II. RENFORCER LES GARANTIES DONT BENEFICIE LE CONTRÔLÉ

A. ASSURER UNE PLUS GRANDE SÉRÉNITÉ DE LA PROCÉDURE

1. Renforcer la confidentialité des documents préparatoires : le cas des lettres d'observations provisoires

Dans le cadre d'une procédure d'examen de la gestion d'une collectivité locale, l'instruction du dossier par le magistrat rapporteur se clôt par une lettre d'observations provisoires destinée à être soumise à la formation délibérante de la chambre qui arrêtera les termes de la lettre d'observations définitives.

Le caractère contradictoire de la procédure en vigueur offre d'indéniables garanties à l'exécutif de la collectivité contrôlée.

En effet, le magistrat instructeur rencontre, avant l'envoi de la lettre d'observations provisoires, l'ordonnateur de la collectivité au cours d'un entretien dit "préalable".

Par ailleurs, l'ordonnateur dispose, après réception de la lettre d'observations provisoires et avant le délibéré de la chambre, d'un délai minimum d'un mois pour apporter une réponse écrite aux observations.

Enfin, dans ce délai minimum d'un mois minimum, l'ordonnateur peut demander à être entendu par la chambre afin de compléter oralement sa réponse écrite.

Pourtant force est de constater qu'en dépit de ces précautions, les lettres d'observations provisoires comportent parfois des informations inexactes et des affirmations erronées .

Ces défauts peuvent résulter de lacunes dans la collecte des informations, le magistrat n'ayant pas obtenu tous les documents -généralement très nombreux- qu'il a demandés au cours de l'instruction.

Parfois, la rédaction de la lettre d'observations provisoires anticipe sur le caractère "modérateur" de la collégialité en grossissant le trait et en durcissant le ton afin "qu'il en reste quand même quelque chose".

Cette pratique, relativement fréquente, emporte des effets particulièrement pervers en cas de "fuite" dans la presse des observations provisoires puisqu'elle peut aboutir à la diffusion d'informations erronées.

La divulgation de documents provisoires des chambres régionales des comptes fait grief , tant aux collectivités locales qu'aux chambres elles-mêmes.

L 'ordonnateur de la collectivité locale voit, en effet, sa responsabilité mise en cause devant l'opinion publique sur le fondement, pourtant fragile, de formulations souvent lapidaires et d'informations parfois parcellaires auxquelles il n'a pas toujours pu apporter de réponses.

Et même si des réponses ont pu être apportées, elles ne feront pas l'objet d'une publicité identique.

Pourtant, la jurisprudence du Conseil d'Etat a clairement établi, dans d'autres domaines, que la publication de documents administratifs mettant en cause des personnes étaient susceptibles de faire grief aux intéressés, ce qui leur ouvrait la voie du recours pour excès de pouvoir à l'encontre de la décision de publication (CE 21 octobre 1988, Eglise de Scientologie) ou de la décision refusant à l'intéressé le droit de faire valoir ses observations (CE 12 février 1993, Mme Gaillard).

Lésant les intérêts des ordonnateurs des collectivités locales, la divulgation de documents provisoires porte également préjudice aux chambres régionales des comptes et à leur rôle de régulation de l'action publique locale.

En effet, ces " fuites " font de leurs observations provisoires les instruments d'une mise en cause médiatique et d'une déstabilisation politique des exécutifs territoriaux.

Cette situation porte atteinte à leur crédit et réduit la possibilité d'un dialogue confiant et fructueux entre magistrats et élus locaux.

C'est pourquoi le groupe de travail a jugé indispensable de formuler des propositions destinées à améliorer la qualité des lettres d'observations provisoires et à garantir une plus grande confidentialité de ces documents préparatoires.

L'amélioration de la qualité des lettres d'observations provisoires et, d'une manière générale, de l'objectivité de l'examen de la gestion passe par l'intervention, dès le début de l'instruction, d'un contre-rapporteur 25( * ) .

S'agissant du renforcement de la confidentialité qui devrait présider à l'examen de la gestion d'une collectivité locale, jusqu'à la formulation des observations définitives, le groupe de travail est conscient de la difficulté qui s'attache à l'identification de la " source de l'indiscrétion ".

Dans l'hypothèse où l'indiscrétion serait le fait d'un magistrat de la chambre régionale, cette violation du secret des investigations constituerait une faute professionnelle grave qui pourrait, si les faits étaient établis, être sanctionnée par le Conseil supérieur des chambres régionales. En outre, si les agissements en cause sont constitutifs d'une infraction pénale, le président de la chambre régionale des comptes peut saisir le ministère public aux fins de déclenchement de l'action publique.

La même procédure peut également concerner celui qui détient l'information divulguée et se rend coupable du délit de recel d'informations provenant d'une violation du secret professionnel, délit puni par l'article 321-1 du code pénal.

En revanche, si l'indiscrétion provient de tiers, il sera extrêmement difficile d'en identifier la source. Comme l'a dit M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, lors du colloque organisé, en octobre 1996, par le ministère de l'économie et des finances, sur "la modernisation et la transparence des finances locales", lorsqu'un document administratif circule "il y a un expéditeur et il y a souvent plusieurs destinataires... (car) généralement, à l'arrivée, il y a plusieurs photocopieuses et parfois plusieurs utilisateurs".

Sans méconnaître les difficultés qui peuvent résulter de la transmission des documents provisoires à une pluralité de destinataires, le groupe de travail souhaite que les procédures existantes soient mise en oeuvre de manière plus affirmée, dans le but non seulement de réprimer de tels agissements, mais aussi de prévenir des actions répréhensibles qui jettent le discrédit sur le contrôle financier.

Par ailleurs, notre collègue Paul Girod a évoqué, devant le groupe de travail, la possibilité du dépôt d'une plainte conjointe de la collectivité locale et de la chambre régionale des comptes, en cas de divulgation de documents provisoires.

M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des comptes, a indiqué au groupe de travail qu'il n'était pas hostile à une telle solution.

A cet égard, force est de constater qu'en l'état actuel des textes, rien n'interdit que puissent être déclenchées concomitamment l'action publique par le ministère public ( article 31 du code de procédure pénale) et l'action civile par la personne qui se prétend lésée par un délit ( article 85 ), en l'espèce l'ordonnateur en son nom personnel ou en sa qualité de représentant de la collectivité ( article L. 2132-2 du code général des collectivités territoriales pour le maire ; article L. 3221-10 pour le président du conseil général et article L. 4231-7 pour le président du conseil régional).

En outre, la plainte déposée entre les mains d'un juge d'instruction par la personne qui se dit victime d'un délit, lorsqu'elle est accompagnée d'une constitution de partie civile, produit pour la mise en mouvement de l'action publique les mêmes effets qu'une réquisition du procureur de la République.

En dehors de ces hypothèses de concomitance entre l'action publique et l'action civile de la collectivité locale ou de l'ordonnateur, une action civile conjointe pourrait avoir l'avantage de bien marquer le fait que la divulgation de documents provisoires porte préjudice tant à la collectivité locale qu'aux chambres régionales des comptes elles-mêmes dans l'exercice de leur mission.

Cependant, la chambre régionale des comptes n'ayant pas une personnalité morale distincte de l'Etat, l'action civile qu'elle peut souhaiter engager en invoquant un préjudice propre du fait de divulgations d'observations provisoires doit obligatoirement être intentée à peine de nullité par l'agent judiciaire du Trésor ( article 38 de la loi de finances n° 55-366 du 3 avril 1955). Un président de chambre qui a saisi le ministère public à la suite de telles divulgations peut d'ailleurs très bien par la suite, si l'affaire suit son cours, s'adresser à l'agent judiciaire du Trésor pour qu'une action civile soit engagée.

Il resterait néanmoins à apprécier si le préjudice ainsi invoqué pourrait suffisamment se distinguer, en l'espèce, des motifs qui fondent l'action publique, à savoir la défense de l'intérêt public. On peut penser que, dans certains cas, la demande par l'Etat d'une réparation civile même symbolique pourrait appuyer la démarche de la collectivité locale et du ministère public, en soulignant davantage le préjudice porté au bon fonctionnement des juridictions financières.

En outre, le groupe de travail préconise de compléter l' article L. 241-6 du code des juridictions financières, relatif au secret professionnel, par un alinéa précisant que le principe de l'accès aux documents administratifs n'est pas applicable aux mesures d'instruction ainsi qu'aux rapports et communications provisoires des chambres régionales des comptes.

Cette mesure reviendrait sur la disposition de la loi du 15 janvier 1990 qui a inclus l'ensemble des actes des chambres régionales de comptes dans le champ du principe du libre accès aux documents administratifs : elle aurait pour objet d'étendre aux chambres régionales des comptes le régime de non communication, d'ores et déjà en vigueur, pour les documents préparatoires d'instruction de la Cour des comptes.

Enfin, le groupe de travail a envisagé, dans un souci de transparence, de prévoir la possibilité d'annexer la lettre d'observations provisoires à la lettre d'observations définitives.

Cette publicité donnée à la lettre d'observations provisoires, qui pourrait être soit systématique, soit réservée au cas où ce document aurait fait l'objet d'une " fuite " dans la presse, permettrait, d'une part, de mieux comprendre la portée de la réponse faite par l'exécutif local à ce document provisoire et de pouvoir vérifier le degré de prise en compte de cette réponse et, d'autre part, de conduire le rédacteur de cette lettre à s'assurer de l'exactitude de ses affirmations.

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