b) Les effets potentiels sur la concurrence des différences constatées dans les législations applicables au secteur

Sur un marché donné, la concurrence entre entreprises d'assurance opérant à partir du territoire concerné ou de celui d'un autre Etat membre, s'exerce par les tarifs, mais peut être affectée par les avantages fiscaux résultant d'une délocalisation des contrats. Cette situation porte en germe des distorsions de concurrence d'autant plus sensibles que le marché sera ouvert aux opérateurs étrangers.

- Les sources de distorsions potentielles

Les différences de traitement fiscal ou prudentiel subis par deux opérateurs peuvent avoir pour effet d'alourdir les charges d'un seul d'entre eux. Les modalités légales d'action des opérateurs ainsi que les régimes fiscaux des produits ou des sociétés peuvent être des sources de distorsions de concurrence entre opérateurs à l'intérieur d'un même Etat membre ou appartenant à différents Etats membres.


• Les modes d'exercice de l'activité


L'exercice de l'activité selon l'un ou l'autre des statuts résultant de l'application des directives place l'opérateur dans une situation variable vis-à-vis des obligations fiscales, comptables et réglementaires du pays d'accueil. Le tableau ci-après propose une comparaison sommaire des conditions d'exercice par la voie d'une filiale, d'une succursale ou en L.P.S.

 

Filiale

Succursale

L.P.S.

Agrément

oui

non

non

Avantage de proximité sur le marché envisage

oui

oui

non

Avantage en termes de fiscalité directe des cotisations (1)

oui

oui

non

Surveillance prudentielle

pays d'accueil

pays du siège

pays du siège

Fiscalité et comptabilité

pays d'accueil

pays d'accueil

pays du siège


• Lorsque les mesures d'incitation fiscale sont liées au versement des primes à un assureur établi (source : C.E.A.)


Ce tableau montre qu'il existe un certain équilibre entre les avantages et inconvénients de chaque situation statutaire, l'optimum étant celle dans laquelle l'opérateur bénéficie à la fois de l'avantage de proximité commerciale et des règles fiscales et prudentielles les plus légères qui lui donneront un avantage tarifaire, celles-ci pouvant être celles du pays d'accueil ou du pays d'origine.


• Les tarifs proposés


Les règles de fonctionnement technique et financier des entreprises varient en fonction des risques pris en charge. De façon simple, il peut être indiqué qu'en assurance de dommages, la prime couvrant un risque sur une période donnée est mutualisée en vue d'indemniser les sinistres alors qu'en assurance vie, au contraire, une fraction importante des primes payées par un assuré est créditée sur un compte dont le montant augmenté des intérêts acquis lui sera versé aux termes du contrat. Toute augmentation de charge fiscale ou d'exigence prudentielle supportée par l'entreprise doit normalement trouver sa contrepartie dans l'augmentation des primes ou cotisations.

Il ne semble pas que des comparaisons globales entre régimes fiscaux, directs ou indirects, pesant sur les sociétés d'assurance dans les différents pays de l'Union européenne aient été effectuées. Cependant et nonobstant les différentiels de taux d'imposition des bénéfices sociaux ou de la taxe professionnelle qui ne sont pas spécifiques au secteur des assurances, certaines dispositions fiscales constitueraient un handicap dans la concurrence opposant les opérateurs établis en France à leurs concurrents étrangers et constituent une spécificité française.

Il en est ainsi par exemple de la taxe sur les salaires (article 231 du code général des impôts) qui n'existe pas dans les autres Etats membres. Assise sur la masse salariale dont elle peut représenter jusqu'à 13,60 % du montant total, cette taxe entraînerait un prélèvement d'en moyenne 6 % du chiffre d'affaires des compagnies d'assurance. S'appliquant également aux courtiers, dont la part des salaires dans le chiffre d'affaires avoisine 70 %, elle constituerait un handicap sérieux dans la concurrence qui les oppose aux opérateurs étrangers non établis sur le marché de la couverture des grands risques.

A l'instar de la précédente, la contribution spéciale des institutions financières est une spécificité française. Les taxes sur les excédents de provision (article 235 ter x du même code) sont également considérées par les professionnels comme un handicap d'autant qu'elles peuvent revenir à sanctionner une gestion prudente.

D'un autre côté, une étude réalisée par le Comité européen des assurances et portant sur l'environnement fiscal de l'assurance santé montre que les sociétés françaises soumises au code des assurances ne sont frappées d'aucune taxe sur les bénéfices non distribués provisionnés pour assurer la solvabilité de l'entreprise ou pour maintenir le niveau des provisions d'équilibrage, à l'inverse des sociétés danoises, anglaises, italiennes ou portugaises.

Les règles prudentielles ont pour vocation de protéger les assurés contre les aléas de l'activité d'une société d'assurance dont les tarifs sont établis sur la base de l'expérience passée et avant que l'opérateur ne connaisse le prix de revient de ses services. Lorsque les bases du tarif ou les prévisions effectuées sont erronées, il en résulte des pertes qui peuvent entamer la solvabilité de l'opérateur. Des normes prudentielles et comptables moins strictes sont susceptibles de donner un avantage dans la concurrence aux entreprises de l'Etat membre qui les a adoptées dès lors qu'elles favoriseraient l'élaboration de tarifs moins élevés.

En matière d'assurance de dommages et de façon élémentaire, il peut être considéré que la somme des primes versées doit permettre de couvrir l'ensemble des charges de l'entreprise d'assurance pour l'année en cours : sinistres, rentes, frais de fonctionnement, etc. ; le tarif de l'assurance doit donc permettre d'assurer les recettes nécessaires à cette couverture. Les recettes tirées des primes seront donc provisionnées selon différentes normes afin de couvrir les sinistres présents et à venir, les tarifs proposés par les sociétés leur étant liés. A nombre et valeurs de sinistres constants, il peut donc être admis que plus le niveau de provision imposé par les règlements est élevé plus les tarifs de base seront élevés.

L'harmonisation des règles prudentielles résultant des " troisièmes directives " a rapproché les modalités de constitution des provisions techniques imposées aux sociétés d'assurance. Des différences demeurent cependant, ainsi que le montrent les exemples suivants ; elles sont toutefois considérées comme marginales par les experts.

Les modalités de calcul de la provision pour sinistres restant à payer, définie comme la valeur estimative des dépenses nécessaires au règlement de tous les sinistres survenus et non payés à la date de l'inventaire, en sont un exemple. Cette provision doit être suffisante au jour du règlement et non au jour de l'inventaire, ce qui implique une actualisation dont les procédés diffèrent selon les Etats membres et qui d'ailleurs, dans certains cas de contrats d'assurance à long terme, serait incomplètement réalisée par les assureurs. De plus, le rendement des actifs affectés à la représentation de cette provision constitue un produit financier affecté par les opérateurs appartenant à certains Etats membres au résultat final (France) alors que d'autres l'intègrent en déduction des engagements (Grande-Bretagne), ce qui favorise la baisse des tarifs.

De même, il a été dit que les provisions réglementées avaient pour contrepartie à l'actif du bilan de la société des créances sélectionnées, cette représentation permanente des provisions techniques par des actifs réels, d'une valeur au moins égale, permet aux entreprises de tenir leurs engagements envers les assurés. Or, les méthodes d'évaluation de ces actifs diffèrent (valeur historique, vénale ou actuelle), et l'écart de valorisation qui en résulte est susceptible d'influer sur le tarif final par le biais de l'estimation des plus ou moins values latentes qui entrent dans le calcul de la marge de solvabilité.

Dans le secteur de l'assurance vie, la prime est déterminée en fonction d'un facteur risque (durée de vie du preneur), d'un facteur intérêt (rémunération du capital versé) et des frais d'acquisition et de gestion du contrat (le " chargement ") ; elle est calculée de telle façon qu'à chaque instant, pour chaque groupe de contrats, la valeur actuelle des engagements de l'assureur soit égale à la valeur actuelle des engagements de l'assuré. Le législateur européen a reconnu la nécessité d'un principe prudentiel général applicable aux tarifs de ce secteur selon lequel les primes pour les affaires nouvelles doivent être suffisantes selon les hypothèses actuarielles raisonnables, pour permettre à l'entreprise de satisfaire ses engagements. Le tarif des entreprises d'assurance vie doit être bâti sur des données précises qui sont définies strictement par les Etats membres. Certains Etats membres (les Pays-Bas) n'en laisseraient pas moins les entreprises libres de fixer leurs tarifs sur des bases purement commerciales, considérant que l'on ne peut a priori exiger d'une entreprise des primes suffisantes pour financer intégralement la constitution des provisions mathématiques dès lors que cette sous-tarification serait compensée par des fonds propres substantiels. La France quant à elle ne tiendrait pas compte de la baisse des taux d'intérêt dans le calcul de certaines de ses provisions.

Enfin, il peut également être indiqué que de façon générale, la France détermine les plus ou moins values latentes de façon globale, alors que l'Allemagne ou le Luxembourg les déterminent ligne à ligne, ce qui est de meilleure prudence.

Au total, s'agissant de la fiscalité pesant sur les entreprises, il doit être souligné d'une part, que le taux de l'impôt sur les bénéfices des sociétés commerciales prélevé par l'Etat est supérieur, en France, au taux de 30 % préconisé par la Commission et que, d'autre part, les sociétés d'assurance sont assujetties à des impôts spéciaux qui ne semblent pas avoir d'équivalent dans les autres Etats membres.

Par contre, il n'apparaît pas que le niveau des exigences prudentielles adoptées par la France, place les entreprises dans une situation manifestement inégale par rapport à celle de leurs concurrents opérant sur le marché français.


• Le régime fiscal des conventions et revenus


Les impôts ou taxes frappant les primes ou cotisations sont très divers selon les Etats membres.

Le tableau ci-après montre les écarts constatés dans les pays de l'Union européenne de la France pour trois branches d'assurance :

LA FISCALITÉ DES CONTRATS D'ASSURANCE
DANS L'UNION EUROPÉENNE

( pour une cotisation de 1 000 unités )





(Source : F.F.S.A. - 1996)


En matière d'assurance vie, le taux d'intérêt technique garanti par le contrat est un élément important du choix du preneur. Or la liberté laissée aux entreprises dans la détermination de ces taux diffère selon les Etats. En France, pour des raisons prudentielles, le rendement garanti est plafonné selon plusieurs options ; cette règle, transférée dans le livre premier du code des assurances s'applique à tous les opérateurs ayant une activité sur le territoire français car elle est considérée comme étant d'intérêt général. Un souscripteur pourra donc avoir avantage à souscrire une assurance vie auprès d'une compagnie garantissant un rendement qui soit en rapport avec celui des actifs réels placés par l'entreprise (Grande-Bretagne ou Luxembourg), plutôt qu'auprès d'un de ses concurrents qui ne peut garantir qu'un rendement limité par exemple à un pourcentage du taux d'émission des emprunts d'Etat (France) ou tenu par un taux fixé uniformément (Allemagne).

Le niveau de prélèvement fiscal sur les revenus est également un critère de choix d'un contrat d'assurance vie, les revenus des contrats étant imposés dans la quasi totalité des pays. Le régime fiscal français a varié de façon importante dans un passé récent. Aujourd'hui, les revenus de ces contrats sont au moins soumis à la contribution sociale généralisée et à la contribution au remboursement de la dette sociale. A l'avenir, les revenus de certains de ces contrats pourront être grevés, après abattement, d'une taxe de 7,5 %. De tels prélèvements distinguent la France de certains Etats voisins qui ne prélèvent aucun impôt sur les revenus versés.

La déductibilité des revenus ou de l'impôt des fonds versés dans le cadre d'un contrat d'assurance vie ou un fonds de pension est une autre source de différenciation.

- Des effets difficiles à mesurer


• Des échanges encore entravés


Les entraves aux échanges avec l'extérieur diminuent le degré de concurrence sur un marché donné et il a été dit qu'en matière d'assurances de personnes, il pouvait être admis que les marchés étaient géographiquement circonscrits à chaque Etat membre. Le C.E.A. a dressé une liste des pratiques des Etats membres considérées comme susceptibles de limiter les échanges à l'intérieur du marché communautaire dont il convient de rappeler quelques éléments.

La difficulté de tracer une frontière précise et commune à tous les marchés entre liberté d'établissement et L.P.S. est un premier exemple qui a déjà été évoqué. La notification au titre de l'intérêt général de " paquets de législation " produirait les mêmes résultats. Sur certains marchés et nonobstant l'opacité des réglementations applicables, il est en effet constaté que les autorités de contrôle du pays d'accueil remettent une liste de législations et réglementations applicables en les déclarant toutes d'intérêt général ou en laissant le soin à l'opérateur de déterminer quelles législations, dans son cas d'espèce, doivent être appliquées.

Les disparités fiscales sont également considérées comme des sources d'entraves lorsqu'il existe des différences de traitement entre les contrats souscrits auprès des assureurs locaux ou étrangers ou même entre les différentes catégories d'opérateurs d'assurance d'un même Etat membre. Sont citées en exemple dans ce domaine, les distorsions fiscales en faveur de certaines catégories de mutuelles dans le domaine de l'assurance complémentaire maladie en France, en faveur des banques dans le secteur des fonds de pension en Espagne ou en faveur de la Caisse de prévoyance des médecins en Belgique.

Par ailleurs, la complexité des règles de conflit de lois adoptées pour pallier l'absence d'harmonisation des droits du contrat d'assurance rendrait très difficile l'exercice d'activité en licence unique et pratiquement impossible la rédaction de polices uniques commercialisables dans les mêmes termes sur les différents marchés européens. Les définitions variables des produits d'assurance vie ou décès auraient un effet identique.

Enfin, sont également considérées comme entravant la liberté des échanges : l'obligation de désignation d'un représentant fiscal, même en l'absence de taxation sur les primes, la limitation du bénéfice d'avantages fiscaux sur les cotisations d'assurance aux versements faits à des assureurs établis, l'obligation pour l'assurance vie de respecter des taux d'intérêt technique maxima ou les tables de mortalité du pays d'accueil, la communication préalable des contrats à l'autorité de contrôle, l'obligation de prévoir une valeur de rachat dans les contrats d'assurance vie, etc.


• La difficile mesure de l'effet des différences constatées


La mise à profit des différences réglementaires et fiscales existant entre les Etats membres peut susciter certains comportements des entreprises d'assurance comme des preneurs : transferts de siège ou création de succursales vers l'Etat membre " mieux-disant " réglementaire ou fiscal pour les premières, orientation de leur demande de prestations d'assurance vers les entreprises opérant à partir de ce même Etat pour les seconds. Plusieurs indicateurs sont susceptibles de permettre une appréciation de l'importance des transferts de contrats.

Le premier pourrait être constitué par le montant des primes recueillies par les 458 sociétés ayant déclaré leur intention d'opérer en L.P.S. en 1996. Or ce chiffre n'est pas disponible à ce jour pour des raisons qui tiennent à une absence de déclaration par ces sociétés dans leurs pays d'origine conjuguée à une absence de sélection et de centralisation de cette information par les services fiscaux chargés de l'enregistrement des taxes versées par les représentants fiscaux.

Les variations d'activité des filiales de sociétés étrangères opérant en France sont des indicateurs moins pertinents dans la mesure où les opérations qu'elles réalisent sur le territoire national sont soumises aux réglementations prudentielles françaises. L'interprétation des résultats est en outre délicate car les évolutions peuvent refléter l'évolution des différentiels tarifaires, l'entrée sur le marché de produits nouveaux ou la variation du périmètre consolidé.

Après un taux de croissance de 6,1 % en assurance vie et 14,4 % en assurance de dommages entre 1994 et 1995, années où elles atteignent respectivement 9,9 % et 18,1 % des cotisations totales, la part détenue par les sociétés étrangères se contracte en 1996, à 9,5 et 15,6 %.

La variation de l'activité des filiales ou succursales françaises opérant à l'étranger est un indicateur de l'ouverture des entreprises françaises vers l'extérieur, mais ne peut traduire des transferts de contrats dans la mesure où les mouvements constatés peuvent provenir des variations de la demande locale.

L'examen des évaluations par pays montre que le montant des primes collectées est affecté de variations importantes. Au Luxembourg par exemple, le chiffre d'affaires des filiales françaises pour l'année 1996 baisse de 30 % après une hausse exceptionnelle en 1995. Cette évolution s'expliquerait par le fait que l'année 1995 avait été marquée par un grand nombre d'opérations effectuées en L.P.S. liées à l'évolution de la dette publique de l'Etat belge et au remboursement de bons de caisse, placés sur le marché luxembourgeois.

L'attractivité du marché luxembourgeois, dont ont profité les filiales d'entreprises françaises, provient d'une absence de taxation des revenus et d'une meilleure rémunération des placements, protégée par un secret bancaire mieux gardé que celui des autres Etats membres. Elle se traduit par le fait que 72 % des primes encaissées proviennent de l'étranger et sont encaissées selon le régime de la L.P.S.

Au total, la mesure des transferts de contrats vers des pays dont la fiscalité est moins lourde ou les règles prudentielles moins sévères ne peut être faite précisément. Ceux-ci ne doivent cependant pas être surestimés car outre les difficultés résultant des entraves subsistant aux échanges intra-communautaires, la mise à profit des différentiels fiscaux ou tarifaires suppose que soient remplies plusieurs conditions qui se trouvent rarement réunies dans l'hypothèse des contrats de masse.

En premier lieu, quel que soit le risque couvert et nonobstant l'obstacle linguistique, le preneur doit trouver à la délocalisation de la couverture du risque un avantage suffisamment important pour en compenser le coût. Ceci suppose donc une connaissance précise des conditions d'exploitation ou des règles de protection du preneur en vigueur dans l'Etat d'accueil. Un tel comportement parie, en outre, sur la durée de l'avantage induit par le transfert qui doit être suffisamment stable dans le temps pour ne pas être anéanti par une modification de la réglementation des Etats d'origine ou d'accueil ; il est également soumis aux fluctuation monétaires.

Dans le secteur particulier de l'assurance vie, les transferts de contrats sont essentiellement le résultat des différences de rendement. Si l'on retient l'exemple français, et dans l'hypothèse d'un contrat souscrit avec une entreprise étrangère, trois situations peuvent donc se présenter :

- soit l'engagement est souscrit en France auprès d'une entreprise établie sur le territoire (siège social ou succursale) ; la réglementation fiscale française subordonne le bénéfice de la déductibilité fiscale qui est limitée à des déclarations obligatoires. Par ailleurs les rendements seront limités ;

- soit l'engagement est souscrit directement à l'étranger : l'administration fiscale ne peut alors être informée de l'existence du contrat que par la seule déclaration du souscripteur ; eu égard aux limites imposées à la déductibilité des primes et aux taxes dont sont frappés les revenus du contrat (contribution sociale généralisée ...), le souscripteur n'a intérêt au dépaysement que dans la mesure où l'investissement assure un rendement supérieur à celui résultant du mécanisme français de déductibilité ; il s'agit donc essentiellement de contrats de forte valeur. Dans la mesure où doit être déclarée à l'administration toute sortie du territoire d'une somme supérieure à un certain montant, il n'est pas exclu qu'une partie des fonds soit exportée en l'absence de toute déclaration ;

- dans l'hypothèse où le contrat est souscrit en L.P.S., le principe de territorialité fiscale veut qu'il soit frappé des impôts et taxes locales de l'Etat de l'engagement. Or, les contrats d'assurance vie ne donnent pas lieu au versement d'un impôt, seuls les revenus versés en seront frappés ; l'intérêt de la déductibilité accordée par la France se pose alors dans les mêmes termes que dans le cas précédent.

Les comparaisons tarifaires valent pour l'assurance de dommages, mais n'ont de sens qu'à niveau de prestation égal et il n'existe aucune étude précise sur ce point. D'un avis général, la France présente dans ce secteur une grande diversité.

Lorsqu'elles résultent d'une moins grande sévérité des règles prudentielles, les différences tarifaires ont une contrepartie qui est, théoriquement, une diminution du niveau de sécurité offert aux souscripteurs, l'exemple britannique récent des difficultés rencontrées par les Lloyds ou par plusieurs opérateurs du secteur des fonds de pensions est significatif à cet égard.

La marge de solvabilité est le reflet de la situation de l'entreprise au regard des règles prudentielles. Les dernières marges de solvabilité moyennes connues exprimées en pourcentage de la marge minimale réglementée, telles que présentées dans les rapports des autorités de contrôle de certains Etats membres, sont les suivantes :

 

France (1)

Allemagne (1)

Luxembourg (1)

U.K.

Belgique (2)

Dommage

115 %

249 %

178 %

non publié

348,3 %

Vie

228 %

190 %

185 %

non publié

271,5 %

Moyenne

n.c.

n.c.

182,45 %

non publié

n.c.

(1) hors plus-values latentes (2) plus-values latentes incluses

La comparaison des écarts montre que, dans l'ensemble, les niveaux de marge pratiqués sont supérieurs aux exigences réglementaires. Il convient d'ailleurs d'être prudent sur les conséquences à tirer de ces écarts car, comme le soulignent les travaux du C.E.A., " les problèmes induits par une insuffisance de marge ont été rares en Europe et les quelques défaillances enregistrées n'auraient pas pu être évitées par une augmentation des contraintes de marge. Dans la plupart des cas, ces défaillances ont été causées par de graves erreurs de management et/ou des investissements hasardeux... Généralement les compagnies en cause remplissaient leurs objectifs de marge et les contrôleurs ont été incapables d'anticiper les causes des défaillances lorsqu'elles survinrent " 270( * ) .

En matière d'assurance de dommages, la mesure de l'adéquation des politiques tarifaires aux charges résultant des sinistres est en partie fournie par l'examen du résultat technique.

La comparaison de ces résultats appréciés en pourcentage des primes nettes des sociétés d'assurance britannique, allemande et française montre des situations très diverses :

 

1980

1990

1994

France

- 12 %

- 12 %

- 11 %

Allemagne

0, 5 %

2 %

0,1 %

Grande-Bretagne

- 3 %

- 19 %

- 5 %

(Source : Sigma)

Le caractère négatif des résultats techniques des entreprises financières peut s'expliquer par une sous-évaluation des sinistres mais aussi des charges d'exploitation. A défaut des produits financiers qui rééquilibrent le résultat net, il traduirait une sous-tarification.

En conclusion, la mesure des effets des différences tarifaires ou prudentielles constatées aux dépens des entreprises françaises sur le marché de l'assurance des risques de masse apparaît difficile à effectuer. Sur le marché français des risques de masse, l'avantage dont pourrait bénéficier les opérateurs étrangers opérant en particulier en L.P.S. n'est pas net. Il semble même, au contraire, que les parts détenues par les opérateurs français progressent et que les tarifs qu'ils pratiquent ne leur créent pas un désavantage dans la concurrence.

- Conséquence sur la structure de l'offre de produits d'assurance du maintien de barrières à l'entrée sur les marchés

Les difficultés rencontrées par les succursales de sociétés d'assurance étrangères pour s'implanter sur le marché français de l'assurance des risques de masse peuvent s'expliquer par les caractéristiques d'une distribution dominée par la forte présence des agents généraux et des " bancassureurs ".

Cette situation n'est pas très éloignée de la situation des marchés allemands, sur lesquels la pénétration des succursales étrangères est estimée à 4 %, ou des marchés italiens. Dans ces deux pays les agents exclusifs détiennent près de 80 % du marché. La Grande-Bretagne se distingue par une plus grande ouverture aux activités des sociétés étrangères puisqu'elles collectent 33 % des primes alors pourtant que les intermédiaires indépendants assurent près de 70 % de la distribution ; cette situation est sans doute explicable par la prépondérance nette des courtiers sur les agents liés.

La forte présence des mutuelles sans intermédiaires constitue par ailleurs un obstacle à la pénétration des entreprises étrangères sur le marché de la vente directe. La faiblesse de leurs frais de chargement permet à ces opérateurs de maintenir leurs coûts à des niveaux relativement bas et de vendre leurs produits à des prix avantageux, d'autant qu'ils concentrent souvent leur offre sur certaines catégories professionnelles dont le taux de sinistre est inférieur à la moyenne 271( * ) .

Cette situation a conduit les assureurs étrangers désirant opérer en France à procéder à l'acquisition d'entreprises françaises de façon à bénéficier de leurs réseaux de distribution. Dans un passé récent, les opérations suivantes ont ainsi été réalisées :

- août 1994, rachat du groupe Victoire par la compagnie britannique Commercial Union ; cette opération s'est achevée par la fusion en 1996 des sociétés Sinafer et SEV au sein d'Abeille Vie, filiale de Commercial Union ;

- 1997, offre publique d'achat de la société allemande Allianz (n° 1 allemand) sur les A.G.F. (n° 3 français).

Cette opération, qui s'est accompagnée de la cession de la société Athéna au groupe italien Generali, aura également pour effet une prise de participation d'Allianz dans la COFACE.

A la fin de l'année 1997, trois des dix premières entreprises françaises étaient contrôlées par des compagnies étrangères ; elles représentaient 16,2 % du total des primes recueillies toutes assurances confondues, mais seulement 11 % dans le secteur de l'assurance vie. Ces résultats marquent une prédominance de l'activité des sociétés étrangères dans l'assurance de dommages qui n'est sans doute pas sans lien avec la prépondérance exercée par les courtiers d'origine étrangère, en particulier dans le secteur de la couverture des grands risques.

Dans ce dernier secteur, les parts de marché détenues par des sociétés d'origine étrangères seraient les suivantes :

- risques crédit 84 %

- risques industriels 50 %

- transports gros risques 40 %

En 1996, l'essentiel de ces risques était couvert par l'intermédiaire de maisons de courtage qui collectaient environ 76 % du montant des primes, contre 25 % pour les particuliers. La couverture des grands risques génère d'ailleurs plus de 80 % du chiffre d'affaires des douze premiers courtiers opérant sur le marché français, dont le premier est une filiale à 100 % d'un groupe américain et cinq d'entre eux sont des sociétés filiales à au moins 30 % de cabinets de courtage étrangers (britanniques ou hollandais). Deux filiales de banques distribuant des produits aux particuliers figurant également dans ce groupe.

Au total, il n'est pas démontré que les entreprises françaises subissent un désavantage important dans la concurrence qui les oppose aux opérateurs étrangers du fait des différences des législations fiscales ou prudentielles auxquelles elles sont soumises.

Lorsque de telles différences existent, comme par exemple en matière d'assurance vie, les risques de transferts de contrats sont cependant faibles, en raison notamment de la subsistance de nombreuses entraves aux échanges.

Au demeurant, les règles prudentielles ou fiscales ne sont qu'un élément entrant dans le processus d'élaboration des tarifs qui restent également dépendant de la politique de sélection des risques ou des modalités de distribution choisis par l'opérateur.

Les acquisitions d'entreprises françaises par des entreprises étrangères montrent d'ailleurs que ces dernières cherchent à bénéficier des avantages résultant de structures préexistantes plutôt que de tenter une pénétration du marché français par la seule promotion de leurs produits.