C. LA VALORISATION DES HYDROCARBURES

Les abondantes ressources en hydrocarbures du Kazakhstan doivent lui permettre de devenir, à moyen terme, un exportateur de premier plan. Toutefois, il occupe encore une place modeste en ce domaine, en raison de difficultés géopolitiques, techniques et juridiques.

1. Les obstacles géopolitiques

Le potentiel du Kazakhstan représente un réel enjeu stratégique, suscitant la convoitise des principales compagnies pétrolières et gazières internationales.

L'ouverture aux compagnies occidentales, pourtant récente (1992), s'est immédiatement traduite par une présence massive des plus grandes d'entre elles, en particulier pour l'exploitation onshore du gisement géant de Tenguiz et l'exploration offshore de la mer Caspienne.

Toutefois, malgré cette ouverture à l'Occident, l'enclavement du Kazakhstan conduit ce pays à dépendre totalement des Etats frontaliers, en particulier de la Russie, pour l'évacuation de ses ressources en hydrocarbures.

Un rapide coup d'oeil sur la carte énergétique du Kazakhstan montre que la production de pétrole (Tanguiz, Uzeu, Mangnistan, Aktioubiusk, karachaganak) et de gaz se situe dans la partie occidentale, tandis que les zones de consommation sont au centre, au Sud et à l'Est où vit la majorité de la population.

Le paradoxe de cette situation veut que le Kazakhstan dépende des oléoducs Uzen-Atyran-Samara et Kerkiak-Orsk orientés vers le Nord-Ouest pour l'évacuation d'une partie de sa production alors que les deux plus grosses raffineries du pays (Pavlodar et Shimkent) sont approvisionnées en pétrole sibérien par l'oléoduc Surant-Oinsk-Parlodan-Shimkent 10( * ) .

Le développement des exportations d'hydrocarbures vers des marchés solvables constitue ainsi un enjeu vital pour le Kazakhstan.

Ne disposant pas de débouché naturel pour ses exportations, le Kazakhstan a, en outre, hérité d'un réseau d'oléoducs essentiellement orienté vers le Nord-Ouest et destiné à approvisionner la Russie et les Républiques de l'ex-URSS. Ce réseau se révèle totalement insuffisant pour exporter la production potentielle du Kazakhstan et, notamment, celle des gisements de Tenguiz. De surcroît, le montant excessif des redevances de transit réclamées par les Russes et la vétusté des installations conduisent à des interruptions fréquentes et pénalisantes pour l'économie kazakhe.

Dans ce contexte, la diversification des voies d'évacuation des hydrocarbures, et plus particulièrement du pétrole, représente un objectif essentiel pour le Kazakhstan. Les cinq débouchés théoriquement envisageables sont confrontés à d'importants obstacles à caractère géopolitique .

L'augmentation des capacités d'exportation par le territoire russe constitue la première solution. Le consortium CPC (Caspian Pipeline Consortium) a ainsi pour objectif de construire un oléoduc de grande capacité reliant le Kazakhstan au port russe de Novorossisk sur la mer Noire. Conclu en 1992, modifié en 1996 et 1997 (les dernières négociations étant intervenues le 16 mai 1997), l'accord du CPC prévoit, tout d'abord, la rénovation de la ligne existante Tengiz-Komsomolsk qui suit le pourtour de la Caspienne, puis la construction d'un pipe Komsomolsk-Thikoretsk-Novorossisk (480 km) et enfin la réalisation d'un terminal flottant et des installations de stockage à Novorossisk (accroissement des capacités de 32 à 100 millions de tonnes/an). D'une longueur totale de 1.500 km, le conduit devrait permettre le transport de 560.000 b/j dans un premier temps. En phase de croisière, la capacité serait portée à 1,3 millions de b/j. La moitié des parts du projet sont détenus par les gouvernements de Russie (24 %), du Kazakhstan (19 %) et d'Oman (7 %), l'autre moitié étant divisée entre des partenaires internationaux -Chevron (15 %), Lukoil (12,5 %), Rosneft/Shell (7,5 %), Mobil (7,5 %), Agip (2 %), BG (2 %), Kzakoil (anciennement Munaigas) (1,75 %) et Oryx (1,75 %)-. Amoco a rejoint le CPC en échange du financement des 1,75 % de la compagnie kazakhe (70 millions de dollars) et d'un investissement de 60 millions de dollars, obtenant ainsi le droit d'acheminer 60.000 b/j (accord du 12 mars 1997).

Le montant du projet CPC est évalué à environ 2 milliards de dollars pour sa phase initiale. Les estimations montent jusqu'à 4 milliards à pleine capacité (1,3 millions de b/j au-delà de 2010). Bien que ce projet ait été, jusqu'à l'été dernier, le seul à progresser, il n'est pas sans inconvénients : sa réalisation confirmerait la dépendance du Kazakhstan a l'égard de la Russie et augmenterait le transit des pétroliers dans le détroit du Bosphore, en totale contradiction avec la volonté des Turcs de limiter le trafic des pétroliers et des méthaniers dans ce détroit. Ce choix de la Turquie provient certes de soucis environnementaux légitimes mais trouve aussi son origine dans son désir de favoriser un tracé aboutissant à un port turc sur la Méditerranée.

Par ailleurs, l'oléoduc " CPC " ne réglera pas tous les problèmes puisqu'il a vocation avant tout à évacuer la production de Tenguiz et des gisements exploités par les compagnies membres du CPC. Les autres compagnies devront ainsi trouver d'autres itinéraires vers l'Europe ou vers l'Asie.

Le deuxième débouché vise à approvisionner le marché asiatique, via notamment la Chine. Cette voie chinoise présente deux variantes.

L'une -ambitieuse-, traverserait le territoire chinois d'Ouest en Est. Cet immense marché, caractérisé par une forte croissance et qui demeurera importateur net de brut bien au-delà de l'an 2000, pourrait ainsi être alimenté. En outre, l'intérêt du Japon pour le pétrole du Kazakhstan (Mitsubishi se dit prêt à participer à un pipeline reliant le Kazakhstan Ouest à Kumkol) démontre la plausibilité de cette voie qui, malgré sa longueur (6.500 km jusqu'à la côte est de la Chine) débouche sur les marchés majeurs du XXIème siècle. Ce plus cette solution est moins hétérogène dans son parcours que le KPC ou le CPC qui traversent des zones incertaines, avant d'aboutir aux détroits turcs ou à la Méditerranée.

Cette voie, qui semblait tout à fait théorique, notamment aux yeux de certains industriels, compte tenu du coût exorbitant d'un tel tracé, a fait l'objet d'importantes négociations : ainsi au mois de septembre dernier, le jour où la mission sénatoriale quittait le territoire Kazakh, le premier ministre chinois, M. Li Peng, a signé un contrat de plus de 9 milliards de dollars.

Par ce contrat, la Chine s'est engagée à construire, d'ici à 2005, un oléoduc de 3000 kilomètres d'une capacité de 5 millions de tonnes/an entre des champs pétrolifères kazakhs situés au Nord-Est de la Caspienne jusqu'à sa frontière. La réalisation de cet oléoduc, d'un coût de 3,5 milliards de dollars, pourrait être financée par les investisseurs japonais et sud-coréens. La Chine avait signé préalablement, en juin dernier, un contrat de 4,3 milliards de dollars pour l'exploitation de champs de pétrole kazakhs.

L'autre perspective, plus modeste, vise à remplacer la fourniture russe de pétrole au Kazakhstan Est par un approvisionnement en provenance des champs pétroliers du Xin Jiang. L'actuelle recrudescence d'agitation des Ouïghours dans cette région n'est sans doute pas étrangère aux convoitises internationales sur ce gisement. Pour l'instant, à l'exception d'une récente déclaration de solidarité d'Almaty à l'égard de cette population turcophone ethniquement proche des Kazakhs, le gouvernement du Kazakhstan, inquiet d'un risque de débordement de sa propre minorité ouighoure (150 à 200.000 personnes), joue un rôle modérateur sur cette question, comme en témoigne l'arrestation, en avril 1997, de manifestants ouïghours devant l'ambassade chinoise d'Almaty.

La voie transcaspienne constitue la troisième issue envisageable, en liaison avec les projets de développement en Azerbaïdjan . Elle conduirait à construire un oléoduc transcaspien passant par Bakou, en Azerbaïdjan. La faisabilité de ce projet pourrait se heurter à des problèmes technologiques liés à de grandes profondeurs d'eau lors de la construction de la partie sous-marine. De plus, ce tracé semble difficile à réaliser car il traverserait des pays confrontés à de graves difficultés politiques (tensions entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, mouvements séparatistes dans la partie kurde de la Turquie). Une variante à ce tracé de l'Ouest est une route du Sud-Ouest consistant à construire un conduit Tanguiz-Aktam-Macklachkrala et à le prolonger selon l'axe Mackladkala-Tbilissi-Ceylan. Le coût d'un tel projet approcherait 2 milliards de dollars.

La quatrième voie d'exportation envisageable impliquerait la construction d'un oléoduc entre le Kazakhstan et l'Iran, via le Turkménistan . Le brut pourrait ensuite être exporté par le Golfe persique. Jusqu'à présent, ce débouché se heurtait à des difficultés liées à la situation iranienne et à l'embargo des Etats-Unis sur l'Iran. Néanmoins, cette situation géopolitique délicate a évolué favorablement depuis la mi-97. Cette voie d'exportation du brut kazakh présente de réels attraits sur le plan économique, aussi bien pour le Kazakhstan que pour les pays consommateurs, qu'il s'agisse de l'Europe, des Etats-Unis, ou des pays asiatiques. L'Iran a néanmoins émis des critiques sur la qualité du brut kazakhstanais, trop chargé en mercaptan, et que les raffineries du Nord Iran ne savent pas traiter. En outre, des difficultés financières ont retardé ce projet.

Enfin, l'ultime route est la voie afghane à travers l'Ouzbékistan.

Deux compagnies projettent de construire des oléoducs et gazoducs à travers l'Afghanistan, malgré la permanence du conflit, mais en misant sur une prochaine " pax talibanica " : d'un côté Unocal (associé à Delta Oil, d'Arabie Saoudite), de l'autre le géant argentin Bridas. La possible implication des américains en faveur des talibans pourrait s'expliquer tant par la prévision américaine de leur probable victoire finale que par la volonté des Etats-Unis de faire pièce à l'Iran en ouvrant une voie d'évacuation alternative à travers un Afghanistan pacifié. Un accord de principe associant Unocal, Delta Oil, le gouvernement ouzbèk, Gazprom et des représentants du pouvoir afghan est intervenu récemment.

La question des débouchés pour les hydrocarbures kazakhstanais se révèle donc complexe . Toutefois, on peut espérer que les intérêts économiques des différents Etats concernés finissent par converger. Le Kazakhstan pourrait alors connaître un essor économique à la mesure de son potentiel énergétique.

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