C. LA MÉDITERRANÉE OBJET DE SOLLICITUDES CONVERGENTES

1. Une zone de crises ?

Les deux euroforces, Eurofor et Euromarfor, ont été créées par trois Etats méditerranéens, la France, l'Espagne et l'Italie, auxquels s'est joint ensuite le Portugal.

Ainsi, ces forces ont-elles clairement reçu d'emblée avec leur identité méditerranéenne, une vocation régionale perçue d'ailleurs négativement dans un premier temps par certains pays de la rive sud de la Méditerranée qui ont vu en elle l'embryon d'un corps d'intervention dont les missions les concerneraient directement.

De fait pourtant, la Méditerranée a repris, avec la fin de la guerre froide, une importance stratégique nouvelle. Chacun s'accorde à y voir rassemblés les "risques nouveaux" gros de "menaces" multiformes qui se seraient substitués à l'affrontement Est-Ouest passé.

La sollicitude à l'égard de la Méditerranée s'inscrit d'ailleurs dans les stratégies des principaux acteurs internationaux, même si elle revêt des aspects différents : l'Union européenne est parvenue à réunir, à la Conférence de Barcelone de décembre 1995, la totalité des pays du bassin méditerranéen pour leur proposer, dans le cadre d'un dialogue euroméditerranéen ambitieux, les voies et moyens vers la stabilité et le codéveloppement. L'OTAN, pour sa part, s'oriente depuis plusieurs années en direction du Sud, conjointement d'ailleurs avec les Etats Unis qui ne manquent pas une occasion de rappeler l'intérêt stratégique que représente pour eux la zone méditerranéenne.

Recenser les risques de crises qui pourraient naître en zone méditerranéenne paraît un exercice a priori assez aisé, tant sont multiples les lieux et les causes de tension ou de conflits : tensions greco-turque, difficultés du processus de paix au Proche-Orient, à quoi s'ajoutent dans plusieurs Etats de la région, un fondamentalisme radical, une crise de l'Etat, une crise des sociétés, des revendications sociales qui constituent un "noeud de crise extrêmement serré" 6( * ) . "Les conséquences sont, entre autres, le succès de l'intégrisme, la guerre en ex-Yougoslavie, l'apparition de concurrents de l'Etat (mafias, seigneurs de la guerre...) et le développement de nouvelles formes économiques (circuits de la drogue, matières nucléaires ou armes, etc..." 7( * ) . Sur cette toile de fond, il convient également de prendre en compte l'ampleur des dépenses militaires effectuées par de nombreux pays de la zone méditerranéenne.

Le secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les questions politiques, M. Balanzino, avait d'ailleurs résumé, sans ambages, sa perception de la sécurité en Méditerranée : " la sécurité de l'Europe ne peut être dissociée de celle des pays du Sud-méditerranéen... (et) ensemble, guerre du Golfe et guerre dans l'ancienne Yougoslavie nous ont rappelé que la question de la sécurité en Méditerranée dépasse, de loin, le seul problème de la fin de la guerre froide".

2. La réponse européenne

La réponse de l'Union européenne à la situation en Méditerranée n'entendait pas se cantonner à une analyse exclusivement "militaire". L'ambition de la conférence de Barcelone , en novembre 1995, certes déçue par les développements récents du processus qu'elle a initié, a été d'attaquer le problème à la racine. Les trois volets couverts par la conférence décrivent assez bien le défi à relever : le partenariat politique et de sécurité , le partenariat économique et financier , le partenariat enfin dans le domaine social, culturel et humain , sans oublier un engagement financier à hauteur de 4,6 milliards d'écus sur cinq ans. La décision de créer les euroforces, prise quelques mois avant la tenue de la conférence de Barcelone, pouvait s'inscrire dans ce souci de stabilité et de sécurité régionales.

Dans un premier temps cependant, la création des euroforces a suscité une vive réaction, en Libye, mais aussi en Tunisie et au Maroc.

En effet, l'activation de l'état-major de l'Eurofor a suscité une très vive réaction officielle à Tunis, les réactions négatives au Maroc ayant été plutôt le fait d'organes de presse. Afin de circonscrire au plus vite cette attitude de méfiance, voire d'hostilité, les chancelleries des Etats parties ont engagé une action d'information et d'explication à l'intention des pays de la rive sud de la Méditerranée : une déclaration conjointe des ministres des affaires étrangères des quatre pays participants a décidé d'un programme de coopération avec les gouvernements des pays qui sont parties au dialogue avec l'UEO, à savoir l'Algérie, l'Egypte, Israël, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. " L'objectif de ce programme est la promotion de la stabilité dans le bassin méditerranéen. La mise en place des mécanismes de transparence et de confiance mutuelle devrait permettre l'instauration progressive d'un véritable partenariat de sécurité entre les Etats riverains du Nord et du Sud de la Méditerranée, et dans ce cadre, de préparer et de faciliter la participation de forces de ces pays en conjonction avec EUROFOR et EUROMARFOR aux opérations prévues dans la Déclaration de Petersberg, c'est-à-dire, aux missions humanitaires de maintien de la paix."

Concrètement, les quatre pays constituant les euroforces ont proposé à ces Etats de la rive Sud:

- des visites périodiques de leurs autorités militaires aux quartiers généraux d'Eurofor et d'Euromarfor ;

- des présentations des unités navales d'Euromarfor lors des visites à des ports de ces pays ;

- des participations à des séminaires mixtes de leurs autorités militaires et civiles pour étudier des participations mixtes aux opérations de maintien de la paix dans le cadre d'Eurofor et d'Euromarfor ;

- la participation de leurs autorités militaires en tant qu'observateurs aux exercices programmés des euroforces ;

- la participation de leurs officiers d'état-major aux exercices de poste de commandement ;

- enfin, la participation des unités de ces pays, en conjonction avec celles d'Eurofor et d'Euromarfor, à des exercices de préparation d'opérations humanitaires et de maintien de la paix.

On doit toutefois constater que la première tentative de présentation d'Euromarfor à des pays d'Afrique du Nord, qui était l'objectif initial de la mission MEDSUD qui s'est déroulée au mois de juin 1997, s'est soldée par un échec, les divers pays contactés n'ayant pas donné suite aux propositions d'escales émises par les pays participant à Euromarfor.

3. L'OTAN et la Méditerranée

La zone méditerranéenne prend une place croissante dans la préoccupation sécuritaire de l'organisation atlantique. Celle-ci y trouve une justification nouvelle à sa fonction d'instance de sécurité collective et d'outil de gestion de crises après les bouleversements intervenus en Europe centrale.

Ainsi, l'OTAN avait-elle proposé un partenariat pour la paix à certains pays de la rive sud, formule réduite depuis à un dialogue méditerranéen sélectif, puisque ouvert à certains Etats seulement 8( * ) . Surtout, l'insistance manifestée par les Etats-Unis pour ne pas modifier l'affectation d'Afsouth à un officier américain, sur laquelle la France a marqué la fermeté que l'on sait, illustre bien la volonté des Etats-Unis d'ancrer leur engagement européen à travers la rive sud du continent. " La ligne de front de l'engagement des Etats-Unis pour la sécurité européenne se déplace vers la Méditerranée et au-delà". Cette déclaration de l'amiral Lopez 9( * ) ne saurait mieux illustrer le sens de la démarche suivie.

Le dialogue méditerranéen lancé par chacune des organisations que sont l'Union européenne, d'une part, et l'OTAN, d'autre part, est donc fondé sur des critères différents et non concertés. Il n'est pas sûr que cette concurrence renforce à terme la stabilité méditerranéenne. En tout état de cause, l'UEO, dans ce contexte, ne tient qu'un rôle marginal. La création des euroforces, présentées comme un moyen de coopération militaire pour la stabilité régionale devait permettre de développer la place de l'Union de l'Europe occidentale.

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