B. HARMONISER LES RÈGLES FISCALES ENTRE SOCIÉTÉS EXERÇANT LE MÉTIER DE L'ASSURANCE

Si le cloisonnement des marchés et les sujétions imposées aux mutuelles du code de la mutualité et aux institutions de prévoyance pouvaient jusqu'à présent justifier un régime fiscal dérogatoire, s'agissant notamment de la taxe de 7 % sur les contrats d'assurance, l'accentuation de la concurrence rend désormais illégitimes de telles exceptions.

Votre rapporteur s'associe donc totalement à Jean-Pascal Beaufret lorsqu'il écrit 48( * ) : " Le développement nécessaire de la prévoyance complémentaire, au delà des régimes obligatoires de sécurité sociale, imposera à l'avenir, d'égaliser les règles fiscales affectant des entreprises ayant des activités et une réglementation identiques. "

C'est également l'avis du Conseil de la concurrence qui écrit :

" Une banalisation du régime fiscal des produits d'assurance commercialisés par les mutuelles du code de la mutualité paraît d'autant plus s'imposer que le comportement de certaines grandes mutuelles s'apparente de plus en plus à celui des sociétés commerciales : notamment, gestion pour le compte de tiers d'activités commerciales ne relevant pas des objectifs mutualistes et donnant lieu à rémunération sous forme de commissions ; recours dans certains cas à des intermédiaires rémunérés pour le placement de leurs produits ; publicité commerciale émanant soit des fédérations de mutuelles, soit même de certaines mutuelles. "

Au demeurant, s'agissant de la fiscalité pesant sur les opérateurs, l'administration fiscale a déjà procédé au redressement sur la TVA d'une cinquantaine de mutuelles pour un montant d'un milliard de francs en raison de la requalification d'une partie de leurs activités en activités lucratives.

C. FACILITER LES CHANGEMENTS DE STATUT DES SOCIÉTÉS DE PERSONNES VERS LES SOCIÉTÉS DE CAPITAUX

Il doit être loisible aux associés d'une société de personnes de transformer leur entreprise en société de capitaux. Le développement qui suit concerne toutes les mutuelles, relevant du code des assurances comme du code de la mutualité.

1. Le statut mutualiste comporte des avantages, mais aussi des inconvénients

Les sociétés d'assurance mutuelles (SAM) et les mutuelles du code de la mutualité sont, comme leur nom l'indique, constituées sous une forme mutualiste. A ce titre, elles reposent sur les trois principes suivants :

- propriété collective des fonds propres de l'entreprise, sans affectation individuelle due à des titres représentatifs ; à ce titre, les sociétés mutuelles ne peuvent faire l'objet d'offre public d'achat (OPA) et sont donc moins vulnérables que les sociétés anonymes ;

- participation des assurés-assureurs (les sociétaires) aux orientations de l'entreprise : cette participation est fondée sur le principe démocratique propre et commun aux entreprises de l'économie sociale, " un homme, une voix " ;

- nature non lucrative de l'activité, qui se traduit par le refus de l'appropriation individuelle des excédents et permet l'ajustement des garanties et des tarifs au plus près des intérêts des sociétaires assurés.

Mais, en tant que sociétés de personnes, les organismes mutualistes souffrent de deux handicaps :

- ils ne peuvent augmenter leurs fonds propres par d'autres moyens que l'autofinancement ;

- ils ne peuvent constituer de groupes en contrôlant d'autres mutuelles.

Les sociétés mutuelles ne disposent en effet pas d'un capital social divisé en actions ou parts sociales mais d'un fonds d'établissement constitué à fonds perdus par les fondateurs et les sociétaires. Leurs excédents non ristournés aux adhérents appartiennent à la " collectivité indivise et intemporelle des sociétaires ". Ceux-ci sont à la fois individuellement assurés et collectivement assureurs.

Cette situation interdit actuellement aux mutuelles d'augmenter leurs fonds propres autrement que par la mise en réserve d'excédents. Les droits d'adhésion perçus auprès des nouveaux assurés sont compris dans le calcul de la valeur de l'actif net servant à déterminer le résultat imposable et sont donc taxés au taux normal de l'impôt sur les sociétés.

Par ailleurs, en tant que sociétés de personnes, les mutuelles ne sont pas " opéables ", et constituent à ce titre un pôle de stabilité économique et sociale très important. Mais en contrepartie, elles ne peuvent contrôler une autre mutuelle également société de personnes. Ce faisant, elles ne peuvent pas constituer de groupe fonctionnant selon les principes de la démocratie mutualiste.

2. Il convient de lever le tabou de la démutualisation

Pour pouvoir lutter à armes égales contre les grands groupes capitalistiques, les sociétés d'assurance mutuelle revendiquent des instruments leur permettant d'alimenter leurs fonds propres et la possibilité de créer des structures juridiques de groupe.

Sur le premier point, un certain nombre d'assouplissements ont déjà été accordés aux SAM comme aux mutuelles du code de la mutualité.

Les assouplissements déjà accordés en matière de renforcement des fonds propres

Les sociétés d'assurance mutuelles (SAM) peuvent, si leur statut le prévoit, constituer un fonds social complémentaire par emprunt auprès des sociétaires après accord de l'autorité de tutelle. Elles peuvent également émettre des titres participatifs, qui ne sont remboursables qu'en cas de liquidation de la société ou, à son initiative, à l'issue d'un délai non inférieur à sept ans.

En outre, l'article 8 de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 les a autorisées à émettre des titres de créance sous forme de titres subordonnés à durée indéterminée (TSDI) ou d'emprunts obligataires, à l'instar des sociétés anonymes, après approbation à l'assemblée générale.

Toutefois, les SAM font valoir que les titres de dette sont plus propres à financer l'exploitation que les investissements de développement, et qu'ils ne sont pas, en pratique, accessibles aux mutuelles de taille moyenne. La mise en oeuvre de ces possibilités d'émission est en effet limitée, en pratique, par la notation des titres par les agences, qui n'ont pas une bonne connaissance des sociétés mutuelles d'assurance dans la mesure où ces dernières ne sont pas cotées en bourse.

En réponse à cet argument, un article du projet de loi de finances pour 1999, ajouté par les députés, propose d'assimiler à des apports sur le plan fiscal - et donc de les exonérer - les droits d'adhésion versés par les nouveaux sociétaires et inscrits au compte " fonds d'établissement ".

Quant aux mutuelles, elles peuvent, en vertu de l'article L. 124-5-1 du code de la mutualité, émettre des titres participatifs dans les conditions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.

Sur le deuxième point, il convient de noter que rien n'interdit aux sociétés mutuelles de créer des filiales commerciales, possibilité à laquelle elles font d'ailleurs largement appel.

Le groupe de travail souhaite aller plus loin. En effet, sans remettre en cause l'originalité et les atouts du statut mutualiste, il considère que ce statut doit relever de la volonté toujours renouvelée des sociétaires, et qu'au delà d'une certaine taille, le principe de la participation des sociétaires aux orientations de l'entreprise selon le principe démocratique " un homme, une voix " devient relativement théorique.

Le groupe de travail partage à cet égard totalement l'analyse du Commissariat Général du Plan lorsqu'il écrit : " les sociétés mutuelles sont des sociétés de personnes, caractérisées par la responsabilité personnelle et solidaire des associés et, pour cette raison juridique, par un fort affectio societatis , qui exerce en principe un impact limitatif sur la taille de telles sociétés 49( * ) ".

Le CGP rappelle par ailleurs à juste titre que c'est pour dépasser les limites propres aux sociétés de personnes que les sociétés de capitaux, et en particulier les sociétés anonymes, ont été autorisées puis banalisées à partir de 1867.

A la veille de l'euro et d'un nouveau choc de concurrence, il convient en effet de s'interroger sur l'opportunité d' autoriser la transformation des sociétés d'assurance mutuelle en sociétés de capitaux , ce qui leur permettrait de lever des fonds plus facilement pour financer leur croissance et faire face à la compétition internationale.

Les règles actuelles de dévolution de l'actif net en cas de dissolution volontaire ou forcé d'une mutuelle interdisent, pour l'instant, une telle opération. S'agissant des sociétés d'assurance mutuelles (SAM), l'article L. 322-26-5 du code des assurances prévoit en effet qu'en cas de dissolution, l'excédent de l'actif net des sociétés mutuelles est dévolu, soit à d'autres sociétés d'assurance mutuelles, soit à des associations reconnues d'utilité publique. Pour les mutuelles régies par le code de la mutualité, l'article L. 126-5 prévoit que le surplus éventuel de l'actif social est attribué au Fonds national de solidarité et d'action mutualistes.

Il suffirait donc d'élargir les possibilités de dévolution de l'actif net des sociétés mutuelles en cas de dissolution vers des sociétés de statut coopératif 50( * ) , ou vers des sociétés commerciales comme les sociétés anonymes. Dès lors, les possibilités d'appel public à l'épargne seraient les mêmes.

Bien entendu, une telle transformation ne serait qu'une faculté et resterait subordonnée à l'autorisation préalable de la majorité des sociétaires dans des conditions particulières de quorum et de vote. Comme pour la dissolution d'une mutuelle, il serait légitime d'exiger que la transformation de statut soit décidée par une assemblée générale réunissant la majorité des membres inscrits et que le vote ne soit acquis qu'à la majorité des deux tiers des membres présents.

Une telle option pourrait d'ailleurs être l'occasion pour les sociétaires de renouveler leur attachement à l'esprit mutualiste et de renforcer la légitimité de ce dernier.

Comme l'écrit en effet le Commissariat Général du Plan, " faire en sorte que la mutualité ne se survive le cas échéant qu'au moyen de contraintes réglementaires, serait prendre le risque de laisser penser que l'esprit mutualiste n'est pas le seul intérêt en cause ".

Le groupe de travail ne sous-estime pourtant pas les problèmes qu'une telle réforme ne manquerait pas d'occasionner. En particulier, la question de la légitimité de l'appropriation par une génération particulière de sociétaires, sous la forme de parts sociales ou d'actions, d'un actif net accumulé par les générations successives sous une forme individuellement non appropriable devra faire l'objet d'un débat le plus large possible afin d'éviter, dans toute la mesure du possible, que la démutualisation ne soit motivée chez les sociétaires, que par la seule perspective d'un gain financier.

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