3. Les simulations

Les simulations complètes des quatre propositions de réforme traitées ci-dessus sont présentées dans l'annexe mathématique jointe en fin de rapport qui présente les écritures mathématiques et étapes intermédiaires du raisonnement (annexe 7). La présentation qui suit propose un exposé pédagogique le plus simplifié possible des résultats de chacune d'elles.

3.1. La réduction des cotisations patronales : Les résultats d'un bouclage à partir du modèle de Malinvaud (modèle 1)

Nous reprenons le modèle de Malinvaud, en le complétant sur certains points, qui seront précisés au fur et à mesure de notre présentation. Au terme de cette modélisation, on aboutit à l'idée que l'effet d'une baisse du coût salarial sur l'emploi n'est pas nécessairement positif à long terme : le sens de l'effet analysable théoriquement dépend des hypothèses que l'on fait sur le financement des dépenses publiques.

Le modèle de Malinvaud comporte deux équations : l'une que l'on peut interpréter comme une équation d'offre de travail, l'autre que l'on peut analyser comme une équation de demande de travail. On suppose que l'économie est dans une situation keynésienne, où le niveau de production dépend de la demande. Les ménages offrent leur travail, en quantité croissante avec le salaire réel. Plus le salaire est élevé, plus l'offre de travail est importante dans l'économie. Les entreprises demandent une certaine quantité de travail, connaissant la demande anticipée : à production donnée, cette demande de travail est liée par une relation inverse au salaire réel. Lorsque celui-ci augmente, la demande de travail des entreprises diminue, et inversement. A long terme, c'est donc l'équilibre entre offre et demande de travail qui détermine le salaire réel. Ces comportements peuvent être représentés graphiquement de manière simple par deux courbes d'offre et de demande de travail, respectivement croissantes et décroissantes avec le salaire, dont l'intersection détermine le salaire et l'emploi d'équilibre. Soulignons ici que Malinvaud ne considère qu'une seule catégorie de travail ; il ne distingue pas le travail qualifié du travail non-qualifié. Ce n'est donc pas l'effet d'une baisse du coût du travail non-qualifié qu'il décrit dans le modèle mais celle d'une baisse du coût global du travail.

Dans ce cadre. Malinvaud obtient un effet positif sur l'emploi de la baisse du coût salarial Celle-ci peut s'interpréter comme une baisse des "charges des entreprises", i.e. des cotisations sociales. Cet effet s'explique de la manière suivante : la baisse du coût salarial entraîne un accroissement de la demande de travail des entreprises, qui accroît l'emploi. Pour un niveau de salaire donné, la demande de travail après baisse des cotisations est supérieure à la demande correspondant à la situation antérieure. Graphiquement, la courbe de demande de travail se déplace vers la droite. A l'équilibre de long terme, le salaire réel doit augmenter pour équilibrer l'offre et la demande sur le marché du travail, ce qui se traduit par une hausse de l'offre de travail.

Il est important de comprendre que cet effet favorable repose sur un raisonnement à production donnée, qui constitue une hypothèse restrictive. Lorsque l'on prend en compte les effets sur la production de la baisse des cotisations sociales, ce que ne fait que partiellement le rapport Malinvaud (il ne tient pas compte des variations à long terme de la demande), le résultat est différent.

Pour analyser ce type d'effets, et leur incidence sur les résultats de l'analyse théorique de l 'impact sur l'emploi de la baisse des charges, nous avons procédé à un bouclage simple, en , économie fermée. Le bouclage repose sur la relation d'égalité comptable entre offre et demande dans l'économie au niveau agrégé, soit l'égalité entre production d'une part consommation, investissement et dépenses publiques (comprenant les dépenses de protection sociale) d'autre part. La fonction de production utilisée est une fonction à deux facteurs substituables, capital et travail. L'hypothèse faite est que la consommation est composée de deux parties, l'une fonction du salaire, et la seconde fonction des autres revenus distribués dans l'économie. Ces revenus divers sont supposés égaux à une fraction de la production.

Dans ce cadre, nous avons repris le modèle de Malinvaud en levant la condition de production constante (c'est-à-dire en procédant au bouclage du modèle initial). Nous avons considéré deux hypothèses sur le niveau des dépenses publiques dans l'économie.

Suivant l'hypothèse 1, la dépense publique est égale à une fraction donnée du PIB : ceci revient à dire que le gouvernement fixe un objectif de dépenses en % du PIB, et que la dépense est financée par un taux de taxation fixe.

L'hypothèse 2 suppose que la dépense publique est financée par les cotisations sociales : si le montant de ces cotisations perçues décroît, la dépense publique diminue et vice-versa. Cette hypothèse paraît réaliste si l'on considère que l'un des objectifs du gouvernement est d'équilibrer les comptes sociaux. Dans le cadre de cette hypothèse, une variante privilégiée dans la simulation des trois propositions alternatives à celle du rapport Malinvaud est de considérer le maintien du niveau des dépenses publiques 77 ( * ) .

Les conclusions du modèle complété dépendent de l'hypothèse retenue pour la dépense publique. Rappelons que le raisonnement qui suit porte sur les conditions d'équilibre de long terme, en incluant les effets sur la production : c'est sur ce point que notre modélisation se distingue de celle du rapport Malinvaud.

Dans le premier cas (hypothèse 1), la baisse des cotisations patronales a un effet négatif sur l'emploi.

Ceci est une conséquence de la baisse de la productivité du travail. La baisse du coût relatif du travail non-qualifié provoque en effet une substitution travail capital et l'embauche de travailleurs à productivité marginale inférieure (dans l'hypothèse faite d'une fonction de production à facteurs substituables où la substitution d'un facteur à un autre se matérialise par une productivité marginale plus faible du facteur remplaçant).

Or, sur le long terme, la productivité du travail est une fonction du coût salarial "charges" incluses. En théorie, cela signifie que l'évolution des salaires suit l'évolution de la productivité. Mais cette relation est vraie également en sens inverse : l'évolution des salaires engendre l'évolution de la productivité. Ce phénomène est décrit par les théories du salaire d'efficience : des salaires élevés exercent un effet incitatif sur l'effort des travailleurs. Il peut également résulter des effets de structure (la baisse du salaire peut être liée à l'embauche de travailleurs à faible productivité).

Par conséquent, dans ce scénario, si l'on diminue les coût du travail en baissant les cotisations patronales sur les bas salaires, la productivité du travail baisse pour toutes les raisons qui viennent d'être indiquées, donc la production baisse.

Si la part des dépenses publiques est inchangée, la consommation des travailleurs doit diminuer (pour maintenir l'équilibre global de l'économie dans le modèle). L'explication est ici qu'il faut prélever sur les ménages l'équivalent du défaut de cotisation résultant de la réduction des cotisations sociales 78 ( * ) , ce qui exerce un effet dépressif sur la consommation Ceci se traduit, dans le cadre du modèle présenté précédemment, une baisse du salaire réel et de l'emploi d'équilibre.

Autrement dit, si l'objectif est le maintien des dépenses publiques, une "baisse des charges sociales" est inefficace pour stimuler l'emploi parce qu'elle nécessite une ponction sur le reste de l'économie pour financer la réduction des cotisations patronales .

Dans le second cas (hypothèse 2), la demande dépend également des cotisations sociales via la dépense publique. Mais, dans l'hypothèse où les dépenses dépendent strictement des prélèvements effectués, une baisse des cotisations engendre une baisse des dépenses, donc de la demande (puisque l'on n'entend pas maintenir ici la part des dépenses dans le PIB). La baisse du coût salarial entraîne le même effet que précédemment, baisse de la productivité, et donc de la production. Mais du fait de l'hypothèse sur la réduction des dépenses publiques, une baisse des cotisations sociales fait baisser la demande par travailleur plus que la productivité du travail, donc plus que la baisse de l'offre. Il en résulte une insuffisance de demande. Dans ce cas, pour équilibrer l'offre et la demande, il faut augmenter les salaires réels, donc l'emploi. La baisse des charges salariales, sous cette hypothèse, a donc un effet positif sur l'emploi.

Autrement dit, ce scénario est celui par lequel les autorités privilégient la réduction des "charges sociales" et des dépenses publiques. Pour être efficace en termes d'emplois, il suppose que les entreprises augmentent les salaires pour soutenir la consommation (face à une demande défaillante du fait de la réduction des dépenses).

On peut noter que les conclusions obtenues dans ce cadre s'appliquent, de manière similaire, au cas de la récente réforme de la taxe professionnelle : la part salariale de la taxe professionnelle est une cotisation proportionnelle à la masse salariale. Sa suppression a donc, analytiquement, les mêmes effets macroéconomiques qu'une baisse des cotisations sociales : l'impact a long terme de la réforme de la taxe professionnelle est ambigu, et dépend de l'hypothèse retenue sur le financement de la dépense publique.

Dans la suite de notre présentation de l'impact des hypothèses de réforme du financement de la protection sociale, nous retrouverons les mêmes enchaînements macroéconomiques de long terme que ceux qui viennent d'être décrits dans cette section : nous nous référerons donc, dans la suite du texte, à la présentation faite ci-dessus, sans détailler les raisonnements sous-jacents.

3.2. Mise en oeuvre d'une assiette assise sur la valeur ajoutée (modèle 2)

La création dune contribution sur la valeur ajoutée globale (CVA) constitue une des principales voies de réforme du financement de la protection sociale (Chadelat, 1997, Sterdyniak. Villa, 1998).

Une propriété essentielle de la contribution valeur ajoutée est sa neutralité vis-à-vis de la combinaison des facteurs de production : elle ne modifie pas le coût relatif capital/travail, puisque le coût de chacun des deux facteurs est alors augmenté d'un même montant. L'effet coût relatif, dans ce cadre, survient seulement au moment du transfert des cotisations assises sur les salaires vers une contribution valeur ajoutée globale.

L'introduction de cette nouvelle contribution modifie donc peu le modèle présenté à la section 1.

Dans le cas du premier bouclage (hypothèse 1, la dépense publique est égale à une fraction donnée du PIB), l'équilibre comptable macroéconomique de long terme est identique à celui du modèle précédent. En effet, la demande de travail et de capital des entreprises, et donc la production, ne sont pas modifiés par l'introduction de la contribution sur la valeur ajoutée, en l'absence d'effet sur le coût relatif des facteurs. En conséquence, une réforme qui consisterait à abaisser le taux de cotisation sur les salaires en transférant cette taxation sur la valeur ajoutée globale aura les mêmes effets négatifs que dans le modèle de Malinvaud bouclé, c'est-à-dire une baisse du salaire réel et de l'emploi d'équilibre.

Dans le cas du second bouclage (c'est-à-dire dans l'hypothèse 2 où les comptes publics et sociaux sont équilibrés), l'équilibre est modifié et dépend désormais de deux taux de taxation, contribution sur la valeur ajoutée et cotisation sur les salaires.

Nous avons testé, dans ce cadre d'analyse, l'impact d'une hausse du taux de taxation de la valeur ajoutée compensant une baisse du taux de cotisation sur les salaires, sous l'hypothèse d'un niveau de dépense publique inchangé. Cette variante est donc différente de l'hypothèse 2 du cas précédent (la baisse du coût du travail recommandée par Malinvaud) ou l'efficacité de la mesure était conditionnée par une réduction des dépenses. Elle se distingue également de l'hypothèse 1 puisque c'est ici le niveau et non la part des dépenses qui est maintenue. Le sens des effets macroéconomiques de long terme dépend des paramètres du modèle : les hypothèses retenues sont présentées en annexe. Pour des valeurs réalistes des paramètres du modèle, cette réforme du financement de la protection sociale engendre des effets positifs sur l'emploi. A l'équilibre, il est ici nécessaire d'augmenter les salaires pour augmenter la demande et l'emploi dans l'économie. Le scénario d'une modulation de la contribution sur la valeur ajoutée en fonction d'un critère tel que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises pourrait ici également être exploré. Le résultat de la simulation ne serait pas différent car le mécanisme du transfert des cotisations sociales vers une CVA est le même avec ou sans modulation.

3. 3. La taxation sur l'EBE (modèle 3)

L'excédent brut d'exploitation est défini comme le solde valeur ajoutée moins masse salariale. Le rapport Chadelat envisage ce solde comme une nouvelle assiette possible pour le financement des prestations sociales, ce qui revient à proposer une solution de financement assise sur le profit ou le capital des entreprises (les deux autres variantes d'assiette envisagées étant le bénéfice fiscal -assiette de l'IS-, et un solde intermédiaire entre EBE et bénéfice fiscal -bénéfice comptable ou cash-flow). La mesure la plus souvent préconisée est la taxation de l'EBE, qui a pour avantage de ne pas exiger une évaluation du stock de capital.

L'effet d'une taxation portant sur l'EBE est une augmentation relative du coût du capital, la masse salariale étant exonérée de cette contribution (ce qui n'était pas le cas dans l'hypothèse d'élargissement de l'assiette à la valeur ajoutée, qui équivaut à une taxation au même taux de l'EBE et de la masse salariale), soit une hausse du coût relatif capital/travail.

Nous avons analysé les effets de ce type de taxe dans le cadre d'un modèle identique aux précédents. On étudie l'impact macroéconomique d'un transfert des cotisations sociales portant sur le salaire vers une contribution assise sur l'EBE.

Nous avons limité l'analyse au cas où le niveau des dépenses publiques est égale au produit de la contribution EBE plus le montant des cotisations sociales (hypothèse 2). L'hypothèse retenue est celle de la mise en place d'une contribution portant sur l'EBE (le taux initial de cette contribution est donc nul), compensant une baisse du taux des cotisations sociales : la dépense publique est, dans la variante testée, supposée inchangée comme dans le cas précédent. Sur la base de valeurs courantes des paramètres du modèle, l'impact simule est positif. La réforme ainsi définie entraîne, dans le long terme, une hausse du salaire et de l'emploi dans l'économie. L'impact est plus fort que dans le scénario précédent (transfert vers une assiette valeur ajoutée), car le coût relatif du travail diminue plus. En effet, la baisse du taux de cotisations sociales réduit le coût du travail, tandis que la création de la contribution EBE accroît le coût du capital, d'où un effet global de baisse du coût relatif du travail renforcé. Sur la base de valeurs courantes des paramètres, on peut raisonnablement estimer que cet effet positif est dominant.

Dans le cadre du modèle, et sur la base de valeurs réalistes des paramètres, la création d'une contribution EBE et le transfert d'une partie des cotisations sociales sur cette nouvelle contribution, entraîne un effet positif sur l'emploi, supérieur à celui d'un transfert sur une contribution valeur ajoutée.

On notera, dans le cadre de la comparaison entre les deux hypothèses de transfert des cotisations sociales vers une nouvelle assiette, que sous l'hypothèse de dépense publique inchangée le taux de taxation sur l'EBE est nécessairement plus élevé que celui de la Contribution sur la Valeur Ajoutée, puisque l'assiette est plus réduite.

3.4. La modulation des cotisations patronales en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée (modèle 4)

Le rapport Chadelat envisage une nouvelle perspective de réforme, fondée sur la modulation des cotisations par différents paramètres, en particulier un paramètre valeur ajoutée. Il distingue entre deux options : une modulation de type "vertical", fonction d'un critère de valeur ajoutée externe à l'entreprise, et une modulation "horizontale", fonction de l'évolution par entreprise. La modulation verticale pourrait être réalisée soit sur une base nationale, soit sur une base sectorielle, à partir d'un ratio masse salariale sur valeur ajoutée. Une mise en oeuvre intra-sectorielle apparaît délicate ; sur une base nationale, le principe est relativement simple : à partir d'un ratio englobant tous les secteurs d'activité, on peut déterminer un seuil en deçà duquel une entreprise devrait payer un surplus de cotisations, et un seuil au-delà duquel elle bénéficierait d'une baisse de ses cotisations. On peut envisager une plage neutre, et un plafonnement maximum de la progressivité ou dégressivité des cotisations, de façon à limiter la variation de charge induite par la réforme. Nous avons analysé les effets de ce type de modulation du taux de cotisations employeurs, sur la base du ratio masse salariale sur valeur ajoutée.

La modélisation proposée pour ce scénario de réforme repose sur une représentation simplifiée de l'économie, comprenant deux entreprises représentatives. Afin de simplifier l'analyse, on considère que ces entreprises interviennent sur un même marché, avec une part de marché exogène (c'est-à-dire déterminée hors modèle, et constante) pour chacune d'elle. On suppose que dans l'entreprise 1, le ratio masse salariale sur valeur ajoutée est plus élevé que dans l'entreprise 2. La dépense publique est spécifiée comme dans l'hypothèse 2 des modèles précédents, c'est-à-dire qu'elle est égale au montant des cotisations perçues (cotisations sociales différenciées par entreprise).

On part d'une situation où les taux de cotisations des deux entreprises sont identiques. Le problème posé est de moduler les taux de cotisations proportionnellement au ratio masse salariale sur valeur ajoutée, de manière à obtenir un impact positif sur l'emploi. La résolution du modèle montre que si l'emploi de l'entreprise 1 est supérieur à l'emploi du secteur 2, ce qui apparaît comme une hypothèse raisonnable (on rappelle que l'entreprise est définie comme celle où le ratio masse salariale sur valeur ajoutée est le plus élevé), une modulation consistant en une hausse du taux de cotisation de l'entreprise 1 et une baisse du taux de cotisation de l'entreprise 2 aura des effets favorables sur l'emploi et la production. Cet effet favorable s'explique, dans le cadre du modèle, par la baisse du taux de cotisation moyen résultant de la réforme envisagée : si l'emploi de l'entreprise 1 est plus important que celui de l'entreprise 2, le taux de cotisation de l'entreprise 1 baissera beaucoup plus que la diminution parallèle du taux de cotisation de l'entreprise 2. Le taux de cotisation moyen diminue donc, et l'on retrouve les effets à long terme que nous avons analysés dans le cadre de l'hypothèse 2 du modèle 1. La demande par travailleur baisse du fait de la diminution de la dépense publique consécutive à la réforme. Cette diminution peut être estimée comme plus importante que la baisse de la productivité du travail résultant de la baisse des «charges», du côté de l'offre. Il en résulte une insuffisance de demande. Pour que l'équilibre macroéconomique soit maintenu, il est nécessaire d'augmenter les salaires réels pour augmenter la demande et l'emploi dans l'économie.

La modulation des charges salariales en fonction d'un ratio masse salariale sur valeur ajoutée a donc des effets positifs sur l'emploi si elle est accompagnée d'une hausse des salaires, sous réserve d'une hypothèse raisonnable (les entreprises ayant le ratio masse salariale sur valeur ajoutée le plus élevé sont également celles où l'emploi est le plus important).

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L'objectif de ce chapitre était de sérier les arguments socio-économiques qui sous-tendent l'ensemble des propositions existantes de réformes du financement de la protection sociale. La difficulté d'une telle réforme est qu'elle doit concilier deux préoccupations :

- Définir la participation de chaque catégorie de revenu au financement des dépenses sociales dont certaines ont pris un caractère universel.

- Rechercher le mode de financement le moins pénalisant pour l'emploi.

Le débat est alors autant social qu'économique. Il porte tout autant sur les catégories de revenus qui doivent contribuer au financement de la protection sociale que sur la mise en balance des avantages et des inconvénients économiques de chaque proposition. Les allégements de cotisation sur les bas salaires proposées par le rapport Malinvaud seraient financées par des hausses de cotisations sur les moyens et hauts salaires sans chercher à infléchir, tant au plan macro-économique que dans chaque entreprise, l'évolution de la répartition salaire-profit engagée depuis une décennies et demi. Au contraire, les prélèvements assis sur une assiette valeur ajoutée ou modulés en fonction de la part des salaires (autrement dit de la part des profits) dans la valeur ajoutée, intégreraient l'évolution du profit et de certaines sources de revenu du capital. L'absence prolongée de participation de ces revenus au financement de la protection du salarié n'est pas nécessairement source de cohésion sociale dans la situation macro-économique actuelle caractérisée par un chômage persistant et le déplacement continu du partage des revenus en faveur des profits et des revenus du patrimoine.

Dans le débat social, parmi les organisations professionnelles, seule la CGT-FO propose de conserver l'assiette de financement assise sur les seuls salaires. Le Medef et la CGPME se prononcent pour une réduction du coût du travail passant par la réduction des cotisations patronales. L'intégration de la valeur ajoutée dans l'assiette de financement de la sécurité sociale est défendue par la CFDT et le FNMF. Une assiette de type EBE est privilégiée par le SNUI et la Confédération paysanne. Le rapport Chadelat semble séduit par la modulation verticale nationale de cotisations qui resteraient assises sur les salaires. La modulation intersectorielle et la modulation intertemporelle sur une telle assiette sont défendues par la CGT, qui propose de leur adjoindre une extension de l'assiette des cotisations patronales aux revenus financiers des entreprises.

Dans un contexte macro-économique et structurel caractérisé par une offre redevenue rentable, mais une épargne excédentaire et une demande insuffisante, la faisabilité économique de chaque type de réforme a ensuite été discutée. Les simulations proposées se sont ensuite concentrées sur les effets économiques, en termes d'emplois, de chaque type de réforme.

La recommandation du rapport Malinvaud (une réduction d'ordre générale des cotisations patronales sur les bas salaires jusqu'à deux fois le SMIC) semblait faire l'unanimité, malgré le risque qu'elle comporte de déqualifier la structure de l'emploi en stimulant l'emploi non-qualifié. Pour en évaluer l'efficacité en termes d'emploi, nous avons procédé à la simulation la plus réaliste possible en reprenant les hypothèses essentielles du modèle Malinvaud et en les complétant. Nous avons ainsi cherché à tenir compte des effets de court terme et de long terme tant sur l'offre que sur la demande. La portée de la baisse des cotisations patronales dépend alors du type de scénario inhérent au niveau des dépenses sociales fixées par le gouvernement. Si la part des dépenses publiques est maintenue constante, ce qui constitue un cas de figure à prendre en considération, compte tenu de l'évolution démographique, de la persistance du chômage et de la demande sociale, la mesure provoque un effet négatif sur l'emploi. La baisse des cotisations patronales doit en effet être compensée par un prélèvement sur d'autres catégories d'agents pour maintenir la part des dépenses dans le PIB, ce qui exerce un effet dépressif sur la consommation et la croissance si l'on tient compte des effets de demande. Les exonérations de cotisations sur les bas salaires ne sont favorables à l'emploi que dans le deuxième scénario où la baisse des cotisations patronales s'accompagne d'une réduction de la part des dépenses publiques dans le PIB, mais à la condition que la consommation des ménages puisse augmenter, ce qui suppose une augmentation des salaires.

Les effets économiques des autres propositions de réformes ont également été testés.

Les assiettes Valeur Ajoutée ou dérivées permettent de comparer la situation comptable de chaque entreprise. Ces indicateurs sont, en toute rigueur, le seul qui justifie, d'un point de vue comptable, l'octroi ou non d'un flux financier en provenance des collectivités publiques en direction des entreprises pour favoriser l'emploi. Une telle taxation en fonction des situations comptables des entreprises évite les effets pervers des "flux aveugles" caractérisant les allègements indifférenciés de cotisations patronales. Une modulation des contributions patronales en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée est envisageable dans ce scénario pour tenir compte de la situation comptable de chaque entreprise.

L'assiette EBE est plus favorable à l'emploi que l'assiette VA parce qu'elle réduit plus le coût relatif du travail par rapport au coût du capital. Mais elle nécessite un taux d'imposition plus élevé. Ces assiettes peuvent prouver leur efficacité en termes d'emplois dans l'hypothèse d'un niveau de dépenses publiques inchangé.

Il convient évidemment de prendre en compte certains inconvénients de cette assiette VA, tout comme ceux de ses dérivés, et notamment de l'assiette EBE. Ces inconvénients portent essentiellement sur les risques d'évasion fiscale et d'alourdissement du coût du capital. En ce qui concerne l'assiette EBE, elle comporte des risques d'évasion fiscale plus élevés dans la mesure où elle est plus réduite et que le taux de taxation est plus élevé. De plus, le transfert d'une partie de cotisations employeurs sur une taxe assise sur l'EBE entraînerait un transfert des entreprises fortement capitalistiques vers les entreprises utilisant beaucoup de travail. Ceci comporte le risque d'un effet négatif sur les capacités d'innovation des entreprises, et à terme sur la croissance. On peut toutefois estimer, a contrario, qu'une modernisation visant à substituer du capital au travail n'est pas souhaitable en période de chômage élevé (Sterdyniak, Villa, 1998, p175).

Conserver l'assiette salaire et moduler les cotisations en fonction d'un ratio de référence indiquant la politique de l'emploi de l'entreprise (tel que la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée) permettrait de contourner les éventuels effets pervers de l'assiette valeur ajoutée sur l'investissement tout en mettant à contribution les entreprises qui ont utilisé le profit contre l'emploi, de fait, le mécanisme à l'oeuvre est ici le même que celui d'une réduction globale des cotisations sociales envisagée par Malinvaud, à l'exception près que le financement des entreprises est modulé selon l'indicateur comptable de référence. Toutefois, une telle réforme comporte aussi les inconvénients relevés par Sterdyniak et Villa (1998, p 179). Premièrement, la modulation complique le système de financement. Deuxièmement, si la relation entre le taux de cotisation et le ratio valeur ajoutée sur masse salariale n'est pas linéaire, cette réforme crée une incitation à un dédoublement des entreprises, l'une possédant le capital qu'elle loue à la seconde, qui emploie tous les salariés, et paie donc le taux de cotisation le plus bas. L'objectif d'incitation à la substitution du travail au capital disparaît.

Au total, les effets conjoints des quatre propositions de réforme (baisse des cotisations patronales sur les bas salaires, assiette VA, assiette EBE, modulation des cotisations patronales) sont qu'ils contribuent, à des degrés différents, à modifier la structure des coûts de production en réduisant la taxation sur le travail relativement à celle du capital.

Pour autant, les trois dernières propositions se démarquent de la proposition Malinvaud sur trois points essentiels :

- Elles évitent le gaspillage des flux financiers accordés aux entreprises quelle que soit leur situation financière dans le cas des mesures d'ordre général traditionnelles de réduction des cotisations sociales. Ceci permet d'éliminer les effets pervers tels que les effets d'aubaine et les effets de seuil caractéristiques de ces mesures centrées sur les bas salaires.

- Elles rétablissent un partage des revenus après impôt favorable aux entreprises qui développent l'emploi.

- Elles libèrent des marges de manoeuvre pour augmenter les salaires dans ces entreprises.

En tout état de cause, le succès d'une éventuelle réforme tient, comme toute mesure de politique de l'emploi, à l'interprétation qu'en donneront les acteurs de l'emploi dans l'entreprise.

* 77 Elle n'est pas testée dans le cas de la baisse des cotisations préconisée par Malinvaud car le modèle montre que la proposition Malinvaud n'est efficace que si la part et le niveau des dépenses diminue.

* 78 Malinvaud suggère ainsi d'augmenter les cotisations sociales sur les hauts salaires. Il ne les teste cependant pas cette hypothèse dans son modèle qui ne comporte qu'une catégorie de travailleurs.

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