CONCLUSION GÉNÉRALE

La raison d'être des flux financiers provenant des collectivités publiques en direction des entreprises en matière d'emploi ne saurait relever d'une autre logique que celle d'une aide financière aux entreprises dont la situation comptable en justifie le recours, dans la perspective d'atteindre les objectifs fixés par la politique publique de l'emploi.

C'est à cette aune que doivent être évaluées les politiques publiques de soutien à l'emploi. Celles-ci se heurtent inévitablement au problème de la nécessaire sélectivité des financements. L'approche dominante des politiques de l'emploi a été, nous l'avons souligné, de considérer la demande de travail des entreprises comme étant une donnée homogène à laquelle les politiques de l'emploi devaient adapter l'offre de travail, soit en en réduisant le coût, soit en la modelant qualitativement par la formation.

Cette approche permet certes de pratiquer des politiques ciblées en direction de publics (offreurs de travail) fragilisés recherchant l'objectif d'une discrimination positive. Elle ne permet pas d'établir un tri parmi les entreprises «nécessiteuses» d'aides au regard de leur situation comptable, ni de tenir compte de la diversité des stratégies d'entreprises à l'égard de l'emploi.

La réflexion autour de l'assiette des prélèvements sociaux ouvre le chantier, non-creusé jusqu'alors, d'une réforme permettant de stimuler l'emploi tout en discriminant les entreprises selon leur situation comptable et leur stratégie à l'égard de l'emploi. Elle permet de résoudre le problème récurrent des effets pervers (effets d'aubaine, effets de substitution, etc) inhérents aux mesures d'ordre général d'abaissement du coût du travail jusqu'alors indifférenciées selon le type d'entreprise mais accordées uniquement en fonction du type de main d'oeuvre utilisée. Il s'agit en l'occurrence de la main d'oeuvre non-qualifiée pour laquelle les exonérations de cotisations sociales se sont généralisées autour du SMIC. Une telle démarche a, a-fortiori, l'inconvénient de déqualifier la structure de la main d'oeuvre en stimulant l'embauche au niveau du salaire minimum et surtout d'entretenir une «trappe à bas salaires».

Trois propositions de réformes alternatives sont possibles.

La première proposition est de substituer progressivement ou immédiatement une assiette Valeur Ajoutée à l'actuelle assiette. Elle aurait pour avantage de faire participer à égalité le capital et le travail au financement des dépenses sociales, sans modifier la structure des coûts de production. En conséquence, cette assiette n'alourdirait pas le coût du capital par rapport au coût du travail. Le taux de contribution nécessaire serait fixé à 9,2 %. Il est également possible d'envisager une modulation d'une telle Contribution sur la Valeur Ajoutée en fonction d'un critère économique (tel que la part des salaires dans la valeur ajoutée) propre à chaque entreprise.

La deuxième proposition est de procéder de la même façon en créant, plutôt qu'une assiette Valeur Ajoutée, une assiette Excédent Brut d'Exploitation, dérivée de la Valeur Ajoutée. Cette assiette taxe directement les profits d'exploitation des entreprises. Plus restreinte, elle nécessiterait un taux de contribution plus élevé. Elle réduit le coût relatif du travail par rapport au coût du capital, ce qui provoque un effet plus favorable à l'emploi que dans le cas précédent.

La troisième proposition est de conserver une assiette salaire, mais de moduler les cotisations patronales en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée au regard d'un ratio national de référence (ou, dans d'autres variante, selon un ration sectoriel ou encore un ratio intertemporel propre à chaque entreprise. Cette réforme met en action le même type de mécanisme que celui qui se produit dans le cas de la proposition Malinvaud.

Elle ne taxe pas directement les profits (ce qui atténue le risque, relevé par Malinvaud, de ralentir l'innovation) mais possède l'avantage (sur les exonérations générale classiques) de faire participer au financement de la protection sociale les entreprises ayant une part de faire participer au financement de la protection sociale les entreprises ayant une part importante de profits dans la valeur ajoutée beaucoup plus que les autres. Au contraire, la réforme allège la charge de financement des entreprises ayant développé les salaires et l'emploi.

Les trois réformes envisagées ne modifieraient pas la charge totale de financement de la protection sociale qui pèse sur les entreprises. Ce qui n'exclut pas un futur débat sur le poids souhaitable du financement de chaque catégorie de revenu d'une protection sociale à caractère universel. Dans un contexte où certaines ont retrouvé des taux de marge confortables, alimentant parfois plus l'épargne financière que l'investissement réel, la réforme permet de répartir la charge de financement des dépenses sociales selon la situation comptable de chaque entreprise.

Les avantages et les inconvénients de chaque proposition (y compris la proposition Malinvaud de poursuivre la réduction des «charges» sur les bas salaires) ont été détailles.

Dans les simulations que nous avons effectuées, chaque type de réforme possède son domaine de validité en termes d'efficacité économique (celle-ci étant mesurée à l'aune du nombre de créations potentielles d'emplois). Les simulations tiennent compte de l'ensemble des effets mis en jeu par les mesures, effets d'offre, effets de demande, hypothèses sur les dépenses publiques et sociales.

La proposition Malinvaud de réduire les cotisations sociales sur les bas salaires n'est efficace que si les dépenses publiques diminuent et si les entreprises augmentent les salaires pour compenser le déficit de demande dû à la réduction des dépenses publiques. Si les dépenses publiques sont maintenues, le financement de la mesure exige un prélèvement sur d'autres catégories (Malinvaud suggère de taxer les hauts salaires - sans tester cette mesure dans sa simulation) qui déprime la demande 104 ( * ) . À contrario , la prise en compte de la valeur ajoutée dans l'assiette de financement de la protection sociale, avec ou sans modulation, s'avère efficace même dans le cas où le niveau des dépenses publiques et sociales est maintenu.

Le débat porte en fin de compte autant sur l'efficacité économique de la réforme que sur sa logique sociale. Le choix des différents types de réforme engage alors un choix de société qui amènera la représentation nationale à se prononcer sur les catégories de revenus qui doivent contribuer à une protection sociale poursuivant, sur certain volet, un objectif de couverture universelle.

S'il était mis en place à l'occasion de l'application de la deuxième loi sur la réduction du temps de travail, un tel dispositif représente le complément idéal du passage aux 35 heures, en allégeant la charge de financement des entreprises ayant engagé des négociations à cette occasion se matérialisant par un maintien ou des créations d'emplois. Il s'avère beaucoup plus incitatif que le maintien d'une aide pérenne et des dispositifs incitatifs indifférenciés s'apparentant à des mesures classiques de réduction du coût du travail dont les effets pervers ont été rappelés. Ces effets finissent par coûter une somme non-négligeable au budget de l'État, alors que la situation comptable de nombre d'entreprises leur permet d'autofinancer le passage aux 35 heures, à charge aux pouvoirs publics d'orienter les aides vers les entreprises réellement nécessiteuses et porteuse de véritables négociations engageant des stratégies de long terme.

Cela a été souligné en première partie de ce rapport, la logique de 2RT, sous-jacente aux scénarios testés par les diverses projections macro-économiques, supposait pour réussir qu'une négociation s'enclenche à tous les niveaux. La première loi sur les 35 heures a suscité une certaine dynamique de négociation, sans doute plus faible que ce qui était attendu par les autorités publiques. Cette dynamique est cependant plus forte que celle de la loi Robien. Cette dernière n'a pas motivé la négociation de branche, alors que 40 accords de branche ont d'ores et déjà anticipé la norme des 35 heures. Les accords d'entreprise sont en grande majorité des accords offensifs, ils concernent plus particulièrement les PME (de 20 à 50 salariés) et se développent dans le secteur tertiaire. La négociation d'entreprise a été également plus vive, au plan du nombre d'accords conclus. Ces résultats peuvent être portés au crédit de la loi : il est remarquable que les accords d'entreprises se soient développés là où la négociation d'entreprise est généralement réputée absente. Paradoxalement, les grandes entreprises, habituellement grandes utilisatrices des dispositifs de politique de l'emploi, ont spontanément développé la négociation sans recourir aux aides de l'État. Si les accords sont généralement offensifs, ils n'atteignent en effet pas, dans ce cas, le critère des 6 % de créations d'emplois fixé par la loi pour obtenir les aides.

Pour autant, malgré le caractère offensif (au sens de la loi) des accords, nombre de petites comme de grandes entreprises n'ont fait qu'anticiper la deuxième loi (les entreprises ont voulu se préparer au «choc» des 35 heures), sans véritablement engager la négociation sur le sentier d'un changement organique. Les partenaires sociaux se sont rarement engagés dans une réflexion sur les innovations de long terme en matière d'organisation de la production de qualification et d'emplois.

Cette approche caractérise également les accords de branche, où prévaut cependant une certaine hétérogénéité. Les organisations du Medef se sont impliquées fortement dans la négociation selon des logiques diverses. Certaines ont joué le jeu de la négociation «donnant-donnant». D'autres, telles l'UIMM, ont voulu fixer les règles les plus favorables à un aménagement du temps de travail avec peu de contreparties pour les salariés avec pour but essentiel la réduction des coûts de production. L'objectif est dans ce dernier cas de donner un contenu aux accords qui puisse devenir une norme suffisamment générale pour influencer les ternies de la deuxième loi. En particulier, le volume des heures supplémentaires est allongé, de telle sorte que le passage aux 35 heures soit rendu impraticable dans les entreprises. Cette démarche n'a pas été entérinée par le Ministère dans le cadre des procédures d'extension.

Le bilan détaillé des accords de branche et d'entreprise que fournit ce rapport pourrait aider à préciser le contenu de la deuxième loi, dans la perspective de généraliser la négociation sur la réduction de la durée du travail à temps plein (et, dans ce cadre, réduire le temps partie contraint).

Du strict point de vue de l'analyse du rôle des flux financiers accordés par les collectivités publiques en matière d'emploi à laquelle ce rapport a procédé, l'aide pérenne ne se justifie pas. Elle devrait prendre fin avec les aides accordées dans le cadre de la première loi. Les entreprises qui en bénéficient ont maintenant pu absorber le «choc» des 35 heures grâce à ces aides et grâce aux gains de productivité qu'elles réaliseront. Celles qui n'en ont pas bénéficié préfèrent visiblement attendre la deuxième loi sans bénéficier d'aides dont la contrepartie était un accroissement significatif de l'emploi. Or ces entreprises n'anticipent pas une demande plus importante, elles n'ont aucune raison de croître malgré le caractère incitatif de l'aide. La faible portée de l'aide pérenne est ainsi révélée par la proportion des entreprises qui ne se sont pas saisies de la première loi Aubry, malgré l'incitation, voir l'aubaine que constituaient les aides accordées.

* 104 Au cas ou l'exonération irait jusqu'à 2 fois le SMIC, c'est plus de la moitié des salaires qui seraient concernes par une exonération totale ou partielle. Il faudrait alors financer ce manque à gagner pour la sécurité sociale par un prélèvement fiscal qui exercerait à terme un effet dépressif sur la demande.

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