2. Les signes d'une ouverture politique

Le souci de sauvegarder les équilibres savamment élaborés au temps du monopartisme explique sans doute, en partie, les difficultés du Cameroun à s'engager sur les voies de la démocratie au début des années 90. Plus conscient peut-être aujourd'hui qu'hier qu'une démocratisation maîtrisée constitue, à terme, le meilleur gage de stabilité, le pouvoir a, au terme des différents scrutins de l'année 1997, donné les témoignages d'une véritable ouverture politique.

Au cours des années qui ont suivi l'introduction, sous la pression populaire, du multipartisme fin 1990, le contexte politique s'est modifié : le pouvoir présidentiel, d'abord ébranlé par les premières élections pluralistes de 1992, s'est renforcé à la suite des différents scrutins de 1997.

a) Une transition difficile pour le régime de M. Biya

En effet, le parti du Président Biya, le Rassemblement Démocratique du peuple camerounais (RDPC), n'avait emporté les élections de 1992 qu'à une courte majorité (88 sièges sur 180) alors même qu'une partie de l'opposition dont le Front social démocratique (Social Democratic Front -SDF) dirigé par l'anglophone John Fru Ndi avait choisi l'abstention. Par ailleurs aux présidentielles d'octobre 1992, au scrutin majoritaire à un tour, le Président Biya obtenait une réélection difficile avec 40 % seulement des suffrages contre 36 % à M. Fru Ndi et 19 % à M. Bello Bouba Maïgari (Union nationale pour la démocratie et le progrès -UNDP).

La fragilité des résultats a placé le pouvoir dans une position défensive.

D'une part, il s'est refusé à tout dialogue avec l'opposition. La contestation par M. Fru Ndi de la régularité du scrutin -également mise en cause par certains observateurs internationaux- a même eu pour conséquence l'assignation à résidence du chef du SDF et la proclamation de l'état d'urgence dans le nord-ouest pendant deux mois. D'autre part, la réforme institutionnelle a marqué le pas. Ainsi la révision constitutionnelle engagée par la "conférence tripartite" de 1991 (création d'un Sénat, d'une Cour constitutionnelle et mise en place d'une large décentralisation), adoptée par l'Assemblée en décembre 1995 seulement, n'a reçu pour l'heure aucune traduction .

Enfin, les autorités n'ont trouvé d'autres réponses aux critiques d'une presse indépendante -mais pas toujours rigoureuse- que la censure ou la condamnation des journalistes à des peines de prison.

Le succès du SDF et de l'UNDP lors des élections municipales de janvier 1996 dans la plupart des grandes villes n'a pas contribué à décrisper les relations entre la majorité et l'opposition. Il a conduit, en effet, le gouvernement à désigner au printemps 1996, dans des conditions juridiques controversées, des délégués à la tête des principales villes camerounaises. Le SDF a réagi en appelant à des journées "ville morte". Cependant ce mot d'ordre ne rencontra pas, cette fois, beaucoup d'écho au sein d'une opinion quelque peu désabusée.

Les échéances électorales de 1997 (législative de mai et présidentielle d'octobre) se sont ainsi engagées dans un climat de tension encore alourdi par les troubles dans le nord du pays fomentés selon toute vraisemblance par un mouvement irrédentiste, le Southern Cameroon National Council.

L'opposition (SDF, UNDP et l'Union Démocratique du Cameroun -UDC-)a critiqué les conditions d'organisation des deux scrutins et même appelé au boycott à l'élection présidentielle d'octobre faute d'une réforme de la loi électorale.

En effet, au moment de la préparation de l'élection présidentielle, les autorités n'ont tenu aucun compte des critiques faites par les observateurs internationaux sur l'organisation des élections législatives (obstacles aux inscriptions sur les listes électorales et cas avérés de fraude). Elles ont même conféré à l'administration territoriale, en septembre dernier, un pouvoir quasi discrétionnaire d'accepter ou de refuser toute candidature.

b) Un pouvoir consolidé

Malgré ce contexte difficile, les scrutins successifs se sont déroulés dans le calme, signe sans doute de la lassitude de la population. Ils ont contribué à renforcer le pouvoir en place. Les élections législatives ont permis au RDPC d'accroître le nombre de ses élus (116 sièges sur 180). Elles ont également confirmé l'enracinement régional des deux principaux mouvements d'opposition : l'emprise du SDF -représenté pour la première fois à l'Assemblée nationale avec 43 sièges- sur l'ouest anglophone et l'influence de l'UNDP dans le nord -même si les sièges acquis à ce parti se contractent de 68 à 13 d'une législature à l'autre.

Aux présidentielles, l'incapacité de l'opposition à s'entendre sur un candidat unique en raison de rivalités personnelles mais aussi de considérations ethniques, puis sa décision de boycotter le scrutin, garantissait à M. Paul Biya une réélection sans difficultés, même si par ailleurs le nombre des suffrages -92,57 % des voix- comme le taux de participation -80 %- laissent prise à la contestation.

Fragile, le pouvoir s'était cantonné à une position défensive. Désormais renforcé, il semble prêt à donner les signes d'une réelle ouverture. Il en a apporté du moins un double témoignage.

En premier lieu, le Président de la République a offert à l'opposition la possibilité de participer au gouvernement : si le SDF et l'UDC ont refusé cette proposition, l'UNDP l'a, quant à elle, acceptée et obtenu deux portefeuilles (le ministère d'Etat au développement industriel et commercial qui revient au président de ce parti, M. Bello Bouba Maïgari, et le secrétariat d'Etat aux transports). L'équipe gouvernementale toujours dirigée par M. Peter Mafany Musonge a, du reste, été en partie renouvelée et rajeunie, même si les principaux titulaires des ministères économiques ont été reconduits afin d'inscrire l'action du nouveau gouvernement dans la continuité des orientations adoptées par le Cameroun au cours des derniers mois -et en particulier l'effort pour nouer de bonnes relations avec la communauté financière internationale.

En second lieu, le parti majoritaire, le RDPC, et le principal mouvement d'opposition sont convenus d'engager un dialogue consacré aux modalités d'organisation des élections. Les discussions ouvertes au début de l'année ont toutefois été suspendues avant que le comité d'études conjoint mis en place ne puisse rendre , comme prévu, ses conclusions à la fin du mois de février. Les divergences se cristallisent en effet sur la création d'une commission électorale nationale indépendante souhaitée par le SDF. La majorité estime avoir concédé un point important sur le fonctionnement des organismes de contrôle existants en acceptant que leur présidence revienne à des magistrats et non à des représentants de l'administration. Aux yeux du SDF, ces avancées demeurent très en deçà de l'objectif qu'elle poursuit de dessaisir l'administration de l'ensemble de l'organisation de la procédure électorale.

Votre délégation a pour sa part plaidé auprès des responsables du SDF en faveur du dialogue au moment où le Cameroun doit mobiliser toutes ses forces pour poursuivre son redressement économique.

Par ailleurs, interrogé par votre délégation sur la situation des droits de l'homme au Cameroun, le Premier ministre M. Musonge a exprimé sa volonté de donner à ce thème ainsi qu'à "la bonne gouvernance" une place accrue dans les préoccupations du nouveau gouvernement. Sur ce chapitre, votre délégation a d'ailleurs évoqué devant les autorités camerounaises l'affaire de l'incarcération du journaliste d'opposition Pius Njawe.

Comme l'a observé le Premier ministre, les progrès dans ce domaine doivent s'inscrire dans le cadre d'un effort continu et ne pourront se juger que sur le moyen terme.

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