3. M. Hervé MORIZE, secrétaire général de la Société des agriculteurs de France

C'est en tant que secrétaire général des agriculteurs de France, bien qu'étant exploitant dans les Yvelines, que j'interviens.

A un moment où les réflexions sont nombreuses, mais indispensables, pour alimenter les débats sur l'évolution de l'agriculture et de la ruralité, ce colloque s'inscrit dans les objectifs des lois qui vont être en cours de préparation ou qui le sont actuellement. Dans cette année 1999, nous allons avoir de nombreux enjeux et les positions qui seront prises à travers la loi d'orientation agricole mais aussi la loi d'orientation et d'aménagement durable du territoire vont être autant de signaux qui pourront nous aider à bâtir ou à renforcer une politique rurale ou moderne suivant les décisions qui seront prises. Une politique capable de répondre à une double vocation de l'agriculture : économique et territoriale. Une vocation économique tout d'abord parce que nous ne devons pas oublier que l'agriculture n'existera jamais sans résultat économique. Elle doit satisfaire cette économie, les consommateurs dans notre pays, des clients à l'étranger, mais il faut surtout pour les agriculteurs qu'elle satisfasse un revenu. L'agriculture dégagera un revenu et si c'est le cas, elle pourra rester dans ces espaces périurbains.

Une vocation territoriale, car l'agriculture doit satisfaire les citoyens qui sont devenus en quelques années des urbains et pour cela, il faut que les agriculteurs puissent vivre de leur travail. Pour réussir cette ambition, les lois et les contrats de plans état/régions, qui sont en préparation pour les années 2000/2006, devront être des boîtes à outils efficaces : en particulier assurer la vocation durable des sols, favoriser le maintien de l'amont et de l'aval en agriculture. Un agriculteur ne peut exercer, seul, sans ce tissu. Il faut encourager les transformations agro-alimentaires dans des zones à forte densité où ces industries ont tendance à s'éloigner dans des zones plus faciles d'accès pour les transports notamment. Autre objectif, il faudra savoir créer de nouveaux partenariats entre l'agriculture et ses compétences et ceux qui nous seront demandés demain. Enfin, la formation fait partie des finalités, des outils qu'il faudra savoir utiliser, et un dernier, important, l'information, ce qui manque le plus.

Une politique rurale moderne qui réussira si nous savons nous appuyer sur les valeurs traditionnelles qui ont fait la force du monde rural. Il ne faut pas rejeter les traditions culturelles du monde rural. Ces traditions ne doivent pas être assimilées à des freins au progrès, au contraire, elles peuvent être des repères indispensables pour les nouvelles générations. Ces traditions peuvent permettre une meilleure intégration des nouvelles composantes économiques et sociales de notre société. Le milieu rural peut continuer à être le ferment de la cohésion indispensable dans des espaces où l'environnement est un ensemble qui englobe à la fois le patrimoine, la nature et l'habitat. Face à cet enjeu, l'association que je représente estime que le monde rural est capable de s'affirmer comme un élément essentiel de la société française et de s'y intégrer sans craindre de perdre son identité.

La campagne peut servir de catalyseur pour la ville. Une seule génération aura vu basculer les motivations des uns et des autres et plus encore les motivations des uns envers les autres. La très forte migration des populations rurales vers les villes a été un choix politique fort dans les années 60 pour faire de la France un grand pays industriel et agricole, qui soit capable de nourrir ses habitants en se modernisant avec une agriculture moderne. Ce choix a permis le progrès, par la technique de notre agriculture, et à la société d'accéder à l'autosuffisance, puis à davantage de confort et de sécurité alimentaire, ainsi qu'à de nouveaux métiers aujourd'hui à travers de nouveaux échanges qui nous attendent demain. Les modes de vie se sont trouvés bouleversés et les rapports et les liens avec nos besoins alimentaires et leurs origines se sont peu à peu éloignés. Il faut faire ce constat pour mieux comprendre ceux qui sont restés à la terre et qui se demandent chaque jour à quoi ils sont utiles, et ceux qui sont partis à la ville, qui veulent savoir ce qui se passe dans ce monde rural qui leur devient inconnu.

La perception de l'espace rural a changé. L'agriculteur sait ce qui lui appartient ou ce dont il a la charge dans le milieu rural, mais les urbains, qui découvrent peu à peu, qui viennent vivre dans ces zones, croient que cet espace est collectif. Ils croient qu'il est inépuisable, consommable. C'est là qu'il faut trouver des réponses. Les mêmes gens connaissent le bien privé pour leur jardin, oublient que partout il existe aussi des biens privés, voire collectifs, qui sont encadrés. Et de cela l'agriculteur en prend de plus en plus ombrage, il connaît son droit, son rôle. C'est pour cela qu'il faut établir d'urgence un nouveau dialogue pour mieux comprendre et voir d'un point de vue territorial l'usage privé et l'usage collectif que l'on doit faire dans ces zones périurbaines.

Enfin, la formation. Elle n'existe plus. Il faut la rétablir pour les nouvelles générations. Il n'y a pas de honte à réapprendre ce qu'est un écosystème, quel est le processus du vivant, comment on produit des aliments, quels sont les modes de travail, quels sont les modes de la vie. Tout le monde n'a pas eu la chance d'aller dans une école d'agriculture mais rien n'est perdu. Nous devons tous nous atteler à cette formation, car plus de formation pourra toujours permettre plus de compréhension et notamment pour les populations les plus jeunes.

Cet espace que l'on qualifie de périurbain laisse à penser dans ce mot que l'urbain domine en termes de puissance et dans le rapport de force en nombre, c'est vrai, mais dans ce que nous voulons créer pour ces espaces, mieux vaut évoquer le caractère rural de façon plus affirmée et indispensable en association avec la ville. Peut-être pourrions-nous parler de zone néo-rurale. Ce que nous voulons faire dans ces espaces est l'essentiel. D'un point de vue agricole, l'environnement se trouve modifié par l'avancée de la ville, les chemins deviennent des routes, les plateaux se morcellent, les vallées se comblent ou se traversent par des ponts, les forêts s'éclaircissent. Tout ce qui se construit revêt un caractère quasiment irréversible envers l'état naturel géographique. Il faut donc mesurer avec précision l'impact des décisions qui seront prises, savoir déterminer la part agricole et rurale que l'on veut pour ces espaces. C'est là l'enjeu essentiel pour la pérennité de notre agriculture et l'entretien naturel et productif des espaces agricoles. A partir de cet équilibre, nous déterminerons les usages, les complémentarités, les lieux de vie et d'habitat, de travail et de loisirs. C'est dès le début qu'il faut penser aux éventuels conflits évoqués ce matin pour éviter de se trouver dans des impasses. Pour qu'une politique d'environnement ait une chance de succès dans ces espaces, il faut qu'elle soit capable de gérer les intérêts de tous. Il faut que chacun puisse remplir son rôle, exercer le travail qui doit être le sien, connaître ses limites et accepter celles des autres. La liberté des uns commence où s'arrête celle des autres. Pour les agriculteurs qui acceptent de rester dans ces espaces, les défis à relever changent, les nouvelles contraintes arrivent, les nouvelles opportunités se créent en termes de fonctions, de marchés et d'échanges. Il faudra des règles pour encadrer tout cela et savoir libérer les énergies nouvelles, favoriser les complémentarités créatives et les projets, les nouveaux services. Il faudra, en fait, refaire ce qui existait quand nous étions 10 millions de paysans. Chacun comprenait mieux à quoi pouvait servir l'agriculture. Ce que le paysan pouvait faire et ne pas faire avec la nature. Il faut recréer la confiance entre les uns et les autres. Cela passera par la transparence, la connaissance, la curiosité, l'explication. Nous appelons cela la communication. La vraie communication, qui consiste à se parler d'un champ à l'autre, d'une maison à l'autre, des maisons aux champs et des champs aux maisons, cette communication sera la clé de la réussite d'un environnement aménagé entre la ville et la campagne. A nous tous de relever le défi en créant les outils dont nous avons besoin.

M. Jean-François LE GRAND : Merci M. Morize.

Questions - réponses :

Mme Christiane CARLE :
Je représente le Ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Le dossier des fermes pédagogiques est un dossier qui m'a été confié et pour lequel nous nous sommes considérablement investis. Pour preuve, j'ai monté un projet. Mme la Ministre est allée le 29 septembre 1998 visiter l'exploitation de Mme Thève. Il s'agissait là de reconnaître le travail, l'investissement fait par les agriculteurs en matière d'éducation et de respect à l'environnement. Il y a environ 1.300 fermes pédagogiques en France dont 400 fermes d'actions éducatives. Ces structures ne sont pas rivales mais complémentaires.

M. LUNARDON, Chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes : Mme Corinne Lepage a parlé d'absence de vue d'ensemble. Nous sommes tout à fait dans le sujet. M. Morize a prononcé le terme d'urgence de nouveaux dialogues, c'est également dans l'urgence des solutions à trouver au problème périurbain, et le terme également d'irréversible.

Tout cela pour dire, à l'intention de Mme Brevan, que nous attendons des décisions. Sur la Côte d'Azur, les espaces périurbains sont très limités, très réduits. Nous avons des loups dans le Mercantour où les éleveurs se demandent si demain ils vont pouvoir continuer leur métier à cause de cela. Nous avons sur le littoral, autour de nos communes, des loups qui ne sont pas les mêmes, mais qui ont de grosses convoitises sur ces terrains-là, et si des mesures ne sont pas prises en grande urgence, je crois qu'il sera vite trop tard.

M. Pascal LEGRAS : Agriculteur exproprié sur la commune de Lieusaint dans la ville nouvelle de Sénart, donc exploitant à titre précaire dans un espace périurbain. Dans un moment où la mixité ville/campagne est nécessaire dans l'avenir, pensez-vous que la voie d'expropriation actuelle par office de déclaration d'utilité publique sous réserve de réserve foncière soit toujours adaptée et ne peut-on pas envisager une notion de partenariat entre l'aménageur et l'agriculteur dans les temps à venir ?

M. Gérard LARCHER : Il y a une question pour Mme Brevan et une question qui s'adresse un peu au législateur et à la réflexion que nous avons conduite, et qui démontre que les modes d'intervention fonciers, que nous avons, ont considérablement réduit en moyens financiers mais qu'en même temps ils restent parfois brutaux dans leur expression juridique et dans leur traduction financière. Je prends Montereau Fault dans l'Yonne, des terres «NC» à 45 francs du m2. Je prends à Massy, dans l'évaluation faite en 1997, des terres «NC» à 60 francs du m2. Nous voyons bien les limites du système et puisque le président Lapèze est là et je parle aussi devant M. Michel Souplet, le rôle des SAFER dans cet espace peut être plus grand si nous lui en donnons les moyens, si nous ne le détournons pas d'être un outil d'abord au service des agriculteurs et de l'agriculture, si nous n'en faisons pas un outil destiné à autre chose. Je pense qu'il y a là des réponses dans lesquelles le partenariat agriculture et aménagement est essentiel. Je le dis parce que je suis près du délégué interministériel à la ville qui a été directeur de l'équipement des Yvelines. Les Yvelines sont une pépinière, espace périurbain et fonction périurbaine. L'entretien par un bataillon de fonctionnaires verts de friches, sans parler d'espaces aménagés coûte beaucoup plus cher que les exonérations que nous aurions à faire fiscalement à des zones franches agricoles périphériques de nos villes. Nous l'avons chiffré dans le rapport qui est de 1 à 10 sur l'entretien d'une friche simple et peut être de 1 à 50 sur un espace aménagé. Nous pourrions imaginer des conventions d'occupation et de partage comme le fait l'Agence des espace verts. Il faut changer la nature de nos rapports.

Je pense qu'avec vos organisations, notamment avec vos représentants, avec les chambres, il nous faudra bien au-delà du texte, car nous comptons bien sur l'article 47 de la loi Voynet, donner quelques moyens supplémentaires aux SAFER. Nous avons eu ce débat, mais il faudra le faire de manière contractuelle. Voilà pourquoi dans les départements qui ont engagé avec les organisations représentatives agricoles des dialogues, y compris des rendez-vous annuels pour faire le point sur les systèmes, il m'apparaît intéressant que la question foncière ne soit pas éludée. Nous avons eu parfois des débats en Ile-de-France avec les agriculteurs. Alors que nous sommes en train de résorber la précarité dans un certain nombre d'emplois, nous augmentons le nombre de précaires agricoles dans l'espace périurbain. Nous avons un double langage. Nous supprimons des précaires à La Poste et tous les jours nous créons des précaires agricoles dans l'espace périurbain. C'est une des réflexions que je proposerai à l'avenir et à laquelle Michel Souplet a été sensible lorsque nous avons débattu de cette affaire.

Mme Claude BREVAN - Je crois que c'est surtout M. Pierre-René Lemas qui est au premier rang qui pourra vous apporter les réponses. Sur le Var, il me semble me rappeler qu'il a été fait un travail très important sur la délimitation des espaces un peu fragiles. Il y a quelques années, j'était en charge de ce dossier et un travail très approfondi avait été fait. Je crois que quelques contentieux très lourds sur des urbanisations irrégulières dans le Var ont dû calmer les appétits des loups à deux pattes auxquels vous avez fait allusion tout à l'heure.

C'est vrai que sur le problème des réserves foncières, dont il s'agissait en parlant de terrains acquis par l'expropriation dans le cas des villes nouvelles, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger avec M. Pierre-René Lemas, la durée très longue qui peut s'écouler entre un moment où il y a une acquisition foncière d'où une fragilisation sur le plan foncier par le biais d'une mesure de gel et le moment où cela devient vraiment opérationnel. C'est une phase de très grande précarité, de très grande fragilité et c'est un des points sur lequel il faut retravailler dans le cadre de nouveaux textes qui seront peut-être mis en préparation. Nous insisterons là-dessus parce que c'est sur ces lieux-là que vont se passer des phénomènes que nous aurons des difficultés à traiter après, au titre de la politique de la ville.

M. Jean-François LE GRAND : Je vous remercie Madame.

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