CONCLUSION -

POUR UNE RECONQUÊTE DURABLE
DES ESPACES PÉRIURBAINS
PAR M. GÉRARD LARCHER, VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT

Mesdames, Messieurs, avoir la responsabilité de conclure une journée aussi dense, aussi riche, est une gageure. Mais je voudrais en profiter pour remercier Monsieur Michel Souplet et Guy Fischer et tous mes collègues sénateurs. Dire que nous avons eu aujourd'hui le plaisir d'être près de 500 à passer cette journée, est tout à fait inhabituel et traduit que le problème du périurbain n'est pas perçu comme un problème de rêveurs, de spécialistes d'urbanisme, mais qu'il est bien perçu aujourd'hui comme un problème politique. Voir des députés nous rejoindre, comme Mme Boutin, dans la journée, démontre qu'il y a bien aujourd'hui pour le politique, pour celui qui a la responsabilité de faire la loi, un certain nombre d'interrogations par rapport à ces phénomènes.

J'ai eu l'impression ce matin que dans des approches parfois différentes, complémentaires, certaines plus sociologiques, certaines plus économiques, s'exprimait un constat sur lequel il n'y avait pas beaucoup de différences. Oui, il y a une réalité périurbaine sur la carte que M. elorme nous a présentée. Quand nous aurons les résultats du recensement de mars 1999, le rouge, l'orange et le jaune, l'emporteront sans doute sur l'ensemble du territoire. Ce n'est peut-être pas un français sur neuf mais peut-être un sur huit, un sur sept qui y vivra. Et en même temps, puisque nous sommes 72 % d'urbains pour 28 % de ruraux aujourd'hui, nous ne pouvons pas dire qu'aucun citoyen, à un moment où l'on met moins de 45 minutes en moyenne pour rejoindre par voie rapide, soit une gare TGV, soit une autoroute, à l'exception de quelques territoires (c'est un des objets de l'aménagement et du développement du territoire), qu'aucun Français ne pourra affirmer que le problème du périurbain ne l'intéresse pas. A un moment où un autre de sa vie, dans ce que déterminait M. etellier ce matin comme un endroit de passage, il y passera, il y vivra, y compris pour avoir sa première acquisition de pavillon parce qu'il n'aura pas les moyens de devenir propriétaire dans le coeur de ville historique.

Cette réalité ne doit pas nous opposer entre ce que disait ce matin Ebullition ou M.Calamme et la réalité économique de l'agriculture. Car le plus économe, en termes de collectivité publique, ce sont des agriculteurs sur le territoire périurbain qui tiennent la majorité du territoire. Mais ces agriculteurs, dont certains auront une fonction sociale plus forte, qu'ils devront valoriser ou se voir reconnue, profiterons peut-être de l'occasion des contrats d'agglomération pour faire reconnaître pleinement cette fonction ; fonction dont nous avons bien senti dans l'intervention de la bergerie du Vexin et dans la construction qui en était faite à l'Ile-Saint-Denis, et M. Gérard d'Andréa était là, et sur l'exemple RATP que je connais bien parce que je l'accompagne un peu dans sa réflexion sur la violence dans la ville dans les transports en commun, combien ces rapports de proximité permettaient la compréhension à laquelle M. Hervé Morize nous a appelé.

Mais je crois qu'il y a une réalité économique, et le président Radet, comme le président Boisseau, nous ont rappelé qu'il fallait bien que les agriculteurs vivent de l'Agriculture, que l'on reconnaisse à la fois leur fonction de production, et éventuellement leur fonction sociale. Parce que, cher président Lapèze, c'est vrai que le crapaud jaune, que l'orchidée à Rambouillet et que la ZNIEF de l'étang de la Tour y compris sur des territoires privés ou communaux, c'est une réalité qui s'impose à nous; sans doute dans une société qui a aussi oublié la naissance et la mort, mais qui parfois a oublié dans sa pédagogie le respect de l'autre. Car le droit de propriété n'est pas qu'un droit d'appropriation personnelle, il est aussi le bornage qui inclut l'un par rapport à l'autre à se reconnaître des limites. Il n'est pas qu'un droit égoïste, il est aussi une manière de fonctionner dans notre société en reconnaissant que les uns par rapport aux autres, nous avons des droits et des devoirs. Nous devrons bien raisonner par rapport à l'espace périurbain en droits et devoirs mutuels et pas uniquement nous dire " j'ai droit à consommer la forêt de Rambouillet ". Mais la forêt de Rambouillet a aussi " droit " à rester une vraie forêt. C'est dire que le gestionnaire de la forêt, qu'il soit public ou privé, puisque c'est moitié-moitié doit apporter des réponses dans lesquelles la notion de propriété, y compris publique, se défend contre certaines formes de suroccupation qui, à terme, menacent ce territoire. Et nous savons bien qu'il ne pourrait pas y avoir le maintien d'une arboriculture en Vallée de Seine si nous n'avons pas les réponses économiques, fiscales, et si nous n'avons pas non plus des réponses d'organisation du territoire pour le rendre respectable par la pédagogie que nous en aurons. Et ce qui était l'exemple du BAFA, c'est quelque chose que nous conduisons aussi à Rambouillet : former nos animateurs avec la Bergerie à la perception par eux-mêmes des rythmes du milieu agricole pour les faire percevoir à ceux qui ne le perçoivent plus. Je n'ai pas eu le bonheur de vous entendre, mais je vous ai lu en ce qui concerne votre expérience dans le Nord, et il me semble que c'est la même chose.

Alors, cet après-midi, nous avons abordé un sujet, oh combien délicat, qui est, outre le sujet majeur de l'environnement, c'est : notre droit est-il adapté, et quelles sont les réponses pour la clé de la reconquête ?

Et naturellement, nous nous sommes bien aperçus ce matin que sans agriculture, la collectivité publique ne pourrait pas gérer le territoire périurbain avec les moyens financiers dont elle dispose. Sans les forestiers, elle ne pourrait pas le faire non plus, et l'extension en tache d'huile a une conséquence, je le dis à nos amis de l'AFTRP, c'est que plus on étend la ville, plus les coûts des transports collectifs en péréquation qui marquent les limites de la ville deviennent insupportables à la collectivité. Or, les transports urbains en péréquation sont un des facteurs limitant car, si demain le Parlement refusait à l'Ile-de-France les 6,6 milliards qu'il verse au titre de la solidarité nationale, il nous faudrait dès le lendemain doubler le prix du billet. Et vous verriez le surlendemain se bloquer une région qui vit grâce à la solidarité nationale et émerger le problème des transports urbains péréqués qui vont de Gazeran en ce qui concerne les Yvelines, de Mantes à Provins de l'autre côté.

Nous voyons bien que l'une des réponses, c'est la crédibilité des documents d'urbanisme. Pour les crédibiliser, nous limitons une partie de la liberté des collectivités territoriales à pouvoir les réviser à leur gré. Mais nous l'avons déjà fait. En 1994, dans le cadre de la loi dite Pasqua-Hoeffel, nous avons dans un article, inventé la " clé " de réouverture du schéma directeur de la région Ile-de-France dans un système où conjointement le Conseil régional et l'Etat devaient s'engager. Ce que nous proposons, c'est de ne pas les verrouiller, mais de les stabiliser. Il y a une différence entre verrou et stabilité : c'est celle qui permet d'être capable de donner de la durée ! Nous vivons en Ile-de-France, et je vais venir au reste de la France, dans un système de poupées russes : le schéma directeur s'impose. Une plus petite poupée : les schémas directeurs cantonaux ou inter-cantonaux et ensuite le plan d'occupation des sols, qui est la toute petite poupée. Dans le reste du territoire, malheureusement nous n'avons pas assez de directives territoriales d'aménagement.

Je crois que nous devons renforcer la stabilité des documents d'urbanisme, par la concertation. Je reprends ce que disait le président Boisseau et Mme Bain. Si nous discutons avant, il y a beaucoup moins de conflits que si nous discutons une fois que la décision est prise. Quid du foncier ? Je reconnais que dans mon rapport même si certains l'ont repris, y compris le président Lapèze, j'ai été un peu provocateur sur l'enrichissement sans cause, mais l'origine vient de mon père et je ne savais pas que le président Lapèze allait utiliser une formule analogue. Mon père était un élu rural de Basse-Normandie dans un territoire plutôt pauvre, le Bocage Domfrontais, qui avait l'avantage d'être proche de Bagnoles de l'Orne, station thermale. Au début, il a été l'un des promoteurs du plan d'occupation des sols dans un territoire d'élevage où l'on ne parlait pas encore de quota ; on en était à la restructuration d'exploitation entre 18 et 25 hectares. J'avais 18 ans. Mon père avait cette expression : "d'un coup de crayon, je fais un riche et un pauvre". Il avait expliqué qu'autour du village, il avait en quelque sorte fait un riche et un pauvre. Il avait l'avantage de ne pas être propriétaire foncier dans la commune dont il a été maire 25 ans, ce qui lui évitait les problèmes locaux. Je reconnais avoir été provocateur et ne pas avoir essayé uniquement d'aborder le problème francilien qui est une réalité, aussi incontournable. Cela fait que je crois que nous devons nous doter d'outils et que M. Thévenot, comme M. Malabirade, comme le président Radet, nous ont tracé quelques pistes et quelques propositions. Il y a débat au sein de votre profession et ce débat existe, mais vous dites : "La profession souhaite que la réflexion soit poursuivie sur ce plan en demandant qu'elle soit replacée dans le cadre plus général de la taxation au niveau des plus-values et des mutations et en souhaitant que les différents échelons de taxation soient analysés globalement".

Le représentant du CNJA dit : "Il ne me paraît pas impensable que les collectivités locales, quand il n'y a pas de repreneur soient des repreneurs avec des baux à long terme". 99 ans, il ne faut pas rêver mais on pourrait appliquer le droit commun, c'est à dire des repreneurs dans les mêmes conditions qu'un privé avec une charte d'engagement. La SAFER peut jouer un rôle. Il y a là un certain nombre de pistes.

Moi qui suis un libéral tempéré, je n'ai pas vocation, comme maire de Rambouillet, à être l'intervenant foncier pour assurer la pérennité de l'entreprise agricole. Je l'évoquais avec les responsables agricoles d'Ile-de-France tout à l'heure. Ils connaissent bien un sujet à Rambouillet que je vais vous citer. Je n'ai pas de crapaud à ventre jaune ; j'ai encore deux éleveurs polyculteurs dans ma commune. Ils y jouent un rôle essentiel et j'ai notamment un groupement en commun de deux jeunes femmes qui font de la vente directe, qui ont une exploitation de chèvres, une exploitation de vaches laitières, et une exploitation de vaches allaitantes sur des terrains précaires. Ils étaient tellement précaires que la disparition de 8 hectares représentait la disparition de 20 ou 25 % de l'exploitation et donc la pérennité de l'exploitation. Elles ont toutes deux moins de 35 ans. Nous nous sommes trouvés devant des acheteurs qui nous promettaient que c'était pour mettre des chevaux ! J'ai été vétérinaire de chevaux. Dans une vie antérieure, je n'ai même fait que cela. On arrive avec deux chevaux. En général on est encore cavalier ou on fait semblant de l'être. Moi, deux chevaux pour 8 hectares, je leur ai dit "Soit vous avez des problèmes de caecum et vous avez des coliques, soit vous mettez du sico-sel chaque jour pour empêcher que ça pousse, mais ne m'expliquez pas que vous allez faire une exploitation équine à Rambouillet, avec deux chevaux !" A Rambouillet, nous avons une convention avec la SAFER. La SAFER a mené son travail et au dernier moment nous avons poussé ces jeunes agriculteurs à trouver le financement, ils ont pu acheter. Mais, Mme Bain, l'Observatoire local et le juge de l'expropriation connaissent notre volonté locale, un peu farouche et déterminée, parce que nous avons ré-attaqué les décisions qui avaient été prises. Personne ne s'est porté acquéreur et elles ont pu acheter à 4 F, au mètre carré, à Rambouillet. Cela veut dire qu'à un moment, nous avons permis à des agriculteurs de réaliser leur projet avec l'aide de la SAFER. Sans la SAFER et sans la convention collectivité locale que nous avions avec la SAFER, nous n'aurions pas eu l'aide de la profession agricole, parce que je demande que ce soient les agriculteurs qui gèrent la SAFER d'abord au bénéfice des agriculteurs et ensuite au bénéfice de l'espace rural, dans un partenariat avec les élus de l'ensemble de l'espace. C'est dire que nous avons besoin des intervenants du foncier comme vous. Nous avons besoin d'établir des observatoires fonciers. Ces observatoires fonciers doivent éclairer la décision du Juge, mais ils ne peuvent pas être sur l'ensemble de l'Ile-de-France. Quand on nous parlait de Melun Sénart ou des enjeux de villes nouvelles, ou quand on pose une question sur Rambouillet, entre Rambouillet Nord et Rambouillet Sud la réponse va être différente. Un observatoire foncier sur un territoire qui irait (pour ceux qui connaissent la Nationale 10) des Essarts-le-Roi jusqu'à Chartres, constituerait un bassin d'observation qui serait intéressant.

Je prône enfin cette réflexion proposée par la FNSEA et le CDJA. Ce que je souhaiterais, puisque dans l'après-midi j'ai été élu rapporteur spécial de la Commission spéciale sur la loi Voynet, à l'unanimité de mes collègues, toutes sensibilités confondues, c'est que nous ayons un certain nombre de rendez-vous.

Le président Lapèze l'a dit, nous avons eu un rendez-vous sur les SAFER, nous avons tous bien travaillé, le mérite en revenant notamment à Michel Souplet.

Mais il y a d'autres questions. Nous ne les résoudrons pas toutes dans la loi Voynet. Je crois qu'il y a un chemin à poursuivre de la loi Voynet au texte d'intercommunalité. Et il y a aussi quelque chose à faire partager comme l'indiquait avec justesse Mme Prats: "sans la volonté politique, il ne se passe rien". Mais encore faut-il que la collectivité soit suffisamment puissante politiquement, et financièrement pour avoir cette volonté, et qu'elle se donne une perspective de temps. D'où l'importance des documents d'urbanisme et des documents annexés à ceux-ci. Le problème périurbain n'est pas que francilien. Nous ne l'avons pas suffisamment dit, mais le sénateur Percheron me le rappelait ce matin : regardez le Nord-Pas-de-Calais avec les territoires en déshérence, la Vallée de la Seine. Je vois Denis Merville avec des problèmes de périurbain en Seine-Maritime extrêmement forts. Il y a aussi Toulouse, la région Rhône-Alpes... Je crois que ce qu'il faut commencer à faire partager à nos collègues, c'est l'occasion d'un texte législatif qui est l'occasion d'un débat : la préoccupation du périurbain. Cela a été une surprise que je puisse faire passer en Commission l'idée, dont je reconnais qu'elle est marginale et qu'elle souffre certains défauts, de penser que lorsque l'on a une zone franche, nous ne pouvons pas exclure l'agriculture. Car si nous commençons à parler de zones franches urbaines sans penser à l'agriculture périurbaine, nous faisons une faute par rapport à la ville et par rapport au quartier. Mais ce doit être l'occasion au travers des zones, d'utiliser des ZAP, article 47.

L'article 47 est un outil un peu compliqué parce qu'il ressemble à la ZPPAUP pour parler d'agriculture et les maires qui font des ZPPAUP, il faut qu'ils aient un conseil compréhensif, de la volonté et de la patience. C'est un chemin très complexe. L'inspecteur des sites de la région Ile-de-France que je vois ici et que je salue, sait bien, combien, pour intégrer une zone agricole dans une ZPPAUP, il faut de volonté et d'accords de la part des agriculteurs.

Pour conclure, nous ne ferons pas le périurbain les uns contre les autres, en pensant que les " cinq " de la Bergerie du Vexin sont moins forts que " les 7000 " de l'Ile-Saint-Denis, ou que " les deux de Rambouillet " sont moins forts que ses 27.722 habitants. C'est ensemble avec les services de l'Etat, ensemble avec les intervenants fonciers, et ensemble avec les partenaires de la ville comme de l'espace rural. Parce que même s'il y a débats d'idées, même s'il y a confrontation, je reviens sur ce que disait Hervé Morize, "sans dialoguer à un moment, nous ne nous en sortirons pas". Il ne faut pas rêver non plus. Il y a des réalités économiques. Le forestier, par exemple, doit faire vivre sa forêt et il doit faire comprendre à des gens qui le comprennent de moins en moins, que de temps en temps les arbres se récoltent, même pas pour faire de l'argent, mais parce que c'est nécessaire. Notre société ne veut plus de temps, elle zappe dès qu'on lui demande du temps !

L'aménagement de l'espace périurbain nécessite aussi du temps, de la volonté, des choix clairs.

Je voulais vous remercier d'y avoir tous participé aujourd'hui. Je voudrais dire à nos collègues Sénateurs et bien sûr au président François-Poncet que j'ai eu l'occasion de remercier, à M. Daniel Percheron, à M. Guy Fischer, à M. Jean-François Le Grand et à M. Michel Souplet, que c'était tout à fait exemplaire.

Il y avait un réel oecuménisme. Cela correspond à ma nature pour des raisons diverses que je ne vous expliquerai pas ici mais qui font que je suis minoritaire, même quand on est dans la majorité sénatoriale. Nous avons envie d'être oecuménique parce que la qualité de nos villes, la réconciliation s'il y a eu fâcherie entre l'espace l'urbain et l'espace rural, c'est, me semble-t-il quelque chose d'essentiel si nous voulons demain avoir une certaine qualité de notre territoire et ne pas être les derniers en Europe en matière d'entrées de villes. Les Italiens ont fait des efforts : souvenez-vous de leurs autoroutes il y a vingt ans, regardez-les aujourd'hui. Ils ont été capables de générer dans un certain désordre italien, une volonté d'amélioration qui est même en train de gagner le Sud.

Merci d'avoir participé à ce colloque. Les questions ou les documents que vous nous adresserez seront analysés par l'ensemble de la Commission spéciale quand elle aura à traiter des problèmes périurbains.

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