EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 1 er octobre 1997, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini sur les régimes de retraite complémentaire des fonctionnaires.

M. Philippe Marini a tout d'abord rappelé qu'il existait actuellement trois régimes d'épargne retraite complémentaire facultative pour les fonctionnaires :

- le complément d'épargne retraite de la fonction publique, issu de l'initiative du syndicat des secrétaires de mairie et instituteurs, créé en 1949, dont le nombre de cotisants (exclusivement mutualistes) est de 337.000 et le nombre d'allocataires de 53.000 ;

- le régime du comité de gestion des oeuvres sociales du ministère de la santé publique et des établissements publics d'hospitalisation, de soin, de cure et de prévention, créé en 1963, sous forme d'un contrat d'assurance collective garantissant à ses adhérents une rente de cinq ans après la retraite, dont le nombre de cotisants est de 182.000, le nombre d'allocataires de 96.000 ;

- enfin la "Préfon", régime le plus connu, qui est un complément de retraite viager dont le cadre est une convention conclue en 1967 entre une association de syndicats de la fonction publique (la Préfon) et la caisse nationale de prévoyance, et dont le nombre de cotisants est de 130.000, le nombre d'allocataires de 45.000.

M. Philippe Marini a souligné que ces trois régimes, qui interviennent en dehors de tout cadre législatif et réglementaire d'ensemble, ont donc conservé, quelle que soit leur ancienneté, un caractère assez confidentiel, puisque ce sont moins de 15 % des fonctionnaires qui ont fait le choix de l'épargne retraite complémentaire.

M. Philippe Marini a rappelé que l'ensemble de ces trois régimes avaient un objectif commun, qui était la compensation de la diminution de revenus liée au calcul de la retraite des agents publics sur la base du traitement hors primes, mais que les moyens obtenus pour assurer cette compensation étaient, en revanche, différents d'un régime à l'autre.

M. Philippe Marini a souligné que la pénalisation constituée par l'exclusion des primes du calcul de la pension était naturellement plus ou moins forte selon le poids de ces primes dans la rémunération totale, car si pour l'ensemble de la fonction publique d'Etat, le taux est de 17 %, pour certaines catégories d'agents, il peut dépasser 30 %.

M. Philippe Marini a précisé que, dans ce souci de maintien du revenu, les trois régimes existants proposaient des rentes intervenant après l'arrivée à l'âge de la retraite :

- le complément retraite de la fonction publique propose huit options de complément retraite, allant de 3.057 francs à 26.739 francs, avec un objectif d'indexation sur les traitements de la fonction publique ;

- le complément retraite des hospitaliers propose quatre classes de cotisations, calculées en pourcentage du traitement de base : 2,5 %, 3,5 %, 4,5 % ou 5,5 %, qui ouvrent droit à l'acquisition de points ;

- la Préfon enfin propose onze classes de cotisations -d'un montant annuel de 1.041 francs à 18.738 francs en 1997-, convertibles en points au moment du versement de la rente.

M. Philippe Marini a ensuite souligné que les trois régimes bénéficiaient d'un encouragement fiscal particulièrement favorable, puisqu'il s'agit d'une déduction intégrale des cotisations du revenu imposable, et que le coût pour le budget de l'Etat de ces déductions fiscales était loin d'être négligeable, puisqu'il devrait s'établir autour de 370 millions de francs en 1997.

M. Philippe Marini a ensuite précisé que les trois régimes existant avaient des cadres juridiques distincts et pratiquaient des techniques différentes.

En effet le complément retraite des hospitaliers a pour cadre un contrat d'assurance collective conclu entre le comité de gestion des oeuvres sociales du ministère de la santé et des hôpitaux et les Assurances générales de France, le 2 décembre 1963. Le régime d'épargne retraite complémentaire de la Préfon repose sur une convention passée le 1er juin 1967 entre la Préfon, association à but non lucratif constituée par des syndicats de la fonction publique, et la Caisse nationale de prévoyance, qui assume les risques du régime ; 63 % des risques sont cédés aux trois grandes compagnies publiques de l'époque, qui ont souhaité participer à un régime qui paraissait promis à une large diffusion : l'Union des assurances de Paris pour 32 %, le Groupement d'assurances national pour 21 %, les Assurances générales de France pour 10 %.

Enfin, le régime complément retraite de la fonction publique est géré par deux caisses autonomes mutualistes, l'une fonctionnant en répartition, l'autre en capitalisation.

M. Philippe Marini a ensuite rappelé que les trois régimes pratiquaient des techniques différentes, selon qu'ils se basaient sur les cotisations versées, qui déterminaient des prestations futures (régimes "à cotisations définies"), ou bien qu'ils annonçaient des prestations futures, qui déterminaient le niveau de cotisations à verser (régimes "à prestations définies").

Ainsi le complément retraite des hospitaliers calcule la rente de ses adhérents en fonction de la classe de cotisations versées (de 2,5 à 5,5 % du traitement brut), le montant de la rente étant égal au nombre de points inscrits au compte du bénéficiaire, au titre des cotisations versées, multiplié par la dernière valeur de service de ces points. De même dans le régime de la Préfon, le montant de la retraite est égal au nombre de points inscrits au compte de l'affilié multiplié par la valeur de service du point telle qu'elle est déterminée chaque année par le conseil d'administration. En revanche le complément retraite de la fonction publique est basé sur un principe totalement différent, puisque l'adhérent choisit un âge de départ à la retraite, un complément de retraite annuel (allant de 3.057 à 26.739 francs, valeurs 1997) et se voit déterminer un montant annuel de cotisations ; ce régime est basé sur une philosophie de revenu de remplacement, qui s'accompagne d'un objectif affiché -sans engagement- d'indexation sur l'évolution des traitements de la fonction publique, et où le risque de la gestion financière est assumé par l'organisme gestionnaire, qui peut toutefois ajuster le niveau des cotisations des adhérents.

M. Philippe Marini a ensuite rappelé que ces trois régimes obéissaient à un corps de règles communes.

Du point de vue des obligations de contrôle, les deux régimes qui ressortent du code des assurances sont soumis à la juridiction de la commission de contrôle des assurances : celle ci peut contrôler ces régimes à travers les comptes des compagnies concernées, qui font l'objet de comptabilités séparées.

Le régime du complément retraite de la fonction publique est soumis au contrôle (article L. 531-1 du code de la mutualité) de la commission de contrôle des mutuelles et institutions de prévoyance, qui peut s'adjoindre notamment des membres de l'inspection générale des affaires sociales : le contrôle n'est, cette fois ci, pas effectué par le corps des commissaires contrôleurs des assurances.

Par ailleurs, deux des trois régimes (complément retraite de la fonction publique et Préfon) sont soumis au contrôle de commissaires aux comptes, alors que le complément retraite des hospitaliers, quant à lui, fait l'objet, depuis 1993, d'une étude annuelle confiée à une société d'actuaires dont l'objet est différent de ce type de contrôles, puisqu'il s'agit de définir les conditions de pérennité du régime.

M. Philippe Marini a ensuite précisé que trois contraintes s'imposaient à l'ensemble de ces régimes :

- l'utilisation des nouvelles tables de mortalité qui a entraîné, pour l'ensemble des trois régimes, depuis 1993, une diminution du taux de couverture des engagements, ainsi que la nécessité d'une baisse du rendement pour les adhérents ;

- la couverture des engagements, les régimes fonctionnant en répartition étant tenus d'assurer le provisionnement de cinq années de prestations, les régimes basés sur la capitalisation étant astreints d'assurer le provisionnement de 100 % de leurs engagements ;

- l'obligation de rémunérer les provisions mathématiques -correspondant au total des engagements vis-à-vis des adhérents- à un taux au moins égal au taux de revalorisation minimum garanti aux adhérents, qui permet d'expliquer la nature des placements des trois régimes : en effet, seuls des actifs obligataires permettent d'assurer cette rémunération minimale régulière, et leur prédominance au sein des placements des régimes commence tout juste à être tempérée par la tendance de l'ensemble des gestionnaires à renforcer leurs compartiments "actions".

M. Philippe Marini a ensuite souligné que les trois régimes présentaient des caractéristiques bien distinctes : le complément retraite des hospitaliers fonctionne par pure répartition, c'est à dire que les cotisations perçues au cours d'une année servent à payer les prestations au cours de la même année.

La Préfon fonctionne en capitalisation : les cotisations sont versées au compte de l'adhérent et capitalisées jusqu'au départ en retraite. Les cotisations sont converties en points de retraite, dont la valeur d'acquisition (pour la cotisation) et la valeur de service (pour le service de la rente), sont fixés chaque année par le Conseil d'administration.

Enfin le régime complément retraite de la fonction publique présente la particularité d'être mixte : les deux tiers de la prestation de l'adhérent sont assurés par la technique de la répartition des cotisations, le tiers restant par capitalisation, ces deux opérations étant gérées par des caisses autonomes distinctes.

M. Philippe Marini a insisté sur les spécificités très fortes de ces trois régimes.

En effet, les régimes de répartition sont basés sur l'adhésion facultative, ce qui renforce l'aléa né de leur évolution démographique naturelle.

Le complément retraite des hospitaliers a d'ailleurs tiré depuis l'origine les conséquences de cet aléa, en ne garantissant à ses adhérents que cinq années de versement de rentes. L'article 11 de la convention servant de base au régime précise par ailleurs que la résiliation du régime intervient "lorsque les réserves mathématiques du régime au 31 décembre d'un exercice déterminé sont inférieures au niveau minimum fixé au dernier alinéa de l'article 9", c'est-à-dire 35 % des réserves que devrait posséder le régime si les rentes étaient viagères et non temporaires.

Le complément retraite de la fonction publique surveille également l'évolution démographique de son régime en effectuant des travaux de prospective qui vont jusqu'en 2040, assortis de différentes hypothèses de nombre annuel de recrutements et de taux de rendement.

M. Philippe Marini a ensuite opposé à ces régimes par répartition le régime de la Préfon qui apparaît comme un régime de capitalisation collective.

Dans ce régime, chaque adhérent se voit constituer un compte accumulant les cotisations versées sous forme de points, la conversion des cotisations en points étant affectée d'un coefficient d'âge par génération ; ce compte est converti en rente viagère, dont le montant est obtenu en multipliant le nombre de points accumulés sur le compte par la valeur de service du point, réévaluée chaque année :

Le régime d'épargne retraite de la Préfon peut donc faire jouer une solidarité entre générations par la fixation des coefficients d'âge, et ajuster la valeur de service pour distribuer les produits financiers nés de la gestion des cotisations des adhérents, ce qui permet de ménager des marges de manoeuvre financières au régime.

Ce mode de gestion permet de lisser dans le temps la revalorisation de la valeur de service, malgré les aléas des produits financiers, et de prendre en compte l'amélioration continue de l'espérance de vie humaine.

M. Philippe Marini a fait remarquer qu'une telle gestion pouvait provoquer un conflit d'intérêts entre les différentes classes d'âge, selon leur préférence pour une distribution plus ou moins différée des produits financiers.

A l'issue de cette présentation des trois régimes, M. Philippe Marini a estimé que le caractère massif du problème de la retraite des fonctionnaires ainsi que la variété des règles régissant l'épargne retraite complémentaire nécessitaient à bref délai une intervention de l'Etat qui permettrait de rénover le panorama précédemment décrit.

M. Philippe Marini a en effet souligné que les perspectives démographiques des régimes de fonctionnaires amenaient à prévoir de façon certaine des charges croissantes pour les budgets des employeurs publics : pour l'Etat, l'évolution d'ici à 2015 serait une progression de plus de 80 % des fonctionnaires civils retraités, cette progression, combinée à la croissance de la pension moyenne, conduisant à une charge budgétaire supplémentaire de près de 65 milliards de francs par an au terme des dix prochaines années ; en ce qui concerne les collectivités locales et les hôpitaux, les perspectives sont également défavorables, puisque les projections de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (gérant les retraités territoriaux et hospitaliers) font apparaître, pour l'ensemble des deux fonctions publiques, une diminution de 62 % du rapport démographique, soit de 3,1 cotisants pour un retraité aujourd'hui à 1,2 d'ici à 2015, alors que les prestations de retraites de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales représentent d'ores et déjà 40 milliards de francs en 1997.

M. Philippe Marini a ensuite souligné la disparité injustifiée des régimes d'épargne retraite complémentaire.

En effet, deux lois sont intervenues récemment pour encadrer la constitution d'une épargne retraite complémentaire, la loi du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle, dite "Loi Madelin" qui prévoit des contrats d'assurance de groupe en vue de retraite complémentaire pour les travailleurs indépendants, ouvrant droit à une rente, ou à un capital en cas d'invalidité ou de liquidation judiciaire, et la loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite pour les salariés du secteur privé qui institue des plans d'épargne, abondés par l'employeur, ouvrant droit à une rente viagère ou à un versement en capital.

La comparaison du régime fiscal de ces deux dispositifs avec celui de l'épargne retraite complémentaire des fonctionnaires fait apparaître des disparités injustifiées et il appartient au législateur d'intervenir pour harmoniser ces trois régimes de manière équitable.

M. Philippe Marini a ensuite insisté sur la nécessité d'assainir les bases des régimes par répartition : ainsi, un rapport de juillet 1996 de la société d'actuaires évaluant la pérennité du régime complémentaire de retraite des hospitaliers relève que l'hypothèse d'un nombre d'affiliations nouvelles de 4.500 par an permet de maintenir le nombre de cotisants autour de 180.000 pendant dix ans, mais qu'une décroissance sensible pourrait ensuite être constatée : en 2020 le nombre de cotisants serait de 121.000 ; le taux de couverture viager passerait alors de 48 % en 1994 à 25 % en 2020 : il passerait en dessous de 35 % en 2016 et le régime devrait alors être résilié.

Face à cette situation, le "renflouement" du régime par une subvention, qui devrait être de l'ordre de 10 milliards de francs, paraît peu vraisemblable dans le contexte budgétaire actuel, et dès lors, deux solutions restent possibles : amener à extinction le régime actuel et le remplacer par un régime par capitalisation, ce qui poserait un problème délicat de garantie des droits des "anciens" affiliés, et supposerait aussi, à ce titre, une intervention budgétaire, ou bien rendre obligatoire l'affiliation au complément retraite pour les agents hospitaliers.

De manière générale, il ne paraît pas responsable, pour l'Etat de continuer à prodiguer un encouragement fiscal à la souscription de régimes de répartition facultatifs.

M. Philippe Marini a enfin souligné la nécessité d'ouvrir à la concurrence l'épargne retraite complémentaire des fonctionnaires, à partir de l'exemple de la convention liant la Préfon et la Caisse nationale de prévoyance, qui date de 1967 et qui reflète les contours du paysage des assurances des années 1960, dominé par les trois grandes compagnies publiques : ainsi les risques sont répartis entre la Caisse nationale de prévoyance et les grands assureurs, sur des critères qui ne peuvent plus s'expliquer rationnellement.

M. Philippe Marini a estimé que de manière générale, une ouverture plus large des régimes d'épargne retraite complémentaire des fonctionnaires à la concurrence était aujourd'hui parfaitement envisageable : elle permettrait de proposer aux adhérents différentes politiques de gestion des actifs, et d'arrêter leur choix par exemple entre rendement annuel ou à long terme ; aucune disposition légale ou réglementaire n'interdit une telle ouverture, qui pourrait s'accompagner d'une réflexion sur les règles prudentielles actuellement applicables (notamment celles du régime "L. 441-1" du code des assurances) aujourd'hui dissuasives pour les placements en actions.

M. Philippe Marini a enfin conclu à la nécessité d'une plus grande transparence et participation aux décisions, actuellement ressenti dans tous les milieux, et également par les fonctionnaires : une meilleure association à la gestion de leurs régimes d'épargne retraite complémentaire irait dans le sens de la réforme de l'Etat entamée depuis 1995, visant à accroître la motivation des agents publics et la décentralisation de leur gestion ; la mise en place de comités de surveillance, telle que la prévoit la loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite pour les salariés du secteur privé, permettrait d'associer utilement les adhérents aux orientations de gestion des régimes d'épargne retraite complémentaire des fonctionnaires.

A l'issue de cette communication, un débat s'est ouvert.

En réponse à M. François Trucy, M. Philippe Marini a rappelé que la prédominance des actifs obligataires dans les placements des régimes d'épargne retraite était liée à l'engagement de rendement annuel minimum pris par ces régimes vis-à-vis de leurs adhérents, ainsi qu'à des règles prudentielles particulières au régime dit du "L. 441-1" du code des assurances, en ce qui concerne la Préfon ; cette gestion n'exclut pas toutefois la nécessité d'une diversification des actifs, comme le montre la part grandissante des actions cotées dans les placements de ces régimes.

Répondant à M. Joseph Ostermann, M. Philippe Marini est convenu de l'importance du problème de l'avenir des retraites, aujourd'hui bien connu ; il a rappelé que l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, lors de la précédente législature, avait décidé d'étudier plus particulièrement la question des retraites des fonctionnaires, et que ce sujet devrait utilement être soumis à l'office dans sa nouvelle configuration.

Enfin en réponse à M. Emmanuel Hamel, M. Philippe Marini a insisté sur la qualité du contrôle effectué sur les régimes d'épargne retraite des fonctionnaires par la commission de contrôle des assurances, ce contrôle étant sans doute de nature moins technique sur le régime du complément épargne retraite de la fonction publique soumis à la commission de contrôle des mutuelles et institutions de prévoyance.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte à M. Philippe Marini de sa communication, et a décidé de la publier sous forme de rapport d'information

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