose d'une aide pour trouver une entreprise. L'objectif c'est de rapprocher l'université du monde économique, comme cela s'est passé entre les proviseurs de lycée professionnel et les entreprises environnantes ; les contacts se sont traduits par une meilleure connaissance réciproque des deux mondes. Je crois que l'université a une responsabilité particulière pour développer son propre réseau d'entreprises.

Cela se passe souvent dans les cycles de DESS, où les départements universitaires établissent un réseau avec un certain nombre d'entreprises.

Enfin, je ne suis pas en mesure de répondre à la question concernant le nombre d'étudiants susceptibles d'être accueillis en stage.

M. Daniel Eckenspieller - J'avais bien compris que ce n'était pas une mesure d'insertion. Simplement on constate que les gens qui font un stage en entreprise nouent des contacts, et cela m'aurait intéressé de savoir quelle était la fréquence de ceux qui sont ultérieurement embauchés par la même entreprise.

M. Jean-Jacques Briouze - Nous ne disposons pas, en ce qui nous concerne, de données chiffrées en la matière.

M. le Président - L'intérêt de la formule est tout de même aussi d'organiser les stages et de rendre leur organisation moins aléatoire, puisque les entreprises les proposent, les universités les co-organisent, et cela met en effet, comme l'a fait remarquer un précédent intervenant, les étudiants sur un pied d'égalité.

M. André Maman - Est-ce qu'il y aura un professeur responsable des stages dans chaque université ?

M. Jean-Jacques Briouze - Je ne peux pas vous répondre, mais ...

M. André Maman - Je n'ai pas pensé à poser la question à M. Laurent, mais il va bien falloir que quelqu'un centralise tout cela.

M. Jean-Jacques Briouze - Mais je dirai que cet entretien m'aura peut-être servi encore plus qu'il ne vous aura servi à vous !

M. le Président - Merci beaucoup.

M. Arnaud HUREL
Délégué national de l'Union nationale universitaire (UNI)

________

M. le Président - Nous recevons maintenant une délégation de l'UNI constituée de M. Arnaud Hurel, délégué national, qui est accompagné de M. Arnaud Legros.

Vous connaissez notre sujet, ce sont les stages que l'on a appelés "stages diplômants", mais il paraît qu'ils ne le sont plus, du moins que la dénomination ne leur convient pas tout à fait.

Nous allons d'abord vous écouter, nous aurons ensuite des questions à vous poser, et cela ouvrira un dialogue je l'espère fructueux.

M. Arnaud Hurel - Votre préambule est intéressant puisque c'était notre propos que de rappeler qu'on parlait il y a encore quelques jours de stages diplômants et qu'à l'heure actuelle les termes utilisés sont un peu différents.

Je crois que depuis le 12 décembre 1996, quand pour la première fois le président de la République a évoqué le principe de stage diplômant, tout et son contraire ont été dit ; par le biais des médias, nombreux sont ceux qui sont intervenus sur le sujet et se sont sentis habilités à émettre un avis et à faire de nombreuses remarques.

Or, on est bien obligés de constater qu'il n'existe à notre connaissance aucun texte officiel émanant tant du ministère de l'éducation nationale que du CNPF. Il y a eu une annonce faite par le président de la République, une notion évoquée mais un " vide " quant au contenu.

Je crois qu'il faut tout de même évoquer l'attitude qu'a pu avoir l'ancien administrateur provisoire de l'université de Marne-la-Vallée dans cette affaire, c'est-à-dire M. Daniel Laurent, qui s'est empressé de donner un contenu très personnel à cette idée de stage diplômant.

M. le Président - Nous avons entendu M. Laurent tout à l'heure.

M. Arnaud Hurel - Il sait ce que nous pensons de son opération, nous le lui avons dit de vive voix !

Il a donné un contenu qui, en fait, n'engageait que lui mais en aucun cas le CNPF ni même la communauté universitaire. C'est cette petite note de quatre pages qu'il avait intitulée "Unité de valeur, première expérience professionnelle sous statut scolaire" qui finalement a mis, selon nous, le feu aux poudres.

Cette note a d'ailleurs été abusivement attribuée au CNPF puisque nous avons rencontré le responsable de la commission formation du CNPF très tôt après l'annonce faite par le président de la République, et qui nous a expliqué qu'il n'existait strictement rien de définitif, simplement des pistes de réflexion ; d'où notre surprise lorsque, peu de jours après, nous avons vu que tout le monde avait un avis sur la question.

L'idée de stage diplômant nous semble bien évidemment intéressante, l'expression même peut être séduisante, mais je crois que des déclarations récentes émanant de M. Didier Pineau-Valencienne n'ont fait que semer encore un peu plus le trouble dans les esprits.

Donc nous ne retiendrons, en ce qui concerne l'UNI, que les déclarations de M. Gandois, qui nous semblent un peu plus proches de la réalité et sans doute moins excessives.

Je crois que tout le monde admet, ce qui n'était pas encore le cas il y a quelques années, voire quelques mois, la nécessité d'intégrer dans les cursus universitaires des stages, des premières expériences professionnelles. M. Gandois parle également d'une culture d'entreprise qu'il convient de donner aux étudiants, ce qui nous semble une très bonne chose, parce que pendant de trop nombreuses années l'université est restée fermée aux partenaires de l'extérieur, mais il ne faut pas pour autant se tromper d'objectif final : je crois que la finalité du stage n'est pas de trouver un emploi mais de faciliter une recherche future d'emploi.

L'étudiant en stage est comme un apprenti, et ce n'est pas parce que ce dernier fait son apprentissage dans une entreprise donnée que pour autant cette entreprise aura l'obligation de l'embaucher à l'issue de cette période d'apprentissage.

Il convient donc de faciliter la recherche future d'emploi par une première expérience professionnelle, et le stage, pour ce qui concerne l'étudiant, n'est pas une pré-période d'essai avant une hypothétique embauche définitive.

A l'heure actuelle je crois qu'il faut revenir tout de même sur ce qui existe, puisqu'il y a un système qui existe en ce domaine ; je crois que l'on va vers un système tout de même beaucoup plus efficace.

Il existe des stages d'observation, qui sont une aide à l'orientation et qui sont essentiellement destinés aux lycéens, des stages de séquence éducative qui s'adressent aux jeunes préparant un BEP, un CAP ou aux apprentis pour leur donner un premier contact avec l'entreprise, des stages de formation alternée, relevant du secondaire ou du supérieur ; pour prendre un exemple, à l'ESSEC maintenant 25% des promotions se font sous forme d'apprentissage, donc l'enseignement supérieur est en train de découvrir ce type de cursus, et certains stages y sont obligatoires.

Dans l'enseignement supérieur, les stages obligatoires concernent évidemment de nombreux diplômes, puisque cela va du BTS et du DUT jusqu'au DESS en passant par les diplômes des grandes écoles, mais ces stages, parce que, justement, ils font l'objet d'une double validation par l'entreprise et par l'établissement d'enseignement supérieur, et parce qu'ils conditionnent également l'obtention du diplôme, sont par définition des stages diplômants. Les stages obligatoires de l'enseignement supérieur sont des stages diplômants, ils existent à l'heure actuelle. Donc ce n'est pas une idée nouvelle.

L'idée est nouvelle pour les étudiants des filières dites générales, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas astreints à effectuer une partie de leur cursus en entreprise.

Les stages obligatoires dans l'enseignement supérieur sont les seuls qui bénéficient d'un conventionnement automatique.

Dans le cas contraire, c'est-à-dire pour l'étudiant d'une filière générale qui désire effectuer un stage, celui-ci va d'abord essayer de trouver une entreprise d'accueil -soit son service d'information et d'orientation lui propose des stages, soit il en trouve un par lui-même- et ensuite il lui appartient d'obtenir de son établissement d'enseignement une convention qui sera signée par l'établissement, et par l'entreprise.

Donc c'est un parcours du combattant qui s'impose à l'étudiant qui veut absolument faire un stage ; quel est l'intérêt de cette convention de stage ? C'est que lorsque l'étudiant est rémunéré, il conserve bien évidemment son statut universitaire, et lorsque la rémunération est inférieure à 30% du SMIC il n'y a ni charges patronales ni cotisations versées par l'étudiant ; de plus ces indemnités ne sont pas imposables pour l'étudiant et pour ses parents s'il figure encore sur la feuille d'impôt familiale.

Certaines universités sont très en retard, pour des raisons administratives ou parfois idéologiques, d'autres sont au contraire très en pointe et disposent de services de recherche de stages particulièrement pointus.

En définitive, à l'UNI, nous pensons que le défi n'est pas tant de définir de nouvelles formes de stages qui pourraient être proposés aux étudiants que de continuer à adapter le système existant.

Nous pensons que l'idée de généraliser des stages longs qui seraient strictement réservés aux jeunes diplômés est dangereuse. Nous retombons, avec ce genre de proposition, sur une autre formule malheureuse qui est celle du CIP d'il y a quelques années, c'est-à-dire inciter un étudiant diplômé à effectuer un stage jusqu'à neuf mois en entreprise, alors qu'il est censé être déjà, par définition, armé pour trouver un emploi. On serait dans une situation tout de même paradoxale.

Prenons l'exemple d'étudiants titulaires d'un DUT qui ont effectué une partie de leur cursus en entreprise, auxquels on demanderait en plus de faire un stage de neuf mois pour prouver qu'ils sont valables sur le marché de l'emploi. Ce serait tout à fait paradoxal au moment où le ministre de l'éducation nationale a décidé de donner une part encore plus importante aux stages dans la validation du DUT, ceci nous semble assez scandaleux sur le plan des principes puisque le DUT est d'abord un diplôme universitaire à vocation professionnelle.

Il ne serait pas acceptable, je crois, tant d'un point de vue politique que technique, de définir un nouveau type de main d'oeuvre qualifiée sans contrat de travail ni rémunération.

Fort heureusement M. Gandois, plus modéré et sans doute plus au fait des réalités, a écarté cette proposition en proposant des stages de quatre à neuf mois s'inscrivant dans le cadre des études universitaires, ce qui nous semble très intéressant sur le principe ; sur les modalités nous attendrons de voir, et nous sommes bien évidemment à la disposition de tous ceux qui sont partie prenante dans cette mise en place pour essayer d'en discuter avec eux.

Autre principe auquel nous sommes attachés, celui du volontariat.

Nous sommes hostiles à une idée qui serait de rendre obligatoires les stages dans les filières générales. Cette idée n'a peut-être pas encore été officiellement évoquée, mais c'est une idée qui est dans l'air, en tout cas au ministère de l'éducation nationale, depuis 1992, puisque lorsque M. Jospin était ministre de l'éducation nationale il voulait rendre les stages obligatoires en DEUG, licence et maîtrise, quelle que soit la filière et quel que soit l'intérêt de ces stages dans ces filières.

L'idée de stages obligatoires pose un autre problème, au delà de son utilité dans certaines disciplines, à savoir celui de la capacité d'accueil du côté des entreprises : est-ce que les entreprises sont capables d'accueillir des centaines de milliers de stagiaires chaque année ? Si c'est le cas, pour quels emplois ?

Si l'objectif est de multiplier encore ce que certains appellent les stages "photocopie-café", pourquoi pas, mais autant appeler les choses par leur nom, l'objectif du stage n'est tout de même pas de faire découvrir l'entreprise uniquement par la découverte du percolateur ou du fonctionnement de la photocopieuse. Le monde de l'entreprise, c'est un climat et des conditions de travail tout à fait différentes, c'est un apprentissage, et donc il faut que ce stage conserve cette nature.

Quant à la durée et aux conséquences du stage, je crois que le ministre de l'éducation nationale a décidé d'engager une réforme quant à l'organisation des années universitaires, quant aux rythmes universitaires. Il est très attaché au principe de la mise en place de semestres et d'une année universitaire qui pourrait aller jusqu'à dix mois.

Sans revenir sur l'intérêt d'une telle proposition je crois qu'une réforme des stages devrait obligatoirement prendre en considération cette nouvelle organisation de l'année universitaire.

A l'heure actuelle la norme serait-elle d'un stage de trois mois au maximum à temps plein ou de six mois à mi-temps. A partir du moment où l'année universitaire est découpée en deux périodes de quatre mois et demi ou cinq mois, pourquoi ne pas étendre la durée du stage à cette période de quatre mois et demi ou cinq mois ?

Autre idée, toujours dans le cadre de cette réforme des rythmes universitaires : nous sommes hostiles à l'idée d'une dévalorisation des formations universitaires, c'est-à-dire à une secondarisation si ce n'est de la totalité du DEUG au moins une partie de la première année. En revanche, nous sommes tout à fait favorables à la mise en place d'un nouveau système sur la base de ce qui existe à l'heure actuelle en matière de validation des acquis professionnels, qui permettrait à des étudiants n'ayant pas validé la totalité de leur DEUG, c'est-à-dire sur les quatre semestres en ayant validé trois, d'obtenir le quatrième semestre qui leur manque dans le cadre d'un stage en entreprise.

Il est évident que, dans cette optique, le stage devrait être un stage sérieux quant à son contenu et à son déroulement, mais également en ce qui concerne son encadrement, tant du côté de l'établissement d'enseignement supérieur que du côté de l'entreprise.

Dernier point, on ne peut pas faire l'économie d'une réglementation nationale des stages.

Il y a plusieurs textes qui circulent à l'heure actuelle. L'UNI fait partie d'une association particulièrement oecuménique puisqu'elle regroupe l'UNEF-ID côté étudiants, les Corpo de deux organisations nationales, l'ensemble des mutuelles étudiantes, les mutuelles régionales et la MNEF ; cette association s'appelle l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés, l'AFIJ.

Nous avons travaillé tous ensemble sur un projet de réglementation nationale des stages. L'ensemble des membres de cette association a signé un projet de réglementation, que nous avons apporté et que nous tenons à votre disposition.

M. le Président - Nous recevons le président de l'AFIJ cet après-midi.

M. Arnaud Hurel - Donc des questions particulières pourront lui être posées à cette occasion, et je pense qu'il apportera également ce projet de réglementation.

Un autre texte circule, qui est beaucoup moins consensuel puisqu'il n'a reçu l'aval que de trois organisations, l'Union des cadres CGT, l'UNEF et l'UNEF-ID.

Nous avons proposé au ministre de l'éducation nationale de s'intéresser à ce thème. Il a en sa possession ces deux textes et c'est maintenant à lui en partie de décider.

Voilà les quelques points que nous voulions développer.

M. le Président - Merci. Nous allons donc vous poser nos questions.

De ce que nous avons entendu ce matin nous pouvons dire que, si nous avons bien compris : il n'est pas question -je ne fais que répéter ce qu'a dit M. Daniel Laurent- de s'adresser à des jeunes qui ont terminé leur formation universitaire. Les stages ne doivent pas se situer pendant la période de recherche d'emploi au terme d'une formation universitaire, ce sont des stages intégrés à des cursus de formation.

Cela répond à l'une de vos préoccupations ?

M. Arnaud Hurel - Oui.

M. le Président - Deuxième remarque, il ne s'agit pas du même type de stages que ceux qui sont organisés et obligatoires dans le cadre de certaines formations professionnelles, et on pense aux IUT et aux BTS plus particulièrement, voire aux DESS.

Ces stages-là ne sont donc pas concernés par les propositions qui sont faites.

Troisième remarque, il y aurait un cadre national qui serait en quelque sorte rempli par des conventions passées entre chacune des universités et l'entreprise ou les entreprises.

Voilà quelques éléments qui peuvent nourrir notre discussion. Comment y réagissez-vous ?

M. Arnaud Hurel - J'ai une première question, même si elle est peut-être un peu provocante, mais quelle est la légitimité de M. Daniel Laurent pour faire ce genre de propositions ?

Ce sont des proposition très intéressantes, mais ce que nous aimerions, c'est qu'elles soient reprises par l'ensemble des intervenants, CNPF et ministère de l'éducation nationale compris.

M. le Président - On va voir ce que dit le ministre. Nous allons le recevoir.

M. Arnaud Hurel - Parce que nous n'avons pas de réponse très claire de son côté.

M. le Président - Le ministre répond après avoir beaucoup réfléchi, et je pense qu'il est en train de réfléchir.

J'ai même lu quelque part qu'il pourrait inclure ses propositions sur les stages dans le corps des propositions qu'il fera et qui découleront des états généraux de l'université.

M. Arnaud Hurel - C'est ce qu'il avait déjà dit en juin à la Sorbonne en parlant d'une réglementation des stages.

Je pense qu'il devrait le faire sur ce point, mais sur les stages diplômants, il va faire un effet d'annonce.

M. le Président - Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont vous voyez l'indemnisation de ces stages ? Si ces stages sont mis en place il y aurait bien une indemnisation.

Il faut bien entendu que l'étudiant continue à bénéficier de son statut d'étudiant et des "avantages" qui y sont attachés, mais je n'ai pas bien compris ce que vous avez dit sur les conséquences fiscales d'un tel statut.

M. Arnaud Hurel - Il n'y a pas de règles générales en ce qui concerne la rémunération, elle peut aller de 0 F. jusqu'à un salaire complet : l'entreprise a intérêt à accueillir un stagiaire qui ne lui coûte rien -il est d'autant plus intéressant qu'il ne coûte rien- et pour que ce coût soit le plus faible possible et se réduise à quelques avantages en nature dans l'entreprise, les participations aux frais de transport ou la restauration, l'entreprise ne doit pas dépasser un versement égal à 30% du montant du SMIC, ce qui lui permet de ne pas faire de déclaration, de ne pas acquitter de charges ...

M. le Président - Si l'indemnité est inférieure à 30% du SMIC, l'entreprise n'est pas soumise aux charges et l'intéressé n'est pas obligé de la déclarer ?

M. Arnaud Hurel - Exactement, ni de la déclarer ni de verser une quelconque cotisation. Donc l'étudiant bénéficie de la couverture de la sécurité sociale étudiante.

C'est un problème, en fait, parce que personne ne le sait et beaucoup d'administrations universitaires -c'est ce que je disais tout à l'heure en parlant de problèmes administratifs- ignorent ces possibilités.

Il y a des centaines de milliers de stages qui sont offerts chaque année aux étudiants, qui se passent dans de très bonnes conditions - là je parle d'étudiants dans les filières générales, qui ne sont pas astreints à des stages -et on n'en parle pas, mais on pourrait avoir encore plus d'étudiants effectuant ces stages s'il y avait une publicité faite dans les entreprises, et surtout dans les universités ainsi qu'une réglementation, pour que les choses soient claires dès le départ.

Il n'existe pas vraiment de convention de stage-type ; vous avez une feuille sur laquelle apparaissent quelques obligations, c'est-à-dire que les stagiaires doivent se soumettre aux règlements en vigueur dans l'entreprise, mais il n'y a pas de détails, on ne sait pas exactement quelles peuvent être les voies de recours pour les chefs d'entreprise en cas de problèmes avec les stagiaires, les voies de recours pour ces derniers. Il n'y a pas de véritable suivi prévu par cette convention de stage, tant du côté de l'entreprise que du côté de l'université. La réglementation et la publicité font défaut en cette matière.

Evidemment au delà de 30% du SMIC, c'est un choix fait par l'entreprise.

M. le Président - On a donc maintenant deux propositions de réglementation de stage, une qui émane de l'AFIJ et l'autre d'un cercle plus restreint d'organisations, elles-mêmes adhérentes à l'AFIJ. C'est bien cela ?

M. Arnaud Hurel - Il y a en fait deux positions tout à fait différentes puisque le texte signé par l'Union des cadres CGT, l'UNEF et l'UNEF-ID, qui est tout de même un document assez marqué, prévoit un minimum en matière d'indemnisation, un rôle accru de la part des comités d'entreprise et définit en fait un nouveau type de salarié dans l'entreprise ; on n'est pas salarié sous contrat de travail, on est stagiaire, mais avec des obligations très importantes de la part de l'entreprise à l'égard de l'étudiant. C'est une proposition tout de même très rigide dans son fonctionnement.

Le texte présenté par l'AFIJ est un texte beaucoup plus consensuel parce que les gens qui l'ont signé prennent en compte politiquement, et techniquement s'agissant des mutuelles, des considérations très différentes.

C'est d'ailleurs ce qui a prévalu lors de la création de cette association, à savoir la nécessité d'aider à l'insertion professionnelle des jeunes diplômés.

C'est un texte a minima.

M. le Président - C'est une information intéressante que vous nous donnez là.

M. Robert Castaing - Vous avez beaucoup insisté sur le problème du volontariat. Est-ce que vous ne craignez pas a priori que pour les formations générales, pour lesquelles effectivement cette intégration paraît particulièrement souhaitable, surtout - je vais me répéter, mais c'est ainsi - dans les grandes régions rurales, où il n'y a pas d'offres tellement nombreuses, on ne va pas créer une sorte de dichotomie, puisqu'il y aura des gens qui auront des stages et d'autres qui n'en auront pas ?

C'est donc une inégalité fondamentale et est-ce que les jeunes qui ne disposeront pas de ce " vade-mecum " ne vont pas être au départ handicapés pour la recherche d'un emploi ?

M. Arnaud Hurel - Cette inégalité existe déjà, en fait, en matière de stage comme en matière de cursus, puisqu'un même DEUG obtenu dans une université X et dans une université Y n'a pas du tout la même valeur aux yeux des chefs d'entreprise ; l'inégalité existe également entre les étudiants qui peuvent financièrement traverser la France pour poursuivre d'autres types d'études.

Cependant, le caractère obligatoire des stages ne résoudrait strictement rien ; au contraire, cette obligation s'ajouterait à des cursus parfois déjà très chargés, et c'est ce que je vous disais tout à l'heure, ni les entreprises ni les administrations, que ce soit dans les zones rurales ou dans les zones très urbanisées ou industrialisées, ne seraient capables d'accueillir chaque année le million et demi d'étudiants que nous avons à l'université.

M. le Président - Est-ce qu'à votre avis les PME peuvent organiser elles aussi des stages et participer à cette action si elle est lancée ? Est-ce que c'est souhaitable ?

M. Arnaud Legros - Je voudrais revenir sur la question précédente. En fait je pense qu'il y a quand même une motivation de l'étudiant pour suivre un stage qui serait intégré dans sa formation.

L'objectif c'est que l'étudiant puisse effectivement obtenir le DEUG complet, avec l'envie de construire, ce qu'on appelle à l'heure actuelle, un "projet professionnel".

M. Arnaud Hurel - C'est pour cela que nous faisons la proposition, que nous sommes d'ailleurs les seuls à faire, d'intégrer dans le stage cette nouvelle organisation universitaire, en donnant une deuxième chance aux étudiants motivés : ceux-ci pour différentes raisons, soit très personnelles, soit parce qu'ils n'arrivent pas à suivre un rythme universitaire, vont faire le choix d'essayer de rattraper leur échec en faisant un stage, en le faisant valider, ce qui leur permettrait de reprendre pied dans un cursus universitaire classique.

L'intérêt de cette nouvelle organisation des stages, c'est de donner cette deuxième chance, et pas uniquement en faisant faire à l'étudiant un nouveau semestre auquel il a échoué peut-être déjà deux ou trois fois, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas les capacités requises.

C'est pour cela que nous essayons de prendre le problème différemment.

M. le Président - Est-ce qu'il ne revient pas aux universitaires de définir les publics qu'ils considèrent prioritaires pour ces stages ? Est-ce que ce n'est pas à l'université de dire : nous donnons priorité précisément aux jeunes qui sont en difficulté ou en situation d'échec ?

M. Arnaud Hurel - Je suis entièrement d'accord avec vous. Mais les universités ne sont pas capables juridiquement, et n'ont pas la motivation nécessaire de s'adapter à une réalité professionnelle et à un marché de l'emploi, soit local soit national.

Il faut savoir que dans une université, à la fin de l'année civile, aucun président n'est capable de dire combien il a d'étudiants dans son établissement.

Il y a une méconnaissance de la population étudiante de la part de l'administration et aussi parfois, malheureusement, de la part de pas mal d'enseignants, qui est dramatique.

M. Daniel Eckenspieller - Nous avons procédé ce matin à trois auditions, dont celle de M. Laurent. Nous avons bien compris que vous contestiez la légitimité de son initiative et de son point de vue.

Ceci étant, on peut quand même constater pour le moins qu'il est prêt à la discussion et à la réflexion auxquelles nous nous livrons.

Par delà les critiques sur sa légitimité il serait donc important pour nous que l'on sorte de cette matinée de discussion en sachant quelles sont les critiques de fond que vous faites par rapport aux propositions qui ont été énoncées par M. Laurent.

M. Arnaud Hurel - Il y a une critique sur le plan de la légitimité qui est tout de même assez accessoire, mais il y a une critique de fond : les textes successifs de M. Daniel Laurent ne se ressemblent absolument pas. C'est tellement mouvant qu'on ne sait plus où il en est.

Le premier texte qu'il a diffusé concernait les élèves du secondaire, les étudiants du supérieur, ainsi que des jeunes qui sont en situation d'échec, des diplômés, des étudiants qui sont en cours de cursus.

Cela concernait un public tellement vaste, qu'il était évident qu'on ne pouvait pas se rallier à ce qu'on ne peut même pas appeler une proposition, mais plutôt une tentative personnelle pour faire parler de lui, hélas ! Mais si maintenant il a un autre projet, sa légitimité devient plus importante.

Il faudrait savoir si c'est le projet du CNPF ou celui d'Axa.

M. le Président - On peut considérer aussi que le débat a été lancé et que, même s'il ne s'est pas déroulé dans des conditions absolument satisfaisantes, il a quand même déjà quelque peu eu lieu, ne serait-ce que par voie de presse. L'auteur de la proposition a recalibré son affaire, mieux défini sa proposition, en a limité l'ambition et l'on arrive maintenant à quelque chose de sensiblement différent, en effet, de ce qui avait été initialement envisagé.

C'est vrai que j'ai moi-même, dans d'autres instances, entendu Daniel Laurent expliquer que cela pouvait concerner le secondaire, que les stages pouvaient se situer au terme d'une formation, avant l'entrée dans la vie active, mais nous avons maintenant quelque chose de sensiblement différent.

M. Arnaud Hurel - C'est pour cela que je ne retenais que les propositions de M. Gandois.

M. le Président - D'accord, on comprend mieux.

M. Jean-Pierre Camoin - Je reprends la question que vous avez posée, Monsieur le Président, et à laquelle on n'a pas répondu, qui est celle des PME, parce qu'à la fin de la matinée je commence à être très inquiet de voir l'évolution de ce projet. J'ai l'impression que les stages ne concernent que de très grosses entreprises et accessoirement, cela a été évoqué ce matin, les entreprises qui ne font pas partie du secteur concurrentiel, en clair les administrations, les collectivités territoriales etc ...

Or, on sait très bien que l'avenir en terme d'emplois n'est pas dans ce type d'entreprise, ni dans les collectivités territoriales où tout le monde dit qu'il va falloir maîtriser les dépenses publiques.

Les grandes entreprises également, qui tendent à rentabiliser leurs méthodes de production, ont plutôt tendance à supprimer des emplois qu'à en créer.

En fait on sait que le gisement principal d'emploi est dans les PME, et j'ai l'impression que ces PME sont complètement ignorées pour ces stages. Qu'en pensez-vous ?

M. Arnaud Hurel - Nous avons exactement la même analyse, mais les faits démontrent le contraire puisque la quasi totalité des stages qui sont faits à l'heure actuelle par des étudiants des filières générales sont faits dans des PME et non pas dans des grandes entreprises, sauf exception et notamment pour des procédés de fabrication ou des types d'activité spécifiques.

M. le Président - Est-ce qu'on a des statistiques là-dessus ?

M. Arnaud Hurel - Non. C'est justement l'un des problèmes de la discussion sur les stages diplômants, c'est qu'on nous a annoncé : il y aura 150.000, 200.000, 300.000 stages ; lorsque nous avons rencontré le CNPF, on nous a dit : dans le meilleur des cas, nous proposerons 15.000 stages. J'aimerais savoir comment on peut imposer aux PME, qui accueillent la plus grande partie de ces stagiaires, de prendre des stagiaires et pour quelles raisons.

Il est évident qu'on peut le faire auprès des administrations, ce qui posera d'ailleurs des problèmes de statut, auprès de grandes entreprises du secteur non concurrentiel, mais auprès des PME en aucun cas. On ne peut pas chiffrer une telle mesure. On offre un cadre juridique au développement des stages, un cadre aux entreprises pour accueillir de manière plus naturelle et beaucoup plus facile les stagiaires mais on ne peut pas décréter la création de 200 ou 300.000 stages. C'est un effet d'annonce.

M. le Président - Vous parlez des administrations. On peut très bien imaginer, en effet, qu'elles participent à cette action nationale si action nationale il y a. Le problème principal sera celui de l'indemnisation, et non pas celui du statut, parce qu'il arrive que des administrations publiques reçoivent des stagiaires ; ceux-ci garderont leur statut d'étudiant et ils ne seront pas fonctionnaires stagiaires, mais étudiants en stage dans une administration ou une collectivité territoriale. Leur indemnisation reste une difficulté dans cette hypothèse.

M. Arnaud Hurel - Je parlais de problème de statut. Je suis étudiant en thèse mais je suis en même temps fonctionnaire, puisque je suis ingénieur d'étude au Muséum d'Histoire naturelle, et dans notre établissement, qui est un grand établissement de recherche, coexistent des titulaires de doctorat qui sont employés dans le cadre d'un contrat emploi-solidarité, des gens qui viennent bénévolement parce qu'ils veulent garder un contact avec la recherche. Il y a tout de même un problème de statut, et si en plus on fait venir des stagiaires...

M. le Président - Vous voulez dire que l'on va accroître la disparité ou la diversité des situations ?

M. Arnaud Hurel - C'est évident.

M. le Président - Messieurs, je vous remercie.

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