B. LA DEMANDE INTÉRIEURE

1. Quelle reprise pour l'investissement des entreprises ?

La projection élaborée par l'OFCE décrit un " cycle d'investissement " caractéristique d'une période de reprise économique. Celui-ci serait cependant bref et d'ampleur modérée. L'amélioration des perspectives de débouchés en début de période entraîne un redressement de l'investissement en 1998 et 1999 (respectivement + 3,4 % et + 3,7 %). Par la suite, le ralentissement de la demande mondiale conjugué à une progression modérée de la consommation se traduirait par une stabilisation de la progression de l'investissement autour de 2 % par an en moyenne. La reprise de l'investissement ainsi décrite est beaucoup moins dynamique que celle qu'a connue l'économie française dans les périodes précédentes de redémarrage de l'activité (en particulier à la fin des années quatre-vingt).

Cependant, l'évolution de l' endettement des entreprises et les conséquences de l' unification monétaire de l'Europe constituent deux facteurs d'incertitude dont les modèles ne peuvent guère rendre compte. Or, les économistes ne parviennent pas à expliquer la faiblesse de l'investissement observée à partir de 1992, à partir de ses deux déterminants traditionnels dans les modèles, que sont l'évolution des perspectives de débouchés et des profits anticipés par les entreprises. C'est pourquoi, il est parfois avancé que l'excès d'endettement est à l'origine du " sous-investissement " observé. Cette explication semblerait validée par des travaux économétriques récents de l'INSEE 4( * ) . Ces mêmes travaux tendraient à l'inverse à montrer que le désendettement en cours des entreprises entraînerait une reprise de l'investissement plus forte que celle décrite par la projection de l'OFCE.

Par ailleurs, à moyen terme, l'unification monétaire de l'Europe va modifier l'environnement des entreprises, et en particulier supprimer les incertitudes sur les taux de change intra-européens particulièrement évidentes depuis le début des années quatre-vingt-dix. Il pourrait en résulter une modification des comportements d'investissement des entreprises que les modèles macroéconomiques ne peuvent pas prendre en compte.

2. Le revenu et la consommation des ménages

L'évolution du pouvoir d'achat des ménages décrite par la projection est sensiblement plus dynamique que celle enregistrée au cours de la période récente : + 2 % par an en moyenne entre 1997 et 2002, contre 1,6 % par an entre 1990 et 1996 (et + 0,1 % en 1996). La même inflexion apparaît quand on compare ces résultats avec ceux de la projection présentée l'année dernière par votre Délégation, dans laquelle le revenu des ménages ne progressait que de 1 % par an en moyenne sur le moyen terme.

Deux facteurs expliquent cette inflexion dans le scénario 1997-2002 :

- la progression du pouvoir d'achat du salaire par tête serait de l'ordre de 1,5 % par an en moyenne (contre 0,1 % par an en moyenne dans la projection réalisée l'année dernière) : la baisse du chômage en début de période renforcerait en effet les revendications salariales (relation dite de " Phillips "), de telle sorte que l'évolution des salaires serait plus dynamique qu'au cours des années récentes ;

- aucun prélèvement nouveau sur les ménages n'est nécessaire pour rééquilibrer les comptes sociaux (cf. p. 22).

On constate ainsi que l'accélération de la croissance en début de période, impulsée par le dynamisme de la demande étrangère et la hausse du dollar, entraîne en projection des enchaînements macroéconomiques favorables au revenu des ménages. En outre, comme leur taux d'épargne serait stable sur le moyen terme, leur consommation évoluerait parallèlement au pouvoir d'achat de leur revenu (soit + 2 % par an en moyenne).

3. L'évolution des salaires : Quels enseignements des modèles ?

Le débat économique s'est récemment focalisé sur l'évolution du partage de la valeur ajoutée entre revenus du travail et revenus du capital. En effet, après avoir sensiblement augmenté au milieu des années soixante-dix, la part des salaires dans la valeur ajoutée a reculé au cours des années quatre-vingt, pour se stabiliser depuis le début des années quatre-vingt-dix à un niveau nettement inférieur à celui du début des années soixante-dix.

Dans la projection à moyen terme de l'OFCE, le partage de la valeur ajoutée se stabilise au niveau d'aujourd'hui, les salaires par tête évoluant comme la productivité du travail 5( * ) .

A cet égard, on peut s'interroger sur les conséquences qu'aurait un rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée plus favorable aux revenus du travail, ce qui correspond à une évolution des salaires plus rapide que celle décrite par la projection. Mais une simulation de cette nature n'a d'intérêt que si elle est réalisée à l'aide d'un modèle multinational, qui permet de mettre en évidence les phénomènes d' interdépendance entre économies. Deux variantes de hausse des salaires en France et en Europe ont ainsi été élaborées à l'aide du modèle mondial MIMOSA 6( * ) .

Les principaux résultats de ces variantes (présentées dans l'annexe n° 2, page 97) sont résumés ci-après.

· Une hausse des salaires de 2 % uniquement en France exerce des effets contradictoires :

- une augmentation de la consommation des ménages,

- une hausse du taux d'épargne des ménages en raison du supplément d'inflation engendrée par la hausse des salaires (" effet d'encaisse réelle "),

- une baisse de l'investissement des entreprises en raison de la baisse du taux de marge,

- une dégradation de la compétitivité.

A court terme (un an), l'effet de l'augmentation de la consommation l'emporte légèrement : le PIB augmente de 0,2 %. Par la suite, les effets décrits ci-dessus se compensent et l'impact sur l'activité est nul. Les effets sur le chômage sont en conséquence négligeables 7( * ) .

Ces résultats sont très peu différents de ceux des autres modèles macroéconomiques français : effet légèrement expansionniste ou nul à court terme, effet nul ou légèrement restrictif au bout de deux à trois ans.

· Dans les enchaînements ainsi décrits, un rôle majeur est joué par la dégradation de la compétitivité : compte tenu du degré d'ouverture élevé des pays européens sur leurs partenaires de l'Union, une hausse salariale limitée à un seul pays pénalise fortement ses échanges extérieurs.

Par contre, l'économie européenne constituant un ensemble peu ouvert sur l'extérieur, une hausse des salaires dans l' ensemble des pays européens devrait avoir, semble-t-il a priori, des effets expansionnistes plus sensibles (les conséquences des pertes de compétitivité de l'ensemble européen sont en effet plus limitées). Pourtant, une simulation modélisée d'une hausse des salaires (de 2 % du PIB) dans l'ensemble de l'Union européenne ne confirme pas cette intuition. En effet, si la perte de compétitivité a une incidence restrictive plus faible que dans une variante " nationale ", l'impact inflationniste de la hausse des salaires entraîne une augmentation des taux d'intérêt par les Banques Centrales. Cette mesure limite l'effet expansionniste de l'augmentation de la demande intérieure européenne. Finalement, la hausse du PIB en Europe est donc faible (+ 0,2 % à un an, + 0,4 % à trois ans et + 0,2 % à cinq ans) et l'impact sur le chômage peu significatif (- 0,1 point pour le taux de chômage au bout de deux ans et pas d'effet à cinq ans).

· Ces simulations illustrent la complexité des liens entre salaires, croissance et emploi. Des hausses de salaires (au-delà de l'évolution de la productivité) n'auraient qu'une incidence faible (ou nulle) sur la croissance alors que, par ailleurs, la tendance de l'économie française à l'" enrichissement du contenu en emplois de la croissance " serait compromise, en raison de l'incitation à substituer du capital au travail que constitue l'augmentation du coût du travail.

Par ailleurs, les analyses sur la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires s'appuient sur une évolution moyenne du taux de marge des entreprises et ne prennent pas en compte l'hétérogénéité des situations, par secteurs d'activité ou selon la taille des entreprises.

Ainsi la déformation du partage de la valeur ajoutée au bénéfice des revenus du capital a-t-elle été particulièrement nette dans les grandes entreprises du secteur industriel, concourant ainsi à l'augmentation du niveau moyen du taux de marge dans l'ensemble de l'économie. Or les grandes entreprises du secteur industriel sont celles qui " économisent " le plus le facteur travail et substituent le plus facilement du capital au travail : des hausses trop rapides ne feraient qu' accélérer ce mouvement. Inversement, dans les autres secteurs ( services et surtout bâtiment ) et dans les petites entreprises, la situation financière est souvent beaucoup moins favorable. Là aussi, des hausses trop rapides de salaires interrompraient l'amélioration de l'emploi constatée dans ces entreprises et ces secteurs depuis une dizaine d'années, explicable pour partie par la modération du coût du travail.

L'évolution des salaires que décrit la projection de l'OFCE semble ainsi obéir à un " bon équilibre " entre des hausses salariales trop faibles qui brident dangereusement la demande et des hausses trop fortes qui dégradent la compétitivité et l'investissement et favorisent la substitution du capital au travail.

Les conclusions de cette projection sont ainsi moins pessimistes que celles qui se dégageaient des exercices présentés les années précédentes par votre Délégation. Sur le moyen terme, l'économie française échapperait ainsi à ce que les experts gouvernementaux, dans la note adressée aux participants à la Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps du travail du 10 octobre dernier, décrivent comme une " faiblesse structurelle " : " En période de ralentissement, l'austérité salariale excessive pèse sur la consommation et accentue la faiblesse de l'activité. En période de reprise, il existe toujours le risque de voir les salariés ayant un emploi essayer de rattraper de façon excessive le manque à gagner des années de faible activité, alors que la priorité devrait être accordée aux créations d'emplois ".

ENCADRÉ N° 2

UNE SIMULATION DE LA HAUSSE DU SMIC

Le Centre d'Observation Economique (COE) de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris a réalisé, à l'aide du modèle macroéconomique international OEF (Oxford Economics Forecasting), des simulations qui évaluent l'impact en 1997 et 1998 de la hausse du SMIC intervenue au 1er juillet 1997 1 .

Cette augmentation s'élève à 4 % -le "coup de pouce" gouvernemental représente 2,3 %-, ce qui porte la hausse du SMIC en pouvoir d'achat à 3,1 %.

La simulation retient deux hypothèses de diffusion de la hausse du SMIC au taux de salaire horaire ouvrier (TSHO) et au salaire moyen. La première suppose qu'une augmentation de 1 % du SMIC entraîne une hausse du TSHO de l'ordre de 0,1 point. La seconde hypothèse suppose un effet de diffusion double, soit 0,2 point. Enfin, l'élasticité du salaire moyen au TSHO est proche de 1 (une augmentation de 1 % du TSHO entraîne une hausse de 1 % du salaire moyen).

Par ailleurs, le coût pour les finances publiques de la réduction dégressive des cotisations patronales pour les salaires inférieurs ou équivalents à 1,33 SMIC est accru de 6 milliards de francs : la hausse du SMIC entraîne une hausse du nombre de smicards, une hausse du nombre de salariés en dessous du plafond de 1,33 SMIC et une hausse des salaires, donc de la réduction de charges correspondante.

Quelle que soit l'hypothèse de diffusion retenue, les résultats du tableau ci-dessous montrent les effets macroéconomiques à la fois réduits et contradictoires de la hausse du SMIC.

On constate en effet que le PIB est au plus augmenté de 0,1 %. La consommation des ménages est accrue en raison de l'évolution du revenu réel. Mais la croissance du salaire moyen affecte les prix à la consommation. Cette pression inflationniste réduit l'effet positif sur l'activité et dégrade les gains de pouvoir d'achat. L'emploi se contracte : la hausse du coût salarial, malgré les allégements de charges existants, se traduit par une accélération de la substitution du capital au travail, dont l'incidence négative sur l'emploi est supérieure à l'incidence positive de l'augmentation de l'activité.

1. Voir "Modèles et diagnostics", COE, juillet et août 1997.

INCIDENCE MACROÉCONOMIQUE DE LA HAUSSE DU SMIC

(N.B. Les chiffres sont donnés pour une hausse de 4 % au 1er juillet 1997, mais la hausse " délibérée ", c'est-à-dire allant au-delà de l'obligation légale, n'a été que de 2,3 %.)

 

Hypothèse de diffusion 1

Hypothèse de diffusion 2

Ecart en pourcentage sur les niveaux du :

1997

(2e sem.)

1998

1997

(2e sem.)

1998

PIB

Consommation des ménages

Exportations

0,00

0,02

- 0,03.

0,05

0,15

- 0,07

0,01

0,04

- 0,08

0,08

0,30

- 0,18

Emploi

Chômage (en milliers)

- 0,04

8,10

- 0,04

11,80

- 0,09

18,60

- 0,11

29,60

Prix à la consommation

0,03

0,22

0,07

0,56

Solde public (en % du PIB)

Solde public (en milliards de francs)

- 0,02

- 1,97

- 0,06

- 6,13

- 0,02

- 1,87

- 0,08

- 8,06

Source : COE avec le modèle macroéconométrique international OEF.

4. La croissance, l'emploi et le chômage

Le profil de croissance à moyen terme de l'économie française, décrit par la projection, peut être décomposé en trois phases :

- un redémarrage de l'activité sur les années 1997 à 1999, avec un taux de croissance du PIB de 2,1 % pour 1997, 3,2 % en 1998 et 2,9 % en 1999. Cette reprise s'expliquerait par le dynamisme de l'environnement international, l'amélioration de la compétitivité consécutive à l'appréciation du dollar et des comportements de dépense des entreprises plus vigoureux ;

- un ralentissement en 2000 et 2001 (avec respectivement 2,1 % et 2,3 % de croissance du PIB) en raison de la dégradation relative de l'environnement international, d'une phase de dépréciation du dollar et du ralentissement de l'investissement des entreprises. La consommation des ménages se redresse progressivement et concourt à la stabilisation de la croissance au-dessus de 2 % par an ;

- une accélération de la croissance en fin de projection (+ 2,5 % en 2002), liée à la reprise de l'activité chez nos principaux partenaires.

· L' emploi total augmenterait de 0,5 % par an en moyenne (soit 128.000 créations nettes d'emplois) ce qui représente 770.000 créations nettes d'emplois de 1997 à 2002.

Ce résultat tient compte d'une hypothèse de création de 350.000 " emplois-jeunes " en trois ans dans le secteur non marchand, ce qui ne correspondrait cependant qu'à la création nette de 280.000 emplois, l'OFCE faisant l'hypothèse que 20 % des emplois-jeunes auraient été créés même en l'absence du dispositif incitatif contenu dans la loi du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes.

Il faut souligner que les gains de productivité associés à cette évolution de la croissance et de l'emploi sont sensiblement plus élevés sur le moyen terme que ceux qui ont été constatés au cours des dernières années (+ 2 % par an de 1997 à 2002 contre 1,5 % par an de 1990 à 1996). Cette évolution de la productivité, peu favorable en projection à celle de l'emploi, s'expliquerait par deux facteurs :

- la projection est marquée par deux périodes de reprise, au cours desquelles les entreprises n'ajustent leurs effectifs qu'avec retard, ce qui contribue à l'augmentation de la productivité moyenne sur la période de projection ;

- la croissance est principalement tirée par les exportations en début de période, ce qui profite au secteur industriel où la productivité est la plus forte : il en résulte une augmentation de la productivité moyenne dans l'ensemble de l'économie.

· Selon l'hypothèse retenue par l'OFCE, les ressources en main d'œuvre augmenteraient de 154.000 par an.

Toutefois, l'augmentation de l'emploi attirerait sur le marché du travail des personnes jusqu'alors " découragées " de telle sorte que la population active effective augmenterait de 170.000 par an.

Le nombre de chômeurs s'élèverait ainsi de 25.000 par an en moyenne sur la période 1998-2002.

Le taux de chômage baisserait de 12,5 % en 1997 à 12 % en 2000, mais rejoindrait son niveau initial en fin de période.

· On peut ainsi considérer que, selon le modèle MOSAÏQUE, le taux de croissance potentiel 8( * ) de l'économie française se situe autour de 2,5 %, puisque ce taux de croissance correspond sur le moyen terme à une stabilisation du chômage.

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