C. LES CARACTÉRISTIQUES D'EUROMARFOR

1. Le commandement : une structure légère et souple reposant sur un état-major non permanent

Comme vos rapporteurs l'ont indiqué, le comité interministériel de haut niveau (CIMIN) assure la direction politico-militaire des deux Euroforces et leur adresse ses directives. Son organe exécutif, le groupe politico-militaire, a autorité sur les trois sous-groupes de mise en oeuvre, dont le sous-groupe Euromarfor , composé de représentants des directions et états-majors des pays participants et chargé de traiter, pour ce qui concerne Euromarfor, des questions relatives aux structures, à l'organisation, à l'administration, au renseignement, à l'instruction et à l'entraînement, aux procédures opérationnelles, à l'infrastructure, aux télécommunications et aux aspects financiers.

Le commandement opérationnel d'Euromarfor comporte deux niveaux : opératif d'une part, et tactique d'autre part.

Le commandement de la force, Comeuromarfor , basé à terre, est désigné à tour de rôle chaque année et il est confié à une autorité navale nationale : pour la première année, c'est-à-dire à partir d'octobre 1995, il a été assuré par la plus haute autorité navale espagnole, l'Amiral de la flotte (ALFLOT), puis le relais a été pris en octobre 1996 par le commandant de la zone maritime pour la Méditerranée de la marine française (CECMED) basé à Toulon. Le commandement a été passé en octobre 1997 au commandant en chef de la marine italienne (CINCNAV). Le Comeuromarfor exerce ainsi à la fois un commandement national et le commandement de l'Euromarfor.

Le rôle du Comeuromarfor diffère selon que la force est ou n'est pas activée.

Lorsque la force n'est pas activée, son rôle consiste à préparer les conditions d'activation de la force dans les conditions prévues, dans les délais impartis et selon les directives du CIMIN. Pour cela, il assure la planification opérationnelle en liaison avec les organismes de planification nationaux et la cellule de planification de l'UEO, il participe à la définition des objectifs d'entraînement et des besoins logistiques, il développe les procédures concernant les exercices spécifiques de l'Euromarfor, il tient à jour la liste des unités à la disposition de l'Euromarfor et il entretient des relations avec le directeur de la cellule de planification de l'UEO et avec les autres commandants de forces multinationales.

Lorsque la force est activée, le Comeuromarfor en assure le contrôle opérationnel pour rassembler les unités et assurer sa mise en condition. Il peut conserver la force sous son contrôle s'il est également désigné pour assurer la conduite de l'opération.

Le Comeuromarfor dispose auprès de lui d'une cellule d'état-major comprenant un officier de chaque nation . En pratique, cette cellule non permanente n'est réunie auprès de lui que moins de 50 % du temps. Les officiers concernés alternent les périodes de présence à la cellule d'état-major d'Euromarfor et leur travail dans leurs états-majors nationaux. Cette formule souple , qui pourrait être modifiée si besoin en fonction de l'expérience, assure une bonne liaison entre Euromarfor et les marines nationales. Il faut souligner que continuant à assurer l'exercice d'un commandement national, le Comeuromarfor dispose à ce titre de son propre état-major à partir de son centre d'opérations habituel.

Second échelon de commandement, le commandement tactique embarqué est assuré par un officier de marine désigné par le CIMIN lorsque la force est activée pour un entraînement ou une opération réelle. La fonction de commandant tactique est alors assurée par un officier de marine de même nationalité, en règle générale, que le Comeuromarfor ou qui est considéré comme le plus qualifié pour exercer le commandement. Son état-major est renforcé par du personnel des autres Etats participants..

2. L'aboutissement d'une longue expérience en commun

La capacité opérationnelle et le bon fonctionnement dont peut déjà se prévaloir Euromarfor ont été favorisé par plusieurs facteurs : l'expérience d'une coopération ancienne et active entre les marines française, italienne et espagnole, l'usage de procédures communes à toutes les marines de l'OTAN en vigueur depuis plusieurs années, la relative facilité, par rapport aux opérations terrestres, des opérations maritimes comportant la réunion d'unités -en l'occurrence des bâtiments- provenant de pays différents. L'aptitude de la force a remplir ses missions a déjà été testée en grandeur réelle lors de plusieurs exercices importants.

Les trois pays fondateurs d'Euromarfor, la France, l'Italie et l'Espagne, possèdent une expérience déjà très riche de la coopération entre leurs marines , qui contribue grandement à faciliter le bon fonctionnement de la force.

Cette coopération navale a pris une forme active avec de nombreux exercices tripartites tels que CRISEMEDEX, FARFADET, ARDENTE, TRAMONTANA ou MISTRAL. Elle reposait sur un besoin objectif : diminuer les coûts des stages de remise en condition opérationnelle en groupant les entraînements des différentes marines. Ainsi, de même que le Royaume-Uni coordonne l'entraînement des marines " du nord ", la France entendait fédérer celui des marines " du sud ".

Cette expérience de plusieurs années, ainsi que l'habitude de la marine française de coopérer avec l'ensemble des marines de l'OTAN en usant de procédures communes, constituent le gage de l'efficacité de la force, qui tire un grand bénéfice de la pratique habituelle d'exercices conjoints.

Par ailleurs, il faut souligner que la constitution d'une force navale multinationale pose moins de problèmes pratiques que celle d'une force terrestre : il s'agit de réunir en mer des bâtiments et l'obstacle de la langue est inexistant puisque la langue nationale prévaut à bord alors que de bâtiment à bâtiment, l'anglais est déjà de facto la langue de travail, toutes les marines européennes, y compris la marine française, se conformant aux procédures et aux standards de l'OTAN.

Si l'habitude de travail en commun entre les marines française, italienne et espagnole, était déjà très forte, il n'en va pas de même avec la marine portugaise. Il est d'ailleurs significatif que le Portugal n'ait été associé aux trois pays fondateurs que lors de la conférence ministérielle de l'UEO de Lisbonne et n'ait pas participé dès l'origine à la création d'Euromarfor. Dans ces conditions, il est également logique que l'intégration de la marine portugaise dans la force soit moins naturelle et moins facile que celle des trois autres marines. On relèvera par exemple qu'il a fallu attendre l'été 1997 pour que la marine portugaise fournisse un bâtiment à l'Euromarfor, dans le cadre de la mission Medsud alors qu'elle n'avait participé ni à l'exercice Eole 96, ni à l'exercice Iles d'or 97 au printemps dernier.

La participation pleine et entière de la marine portugaise à Euromarfor exige aussi une bonne intégration dans les structures de la force, qu'il s'agisse du sous-groupe travaillant auprès du CIMIN, de la cellule d'état-major du Comeuromarfor, ou des états-majors placés auprès du commandant tactique lors des exercices. A cet égard, on peut s'étonner de l'absence d'officiers portugais dans les états majors constitués pour l'exercice Iles d'or 97.

Au travers de ces quelques éléments, on voit bien que la composition multinationale de la force ne soulève guère de difficultés dès lors que l'on raisonne sur un nombre limité de marines, habituées à coopérer. Les efforts d'adaptation à accomplir sont moins importants pour les trois marines des pays fondateurs, qui constituent en quelque sorte le " noyau " d'Euromarfor, que pour le Portugal.

Cet aspect des choses devra nécessairement être pris en compte lorsque se posera la question de l'élargissement d'Euromarfor , évoqué en raison de la candidature de la Grèce et de la Turquie. Si l'ouverture aux autres membres de l'UEO figure parmi les principes affichés dès la création d'Euromarfor, il importe aussi de préserver le bon fonctionnement actuel de la force , qui s'appuie à la fois sur une organisation légère et souple , et sur l'acquis de la coopération entre les trois pays fondateurs. L'efficacité du commandement de la force pourrait souffrir d'un manque de continuité, si un nombre trop important de pays étaient appelés à l'exercer à tour de rôle. Sans doute faudrait-il alors distinguer la fonction de commandement de la force, qui gagnerait à ne tourner qu'entre un nombre limité d'autorités, et la participation d'autres pays à la force, qui pourrait bien entendu être plus large, dans le cadre d'exercices ou d'opérations ponctuelles ou de manière plus permanente, les autorités de ces pays pouvant pour leur part se voir confier un commandement tactique.

3. Une force d'ores et déjà opérationnelle

Force non permanente mais préstructurée, l'Euromarfor constitue aujourd'hui pour les quatre pays membres une force maritime adaptée aux missions du temps de crise, capable de prendre la mer sous préavis de cinq jours.

La composition de la force repose sur des moyens existants dans les marines participantes. Désignés à l'avance par chacun des pays participants, les bâtiments, en dehors des périodes d'opérations communes, ne sont ni rassemblés, ni retirés de leurs activités nationales habituelles. Les Etats-membres communiquent le type et le nombre d'unités qu'ils s'engagent à maintenir disponibles pour une éventuelle affectation à l'Euromarfor. Cette liste est renouvelée tous les semestres et permet au Comeuromarfor d'engager les travaux de planification.

Pour 1997, les forces disponibles se décomposaient comme suit :

- un porte-avions et son groupe aérien,

- trois bâtiments amphibies de type transport de chalands de débarquement (TCD),

- cinq frégates,

- quatre corvettes,

- deux destroyers,

- deux ravitailleurs,

- trois chasseurs de mines,

- un sous-marin nucléaire d'attaque,

- un soutien d'aviation de patrouille maritime.

Sur cet ensemble, la France fournissait notamment le porte-avions , trois TCD et un sous-marin nucléaire d'attaque. Deux divisions de l'armée de terre, la 9e division d'infanterie de marine et la 6e division légère blindée, étaient par ailleurs susceptibles de contribuer à une opération. Il est à noter que les marines italienne et espagnole disposent d'unités d'infanterie de marine qui leur sont directement rattachées et qui peuvent être engagées dans les opérations de la force : le bataillon San Marco en Italie et le Tercero de Armada en Espagne.

La liste des bâtiments arrêtée chaque semestre constitue une réserve potentiellement utilisable qui pourrait être complétée par d'autres bâtiments ou aéronefs si la mission l'exigeait. A la lecture de cette liste, il apparaît que les capacités opérationnelles d'Euromarfor sont importantes tant en matière de contrôle des espaces maritimes que de projection de forces : elles couvrent pratiquement tous les domaines de l'action aéronavale et permettent la mise en oeuvre d'actions terrestres à partir de la mer.

On peut observer que si aucun lien organique n'est établi entre Euromarfor et Eurofor, si ce n'est qu'elles relèvent du même CIMIN, une complémentarité étroite apparaît entre les deux forces, Euromarfor pouvant contribuer à l'appui aérien, au transport d'une force amphibie ou à des mesures d'embargo ou d'évacuation de ressortissants. Les deux forces devraient d'ailleurs participer conjointement à l'exercice EOLE 98 qui se déroulera au printemps prochain dans le sud de la France.

En ce qui concerne les capacités de débarquement , les 3 TCD d'Euromarfor permettent le transport de moyens nécessaires à l'armée de terre, qu'il s'agisse de troupes, d'hélicoptères de transport, de véhicules ou de blindés légers. Ces moyens peuvent être débarqués dans des installations portuaires existantes ou sur des rivages non aménagés, grâce à des opérations d'héliportage et de " plageage ". Une opération de grande ampleur exigeant par exemple le transport de blindés lourds nécessiterait en revanche le recours à des moyens supplémentaires de transport maritime, par l'affrètement de navires de commerce.

L'Euromarfor est activée pour entraînement, en principe chaque année avec un thème particulier à l'occasion d'un exercice. Depuis sa création, elle n'a pas été engagée dans une opération spécifique bien que sa vocation et sa capacité opérationnelle la désignaient de manière assez évidente pour participer à l'opération ALBA en Albanie.

Les exercices effectués depuis 1996 ont permis d'évaluer le comportement de la force dans diverses configurations, qu'elle opère seule avec des objectifs propres ou qu'elle s'intègre dans une coalition plus vaste au sein de laquelle lui sont confiées des missions particulières.

Inaugurée le 2 octobre 1995 à Rota, sous le commandement de l'amiral commandant la flotte espagnole (ALFLOT), l'Euromarfor a été activée pour la première fois le 23 avril 1996 à Palma de Majorque pour effectuer un entraînement spécifique puis s'intégrer en tant que telle à l' exercice interarmées européen Eole 96 . A cette occasion, la force a rassemblé une vingtaine de bâtiments, parmi lesquels deux porte-aéronefs, deux transports de chalands de débarquement et leur escorte.

Le 7 octobre 1996, le commandement de la force était transmis au commandant de la zone maritime Méditerranée à Toulon (CECMED). La force a de nouveau été activée en deux occasions :

- sa participation à l'exercice Iles d'or 97,

- une mission spécifique, la mission Medsud.

Iles d'or est un exercice naval majeur organisé tous les trois ans par CECMED en Méditerranée occidentale qui s'est déroulé cette année du 19 au 31 mai et a regroupé les forces de onze nations : l'Allemagne, la Belgique, le Canada, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Turquie.

A cette occasion, l'Euromarfor a été activée et a rassemblé autour du porte-avions Clemenceau les frégates françaises Cassard et Dupleix, la frégate italienne Grecale, la frégate espagnole Cataluna, ainsi que le pétrolier ravitailleur français Meuse. En outre, ainsi que le permettent les statuts, la frégate allemande Augsburg a été associée au titre de l'UEO.

Pour l'Euromarfor, l'exercice s'est déroulé en deux temps :

- quatre jours d'entraînement ont permis de constater sa capacité de participer à la sécurité du trafic maritime, à l'acheminement d'une aide humanitaire par voie maritime, de dissuader un agresseur potentiel et de conduire si nécessaire un raid aérien en territoire hostile,

- l'Euromarfor s'est ensuite intégrée dans l'ensemble plus vaste de l'exercice Iles d'or 97, avec pour mission particulière la conduite d'opérations aériennes depuis la mer sous menaces multiples en soutien d'une opération internationale sous mandat de l'ONU.

La participation d'Euromarfor à l'exercice Iles d'or 97 aura démontré, pour ce qui la concerne, l'interopérabilité entre ses différentes composantes dans tous les domaines tactiques, le bon fonctionnement d'un état-major tactique multinational et la capacité à intégrer rapidement dans un groupe tactique des unités relevant d'autres pays de l'UEO. Elle a par ailleurs révélé l'aptitude d'Euromarfor à agir en entité autonome avec ses propres tâches au sein d'une force interalliée impliquée dans une opération multinationale.

La mission Medsud, du 2 au 9 juin 1997 a immédiatement suivi la participation d'Euromarfor à cet exercice. Cette mission décidée par le CIMIN devait consister à mieux faire connaître la force aux pays riverains du sud de la Méditerranée, à travers des escales et des exercices communs. Outre les frégates Dupleix, Grecale et Cataluna, déjà présentes dans l'exercice Iles d'or, la mission s'adjoignait un bâtiment portugais, la frégate Commandante Joao Belo, qui représentait la première participation effective du Portugal à Euromarfor. Toutefois, compte tenu des réticences des pays d'Afrique du Nord à accueillir une escale, la mission s'est limitée à un entraînement entre Toulon et Lisbonne axé sur la lutte antinavire, les transmissions et le renseignement..

Ainsi que l'ont montré les diverses activités menées depuis le printemps 1996, l'Euromarfor dispose d'ores et déjà de capacités opérationnelles lui permettant sous faible préavis d'exécuter des missions variées. On peut regretter pour l'UEO que celle-ci, faute d'unanimité entre ses membres, n'ait pas su ou voulu utiliser ces capacités lorsque s'est posée au début de cette année la question de l'envoi d'une force multinationale en Albanie . En effet, cette mission entrait parfaitement dans la vocation d'Euromarfor, qui était en mesure de l'assumer très rapidement, et elle aurait constitué pour la force une première opération d'envergure de nature à la conforter et à lui donner une notoriété en rapport avec sa valeur opérationnelle. Rappelons que le commandement de la Force multinationale de protection en Albanie agissant sous mandat de l'ONU est revenu à l'Italie, qui a fourni près de la moitié des effectifs, et que la France et l'Espagne ont également envoyé un contingent. Pour ce qui concerne la France, la marine a mis en oeuvre ses moyens amphibies (les Transports de chalands de débarquement Foudre et Orage ainsi que le bâtiment de transport léger Champlain) pour projeter les éléments du bataillon français, issus principalement de la 9ème division d'infanterie de marine. Cette opération menée dans un cadre multinational pour rétablir le trafic maritime dans le port de Durrës et sécuriser l'acheminement de l'assistance humanitaire répondait de manière évidente aux critères d'emploi de l'Euromarfor.

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