6. Intervention de M. Brice LALONDE, ancien ministre de l'Environnement, président du groupe Eau à l'Association des maires de France (AMF)

M. Brice LALONDE . - Je ne conteste pas personnellement l'idée qu'on puisse utiliser l'environnement pour servir d'assiette à la fiscalité. Cette idée est largement répandue et mise en oeuvre, puisqu'il y a déjà beaucoup de taxes ou d'impôts écologiques dont l'assiette est l'environnement. D'ailleurs, ces taxes sont affectées ou pas. On nous rappelait tout à l'heure que la TIPP, qui représente 160 milliards de francs, n'est pas affectée et allait donc directement au budget général de l'Etat.

La taxe sur le défrichement n'est pas affectée. La taxe sur les péages d'autoroutes est affectée à la construction des autoroutes et cela marche d'ailleurs très bien. De même, la taxe sur les pylônes électriques ou les espaces naturels sensibles. Je ne conteste pas l'idée que l'environnement puisse servir d'assiette à la fiscalité. Ce que je conteste, c'est qu'on se concentre sur deux agences qui sont précisément du seul domaine de compétence du ministère de l'Environnement.

Pourquoi l'idée de la création d'une fiscalité écologique se traduirait-elle par la destruction des meilleurs alliés de l'environnement ? On aurait pu prendre la taxe sur le tabac, ou d'autres.

Si on s'en tient aux seuls domaines de compétence du ministère de l'Environnement, c'est sans doute qu'il est plus facile de commencer par là, mais c'est peut-être aussi parce que le ministère de l'Environnement n'apprécie pas les agences. Pourquoi la TGAP se traduit-elle uniquement par une attaque envers les agences ? Sans doute pour cette raison. Depuis longtemps, nous savons aussi que le ministère des Finances et les orthodoxes n'aiment pas l'idée de recettes affectées. D'ailleurs, on pourrait leur répondre que si on les avait écoutés, il ne se serait jamais rien passé dans le domaine de l'environnement.

Tout ceci s'est créé de manière pragmatique grâce à des pionniers. Mais Bercy n'aime pas les agences. Et il m'est arrivé d'entendre des membres du cabinet du ministère de l'Environnement se plaindre que les agences bénéficiaient d'un budget supérieur à celui de l'administration centrale ou du cabinet du ministre. J'en ai conclu qu'il existait peut-être une vieille querelle entre l'administration centrale ou le ministre de l'Environnement et les agences. Si l'argent va directement au budget de l'Etat et si par une négociation subtile avec le ministre des Finances, ceci se traduit par une substantielle augmentation au profit du ministre de l'Environnement, alors les membres du cabinet du ministère de l'Environnement sont satisfaits.

Enfin, les derniers qui n'aiment pas les agences, ce sont les théoriciens qui nous expliquent que le prix de l'eau augmente et que la qualité de l'eau baisse. Je m'inscris en faux contre cela. La qualité de l'eau, dans notre pays, s'améliore d'année en année, mais au fur et à mesure que la politique de l'environnement avance, nous nous apercevons que le problème n'est plus la pollution industrielle, mais la pollution diffuse.

Et il est extraordinaire de penser que face à cette pollution diffuse, c'est-à-dire les automobilistes en ville et les agriculteurs dans le monde rural, la seule recette résiderait dans une recentralisation, alors qu'il faudrait être plus près du terrain. En tout cas, je dirai à l'Etat que s'il veut tout de suite baisser le prix de l'eau, il peut le faire immédiatement par la suppression de la TVA, ou de la taxe sur les voies navigables par exemple, sans pour autant porter atteinte aux agences.

Nous avons souvent entendu parler de droit à polluer. Le paiement d'une redevance s'apparenterait à une permission de polluer. Il est déjà mieux de payer que de ne pas payer du tout. Mais, il ne faut pas confondre la logique de répression avec la logique de l'agence. Jusqu'à présent, la politique de l'environnement était fondée sur trois piliers : l' administration qui fait les lois, définit la stratégie, contrôle et oriente la police de l'eau et nous savons que la police de l'eau était insuffisante. Les agences qui sont très différentes sont les meilleures alliées des collectivités locales. Je le sais en tant que maire. Je suis très heureux de trouver l'agence pour m'aider à financer la station d'épuration. Or, si les agences contribuent à la police de l'eau, on les verra avec beaucoup moins de plaisir parce que ce n'est pas la même logique.

Qu'on puisse augmenter le montant des réparations civiles ou des amendes pour les délits de pollution, très bien. Cette idée n'a jamais été mise en oeuvre, mais ne demandons pas aux agences de constituer l'armature d'un système répressif qui s'apparenterait à des amendes. Ce sont des logiques différentes.

Enfin, troisième pilier, un système d'évaluation encore insuffisant. Donc, je conteste l'idée d'une TGAP qui s'attaque d'abord aux meilleurs amis de l'environnement que sont les agences.

La deuxième chose à laquelle je m'oppose, c'est l'affectation de cet argent . L'argent est destiné au budget général de l'Etat. Nous savons aujourd'hui que l'Etat français est bien gourmand et nous savons aussi que les frais de gestion de l'Etat gourmand sont supérieurs aux frais de gestion des agences. Il est vrai qu'il y a un petit côté prédateur, plutôt que protecteur, dans l'augmentation continuelle de la fiscalité et je ne suis pas certain que les défenseurs de l'environnement aient comme mission de donner à l'Etat français les moyens d'avoir toujours plus d'argent. Désormais, la taxe sur le stockage des déchets va aller à l'Etat. Qui paye cette taxe ? Les administrés des collectivités locales qui sont taxés par le biais de la redevance des ordures ménagères. Donc, une taxe locale va aller financer le budget général de l'Etat. Il y a là un mécanisme pervers.

Enfin, dernier point : je pense que les promesses qu'on nous fait ne seront pas tenues . On nous dit : vous pouvez avoir confiance, l'Etat rendra l'argent à l'environnement. Promesse admirable. Nous voilà tout à fait rassurés. Et on nous dit : ne vous inquiétez pas, la ministre de l'Environnement, Mme Dominique VOYNET ne se laisserait pas faire si l'Etat voulait prendre une partie de l'argent et ne voulait pas le rendre à l'environnement. Nous sommes obligés de souhaiter que Mme Dominique VOYNET reste là le plus longtemps possible pour éviter un tel hold-up.

J'ai lu tous les rapports, qui se sont bousculés depuis quelques mois, contre les agences. J'ai entendu beaucoup de gens me dire qu'on dépensait beaucoup trop d'argent dans le domaine de l'eau, ce qui signifie immédiatement que pour en dépenser moins il suffit de réduire les travaux et les investissements.

J'ai tellement entendu cela que je suis obligé de dire que, craignant le hold-up, je crains la régression de la politique de l'eau. Je pense que les progrès que nous avons acquis avec des décisions concertées, géographiquement diverses, quinquennales, et qui permettent aux opérateurs de s'engager dans des investissements très lourds sont les marques d'un bon système.

Je crains le jacobinisme et l'art de gouverner par circulaire et par ukase. Je pense que c'est un grand risque et face à cette menace, je préfère dire non à la TGAP.

(Applaudissements).

M. Jacques OUDIN . - Il est vrai qu'il y a des faits contradictoires. Certains disent que les Français ne sont pas contents de l'eau, alors même que nous constatons une amélioration, nous les gestionnaires locaux de l'eau. Nous sommes responsables de syndicats, de communes, et on s'aperçoit sur le terrain qu'il y a une amélioration dans la plupart des secteurs. Certains secteurs sont encore un peu en difficulté malgré tout.

La deuxième contradiction qui me frappe, c'est qu'il y a des petits cénacles qui n'aiment pas les agences. Mais ce qui est le plus frappant, c'est l'immense adhésion des collectivités territoriales, communes, départements, région, au travail des agences. Et c'est cette incompréhension qui soulève quelques interrogations. Je crois pour ma part, mais les applaudissements tout à l'heure l'ont montré, que les agences ont su se faire apprécier et aimer dans le paysage administratif et local français.

Enfin, sur le problème de la centralisation, c'est peut-être une approche qui n'est pas tout à fait la plus efficace, au moins en ce qui concerne la vision que peuvent en avoir les collectivités territoriales.

Merci M. Brice LALONDE. Si vous le voulez bien, tous les orateurs de la première tribune s'étant exprimés, y a-t-il des questions dans la salle à destination des intervenants ?

M. Pierre EGLER (Conseiller Régional, membre du Comité de bassin Rhin-Meuse). - M. Pierre RADANNE nous a fourni la meilleure argumentation contre la TGAP. Il nous a expliqué qu'il avait beaucoup de problèmes avec les décisions prises par Paris, en ce qui concerne les diverses taxes.

J'ai l'impression que vous vivez encore en 1970 quand vous parlez de la réparation des dégâts. J'ai connu cela dans les années 70 quand j'ai fait partie du Comité de bassin Rhin-Meuse, mais depuis longtemps on ne parle plus de réparation, on parle de prévention. Il serait bon peut-être que vous veniez voir ce qui se passe dans les agences de l'eau. Ce que vous avez dit tout à l'heure démontre clairement que vous ne connaissez pas la réalité du terrain. En ce qui concerne la qualité de l'eau, dans le Rhin aujourd'hui le saumon remonte ; dans la Tulle, la rivière la plus polluée de l'Est de la France, la truite est revenue. Ce sont des actions que nous avons menées au niveau des agences.

Alors ne vous focalisez pas sur quelques individus, mais faisons référence au titre du dossier qui a été remis aux participants : une remise en cause radicale de la politique de l'eau. Nous ne sommes pas dans nos agences pour remettre en cause radicalement la politique de l'eau. Nous sommes prêts à un certain nombre d'actions, mais ne nous demandez pas d'être les méchants sur le terrain alors que Paris décide de tout.

Nous voulons continuer le travail que nous avons commencé dans les agences de l'eau depuis 25 ans et plus. Alors, laissez-nous travailler et consacrez votre TGAP à ce qui ne va pas.

(Applaudissements).

M. Daniel MARCOVITCH (Député de Paris). - Il n'y a que 10 commandements et pas 12, et il suffisait de toucher un rocher pour que l'eau coule ou étendre les bras pour que la mer Rouge s'écarte. La maîtrise de l'eau était plus grande à l'époque qu'aujourd'hui.

Je regrette l'absence de Nicole BRICQ qui est l'auteur du rapport sur la TGAP et dont l'avis un peu discordant aurait été intéressant, dans ce concert d'autosatisfaction, voire même de démagogie dans certains cas.

D'abord, j'ai entendu parler du Parlement de l'eau : le Parlement, par définition, vote le budget et l'impôt. La différence qu'on pourrait évoquer, c'est que quand nous, parlementaires, votons le budget, nous avons été élus pour cela, ce qui n'est pas tout à fait le cas des Parlements de l'eau ; appelons-les seulement comités de bassin. Il ne faut pas les parer d'une vertu qu'ils n'ont pas.

Deuxième point : il faut que l'argent de l'eau aille à l'eau. Bien sûr. Personne n'a dit le contraire. On dit simplement qu'il faut que ces plans quinquennaux aient également reçu l'aval du Parlement. C'était le projet VOYNET dans son intervention du 20 mai. Il n'y a là rien qui remette en cause le rôle des agences ni le principe des plans quinquennaux.

Autre point : il faut absolument que l'argent de l'eau aille à l'eau. Moi je dirai que l'argent des usagers va aux distributeurs, sous la forme des distributeurs producteurs, des filiales qui font des travaux de génie civil, des constructeurs de centrales d'épuration ou des égouts. Mais c'est bien de cela qu'il s'agit.

M. Alain LIPIETZ disait que le système mutualiste était géré par le garagiste qui décide lui-même des taux, mais c'est la réalité. On peut se parer des vertus de la gestion par bassin, et personne ne la remet en cause et surtout pas les directives européennes. Mais le problème posé aujourd'hui est uniquement d'assurer la maîtrise du financement des agences. Il est beaucoup plus celui d'industriels, qu'on appelle les praticiens dont le métier est de produire de l'eau et de bonne qualité si possible. Et je dirai que l'eau de Paris est de bonne qualité, même si c'est une société à 70 % parisienne qui produit l'eau.

Le mot praticien évoque un côté très technique. Il s'agit de professionnels dont le métier est de faire des affaires. On ne peut pas reprocher à des industriels de vouloir gagner de l'argent. Si on dit qu'il faut que l'Etat ait un droit de regard dessus, ce n'est pas remettre en cause la totalité du système.

M. Robert GALLEY . - Cela ne tient pas debout.

M. Daniel MARCOVITCH . - Des gens qui cotisent ensemble vivent dans un groupe fermé. Nous vivons dans une structure qui a des divisions territoriales locales, départementales, régionales, ou l'Etat.

On a inventé là une division fonctionnelle au niveau de l'eau, pas de l'impôt, pas de la mutualité ou de la solidarité entre les Français. C'est le fait d'évoquer la nécessité d'une solidarité entre l'agence de Paris et l'agence Adour-Garonne. La deuxième viendrait financer Paris. Eh bien oui, il existe une notion de solidarité entre Français. A-t-on parlé de prix unique de l'eau en France ? On a parlé de modulation permettant de limiter les écarts. On a parlé de solidarité entre les agences, c'est-à-dire entre les Français. L'agence n'est pas une entité en soi, c'est un service rendu aux usagers à travers les collectivités et les investissements.

Mais, il n'est pas écrit dans la bible que l'agence ne doit pas changer. On sait qu'un certain nombre de pratiques ne sont pas constitutionnelles. Alors, ne soyons pas les gardiens du temple pour dire que rien ne doit changer dans les agences, qu'il ne faut surtout pas que l'Etat s'en mêle ou que l'Etat est l'ennemi à combattre. Nous sommes ici, pour un certain nombre d'entre nous, représentants du peuple parce qu'élus, et notre ennemi serait l'Etat ou le Gouvernement ! Nous votons le budget, nous représentons la France et nous aurions un ennemi en face. Allons ! Soyons sérieux. On ne peut pas faire que de la démagogie et de l'autosatisfaction. Le système des agences, la gestion par bassin, est un des systèmes les plus remarquables qui existent. Le mode de financement et la façon de calculer la péréquation ne sont pas parfaits et peuvent évoluer avec le temps.

A partir de là, on essaie de dire aux gens qu'on va remettre en cause la distribution de l'eau. Non, pas du tout. On va remettre en cause des problèmes d'argent. Là, on touche peut-être à la partie la plus sensible et j'aimerais qu'on en parle sérieusement et pas sous le faux-semblant de la qualité de l'eau.

M. Jacques OUDIN . - Il nous est offert d'en parler sérieusement et, pour ce faire, il faut bien analyser les problèmes au fond. Il y a eu des rapports, il y en aura d'autres. Les assemblées parlementaires, à partir d'une réflexion comme celle d'aujourd'hui et la concertation engagée depuis octobre, auront elles-mêmes à coeur de se pencher sur ce problème de la fiscalité écologique et cela se passera dans les deux assemblées de la même façon.

Mme Sylvie MAYER (Conseiller régional d'Ile de France, responsable des questions d'environnement au parti communiste). - Nous sommes tout à fait opposés à la TGAP, pour la plupart des arguments qui ont été ici développés, et les deux projets de loi que nous avons déposés en 1992 et 1994, l'un sur le prix de l'eau et l'autre sur l'élaboration d'un service public national de l'eau, n'allaient pas dans ce sens.

Certes, nous sommes persuadés qu'il faut améliorer encore le système des agences, et si aujourd'hui nous comparons ces agences et leur gestion à ce que vient de nous dire M. RADANNE en ce qui concerne l'ADEME, je crois que les agences sont quand même en meilleure voie.

S'agissant des différents objectifs de la TGAP, c'est-à-dire la création d'emplois par le déplacement de l'assiette, un meilleur signal vis-à-vis des pollueurs et l'accueil des taxes européennes, écotaxes sur l'énergie, au sein de la TGAP, je mets en doute les deux premiers. Quant au troisième, je crois qu'il y a un fond d'idéologie qui ne correspond pas au besoin et à la réponse sur la gestion de notre patrimoine de l'eau.

Au regard de la création d'emplois, malheureusement jusqu'à présent les allégements sur la fiscalité du travail n'ont pas prouvé leur excellence, alors qu'il me semble que l'activité des agences a permis des créations d'emplois. Le fait de s'intéresser à l'eau et d'investir massivement sur la question de l'eau, la création des SDAGE, cela peut être créateur de milliers d'emplois, et il y a donc là des voies meilleures.

Le meilleur signal : je n'ai pas encore compris comment cela va fonctionner. Si c'est la collecte unique de taxes multiples, je ne vois pas ce qui change. Si c'est une nouvelle taxe supplémentaire, qui obligera les collectivités à produire d'autres efforts, on va encore faire payer les gens mais sans qu'ils en perçoivent l'utilité. Il me semble que le principe de mutualisation peut être direct et efficace vis-à-vis des industriels.

Nous avons été parmi ceux qui dénoncent les pollutions par l'activité productive. Mais je trouve qu'aujourd'hui des améliorations très sensibles ont été faites. L'activité humaine crée naturellement des effluents et je ne vois pas pourquoi on veut culpabiliser tout le monde pour cette raison. Il faut au contraire aider à la prévention.

De ce point de vue, nous sommes porteurs d'un projet. Il nous semble qu'il faudrait dans ce pays un établissement public national consacré à l'environnement, qui puisse permettre des recherches, apporter des conseils aux collectivités car aujourd'hui elles se trouvent face aux majors. Je ne vois pas non plus comment la TGAP va empêcher les majors de s'enrichir. Il faut leur imposer des missions de service public plus rigoureuses. La police de l'eau doit faire son travail. On doit exiger plus de transparence dans les comptes de ces sociétés et elles doivent aussi, de la même manière, avoir un statut pour leurs salariés qui, pour l'instant, n'ont pas droit à un statut de branche comme dans d'autres activités.

Je crois que le monopole de l'eau ne va pas dans le sens d'investissements vraiment adaptés aux besoins, et là je crois qu'une agence nationale ou un établissement pourrait favoriser cela.

Voilà quelques éléments résumant notre opinion. Je suis avec attention les activités du Cercle français de l'eau et j'espère qu'un jour je serai aussi invitée parmi les intervenants des tables rondes.

(Applaudissements).

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