IV. ENCEPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE (ESB)

· RENCONTRE AVEC UNE DELEGATION DE LA COMMISSION TEMPORAIRE D'ENQUETE DU PARLEMENT EUROPEEN EN MATIERE D'ENCEPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE

Le mardi 22 avril 1997, la délégation a entendu, en commun avec la commission des affaires économiques et du plan, une délégation de la commission temporaire d'enquête du Parlement européen sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).

M. Jacques Genton , président, rappelle tout d'abord que la crise dite de la vache folle a suscité une très vive émotion et qu'il est nécessaire d'en tirer les conséquences pour l'avenir. Saluant le travail accompli par la commission temporaire d'enquête du Parlement européen, il souhaite que les membres de la délégation de cette commission évoquent en particulier trois thèmes :

- les dysfonctionnements du processus communautaire de décision mis en évidence par l'affaire de la vache folle ;

- les mesures nécessaires pour assurer l'avenir de la filière bovine et restaurer la confiance des consommateurs ;

- enfin, les priorités sanitaires que l'Union européenne doit prendre en considération, alors même que les Etats-Unis les considèrent comme un instrument du protectionnisme.

M. Manuel Medina Ortega (Espagne, groupe du parti des socialistes européens), rapporteur de la commission temporaire d'enquête du Parlement européen, rappelle tout d'abord que cette commission a accompli un travail important pendant plus de cinq mois. Evoquant les dysfonctionnements institutionnels révélés par la crise de la vache folle, il précise que le comité scientifique consultatif a fonctionné de manière peu transparente. Il souligne que la " comitologie ", c'est-à-dire l'ensemble des comités composés de représentants des Etats et chargés d'assister et d'encadrer la Commission européenne dans l'exécution des décisions, ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Il indique que la commission d'enquête a demandé la création d'une instance commune au Parlement européen et à la Commission européenne afin de contrôler la mise en oeuvre des mesures recommandées dans le rapport et fait valoir que le Parlement européen, pour sa part, instituera prochainement une commission de suivi des résultats de la commission d'enquête.

M. Manuel Medina Ortega insiste sur la nécessité de garantir la transparence des débats au sein des comités scientifiques consultatifs et note que les commissaires européens ont eu tendance à atténuer les conclusions des scientifiques afin de préserver le marché communautaire de la viande. Il préconise ensuite le renforcement des mécanismes communautaires de contrôle et d'inspection ainsi que la mise en place rapide d'une agence européenne d'inspection vétérinaire et phytosanitaire. Cette agence serait compétente pour l'ensemble des contrôles phytosanitaires, de santé animale, d'hygiène alimentaire et de sécurité, enfin de qualité des aliments. Elle devrait avoir des contacts étroits avec les administrations nationales de la santé.

M. Manuel Medina Ortega souhaite alors que le traité sur l'Union européenne soit modifié afin que la base juridique permettant une action communautaire en matière de santé publique soit renforcée. L'article 129 constitue en effet une base trop faible et l'article 43 relatif à la politique agricole commune ne constitue pas le cadre approprié pour traiter des questions relatives à la santé animale et à la qualité des aliments. Tous les actes pris dans le domaine de la politique agricole devraient l'être en utilisant la procédure de co-décision et, dans l'attente d'une modification du traité en ce sens, il conviendrait que tous les problèmes de santé animale et de qualité et de sécurité des aliments soient traités en utilisant comme base juridique l'article 100 A du traité, qui implique la mise en oeuvre de la procédure de co-décision. La Commission devrait en outre proposer l'élaboration d'une directive-cadre sur le droit alimentaire européen.

M. Manuel Medina Ortega préconise ensuite la création d'une unité de protection de la santé humaine et animale, qui devrait veiller à la coordination des compétences et serait responsable des mesures prises en matière de droit alimentaire, de qualité et d'hygiène des aliments, de protection de la santé humaine et de la santé animale. Il souhaite que les questions relatives à la protection de la santé ne soient pas, au sein de la Commission européenne, traitées par des directives soumises à la pression de certains intérêts économiques.

Abordant la question de l'avenir de la filière bovine, M. Manuel Medina Ortega souligne que le Gouvernement britannique doit éradiquer la maladie et soumettre un programme d'abattage conforme aux conclusions du Conseil européen de Florence. Il estime qu'il est indispensable de mettre en place un système fiable d'enregistrement et de certification des animaux et observe que le seul moyen de rétablir la confiance dans la filière bovine est d'apporter toutes les garanties nécessaires en matière de santé publique. Il fait enfin valoir que la Commission européenne devrait présenter d'urgence un système harmonisé de certification de la viande.

Evoquant alors le respect des priorités sanitaires européennes, M. Manuel Medina Ortega observe que cette tâche incomberait à l'unité administrative de protection de la santé animale et humaine dont la commission d'enquête a recommandé la création.

Mme Aline Pailler (groupe de la gauche unitaire européenne) indique tout d'abord que son groupe a souhaité mettre l'accent, au sein de la commission d'enquête, sur l'information et la transparence nécessaires en matière de santé publique ainsi que sur le droit à la santé des citoyens. Elle rappelle que le Parlement européen a, dès 1990, attiré l'attention de la Commission européenne et du Conseil sur le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine, mais que la Commission et les Gouvernements n'ont réagi qu'en mars 1996.

Mme Aline Pailler souligne ensuite que la Commission européenne a privilégié le bon fonctionnement de la politique agricole commune et surtout l'instauration du marché unique plutôt que la santé publique. Elle observe que la commission d'enquête a formulé de graves critiques à l'encontre de la Commission européenne et s'étonne que, dans ces conditions, le Parlement européen n'ait pas voté la censure de la Commission. Elle précise que son groupe a voté la censure, mais que celle-ci n'a pas été votée du fait de l'opposition des deux grands groupes du Parlement européen, le groupe du parti des socialistes européens et le groupe du parti populaire européen. Elle en déduit qu'il est nécessaire de renforcer l'indépendance du Parlement européen et estime en outre que l'indépendance des scientifiques doit également être assurée au sein des instances auxquelles ils participent.

Evoquant les accusations de protectionnisme formulées par les Etats-Unis à l'égard des priorités sanitaires européennes, Mme Aline Pailler souligne qu'un problème identique s'est posé à propos de la directive Télévision sans frontières, les Etats-Unis assimilant toute volonté d'exercer un contrôle à du protectionnisme. Elle estime que, malgré les apparences, les Etats-Unis pratiquent également dans bien des domaines le protectionnisme. Elle regrette, dans ces conditions, que la Commission européenne ait décidé l'importation du maïs transgénique.

Mme Aline Pailler souligne alors qu'une part des responsabilités de la crise de la vache folle incombe à la Commission présidée par M. Jacques Delors, mais que l'audition de ce dernier a été refusée par la commission d'enquête malgré la demande de son groupe. Elle estime que, pour l'avenir, les syndicats, les organisations professionnelles et les associations de défense des consommateurs devraient jouer un rôle de surveillance et de prévention. Elle se déclare en revanche un peu pessimiste quant à l'amélioration du fonctionnement des institutions et regrette l'arrogance de la Commission européenne qui jouit, dans le système actuel, d'une totale impunité.

M. Jean Huchon , président, notant le flou actuel sur cette question, interroge la délégation du Parlement européen sur l'état des connaissances scientifiques en ce qui concerne la transmission de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

M. Charles Descours souligne que la commission des affaires sociales du Sénat a souhaité réagir face à des affaires telles que la maladie de la vache folle, le sang contaminé ou les pathologies liées à l'amiante. Il précise qu'une proposition de loi tendant à redéfinir le contrôle sanitaire des produits de santé et des aliments sera prochainement déposée sur le Bureau du Sénat, notamment pour remédier à l'absence de liens entre les nombreux organismes compétents dans ces matières. Il souligne la nécessité absolue de séparer ce qui relève de la santé de ce qui relève de l'économie et indique que la proposition de loi qu'il déposera prévoira la création d'un institut chargé de coordonner les agences existantes et placé sous l'autorité du Premier ministre. Il fait enfin valoir qu'un organisme ne peut être à la fois distributeur d'un produit et contrôleur, ce qui est, aujourd'hui encore, le cas de l'Agence française du sang.

Concluant son propos, M. Charles Descours estime qu'en matière de santé publique, le principe de précaution doit prévaloir et qu'il convient de ne pas attendre qu'il y ait des morts pour agir, ce qui implique une réaction rapide des autorités politiques et administratives compétentes.

M. Emmanuel Hamel interroge Mme Aline Pailler sur les moyens de remédier, dans le cadre institutionnel actuel, à l'arrogance de la Commission européenne et sur les réformes qui devraient être menées dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.

M. Manuel Medina Ortega , répondant à M. Jean Huchon, rappelle qu'il est établi que la maladie de la vache folle était principalement due à la fabrication de farines obtenues à partir de carcasses de bovins et elles-mêmes destinées à l'alimentation des bovins. Dans certains troupeaux, une seule vache a été contaminée, ce qui s'explique par le fait que des produits d'origines diverses ont été mélangés sans qu'existe un système d'identification des produits utilisés. L'absence de chauffage suffisant des produits d'origine bovine a joué un rôle important dans le développement de l'épidémie. En revanche, certaines hypothèses actuellement formulées, comme la transmission de la maladie de la vache au veau ou la contamination par le lait ne font l'objet d'aucune certitude. De même, le lien entre l'encéphalopathie spongiforme bovine et la maladie de Creutzfeldt-Jacob n'est pas établi de manière certaine, malgré l'existence de soupçons graves.

M. Charles Descours estime alors que le meilleur moyen de protéger les producteurs de viande bovine est de donner aux consommateurs l'assurance que toutes les précautions nécessaires sont prises.

M. Roger Rigaudière observe que la France est allée très loin en matière de protection de la santé puisqu'elle a interdit l'utilisation des farines contenant des déchets à risques, contrairement à d'autres pays qui se sont contentés de prendre des mesures pour assurer un chauffage suffisant de ces farines.

M. Manuel Medina Ortega , revenant sur les responsabilités de la Commission européenne, estime que celle-ci a davantage fait preuve de faiblesse à l'égard du Gouvernement britannique que d'arrogance. Elle disposait en effet d'une base juridique suffisante pour agir vis-à-vis du Royaume-Uni dès 1989, mais ne l'a pas fait pour des raisons politiques. De son côté, le Gouvernement britannique a tout mis en oeuvre pour empêcher l'intervention de la Commission européenne. Dans ces conditions, il faut renforcer les pouvoirs juridiques de la Commission envers les Etats membres. Il n'aurait servi à rien de censurer la Commission présidée par M. Jacques Santer pour des faits imputables à la Commission précédente, présidée par M. Jacques Delors. Le véritable responsable de la crise est le Gouvernement britannique et il appartient au Parlement et au peuple de ce pays d'en tirer les conséquences.

Mme Aline Pailler conteste l'analyse de M. Manuel Medina Ortega en soulignant que la Commission européenne n'est pas un Gouvernement. Elle estime qu'il existe une continuité institutionnelle au niveau de la Commission européenne et que la censure aurait permis de montrer que cette institution n'est pas à l'abri d'un véritable contrôle de la part du Parlement européen. Elle maintient que la Commission européenne a fait preuve d'arrogance sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres et observe que dans certains domaines, comme celui des services publics, la Commission ne craint pas d'affronter ouvertement certains Etats membres. Elle rappelle que le Conseil détient également une part importante de responsabilité, dans la mesure où il aurait pu agir beaucoup plus tôt qu'il ne l'a fait. Elle s'inquiéte enfin des incertitudes qui subsistent en matière de transmission de la maladie et regrette l'insuffisance de la recherche, en particulier en France, sur l'encéphalopathie spongiforme bovine.

M. James Bordas évoque la directive 96/449 qui doit entrer en vigueur en avril 1997 et qui contient notamment des dispositions relatives à la réglementation des techniques de production de farines de viande et d'os. Il souhaite savoir si cette directive est conforme aux recommandations formulées par la commission temporaire d'enquête.

M. Manuel Medina Ortega répond que le Parlement européen a formulé dès 1993 des recommandations sur ce sujet et que la directive, adoptée trois ans plus tard, contient des dispositions proches des orientations défendues par le Parlement européen.

M. Jacques Genton , président, souligne alors l'intérêt de réunions conjointes de délégations du Parlement européen et des Parlements nationaux sur des sujets précis. Observant qu'on reproche fréquemment à l'Union européenne d'être éloignée des préoccupations quotidiennes, il estime que l'affaire de la vache folle doit servir de révélateur. Il rappelle que la délégation plaide depuis longtemps pour une association des Parlements nationaux à la vie des institutions communautaires.

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