5. Mme Michèle PRATS, inspecteur général de l'Equipement

Il m'a été demandé de parler de la maîtrise foncière et à double titre : au titre des entrées de villes puisque j'anime le Comité national des entrées de villes auprès du sénateur Dupont, mais également au titre de la TDENS puisque j'ai commis un rapport sur ce sujet.

La maîtrise foncière passe par la réglementation, la fiscalité mais je pense qu'un certain nombre d'amodiations peuvent être apportées grâce à la fiscalité et puis par l'appropriation par la puissance publique. C'est un outil d'aménagement mais également de requalification de l'existant qui est aujourd'hui le problème numéro un : «refaire la ville sur la ville».

Cet outil doit être essentiellement utilisé en vue de mettre en oeuvre de véritables projets d'agglomérations, de villes, de quartiers de ville. Ces projets doivent être adaptés à la réalité du terrain et nous n'insisterons jamais assez sur l'importance du diagnostic, de l'étude de contenu, quantitative mais surtout qualitative, du fonctionnement urbain, du phasage dans le temps ainsi que de l'importance des démarches partenariales avec tous les acteurs concernés.

L'appropriation foncière n'est pas un impératif ni un moyen unique, mais cela facilite grandement les choses et lorsque la puissance publique, la collectivité territoriale peut se porter acquéreur, notamment des axes structurants, des espaces verts cela facilite ensuite la conduite des opérations dans le temps dans la mesure où les projets urbains demandent énormément de temps qui dépasse très largement le mandat électoral. Je vais m'appuyer sur un certain nombre d'exemples que j'ai connus sur le terrain.

L'expérience de l'Hérault qui est l'un des premiers départements a avoir mis en place la TDENS et qui a déclaré en zone d'espace naturel sensible toutes les zones NC et ND du département et ceci avec le double objectif, de préserver les espaces verts périphériques et les espaces de nature, par des acquisitions, et éviter les changements d'affectation des espaces agricoles.

Aujourd'hui, depuis la jurisprudence " Département des Yvelines " et " Département du Doubs ", ce ne serait peut-être plus possible dans la mesure où l'on peut considérer que tous les espaces en zone agricole sont certes des espaces naturels (jurisprudence Yvelines) mais pas nécessairement des espaces sensibles, d'autant plus qu'ils ne sont pas ouverts au public. Par contre, dans l'Hérault à l'époque, cette jurisprudence n'existait pas. Le département de l'Hérault a ainsi décidé d'inclure en périmètre de préemption au titre de la TDENS tous ses espaces naturels. Il a constitué une agence foncière financée en grande partie par le Conseil Général, et pour partie par la TDENS, et cette agence foncière fonctionne grâce à l'information régulière, systématique que lui envoient les notaires. Dès qu'elle voit qu'il y a un changement d'affectation prévu, notamment lorsqu'une SCI se porte acquéreuse d'un terrain agricole, l'Agence préempte, via la SAFER.

Je vais passer aux entrées de villes pour vous montrer à quel point la maîtrise foncière facilite les opérations. Je prendrai le cas d'Orgeval. C'était un projet de restructuration d'une zone commerciale, ancienne ZAC de type classique appuyée sur un PAZ très peu contraignant avec des implantations sans aucun souci qualitatif. Cette volonté de restructurer l'existant a émané, non pas de la puissance publique mais des acteurs économiques qui s'étaient créés en association commerciale et qui considéraient que cet espace complètement déqualifié n'était pas valorisant auprès de la clientèle dans la mesure où il s'agissait en grande partie de commerces orientés autour de l'habitat. Ils ont donc décidé de se constituer en association en vue de restructurer la zone existante et d'en améliorer l'aspect et le fonctionnement. Ils ont fait appel à une société d'ingéniérie : Espace Expansion et lui ont demandé de faire un projet. Il était intéressant. Malheureusement, quelques commerçants ont refusé d'adhérer à la démarche ; aussi, l'Association, bien que disposant d'une majorité de membres prêts à jouer le jeu et à restructurer totalement leur espace n'a pu mener à bien son budget, qui, faute d'une volonté politique forte et d'un appui de la puissance publique, a été obligée d'abandonner le processus du fait du désintérêt de quelques uns.

Cela nous amène à un double constat :

1. à défaut de maîtriser le foncier, l'initiative privée ne peut mener à bien une opération d'urbanisme qu'à condition de s'appuyer sur un consensus total,

2. la puissance publique, en l'occurrence la municipalité a, elle, la possibilité réglementaire d'intervenir.

Dans le cas présent, le maire a préféré ne pas s'en mêler. Il y avait une ZAC, on aurait pu reprendre le PAZ. Avec une volonté politique affirmée, il aurait été possible d'aider les acteurs économiques, y compris sur le plan conceptuel, à réaliser un projet réhabilitant l'environnement de ce site très dégradé. Aujourd'hui, la situation s'améliore puisque le département a pris les choses en main avec le CAUE, en liaison avec la municipalité ; le processus redémarre avec l'espoir d'une solution à terme, mais que de temps perdu !

Parmi les exemples où j'ai vu la puissance publique intervenir, je vais vous citer Dijon, que vous connaissez sans doute : il s'agit de l'aménagement de grands quartiers au nord de Dijon, sur 260 hectares. Cela représente plus que le centre de la vieille ville de Dijon. Sur la route de Langres, de part et d'autre de cette voie, on a commencé par requalifier la route, l'élargir, faire des plantations préliminaires, faire systématiquement une ZAC par quartier, construire les éléments structurants et remettre ensuite à la disposition soit d'une SEM, soit de particuliers, les terrains qui avaient été viabilisés avec un plan d'urbanisme très précis, fixant tous les éléments d'espaces verts et les indications architecturales. C'est un projet de quartier de ville, à long terme, lancé il y a 25 ans et qui commence à porter ses fruits aujourd'hui et à être réalisé sur le terrain, ce qui prouve à quel point il faut : 1/ une volonté farouche d'aboutir,

2/ une réflexion permanente en partenariat avec les différents acteurs économiques, les populations qui vont s'installer, et surtout le suivi, dans le temps, d'un objectif à long terme.

Draguignan a également fait une politique foncière très intéressante en utilisant les transferts de COS. Là, la ville a décidé de se doter d'espaces verts et de les ouvrir au public et pour ce faire, elle a négocié systématiquement dans les lotissements, avec les lotisseurs, pour se faire transférer en propriété foncière les espaces verts qu'ensuite elle aménage et entretient via la TDENS.

Bègles est aussi un exemple intéressant où la municipalité a créé une ZAC sur d'anciennes friches, en vue de réaliser une zone commerciale et tertiaire : elle a libéré les terrains, les amis à disposition d'aménageurs privés, et a imposé un plan d'aménagement paysagé très strict. La réalisation est très élaborée sur le plan architectural, s'organisant autour des substructures d'un ancien château, aménagées en jardins et d'une terrasse donnant sur le fleuve. Parallèlement, la ville a réhabilité, avec l'aide financière du centre commercial, sur 18 km, le chemin de halage le long du fleuve et la ripisylve, et mis à disposition du public d'importants espaces naturels, dont l'entretien est financé contractuellement par le centre commercial. Ce centre commercial est en passe de devenir le plus visité de la région, non seulement, pour des raisons commerciales mais parce que les gens sont attirés par la qualité du site. Un seul point noir : l'absence d'intercommunalité ; la ville mitoyenne, Villeneuve d'Ornon, développe à proximité une zone commerciale " classique ", en alignant les boîtes, sans préoccupation d'intégration dans l'environnement, alors qu'elle se situe en continuité, sur un site identique au bord de la Garonne...

M. Michel SOUPLET : Merci beaucoup Madame. A la demande du président Larcher, il n'y aura pas de débat à l'issue de ces exposés. Si quelques uns d'entre vous aviez des questions à poser, vous pourriez les adresser par écrit et nous nous ferons un plaisir de vous donner la réponse immédiatement.

En conclusion, cela prouve, d'une part que le développement économique n'est pas antinomique avec la qualité des espaces naturels, et d'autre part, que les outils existent lorsque se fait jour une volonté politique forte, appuyée sur des équipes de conception pluridisciplinaires, on peut créer des quartiers de qualité : mais cela nécessite une vision à long terme, de la ténacité et du temps.

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