2. LE RÉÉQUILIBRAGE DE LA FISCALITÉ DU CAPITAL PAR RAPPORT À CELLE DU TRAVAIL EST SOIT UN ALIBI BUDGÉTAIRE, SOIT UNE AMBITION IRRÉALISTE

La question de savoir s'il convient de traiter différemment les revenus du travail et ceux du capital est une question difficile qui n'appelle pas de réponse évidente.

• On observera tout d'abord qu' il ne peut s'agir d'un rééquilibrage des rendements respectifs de l'imposition des salaires et de celle du patrimoine mais seulement d'un rééquilibrage des traitements fiscaux de ces deux types de revenus. En 1996, les salaires et traitements bruts représentaient, hors cotisations sociales, 2.938 milliards de francs, alors que les revenus de la propriété et de l'entreprise ne représentaient que 572 milliards. Le rapport de un à cinq existant entre ces deux grandeurs montre bien que ce débat se situe avant tout sur le plan des principes.

• A cet égard, deux logiques antagonistes s'affrontent :

Faut-il, comme le soutiennent les partisans de la logique égalitaire, traiter fiscalement tous les revenus de la même façon ou bien convient-il de reconnaître aux revenus de l'épargne un statut fiscal privilégié lié à l'importance de cette grandeur dans la réalisation de l'équilibre économique ?

Ces deux logiques fiscales sont également défendables.

La logique égalitaire ne manque pas de cohérence : pourquoi traiter différemment les fruits du travail de ceux du capital ? C'est au fond la vieille idée que les gens qui "s'enrichissent en dormant" doivent être, au moins, aussi taxés que ceux qui n'ont d'autre richesse que leur travail.

La logique économique fonde le statut fiscal avantageux de l'épargne sur deux considérations : il n'y a pas de capital sans épargne ; l'épargne joue un rôle fondamental dans la réalisation de l'équilibre économique. Comme on le sait, ce rôle a été mis en évidence par les travaux de John Maynard Keynes : l'épargne constitue un moment particulièrement important dans la réalisation de l'équilibre sur le marché des biens et des services, puisque de son volume dépend, en grande partie, le volume des investissements. Du reste, la situation de nombreux pays en voie de développement démontre tous les jours l'importance de l'épargne. C'est bien parce que dans ces pays l'épargne est insuffisante, ou s'enfuit à l'étranger, que les investissements indispensables au décollage économique sont difficiles à effectuer et que l'aide au développement s'avère nécessaire.

Ces logiques fiscales dépassent les clivages partisans habituels.

Aussi, ne sera-t-on pas surpris de constater que la logique égalitaire inspirait la politique fiscale du précédent gouvernement 7( * ) comme elle inspire celle du gouvernement d'aujourd'hui.

A rebours, d'importantes mesures de détaxation de l'épargne (CODEVI, CEA, PEP, SOFICA, autorisation des OPCVM de capitalisation, PEA...) ont été prises par les gouvernements socialistes des années 1980-1990, au nom d'une logique économique aujourd'hui combattue par un gouvernement se réclamant pourtant des mêmes idées.

Quoiqu'il en soit, si l'on adopte une logique, il convient, généralement, de la suivre jusqu'au bout. Ce qui conduit à penser que :

- soit la volonté de rééquilibrer le capital par rapport au travail est sincère et dans ce cas il faut logiquement s'attendre à la fin de l'exonération dont bénéficient les livrets défiscalisés (livrets A, CODEVI, livrets jeunes...) - car il s'agit bien de revenus du capital - à la suppression du prélèvement libératoire, à celle des prélèvements sociaux spécifiques sur les revenus du patrimoine (1 % CNAV et 1 % CNAF, contribution de 1 % Etat) et à l'extension de l'abattement général de 20 % aux revenus du capital ;


- soit, il ne s'agit que d'un slogan politique, lourd de sous-entendus idéologiques, dont la seule utilité est de servir de prétexte pour augmenter les recettes d'un gouvernement incapable de maîtriser ses dépenses.


S'il ne s'agit que d'un slogan politique, on soulignera les multiples contradictions d'un discours clouant le "capital" au pilori, mais encensant le "capital-risque", prônant le rééquilibrage de la taxation entre revenus du travail et du capital mais déclarant inviolable l'exonération de l'épargne liquide au nom de la défense de "l'épargne populaire" 8( * ) .

Dans ce cas, on ne peut que dénoncer cette forme de démagogie consistant à faire croire que l'on pourrait avoir des capitaux sans épargnants et que les 80 % des ménages français qui détiennent un livret d'épargne défiscalisé vivent en dessous du seuil de pauvreté. En vérité l'épargne et le capital sont les deux faces d'une même médaille et les classes "populaires", qui ne paient pas l'impôt sur le revenu, n'auraient rien à craindre d'une taxation des livrets défiscalisés.


Jeter l'anathème sur "le capital" ne contribuera en rien à faire redémarrer l'investissement ou à relancer la consommation.


S'il s'agit au contraire d'une démarche sincère , il convient de l'examiner avec sérieux et de faire la lumière sur la réalité de la sous-taxation des revenus du capital, même si la commission des finances du Sénat a choisi pour sa part de défendre la "logique économique" par opposition à la "logique égalitaire".


Dans cette perspective, on soulignera tout d'abord l'importance des difficultés méthodologiques faisant obstacle à une comparaison des revenus salariaux et des revenus du patrimoine. Aux niveaux actuels de rémunération du capital, 50.000 francs de dividendes ou d'intérêts supposent l'existence d'un patrimoine de l'ordre du million de francs. Peut-on vraiment les comparer à un salaire de 50.000 francs ?


En second lieu, force est de constater l'existence de nombreuses enveloppes de détaxation totale ou partielle (PEA, assurance-vie, livrets défiscalisés...) qui assurent effectivement aux revenus du capital une moindre fiscalisation.


Si l'on écarte ces "niches fiscales" et que l'on raisonne sur le cas très simplifié d'un célibataire sans enfants dont les revenus seraient exclusivement composés soit de salaires, soit de dividendes, soit encore d'intérêts d'obligations, l'on obtient pour différentes tranches de revenus, les niveaux d'imposition suivants 9( * ) :




On peut en déduire qu' actuellement, les dividendes sont effectivement moins taxés que les salaires . Ce phénomène, qui s'explique essentiellement par le jeu de l'avoir fiscal, joue davantage pour les revenus de faible montant que pour les revenus élevés, en raison de la forte progressivité du barème de l'impôt . Ainsi, un salarié dont le salaire net imposable est de 70.000 F s'acquitte, tous prélèvements confondus, de 5.168 F d'impôts (IR + prélèvements sociaux), alors qu'un célibataire qui a pour seul revenu 50.000 F de dividendes se voit remboursé 14.885 F (21.000 F d'avoir fiscal moins 6.115 F de prélèvements sociaux). A l'autre extrémité, pour 500.000 F de salaire imposable, le taux moyen d'imposition (TMI) est de 31,3 %, ce qui n'est pas très éloigné du taux de 25,8 % qui est celui d'un revenu composé exclusivement de 500.000 F de dividendes (voir fiches de calcul en annexe).

En revanche, pour ce qui est des revenus d'obligation, la sous-taxation par rapport aux revenus du travail n'est établie qu'à partir de 200.000 F de revenu imposable, en raison du prélèvement libératoire. En dessous de ce seuil, les revenus tirés d'obligations sont davantage taxés que les revenus de salaires. Ainsi, pour un revenu composé exclusivement de 70.000 F d'intérêts, l'ensemble des prélèvements représente 11.168 F, soit plus du double de l'imposition d'un salaire de même niveau. En revanche, pour 500.000 F de revenu imposable, l'imposition est de 156.368 F pour un salaire et de 104.500 F pour des intérêts d'obligation (TMI : 20,9 %).

Les mesures proposées par le gouvernement auraient les effets suivants :


- dans les tranches de faibles revenus, les revenus du capital seraient beaucoup plus taxés que les revenus du salaire : ceci est valable jusqu'à un seuil d'environ 75.000 F pour les actions et 200.000 F pour les obligations.
Ainsi, pour 70.000 F de revenus imposables, l'imposition serait de 8.735 F pour les salaires (TMI : 12,3 %), 11.470 F pour les dividendes (TMI : 15,67 %) et 13.349 F pour les intérêts d'obligations (TMI : 19,07 %). Pour 100.000 F de revenus, l'imposition serait respectivement de 17.487 pour les salaires (TMI : 17,3 %), 15.920 F pour les dividendes (TMI : 15,92 %) et 25.000 F pour les obligations (TMI : 25 %). Or, ce sont dans ces tranches de revenus que la comparaison semble la plus pertinente, puisque un revenu de 50.000 F de dividendes suppose déjà un patrimoine de 1.000.000 F (avec un taux de rendement supposé d'environ 5 %) et presque autant s'il s'agit d'intérêts d'obligations.

- dans les tranches de revenus élevés, les revenus du capital continueraient d'être moins taxés, en raison du jeu de l'avoir fiscal et du prélèvement libératoire. Ainsi, pour 500.000 F de revenus imposables, l'imposition serait de 183.107 F pour les salaires (TMI : 36,2 %), 150.979 pour les dividendes (TMI : 30,2 %) et de 125.000 F pour les intérêts d'obligations (TMI : 25 %).

Si tant est que l'on puisse comparer ces deux types de revenus, le problème n'est pas celui de la sous-taxation des revenus du capital, mais bien de la surtaxation des revenus du travail. Si rééquilibrage il doit y avoir, il devrait se faire en diminuant les prélèvements et non en les augmentant. Les mesures proposées par le gouvernement ne règlent en rien ce problème.

Observations complémentaires concernant la comparaison de la taxation respective
des revenus du capital et du travail

S'agissant des prélèvements sociaux , qui représenteront si les mesures proposées par le gouvernement étaient adoptées, plus de la moitié de l'imposition des revenus, force est de constater que les revenus du capital supportent, outre la CSG, des prélèvements sociaux spécifiques (1 % CNAV, 1% CNAF, 1 % État) dont le poids sera accru par les mesures proposées par le gouvernement.


Il n'y a donc pas à ce premier niveau sous-taxation mais surtaxation des revenus du capital par rapport à ceux du travail et si rééquilibrage il devait y avoir, il devrait se faire en supprimant les prélèvements sociaux spécifiques sur les revenus du patrimoine (1 % CNAF et 1 % CNAF).

Si l'on raisonne au niveau de l'impôt sur le revenu , on observera tout d'abord que les revenus salariaux bénéficient d'un abattement à la base de 28 % (abattement de 20 % pour les revenus salariés et abattement de 10 % pour frais professionnels), ce qui n'est pas le cas des revenus du capital. En revanche, certains produits du capital bénéficient d'une exonération complète avec ou sans conditions (plans d'épargne en actions, assurance-vie, épargne contractuelle ; livrets défiscalisés) ou d'une taxation forfaitaire (prélèvements libératoires).

Enfin, on ne peut pas ignorer que le capital est non seulement taxé à raison des revenus qu'il procure, mais aussi de sa transmission, de sa détention et des plus-values qu'il génère au moment des cessions.

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