N°771

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N° 345

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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNA T

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE l958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

le 6 mars 1998

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 5 mars 1998 Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 1998

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES POLITIQUES PUBLIQUES

RAPPORT

sur

LES ACTIONS MENÉES EN FAVEUR DE LA POLITIQUE MARITIME ET LITTORALE DE LA FRANCE,

par

M. Philippe MARINI,

Sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Augustin BONREPAUX.
Vice-Président de l'Office.

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Christian PONCELET.
Président de l'Office.

Mer et littoral.

AVANT-PROPOS

Par lettre en date du 10 octobre 1996, M. Josselin de Rohan, sénateur, président du groupe RPR, a fait part à M. le président du Sénat de son souhait de saisir l'Office d'évaluation des politiques publiques d'une étude sur la politique maritime.

Dans sa séance du 22 octobre suivant, le Bureau du Sénat a approuvé cette initiative et saisi l'Office, conformément au 1° du III de l'article 6 quinquies de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958.

Lors de sa réunion du 19 février 1997, sur le rapport de M. Arnaud Cazin d'Honincthun, député, l'Office a décidé de donner suite à cette demande. Il a souhaité recourir aux services du Commissariat général du Plan pour la réalisation de l'évaluation.

L'objet de l'étude, qui devait être initialement remise pour le 30 juin 1997, était particulièrement vaste, ainsi qu'en témoignent les termes de la lettre adressée le 20 février 1997 par M. Christian Poncelet, alors président de l'Office, à M. Henri Guaino, Commissaire général au Plan.

"L'évaluation devra porter sur toutes les formes d'intervention publique : gestion directe ou déléguée de services publics, subventions d'investissement et de fonctionnement à des personnes publiques ou privées, allégements de charges sociales, exonérations fiscales, régularisation des marchés, bonifications d'intérêt...

Elle doit concerner aussi bien les interventions de l'État que celles des collectivités locales, sans oublier les aides transitant par des fonds européens.

L'un des premiers intérêts de l'étude sera de dégager un panorama exhaustif des interventions publiques dans les trois secteurs concernés. Du fait de la multiplicité et de la variété des formes de ces interventions, il est aujourd'hui difficile d'appréhender l'ampleur de l'effort consenti par la France en faveur de sa politique maritime.

Au-delà de cet aspect descriptif, l'évaluation devra s'attacher à mesurer l'efficacité interne des instruments de la politique maritime. Il s'agit de déterminer s'ils répondent bien aux objectifs qui leur sont assignés, et à quel coût. Les trois secteurs d'activité retenus étant de nature marchande, il est possible de leur appliquer un raisonnement économique.

L'évaluation devra également porter sur les effets induits de la politique maritime. Les activités maritimes sont en effet fortement structurantes, qu'il s'agisse de la puissance industrielle et exportatrice de la France ou de l'aménagement du territoire.

À chacun de ces trois niveaux d'analyse, l'étude gagnera à s'appuyer sur des éléments comparatifs. Les activités maritimes sont par nature internationalisées, et il sera intéressant d'examiner les réponses apportées par les pays voisins de la France à des problèmes semblables."

Deux points importants doivent être soulignés en ce qui concerne la mise en oeuvre de cette étude :

Dans une lettre du 16 avril 1997, le Commissaire général au Plan a estimé qu'une évaluation complète de la politique maritime nécessitait d'étendre le champ de l'étude :

" J'ai bien noté la priorité que l'Office souhaite accorder aux ports maritimes, à la flotte de commerce et à la pêche. L'évaluation ne pourra pas manquer de porter aussi sur d'autres sujets tels que la construction navale, la plaisance et le littoral, tellement les questions relatives à la mer et à l'efficacité des politiques publiques qui lui sont consacrées sont liées et appellent une analyse globale".

Dans une lettre en date du 24 juillet, M. Henri Guaino a fait savoir que des pré-rapports sur les ports maritimes, la flotte de commerce et la pêche ainsi que sur le littoral et la construction navale seraient remis en septembre et le rapport définitif en automne.

M. Philippe Marini, sénateur, désigné comme rapporteur en remplacement de M. Cazin d'Honincthun, a soumis son rapport et les travaux du Commissariat général du Plan à l'office qui, le 10 février 1998, a décidé de les transmettre au Bureau du Sénat, assortis d'un avis favorable à leur publication, dans les conditions rappelées par le compte rendu ci-annexé.

Le Bureau du Sénat a, le 3 mars suivant, autorisé la publication du rapport de M. Philippe Marini et des travaux du Commissariat général du Plan

Mesdames, Messieurs,

La mission confiée au Commissariat général du Plan consistait en une évaluation globale de toutes les formes d'intervention (directes ou indirectes) dans le domaine maritime, c'est-à-dire de l'intervention de l'État mais aussi des collectivités locales, et des aides des fonds européens.

Les rapports sectoriels fournis sont au nombre de six (outre-mer, littoral, marine marchande, ports, construction navale, pêche) et dressent un panorama exhaustif de l'action publique dans le domaine maritime.

Ces rapports délivrent des informations précieuses ainsi qu'un certain nombre de propositions visant à une meilleure efficacité de la dépense publique dans le secteur maritime.

Cependant, cette évaluation met en valeur la difficulté d'acquérir une vue d'ensemble d'une politique fragmentée sur laquelle le Parlement est appelé à légiférer de manière trop parcellaire. Certes, il ressort de l'évaluation que chaque secteur considéré présente des caractéristiques et des besoins spécifiques qui appellent des mesures qui lui sont propres.

Certains liens doivent pourtant être établis entre les différentes formes d'interventions publiques, notamment entre la politique en direction de la marine marchande et de la construction navale, et il appartient à l'État d'exercer une action globale pour enrayer la dégradation rapide et préoccupante de la situation observée.

I. UNE SITUATION FRAGILE DANS UN CONTEXTE DE CONCURRENCE ACCRUE

A. LE POTENTIEL ÉCONOMIQUE DU SECTEUR MARITIME À BEAUCOUP DIMINUE...

Malgré de très importantes mesures d'adaptation et de restructuration, la filière maritime française, exposée à un environnement très fortement concurrentiel, est aujourd'hui encore dans une situation fragile.

Ces adaptations connues par le secteur sont pour une part liées à une

En 10 ans, la flotte de commerce française a chuté de 30 % en tonnage et le nombre de navires a diminué de 40 %. Cette réduction s'est accompagnée d'une diminution du nombre de marins embarqués, qui représentent aujourd'hui 10 000 personnes (dont environ 2 500 pour les services portuaires)

Entre 1988 et 1994, la flotte de pêche a diminué de 40 % en nombre, de 15 % en tonnage et de 16 % en puissance. La réduction de la flottille a eu des conséquences sur l'emploi, aussi bien pour les marins-pêcheurs que sur les emplois indirects à terre. Le secteur de la pêche a perdu 2 000 marins en 5 ans, pour s'établir à 17 500 marins embarqués en 1995.

Les ports qui représentent aujourd'hui 30 000 emplois directs, ont également subi de profonds ajustements. La loi du 9 juin 1992 et les décrets du 12 octobre 1992 mettant en oeuvre une réforme de la manutention portuaire, ont conduit à une réduction de moitié des effectifs de la profession de dockers (de 8 234 en 1992 à 4 000 en 1996).

Mais l'activité la plus touchée par la réduction d'effectifs est sans conteste la construction navale, dont l'emploi direct civil est passé de 32 500 en 1976 à 5 910 en 1994, soit une réduction d'effectif de 82 %.

B. ...ET LA FILIÈRE MARITIME RESTE TRÈS FRAGILE VIS-À-VIS DE SES CONCURRENTS

Malgré ces importantes restructurations, la filière maritime française demeure dans une situation fragile .

Le commerce international se développe à un rythme très soutenu, dans un contexte très concurrentiel où les prix du transport maritime sont tirés vers le bas.

Les coûts de production et les facteurs technologiques sont donc discriminants, alors que la France connaît un désavantage en termes de compétitivité-prix.

Les secteurs les plus exposés sont, par ordre décroissant, la construction navale, la marine marchande et la pêche.

Malgré des restructurations de grande ampleur, le marché de la construction navale civile reste globalement caractérisé par des capacités de production excédentaires. Il en résulte une forte contrainte sur les prix avec un fort pouvoir de négociation aux armateurs en raison principalement de l'augmentation du potentiel coréen, de l'entrée massive sur le marché de nouveaux concurrents, comme la Chine ou de la reconversion de la construction militaire en construction civile (ex-URSS, États-Unis).

La marine marchande s'inscrit également dans un univers très concurrentiel, où les marges de manoeuvre sont faibles, si bien que ce sont les coûts d'exploitation, et notamment le poste d'équipage, fonction du choix du pavillon (25 à 50 % du coût d'exploitation varient suivant le type de pavillon), qui sont déterminants. Or, le surcoût du pavillon français par rapport à ses principaux concurrents est estimé à 337 millions de francs par an. Pour le cabotage, le différentiel de coût entre un équipage formé exclusivement de marins européens et un équipage mixte peut être de 25 à 60 % selon la proportion de marins étrangers autorisés sous le pavillon concerné.

Le secteur de la pêche, soumis à une intégration croissante au système économique international, s'est restructuré depuis la crise de 1992-1993. Les indicateurs actuels sont relativement favorables : rentabilité des navires, cours du poisson, rémunération des marins-pêcheurs. Cependant, il reste fragile : le secteur ne bénéficie pas de marges de sécurité (peu de capacité d'investissement pour s'adapter à la concurrence internationale, raréfaction des ressources) et les charges sociales et financières pesant sur lui sont élevées. Il faut également noter que l'augmentation de la demande des produits de la mer s'est principalement portée sur les importations, la structure des produits pêchés en France n'étant pas adaptée à celle de la demande.

L'exposition à la concurrence étrangère montre une vulnérabilité du secteur maritime français, renforcée par la surévaluation du franc contre le dollar et contre certaines devises européennes, entre 1992 et 1995. Les termes de l'échange ont été très défavorables aux pêcheurs et aux constructeurs de navires français. Les fluctuations monétaires ont considérablement aggravé les déséquilibres constatés dans les échanges des produits de la mer dans la mesure où les flux d'exportation étaient tournés vers l'Espagne et l'Italie et où la dévaluation de la livre permettait à la Grande-Bretagne d'accentuer sa pénétration sur le marché français. Il en est résulté une baisse générale des cours à la première vente, et la baisse des prix a précipité les cessations de paiement et les faillites.

La concurrence des ports s'exerce sur des critères plus diversifiés: le coût du passage, la présence ou non d'un arrière-pays dense et développé et la position géographique, enfin la qualité du service. Le coût du passage portuaire n'est pas l'élément de choix le plus significatif.

Cependant, les ports d'Outre-mer , soumis à une vive concurrence au niveau régional, ont des coûts de manutention et de passage de la marchandise prohibitifs qui obèrent leur compétitivité. D'une manière générale, les collectivités d'outre-mer sont insérées dans un environnement géographique composé de pays à faible degré de développement et se trouvent globalement sur les mêmes filières de production que ces États, mais avec des coûts de main-d'oeuvre tels qu'ils excluent toute possibilité de concurrence.

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