3. Intervention de M. François Ailleret, Directeur général d'EDF

M. François Ailleret . - Mesdames, Messieurs, peut-être certains d'entre vous sont-ils étonnés de voir EDF, entreprise publique nationale qui a une image fortement hexagonale, s'exprimer dans une réunion internationale. Depuis des années, EDF a une stratégie de développement international en Europe, mais aussi dans de nombreux pays en cours de développement économique. Quoi de plus naturel, lorsque l'on sait que les grands investissements électriques des 25 ans à venir se situeront à 80 % dans l'ensemble constitué par l'Asie et l'Amérique Latine. La voie est toute tracée pour les pays qui veulent garder une industrie électrique, dans le peloton de tête, au niveau mondial.

Pour l'électricité, l'Inde est le deuxième marché potentiel mondial après la Chine. Ce pays a pris conscience, au début des années 90, de l'inadéquation de ses structures pour engager un développement économique soutenu. Le pays s'est donc engagé dans une politique d'ouverture, associée à un programme de restructuration de son secteur public, en particulier, du secteur de l'électricité.

Quelques années après le lancement de cette politique d'ouverture, les résultats sont mitigés dans le domaine électrique. Un intérêt certain du monde des investisseurs s'est exprimé, mais sur plus de 200 accords de principe signés pour des projets de production d'électricité, un seul a été jusqu'au bout de la course d'obstacles, avec beaucoup de difficultés.

Incontestablement, l'administration indienne a tiré des leçons de l'expérience de ces quelques années et on peut aborder l'avenir avec une certaine dose d'optimisme sur la réalité du marché indien du secteur électrique.

Le contexte général est plutôt favorable avec une croissance de la demande soutenue ; une inflation qui n'est pas très loin d'une inflation à un chiffre, ce qui, au niveau mondial, n'est pas mal ; un secteur privé dynamique, en pleine expansion, et qui s'intéresse aux évolutions du secteur électrique ; une politique économique confirmée pas le gouvernement nouvellement élu ; et une priorité donnée aux infrastructures -M. Riboud vient de le souligner- et cela concerne l'électricité.

Il y a cependant quelques problèmes majeurs qu'il ne faut pas sous-estimer et qui requièrent un engagement politique fort de la part de l'Inde : faible niveau de qualification -et l'électricité est un métier de plus en plus technique- ; un secteur public pléthorique, inefficace ; et une dualité du pouvoir fédéral et du pouvoir de l'Etat qui a pour effet de renforcer considérablement la bureaucratie, ce qui s'oppose au déroulement correct des projets.

Le secteur électrique indien, aujourd'hui, est public à 96 %. Dans chaque Etat, il y a un exploitant intégré production d'électricité, transport et distribution. Il y a quelques grandes corporations, au niveau fédéral, pour gérer des grands projets thermiques, hydroélectriques ou pour gérer le réseau de transports. Quelques électriciens privés réussissent bien, en particulier dans la distribution. Il y a d'énormes besoins : 50000 MW, en 10 ans. Cela ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais c'est à peu près la puissance du parc nucléaire français d'aujourd'hui. Il y a des ressources très abondantes en charbon, en hydroélectricité, mais qui demandent des investissements lourds.

Ceci étant, le secteur de l'électricité en Inde est frappé de trois défauts structurels fondamentaux.

Tout d'abord, un système tarifaire antiéconomique. Il est très difficile de faire du développent avec un système tarifaire qui conduit à des ventes à perte et à un décalage vis-à-vis de l'économie réelle des coûts. Une remise en ordre fondamentale s'impose. Il y a des réseaux anciens, très mal entretenus, et une gestion en général très inefficace des actifs industriels.

Tout cela se traduit par un déficit de puissance, de plus de 20 % en heures de pointe, et par conséquent, de très nombreuses coupures avec, dans certaines zones, 8 heures de coupure par jour. Il en résulte un préjudice économique considérable. Les électriciens ont comme ordre de grandeur que lorsque un client attend 1 kwh et que ce dernier n'est pas délivré, par déficit de production, le préjudice économique global qui s'en suit représente à peu près 20 fois le coût de livraison du Kwh.

La pénurie de l'électricité, et c'est vrai dans tous les pays du monde qui en souffrent, représente un préjudice économique fantastique.

La situation financière du secteur est catastrophique. J'ajoute que dans le domaine de la distribution, il y a ce que l'on appelle pudiquement les pertes techniques qui comprennent effectivement quelques pertes techniques, mais également une fraude, par des branchements clandestins sur les réseaux, qui peut dépasser 20 % et qui atteint 40 % dans certains endroits. Gérer une installation industrielle dans ces circonstances est toujours difficile.

Mais le gouvernement indien a lancé successivement deux grands chantiers. Le premier : ouverture de la production aux investisseurs privés pour à peu près 30000 MW, cela fait donc plus de 150 projets ouverts qui, jusqu'à présent, ne sont véritablement avancés que pour une dizaine d'entre eux, et un seul, le projet Dabhol avec Enron, a terminé l'exercice complet, mais le mouvement est engagé.

Deuxième grand chantier : une réforme institutionnelle et organisationnelle des " State Electricity Boards " pour générer des ressources financières permettant d'introduire le développement. Ce programme de réformes qui, pour l'instant, a encore très peu touché la structure tarifaire est soutenu activement par les grandes institutions financières internationales : la Banque Mondiale et la Banque Asiatique. C'est un appui essentiel.

L'Etat d'Orissa s'est engagé le premier dans ce processus. Il est maintenant suivi par 5 ou 6 autres qui sont donc maintenant en train d'assainir les fondements du système électrique. Le processus est bien évidemment lent et on ne verra de résultat significatif apparaître que dans un petit nombre d'années.

EDF est présente en Inde depuis plus de 15 ans, et cela nous a permis d'acquérir, à travers des contrats d'ingénierie, de consultance, une bonne connaissance du secteur public de l'électricité et une réputation de professionnalisme reconnue dans les milieux industriels indiens.

Percevant l'importance du marché indien, à terme, nous avons élargi considérablement notre politique, puisque au-delà de la consultance et de l'ingénierie, nous sommes entrés dans la voie de l'investissement industriel en Inde, en nous plaçant en position d'investisseurs minoritaires, en partenariat avec d'autres, et une première opération d'envergure est engagée. Nous sommes associés à un groupement conduit par le groupe indien industriel Ispat, nous sommes en partenariat avec le groupe industriel franco-anglais GEC-Alsthom pour réaliser une centrale thermique charbon de deux tranches de 500 MW à Bhadravati, dans l'Etat du Maharashtra.

On peut dire que pour l'avenir, il y a conjonction, pour Bhadravati, de plusieurs facteurs favorables. L'Etat du Maharashtra est riche et industriel. Il y a un engagement de contre-garantie du gouvernement fédéral et, à proximité immédiate, des ressources en charbon, donc une mine qui approvisionnera la centrale. Malgré cela, ne cachons pas que le développement du projet est un exercice qui demande du souffle et de la continuité. La bureaucratie est lourde : il faut obtenir 17 autorisations différentes d'organismes différents, au niveau local ou fédéral. Même vu d'un pays compliqué comme la France, c'est très lourd à obtenir et à gérer. Nos interlocuteurs indiens ont relativement peu d'expérience de grands projets industriels de ce type. Il pourrait y avoir des incertitudes politiques, encore que l'on doive constater que dans le Maharashtra, le changement de majorité n'a pas remis en cause le projet, tel qu'il était engagé.

Aujourd'hui, après 2 ans de travail continu, l'accord pour la vente d'électricité produite à la State Electricity Board (SEB) locale est paraphé, et on peut raisonnablement espérer que l'ensemble sera bouclé contractuellement et financièrement, d'ici à la fin de l'année, permettant une mise en service, vers l'an 2000, des tranches concernées.

Cette expérience du Bhadravati, nous cherchons à la capitaliser au mieux, elle nous permet de bien comprendre l'administration indienne et les industriels indiens. Elle nous a également montré comment négocier la vente d'électricité sur des contrats à long terme, en Inde. C'est donc une base précieuse pour notre développement futur dans le pays.

La production restera un marché majeur, c'est évident, avec sans doute des modifications de fonctionnement. Alors que jusqu'à présent, les accords étaient des accord de gré à gré, il semble que le Gouvernement veuille se lancer dans des procédures d'appel d'offres internationaux qui ont, certes, leurs vertus, mais qui risquent d'alourdir encore l'opération ; d'autant qu'un certain nombre de cahiers des charges ne sont pas bien adéquats à une exploitation industrielle.

Ceci étant, la difficulté majeure n'est ni technique ni même organisationnelle, elle est surtout financière : les SEB ont peu de crédibilité financière et sans garantie de l'Etat fédéral, il est difficile, aujourd'hui, de s'engager dans un grand projet industriel, dans ce pays. C'est pourquoi nous nous portons plutôt sur des projets de taille moyenne qui disposent de leurs propres ressources en combustibles, ce qui facilite beaucoup le fonctionnement industriel, et qui ont un utilisateur proche permettant une garantie sérieuse d'achat de l'électricité. Par exemple, des projets qui sont adossés, au moins partiellement, à des complexes industriels, pétroliers, ou de la production d'acier.

Nous nous intéressons aussi à l'évolution du secteur de la distribution et nos contacts avec les milieux indiens laissent penser que la formule de la concession ou de la gestion déléguée présente pour eux de l'intérêt. Nous sommes prêts à réfléchir, nous étudions avec eux quelques projets de distribution qui pourraient venir compléter les efforts menés en matière de production, et apporter au secteur électrique indien davantage de solidité et de qualité de fonctionnement.

Bien évidemment, il y a une condition financière préalable, mais on voit à quel point l'amélioration du secteur de l'électricité est une condition nécessaire pour le développement économique en Inde. Nous sommes tout prêts à nous y associer.

EDF, en Inde, c'est déjà un passé commun significatif dont la dominante a été la technique et même la recherche, à certains égards. Nous avons un bureau permanent à Delhi, dirigé par un Indien. Aujourd'hui, nous sommes enclenchés dans un grand projet industriel et, demain, je l'espère, la coopération entre EDF et l'Inde sera une grande réalité industrielle.

M. le Président . - Je remercie beaucoup M. François Ailleret et ceux qui l'ont précédé. Comme il a été convenu, je vais tout de suite donner la parole à M. Banker, le Président de la Fédération des Chambres de Commerce Indienne. Il a un certain nombre d'observations à faire : certaines portent sur la discussion de ce matin et les autres sur ce qu'il vient d'entendre. Vous avez la parole, Monsieur Banker.

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