EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 octobre, sous la présidence de M. Christian Poncelet, la commission des finances a examiné le rapport de M. Alain Lambert, rapporteur général, sur les propositions du groupe de travail sur la situation et les perspectives du système bancaire français.

Après avoir remercié ses collègues membres du groupe de travail pour leur participation active aux travaux de cette instance, M. Alain Lambert, rapporteur général , a rappelé que le groupe de travail avait tenu vingt-cinq auditions depuis sa création en janvier 1996, ce qui représentait environ une soixantaine d'heures de travail. Il a également précisé que le groupe de travail avait jugé utile de recueillir l'avis du Conseil de la concurrence et du Commissariat général au plan dont les contributions ont apporté un éclairage utile sur la situation du secteur bancaire.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a également rappelé la tenue, au printemps dernier, du colloque organisé par M. Philippe Marini sur la situation du secteur bancaire, qui a permis de dégager d'utiles enseignements.

Il a ensuite présenté les principales conclusions du groupe de travail.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a tout d'abord fait part à la commission des observations qu'appelait la situation du secteur bancaire.

A cet égard, il a indiqué que le système bancaire venait de traverser une crise d'une ampleur sans précédent qui, contrairement aux apparences, n'était pas achevée. L'ampleur de cette crise peut être appréciée, a-t-il dit, aussi bien au travers des indicateurs d'activité (bilans des établissements de crédit), que des indicateurs de résultat (produit net bancaire, résultat net, coefficient de rentabilité). En 1994, a-t-il souligné, et pour la première fois depuis que les statistiques bancaires existent, le produit net bancaire a diminué de 7,7 %. Cette même année, a-t-il ajouté, le résultat net de l'ensemble des banques accusait une perte de 11 milliards de francs. Il a reconnu que la situation s'était améliorée depuis 1995, les principaux établissements renouant avec les profits et que l'on pourrait en déduire, d'une part, que le pire était désormais passé et, d'autre part, que la crise était conjoncturelle. Il a ajouté que, malheureusement, il n'en était rien.

Il a indiqué qu'en effet, si l'on comparait les banques françaises à leurs concurrents internationaux, la situation demeurait au contraire très préoccupante. Selon lui, les établissements de crédit français, en situation de sous-rentabilité chronique, éprouvent des difficultés à rivaliser avec leurs concurrents étrangers. Reprenant les exemples fournis par le Commissariat général au plan, il a indiqué qu'avec 3,8 milliards de dollars de profit net, la Hong Kong and Shanghai Bank of China pouvait acheter avec moins de trois ans de profit la Société générale, avec moins de deux ans de profit, Paribas ou la BNP et, avec moins d'un an de profit, le Crédit Lyonnais. Il a encore indiqué que la banque britannique Barclays, qui a réalisé presque 2 milliards de dollars de profit en 1995, soit l'équivalent de la totalité des bénéfices des banques françaises cette même année, se trouvait dans une " situation stratégique potentielle équivalente ". Si l'évolution se poursuit dans ce sens, a-t-il souligné, on peut nourrir de vives inquiétudes quant à la capacité des établissements français à faire face au choc concurrentiel qui résultera de la mise en place de la monnaie unique.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite fait observer que notre pays n'était pas le seul à avoir connu une telle situation. Mais, il a ajouté que la France était le seul pays dans lequel la crise bancaire ne s'était traduite ni par une réduction du nombre des acteurs, ni par des licenciements significatifs, ni même par une réduction des moyens mis en oeuvre par les établissements de crédit.

A cet égard, il a fait observer que le nombre des banques commerciales était passé entre 1984 et 1994, de 349 à 412, ce qui représentait une augmentation de près de 20 % en dix ans, que les effectifs étaient restés quasiment stables sur la période, n'enregistrant qu'une faible baisse de 3 %, et que le nombre des guichets était resté quasiment inchangé, avec une diminution de seulement 1%.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué que, par contraste, les ajustements avaient été d'une grande ampleur et d'une grande rapidité dans les autres pays ayant connu une crise bancaire. Il a fait observer que dans ces pays la crise s'était traduite par des ajustements importants, tant en termes de nombre d'établissements bancaires qu'en termes d'effectifs, que des banques avaient été fermées ou vendues et que l'Etat avait bien souvent dû mettre " la main à la poche ". Dans tous les cas, a-t-il dit, la crise a été surmontée rapidement et les banques étrangères ont renoué avec les bénéfices depuis déjà quelques années.

Enfin, il a encore constaté qu'en France, tous les établissements de crédit n'ont pas traversé la crise de la même manière et a observé que celle-ci s'était accompagnée d'une importante redistribution des actifs et des parts de marché entre les différents réseaux. Selon lui, les banques commerciales ont en effet perdu du terrain, alors que les banques mutualistes ou coopératives ont continué d'accumuler parts de marché et bénéfices.

A l'issue de ce constat, M. Alain Lambert, rapporteur général, a posé deux questions :

- pourquoi certains établissements bancaires ont-ils mieux traversé la crise que d'autres ?

- pourquoi les systèmes bancaires qui ont également connu une crise, dans la période récente, se sont-ils rétablis plus rapidement que le système français ?

En réponse à ces deux questions, il a indiqué que l'analyse effectuée par le groupe de travail montrait que la crise du système bancaire français était essentiellement d'origine structurelle et que les distorsions de concurrence, même si elles n'avaient joué qu'un rôle macro-économique mineur, avaient conduit à une redistribution sectorielle importante des parts de marché qui expliquait, au moins en partie, la situation contrastée de notre système bancaire.

Puis, M. Alain Lambert, rapporteur général, a exposé les principales étapes du déroulement de la crise.

Il a expliqué que, dans une première étape, les réformes des années 80 avaient libéré des pressions concurrentielles d'une force et d'une ampleur sans précédent.

A cet égard il a rappelé brièvement les réformes et notamment, la banalisation, la désintermédiation et l'internationalisation qui ont rythmé la déréglementation du secteur bancaire.

Il a ensuite indiqué comment la concurrence s'était manifestée sur trois fronts : interne entre les établissements de crédit français, externe entre les établissements français et les établissements étrangers, notamment européens, et structurel, avec un recours sans cesse croissant au financement par les marchés financiers.

Selon lui, cette augmentation de la pression concurrentielle sur trois fronts, voire quatre, si l'on prend en compte l'importance du crédit interentreprises, aurait dû provoquer l'enchaînement suivant : l'augmentation de la concurrence aurait dû entraîner une baisse des prix qui aurait dû s'accompagner d'une diminution des marges. Il aurait dû s'ensuivre une réduction d'effectifs et la faillite des concurrents les plus faibles. Le secteur se serait progressivement restructuré par voie d'offres publiques d'achat ou de vente, de fusions ou de reprises. Un nouveau cycle d'expansion avec des créations d'emplois aurait pu enfin s'amorcer.

La crise du système bancaire, a-t-il indiqué, était donc à redouter dès la mise en place des réformes ; il s'agissait d'un phénomène naturel et prévisible tel que l'avaient connu, par exemple, le secteur des télécommunications ou celui des transports aériens aux Etats-Unis.

Pour M. Alain Lambert, rapporteur général , les ajustements induits, en termes de réduction d'effectifs ou de disparition des acteurs les plus faibles auraient pu intervenir de façon relativement indolore grâce à la forte croissance de la fin des années 1980. Mais, a-t-il fait observer, il n'en a rien été et le processus décrit a été enrayé au stade de la diminution des marges, en raison de blocages d'ordre législatifs ou réglementaires.

Il a indiqué que le premier de ces blocages résidait dans le mécanisme français de prévention des risques bancaires, unique en son genre, qui repose presque exclusivement sur l'article 52 de la loi bancaire et notamment son premier alinéa qui prévoit l'appel en comblement de passif des actionnaires de référence. Ce mécanisme, a-t-il dit, allié aux interventions financières, aussi répétées que massives, de l'Etat pour soutenir les banques en difficulté, s'est traduit par une certaine forme d'immortalité bancaire. L'entrée dans le système, a-t-il rajouté, était libre, alors que la sortie était administrée au compte goutte ; il ne pouvait en résulter que des surcapacités.

Il a indiqué que le second blocage résidait, notamment, dans la réglementation de la durée du travail, issue du décret du 31 mars 1937, et dans celle relative à la tarification des services. Ces réglementations ont introduit, selon lui, toutes sortes de rigidités qui ont empêché les banques, à défaut de pouvoir licencier, de s'ajuster, au moins, en faisant varier la durée du travail ou le prix des services.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite décrit la troisième étape : poussées par la concurrence et dans l'impossibilité de procéder aux ajustements nécessaires, les banques, a-t-il dit, ont commis des erreurs de gestion et se sont lancées dans une concurrence destructrice, qui s'est manifestée, notamment, par des ventes à perte.

Il a fait observer que les erreurs de gestion aussi bien stratégiques -comme la banque industrie à la française à laquelle toutes les banques ont rêvé- que tactiques -comme l'aveuglement collectif sur l'immobilier- ont affecté, selon lui, aussi bien les banques publiques que les banques privées.

Enfin, M. Alain Lambert, rapporteur général, a fait observer que, dans la dernière étape de ce processus, des facteurs aggravants étaient intervenus qui ont révélé l'ampleur de la crise.

Il a fait remarquer qu'en premier lieu, le retournement conjoncturel de 1993, en augmentant le nombre de défaillances des PME, avait durement affecté les banques intervenant dans ce secteur.

Il a ensuite indiqué que la politique monétaire n'avait pas particulièrement contribué au redressement des banques : avec une courbe des taux inversée, puis insuffisamment pentue, il a été difficile à celles-ci de faire de la " transformation ", à l'instar de leurs consoeurs américaines.

Enfin, il a fait remarquer que la fiscalité spécifique du secteur bancaire, supportable en période d'expansion, s'était révélée particulièrement pénalisante en période de crise et ne contribuait pas au développement de l'emploi dans ce secteur.

Abordant le sujet des distorsions de concurrence, qui constituent la seconde partie de l'analyse du groupe de travail, M. Alain Lambert, rapporteur général, a tenu à indiquer d'emblée que, selon toute vraisemblance, ces distorsions n'expliquaient pas, à elles seules, la mauvaise santé du secteur. En revanche, il a observé qu'elles étaient réelles et avaient contribué à une redistribution sectorielle qui, dans une situation difficile, les rendait insupportables à ceux qui n'en bénéficiaient pas.

Selon lui, ces distorsions peuvent être rangées en trois catégories : tout d'abord, celles liées au monopole de la distribution de certains produits d'épargne ou de dépôts : distribution des livrets d'épargne défiscalisés, mais aussi collecte des dépôts des notaires en milieu rural ; ensuite, celles liées à la nature juridique des intervenants, ce qui renvoyait au problème du statut des Caisses d'épargne et à celui de La Poste, et, enfin, celles résultant de l'application discriminatoire de dispositions législatives ou réglementaires. Il a rangé dans cette dernière catégorie la fiscalité -application à certaines institutions et pas à d'autres de telle ou telle taxe- et la législation du travail, qui se traduit par un assujettissement des banques commerciales au décret de 1937, alors que les autres établissements de crédit n'y sont pas soumis.

Il a indiqué que, sur toutes ces questions, qui, a-t-il reconnu, revêtent un fort contenu passionnel, le groupe de travail avait jugé bon de recueillir l'avis de la l'institution, a priori la mieux à même de dire le droit : le Conseil de la concurrence. Rapportant les conclusions de cette institution, il a fait savoir à la commission que, pour le Conseil de la concurrence, la majeure partie de ces distorsions constituaient des " restrictions injustifiées de concurrence " et seraient donc susceptibles de constituer des infractions au droit communautaire ou national.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite présenté les principaux axes de réforme préconisés par le groupe de travail.

Il a indiqué qu'il convenait, tout d'abord, de mettre fin aux rigidités et blocages de tous ordres. Dans cette perspective, il conviendrait, en premier lieu, d'autoriser la tarification des chèques et la rémunération des dépôts, tout en prenant des mesures d'accompagnement en faveur des consommateurs, notamment les titulaires de petits comptes. Il serait souhaitable également de clarifier le coût des missions de service public liées à la tenue des comptes bancaires. En second lieu, il a indiqué que le groupe de travail recommandait d'abroger le décret du 31 mars 1937 et de le remplacer par un régime conventionnel dont la négociation devrait se faire, selon lui, au niveau de l'Association française des établissements de crédits.

Toujours pour mettre fin aux blocages, M. Alain Lambert, rapporteur général, a déclaré qu'il convenait de réduire les coûts de la législation consumériste et, notamment, de se pencher sur le cas particulier des remboursements anticipés dont il serait souhaitable de modifier le calcul de l'indemnité de remboursement, tout en prévoyant des mesures plus favorables qu'aujourd'hui pour les emprunteurs contraints à de tels remboursements.

Enfin, M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué qu'aux yeux du groupe de travail, il convenait de moderniser la fiscalité bancaire et, notamment de réformer la taxe sur les salaires de façon à en supprimer les effets nuisibles sur l'emploi et d'abroger la contribution des institutions financières.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite indiqué que le deuxième axe de réforme préconisé par le groupe de travail consistait à harmoniser les conditions d'exercice du métier bancaire.

A cet égard, il a déclaré qu'il serait souhaitable de généraliser de façon directe et complète la distribution des livrets défiscalisés, en réservant toutefois les appellations " livret A " et " livret bleu " à leurs distributeurs actuels.

Cependant, M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué qu'il était indispensable de prendre des précautions consistant, notamment, à définir une échéance de cinq ans avant de réaliser la banalisation, à envisager un commissionnement différencié selon les réseaux et l'encours des livrets et enfin, à placer l'affectation des ressources au logement social sous la protection du législateur.

Ces mesures supposent, a indiqué M. Alain Lambert, rapporteur général, de redéfinir, au préalable, le rôle et le statut des Caisses d'épargne et de La Poste.

A cette fin, il serait nécessaire, selon lui, d'autoriser les Caisses d'épargne à offrir l'ensemble des services bancaires, et de régler le problème de la propriété des Caisses d'épargne en favorisant l'émergence d'un statut coopératif. A ce sujet, M. Alain Lambert, rapporteur général, a proposé de prévoir des modalités de passage au statut coopératif qui intéressent l'Etat et les collectivités locales. Il a rappelé la phrase du ministre des finances en fonction à l'époque de la loi de 1990 selon laquelle " les Caisses d'épargne appartiennent à la Nation ". Il est temps, a-t-il conclu, d'en tirer les conséquences.

S'agissant de La Poste, M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué qu'il convenait de cantonner les services financiers de cet établissement à leurs activités actuelles sans toutefois les restreindre pour des raisons tenant à l'aménagement du territoire. Il faudrait également, a-t-il dit, identifier précisément les comptes respectifs des services du courrier et des services financiers par une comptabilité analytique, voire par une filialisation comme dans de nombreux Etats de l'Union européenne. Par ailleurs, il a fait part du souhait du groupe de travail de conduire progressivement la Poste vers une fiscalité de droit commun. Enfin, M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué qu'il serait souhaitable de faire de La Poste un établissement de place pour les activités qu'elle ne réalise pas pour compte propre, telles que l'octroi de crédit.

Toujours afin d'harmoniser les conditions d'exercice du métier bancaire, M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué que le groupe de travail avait considéré comme opportun de soustraire le dépôt des notaires à la concurrence et d'en confier la collecte au réseau du Trésor (Trésor public, Poste, caisse des dépôts et consignations), faute de pouvoir réunir des conditions de sécurité satisfaisantes en cas de multiplication des dépositaires.

Enfin, M. Alain Lambert, rapporteur général, a déclaré qu'il fallait également envisager de poursuivre la banalisation des crédits réglementés. Il s'agirait en particulier d'envisager la distribution universelle des derniers crédits réglementés, tout en ménageant les transitions nécessaires, en distinguant, par exemple, la commercialisation de la gestion.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a ensuite indiqué que le troisième et dernier axe de réforme retenu par le groupe de travail consistait à changer la politique bancaire de l'Etat. S'agissant du système de prévention des crises bancaires, il a indiqué que le groupe de travail souhaitait voir cesser les recapitalisations-perfusions récurrentes des établissements non viables. A cet égard, il a indiqué qu'il serait souhaitable de changer la doctrine d'utilisation de l'article 52, premier alinéa, de la loi bancaire et de ne plus utiliser l'appel aux actionnaires de référence de façon systématique et privilégiée. L'Etat devrait également reconsidérer sa doctrine de recapitalisation systématique des banques publiques et opter plus souvent pour la fermeture ou la vente.

Dans le même ordre d'idées, M. Alain Lambert, rapporteur général, a indiqué que le groupe de travail avait estimé utile de proposer une modification de la loi bancaire afin de sanctionner, par un retrait partiel d'agrément, les établissements qui ont bénéficié de mécanismes de solidarité et de garantie des dépôts (article 52 alinéa 2 et article 52-1 de la loi bancaire).

S'agissant de la politique de l'Etat-banquier, M. Alain Lambert, rapporteur général, a recommandé d'achever la privatisation du secteur bancaire public concurrentiel. Il a également indiqué qu'il serait souhaitable de supprimer toute influence de l'Etat sur la direction et la gestion des établissements de crédit concurrentiel. Par ailleurs, il a fait observer qu'il conviendrait d'identifier, après consultation de la place, les missions de service public du crédit que l'Etat doit conserver. Enfin, il a indiqué que le groupe de travail avait manifesté son souhait de voir gérer, de façon dépolitisée, les instruments aux mains de l'Etat, tels que les taux d'intérêt administrés.

Un débat nourri s'est alors engagé auquel ont participé MM. Joël Bourdin, Jacques Chaumont, Marc Massion, Paul Loridant, Yann Gaillard, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Henri Torre, Claude Belot, Philippe Adnot, Emmanuel Hamel, Philippe Marini et Christian Poncelet, président.

M. Joël Bourdin
s'est déclaré surpris que le rapport du groupe de travail se focalise à ce point sur les Caisses d'épargne et La Poste.

Il a par ailleurs regretté que la part de responsabilité du Trésor et de l'administration en général dans la crise bancaire ne soit pas suffisamment mise en avant.

S'agissant des propositions du groupe de travail, il s'est déclaré fermement opposé à la banalisation du livret A. Il a considéré qu'une telle banalisation n'était pas possible. Il s'est, en outre, déclaré profondément déçu qu'un rapport sur les banques ne porte, en définitive, que sur La Poste et les Caisses d'épargne.

M. Jacques Chaumont s'est déclaré, pour l'essentiel, favorable aux conclusions du rapport du groupe de travail. Toutefois, il a fait valoir que la crise du secteur bancaire était avant tout la crise de la " nomenklatura " formée par la haute administration des finances. Pour lui, les inspecteurs des finances ont fini par former une " clique " qui " s'auto-protège ". Afin de mettre fin à cette situation, il a estimé qu'il était nécessaire d'instituer un " cordon sanitaire " entre la haute administration et la haute finance par une réglementation plus sévère du " pantouflage ". Il a également fait remarquer que les banques qui ont le mieux réussi sont celles qui n'ont pas pour seule logique le profit et qui sont contrôlées par leurs "adhérents" comme les banques mutualistes.

Enfin, M. Jacques Chaumont a indiqué qu'il convenait de conserver présent à l'esprit le souci de l'aménagement du territoire. A cet égard, a-t-il dit, ou bien la Poste devient une banque, ou bien l'Etat doit lui donner des moyens budgétaires. Mais, a-t-il ajouté, la situation actuelle n'est pas satisfaisante.

M. Marc Massion a interrogé le rapporteur général sur le contenu qu'il entendait donner à la filialisation de La Poste. Il a exprimé la crainte d'un démantèlement du service public à la française.

M. Paul Loridant a salué la qualité des travaux menés par le groupe de travail. Il s'est déclaré en faveur de l'abrogation du décret de 1937, mais à condition que cela ne se fasse pas par " ukase ", et en prenant en compte le dialogue social. Il s'est, en revanche, déclaré totalement opposé à la modification de la loi Scrivener et au démantèlement de la législation consumériste, notamment en ce qui concerne la réglementation du remboursement anticipé des crédits. A cet égard, il a déclaré que la gestion actif-passif permettait déjà aux banques qui savent le faire de se garantir, de façon satisfaisante, contre les demandes de renégociation des prêts. S'agissant de la banalisation du livret A, il a indiqué que cette évolution se traduirait par une diminution du rôle social des Caisses d'épargne et de La Poste. Enfin, il a déclaré que le " métier de collecte des dépôts " qu'exerçait La Poste était radicalement différent de celui de distributeur du crédit et qu'il fallait s'attendre à de nouvelles catastrophes si on autorisait l'exploitant public à exercer ce métier.

M. Yann Gaillard a apporté son soutien aux travaux du groupe de travail. Il a indiqué que la question posée était fondamentale : existera-t-il demain un système bancaire français capable de se projeter à l'extérieur ? Il a souhaité qu'on ne se réfugie pas dans un " culte de l'exception française ". Toutefois, il a partagé l'agacement de ses collègues quant à la responsabilité dans la crise bancaire de la direction du Trésor, de l'inspection des finances et des dirigeants bancaires en général. Il a en outre indiqué que l'aspect " contrôle des banques " avait fait l'objet des travaux de la commission des finances de l'Assemblée nationale et que le groupe de travail avait souhaité respecter cette division parlementaire du travail. A cet égard, il a indiqué que le mécanisme de prévention des risques bancaires n'avait été envisagé qu'en raison de ses effets structurants sur l'économie du secteur.

S'agissant de l'aménagement du territoire, M. Yann Gaillard a déclaré qu'il était nécessaire de trouver un équilibre entre cet objectif et la nécessité d'assurer une concurrence saine et loyale. S'adressant à M. Joël Bourdin, il a fait observer qu'il était nécessaire de régler une fois pour toutes la question des distorsions de concurrence mises en avant, en partie à tort, en partie à raison, par l'Association française des banques (AFB), il est vrai d'une manière " agaçante, contre productive et parfois pleurnicharde ".

Mme Maryse Bergé-Lavigne a déclaré que si ce rapport pouvait apparaître comme une " machine de guerre " contre La Poste, le secteur mutualiste ou les Caisses d'épargne, elle n'en voterait pas les conclusions.

M. Henri Torre a déclaré que l'équilibre financier de La Poste posait un problème, mais que, dans une situation de surbancarisation, il n'était pas sain de lui permettre de s'équilibrer en exerçant des activités marchandes.

M. Claude Belot a déclaré avoir été agacé par la " complainte " des banquiers de l'AFB. Sa conviction est que le problème du secteur bancaire n'est ni général, ni structurel, et que sans la faillite du Crédit lyonnais, il n'aurait pas été nécessaire de créer un groupe de travail. Il a encore indiqué que le problème n'était pas de maintenir ou de supprimer un privilège à La Poste ou aux Caisses d'épargne et que les banques commerciales n'échapperaient pas, de toutes façons, à la concurrence étrangère. Il a indiqué que le seul vrai problème était celui de l'aménagement du territoire et que la banque était un service public. Enfin, il a fait remarquer que la suppression du privilège des Caisses d'épargne, viderait la France d'une présence bancaire indispensable au regard de l'impératif de l'aménagement du territoire, sans pour autant résoudre les problèmes des banques commerciales.

M. Philippe Marini a souhaité rendre hommage au travail réalisé par le président du groupe de travail, M. Alain Lambert, sur un chemin semé d'embûches. Il a encore fait remarquer qu'à cet égard, il n'était assurément pas facile de dégager une doctrine autonome de la commission des finances dans un domaine où les groupes de pression étaient très présents et où toute prise de position risquait d'être mal interprétée.

Il a ensuite fait observer que poursuivre devant la justice les dirigeants de certaines banques, aussi utile que fût cette action, ne résoudrait pas le problème de la compétitivité de nos banques au moment de la mise en place de l'Euro. A compter du 1 er janvier 1999, a-t-il déclaré, la question sera de savoir comment le système bancaire français affrontera la compétition internationale ? Comment les banques françaises feront-elles face aux tentatives de prise de contrôle, qui ne seront pas forcément amicales, de la part des autres banques européennes ?

A partir du moment, a-t-il ajouté, où l'on a accepté la monnaie unique, le problème pour l'Etat est de mettre ses entreprises en " ordre de bataille ". Or, a-t-il encore indiqué, c'est bien la responsabilité de l'Etat que d'affirmer des objectifs, de définir une stratégie et de faire prévaloir l'intérêt général.

De ce point de vue, il s'est estimé au regret de constater que, jusqu'à présent, l'Etat avait eu une attitude de " Ponce Pilate " à l'égard du secteur bancaire. Il ne s'est pas déclaré fâché que le rapport soit plus critique vis-à-vis de l'attitude de la haute administration bien que ce durcissement ne change rien à l'analyse.

S'agissant des Caisses d'épargne et de La Poste, il a souhaité que la commission des finances fasse preuve d'une attitude valorisante et constructive, car c'est une grande force pour la France que de disposer d'un secteur mutualiste en bonne santé. De ce point de vue, il a souhaité rendre un hommage appuyé aux gestionnaires des banques mutualistes, aux " gens prudents " des Caisses d'épargne, à " l'imagination " des gestionnaires du Crédit agricole et à la " pugnacité " de La Poste. Sur ce dernier sujet, il s'est déclaré choqué que l'absence d'une comptabilité analytique appropriée empêche de prendre la mesure des activités financières de l'établissement public.

Il a encore indiqué que, selon lui, ne parler que des distorsions de concurrence relevait d'une optique malthusienne et que, de ce point de vue, l'Association française des banques pouvait avoir une attitude aussi malthusienne que les autres réseaux.

Il a encore indiqué que la force du Sénat était de pouvoir inscrire sa réflexion dans le long terme, sans être complaisant vis-à-vis de personne.

M. Maurice Blin a rappelé que la tonalité qui prévalait, il y a douze ans, était radicalement différente. Il y avait à l'époque, a-t-il expliqué, un vrai optimisme qui contrastait avec le pessimisme ambiant. Il a indiqué que les hommes politiques qui avaient voté la loi bancaire étaient loin d'imaginer les folies spéculatives des banques. Il a estimé que le procès à instruire devait être celui de l'Etat actionnaire et gestionnaire. Il a souligné que nous étions aujourd'hui face à un secteur en détresse et a constaté que certains dirigeants bancaires avaient prouvé leur incapacité, voire dans certains cas leur " indignité ", à assumer leurs fonctions, mais que d'autres, au contraire, avaient " très bien travaillé ".

M. Emmanuel Hamel a indiqué qu'il fallait éviter d'apparaître adhérer aux thèses des banques AFB, qui essaient de se disculper sur les autres réseaux des erreurs qu'elles ont elles-mêmes commises.

M. Philippe Adnot s'est déclaré convaincu qu'on ne pouvait pas réduire les problèmes actuels du système bancaire à l'existence de La Poste et qu'il ne pourrait pas affronter un rapport préconisant la banalisation du livret A.

M. René Ballayer a souhaité rendre hommage à la qualité des travaux du groupe présidé par le rapporteur général.

En réponse aux intervenants, M. Alain Lambert, rapporteur général, s'est déclaré surpris qu'on puisse penser que le groupe de travail ait pu relayer les préoccupations de tel ou tel groupe de pression. Il a encore indiqué que si le Sénat et sa commission des finances avaient bridé leurs réflexions dans la crainte d'apparaître comme les porte-parole de l'AFB, l'analyse de la situation et des perspectives du secteur bancaire aurait été " réductrice ", incomplète et, en définitive, inutile.

Il a indiqué que l'administration portait des responsabilités incontestables dans la crise du secteur bancaire mais que pour autant, consacrer 120 pages sur le sujet ne résoudrait en rien les problèmes actuels. Il a souhaité que l'on se tourne plutôt vers l'avenir.

S'agissant de l'immobilier, M. Alain Lambert, rapporteur général, a reconnu que des fautes réelles avaient été commises par les banques et qu'un certain " panurgisme " existait dans le domaine.

En réponse à M. Marc Massion , il a indiqué que la filialisation de La Poste, proposée par le groupe de travail, n'avait qu'un but comptable.

En réponse à M. Paul Loridant , il a rappelé le coût des remboursements anticipés et de la renégociation des crédits : 20 milliards de francs entre 1986 et 1988, 8 milliards de francs en 1994 et 12 milliards de francs pour l'Etat au titre des prêts d'accession à la propriété (PAP).

S'agissant de la capacité de La Poste à distribuer du crédit, il a convenu qu'il fallait être prudent, et que le groupe de travail ne proposait pas d'élargir les possibilités actuellement reconnues à cet établissement.

En réponse à Mme Maryse Bergé-Lavigne , il a indiqué que le rapport ne pourrait en aucun cas être assimilé à une " machine de guerre " contre La Poste et les Caisses d'épargne.

En réponse à M. Emmanuel Hamel , il a indiqué que la sagesse permanente du Sénat saurait prévaloir et que les propositions du groupe de travail étaient équilibrées, les sénateurs sachant mieux que quiconque l'importance qu'il convenait d'attacher à l'aménagement du territoire. Mais il a rappelé que les propositions du groupe de travail se voulaient tournées vers l'avenir.

La commission a alors adopté les conclusions du groupe de travail et décidé de les faire publier sous la forme d'un rapport d'information.

CONTRIBUTIONS

DE CERTAINS MEMBRES DE LA COMMISSION

Philippe ADNOT

Sénateur de l'Aube

Membre de la Commission des finances

Président du Conseil général

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Paris, le 30 octobre 1996



Monsieur le Président,

Je vous confirme, par la présente, le soutien que j'apporte au rapport de M. Alain LAMBERT, rapporteur général, sur les propositions du groupe de travail sur la situation et les perspectives du système bancaire en France.

Si je ne peux que saluer l'important travail de synthèse et de concertation effectué, je tiens à souligner que j'ai voté en faveur de ce texte sous réserve que figure, dans ses annexes, mon intervention contre la banalisation du Livret A.

Je considère, en effet, que cette dernière n'est pas nécessaire à l'équilibre financier des banques (la meilleure preuve en est qu'en 1990 leur situation excédentaire se situait autour de 18 milliards, soit 8 milliards de plus que leurs homologues allemandes), équilibre qu'elles peuvent aisément retrouver en apurant leurs comptes liés à l'immobilier et en réduisant leurs frais de gestion.

Par contre, il est clair que si l'on prive la Poste de son principal produit, qui crée un différentiel déterminant en sa faveur, elle n'aura plus les moyens d'assurer convenablement sa mission en territoire défavorisé ainsi que son rôle social, ce qui serait dramatique en termes d'aménagement du territoire.

Je souhaite donc que soit bien portée en annexe du rapport ma prise de position, et, vous en remerciant par avance,

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments les plus distingués et dévoués.

Philippe ADNOT

Monsieur Christian PONCELET

Sénateur des Vosges

Président de la commission des finances

PALAIS DU LUXEMBOURG

Joël BOURDIN
Sénateur de l'Eure
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Paris, le 31 octobre 1996



Le rapport, dont je n'ai malheureusement eu qu'une présentation orale, en séance de commission, pour autant qu'il soit bien charpenté et ait été l'objet d'un intense travail auquel je rends hommage, recueille néanmoins un vote défavorable de ma part qui tient à la doctrine qu'il sous-entend, à la méthode qui l'oriente, et à la spécificité de ses conclusions.

La doctrine qui l'inspire est celle d'un libéralisme originel tel qu'ont pu l'imaginer les penseurs anglo-saxons du siècle passé. La volonté d'établir une concurrence pure et parfaite transpire.

Alors que personnellement je ne suis pas un adversaire du libéralisme, j'observe :

1. Que le système bancaire français ne s'est, historiquement, jamais épanoui dans un cadre concurrentiel parfait et qu'il a même été très performant, dans les années 60 et 70, alors même qu'il bénéficiait d'une garantie publique avérée ;

2. Que l'évolution d'un système économique vers plus de concurrence fait toujours le lit des entreprises les plus puissantes ;

3. Que le système bancaire français fragilisé, en raison des propres erreurs de gestion de ses dirigeants, ne résisterait pas à un degré supplémentaire de libéralisme, en laissant le champ libre aux grandes banques étrangères.

En clair, profiter d'une période d'affaiblissement de nos banques afin de les soumettre à une plus vive concurrence ne me paraît pas opportun.

Quant à la méthode d'analyse choisie, elle consiste à privilégier une approche comptable sur une recherche des causes de l'évolution récente et peu encourageante de notre système bancaire.

La crise des établissements bancaires et financiers n'était pas inscrite dans un destin inéluctable. Il n'y a pas eu de fatalité dans cette affaire.

Le système n'était pas mauvais en soi : il a été dévoyé par des hommes, des équipes d'hommes.

Or, d'une certaine manière, j'ai l'impression que la philosophie du rapport tient en ces quelques mots : des équipes d'hommes, n'ont pas su gérer le système bancaire, il est donc urgent de changer le système.

Je ne suis pas d'accord avec cette orientation, même si des retouches doivent être apportées au mode de fonctionnement de nos banques. Tant qu'on n'aura pas compris et admis que c'est le mode de désignation des dirigeants de nombreuses banques, les processus décisionnels utilisés, et le système de contrôle mis en oeuvre qui sont en cause dans ce domaine, on n'aura pas cheminé réellement vers l'étape opérationnelle qui nous permettra d'améliorer le dispositif.

Une étude plus approfondie des causes aurait sans doute permis d'infléchir l'éventail des propositions sur cet aspect certes délicat mais incontournable du mode de désignation des élites bancaires.

On comprendra dès lors que j'exprime ma surprise en constatant que dans les orientations proposées on privilégie des mesures contraignantes pour les banques mutualistes, les Caisses d'épargne et la Poste.

Voilà des établissements bancaires originaux, qui ont une vocation sociale ; qui participent activement à l'aménagement du territoire en maintenant des agences dans nos campagnes et dans des quartiers difficiles, en dépit parfois de leur rentabilité ; qui de tout temps ont comblé les lacunes du système bancaire classique ; qui ne se sont pas laissés entraîner par la folie spéculative à laquelle ont succombé de grandes banques ; qui ont continué, vaille que vaille, leur expansion quand d'autres sombraient dans le déficit. Ô surprise, la grande réforme institutionnelle proposée pour corriger les dérives du système bancaire classique concerne ces modestes établissements.

Manifestement nous bénéficions là d'une version financière moderne de la célèbre fable de La Fontaine "Les animaux malades de la Peste".

C'est au titre des distorsions de concurrence qu'est proposée la banalisation des livrets A et Bleu. Or, à cet égard, j'ai plusieurs observations à faire :

1. Quelle est l'incidence des distorsions de concurrence dues au Livret A et Bleu sur les difficultés ou la disparition de quelques banques (Crédit Lyonnais, SMC, BTP, Hervet etc. ?). Est-on sûr que la thérapie proposée est adaptée au mal bancaire français ? Comme le disait Bernard Esambert, Président de la banque Arjil, le 3 septembre à l'AGEFI "à les écouter (les banques françaises) les difficultés sont dues, dans une large mesure, à un phénomène de distorsion de concurrence. Il faudrait qu'elles balayent un peu devant leurs portes".

2. Le livret A et le livret Bleu occupent une place de plus en plus modeste dans les encours d'épargne des ménages, qui désormais sont placés sur des produits distribués par l'ensemble des banques (CODEVI, LEP, Livret Jeunes, Épargne Logement, Assurance vie...). Si le livret A pour les Caisses d'épargne et la Poste et le livret Bleu pour le Crédit Mutuel sont essentiels à leur image, leur banalisation n'entraînerait qu'une infime influence sur la rentabilité des banques commerciales.

3. La distribution des livrets A et Bleu par le canal des bureaux de Poste, des agences de Caisse d'Épargne et du Crédit Mutuel relève de la politique d'aménagement du territoire, laquelle demeure une priorité du Gouvernement.

Qu'il y ait nécessité de modifier les statuts des Caisses d'Épargne, certainement. Mais franchement ce n'est pas un enjeu approprié à la crise que subit notre système bancaire. On ne traite pas un phénomène en réglant un épiphénomène. J'ai, en fait, la désagréable impression d'un dispositif peu adapté à la réalité, l'étendue, la gravité et la spécificité du mal bancaire français.

Notre système bancaire est comme un cancéreux affligé d'un rhume des foins. On peut toujours lui recommander de se moucher, cela lui donnera sans doute passagèrement satisfaction, on ne l'aura pas guéri pour autant.

Joël BOURDIN
Sénateur de l'Eure

Jacques CHAUMONT
Sénateur de la Sarthe
--- ---

Paris, le 31 octobre 1996



En 1990, le bénéfice net global cumulé des cinq principaux groupes bancaires français était de 18,5 milliards de francs. Ce résultat était obtenu dans des conditions de concurrence avec les banques mutualistes et coopératives, la Poste et la Caisse d'Épargne, identiques aux conditions actuelles.

Cela suffit à réduire à néant les analyses de l'AFB sur les causes de l'actuelle crise bancaire.

Cette crise n'a touché que les banques AFB. Aussi, est-il étonnant que ces banques offrent comme explication à leurs déboires non leur goût immodéré pour la spéculation immobilière mais les supposés privilèges des autres organismes bancaires. Ces privilèges, si privilège il y a, existaient en 1990.

L'AFB s'honorait en reconnaissant les prodigieuses erreurs de gestion commises par quelques-uns des membres les plus prestigieux de cette Association.

En fait, cette crise bancaire n'est qu'un des aspects visibles de la crise de la nomenklatura française. Le problème posé est de protéger la société française et le contribuable contre cette nomenklatura.

Ceci appelle quelques solutions simples :

1. Les dirigeants des banques doivent à l'avenir être des banquiers de profession, ayant une longue expérience de la banque et non des nomenklaturistes venus d'ailleurs. Ceci implique :

a) La stricte application des règles sur le pantouflage et, en particulier, l'interdiction à un fonctionnaire d'entrer dans une entreprise qu'il a pour mission de contrôler avant une période de cinq ans après l'achèvement de cette mission.

b) En raison des relations " incestueuses " 127( * ) entre pantouflant, pantouflé, pantouflard, pré-pantouflard et post-pantouflard, le contrôle des banques ne peut plus être exercé par ceux qui en ont actuellement la charge. Cette mission pourrait être confiée aux Magistrats de la Cour des Comptes, juridiction qui est un des trésors de nos institutions.

2. Le secteur coopératif et mutualiste n'a pas connu de crise. Il serait judicieux de favoriser plus encore son développement.

Ses millions de sociétaires répartis dans des milliers de caisses locales exercent un contrôle permanent sur les dirigeants de caisses locales, régionales et nationale. Le principe de solidarité interne est, du reste, une forte incitation au contrôle.

Ces structures proches de la base sous-tendent, par ailleurs, une conception de l'Homme et de la Société qu'il convient de préserver.

3. Les Caisses d'épargne ont augmenté leurs bénéfices et leurs effectifs. Il convient donc de maintenir ce réseau et le privilège du livret A, mais en imposant aux Caisses d'épargne l'obligation de maintenir un réseau dense de guichets de proximité.

Si les Caisses d'épargne réduisaient leur réseau, il est clair que la banalisation du livret A devrait devenir la règle.

4. La Poste

L'engagement solennel pris par le Président de la République de conserver le caractère spécifique de la Poste, agent de l'aménagement du territoire, implique la poursuite des activités financières de la Poste dans leur cadre actuel.

Conclusion : La crise bancaire ne peut être réglée en affaiblissant les banques qui n'ont pas commis d'erreurs de gestion.

Celles des banques AFB qui ont été mal gérées auraient dû payer leurs erreurs. Tel n'est pas le cas.

Mais il convient que de tels errements ne se reproduisent plus. La solution la plus juste, la plus équitable et la plus salutaire est de confier désormais la gestion des banques à des banquiers.

Jacques CHAUMONT
Sénateur de la Sarthe

Philippe MARINI
Sénateur de l'Oise
Maire de Compiègne
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Paris, le 31 octobre 1996



Je souscris totalement aux orientations et conclusions de ce rapport, où l'on s'est efforcé de développer une approche équilibrée et réaliste du devenir de notre système bancaire et financier. Au sein de celui-ci, les groupes d'assurance mutualiste ou coopérative ont pris une place croissante, en raison tout à la fois de l'efficacité de leurs implantations, du dynamisme de leur gestion, mais aussi des pertes de fonds propres constatées par les banques commerciales.

L'un des problèmes les plus cruciaux, aujourd'hui, est de savoir tirer parti, au bénéfice de l'ensemble du secteur financier, des résultats ainsi acquis. L'évolution du Crédit Agricole montre que cette voie est possible et fructueuse. La question est de savoir si ce modèle peut être suivi, à bref délai, par l'institution des Caisses d'épargne.

A l'occasion des réflexions récentes sur le devenir du groupe CIC, j'ai eu l'opportunité de développer quelques idées sur la nécessaire réforme des Caisses d'épargne. Je crois utile de les joindre, à titre de document de travail, assurément très imparfait, au rapport excellemment conçu et présenté par M. Alain Lambert.

RÉFORME DES CAISSES D'ÉPARGNE
ET RESTRUCTURATION
DE L'APPAREIL BANCAIRE FRANÇAIS

I - LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME

Grâce à la loi de 1983, qui a ouvert leurs instances vers l'extérieur, grâce à l'extension, grâce à la restructuration très profonde du réseau conduite en 1991, les caisses d'épargne ont considérablement amélioré leur productivité, sont devenues un acteur significatif en matière de distribution de produits d'épargne autres que le livret A, auprès d'une très large clientèle populaire, ont fait preuve d'un réel dynamisme commercial, et constituent aujourd'hui un groupe aux assises solides, doté de près de 60 milliards de francs de fonds propres. Cette situation suscite des jalousies, de la part de ceux qui estiment que la situation présente résulte essentiellement des distorsions de concurrence créées par l'Etat, ainsi que des caractères propres du réseau des caisses d'épargne, dont les fonds propres sont en auto-contrôle, et ne subissent aucune contrainte de rémunération. Mais le vrai enjeu n'est pas à mes yeux celui-là. Il est de savoir quelles doivent être les orientations stratégiques et les ambitions de ce groupe financier, dont l'image est excellente auprès de la population, et qui a les moyens d'une réelle croissance externe.

Aujourd'hui les caisses d'épargne ont des forces, que je viens de rappeler, mais aussi des faiblesses ;

- il est vrai que leur situation juridique nécessite une clarification, car elles n'appartiennent ni au monde capitaliste, ni au monde mutualiste ;

- le réseau ne dispose pas de l'instance stratégique qui lui est indispensable, car son centre national demeure essentiellement un organe de tutelle administrative et de surveillance, tandis que la caisse centrale, dont il a depuis peu la majorité, vit encore en symbiose très étroite avec la caisse des dépôts ;

- l'assainissement du paysage bancaire français impose à l'évidence un décloisonnement des circuits d'épargne, et donc une banalisation du livret A, perspective à la fois nécessaire et troublante pour les caisses d'épargne, si elle remet en cause les ressorts de leur profitabilité.

Pour résoudre ces problèmes, une loi est indispensable, en ce qui concerne le mode d'appropriation des fonds propres, mais elle doit être accompagnée de la définition claire d'un cadre stratégique valant engagement contractuel de l'Etat, lequel a le devoir, à maints titres, d'intervenir : en tant que régulateur du système financier, mais aussi en tant que responsable de la politique économique, et encore en tant que propriétaire de la caisse des dépôts ou actionnaire de plusieurs entreprises demeurées jusqu'ici publiques.

II - L'OPPORTUNITÉ DE CETTE RÉFORME

Celle-ci, à mon avis, est double :

- d'un côté, la compétitivité du système bancaire français est une question majeure et les mauvais résultats, comme la mauvaise image des banques, portent préjudice à l'emploi, à l'investissement des entreprises et plus généralement à la prise de risques économiques dans notre pays ; il est impératif de changer les comportements et de redynamiser tout ce secteur ;

- d'autre part, l'Etat doit résoudre, à bref délai, la question de la privatisation du groupe CIC, les offres des repreneurs éventuels étant attendues pour le tout début de juillet ; or, il existe aujourd'hui un risque tout à fait réel pour le GAN, et donc pour l'Etat, de ne pas obtenir le prix escompté, tout en devant accepter, selon les formules étudiées, soit une prise de contrôle du groupe CIC par une institution financière étrangère, soit une forte perte de substance des banques régionales qui constituent ce groupe.

En effet, le prix de vente du CIC, s'il n'atteint pas la valeur comptable de celui-ci dans les comptes consolidés du GAN, provoquera une perte de quelques milliards de francs, au préjudice de ce dernier, et sera un handicap supplémentaire pour la privatisation du GAN.

Paradoxalement, en raison de la détention partielle du contrôle du CIC par la société GAN-vie, et au niveau des comptes sociaux de celle-ci, un profit significatif sera enregistré par les assurés, et viendra par conséquent accroître la perte pour l'Etat...

Si l'opération de cession du CIC se fait au profit d'une banque commerciale existante, la Société Générale ou la BNP par exemple, les réseaux étant le plus souvent en concurrence directe, une réduction importante des effectifs et des moyens s'ensuivra, et l'on assistera donc à une conséquence étonnante : la quasi disparition d'un groupe bancaire dont la rentabilité est redevenue correcte (du fait de l'Etat), alors que le même Etat réalise dans le même temps des efforts très onéreux pour maintenir artificiellement en survie des institutions financières qui demeurent fortement déficitaires en exploitation, telles que le Crédit Lyonnais, le CEPME ou la Société Marseillaise de Crédit...

Bien sûr, et avant d'envisager une acquisition par la caisse centrale des caisses d'épargne du contrôle du réseau CIC, il faut savoir répondre à deux questions essentielles :

1. Existe-t-il une réelle complémentarité de fonds de commerce entre le CIC et les caisses d'épargne ?

2. Les caisses d'épargne sont-elles capables, et dans quelles conditions, de gérer une telle mutation ?

Sur le premier point, l'analyse montre :

- qu'il est opportun, dans l'intérêt de l'économie, de "brancher" un réseau régional de banques dont la part de marché est significative en matière de crédit aux entreprises, sur l'un des réseaux français les plus puissants de collecte de ressources auprès des particuliers ;

- que, d'un côté comme de l'autre, l'identité régionale est forte ;

- que des partages de marchés peuvent intervenir à certaines rectifications de frontières près, entre les banques régionales du réseau CIC et les caisses d'épargne correspondantes ;

- que leurs forces conjuguées s'avèreront extrêmement efficaces en matière de distribution de produits d'épargne, et en particulier d'assurance-vie et de gestion de capitaux à long terme.

En ce qui concerne le second aspect, il est clair que trois préalables devront être levés :

- la redéfinition de la nature juridique des caisses les conduisant progressivement à rémunérer leurs fonds propres à des conditions normales ;

- leur adaptation économique, là encore progressive, et sur quelques années, à la perspective de banalisation du livret A ;

- la création d'un organe stratégique central qui soit aux caisses d'épargne ce qu'est aujourd'hui aux caisses régionales de crédit agricole la CNCA.

III - LE CONTENU DE LA RÉFORME SOUHAITABLE

Je pars du principe qu'une telle réforme doit valoriser et mobiliser les caisses d'épargne. Je constate également que celles-ci ont une image très spécifique et très positive dans la population et qu'il importe avant tout de la préserver et de la mettre en valeur. Je formule deux axes de propositions :

- En premier lieu, une fraction, représentant par exemple un montant global de l'ordre de 15 milliards de francs, des fonds propres des différentes caisses d'épargne, serait répartie sous forme de parts sociales, entre les mains des déposants ; en assemblée générale, et selon le principe mutualiste, chaque déposant ne disposerait, quel que soit le montant de ses avoirs, que d'une seule voix ; ces parts sociales seraient dans un premier temps échangeables entre les sociétaires au sein de l'ensemble du réseau, ce qui ferait apparaître progressivement une certaine valeur de marché des caisses ; la rémunération de ces capitaux serait formée de deux éléments, une part fixe en pourcentage de la valeur nominale et un intérêt variable selon le résultat ; à moyen terme, la rémunération variable progresserait par rapport à la rémunération fixe.

- En second lieu, les instances centrales du réseau seraient renouvelées, dès la promulgation de la loi, et la caisse centrale prendrait immédiatement ou progressivement, selon le choix du Gouvernement et les contraintes en la matière, son indépendance stratégique et technique, par rapport à la caisse des dépôts et consignations ; en cas de prise de contrôle du réseau du CIC, la caisse centrale deviendrait la maison mère de deux ensembles, les caisses d'épargne d'un côté, et les banques régionales du CIC de l'autre, chacune de ces entités conservant sa personnalité propre ; enfin on veillerait à composer les instances de la caisse centrale de manière à ce que les deux réseaux puissent bien être représentés, et surtout de façon à susciter une bonne compréhension mutuelle et un enrichissement de l'un par l'autre.

Tels sont les aspects à traiter par la loi et, simultanément à celle-ci et de manière indissociable, un "contrat" serait passé avec l'Etat, et réglerait les aspects suivants :

- l'objectif de banalisation du livret A, à terme de cinq ans par exemple, serait affirmé ;

- en contrepartie, les caisses d'épargne réaliseraient l'acquisition du CIC auprès du GAN, à la valeur comptable du CIC dans les comptes consolidés du GAN ;

- pendant la période de transition qui nous sépare de la banalisation complète du livret A, la rémunération des fonds propres des caisses d'épargne progresserait de manière à atteindre un taux de marché ; cette évolution pourrait se faire à la fois par l'accroissement de la part variable visée ci-dessus, et par la distribution aux déposants de fonds propres supplémentaires par rapport aux 15 milliards de francs évoqués à titre d'exemple plus haut.

Ainsi, on verrait émerger un groupe financier qui, au terme de la période transitoire, serait totalement immergé dans la compétition internationale, et qui deviendrait un pôle essentiel du système financier français.

IV - LES EFFETS À ATTENDRE DE LA RÉFORME

Il est aisé de les prévoir :

- les déposants des caisses d'épargne, c'est-à-dire 30 millions de titulaires de livrets, seraient associés au développement du nouveau groupe, ce qui serait peut-être de nature à changer l'image aujourd'hui ingrate et défavorable du système bancaire dans la population, et ce qui créerait de racines régionales profondes, tant pour les caisses d'épargne que pour les banques du réseau CIC ;

- le GAN pourrait être privatisé à bref délai, à condition bien entendu que soit arbitrée la question de la distribution d'assurance vie par les deux réseaux (il serait à mon avis préférable de mettre en place pour l'ensemble caisses d'épargne et CIC un accord de distribution de produits du GAN, la caisse nationale de prévoyance gardant de son côté des liens identiques avec le réseau de la Poste) ;

- la question lancinante des distorsions de concurrence dans le système bancaire français serait enfin réglée par l'affirmation d'une volonté claire de l'Etat, et les querelles franco-françaises en ce domaine prendraient fin ; enfin et surtout, l'émergence du groupe caisses d'épargne-CIC aurait un effet structurant sur l'ensemble du système financier français et entraînerait des réactions en chaîne dans le sens de l'assainissement et de la rationalisation de ce dernier.

En quelque sorte, il est proposé ici de mettre en oeuvre une réforme qui aurait sur le secteur financier des conséquences assez analogues à celles qui vont être engendrées par la restructuration des industries de défense en ce qui concerne de larges pans de notre économie productive.

Philippe MARINI
Vice Président de la
Commission des Finances
du Sénat

Groupe Socialiste
--- ---

Paris, le 4 novembre 1996

OBSERVATIONS PRESENTÉES PAR MME MARYSE BERGÉ-LAVIGNE, MM. JEAN-PIERRE MASSERET ET ALAIN RICHARD POUR LE GROUPE SOCIALISTE

______

Les membres socialistes du groupe de travail entendent préciser leur désaccord sur l'analyse des causes de la crise bancaire et sur les propositions qui sont présentées dans le rapport du groupe de travail.

Si beaucoup de banques françaises AFB sont, aujourd'hui, dans une situation difficile, ce n'est pas par des mesures visant à fragiliser les réseaux mutualistes, coopératifs et les caisses d'épargne que les réponses utiles seront trouvées.

Les difficultés des banques AFB ont pour partie une explication dans l'atonie de l'économie française étouffée par les choix politiques des gouvernements de droite. A ces considérations de politique générale s'ajoutent des erreurs de choix stratégique opérées, notamment, dans l'immobilier.

La distorsion de concurrence entre banques AFB et réseaux mutualistes, coopératifs et les caisses d'épargne ne saurait expliquer les difficultés de l'industrie bancaire française, dès lors que ces distorsions jouent dans les deux sens.

Si la restructuration du système bancaire est nécessaire, et personne ne le conteste, la réussite de cette réforme ne peut se faire au détriment de certains de ses acteurs qui doivent conserver leurs spécificités. Le système bancaire français doit rester multiforme. C'est dans ce cadre que les réformes susceptibles d'améliorer sa compétitivité doivent être réfléchies, engagées et réussies.

A cet égard, les choix de sortie de crise proposés par le rapport sont critiquables :

- En premier lieu, le rapport pousse à une déréglementation du travail impliquant une régression de grande ampleur de la situation des salariés et une perte de protection pour les consommateurs.

Revenir sur des éléments-clés du droit du travail serait grave pour la situation des salariés. Si l'on estime que le décret de 1937 relatif aux horaires de travail est pénalisant pour les entreprises, il est nécessaire de mener une négociation préalable à sa révision. La méthode proposée, c'est à dire l'abrogation de ce décret, rendra impossible la réalisation d'un accord équilibré, satisfaisant pour tous.

Par ailleurs, il est anormal de contester le droit du consommateur à rembourser son prêt par anticipation, sans indemnité. Ce droit, qui est la contrepartie du taux fixe et de la différence évidente d'expertise entre les co-contractants, n'est guère susceptible d'abus.

- Le rapport recommande, en outre, une banalisation injustifiée de certains produits spécifiques, en particulier le livret A.

Les fonds collectés sur ce livret sont essentiels puisqu'ils permettent le financement du logement social. La baisse de taux, décidée par le gouvernement, a entraîné sur ce produit, en 1996, une décollecte de 80 milliards de francs, dangereuse pour le logement social. L'extension du livret A aux banques AFB risquerait d'accroître cette tendance. En effet, dans le but d'améliorer leur rentabilité, elles inciteraient leurs nouveaux clients à transférer leurs fonds du livret A vers d'autres produits sur lesquels leur marge est plus élevée. Donc, même avec une affectation obligée au logement social, le livret A banalisé ne serait sans doute plus en mesure d'assurer l'équilibre de ce secteur.

En outre, si le rapport se prononce, à juste titre, pour le maintien des activités financières de la Poste, la banalisation du livret A entraînerait assurément une baisse de son volume d'activité et remettrait en question son réseau, dans les zones rurales et les quartiers en difficulté, d'où les banques commerciales sont absentes. La banalisation aurait également des incidences néfastes pour la politique d'aménagement du territoire et viendrait contredire les engagements du gouvernement en la matière.

- Enfin, si la préconisation d'un compte distinct pour les activités financières de la Poste peut être retenue, l'idée de la filialisation ne peut s'analyser que comme une étape vers la privatisation et le démantèlement des réseaux. Le rapport se prononce en effet, en principe, en faveur de la privatisation intégrale du réseau bancaire. Les membres socialistes du groupe de travail, soucieux d'améliorer l'efficacité de l'Etat actionnaire, ne tirent pas des privatisations passées, la conclusion que l'actionnariat privé garantit des résultats supérieurs et restent fortement attachés à la notion de service public et d'intérêt général.

Conforter la situation de certains acteurs du monde bancaire, en en pénalisant d'autres, faire porter le poids des restructurations sur les salariés et les clients, notamment les plus modestes, ne constitue pas une approche constructive et saine pour aborder les problèmes posés. Ce n'est pas dans cette optique que se situent les socialistes.

Maryse Bergé-Lavigne
Sénateur de la Haute-Garonne

Jean-Pierre Masseret
Sénateur de la Moselle

Alain Richard
Sénateur du Val d'Oise

COMMISSION DES FINANCES

Paul LORIDANT
Sénateur de l'Essonne
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Paris, le 4 novembre 1996



Le secteur bancaire français est incontestablement dans une situation difficile et le présent rapport de la commission des finances du Sénat a le mérite d'en faire l'analyse. Toutefois, je ne saurais en partager toutes les conclusions et préconisations.

Je partage l'idée qu'il faudrait aujourd'hui revoir le décret de 1937 sur l'amplitude horaire du travail des salariés des banques AFB. Toutefois, j'insiste sur le fait que dans ce domaine, la négociation s'impose entre les partenaires sociaux. La voie a été ouverte dans ce domaine par différents établissements bancaires. Je considère que les évolutions en ce domaine dépendent pour l'essentiel de la qualité du dialogue social.

La banalisation de la distribution du livret A et du livret bleu préconisée dans le rapport me laisse perplexe. Le livret jeunes, récemment mis au point par les pouvoirs publics, a montré que les banques AFB n'ont su tirer profit de façon significative de sa banalisation dans la distribution de ce produit d'épargne. Les emplois adossés au livret A sont essentiellement tournés vers le financement du logement social dont les besoins sont plus que jamais nécessaires. Il me paraît impensable de revenir sur cet usage privilégié des fonds collectés par ce livret. Au demeurant, les dérives constatées dans un précédent rapport de la commission des finances du Sénat (rapport Arthuis, Marini, Loridant) sur l'usage des fonds CODEVI renforcent mes réticences à la banalisation préconisée. Je considère que le maintien des modes de distribution du livret A devrait avoir pour contrepartie une obligation de présence des Caisses d'épargne et de la Poste dans les zones rurales ou urbaines peu prisées par le secteur bancaire. Les exemples abondent de retraits de guichets dans des villes de banlieue jugées "difficiles" ou dans des "pays" atteints par une certaine désertification. A mes yeux, cette présence relève d'une mission de service public dont la France n'a pas à rougir.

Cette position me conduit à préconiser la consolidation des services financiers de la Poste dont le rôle essentiel est de collecter de l'épargne, métier qu'elle sait bien exercer. En revanche, je suis plus circonspect sur l'opportunité de distribution de crédits par les mêmes services, sauf à créer une banque postale soumise aux mêmes obligations légales et réglementaires que le reste du système bancaire. C'est en effet une activité à hauts risques qui requiert un strict contrôle des pouvoirs publics et une technicité certaine.

Enfin, je ne partage absolument pas l'orientation du présent rapport sénatorial concernant la remise en cause de la "loi Scrivener" permettant aux particuliers de rembourser de façon anticipée les prêts souscrits. Curieusement, les banques, si soucieuses de bénéficier de conditions banalisées de concurrence, supportent mal d'être ainsi soumises à cette règle, à l'initiative des souscripteurs d'emprunts. Il me paraît contraire à l'évolution consumériste de notre société que de limiter le droit à remboursement anticipé moyennant paiement d'une indemnité légale au plus à 3 % du capital restant dû. En ce domaine, ne faut-il pas considérer que la France est en avance par rapport aux autres pays de l'Union économique et monétaire ? Est-ce vraiment insupportable de donner, de fait, la possibilité aux consommateurs de renégocier les conditions de leurs prêts ? J'y vois plutôt un élément d'équilibre dans les rapports entre les banques et leurs clients. De plus, il faut tenir compte de l'émergence depuis une dizaine d'années, dans le bilan des banques, de ce qu'on appelle la gestion "actif-passif" qui permet aux établissements de travailler en permanence la structure de leurs ressources, de faire des arbitrages en fonction de la structure de leurs emplois. A titre d'exemple, à quoi aurait-il alors servi d'introduire la technique de la "titrisation" dans le système bancaire français ?

En conclusion, je tiens à souligner l'excellent esprit d'équipe qui a animé ce groupe de travail sénatorial... même si, à l'évidence, il reste des points de désaccord.

Paul Loridant,

Sénateur de l'Essonne

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