C. NÉGOCIER SUR LA BASE D'UNE CONCURRENCE LOYALE

Si les prochaines échéances internationales conduisent à terme à une plus grande libéralisation des produits agricoles, ce renforcement de la concurrence mondiale doit s'effectuer dans des conditions de concurrence loyale . En effet, comment accepter, par exemple, de multiplier les importations en provenance de pays tiers lorsque les produits concernés ne respectent pas des minima en matière sanitaire.

De même, est-il logique que la production de denrées agricoles se fasse en dehors de tout respect de normes environnementales et sociales ?

Enfin, la reconnaissance de la notion de produits de qualité au sein des instances internationales doit être une priorité.

1. Le respect et l'harmonisation des mesures sanitaires : une exigence de santé publique et de démocratie

L'étude des relations entre l'Union Européenne et les Etats-Unis en matière sanitaire illustre la dificulté de ce dossier.

La mission d'information a pu mesurer la différence d'approche entre les Américains et les Européens en matière de santé publique. Elle peut comprendre l'absolue confiance qu'ont les USA dans la science, même si des exemples récents dans un tout autre domaine que l'agriculture tendent à remettre sérieusement en question les procédures de contrôle et d'information scientifique existants dans ce pays.

La mission d'information estime tout à fait légitimes les préoccupations Européennes et notamment françaises en matière sanitaire .

Il serait, certes, anormal d'invoquer à tort et à travers des raisons sanitaires pour légitimer des entraves aux échanges. Cependant, sur plusieurs dossiers, l'Europe doit faire comprendre à son partenaire d'outre-Atlantique que le consommateur français est exigeant,qu'il l'est à juste titre.

a) Reconnaissance et harmonisation des normes au niveau international

Vers une reconnaissance mutuelle des normes dans les secteurs sanitaire et vétérinaire

Les négociations Euro-américaines dans le secteurs vétérinaire ont été engagées depuis déjà plusieurs années.

Elles avaient abouti, le 30 avril 1997, à un accord technique englobant toutes les catégories de produits d'origine animale, à l'exception des viandes de volaille.

Les ministres de l'agriculture ont approuvé le 13 mars dernier un projet d'accord devant déboucher sur la reconnaissance d'équivalences dans les secteurs sanitaire et vétérinaire, en vue de faciliter le commerce d'animaux vivants et de produits animaux.

L'Union Européenne a, en effet, obtenu des garanties fermes sur la reconnaissance par Washington du statut sanitaire de la Communauté en tant que telle, de ses Etats membres et de ses régions. Il en est de même pour le principe de la régionalisation prévalant dans l'Union Européenne en cas d'épizootie.

La situation semble, en revanche, encore confuse en ce qui concerne la nouvelle réglementation américaine " Magareg ", applicable aux viandes fraîches. La France, l'Italie et l'Allemagne redoutent en particulier de devoir se plier à une série de contrôles supplémentaires au titre de " Magareg ", alors que l'application des règles communautaires permet d'atteindre un niveau de protection sanitaire le plus souvent supérieur à celui en vigueur aux Etats-Unis. Rappelons que la réglementation " Magareg " impose quatre types d'obligations supplémentaires pour les exportateurs Européens de produits de viande : la mise en place de programmes de surveillance de l'hygiène SSOP (Sanitation standard operating procedures), l'application du système HACCP (Hazard analysis and critical control point) dans chaque entreprise, la recherche d'E-coli dans les abattoirs, et celles, par les contrôles officiels, de salmonelles dans tous les établissements.

La normalisation agricole et alimentaire : un enjeu fondamental

Au fur et à mesure du développement des échanges internationaux de produits agricoles, un besoin de normalisation internationale s'est fait ressentir.

La présence de l'Union Européenne dans ces organismes de normalisation est essentielle, notamment au sien du principal d'entre eux, le CODEX Alimentarius.

Ces normes, qui avaient jusqu'alors un impact souvent limité sur la réglementation française et communautaire, ont acquis récemment une dimension nouvelle avec les accords du GATT de 1994.

Les péripéties de " l'affaire des hormones " au sein du CODEX Alimentarius, puis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) permettent de comprendre les enjeux socio-économiques, ainsi que les stratégies internationales en présence.

La normalisation internationale en matière de produits agricoles et alimentaires est le fait de nombreux organismes tels que l'Office international des épizooties (santé animale), la Convention internationale pour la protection des végétaux (santé des végétaux), la Commission économique pour l'Europe des Nations unies -CEE-NU (fruits et légumes, viandes de volailles, ...), ou encore l'Organisation internationale de normalisation -ISO- (méthodes d'analyse).

Le principal organisme de normalisation internationale reste toutefois le CODEX Alimentarius . Il est issu d'un programme mixte de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) créé en 1962 et chargé d'élaborer des normes internationales relatives aux denrées alimentaires, dans le double objectif de protéger la santé des consommateurs et d'assurer la loyauté des pratiques loyales dans le commerce.

Au sens strict, le CODEX Alimentarius est l'ensemble des normes, directives, codes d'usage et recommandations élaborés par l'organe exécutif du programme FAO/OMS : la commission du CODEX Alimentarius.

Il est actuellement constitué d'environ 250 Normes, et de plus de 40 codes d'usage. En matière de résidus de pesticides, à titre d'exemple, environ 3.300 limites maximales de résidus (LMR) ont été fixées 56( * ) .

La commission du CODEX Alimentarius (CCA) est une instance intergouvernementale regroupant 157 membres qui disposent chacun, comme à la FAO, d'une voix lors des votes pour l'adoption des normes. Le recours au vote est toutefois très rare, les normes étant le plus souvent adoptées par consensus.

La CCA se réunit tous les deux ans alternativement au siège de la FAO (Rome) et au siège de l'OMS (Genève). La prochaine réunion aura lieu en juin 1999 à Rome. Le travail est préparé par une trentaine de comités dont certains traitent de questions à caractère horizontal applicables à l'ensemble des denrées alimentaires (principes généraux, additifs et contaminants, résidus de pesticides, résidus de médicaments vétérinaires, étiquetage, hygiène alimentaire, ...) et d'autres s'intéressent à des catégories de produits (lait et produits laitiers, produits de la pêche, ...).

Par ailleurs, cinq comités régionaux (Europe, Afrique, Asie, Amérique du Nord et Pacifique du sud-ouest, Amérique latine et Caraïbes) assurent la coordination des politiques alimentaires des Etats de leur région et envisagent l'élaboration des normes de caractère régional.

Il existe en outre un comité exécutif constitué de dix membres, dont fait partie la France, qui y représente les trente-huit pays de la région Europe.

Pendant longtemps, les normes du CODEX Alimentarius ont surtout servi aux pays en voie de développement qui n'avaient pas les moyens d'élaborer eux-mêmes un systèmes réglementaire, ou à certains pays exportateurs souhaitant limiter les risques d'entraves aux échanges auxquelles leurs produits pouvaient être soumis.

La France et les autres Etats membres de la Communauté Européenne n'ont que très peu tenu compte de ces normes, ne serait-ce qu'à cause du processus d'élaboration des règles communautaires qui ne laissait de place à une contrainte supplémentaire.

La signature, le 15 avril 1994 de l'accord de l'Uruguay Round et la création de l'Organisation mondiale du commerce ont donné une importance nouvelle aux normes internationales du fait de l'adoption de l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires et de l'accord sur les obstacles techniques aux échanges, d'une part, et de la modification de la procédure de règlement des différends, désormais beaucoup plus efficace et contraignante, d'autre part.

En matière d'innocuité des denrées alimentaires, les normes internationales pertinentes sont celles établies par la commission du CODEX Alimentarius. Sont également concernées les normes de l'Office international des épizooties (santé animale et des organisations régionales opérant dans le cadre de la concertation internationale pour la protection des végétaux.

Lors de la 21e session de la commission du CODEX Alimentarius (du 3 au 8 juillet 1995), les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) ont remporté sur la Communauté une victoire exemplaire : élection d'un Thaïlandais à la présidence, à la place du Norvégien soutenu par la Communauté, élargissement des travaux du CODEX sur les fruits et légumes aux dépens de la CEE-NU et surtout adoption des limites maximales de résidus pour cinq hormones naturelles interdites dans la Communauté.

Cette victoire tenait surtout au poids de ces pays dans le secrétariat et au comité exécutif du CODEX et à leur capacité à proposer ou imposer des documents de travail, base des futures normes, ou le recours à leurs experts. Les causes de l'échec communautaire étaient néanmoins autant imputables aux dysfonctionnements communautaires qu'à l'efficacité anglo-saxonne.

Tirant les conclusions de la défaite de la 21e session, l'Europe, à l'initiative de la France, a renforcé la coordination de la position des Etats membres.

Les résultats ne se sont pas fait attendre. Lors de sa 22e session , la commission du CODEX Alimentarius avait à traiter en particulier trois questions conflictuelles : la définition des eaux minérales, le statut des fromages au lait cru et l'utilisation de la somatotropine bovine pour l'amélioration des performances laitières.

Grâce à un important travail technique et diplomatique préalable, la norme définissant strictement les eaux minérales a pu être adoptée et le projet de limites maximales de résidus pour la BST repoussé. Quant à la question du statut des fromages au lait cru, il a été décidé de la renvoyer, pour examen complémentaire, au comité de l'hygiène alimentaire.

En ce qui concerne la BST, la commission du CODEX Alimentarius, sur proposition de la Communauté Européenne, a décidé, d'une part, une réévaluation des risques qu'elle peut présenter y compris en termes de santé animale (augmentation du nombre de mammites, baisse de l'immunité, ...) et, d'autre part, d'engager une réflexion sur les facteurs autres que scientifiques (économiques, qualitatifs, d'attente des consommateurs) à prendre en compte dans le processus de décision.

De manière générale, il appartient à la France et à la Communauté de se doter des outils et procédures nécessaires à la conduite d'évaluations . C'est la raison pour laquelle le Sénat a souhaité créer une Agence française de sécurité sanitaire des aliments qui aura à évaluer l'ensemble des risques alimentaires, sanitaires et nutritionnels.

En 1999, la commission du CODEX Alimentarius aura à statuer sur la place des facteurs autres que scientifiques dans l'élaboration des normes sur base de l'exemple de la BST .

Derrière ces termes se cache le choix entre une approche purement économique (sous réserve, au moins en théorie, d'une sécurité des produits) de l'agriculture et de l'alimentation, ou une approche beaucoup plus globale incluant d'autres préoccupations, comme la satisfaction des attentes qualitatives des consommateurs, le respect des traditions culturelles, l'équilibre nutritionnel de la population, l'aménagement du territoire ou la protection de l'environnement.

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