A. LA DIFFICULTÉ D'UNE TRANSITION DÉMOCRATIQUE DANS UNE SOCIÉTÉ MARQUÉE PAR DE NOMBREUX CLIVAGES

Le Cameroun est souvent apparu au cours de la dernière décennie comme l'"homme malade" de l'Afrique francophone. La succession des crises en Afrique centrale, au cours de l'année 1997, a même laissé croire à certains, adeptes de la théorie des dominos, que le Cameroun constituerait la prochaine étape d'un large processus de déstabilisation à l'oeuvre dans toute cette partie du continent.

Force est d'observer que ces sombres pronostics ne se sont pas confirmés. Certes, les facteurs de faiblesse ne manquent pas mais le pouvoir politique a su neutraliser les nombreux clivages de la société camerounaise, à la faveur d'équilibres délicats mais finalement durables. Il lui faut maintenant préserver la stabilité du pays sans le "confort" procuré par un système de parti unique mais, au contraire, en s'engageant sur les voies de l'ouverture politique.

1. Un équilibre politique complexe mais nécessaire

a) Les facteurs de faiblesse

Les facteurs de faiblesse apparaissent de plusieurs sortes. En premier lieu, le Cameroun, sur fond de mosaïque ethnique (quelque 240 ethnies avec une dizaine de regroupements influents), connaît un double clivage linguistique (entre les anglophones de l'ouest et les francophones) et religieux entre les musulmans du nord et les chrétiens du sud. Certes, cette multiplicité n'appartient pas en propre au Cameroun mais elle paraît très accusée dans ce pays et représente à coup sûr un frein à l'affirmation d'un Etat national .

En second lieu, la crise économique des années 80 a entraîné une forte dégradation de l'esprit public. La corruption et les détournements de fonds se sont répandus à de nombreux échelons de l'administration et pèsent certainement sur la reprise économique.

En outre, les principes de la démocratie ont quelques difficultés à entrer dans les usages de la classe politique camerounaise. Le décalage assez souvent observé entre les taux de participation annoncés -de l'ordre de 80 à 90 % du corps électoral- et les taux de participation effectifs traduit une certaine nostalgie pour les pratiques anciennes. L'opposition n'est pas loin de partager un état d'esprit comparable quand elle récuse systématiquement les résultats électoraux qui ne lui sont pas favorables. Dans ces conditions, le débat politique ne peut pas réellement s'engager ; les partis ne s'opposent pas vraiment sur des projets de société différents mais paraissent surtout guidés par l'attrait du pouvoir.

Enfin, le souci de préserver les équilibres existants comme l'extrême centralisation du pouvoir confèrent au processus de décision une lenteur excessive. Dans bien des cas, le pouvoir se décide à réagir sous la seule pression extérieure.

b) Les facteurs d'équilibre

Toutefois, malgré ces éléments de vulnérabilité, le Cameroun connaît une stabilité dont les pays voisins n'offrent pas toujours l'exemple. Trois facteurs principaux expliquent l'équilibre présent.

En premier lieu, les quinze premières années du Cameroun indépendant ont été marquées par les violences entretenues par les mouvements de dissidence. En 1984 encore, une tentative de coup d'Etat était sévèrement réprimée. Ces souvenirs constituent désormais pour l'opinion publique un garde-fou contre la violence.

En second lieu, la stabilité du Cameroun repose sur un compromis implicite entre les ethnies de la mosaïque camerounaise : aux chrétiens bamilékés de l'Ouest (francophones comme anglophones) l'essentiel du pouvoir économique et commercial, aux ethnies du Nord et du Sud -principalement les Bétis- la maîtrise de l'autorité politique. Depuis l'indépendance du Cameroun l'alliance des Bétis chrétiens du centre sud, des Foulbès animistes et des Kirdis animistes ou chrétiens du nord, répond au souci d'assurer un contrepoids au dynamisme économique des populations bamilékés. Au sein de cette alliance les équilibres peuvent certes varier sans que soit, toutefois, remise en cause une solidarité de principe. A titre d'exemple, sur une quarantaine de membres, le gouvernement actuel ne compte que deux Bamilékés. La volonté de perpétuer ces équilibres explique en partie la centralisation des décisions nécessaires pour répartir les postes aux différents échelons de l'administration.

L'autre force du Cameroun réside sans doute, enfin, dans un encadrement administratif solide (du gouvernement au chef de quartier en passant par les préfets, sous-préfets, maires, chefs de quartier) et dans une armée loyale et régulièrement payée.

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